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23 novembre 2012 5 23 /11 /novembre /2012 12:35

               L'École de Francfort constitue une des branches héritières du marxisme. Ses membres viennent, surtout ceux de la première génération, du marxisme, même s'ils en ont transformé l'approche en Europe occidentale, et si au fur et à mesure du temps, plusieurs d'entre eux prennent de grandes distances avec lui. 

     On nomme École de Francfort un courant philosophique associé au marxisme, né dans l'Allemagne de Weimar, et qui, si la France ne l'a reçu qu'à titre pratiquement posthume, marque de son empreinte des débats germaniques ou anglo-saxons. A l'origine, une véritable École, l'Institut de Recherches sociales, créé à Francfort-sur-le-Main en 1923, exilé à Genève puis aux États-Unis en 1933, rapatrié en 1950. Parmi les quarante années de publications, sous une dizaine de signatures dans les livraisons de la Zeitschrift für Sozialforschung, on s'en tient souvent à la cheville ouvrière du groupe, Marx HORKHEIMER (1895-1973) et Theodor Wiesengrund ADORNO (1903-1969), laissant de côté Herbert MARCUSE (1898-1978) qui a pris ses distances rapidement. (Jean GUINCHARD)

 

       Mais de nombreux autres auteurs font partie de cette École de Francfort, même s'ils n'attirent pas tous durablement les feux des projecteurs des journalistes ou des universitaires eux-mêmes. Ainsi aux côtés des trois auteurs déjà cités, les oeuvres de Walter BENJAMIN (1892-1940), Franz BORKENAU (1900-1957), Erich FROMM (1900-1980), Henryk GROSSMANN (1881-1954), Carl GRÜNBERG (1861-1940), Jürgen HABERMAS (né en 1929), Axel HONNETH (né en 1959), Otto KIRCHHEIMER (1905-1965), Siefried KRACAUER (1889-1966), Leo LÖWENTHAL (1900-1993), Kurt MANDELBAUM, Paul MASSING (1902-1979), Gerhard MEYER, Oskar NEGT (né en 1934), Franz Leopold NEUMANN (1900-1954), Friedrich POLLOCK (1894-1970), Alfred SOHN-RETHEL (1899-1990) et de Karl Auguste WITTFOGEL (1896-1988), pour ne nommer que les principales, s'inscrivent dans cette École.

 

L'École de Francfort issue du marxisme

      Jean GUINCHARD, philosophe, part de la perspective du marxisme pour décrire leur démarche :

"Au commencement était la contradiction entre la tradition universitaire allemande et le marxisme. Max Weber (qui disparaît en 1920) incarne l'idéal-type de cette Université allemande qui sépare scrupuleusement Le Savant et le Politique. Il a fait sous ce titre la sociologie de la hiérarchie académique et de sa morale de fermeture des "sciences de l'esprit" à tout socialisme. Horkheimer, Adorno, Marcuse et d'autres achèvent leurs études universitaires au lendemain de la guerre. Sous condition d'une conversion ostensible du judaïsme au christianisme, sans doute, rien ne leur interdit le professorat. Ce qui les retient de faire carrière, c'est leur sympathie pour le marxisme. Leur maturation philosophique a suivi les mêmes voies que celle de leurs contemporains Korsch et Lukacs : les impasses kantiennes et hégéliennes les ont conduit au projet d'une philosophie véritablement critique, rompant donc avec l'idéalisme. A quel marxisme peuvent-ils alors adhérer? Deux versions du marxisme ont cours en Europe centrale : l'une, social-démocrate, revêt l'apparence d'une science quasi achevée, sur le point de relayer les sciences sociales, dans le sillage d'une économie politique simplement plus "juste" que sa concurrente bourgeoise. Plus à gauche, les interventions créatrices de Korsch et de Lukacs éveillent peu d'échos dans la majorité du Parti communiste, qui s'en tient à un aménagement commode : un premier étage de vérités marxistes-léninistes intangibles et un rez-de-chaussée empirique, modifiable au gré des circonstances. On sait le poids de ces facilités théoriques dans l'évolution de la lutte des classes de 1918 à 1933, de la crise révolutionnaire au nazisme. 

Une stricte alternative s'offre donc aux futurs "théoriciens critiques" : l'encouragement révolutionnaire ou les contraintes idéologiques de l'Université. Jusqu'à ce que s'ouvre une troisième voie : une Université parallèle marxiste. (...) l'Institut de Recherches sociales se lie avec souplesse à l'Université de Francfort et se fixe un programme. Théorie traditionnelle et théorie critique (1931) en est le manifeste (mais, notons-le, pas la première manifestation...). Dans cette étude de théorie de la connaissance, Horkheimer oppose la théorie traditionnelle, la science en général depuis Le discours de la méthode (de Descartes, bien entendu), marquée par la dissociation rigide du sujet et de l'objet, la méconnaissance des intérêts utilitaires qui la régissent, la division du travail entre spécialistes, et la théorie critique dont le modèle est la critique de l'économie politique par Marx, et qui vise à la saisie globale de la totalité humaine, dans sa dimension historique, sous l'impulsion d'un intérêt émancipateur. La théorie critique (en 1931) est-elle un simple prête-nom du marxisme? Pas tout à fait. Certes Horkheimer reconnaît formellement le prolétariat comme représentant de cet intérêt émancipateur, mais il revendique une continuité avec les tendances critiques de la philosophie depuis les Lumières. Par-delà les difficultés de ce texte, l'essentiel est clair : il faut lever les divisions philosophiques traditionnelles et replacer le savoir dans la réalité de l'histoire et des rapports sociaux dont il s'est indûment abstrait. Le programme de l'École tire les conséquences : nécessité de l'interdisciplinarité et alliance des intellectuels avec les forces sociales de transformation. La moitié au moins de ce programme sera réalisée. Sur le second point, la montée du nazisme interrompt une grand enquête sur les ouvriers, puis le reflux et le durcissement du socialisme en Europe, la rencontre aux États-Unis de travailleurs fortement intégrés désappointent définitivement Horkheimer et Adorno. Mais les sommaires de la Zeitschrift für Sozialforschund des années 40 témoignent de la valeur de ce refus de la division du travail théorique. Ce sont de grandes enquêtes sur "l'autorité et la famille", sur les "préjugés sociaux", où Erich Fromm représente la psychanalyse et Adorno, musicologue aussi, se consacre à l'analyse de la culture de masse américaine. (...)".

"A partir de 1940, la Théorie critique bute sur le constat d'une histoire qu'elle juge bloquée : d'une part le fascisme, de l'autre le capitalisme d'État et le socialisme d'État. Tout se passe comme si, d'une régression de l'histoire, Horkheimer et Adorno tiraient le principe d'un retrait dans la philosophie. Le temps est venu de L'éclipse de la raison. Selon la tradition philosophique allemande, les auteurs opposent une bonne raison, contrainte à l'isolement, au doute (Montaigne et la fonction du doute) et une raison mauvaise, qu'ils nomment instrumentale. Pour Horheimer, le fascisme découle directement du libéralisme : cette interprétation historique, discutable par ailleurs, illustre le processus de rationalisation et simultanément d'invasion de l'irrationalité que le philosophe perçoit. La raison est devenue perverse, elle bascule du "monde administré" à une totalité qui est das Unwarhe (Adorno), la fausseté, qui justifie la sécession du sage.

La dernière figure de la théorie critique est sans doute la Dialectique négative d'Adorno (1966). Si Horkheimer n'est guère un dialecticien spéculatif, Adorno a puisé dans la musique, dans l'art en général, un style philosophique plus délié. Ce dernier ouvrage important tire les conclusions de la catastrophe, constatant que "après Auschwitz on ne peut plus écrire de poésie". Adorno refuse toute logique de l'identité, repousse comme un faux espoir l'idée hégélienne d'une totalité positive. Il n'y aurait que deux exceptions, deux aperçus sur un monde autre, l'art qui approche de la vérité par la mimesis de la réalité, et l'idée d'une réconciliation utopique entre l'homme et la nature. Avec toutes ces embûches, ce texte mérite d'être examiné au même titre que les autres puissants efforts dialectiques que sont Histoire et conscience de classe de Lukacs ou la Critique de la raison dialectique de Sartre."

 

D'autres définitions de l'École de Francfort sous l'angle générationnel

     Yves CUSSET et Stéphane HABER proposent une définition de cette École de Francfort, à travers les générations des auteurs qui s'en rapportent :

- L'école de Francfort, malgré la diversité de ses orientations théoriques, renvoie au programme commun de constitution d'une Théorie Critique - et en particulier d'une analyse critique de la société ;

- Ceux qu'il convient d'associer en priorité à la fondation philosophique, épistémologique et méthodologique d'un tel programme, sont Max HORKHEIMER et Théodor ADORNO ;

- La richesse philosophique de ce programme doit aussi aux intuitions fondatrices et aux contributions critiques d'un Walter BENJAMIN ou d'un Herbert MARCUSE ;

- Ce qu'on a coutume d'appeler la deuxième Théorie Critique, plus qu'à un tournant radical après la guerre, fait référence à un changement de cap dans la définition des objectifs de la Théorie Critique, initié par HORKHEIMER et ADORNO, dans le cadre d'une vision pessimiste de l'Histoire ;

- Si HABERMAS peut être considéré comme le chef de file d'une nouvelle génération de l'école de Francfort, c'est de par sa prétention, à travers un concept de raison fondé sur la communication, à donner de nouveaux fondements à la Théorie Critique. Mais on peut aussi considérer que cette prétention le conduit à quitter l'horizon du programme initial de la Théorie Critique. 

 

Les distances entre École de Francfort et marxisme

     Jean-Marc DURAND-GASSELIN, propose une description plus distanciée du marxisme de l'École de Francfort :

"(...) il faut dire que les mots "École de Francfort" semblent devoir désigner un projet plus qu'un École ou même une théorie. Il s'agissait d'abord, en première approche, de décloisonner le marxisme pour faire face à ses crises multiples, intellectuelles et politiques : l'échec théorique des prévisions d'effondrement du capitalisme, le retournement des espérances révolutionnaires en leur contraire avec le fascisme, leur travestissement avec le stalinisme. Et ce, en insistant sur les facteurs psychologiques ou culturels. Il s'inscrit bien à ce titre dans le "marxisme occidental", selon la fameuse forme de Perry, que reprendra Habermas, et qui désigne une prise en compte plus forte du rôle social de la superstructure et un style plus théoricien et académique. 

Mais le projet de Horkheimer est original en ce qu'il donne à cette entreprise des traits généraux, ceux d'une "théorie critique". La critique de l'économie politique de Marx, notamment dans Le Capital, devenant à la fois un exemple ou un modèle de "théorie critique" et éventuellement une partie d'une théorie critique plus large ou plus complète, à côté, par exemple, du freudisme comme complément nécessaire, pour prendre le premier ajout inaugural. Et, deuxième trait original, il s'agit aussi de penser de manière systématique ce décloisonnement. Pour utiliser, de manière encore rapide, le langage de Habermas, on peut dire que ce décloisonnement articule à la fois des traits "théoriques" qui conjuguent, en s'inspirant du marxisme, la perspective sociale, la perspective critique et la perspective émancipatrice, et des traits "méta-théoriques" ou réflexifs, qui explicitent, de manière latérale ou perpendiculaire, la manière de construire la théorie dans le contexte historique et intellectuel dans laquelle elle s'inscrit. Cette configuration originale explique quatre traits spécifiques de l'École de Francfort (...) qui interdisent, d'une part, de la loger dans le seul héritage du marxisme, et d'autre part (...) permettent d'expliquer cette forte diversité des constructions et des styles."

Jean-Marc DURAND-GASSELIN présente ainsi ces quatre traits spécifiques :

- Le terme "Théorie critique" désigne bien un certain type de théorie et pas une théorie particulière. Ce qui la caractérise avant tout, c'est son opposition à la "théorie traditionnelle";

- Ce caractère général se combine à un caractère à la fois post-métaphysique, interdisciplinaire et articulé à des recherches empiriques. L'absolu, l'éternel ou le tout ne sont plus à notre portée ; aussi les dimensions théoriques, critiques et émancipatrices sont inséparables d'une histoire des savoirs en train de se constituer et d'une histoire des hommes en train de se faire ;

- La Théorie critique étant à la fois enchâssée dans une tradition allemande et engagée dans la réflexion méthodique sur les moyens et le contexte de sa production, ne peut pas ne pas mettre régulièrement ses moyens théoriques et ses résultats en perspective, les éclairer par des généalogies et des comparaisons avec ce qui se fait ailleurs et avec ce qu'a fait la génération des précédents théoriciens critiques ;

- La question des ruptures et des continuités a brouillé la continuité et l'originalité du projet horkheimerien qui ne peut pas ne pas donner lieu à des réalisations ou des programmes de recherche distincts étant donné le caractère perméable à l'histoire et intellectuellement plastique d'un projet post-métaphysique et interdisciplinaire et en rapport avec le caractère mouvement de la domination sociale. 

 

L'École de Francfort comme approfondissement et dépassement de la théorie marxiste

     Pour Yves CUSSET et Stéphane HABER, l'École de Francfort, "s'est présentée depuis sa fondation comme une reprise et une continuation de la théorie marxiste, à la fois dans le champ spécifiquement philosophique et dans l'ordre de la connaissance empirique des phénomènes historiques et sociaux. Ses théoriciens retiennent cependant moins de Marx un ensemble de thèses dogmatiques sur l'histoire et la société qu'une certaine impulsion intellectuelle : celle qui fait de la critique du présent à finalité émancipatrice le principe d'une pense post-métaphysique consciente d'elle-même, celle qui fait du démontage des mécanismes producteurs d'injustice et d'aliénation une tâche fondatrice pour la raison elle-même. Du fait de ce position ambiguë, les auteurs appartenant à l'EF (École de Francfort) ont développé face au marxisme des stratégies très diverses qui oscillent entre la volonté de l'enrichir et celle de le démanteler pour le supplanter sur son propre terrain par une théorisation plus englobante."

Les premiers textes de Horkheimer, poursuivent-ils, "admettent la validité de la caractérisation du présent par le mode de production capitaliste, avec l'exploitation du prolétariat et la lutte des classes qui l'accompagnent ; ils appellent à une révolution prolétarienne qui conduise à une société rationnellement organisée au moyen de la planification économiques. L'effort d'actualisation théorique déployé dans la Zeitschrift für Soziaforschung des années 30 vise certes à interpréter le déclin du capitalisme libéral analysé dans Le Capital (...). Mais même au cours du tournant "pessimiste" qui s'exprime principalement dans la Dialectique de la raison, Adorno et Horkheimer semblent parfois vouloir conserver le noyau dur du marxisme, la focalisation sur le travail et l'économie (...). Une autre ligne de raisonnement sera surtout développée par certains écrits d'Adorno après la guerre. Étranger à tout économisme, persuadé que le prolétariat ne constitue plus du tout une force subversive ou progressive, hostile à l'expérience soviétique, récusant toute philosophie de l'histoire unifiante et optimiste, Adorno ne retient ici qu'un seul thème de Marx : la réification entraînée par le "fétichisme de la marchandise". Il s'agit moins alors de dénoncer l'exploitation et l'injustice que le fait que, à l'époque actuelle, les produits de l'activité humaine tendent à se détacher de leurs producteurs, à s'organiser en un univers autonome qui dépossède les hommes de leur liberté et s'immisce en retour dans la vie pour la rigidifier. De ce point de vue, le marxisme historique apparait comme une force d'opposition insuffisante, historiquement dépassée, voire comme complice du mouvement mortifère de rationalisation. La critique de l'exploitation glisse vers un démontage des aliénations sociales et culturelles caractéristiques de la société administrée, de la société d'abondance et de consommation de l'après-guerre - dans ses versions aussi bien libérales que socialistes -, qui n'a plus guère besoin de se réclamer de la lettre de la pensée de Marx."

   De plus en plus, l'École de Francfort, les oeuvres des auteurs qui s'y situent ou qui possèdent une partie de leur formation d'elle, semblent se détacher de plus en plus du marxisme. Au point que la lecture de leurs oeuvres se passent de la connaissance de l'oeuvre de Marx, au point que le vocabulaire employé n'a plus rien à voir avec le vocabulaire marxiste, même si ce dernier marque tout de même la réflexion déployée de son empreinte originelle. C'est ce qu'expliquent Yves CUSSET et Stéphane HABER :

"Cette ambivalence du rapport à Marx se retrouve en condensé dans l'oeuvre de Habermas. Celui-ci, au début de sa carrière du moins, considère comme valide la forme de réflexion à l'oeuvre chez Marx, la forme critique ; il accepte ces cadres généraux que sont l théorie des crises, la théorie de l'idéologie, la théorie du développement social, même s'il cherche à en élargir le propos, compte tenu des évolutions caractéristiques du 20e siècle. Sa critique de fond porte en même temps sur deux points cruciaux. D'une part, Marx ne s'est jamais vraiment expliqué sur la forme de connaissance qu'il pratiquait sous le nom de critique (...) fragilisant ainsi sa position et l'empêchant de se systématiser. D'autre part, il a hâtivement fait du travail l'essence de l'homme et le coeur de toute socialité, ce qui conférait une base anthropologique trop étroite à sa théorie et à son projet politique : en effet, dans la mesure où "la libération de la faim et de la misère ne coïncide par nécessairement avec la libération de la servitude et de l'humiliation (La technique et la science comme "idéologie", Denoël-Gonthier, 1984), une transformation du mode de production et des formes du travail n'est pas suffisante. Sociologiquement, Habermas développe jusqu'à son terme une des tendances présentes chez Adorno : il relativise la lutte des classes, abandonne la perspective d'une révolution prolétarienne et préfère mettre en avant la multiplicité des sources, pas uniquement économiques, de conflits et d'aliénation présents dans nos sociétés. Cette évolution témoigne du fait que l'EF a en quelque sorte voulu accompagner l'inévitable déconnexions de la théorie sociale critique et du mouvement ouvrier - elle est en effet nettement plus à l'aise avec les "nouveaux mouvements sociaux" apparus depuis les années 60 -, sans ignorer le mélange d'affinité et de distance que cette opération délicate supposait par rapport au propos classique du marxisme."

     Cet éloignement des aspects centraux de la théorie de MARX se mesure à la place émancipatrice ou oppressive accordée à la communication.

     Toujours suivant Yves CUSSET et Stéphane HABER :  "Dès ses premières oeuvres, Habermas enracine la tendance à l'émancipation jusque dans le langage plutôt que de l'adosser à une incertaine ontologie vitaliste qui, dans l'ensemble, domine chez les autres auteurs de l'école de Francfort. Selon lui, en effet, en argumentant sérieusement, je reconnais autrui et tous les auditeurs potentiels comme des personnes libres et égales dont je sollicite l'adhésion rationnelle motivée, ce qui fait que, très lointainement, je m'engage aussi en quelque sorte à les libérer des fausses croyances et des situations aliénantes qui peuvent faire obstacle à cette adhésion : "avec la structure du langage, voilà une exigence d'émancipation qui est posée pour nous. Avec la première phrase prononcée, c'est aussi une volonté de consensus universel et sans contrainte qui s'exprime sans ambiguïtés. L'émancipation est la seule idée que nous ayons en propre au sens de la tradition philosophique (La technique et la science comme "idéologie"). De ce point de vue, insiste t-il, il devient manifeste que "l'émancipation de l'individu ne saurait être une émancipation à l'égard de la société, mais au contraire la rédemption de la société délivrée de l'atomisation, i e de l'isolement des sujets" , ce qui permet de projeter "la perspective d'une identité du moi qui se constitue seulement dans les formes d'une intersubjectivité intacte" (Théorie de l'agir communicationnel, 2 tomes, 1987). Sur cette base, s'annonce une conception sobre et pluraliste de l'émancipation qui insiste sur la co-appartenance de la raison et de la vie : elle ne prend pas la forme d'une insurrection radicale et d'une recréation de soi qui conduirait vers la transparence à soi sans reste et l'autonomie souveraine : elle s'apparente plutôt à un apprentissage continué, à l'instauration d'une communication avec soi mieux réussie qui passe par exemple par l'entrelacement des identités pré-constituées avec des projets à dimension utopique. Elle peut donc impliquer la reprise créatrice des acquis émancipateurs déjà stabilisés sous la forme de traditions et d'institutions, acquis qui cependant doivent toujours être réveillés par l'apparition de nouvelles poussées, par le surgissement de subjectivités collectives inédites et par une nouvelle donne dans le jeu des interactions intersubjectives."

 

Yves CUSSET et Stéphane HABER, Le vocabulaire de l'école de Francfort, Ellipses, 2002. Jean-Marc DURAND-GASSELIN, L'École de Francfort, Gallimard, 2012. Jean GUINCHARD, École de Francfort dans Dictionnaire critique du marxisme, PUF, 1999.

 

PHILIUS

 

Relu le 2 février 2021

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