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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 13:40

    Les présentation académiques des droits internationaux public et privé se font souvent séparément et ne posent pas frontalement la question d'un possible antagonisme entre eux. Au moment où les relations de compétences entre pouvoirs étatiques et pouvoirs des firmes privées se complexifient, dans une mondialisation qui est tout sauf harmonieuse, il nous semble opportun, après avoir rappelé les fondements du droit international public, puis ceux du droit international privé, de comprendre comment ils s'articulent et se contredisent. Le droit international en général, est loin de l'homogénéisation que les droits internes ont conquis, et le premier est encore en mouvement. Ni les juridictions, ni les acteurs statuant en dernier recours, ni les légitimités de pouvoir... ne sont encore réellement bien délimités. 

 

Complexité des ordres juridiques et de leurs relations

     Loin de se tenir dans le cadre de frontières de toute façon mouvantes dans le temps, les hommes ont toujours noué des relations au lointain. Les relations internationales des hommes les mettent en contact avec un ou plusieurs ordres juridiques étrangers.

Ces éléments d'extranéité, rappelle Bertrand ANCEL, "tiennent au sujets de la relation - par exemple divorce de deux époux résidant en France mais de nationalité espagnole -, soit à son objet - par exemple cession entre Français d'un immeuble situé en Allemagne, soit à sa source - accident survenu au Portugal entre deux Français. Le droit international privé a pour objet d'assurer le traitement juridique de ce type de relations." Des éléments moraux, sociaux et économiques interviennent toujours pour rendre compliquée une situation que ce droit a normalement pour fonction de régler, en tranchant les modalités de sa résolution.

"Selon la tradition académique française, cette question comporte deux dimensions. la dimension subjective couvre le problème de la condition de la personne au regard d'un ordre juridique national déterminé ; en certaines de ses composantes, cette condition varie selon que le sujet est un national ou un étranger. Alors qu'en général le national jouit d'un statut plénier lui ouvrant accès à toutes prérogative et à toute institution protégée par son ordre juridique, l'étranger endure parfois une condition diminuée, réduisant sa capacité de figurer dans certaines rapports juridiques. Le droit international privé doit donc se prononcer sur la possibilité, dans le chef du sujet, de l'existence du rapport de droit en cause. A cette fin, il doit d'abord déterminer qui est national et, par défaut, qui ne l'est pas ; puis définir les droits dont la jouissance est concédée à l'étranger. Ces deux opérations relèvent du droit de la nationalité et du droit de condition des étrangers."

La dimension objective s'étend à la détermination du régime approprié de la relation privée internationale. "Pour apporter une solution aux problèmes de droit que soulève une relation privée, il faut à la fois des règles et des juges pour les appliquer. On parle de conflits de lois quand il s'agit de rechercher le droit applicable, et de conflits de juridictions quand il s'agit d'obtenir une protection judiciaire effective." 

"La composition, écrit encore le professeur à l'Université Paris II (Panthéon-Assas), (des) quatre facteurs (subjectif/objectif, procédural/matériel) réalise la bonne justice procédurale de droit privé en des figures diverses selon les ordres juridiques, produisant les différentes règles de compétence internationale. Considérée de manière globale, elle répond à une exigence essentielle qui est celle de l'exercice d'un lien sérieux entre le procès et l'ordre juridictionnel auquel on l'assigne. Cependant, s'il n'est pas sans exemple en droit positif qu'un chef de compétence maintienne un équilibre parfait entre les quatre pôles (tel le locus rei siae pour le contentieux des immeubles) et tire de sa propre évidence la force d'exclure toute concurrence, il arrive aussi que certains chefs de compétence se montrent infidèles à l'orientation générale (...) dégagée et, exprimant pour le compte d'une politique législative déterminée une prépondérance écrasante des considérations substantielles, reçoivent de la souveraineté dont sont titulaires les ordres juridiques qui les consacrent, le pouvoir de s'opposer à toute saisine d'un juge étranger. Ces compétences sont à la fois exorbitantes et exclusives ; elles font obstacle à la circulation internationale des décisions."

Ce que l'auteur appelle la circulation internationale des décisions est tout simplement la raison d'être d'un droit international supérieur aux droits internes des États. "La circulation internationale des décisions concernent l'hypothèse où le contentieux a été tranché dans un ordre juridique alors que l'une ou l'autre des parties a intérêt à faire produire au jugement des effets dans un autre ordre juridique. Cette circulation se heurte cependant au cloisonnement institutionnel résultant de la discontinuité des ordres juridiques. Émanant d'une juridiction, c'est-à-dire d'un organe créé et habilité pour son propre compte par un ordre juridique, le jugement n'a d'emblée valeur normative qu'au sein de cet ordre ; il s'y impose aux plaideurs parce qu'il s'impose aux autres organes de l'ordre juridique qui sont tenus de le respecter et même, pour certains d'entre eux institués à cette fin, d'en assurer l'exécution, au besoin par la contrainte. Les choses sont moins simples dès qu'il s'agit de lui faire franchir la frontière. La décision apparaît alors comme l'ouvrage d'une juridiction non habilitée; par l'ordre ad quem et elle ne s'impose pas d'elle-même aux organes de celui-ci, qui pourrait aussi bien lui dénier toute valeur normative. Cependant, cantonner la réalisation d'une décision dans l'ordre qui l'a émise risque de préjudicier aux intérêts que celle-ci est censée consacrer ; le droit du bénéficiaire serait à validité géographiquement limitée : créancier à Oslo, il ne le serait plus à Paris où son débiteur a concentré ses biens saisissables ou encore, divorcé à Mons, il serait toujours marié à Lille où il réside. C'est pourquoi le droit international privé s'efforce de concilier les requêtes de l'intérêt privé et les implications de la discontinuité des ordres juridiques. Ainsi par exemple, il est admis, selon l'articulation des moyens et fins observée à propos de la compétence internationale, que les décisions étrangères ont vocation à déployer en France leurs effets primordiaux, alors même que ceux-ci procèdent incontestablement de l'autorité de l'ordre juridique étranger.

La discontinuité des ordres juridiques cède devant l'objectif d'uniformité et de continuité de traitement des rapports d'intérêts privés. Mais cette ouverture connaît deux limites.

En premier lieu, sur un procès qui a échappé à ses juges mais dont on prétend inscrire l'issue dans la vie sociale qu'il contrôle, un ordre juridique ne renoncera à se réaliser au profit d'un ordre juridique étranger qu'assuré de la conformité de la décision de celui-ci aux exigences d'une bonne justice de droit privé. La première de ces exigences est la condition de compétence indirecte qui vise l'origine du jugement étranger et demande qu'un lien caractérisé ait rattaché le litige au tribunal qui a statué. Cette compétence indirecte s'accompagne d'autres critères de régularité qui sont, soit d'ordre substantiel - conformité à l'ordre public et au règlement de conflit des lois du pays d'accueil -, soit d'ordre procédural - respect des principes fondamentaux de la procédure : procès équitable, existence de voies de recours, etc, - et dont l'ensemble mesure l'effet de coopération de l'ordre juridique d'accueil à la circulation internationale des décisions.

En second lieu, si cette coopération ouvre une brèche dans le cloisonnement institutionnel séparant les ordres juridiques, elle ne le détruit pas entièrement. Autant il est concevable que l'efficacité substantielle et l'autorité de la chose jugée étrangère soient immédiatement invocables sans autre forme de procès, autant il est impensable, à défaut de convention internationale, que la force exécutoire acquise à l'étranger vienne d'emblée lier les agents locaux d'exécution. L'efficacité substantielle qui est la modification que la décision fait subir au rapport de droit sur lequel elle prononce - par détermination des droits et obligation des plaideurs - comme l'autorité de la chose jugée - qui garantit l'immuabilité de cette détermination par l'interdiction de renouveler le procès sur la contestation tranchée - ne demandent aucune diligence d'un organe quelconque pour être effectives. En revanche, la force exécutoire porte injonction aux organes d'exécution de procéder, au besoin par la contrainte, à la réalisation du dispositif. Il faut tenir compte de la dimension organique que la discontinuité des ordres juridiques sur le plan de la mise en oeuvre de la force publique et qui interdit à l'agent d'un ordre juridique de déférer au mandement contenu dans un jugement étranger. Aussi pour parvenir à l'exécution forcée dans l'ordre d'accueil, est prévue une procédure particulière destinée à munir la décision étrangère de la formule exécutoire. C'est la procédure d'exequatur ; celle -ci vient subordonner l'octroi de la force exécutoire à la vérification préalable par l'autorité de l'Etat d'accueil de la régularité international du jugement étranger alors que, de leur côté, efficacité substantielle et autorité de chose jugée ne conduisent à une procédure que si une contestation impose le contrôle judiciaire de cette régularité. Grâce à ces mécanismes, le droit international privé assure, également sur le plan contentieux, l'uniformité et la continuité de traitement des rapports internationaux d'intérêts privés."

 

Souveraineté et interprétation

        On peut donner une image d'ensemble du droit international public, dans tous ses aspects, archaïques ou novateurs, "en mettant en évidence deux termes dont l'interaction donne à tout l'édifice son sens le plus profond : la souveraineté et l'interprétation" (Denis ALLAND). Souverains-sujets et souverains-interprétations sont les deux interrogations qui guident l'interprétation du professeur à l'Université Paris II (Panthéon-Assas) et directeur de l'Institut Michel Villey

"La clef, écrit-il, d'intelligence principale du droit international public est le rôle central qu'y jouent les États et, par conséquent, la marque que lui imprime la souveraineté qui les caractérise. La souveraineté, en effet, est ce que l'on peut dire négativement à propos de ce qui ne connaît point de supérieur (...). Et si rien n'est supérieur à l'État, de quelle façon le droit international peut-il s'imposer à lui? N'est-il pas difficile de considérer l'État comme un "sujet" de ce droit?

Toute conception du droit international public implique une prise de position sur cette question : ou l'on cherche à éliminer la souveraineté du paysage intellectuel, comme le firent ses pourfendeurs dans l'entre-deux-guerres (Nicolas Politis, Georges Schelle par exemple), ou l'on s'efforce de composer avec les réalités auxquelles ce mot entend renvoyer (ainsi que le faisaient déjà à leur façon un Vitoria ou un Suarez), au risque aujourd'hui de s'attirer le néologisme récent et soupçonneux (mais assez vain) de "souverainiste". (...) Partons de l'idée que la puissance la plus élevée (souveraine) n'est pas la puissance qui peut tout faire, mais celle qui peut faire le plus (RIALS, 1987) ; le plus, oui mais "dans son ordre" pour reprendre l'expression (...) de Suarez, et à condition de comprendre que les limites de cet "ordre" relèvent d'un jeu complexe de puissances effectives. En effet, tout comme les individus dans l'état de nature de Hobbes, les États ne sont pas seuls : formellement égaux et foncièrement rivaux, ils trouvent dans la confrontation de leurs puissances mutuelles une limite à leur liberté ; ainsi leur situation engendre-t-elle mécaniquement des calculs de réciprocité. C'est sur ces fondations - reflets de l'état des forces en présence - que vont s'édifier les multiples constructions du droit international, toutes ses réalisations positives.

Que dans un milieu caractérisé par la souveraineté soient produits un ordre juridique, des institutions, des règles de droit, toute la philosophie politique contractualiste l'admet en supposant un acte originaire fondateur du peuple souverain, mais ces théories lui assortissent la condition que s'opère par là un transfert des pouvoirs naturels de justice privée à la justice institutionnelle. Selon cette perspective, l'institution du juge est la caractéristique de l'état "civil" et la condition du droit. Or, si en vertu des hypothèses théoriques de (ces) philosophies politiques, les individus sont censés avoir abandonné leur souveraineté, l'histoire enseigne que les États, eux, ont conservé la leur. Et le transfert total que fait miroiter la théorie du contrat social n'a pas eu lieu. Aussi la capacité d'interpréter les règles, de faire valoir et de défendre cette interprétation, faculté maintenue en chaque "sujet" du droit international, voit-elle son efficacité dépendre très ouvertement de la puissance économique et militaire de l'État interprète. L'interprétation est bien ici une manifestation de la souveraineté, tout comme l'est la production des règles liant l'État ; par l'interprétation, comme par les engagements consentis et dont elle donne la mesure et la portée, se dessinent les contours mouvants des effectivités des puissances souveraines, varient en fonction des unes des autres. tel est le fonds commun du droit international public, auquel bien des aménagements ont été apportés et qui ne l'a pas empêché, loin de là, de très sensibles évolutions. Ainsi les États ont progressivement mis en place des pôles d'intérêts communs, qui ont entraîné, par leur dynamique propre, des attitudes de promotion et de défense d'intérêts collectifs, attribués par là même à la "communauté internationale". L'émergence en un très grand nombre des organisations internationales a favorisé ce qui a pu être qualifié de "dédoublement fonctionnel" (voir Schelle, Kelsen et R-J. Dupuy), pour désigner une sorte d'ambivalence expliquant que l'État défende tour à tour et parfois de façon intriquée ses intérêts propres et ceux d'une collectivité (...)"

Compte-tenu de la manière dont se constitue toujours le droit international public, la question d'une "violation" de ce droit revêt prend un importance considérable, "d'abord parce que, dans tous les nombreux domaines où n'ont pas été institués de mécanismes centralisant l'interprétation, toute application, toute interprétation d'une règle sont susceptibles d'être elles-mêmes interprétées comme une "violation" par l'État de ses engagements, ce qui tend théoriquement à multiplier les hypothèses de "violations" et à engendrer des rapports complexes dans le traitement des conséquences de l'illicite. Ensuite parce que, en raison de la combinaison de la souveraineté et de l'égalité des États, les allégations contradictoires relatives à l'illégalité ou à la légalité d'un comportement ou d'un acte ont la même valeur juridique, situation qui dynamise et prolonge les différends si l'on ne met pas en oeuvre un mécanisme de règlements de ces différends. Enfin, parce que dans des situations à très forts enjeux politique, économique ou militaire, on peut craindre que l'irréductibilité des intérêts ne fasse obstacle à un règlement pacifique du différend, alors susceptible de dégénérer en conflit. Telles sont schématiquement trois des principales questions soulevées par la "violation" du droit international : responsabilité, règlement des différends et recours à la force."  

 

La fin du droit international classique?

Après avoir développé ces trois éléments, Denis ALLAND pose la question de la fin possible du droit international classique. "Il est des cas - ils sont de plus en plus nombreux - où les États ont consenti à renoncer à leur prérogative d'auto-interprétation de leurs propres  engagement en conférant à un organe la compétence pour interprété telle ou telle convention  (ainsi par exemple de l'Union Européenne-. Les modalités  selon lesquelles une institution, ad hoc ou permanente, rattachée ou non à une organisation internationale, à compétence spécialisée ou non, est investie d'une telle compétence sont au demeurant assez variables. Il arrive que les États transfèrent aussi à une organisation internationale compétence pour édicter des règles opposables à leurs membres, voire leur confèrent une compétence de sanction, on l'a vu pour les Nations unies, c'est vrai aussi de certaines autres organisations internationales.

C'est à ce stade que les aménagements juridiques et procéduraux de tels transferts - la production des règles et l'interprétation de celles-ci étant en principe  les marques essentielles de la souveraineté étatique - deviennent des enjeux absolument cruciaux. Doit être évoquée surtout la question des mécanismes de prise de décisions au sein de ces organisations : laissent-ils ou non la possibilité à l'État de faire toujours valoir son appréciation souveraine ou bien mettent-ils en place des procédures majoritaires de nature à lui imposer éventuellement sans son consentement une règle, l'interprétation d'une règle, voire la sanction de ce qui sera considéré comme violation d'un règle? La complication des procédures de décision au sein de l'Union Européenne est un exemple révélateur d'un dosage savant entre l'intégration et la préservation de la souveraineté des États membres. il est probable toutefois qu'il existe un point de basculement d'un monde à l'autre qui, depuis le consentement  originel donné aux traités de Rome, est opacifié par une quantité d'étapes intermédiaires de technicité toujours accrue, mais n'en marquera pas moins, s'il doit se produire, le passage de la souveraineté des États membres à celle de l'organisation. A cela viennent s'ajouter d'autres évolutions. le droit international classique se bornait à mettre les souverainetés en présence ; la plupart des règles dont il était composé étaient de type procédural et n'affectaient que rarement le situation des personnes privées, physiques ou morales. Sans perdre toutes ces caractéristiques, il est toutefois devenu un droit de plus en plus réglementaire, visant à régir le comportement non seulement des États mais aussi des particuliers, à qui il a ouvert des voies de droit (selon un mode passif, pour ce qui est de la responsabilité pénale internationale, ou selon un mode actif, pour ce qui est de la protection internationale des droits de l'homme). L'émergence de l'individu sur la scène internationale n'est pas tout : outre le fait marquant déjà évoqué de l'action des Nations unies, de nombreux domaines sont venus ajouter au droit international des chapitres qui en étaient à un stade très embryonnaire, quand ils n'étaient pas totalement inconnus, avant la Première Guerre mondiale tels l'environnement, le travail, l'économie, la santé, les réfugiés, l'exploitation des ressources naturelles ou le trafic de stupéfiants, pour ne prendre que ces exemples parmi bien d'autres possibles. Le développement progressif d'institutions internationales dont les missions sont plus ou moins générales et dont certaines, comme on l'a dit, tendent à intégrer les mécanismes d'une production normative, dont la teneur réglementaire va elle-même croissant, et parfois des procédures d'application et d'interprétation du droit international, vient accélérer sa mutation. Tout en gardant sa part de mystère, le droit international tend finalement à ressembler de plus en plus aux droits nationaux auxquels on l'a longtemps opposé."

 

Vers un droit international économique autonome?

  Une des questions que se posent Isabelle PINGEL, professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, est de savoir "si le droit international économique est une branche du droit international ou s'il est une discipline autonome. Pour Dominique Carreau et Patrick Juillard, la question est tranchée en faveur de la seconde option (Aspect du Droit international économique, D CARREAU, Pedone, 1972).

On peut toutefois, pour le plaisir du débat, se montrer sensible à des arguments (inverses) magistralement développés il y a déjà plus d'un quart de siècle." Discutant des différences et ressemblances entre droit international public et droit international économique (principes, sources, techniques), entre droit public et droit privé, elle relève que, "du point de vue de la méthode, (...) l'affirmation selon laquelle il n'y a pas, peu ou plus de distinction entre droit public et droit privé n'est pas neutre. C'est une posture idéologique à laquelle le plus grand intérêt doit être porté et qui mérite discussion. les fondements d'un système de pensée, sont essentiels pour comprendre son fonctionnement, apprécier les conséquences qui en découlent et propose, le cas échéant, les modifications nécessaires. Il n'y a pas de bonne pratique sans souci théorique. Il n'est pas se sens à opposer un droit réaliste, car sensible à l'efficacité, à un droit qui ne le serait pas, car occupé de cohérence intellectuelle, de sécurité juridique ou de conceptualisation." "Ensuite, il est excessif d'affirmer que la distinction droit public/droit privé est dépassée. Cette distinction repose sur l'idée que l'ordre juridique est fondamentalement divisé en deux parties : celle dont l'État occupe le centre et celle qui concerne les rapports en particuliers. Cette summa divisa reflète un partage politique et moral du monde entre la sphère de l'intérêt public et celle de l'intérêt privé. Dire qu'elle se déplace, selon les époques, est une certitude. Dire qu'elle est plus ancrée dans certaines systèmes juridiques que dans d'autres l'est tout autant. Dire qu'elle n'existe pas, peu ou plus, est une affirmation d'un autre ordre (...)".

  Ce débat n'est pas seulement théorique ; il a de nombreuses et très importantes implications pratiques. Il s'agit de savoir comment se répartissent les pouvoirs d'État, de groupes d'États, de groupes d'individus - entendre des firmes - dans les échanges internationaux, pouvoirs qui reposent sur un droit international économique en gestation, dans lesquelles ils interviennent tous, que ce soit ouvertement, en tant que tels, ou par l'intermédiaire d'organisation internationale à fonction économique. Il s'agit de voir également, comment, chacune de ces entités, s'appuyant sur des interprétation de la légalité économique internationale et parfois en intervenant dans l'élaboration des textes réglementaires du droit international, favorisent des intérêts publics ou des intérêts privés. Tout dépend, sans doute, de la conception de l'intérêt général en action derrière la codification du comportement économique des acteurs : intérêt corporatif, intérêt de groupe ou intérêt global, incluant éventuellement des éléments dans des domaines considérés malheureusement encore comme souvent accessoires comme l'environnement ou l'équité ?

 

       L'évolution du droit économique suit bien les interprétations dominantes, dans le monde académique. En témoigne l'évolution de trois concepts cités par Catherine KESSEDJAN, professeur à l'Université Paris Panthéon-Assas : mondialisation, gouvernance, régulation, dans son survol des trois éditions successives de l'ouvrage Droit international des professeurs CARREAU et JUILLARD (2002,2005, 2007). "Parler des acteurs et des processus de création normative, c'est en réalité parler du pluralisme juridique. Or les professeurs Carreau et Jullard demeurent attachés à l'État comme source de droit. Toutefois, dans l'édition 2007, ils reconnaissent, un peu à leur corps défendant tout de même, que les entreprises transnationales (auxquels ils assimilent les sociétés multinationales) ont, aujourd'hui, un rôle dans la création du droit international économique, qu'elles n'ont jamais eu auparavant. C'est ainsi qu'ils ont grandement révisé les paragraphes consacrés à ces acteurs particuliers de l'ordre économique mondial. (...) Car l'influence de ces sociétés (classées dans un tiers-ordre, après l'ordre juridique provenant des États et celui provenant des organisations internationales) dans les relations internationales économiques est telle que leur effort concerté serait de nature à produire des effets macro-économiques." Mais à côté de ces acteurs, relèvent les deux même auteurs, figurent en 2007, en très bonne place, l'activité des Organisations Non Gouvernementales, qui se font entendre de plus en plus dans les arbitrages internationaux. Cette activité est mise en oeuvre ouvertement contre celle des entreprises transnationales, au sein des organisations internationales comme l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce).

Ces activités antagonistes participent à la formation toujours mouvante du droit international économique "le droit international économique, écrivent toujours les mêmes auteurs, est un macro-droit s'adressant aux activités macro-économique, par opposition au "micro-droit qui ne s'intéresse qu'aux transactions particulières."

Elle conclue son survol ainsi : "C'est, finalement sur l'existence même d'un "ordre international économique" que la pensée des auteurs a beaucoup évolué. Alors que l'édition 2005 proposait en titre d'une section de l'introduction : "L'ordre international économique néolibéral de l'époque contemporaine", l'édition 2007 adopte le titre suivant : "Existe-t-il un ordre international économique?" Est particulièrement significatif le fait que les auteurs aient jugé utile de revenir à une question plutôt que de se contenter d'une affirmation. Mais au-delà de cette remarque, c'est l'analyse suivant qui mérite notre attention. Après avoir rappelé les caractéristiques que doit revêtir un ordre international économique, les auteurs soulignent : "Si l'on s'en tient à cette définition, on constatera qu'au mieux se dessinent les contours d'un ordre international économique mais que ce dessin inachevé est déjà brouillé par les tensions qui s'exercent entre multilatéralisme, bilatéralisme et unilatéralisme". Les auteurs auraient pu aussi mentionner, ici, l'intervention du pluralisme économique qui, incontestablement, brouille aussi les pistes." En 2007, poursuit-elle, "les auteurs reconnaissent que le système (normalement soumis aux principes de la gouvernance et de la régulation) "présente de graves déséquilibres" qui suscitent un embryon d'ordre parallèle qui "n'a pas encore trouve sa juste place en droit positif". On ne peut cependant ignorer les nombreuses contributions d'ores et déjà acquises dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises dont on peut espérer qu'elles ne resteront pas de l'ordre des déclarations de principes, essentiellement dans des codes de bonne conduite, mais qu'elles se traduiront sans trop tarder par de véritables règles de droit. Elles peuvent parfaitement être générées par l'autorégulation ou être imposées par les États, mais elles devront se voir sanctionnées d'une manière ou d'un autre."

Dans le combat qui se livre autour du droit international économique, juristes "étatistes" et juristes "privatistes" (sans que cela ne recouvrent des philosophies identiques chez chacun d'eux...) agissent de plus en plus ardemment, dans l'élaboration d'une société juridique internationale encore faite de juxtapositions de plusieurs systèmes juridiques, comme si l'histoire mondiale s'accélère encore, au rythme de l'arrivée sur la scène internationale de géants démographiques comme l'Inde et la Chine.

 

Cahiers internationaux de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d'étude et de recherches en droit international, Le droit international économique à l'aube du XXIe siècle. En hommage aux professeurs Dominique CARREAU et Patrick JUILLARD, Textes réunis par Jean-Marc SOREL, n°21, Editions A. Pedone, 2009 ;

Bertrand ANCEL et Denis ALLAND, articles Droit international (privé, public) dans Dictionnaire de la culture juridique, LAMY/PUF, 2003.

 

JURIDICUS

 

Relu le 1 décembre 2020

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