Le juriste français spécialiste en droit international, acteur du pacifisme juridique, est l'auteur d'importants et nombreux écrits sur la nécessité d'une fédération européenne propre à conjurer les périls d'une catastrophe à venir (pressentie d'ailleurs par un très grand nombre d'intellectuels à l'époque).
Partisan du monisme juridique qui considère que le droit international et le droit interne relèvent d'un même édifice juridique où l'individu est le véritable sujet de ce droit, il participe en 1930 au troisième cours universitaire de Davos, le lieu de rencontres internationales, notamment franco-allemandes. A l'origine de la distinction entre État fédéral par "agrégation" (association), ou par "ségrégation" (dissociation), il milite dans les années 1920 pour une Europe unie.
Influencé par la philosophie d'ALAIN et par l'école solidariste de Léon BOURGEOIS, Georges SCELLE croit à un progrès fondé sur la connaissance scientifique et à l'avènement d'un ordre juridique international basé sur le dépassement de la souveraineté nationale et le fédéralisme. La création de la SDN marque à ses yeux une première étape positive, bien que très insuffisante.
En dehors de nombreux écrits sur l'Union Européenne (Essai relatif à l'Union Européenne, A. Pedone, 1931) et sur la SDN (Le Pacte des Nations et sa liaison avec le Traité de Paris, Sirey, 1919), il rédige de nombreux traités de droit qui font encore autorité : Précis de droit de gens, deux volumes, 1932 et 1934 ; Règles générales du droit de la Paix, RCADI, 1933, IV ; Manuel de droit international public, 1948.
Son engagement diversifié (Association de la Paix par le Droit, fondée en 1887, Ligue des Droits de l'Homme, Association française pour la SDN, fondée par Léon BOURGEOIS en 1918, Comité français pour l'union douanière européenne, fondé en 1927...) s'exprime aussi dans plusieurs quotidiens hebdomadaires de gauche (L'Oeuvre, La Dépêche de Toulouse) et revues juridiques ou parlementaires, comme la Revue politique et parlementaire. Il est l'auteur aussi, avec MIRKINE-GUETZEVITCH d'un gros recueil de documents sur L'Union européenne. Expert lucide des questions internationales, Georges SCELLE considère avoir une responsabilité morale en tant qu'intellectuel et déplore souvent l'inconscience des Européens, dont les gouvernements se bercent d'illusions devant la montée des périls.
Droit et fonction sociale
Son oeuvre scientifique est dédiée, pour l'essentiel, à la transposition dans l'ordre international des analyses de l'École sociologique française. Puisant dans les travaux d'Emile DURKHEIM, par l'intermédiaire des travaux de Léon DUGUIT (1859-1928), il donne de la loi une présentation axée sur sa fonction sociale. Georges SCELLE prolonge les analyses de Léon DUGUIT (Traité de droit constitutionnel, Fontemoing, 1911-1925, 5 tomes, réédition par le CNRS en 1972) en observant comment le corps social international secrète les règles du droit des gens. Si nous le suivons, "ce précieux mucus est recueilli par les pratiques étatiques auxquelles il s'impose "avec la force d'une nécessité biologique". En évoquant Pharaon et doux marchands pour la préparer, Scelle lançait avec une puissante image une nouvelle manière d'approcher l'étude du droit international. Elle persiste encore aujourd'hui, et transpire bien au-delà de l'hexagone." Carlo SANTULLI indique ainsi la tonalité du Précis de droit des gens.
"Si l'on devait rappeler en quelque détail une trouvaille scellienne, ce serait la théorie du dédoublement fonctionnel. Elle a fait le tour du monde dans les années 1950, et elle est encore enseignée, ou du moins évoquée, même par ceux qui n'en partagent pas l'environnement théorique. Il est vrai que son extrême plasticité la rend adaptable à une infinité de situations. Suivant ce modèle analytique, le représentant de l'État dans ses relations extérieures (...), est, bien sûr, un organe de l'État dans son ordre interne, mais il est également un organe de l'État agissant en tant que personne morale de droit internationale. Le dédoublement fonctionnel rend compte de cette dualité : le représentant est à la fois le canal par lequel se manifeste la volonté étatique et un élément de la procédure de formation de la "loi" internationale."
Georges SCELLE écrit : "(...) Dans l'ordre interétatique (...) les gens et gouvernants étatiques (...) sont investis d'un double rôle. Ils sont agents et gouvernants nationaux lorsqu'ils fonctionnent dans l'ordre juridique étatique ; ils sont agents et gouvernants internationaux lorsqu'ils agissent dans l'ordre juridique international. C'est ce que nous appellerons la loi fondamentale du dédoublement fonctionnel" (RCADI, 1933). '"On voit d'emblée, poursuit Carlo SANTULLI, la force évocatrice de cette théorie s'agissant des organisations internationales (...) : le représentant de l'État au sein d'un organe collégial de l'organisation se conforme à la volonté de l'État et participe ainsi, du même coup, à la formation de l'organisation (...).
Moniste, Scelle le fut à sens unique, celui de la primauté du droit international sur le droit interne de l'Etat. Le droit, selon le maître d'Avranches (son lieu de naissance) et en extrapolant un peu à partir d'une autre analyse de Léon Duguit, ne lie jamais que les hommes ('si la qualité de sujet de droit n'appartient pas à tous les individus et ne leur appartient pas uniformément, elle ne peut cependant appartenir qu'à des individus", Précis de droit des gens). Lorsqu'il est question d'États, d'organisations et autres personnes morales, ce n'est qu'une des manières par lesquelles le droit sait appréhender les conduites humaines. La société internationale (le "milieu inter-social" disait-il avec verve) n'étant que la réunion des milieux sociaux, chaque élément de ces derniers doit se conformer aux préceptes qui régissent le milieu international. Ainsi les règles internationales s'imposent à tous les hommes-agents de l'État (...) qui doivent l'appliquer aux relations humaines dont ils ont la charge. "Toute norme inter-sociale (...) prime toute norme interne en contradiction avec elle, la modifie, ou l'abroge ipso facto" (précis de droit des gens).
Carlo SANTULLI rapporte que beaucoup de critiques notent, que derrière le masque des métaphores (et l'emphase de ses écrits en général), il ne reste à Georges SCELLE qu'une transposition simplifiée et appliquée à l'ordre international, de la pensée de Léon DUGUIT, mais il n'a pas été le seul à le faire. L'activisme (en même temps que la charisme) du soldat, professeur, chef de cabinet, jurisconsulte, diplomate et savant de réputation internationale, donnent à ces idées un impact dont les effets perdurent encore.
Pour la remise en cause des concepts classiques que Georges SCELLE popularise, les oeuvres de Léon DUGUIT, qui développe une théorie dite objectiviste du droit qui gravite autour de la notion de solidarité sociale, peuvent être relues en concert avec Précis de droit des gens.
Georges SCELLE, Précis de droit des gens - Principes et systématique, Sirey, 1932 ; Essai relatif à l'Union européenne, A pedone, 1931.
Jean-Michel GUIEU, Fédérer l'Europe ou subir une nouvelle catastrophe, Le discours européen du juriste Georges Scelle dans les années vingt, Hypothèses 1999, décembre 1998 (École doctorale d'Histoire de Paris I) ; Carlo SANTULLI, article Scelle Georges, dans Dictionnaire des grandes oeuvres juridiques, Dalloz, 2008.
Relu le 26 novembre 2020