Cet Éloge de la violence du spécialiste des stratégies de communications institutionnelles au Québec Bernard DAGENAIS aborde la question de la violence sous l'angle de sa représentation dans les mentalités face aux réalités concrètes.
Alors que l'actualité est remplie de violences de toute sorte, "les moeurs politiques occidentales et la tradition judéo-chrétienne évacuent pourtant, du discours public, toute référence positive à la violence, sauf si elle est issue de l'autorité légale."
L'auteur veut pointer ce paradoxe que les rapports de force sont basés sur l'usage de la violence et qu'en même temps celle-ci est dévalorisée. "L'étalement de cette violence et le recours à la force pour résoudre des problèmes sont considérés (pourtant) comme la norme au cinéma et dans les jeux vidéos. Des sports qui se qualifiaient parmi les exercices de finesse comme le judo ou le hockey comptent désormais sur la force et la robustesse. Quand au divertissement, il a mis l'accent sur la violence : séries policières, vidéo-clips, dessins animés en sont remplis. La littérature sur la parole publique néglige, occulte et évacue cette forme d'expression. De ce fait, on raye de l'espèce humaine un trait fondamental de sa nature : la force. Elle est pourtant dans l'animal social qu'est l'être humain, elle est présente dans l'être humain comme partenaire social. Que la violence soit contrôlée, décriée, interdite ou condamnée, ses nombreuses manifestations témoignent de son omniprésence et de la volonté de la société de la conjurer, de la rejeter ou de l'amplifier. Car en même temps, elle est valorisée, justifiée, encouragée et récompensée."
C'est sur ce paradoxe-là que le professeur de l'Université de Laval entend faire réfléchir. En fait, pour l'auteur, il s'agit moins d'un paradoxe que de maniement par les acteurs sociaux du discours et de l'action. Il s'agit de montrer finalement comment ils parviennent, tout en utilisant la violence sous une forme ou sous une autre, à le faire oublier par leur discours, et à utiliser ensuite un discours pour s'épargner le recours à la violence. Après avoir rappelé l'existence de la violence dans l'édification de toutes les institutions qui composent les sociétés (occidentales), il traite du discours des acteurs en prenant comme point de référence deux crises violentes : celle du Front de libération du Québec en 1970 et celle d'Al-Qaïda en septembre 2001 "pour montrer que la violence que l'on découvre de façon soudaine et inattendue est pourtant fort prévisible et même prévue." Il survole ensuite (assez rapidement d'ailleurs) les différentes théories existantes sur la violence, surtout sur les recherches en éthologie animale, en psychologie et en sociologie, pour "démontrer" que finalement la violence constitue une nécessité dans les rapports sociaux.
il se focalise ensuite sur le rôle des médias actuels dans leur mise en valeur des actes d'agressivité, faisant le jeu d'acteurs qui recherchent par leurs activités violentes une forme de reconnaissance sociale ou politique. Par leur penchant à soutenir les autorités légitimes dans les moments de crise (on reconnaîtra certains phénomènes de médiatisation des "problèmes de banlieue" en France), ils en deviennent leur porte-parole et attisent la violence des négligés.
L'auteur constate dans un dernier chapitre "que la violence est devenue un outil pratique pour la résolution de conflits." Outil de communication, elle représente "une stratégie gagnante en de multiples occasions, même si le discours qui l'entoure la condamne sans répit".
"Comment éviter d'avoir envie de faire l'éloge de la violence, lorsque l'on considère que dans l'histoire, même contemporaine, ce sont les nations les plus violentes qui se sont imposées, ce sont les individus les plus cruels qui ont dicté leurs lois? Même dans la société civile, le taux de crimes non résolus est étonnant. Et les criminels politiques comme Pinochet et tous ceux qui lui ressemblent bénéficient d'une grande complicité pour leur éviter la condamnation. Alors que l'on s'acharne avec consternations sur des innocents, dont le seul crime a été de combattre la violence des autres... comme en Birmanie, en Chine et en Tunisie. Et pourtant, il faut constater que toute poussée de violence, qu'elle soit légale ou contestataire, entraîne des effets pervers. La violence contestataire amène un renforcement de la sécurité et somme toute des abus à l'endroit des droits et libertés individuelles."
Même en passant sur certaines affirmations un peu rapides (les nazis auraient gagné le monde entier selon cette forme de logique...), il faut constater et regretter cette apologie de la violence, qui outre un certain ton banalisateur parfois, fait d'elle "un véritable moteur de vie."
Cette apologie de la violence rappelle par certaines aspects, selon le même type d'argumentation, l'apologie de la guerre que l'on pouvait encore lire aux XVIIIe et XIXe siècles... avant les boucheries des deux guerres mondiales (la guerre revitalise la nation ou la civilisation..). Malgré certains analyses fort justes lorsqu'il aborde le rôle des médias de manière générale (presse, cinéma...), on a parfois l'impression que l'auteur s'égare quelque peu.
En fin de compte, cette apologie de la violence ressemble à une justification morale qui s'appuierait sur une interprétation des faits souvent rapide et sommaire.
Si cet ouvrage figure sur ce blog, c'est bien parce qu'il incite à la réflexion sur la violence. (Une abondante bibliographie à la fin du livre, très ouverte, permet au lecteur de poursuivre plus avant celle-ci.) Ce qui ne veut pas dire que nous adhérons aux analyses ou aux conclusions... Entre autres, sans vouloir attaquer ce livre (nous n'en parlerions alors pas du tout...) qui a le mérite de mettre en avant les aspects communicationnels, nous préférerons de beaucoup aux problématiques soulevées dans ce livre, qui nous semblent appartenir à un état de recherches sociologiques dépassé, d'autres problématiques se centrant sur les conflits, leur nature, leurs protagonistes, leurs moyens d'action...
L'auteur présente lui-même cet ouvrage (en quatrième de couverture) de la manière suivante : "La violence constitue, pour nos esprits, une erreur de parcours de l'humanité. Pourtant, dans les livres d'histoire, elle est l'héroïne qui s'affirme à chaque chapitre : guerres, révolutions, conquêtes et défaites, tortures et massacres. Elle trace la trame du passé de tous les peuples. Et de quoi est constitué le présent? Chaque semaine, les médias d'information projettent les barbaries de la vie quotidienne et toutes formes d'expression de la violence. Les manchettes décomptent jour après jour les accidentés de la route, exposent les meurtres les plus sordides, retracent aux quatre coins du monde les catastrophes les plus atroces et suivent avec attention les guerres qui n'en finissent plus d'étaler la réalité de la violence. (...) Que la violence soit contrôlée, décriée, interdite ou condamnée, ses nombreuses manifestations témoignent de son omniprésence et de la volonté de la société de la conjurer, de la rejeter ou de l'amplifier. Car en même temps, elle est valorisée, justifiée, encouragée et récompensée."
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Bernard DAGENAIS, professeur à l'université Laval au Québec, est l'auteur d'autres ouvrages tels que Le communiqué ou l'art de faire parler de soi (VLP Editeur, Montréal, 1990), Le plan de communication, l'art de séduire ou de convaincre les autres (Presses de l'Université de Laval, 1998), La publicité : stratégie et placement média. Ou comment choisir le mix-média le plus efficace (Presses de l'Université de Laval, 2008)...
Bernard DAGENAIS, Eloge de la violence, Editions de l'Aube, 2008, 320 pages.
Complété le 7 novembre 2012. Relu le 8 décembre 2019