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24 septembre 2010 5 24 /09 /septembre /2010 08:11

            Comme le rappelle Antoine BOUSTANY, les substances stimulantes, hallucinogènes et à effet dépresseur font partie, et de manière importante, des civilisations humaines depuis l'aube des temps. Aussi, la production, la distribution et la consommation des drogues (du tabac à la morphine) font-elles parties des conflits qui les traversent. A usage restreint à des élites, à utilisation religieuse et mystique, à utilité manifeste sur les champs de bataille ou à usage élargi comme médicaments, elles sont mentionnées dans presque tous les textes sacrés, présentes dans toutes les pharmacopées dans tous les continents et considérées depuis très longtemps comme indispensables à la vie humaine. Ce n'est que très récemment, au XXe siècle et à partir de l'Occident que cocaïne, cannabis et divers opiacés (héroïne..) font l'objet d'un double mouvement d'interdiction et de monopolisation. Le partage entre drogues licites et drogues illicites provient non d'une classification médicale, mais d'une classification juridique à provenance d'intérêts économiques, sous la poussée d'une augmentation de la consommation de drogues aux effets délétères (pendant les deux guerres mondiales, mais aussi auparavant pendant la guerre de Sécession) et de l'émergence de drogues de synthèse (amphétamines par exemple) issus des laboratoires pharmaceutiques, notamment au début diffusées en "soutien psychologique" aux soldats au front et ensuite pour alimenter toute la panoplie pharmaceutique moderne.

     Les drogues sont l'objet de conflits de plusieurs ordres, avec toujours pour toile de fond la nécessité humaine de soulager des souffrances physiques ou "spirituelles" :

        - conflits entre acteurs cherchant à monopoliser la fabrication et/ou le commerce des drogues, conflits économiques et politiques menant directement à des conflits inter-étatiques voire à des guerres (guerre de l'opium par exemple) ;

        - conflits entre acteurs utilisant les drogues à des fins religieuses ; toute une histoire sur les relations entre luttes liées aux drogues et luttes entre religions ou sectes est sans doute à écrire, avec en arrière plan l'ensemble des pratiques ésotériques ;

       - conflits intra-étatiques entre États et guérillas ;

       - conflits liés à l'utilisation des drogues dans la conduite de la guerre : rôle antique dans les augures précédents les batailles, rôle dans le soutien aux combattants, notamment en première ligne ;

       - conflits juridico-politiques liés aux prohibitions de certaines drogues et aux légalisations d'autres : vin, tabac, cannabis, nicotine, dans le désordre pour n'en citer que quelques-uns ;

        - conflits directement liés aux consommations de drogues : se trouve ici la question du lien entre délinquance et dépendance aux drogues.

Cette liste n'est pas limitative.

 

          Dans sa définition des usages et du contrôle de ces usages, François-Xavier DUDOUET renouvelle la réflexion sur les drogues en donnant des informations sur la manière dont par exemple l'opium, connu en Chine depuis des siècles pour ses vertus thérapeutiques, est l'objet d'une monopolisation par des firmes occidentales. Auparavant, "il n'est pas reconnu aux professions médicales l'utilité sociale qu'on leur accorde aujourd'hui dans les sociétés occidentales : à savoir la charge de soigner la population. Au XIXe siècle, les concurrents des docteurs en médecine et en pharmacie sont légions (....) (et) la population est libre de choisir. Mais la véritable concurrence se trouve d'abord dans l'auto-médication de la population. De nos jours, le patient est dépendant du couple médecin/pharmacien, ou au moins du pharmacien pour avoir accès à la plupart des médicaments, notamment les plus puissants d'entre eux. (....) La captation de la maladie et de son traitement par les professionnels de santé est le fruit d'un processus de "professionnalisation" des médecins et des pharmaciens qui, en imposant leur savoir-faire comme seule pratique légitime parce que scientifique, marginalisent, voire excluent du même coup les autres pratiques. Le médicament étant, déjà, un élément essentiel de l'action thérapeutique des médecins, et plus encore des pharmaciens, on conçoit tout à fait que ce soit sur la limitation de sa disponibilité que ces derniers ont axé leur entreprise de professionnalisation. C'est suivant cet ordre d'idées que les médecins et les pharmaciens du Royaume-Uni, par exemple, vont se mobiliser et s'imposer comme les seuls professionnels légitimes de la santé, pour revendiquer le monopole de la prescription et de la délivrance des médicaments. L'acquisition de ce monopole a fait l'objet d'une longue lutte, d'autant plus concomitante du processus de contrôle des drogues en Occident, qu'elle en est l'un des fondements."

 Cette lutte est parallèle à celle des pays occidentaux pour contrôler la diffusion des drogues à partir de leurs lieux de production, l'opium en Chine par exemple. De multiples conférences internationales entre États où sont elles sont consommées et États où elles sont produites vont aboutir des Conventions jetant les bases d'un contrôle international de plus en plus opérationnel : Convention de Genève de 1925 pour la limitation de la commercialisation, Convention de Genève de 1931 pour la limitation de la fabrication, Protocole de 1953 pour la production, Convention unique de 1961 et Protocole l'amendant de 1972. Il s'agit de fixer des stocks nécessaires à la consommation contrôlée, afin de réguler l'ensemble du commerce licite des drogues. Ce commerce oligopolistique se fait sous l'égide de la SDN puis de l'ONU et constitue sans doute la plus grande réussite de la coopération internationale à ce jour. Ce contrôle international est né avec des ententes économiques sur la production, la fabrication et les exportations des substances soumises à contrôle : Cartel de la cocaïne né en 1924, Cartel de la morphine et de la codéine depuis 1929. Des cartels où prédominent les intérêts de firmes britanniques, américaines, françaises et allemandes. Elles définissent encore aujourd'hui les quantités et les qualités licites des drogues comme les acteurs autorisés et non-autorisés de l'économie des drogues. Les conflits, voire les guerres qui se sont livrées dans ce processus, perdurent encore aujourd'hui.

 

       Les textes sacrés fourmillent d'allusions et de symboles se rattachant à la consommation de drogues à des fins religieuses. Pour n'en prendre qu'un, la vigne occupe une place centrale dans le christianisme en tant que symbole de vie et est mise souvent en relation avec le sang. Les prohibitions rencontrées dans l'islam - partielles et tardives - sont l'occasion de conflits de valeurs. A une époque où il n'y avait pas de séparation entre fêtes religieuses et fêtes profanes, dans la Rome antique, l'ivresse individuelle et collective est devenue peu à peu un véritable fléau, que certains rendent responsable d'avoir contribuer à l'effritement de l'Empire. La Bible fourmille d'anathèmes contre l'abus de substances dont les effets, au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'époque contemporaine, sont de plus en plus mis en avant. La stigmatisation morale de l'utilisation d'alcool se transforme en prohibition légale pure et simple avec sanctions pénales à l'appui. (Antoine BOUSTANY)

 

        Alain LABROUSSE rappelle également que "les rapports entre les expéditions militaires, les conflits et les drogues sont aussi anciens que l'utilisation par les hommes des substance qui modifient les états de conscience". "C'est avec la prohibition des drogues, mise progressivement en place par la communauté internationale durant la première moitié du XXe siècle, mais qui n'entre véritablement en vigueur qu'après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, que le rapport entre ces substances et les conflits a pris une importance significative. Après que le Kuomintang en Birmanie eut ouvert la voie, les services secrets français en Indochine, en échange de l'appui des montagnards meos, les aidèrent à vendre de l'opium à la French Connection. Après le départ de l'armée française, la CIA constitua à son tour une armée secrète au VietNam qui compta, en 1965, jusqu'à 30 000 combattants de la même ethnie. Son financement reposait en large partie sur l'argent tiré du trafic de l'opium et de l'héroïne. Par la suite, la CIA ferma les yeux sur les trafics dirigés par ses alliés vietnamiens au pouvoir, bien que les victimes de cette drogue ait appartenu au corps expéditionnaire américain. Le même processus s'est produit lors du conflit en Amérique Centrale, lorsque le Congrès des États-Unis mit son veto, entre octobre 1984 et octobre 1986, à toute aide militaire (amendement Boland) apportée par les États-Unis aux antisandinistes (contras). (...) La protection accordée par les services secrets américains aux trafiquants de drogues s'est renouvelée en Afghanistan dans les années 1980 et ses effets négatifs se font encore sentir dans le processus de reconstruction de ce pays". 

Alain LABROUSSE dresse une liste des conflits depuis 1990 où la présence de la drogue est avérée. Il effectue une modélisation du financement des conflits par la drogue, alimenté par l'escalade des profits dans la succession de transformation des substances (cocaïne provenant de la feuille de coca, l'héroïne obtenue à partir de l'opium produit par le pavot...), accrue par la multiplication des obstacles naturels et politiques à leur circulation (frais de transports...). Le fractionnement ensuite de la drogue en doses de plus en plus petite, du grossiste au dealer, favorise l'explosion de son prix. Il existe des relations quasi-dialectiques entre drogues et conflits dans les guérillas en général : financement des groupes insurgés par l'impôt prélevé auprès des paysans sur la valeur du produit agricole, taxes payées à la guérilla dans les territoires de transit qu'elle contrôle, constitution par certains groupes de laboratoires de transformation afin de vendre un produit fini aux trafiquants, accompagnement du produit jusque dans les pays consommateurs où la guérilla a des sympathisants fortement structurés. Il existe une circulation d'intérêts entre acteurs luttant pour un changement politique global dans leur pays et acteurs mus uniquement par l'appât du gain. D'anciennes milices ou d'anciens guérilleros peuvent devenir purement et simplement des trafiquants après la solution d'un conflit armé. Des liens parfois en cascades lient des groupes "terroristes" au commerce de la drogue, sans pour autant que l'on doive exagérer l'importance de la drogue dans le financement de certains attentats (dans le cas de Ben Laden, sa fortune personnelle joue un bien plus grand rôle).

 

            Antoine BOUSTANY rapporte de nombreuses légendes évoquant l'usage massif et inconsidéré de substances enivrantes chez les guerriers (légendes scandinaves par exemple). Chez les Grecs, l'entente entre Dionysos et Mars était parfaite durant les combats : (...) outre le vin, il existait une autre drogue qui dépassait en qualité ce breuvage de la phèbe. Le népenthis, à base d'opium associé à d'autres substances, était absorbé avant les affrontements pour empêcher l'apparition du sentiment du danger et, comme nous l'apprend Homère, pour émousser les réactions affectives pendant les combats capables de provoquer un choc moral" Plus loin dans le temps "les soldats de Bonaparte, lors de la campagne d'Égypte à la fin du XVIIIe siècle, étaient ravis d'avoir découvert les délices du haschisch qui a dû remplacer avantageusement le vin dans ce pays au climat torride. Et malgré l'édit de Bonaparte interdisant la préparation et l'usage du breuvage extrait du haschich, la consommation battait son plein parmi ses soldats malgré les tentatives de certains officiers pour les prohiber."

Ce qui nous intéresse sans doute plus aujourd'hui, c'est le processus de découverte et d'utilisation de nouvelles substances grâce aux progrès scientifiques dans le domaine de la chimie. Après avoir compris la composition de l'opium, "le chimiste allemand Sterturner et le médecin des armées napoléoniennes Séguin réussirent à extraire respectivement en 1805 et 1806 la morphine qui s'avéra, en première intention, un "don du ciel" pour les blessés de guerre et les combattants, et un adjuvant utile, voire indispensable, pour les médecins et chirurgiens des armées." Cette morphine fut surutilisée pendant la guerre de Crimée (1854) et la guerre de Sécession (1856), et les progrès se poursuivant, les chimistes mirent au point une nouvelle substance, dérivé semi-synthétique de la morphine, l'héroïne. Pendant la première guerre mondiale, nouvelle découverte : un nouveau dérivé synthétique classé parmi les morphinomimétiques. Dans les années 1930, la découverte des amphétamines arrive à point nommé pour servir de stimulant psychique et physique aux soldats pour le grand carnage de la seconde guerre mondiale. La plupart des drogues en circulation actuellement proviennent d'opérations de synthèses qui multiplient les types de substances, variant les effets psychotropes - et délétères - dans la population civile. 

 

        Les deux grandes classifications, médicale et juridique, des drogues ne se recoupent pas pour la bonne raison que la classification juridique obéit à des impératifs économiques et non à des impératifs de santé publique, même si dans leur campagne pour la prohibition de certaines drogues, les organismes officiels, étatiques ou internationaux, avancent des arguments dans ce sens.

Ainsi, la classification médicale divise les drogues en stimulants (stimulation du système nerveux, puis après une phase de contrôle de soi, épuisement et dépression, et enfin état de dépendance), en hallucinogènes (perturbation du système nerveux, de la perception de la réalité, modification durable de la personnalité en cas de prise prolongée) et en dépresseurs (ralentissement du système nerveux, sensation de détente et perde d'inhibition, forte dépendance physique et à fortes doses graves conséquences organiques). Parmi les stimulants figurent le tabac, la cocaïne, le crack, les amphétamines, l'extasy, le GHB ; parmi les hallucinogènes, le cannabis et produits dérivés, les produits volatils comme les colles et solvants, anesthésiques volatils, la kétamine, le LSD, les champignons hallucinogènes ; parmi les dépresseurs nous trouvons l'alcool, les médicaments tranquillisants et les somnifères (comme les barbituriques et les benzodiazépines), les opiacés (héroïne, méthadone, codéine, morphine...). 

La classification juridique répartis les substances en stupéfiants qui voient leur usage sévèrement réglementés, voire interdits ; en substance psychotropes non classés comme stupéfiants, dont certains sont utilisés comme médicaments ; en médicaments "inscrits sur les listes I et II" et en substances dangereuses destinées au commerce, à l'industrie ou à l'agriculture, classées en 8 sous-catégories, allant du très toxique ou mutagène. La liste des stupéfiants comprend plus de 170 plantes et substances dont les stupéfiants de la convention de 1961 (coca, opium, cannabis et leurs dérivés : morphine, héroïne, méthadone, cocaïne, résine de cannabis...), certains psychotropes de la convention de 1971 (hallucinogènes, amphétamines, MDMA...), les champignons hallucinogènes et le khat ; deux précurseurs chimiques (le phényl-acétone et l'acide lysergique, précurseur du LSD) et les nouvelles drogues de synthèse (MBDB, 4MTA, kétamine...).

   Les différences entre classification médicale et classification juridique sont l'occasion de conflits politico-juridiques que détaille bien Nicolas CARRIER. On retrouve dans ces conflits de nombreux arguments pro et anti-prohibitionnistes qui se retrouvent d'ailleurs pour d'autres substances que celles que l'on a l'habitude de regrouper sous le vocable de drogues : nicotine, vin, caféine... Les principaux arguments critiques de la prohibition des drogues peuvent être de diverses natures, allant de véritables considérations sur la santé publique ou individuelle, sur l'inefficacité de cette prohibition (Affaires liés à la prohibition de l'alcool aux États-Unis par exemple où il a provoqué dans les années 1920-1930 un regain du banditisme et de la violence en milieu urbain), sur les modalités d'application de cette prohibition (attaque des usagers ou attaque des trafiquants), sur l'impossibilité de véritablement contrôler le trafic illicite (sans compter les conflits entre organismes officiels, dont certains veulent utiliser, instrumentaliser ce trafic)... Mais les arguments sur les libertés individuelles liés aux arguments sur la santé (des drogues licites sont finalement plus dangereuses que certaines drogues illicites) portent le plus fortement devant les tribunaux de certains pays à tradition démocratique.

 

           Henri BERGERON rappelle que "si le sens commun se nourrit de si tristes et si noires représentations au sujet du toxicomane, du drogué et du "fléau drogue" en général, c'est certainement parce que ces vocables sont, de manière presque systématique, associés à la misère, la précarité, la déchéance sociale et à la délinquance de toute nature (agressions, vols, trafics, incivilités, prostitution, etc), thématique d'une actualité brulante qui saturent le débat public tout autant que les orientations des politiques publiques sur le sujet". Pourtant, à l'encontre de beaucoup d'idées reçues, la relation entre drogues et délinquance est très controversée. 

   Plusieurs sociologues, autour de D. SANFAçON (O. BARCHELAT, D. LOPEZ, C. VALADE) dans une étude de 2005 (Drogues et dommages sociaux, Revue de littérature internationale, OFDT, "Focus"), dressent une liste impressionnante des dommages et problèmes sociaux associés à l'usage de drogues : délinquance et criminalité, économie souterraine et petit trafic, insécurité, corruption, exclusion sociale, précarité et prostitution, échec scolaire, difficultés familiales, problèmes d'insertion professionnelle, accidents de travail et accidents récréatifs. La synthèse des résultats de leurs recherches établit que les dommages liés à l'usage de la drogue sont majorés si :

- l'âge des premières prises se situe en dessous de l'âge moyen d'initiation ;

- les usages précoces se portent sur une plus grande variété de substances que la moyenne ;

- celui qui consomme présente des difficultés personnelles et sociales (personnalité agressive, pauvreté...);

- les consommateurs sont l'objet de procédures de justice pénale et, en particulier, s'ils connaissent des épisodes de privation de liberté.

 

      Comment, à travers des études diverses difficiles à synthétiser, préciser les relations entre les divers "problèmes" recensés et la consommation de drogue? Une grande diversité de motivations des consommateurs est relevée par les sociologues qui étudient ces questions sous un angle ou un autre :

- mode possible de sortie de "la galère" (DUBET, 1987), caractérisée par une situation extrêmement flottante, qui n'a rien à voir avec la structuration des gangs. Les jeunes étudiés ne savent pas transformer la "rage" qui les anime en conflit, comme ce fut le cas pour les générations précédentes dans le monde ouvrier ;

- développement d'une culture jeune, festive et hédoniste (EHRENBERG), ce qui est sans doute le cas dans des milieux largement favorisés ;

- les pratiques récréatives ou les usages contrôlés et la toxicomanie tendent à se diviser en deux formes de consommation distinctes, qui concerneraient deux types de population différentes (LAGRANGE et MOUGOTOV, 1997). Les individus des milieux aisés et de la "bohème" viendraient moins grossir les rangs des toxicomanes qu'ils ne le faisaient auparavant. Ce seraient désormais ceux qui vivent dans les ensemble urbains défavorisés qui composeraient la part la plus importante des nouveaux toxicomanes ;

- les années 1990 sont le théâtre du développement d'usages massifs, en particulier d'héroïne, chez les jeunes des quartiers péri-urbains défavorisés, laquelle toxicomanie semble plutôt répondre à une croissante marginalisation économique (DUPREZ et KOROLEFF, 2000) ;

- au bout du compte, la consommation de drogues peut être une forme de résistance de populations dominées qui tentent de former une sorte de sous-culture, à base de recherche de dignité et d'un sentiment d'appartenance à un groupe, dans un environnement où elles se sentent surveillées et réprimées. Ces populations ignorent toute campagne de prévention et les mettent dans la même catégorie que la répression policière (BOUHNIK, 2007 ; STEPHENS, 1991 ; BOURGOIS, 1992, 2001).

  Selon S. BROCHU (Drogue et criminalité. Une relation complexe, Presses de l'Université de Montréal, "Paramètres", 2006), il n'existe pas de relation très précise entre toxicomanie et délinquance. Il constate que la causalité entre prises de drogue et criminalité est acquise pour de nombreux milieux décideurs qui se passent très bien de preuves scientifiques pour tenter d'imposer les politiques les plus répressives. Le grand nombre d'enquêtes sur l'importance du problème (beaucoup de statistiques...) ne renseigne guère sur l'ordre chronologique entre les phénomènes observés.

Comment expliquer que la croyance dans une causalité forte soit très courante? F. JOBARD et O. FILLIEULE (notamment dans la Revue française de sciences politiques, n°6, 1999 : "Actions publique sous dépendance. Conditions et effets de paradigme dans la lutte contre la délinquance associée à la drogue en Europe") estiment que les forces de l'ordre, notamment en raison d'objectifs professionnels d'efficacité et de rendement, tendent typiquement à arrêter des usagers délinquants qui n'ont guère été initiés aux techniques délinquantes, aux ruses qui permettent de ne pas se faire prendre quand ils commettent les délits et qui n'ont pas eu le temps d'apprentissage nécessaire (lequel apprentissage peut se faire... en prison). Finalement, quel que soit la chronologie de l'histoire personnelle du consommateur de drogue (consomme t-il parce qu'il est délinquant ou est-il délinquant pour se procurer de la drogue?), il est classé directement dans la catégorie de drogué-délinquant.

 

 

Nicolas CARRIER, La politique de stupéfaction, Pérennité de la prohibition des drogues, Presses universitaires de Rennes, 2008. Antoine BOUSTANY, Drogues de paix, drogues de guerre, Hachette Littératures, collection Pluriel, 1998. Alain LABROUSSE, Géopolitique des drogues, PUF, collection Que sais-je?, 2004. François-Xavier DUDOUET, Le grand deal de l'opium, Histoire du marché légal des drogues, Syllepse, 2009. Diplomatie, Hors-série n°11, Avril-mai 2010, Géopolitique mondiale de la drogue. Henri BERGERON, Sociologie de la drogue, La Découverte, collection Repères, 2009.

 

Relu le 18 février 2020

 

 

 

 

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