Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 octobre 2012 4 18 /10 /octobre /2012 09:48

        Concept clé de toute stratégie, de toute défense et de nombreux conflits, l'ennemi, (tiré de Enemi, de 1080, de inimi au Xe siècle et du latin inimicus) est le nom employé pour désigner la personne qui déteste quelqu'un et qui cherche à lui nuire. Et par extension, la personne qui a de l'aversion, de l'éloignement pour quelqu'un. Il s'agit d'un concept focal de la pensée stratégique, comme le rappelle David CUMIN, "au sens où toute stratégie présuppose une relation d'hostilité (du latin hostis) - une relation ami-ennemi - au moins potentielle, gérée par l'autorité politique. La notion d'ennemi, qui recouvre plusieurs types concrets, est à la fois dialectique, objective et décisionnelle. Sa définition passe par l'examen des rapports qu'elle entretient avec la politique, la guerre, la paix, l'État ou le droit." Le maître de conférences à l'université Jean-Moulin à Lyon (Lyon III, CLESID) aborde tour à tour ces aspects dialectique, objectif et décisionnel.

 

Aspects dialectique, objectif et décisionnel

      Comme notion dialectique, la notion d'ennemi  permet d'identifier, de percevoir et de désigner soi et le monde et les relations entre soi et le monde, dans les deux sens : ce que nous percevons du monde et de l'autre et ce que l'autre perçoit de nous et de lui-même. "L'identification n'est pas univoque : on peut désigner l'ennemi, mais on peut aussi être désigné par l'ennemi et être contraint à l'hostilité. L'ennemi, puissance concrète, implique ainsi une interrelation, qui permet de reconnaître son identité propre, puisqu'on se définit par rapport à l'ennemi, celui qui menace notre forme d'existence, et puisque l'ennemi se définit par rapport à nous. D'où les questions clés de toute réflexion sur la défense. Qu'est-ce que notre forme d'existence? Qui la menace? Que devons-nous et voulons-nous protéger? Qui est l'ennemi?

     Comme notion objective, la notion d'ennemi recouvre une perception publique et non privée. "L'ennemi politique, ce n'est pas l'inimicus, c'est l'hostis, c'est-à-dire l'ennemi public, par l'ennemi privé ; en cela il n'implique aucune haine personnelle, car l'ennemi est un ennemi de la communauté. Il est l'étranger hostile, l'antagoniste, celui qui unit l'intention hostile et capacité de nuisance, militaire ou autre. La distinction ami-ennemi exprime ainsi un degré extrême de dissociation, dont les motifs, causes ou enjeux peuvent être de tous ordres, religieux, économique, social ou idéologique, lorsque ces oppositions religieuses, économiques, sociales ou idéologiques atteignent l'état polémique, c'est-à-dire le degré d'intensité qui provoque le regroupement ami-ennemi. Celui-ci fait survenir la perspective de l'épreuve de force, dont la possibilité ultime est la guerre. En cela, l'ennemi n'est ni le concurrent, ni l'adversaire, ni le rival, car il tire sa signification de sa relation permanente à l'éventualité réelle, mais non inéluctable de l'affrontement mortel."

     Comme notion décisionnelle, la notion d'ennemi résulte de l'altérité des protagonistes. "L'hostilité résulte de l'altérité des protagonistes dans le concret de tel conflit et de telle menace, et de la décision politique qui désigne l'ennemi. la relation ami-ennemi suppose en effet une décision des gouvernants, c'est-à-dire le choix de la confrontation - la volonté de ne pas céder à la menace ou à la volonté d'autrui. Ce choix s'accompagne le plus souvent d'une construction de l'"image de l'ennemi" à des fins de mobilisation des gouvernés (tenus de participer à la mise en oeuvre de l'hostilité) et de justification du conflit (avec les risques et sacrifices qu'il comporte nécessairement)."

 

Guerre et ennemi

    David CUMIN ajoute, entre autres, que "par rapport à la guerre, l'ennemi est le concept premier car l'hostilité est le présupposé de la guerre, acte de violence destiné à contraindre l'ennemi à exécuter notre volonté. L'hostilité n'implique pas la guerre, mais l'éventualité effective du combat ; la guerre, elle, ainsi que les autres moyens de coercition non militaires, impliquent l'hostilité puisque, si l'on s'en tient à la logique clausewitzienne, c'est elle qui donne sons sens à la belligérance ou à la coercition, non l'inverse. La guerre procède d'un degré extrême d'hostilité, dû à un conflit non dissuadé et non soluble pacifiquement (juridiquement ou arbitralement), portant sur des ressources, des territoires ou des valeurs, avec le plus souvent l'invocation d'un "droit" ou la contestation d'une "injustice". L'hostilité, elle, procède de l'opposition des intérêts, des institutions ou des valeurs entre les acteurs, donc d'un dissensus aigu, intérieur ou extérieur, transnational ou inter-étatique. Celui-ci peut porter sur l'ordre socio-politique interne, c'est-à-dire sur la légitimité de l'État, du régime ou du gouvernement ; dans ce cas, la relation ami-ennemi, propice à une situation de guerre civile avec ou sans interférences étrangères, procède du refus des gouvernés d'obéir aux gouvernants et/ou de l'incapacité des gouvernants à se faire obéir des gouvernés, du fait de la contestation du triple monopole de l'État (au sens général et non spécifique d'unité politique), celui du droit, de la force et de l'allégeance. Il peut porter sur l'ordre politico-territorial inter-étatique, c'est-à-dire sur la légitimité du statut des souverainetés ou des frontières ; dans ce cas, la relation ami-ennemi, propice à une situation de guerre étrangère avec ou sans divisions intestines, procède de l'échec des mécanismes internationaux - l'interdépendance économique, les coalitions politiques ou la dissuasion militaire - qui restreignent les intentions et/ou les capacités des puissances visant à modifier, le statut quo par la force et qui facilitent le règlement pacifique des conflits et/ou le changement pacifique des souverainetés ou des frontières. Il peut porter sur l'ordre économique international, c'est-à-dire sur la légitimité de l'appropriation, de la répartition et de l'exploitation des ressources au sens le plus large ; dans ce cas la relation ami-ennemi, propice à une situation de conflit inter-étatique voire transnational, procède de l'insuffisance des mécanismes de coopération, de régulation et de compromis entre les États et les entreprises au sein des marchés. (...)".

 

Le brouillage de la notion d'ennemi par la mondialisation

    A un moment de mondialisation caractérisée entre autres comme circulation accélérée des informations et des opinions sur toute la planète, quelle peut-être la possibilité de désignation d'un ennemi?

Au moment où l'Union Européenne est prise dans une logique d'approfondissement, discuter des ennemis héréditaires qu'ont connu pendant quelques siècles Espagnols, Français ou Allemands ne semble plus avoir aucun sens. Le débat est particulièrement vif (et sans doute angoissant d'une certaine manière) dans les instances chargées de politique de défense nationale, au moins chez les Européens et sans doute aussi chez les Américains du Nord (La Chine, les pays islamiques, comme ennemis?). L'époque est plutôt à des caractérisations d'adversaires loyaux dans des domaines très localisés, de partenaires-concurrents aux contours bien définis, au moment de la baisse d'influence (au moins au niveau symbolique) des États en ce qui concerne l'usage de la violence ou de la coercition. Bien entendu, il ne s'agit que d'une tendance générale, car en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine, le qualificatif d'ennemi, apposé à des pays aux frontières parfois communes, a encore un sens profond.

   En tout cas, comme le demande Eric POURCEL, la France a-t-elle un ennemi? "Participer à une coalition militaire dans le cadre d'une opération de rétablissement ou de maintien de la paix (...) et, parfois, aussi au titre de la "responsabilité de protéger" incombant à la communauté internationale en raison de la violation répétée des droits de l'homme et du droit humanitaire (...) sous mandat, préalable ou non de l'ONU (...) est une chose ; c'est le respect de nos engagements. Porter assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle (...) ou technologique (...) en est encore une autre ; c'est un devoir d'assistance. Mais dans les deux cas, ces opérations extérieures ou de secours ne désignent pas un ennemi de la France. Pas même un ennemi de la communauté internationale, les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ignorant volontairement ce mot pour constater des faits et qualifier juridiquement les atteintes à la paix et à la sécurité internationale (...). Aussi, depuis 1945, et si l'on fait abstraction subjectivement des ennemis atypiques, le Vietminh et le front de Libération national algérien qui se sont inscrits dans le cadre de guerres de décolonisation, la France n'a eu politiquement qu'un seul ennemi idéologique, qui a disparu avec l'effondrement de l'empire soviétique. La guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie ne furent pas considérés par la France, au moment des faits, comme des guerres internationales mais comme respectivement des "opérations de pacification" et "de maintien de l'ordre", l'ennemi n'était pas en soi constitué en État.  En ces temps de contraintes budgétaires (nous rappelons que le format de l'armée de terre est réduit actuellement environ à 100 000 hommes...), d'augmentation du coût des équipements et de choix géostratégiques, il peut apparaître opportun de s'interroger sur une question fondamentale : la France a-t-elle un ennemi?  

 

Le terrorisme international rebat-il les cartes?

En France, poursuit le docteur en droit, aspirant commissaire de la Marine, "la tradition politico-diplomatique évite soigneusement l'utilisation de ce mot honni afin de ne pas insulter l'avenir. D'autres États comme les États-Unis n'hésitent pas à montrer du doigt l'ennemi, qu'il s'agisse de l'"Empire du mal" ou des États "voyous ou parias. Si, depuis l'attentat du 11 septembre 2001, les démocraties occidentales, à la suite des États-Unis, ont identifié une ennemi commun, le terrorisme islamique, on notera qu'il s'agit d'un ennemi générique, transnational et non étatique. (...)"

 L'auteur, comme beaucoup d'autres, se réfèrent toujours, en matière de réflexion sur la défense, à un sens très rattaché à l'existence des États et à leur mode d'agir. Il considère d'ailleurs, comme de plus en plus d'analystes, que le terrorisme ne relève pas de la défense nationale, mais de la sécurité au sens policier du mot.

"Pourquoi se poser une telle question? Les raisons sont multiples mais on peut les classer en deux groupes : identifier l'ennemi, c'est le connaître et c'est finalement se connaître afin d'être "cent fois victorieux" ; identifier l'ennemi, c'est pouvoir faire objectivement des choix capacitaires en adéquation avec la dynamique de politique étrangère et de défense et le respect de nos engagements internationaux (...). Identifier l'ennemi, c'est finalement, faire sien l'adage "Si vis pacem para bellum" qui suppose d'analyser les rapports de force du moment afin, ultima ratio, de pouvoir vaincre l'ennemi si la guerre s'impose à la France comme une réalité présente ou comme un futur inéluctable (imminent et inévitable) au sens d'une guerre préemptive. (...)".  En l'absence d'ennemi déclaré, peut-on identifier des ennemis potentiels? Selon quels critères? Les différents Livres Blancs de la défense insistent sans entrer dans des détails délicats pour identifier les États qui récusent le système de valeurs qui porte la France ou pour identifier les États qui sont susceptibles de porter atteintes aux intérêts vitaux de la France... Mais ici, vu l'état perturbé de la géopolitique d'en ce moment, difficile de faire des claires désignations. L'auteur passe en revue des critères qui, il n'y a pas si longtemps pouvait servir à désigner un ennemi :

- le critère géographique ;

- le critère historique ;

- le critère démographique ;

- le critère religieux ;

- le critère économique ;

- le critère financier ;

- le critère militaire...

pour conclure que "aucun des critères examinés ne suffit isolément à identifier un ennemi de la France mais leur recoupement permet de faire émerger deux tendances : la montée en puissance de la Chine et la politisation croissante de l'islam...

  Reste des ennemis de nos amis (dans le cadre des alliances et des traités de sécurité) et des ennemis non chois (dans le cas où la France est désignée comme l'ennemi, même si cela n'est pas forcément réciproque...). Il termine par une allusion à l'ennemi intérieur, tant il est vrai que dans ce monde aux inégalités sociales croissantes, c'est plutôt entre "communautés de pauvres" et "communautés de riches" que la notion d'ennemi pourrait se voir renouvelée...

 

Des mécanismes de la fabrication idéologique et politique de l'ennemi

   Pierre CONESA s'essaie à comprendre les mécanismes de la fabrication de l'ennemi et tente une typologie de l'ennemi. Lorsque l'on discute de cette manière, à la construction mentale de l'ennemi, vient immédiatement la conception de procédures de déconstruction de la notion d'ennemi. A moins, à l'inverse dans la réalité du déroulement des choses, que la force des destructions occasionnées par des conflits armés parfois très longs n'oblige à penser aux conséquences de la désignation d'un ennemi et à envisager d'autres relations avec ceux que l'on désigne ainsi...

  Faisant référence (à rebours) souvent à Carl SCHMITT, pour lequel la première fonction du politique est la désignation d'un ennemi, l'ancien directeur adjoint de la délégation aux Affaires stratégiques du ministère de la défense, analyse "comment se crée le rapport d'hostilité, comment se construit l'imaginaire avant d'aller guerroyer". Pour lui, qui puise dans l'histoire de nombreux exemples de construction de l'ennemi, dénoncées d'ailleurs de nos jours, "la belligérance trouve ses racines dans les réalités, mais aussi beaucoup dans des constructions idéologiques, des perceptions ou des incompréhensions.(...).

La relation stratégique, quand elle aboutit à la guerre, est un processus dialectique dans lequel l'action et l'image de l'un influencent l'image et l'action de l'autre". Le départ de beaucoup de ses réflexions se situe dans la situation dramatique dans laquelle se sont trouvés de nombreux thinks tank stratégiques dans la décennie 1990, lors de l'effondrement du "bloc soviétique". Ces strategists déboussolés et quasiment en chômage technique (chômage technique dont était menacé une grande partie des complexes militaro-industriels...) ont produit tout au long de cette décennie du concept et de l'ennemi qui, analysés avec le recul du temps, se révèlent étonnamment artificiels et circonstanciels. "Fabriquer de l'ennemi, écrit-il toujours, suppose diverses étapes : une idéologie stratégique donnée, un discours, des faiseurs d'opinion que nous appellerons des "marqueurs" et enfin des mécanismes de montée de la violence. Les "marqueurs d'ennemi" qu'il faudrait ajouter à la catégorie des marqueurs identitaires des sociologues, sont multiples et différents selon les types de conflits. Ce ne sont pas les plus fins analyses de la situation, mais les plus influents. Déroulède en France a plus pesé que Jaurès dans le premier conflit mondial ; Kipling et Pierre Loti ont largement convaincu l'opinion de la culture de l'impérialisme. Hollywood a produit quantité de westerns sur la conquête de l'Ouest, qui, longtemps a été vécue par les spectateurs comme une grandiose épopée fondatrice, alors qu'il s'agissait de l'extermination systématique des tribus indiennes. Ailleurs, on aurait parlé de propagande génocidaire, dans ce cas, on parle de genre cinématographique..." Pierre CONESA dresse une typologie, qu'il faudrait d'ailleurs peaufiner et approfondir :

- l'ennemi proche, le voisin avec lequel un différend frontalier crée le conflit qui se joue traditionnellement à deux. L'enjeu est un morceau de terre et la guerre une expropriation violente ;

- le rival planétaire, le concurrent dans la rivalité de deux puissances mondiale, comme pendant la Guerre froide ou la rivalité des impérialisme dans la course à la colonisation. La guerre est une manifestation de puissance et un acte cynique d'autorité sur une carte ;

- l'ennemi intime, l'Autre sur son territoire. commencée par des écrits et jamais déclaré, la guerre civile finit par le meurtre par anticipation : tuer avant d'être tuer ;

- le barbare, l'occupant qui considère la population occupée comme étant composée de sous-développés qui ne comprennent que la force. La répression est appelée pacification ;

- l'ennemi caché, la puissance occulte censée tirer les ficelles et maîtriser le sort de populations entières. Une psychose collective engendré par la "théorie du complot", base de l'antisémitisme, des coups d'États militaires en Amérique Latine contre les "communistes" ;

- le Mal, le Malin, que la guerre doit éradiquer. Les idéologies comme les religieux ont souvent recours à cette imagerie. La guerre est un vaste exorcisme ;

- l'ennemi conceptuel, construit par une hyperpuissance. C'est le seul à la mesure de l'unilatéralisme (américain). Le dominant n'a pas d'ennemi à sa mesure, il ne peut se battre que contre des concepts dans une lutte globale... et sans fin. C'est la "guerre globale contre la prolifération et le terrorisme", prophylaxie grandiose ;

- l'ennemi médiatique, qui fleurit dans le vide idéologique et stratégique de l'après-guerre Guerre froide, envahi par la médiatisation où l'image l'emporte sur le texte. Cette menace non stratégique est définie non par les institutions, mais essentiellement par des intellectuels médiatiques, des diasporas et/ou des humanitaires. Elle donne lieu à des actions militaires sans ennemi, avec l'envoi de casques bleus, qualifiée par Pierre CONESA, sans doute avec une grande exagération de "seconde armée" de la planète après celle des États-Unis.

    Même si cette typologie nous semble à grandement travailler, elle a le mérite de pointer un certain nombre d'éléments sociologiques, dont la manipulation de l'opinion n'est pas le moindre, et surtout d'amener à réfléchir sur les déconstructions de l'ennemi. "La plus importante originalité de notre époque est probablement la réconciliation de la France et de l'Allemagne après trois guerres dévastatrices entre deux ennemis qualifiés d'"héréditaires, elle n'a jamais été imitée par le Japon ni par aucun autre pays à la conscience lourde de massacres de masse. Le modèle de la réconciliation de deux ennemis traditionnels, malgré de nombreuses tentatives, n'a jamais été copié! La construction de l'Union européenne, qui progresse par la négociation, en abandonnant certaines des compétences les plus régaliennes qui soient, n'était possible qu'à ce prix et reste, elle aussi, encore largement unique. Entité sans ennemi, l'UE tente difficilement de construire une défense commune". On pourrait ajouter que la caractérisation "ennemi" suivant des critères (surtout) économiques a concerné en Europe bien plus la France et la Grande Bretagne que la France et l'Allemagne, en dépit des deux guerres mondiales (conception de l'État, rivalités coloniales, modèle culturel, désir historique d'Empire ...). ce qui montre par ailleurs la fragilité extrême de la construction idéologique de l'ennemi.

De même que l'on peut établir une typologie de l'ennemi, peut se concevoir une typologie de la déconstruction de l'ennemi : expiation, amnistie, aveu, mémoire commune, justice internationale, autant d'éléments dont des exemples historiques commencent à abonder, de l'Afrique du Sud, à l'Irlande du nord, en Espagne comme en Amérique Latine...

Construction et déconstruction de l'ennemi constituent proprement des enjeux stratégiques ; ces entreprises mènent à la guerre ou à la paix, selon des modalités complexes.

 

Peur des barbares et désignation de l'ennemi...

   Tzvetan TODOROV (1939-2017) réfléchit d'une certaine manière à la notion d'ennemi, dans ses écrits sur la peur des barbares. A défaut de pouvoir passer par la désignation nationale de l'ennemi, et à cause également  de sa véritable dévalorisation culturelle (à causes des ravages de la Seconde Guerre Mondiale, surtout en Europe), des esprits se rabattent sur la notion de barbare. Revenant en quelque sorte aux divisions mentales de l'Antiquité, où des peuples (surtout Grecs et Romains, mais aussi Perses...) stigmatisaient d'autres peuples comme transgressant les lois les plus fondamentales de la vie commune (sur le plus des moeurs familiales notamment), ayant des usages étranges, des écrits, officiels ou non, font de peuples présentant certaines différentes, les nouveaux barbares de notre temps. L'historien et essayiste analyse avec une certaine inquiétude un possible choc de civilisations entre l'Occident et l'Islam. Dans l'esprit de certaines minorités religieuses ou politiques, il existerait bien deux mondes, figés dans leurs différences historiques, culturelles, religieuses, voués à considérer l'autre comme le barbare.

Pour Tzvetan TODOROV, le dialogue est nécessaire entre membres d'aires de civilisations différentes, sinon l'on retourne directement à la peur des barbares. "Toute société (...)  est pluriculturelle. Il n'en r"este pas moins que de nos jours les contacts entre populations d'origine différente (en particulier dans les grandes villes), les migrations et les voyages, les échanges internationaux d'information sont plus intenses que jamais auparavant ; et il n'y a aucune raison que la tendance s'inverse. La bonne gestion de cette pluralité croissante impliquerait non d'assimiler les autres à la culture majoritaire mais de respecter les minorités et de les intégrer dans un cadre de lois et de valeurs civiques communes à tous. cet objectif-là est à la fois important, car il a trait à la vie de toute la collectivité, et accessible, dans la mesure où il ne touche pas à des coutumes adoptées dans la petite enfance, constitutives d'une identité de base, mais concerne des règles de vie dont on admet facilement qu'elles peuvent varier d'un pays à l'autre. Il ne s'agit pas d'enfermer les musulmans (car c'est cela finalement le sujet central de son livre sur les barbares) dans leur identité religieuse, mais de les traiter avec autant de respect que tous les autres membres de la communauté (...)". 

 

     S'il n'est plus possible ou plus difficile, dans le monde occidental (car beaucoup ailleurs, les vieux schémas résistent fortement) de désigner un ennemi, il est encore confortablement loisible de désigner des barbares. Avec ce que cela implique de potentiels comportements à la hauteur, même si la manipulation psychologique doit être plus sophistiquée. 

 

     

 

Tzvetan TODOROV, La peur des barbares, Au-delà du choc des civilisations, Robert Laffont, 2008. Eric POURCEL, La France a t-elle un ennemi?, dans Revue Défense Nationale, n° 753, Octobre 2012. David CUMIN, article Ennemi, dans Dictionnaire de la stratégie, PUF, 2000. Pierre CONESA, La fabrication de l'ennemi ou comment tuer avec sa conscience pour soi, Robert Laffont, 2011.

 

STRATEGUS

 

 

Complété le 13 novembre 2012. Complété le 16 août 2017 (voir aussi Tzetan TODOROV en septembre). Relu le 21 janvier 2021

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LE CONFLIT
  • : Approches du conflit : philosophie, religion, psychologie, sociologie, arts, défense, anthropologie, économie, politique, sciences politiques, sciences naturelles, géopolitique, droit, biologie
  • Contact

Recherche

Liens