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23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 12:17

     Généralement, nous entendons par christianisme primitif celui qui existe depuis la prédication de Jésus jusqu'à l'instauration de l'Empire romain chrétien (325). Ce christianisme-là, suivant les études les plus récentes qui mêlent philologie et archéologie (entre autres), diffère profondément de sa forme institutionnelle actuelle.

Même les documents de référence, le canon des croyances et des pratiques, sont le point d'aboutissement d'une longue histoire de transmission matérielle, au point que parfois l'on se demande qui de Jean Baptiste ou de Jésus sont le pont de départ de la nouvelle religion. Les Écritures, rédigées dans la forme que nous les connaissons aujourd'hui datent des années 150.

 

Des christianismes très variés

     Si nous suivons Pierre GEOLTRAIN dans son Introduction  à l'histoire des origines du christianisme, le phénomène essentiel est "la modification immédiate et complète de la représentation que les disciples ont de Jésus avec lequel ils ont vécu. ils ne peuvent plus en parler qu'à travers la vision qu'ils ont désormais du Seigneur glorifié. Elle est leur grille d'interprétation du passé récent et métamorphose la mémoire vive : s'ils racontent ce que Jésus était, ils le disent en fonction de ce qu'il est pour eux à présent. Lorsque, trente ou quarante ans plus tard, la mémoire collective retravaillée sera mise en forme d'Évangile, le processus est à son terme et l'interprétation à donner à l'oeuvre entière est accordée d'emblée, puis verrouillée." L'historien ne peut que renoncer à décrire ces premiers temps et ne peut que se contenter (il sera bien content s'il parvient à cela) de décrire le croyances et les pratiques des premières communautés chrétiennes. Ces premières communautés sont connues dans leur temps et se vivent comme des groupes juifs, certains hellénisés, d'autre pas, qui s'organisent. La césure de 70, date de la destruction du Temple de Jérusalem, suite à la grande révolte juive, provoque une sorte d'accélération dans l'organisation de ces groupes ; tant dans l'Église d'Antioche (surtout culturellement grecque) - les membres se vivent comme membre d'une Église - que dans les autres endroits de la Diaspora juive, l'Église de Jérusalem étant en très grande partie détruite.

Chacun des apôtres, Pierre, Jacques entre autres, puis Paul (qui se défini comme tel après sa conversion) voyage beaucoup et forme dans l'Empire romain, aux voies de communications étendues et souvent sûres, des communautés avec leur propre sensibilité. Il n'existe pas réellement alors de doctrine, et il semble qu'à un certain silence succède vers 80-90 une floraison littéraire, d'où sortent de multiples textes qui servent ensuite de références dans une ou plusieurs communautés, suivant le milieu (paulinien, hellénistes palestiniens, romain à Rome, d'Asie Mineure) étant certain qu'ils circulent déjà bien au delà de l'Empire romain, dans l'Empire perse ou l'Empire parthe par exemple...

Ce n'est que sous la pression d'événements extérieurs (effondrement du judaïsme à Alexandrie et en Égypte, répressions sévères en Judée de nouvelles révoltes) et la prise de conscience de certains dangers internes que vers 120-150 se manifestent les premières autonomies de ces communautés, tant vis-à-vis de certains aspects du judaïsme que d'autres appartenant à la culture gréco-romaine. Le contexte est un contexte de guerre et même de guerre civile à l'intérieur de l'Empire Romain, de répression de mouvements "nationaux" juifs, où des communautés prennent des distances avec des éléments du judaïsme (zélotes notamment), ne serait-ce que pour éviter que ne s'abattent sur eux la répression entrainée par des mouvements violents auxquelles elles ne veulent pas participer. 

 

La naissance (chaotique) d'une véritable philosophie chrétienne et d'une théologie

      Etienne TROCMÉ relate la naissance d'une véritable philosophie chrétienne, un passage de la secte à l'Église de 125 à 250 environ : "Par son zèle ardent, par ses effectifs encore restreints, par sa médiocrité intellectuelle, par son attitude envers les autorités, le christianisme est encore une secte dans les premières années du règne d'Hadrien (117-138). Malgré les progrès de sa diffusion et la conscience qu'il a prise de son indépendance à l'égard du judaïsme, il n'apparaît pas encore comme une puissance qui compte dans la société et dans l'État romain ou parthe. Les hommes d'État et les intellectuels n'ont pas encore songé à s'intéresser à lui, ni lui à se tourner vers eux.

La période qui va du début du second quart du IIe siècle au milieu du IIIe voit la secte muer et devenir Église, c'est-à-dire une institution pesant d'un certain poids dans la vie sociale, politique et culturelle du temps. Les chrétiens sortent peu à peu de leur ghetto intellectuel et social, osent se proclamer héritiers de tout ce que la culture classique avait de sain, réclament des réformes dans la société. Autour d'eux, on s'inquiète de leurs prétentions et on les réfute vertement. Mais on n'ose plus les traiter par le dédain. Le jour viendra où prenant peur face à leurs progrès incessants, on tentera de donner à la question chrétienne la solution finale de toutes les Saint-Barthélémy.

Au poids croissant des Églises chrétiennes au sein de la société correspond une pesanteur toujours plus grande de la masse inerte et de l'institution. Contre cet alourdissement sociologique, certains chrétiens s'insurgent, provoquant ainsi des luttes internes parfois féroces et presque toujours acharnées. Si pénibles qu'elles aient été, ces oppositions entre chrétiens ont au moins un résultat salutaire : elles ont obligé les dirigeants des Églises à s'organiser et à penser et donner ainsi naissance à la théologie chrétienne." Ce qui fait la force de la nouvelle institution chrétienne, c'est l'attachement, au milieu d'une société qui reste violente à la base et entre parfois dans une décadence morale et sociale, aux valeurs de charité, d'hospitalité et d'entraide, tout cela dans l'exercice d'un culte parfois intense et marqué par des rituels fréquents dans le long de la journée. Le mode de vie des chrétiens tranche avec précisément le lot de pratiques collectives fréquentes, dont on les accusera d'ailleurs pour mieux les combattre : débauches collectives, notamment lors des nombreuses fêtes "païennes", meurtres et sacrifices d'enfants... C'est autour de l'exercice d'une certaine fraternité, jointe à une vie proche de la frugalité, en tout cas d'une pauvreté matérielle assumée que se retrouvent les chrétiens. Certains penseurs comme JUSTIN MARTYR, devant certaines dérives de leurs frères, entendent donner au christianisme une forme plus austère, en radicalisant la séparation d'avec le paganisme et le judaïsme, appelant à se préparer à l'Apocalypse proche qui jugera des fautes et pour cela voulant renforcer les pratiques de pénitence et de pardon.

Mal connues, certaines réflexions (regroupées sous le nom de Gnostiques) luttent contre ce qu'ils considèrent comme l'emprisonnement du message chrétien dans le cadre d'une organisation ecclésiastique où les aspirations et les besoins du plus grand nombre - très peu cultivé et parfois superstitieux. Ils luttent pour une lecture rigoureuse des écrits fondateurs, à l'éthique radicale contre les tentations de l'adaptation à la société ambiante.

Le gnosticisme, longtemps considéré comme une hérésie, semble être, à la lecture des textes encore à l'édition, semble bien être une composante du christianisme naissant (en tout cas au IIe siècle). Tour à tour, CARPOCRATE, BASILIDE, VALENTIN ou PTOLÉMÉE défendent la gnosis, la connaissance surnaturelle, réservée à un nombre restreint d'hommes supérieurs, que tout sépare de l'humanité ordinaire, vouées à une existence enfermée dans les limites du monde sensible et incapable de s'élever au-dessus de la foi, attitude religieuse inférieure. Cette gnose, don d'en Haut, accessible seulement à ceux qui participent du monde céleste, n'a rien d'une connaissance désintéressée ou de la satisfaction d'une simple curiosité. Elle répond à une angoisse, qui résulte de l'emprisonnement de l'étincelle divine dans la matière, réalité grossière et mauvaise. Elle apporte la libération à cet être intérieur en lui révélant d'où il vient et où il va. Cette révélation est en général attribuée à un Sauveur, sous une apparence humaine, qui ouvre la voie aux étincelles divines que la connaissance aide à se débarrasser des chaînes de la matière. ce personnage est habituellement identifié avec Jésus Christ, et dans un monde où l'autorité, la hiérarchie entre les hommes est considérée comme allant de soi, cette manière de voir connaît un succès considérable, notamment parce que de toute façon, il n'existe pas de système, de doctrine - qu'aurait les autorités officielles du moment - capable de s'opposer à ses grandioses promesses. 

Une autre forme de pensée, qui connaît un rapide succès et de plus qui structure une véritable Église autour d'elle, est promue par MARCION. Paulinien extrémiste, subissant des influences gnostiques, il affirme l'existence de deux dieux, celui de la Loi, le Créateur, le Législateur sévère de l'Ancien Testament qui exige de l'homme une obéissance rigoureuse, qui punit l'homme tombé dans le péché et celui de l'Évangile, le Dieu totalement bon qui prend pitié de l'humanité maltraitée et envoie son fils Jésus Christ pour lui faire connaître son existence et son amour. La crucifixion de Jésus opère la rédemption de l'humanité, qui pourtant reste soumise en attendant la fin des temps à la domination mesquine du Créateur. Cette pensée, érigée de plus en doctrine, connaît un plus grand succès encore que le gnosticisme, car naïvement dualiste, très sentimentaliste, elle donne une expression frappante et simple au pessimisme que beaucoup de chrétiens éprouvent alors face aux persécutions. Face à une lecture difficile des Évangiles qui commencent à acquérir une autorité certaine, réservée à une élite, en fait tout droit issue d'une tradition rabbinique, le marcionisme possède la supériorité de la simplicité et de l'accessibilité. 

Le montanisme, ce troisième mouvement important dans le christianisme naissant, naît du refus de l'alignement sur la civilisation gréco-romaine. MONTAIN se meut en prophète, surtout dans les régions d'Asie Mineure, et entend poursuivre d'ailleurs l'entreprise prophétique de Jésus. Partageant les idées communes à tous les chrétiens d'alors, les adeptes du montanisme les appellent à la continence absolue et au martyre, avec une profonde hostilité envers les autorités impériales, qu'ils expriment ouvertement et de manière provocatrice. C'est cet aspect qui soulève l'opposition de la majorité de la hiérarchie naissante de cette Eglise qui, sous le triple défi gnostique, marcioniste et montaniste, se met en place.

      Etienne TROCMÉ a tendance à relater les entreprises de la Gnose, de Marcion et de Montain comme des menaces extérieures à ce christianisme en formation, mais nous avons l'impression que toute cette hiérarchie catholique qui se met en place le fait en prenant beaucoup d'apports de ces pensées, et que c'est un certain mélange de traditions qui forme progressivement l'ensemble doctrinal que nous connaissons. Si les conflits peuvent s'exprimer de manière violente entre les "leaders" de toutes ces tendances, y compris celle de la grande Église mal définie, à coups sans doute de dénonciations aux autorités romaines ou juives, de destructions d'écrits, d'excommunications-exclusions réciproques ou même de "voies de faits", les ecclésiastiques qui se présentent comme les héritiers légitimes des Douze Apôtres ne lésinent pas sur les emprunts, ne serait-ce que pour s'attirer la masse des "pêcheurs" de tendances différentes, qui n'aspirent qu'à une vie paisible de croyants dans l'attente de la Fin des temps. C'est sans doute d'ailleurs de cette manière que s'élaborent et se forment en se durcissant ensuite nombre de dogmes dans beaucoup de religions, voire dans toutes les religions. Parer ces dogmes de toute la vertu de la vérité et aussi de l'antériorité absolue à toutes les "hérésies" est un travail d'érudit qui se fait dans le même mouvement que leur élaboration.

 

De la formation des Évangiles

      Les quatre Évangiles (Marc, Mathieu, Luc et Jean), les diverses Epitres, notamment les écrits de Paul, qui jouissent de la plus grande diffusion et d'une autorité particulière dans chacune des Églises (géographiquement déterminées) sont progressivement rapprochés. Des tentatives existent pour tenter de ne donner qu'un seul Texte fondateur (par TATIEN en 180 par exemple, disciple de JUSTIN MARTYR ne l'emporte pas en fin de compte). A ces Évangiles, aux Épîtres et au livre des Actes (des Apôtres), beaucoup d'Églises de la seconde moitié du IIe siècle adjoignent quelques révélations prophétiques sur la Fin des temps, ou "Apocalypses", mais seul l 'Apocalypse de Jean a une postérité, sans doute parce que des prophéties bien trop précises font bien entendu la preuve de leur fausseté quand ces temps semblent arriver... Ces textes, rassemblés, dans un Nouveau Testament, résumés et concentrés dans des professions de foi, des confessions de foi, destinées à être récitées de nombreuses fois dans la journée, constituent des points d'appui pour le combat de cette hiérarchie qui couvre tout le pourtour de la Méditerranée et qui entend homogénéisé la foi collective.

Les premiers théologiens de cette orthodoxie, presque tous des Orientaux, à part IRÉNÉE, vers la fin du IIe siècle, sont dans l'ensemble mal reçus par l'Église d'Occident, beaucoup plus perméable aux influences gréco-latines, et c'est plus tard que leurs contributions sont reconnues comme celles des Pères de l'Église. La "redécouverte" relativement naissante (depuis les années 1950) d'Évangiles très divers, textes plus ou moins reliés entre eux, qui circulent à l'époque dans le monde méditerranéen, donne une indication - en contre-jour - du choix de figures de Jésus et de son type de message opérés par les autorités naissantes du christianisme. A un enfant Jésus terrifiant, imposant sa Loi à force de miracles violents, est préféré un enfant bienfaisant, très imprécis, précurseur de l'homme au message plutôt pacifique et pacifiant, avec un souci aigu de la justice fraternelle. le Royaume qu'il propose - opposé à certaines visions qui paraissent directement issues ou décalquées de portions anciennes de l'"Ancien Testament", est un Royaume qui repose sur, qui est permis par, des relations humaines faisant appel à la tolérance, au pardon des offenses - même faite par les ennemis, au respect des opprimés, des faibles...

Au Royaume de la Puissance du Châtiment est préféré le Royaume de la dynamique de la fraternité, même si celle-ci semble aller à l'encontre de préceptes de la religion judaïque officielle ou dominante. Et c'est surtout en cela, dans une toute première approche, que se révèle une sensibilité contre la guerre, contre la violence et contre la contrainte. Le Royaume de Dieu n'est promis qu'à celui, qu'à ceux qui font preuve de compassion, de générosité et de pardon. Le traitement de l'ennemi ou de l'étranger dans les paraboles, avec le choix parcimonieux de miracles, est révélateur de l'attitude de la nouvelle religion.

C'est à travers la parole de ceux qu'on appelle sur le tard les Pères de l'Église que s'élabore progressivement une orthodoxie. Tant que celle-ci n'est pas affirmée, qu'elle est affaiblie par les multiples attaques des autres tendances du judaïsme ou par les autorités romaines, il est difficile de parler d'hérésies. C'est contre certaines visions du christianisme que s'affirme cette orthodoxie, mais cette orthodoxie se construit avec souvent des apports, à travers la discussion même des éléments de ces visions, en direction filiation de la Gnose, du marcionisme ou du montanisme. 

 

Les Pères de l'Église... et leurs positions face à la guerre

Ainsi IRÉNÉE de Lyon (130-202 environ), dont on connaît deux ouvrages (Démonstration de la prédication apostolique et Contre les hérésies, ce dernier dirigé surtout contre la Gnose), dans un langage terre à terre, simpliste mais cohérent, donc mieux compris des fidèles que les réflexions échevelées de certains, défend l'autorité de l'Écriture contre des spéculations qui compliquent trop le message. Le thème de la récapitulation de l'Ancien Testament par le Nouveau, de l'Ancienne Alliance par la Nouvelle, lui permet d'éviter le rejet des textes du judaïsme et l'affrontement direct contre lui. 

ORIGÈNE (185-253 environs), à Alexandrie où existe une grande École philosophique chrétienne, est véritablement le premier dogmaticien chrétien. Il mêle la philosophie grecque et l'exégèse de l'Écriture sainte dans plusieurs textes qui nous sont parvenus (notamment Le Traité des Principes, qui reste l'oeuvre maîtresse de toute la théologie chrétienne de l'Antiquité). Dans un vaste système qui emprunte à la Gnose (Hexaples), il donne une édition commentée de la Bible. Ses Commentaires, comme son Commentaire sur l'Evangile de Jean, à l'intention du grand public, demeure des modèles d'exégèse à la fois savante et inspirée.

TERTULLIEN (160-220 environs), formé à la rhétorique, met en place un latin littéraire chrétien, défend à Rome et à Carthage les chrétiens contre les accusations qu'on leur lance (athéisme, lèse-majesté) dans des Apologies et dans des pamphlets (Contre les Juifs). Il s'en prend de manière véhémente et argumentée aux moeurs païennes : le porte de la toge, les spectacles publics (souvent violents), le service militaire, la mode et défend la vraie foi surtout contre le marcionisme. Son Traité De la prescription des hérétiques s'efforce de disqualifier tous ceux qui prétendent rester chrétiens tout en rompant avec la tradition et leur dénie le droit d'utiliser l'Écriture. Théoricien moins profond qu'ORIGÈNE, TERTULLIEN exerce une influence décisive sur l'avenir de la pensée chrétienne latine. Face à la théologie orientale, très marquée par le platonisme et le gnosticisme, assez mystique et très disposée à intégrer (tentation de syncrétisme) l'apport de la culture hellénistique à la pensée chrétienne, il représente, si nous suivons Étienne TROCMÉ, "une tendance beaucoup plus critique à l'égard de la civilisation païenne, beaucoup plus réservée envers la philosophie, sauf peut-être le stoïcisme, et beaucoup plus juridique d'esprit. La différence entre les traditions grecque et latine est déjà présente en germe dans ce contraste entre l'école d'Alexandrie et TERTULLIEN."

Ces trois prédicateurs, même si dans les régions (hors Palestine), les milieux où ils prêchent et écrivent ne sont guère concerné par les questions militaires (observons simplement que les soldats sont regroupés dans les régions frontalières de l'Empire et que le service militaire ne les touche guère), sont amenés à réfléchir sur la guerre et sur la condition de soldat. En fait, ils prennent position dans un débat de conscience, très secondaire d'ailleurs, qui ne concerne que l'attitude à adopter à l'égard du métier de soldat et sur sa compatibilité avec la religion chrétienne. Les études sur la position de l'Église primitive sur la guerre sont souvent sous-tendues par des positions pacifistes et militaristes qui semblent, à tout prendre, fausser les perspectives.

Les études les plus récentes aboutissent à des conclusions très nuancées (par exemple, A MORISI, La guerra nel pensiero cristiano dalle origini alle crociate, Florence, 1963), mais nous pouvons fortement distinguer la période de la prédication des trois pères de l'Église auparavant cités de celle qui les suit, bien plus propice à des débats plus tranchés et plus développés. Le nombre des chrétiens engagés dans l'armée semble très faible jusque dans la seconde moitié du IIe siècle, puis gonfle à partir des années 170, mais très localement dans les régions danubiennes et asiatiques, où la menace barbare est sensible. Tant que les progrès de la conversion au christianisme demeure limités, la question est donc mineure dans l'esprit des responsables des communautés chrétiennes, ce qui n'est plus le cas au IIIe siècle. Le fait d'ailleurs qu'ORIGÈNE s'exprime plus que d'autres sur la question est significatif puisqu'il appartient déjà à ce siècle.

Si les fidèles en général n'ont pas à réagir devant la guerre ou le service militaire, les intellectuels, qui voyagent beaucoup et qui reçoivent beaucoup d'information des empires romain, perse et parthe et d'autres régions ont lus l'occasion de s'inquiéter. Rares sont ceux qui pensent que le christianisme va faire disparaître la guerre. IRÉNÉE, vers 170, dans Contre les hérésies, croit pouvoir discerner des signes encourageants, constatant que la loi de l'Évangile "change en charrues de fer des épées et des lances, et les glaives en instruments de paix, au point que l'homme ne consent plus à frapper, mais à être frappé". Mais il s'agit là pus de figure de rhétorique que de réflexion profonde. Les autres ne partagent pas cet optimisme, tel CLÉMENT d'Alexandrie qui recommande vers 200 aux soldats chrétiens d'obéir à leurs chefs sans aborder la question du droit de tuer. Beaucoup optent, dans l'attente de la fin du monde, de la cité humaine pour entrer dans la cité de Dieu, pour un détachement des responsabilités politiques, et à plus forte raison militaires. C'est surtout cette attitude de réserve à l'égard des événements terrestres qui les poussent à s'exprimer sur la guerre. L'opinion générale est toutefois que le métier de soldat est peu recommandé.

TERTULLIEN, qui se prononce parmi les premiers vers 200 (De idolatria), clame qu'"en désarmant Pierre, le Seigneur a désarmé tous les soldats. Personne ne peut regarder comme licite un uniforme qui représente des actes illicites." "Il n'y a pas d'accord possible entre le serment divin et le serment humain, entre l'étendard du Christ et l'étendard du diable, entre le camp de la lumière et le camp des ténèbres ; une âme ne peut se dévouer à deux maîtres : à Dieu et à César.". Il fait directement référence aux paroles attribuées à Jésus : "Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César". Encore cette position ne date que de l'époque où le prédicateur se rallie à la pensée montaniste, de plus en plus critiquée. 

ORIGÈNE s'élève lui de manière plus longue et constante contre la guerre et contre l'armée. Favorable à une interprétation allégorique de la Bible, il fait une relecture spirituelle des livres qui racontent l'histoire passée : Comment concilier les combats et massacres de l'Ancien Testament, ordonnés par Dieu lui-même, et les paroles de paix prononcées par Jésus. Dans le traité contre Celse (vers 250), il revendique pour les chrétiens le droit d'être exemptés du service militaire, comme les prêtres païens, afin de ne pas être souillés par le sang. Il est hostile de manière générale à l'exercice de charges publiques par les chrétiens, mais sa condamnation de la guerre n'est toutefois pas absolue, et il admet, dans une comparaison avec les luttes défensives menées par les abeilles contre les guêpes, que "peut-être ces guerres montrent-elles comment et pour quelles justes raisons les hommes peuvent entreprendre des guerres, si parfois il est nécessaire que la guerre existe entre les hommes", reprenant les propos du prophète Jérémie

    Étienne TROCMÉ met l'accent sur le fait que tous les théologiens de la fin du IIe siècle et de la première moitié du IIIe siècle sont en avance sur l'Église de leur temps. Et cela va jusqu'à leur disgrâce au sein des institutions chrétiennes en formation, sans doute en partie parce que la virulence de leurs écrits indispose parfois.

 

Georges MINOIS, L'Église et la guerre, De la Bible à l'ère atomique, Fayard, 1994. Étienne TROCMÉ, chapitre Le christianisme des origines au Concile de Nicée, dans Histoire des religions II*, Gallimard, 2001. Sous la direction de Pierre GEOLTRAIN, Aux origines du christianisme, Gallimard, 2006.

Sur la perception militariste ou guerrière du christianisme, on peut lire des ouvrages écrits dans l'atmosphère des affrontements patriotiques comme celui de l'abbé ROUZIC (Théologie de la guerre, Bloud et Gay, 1916) ou des études collectives comme L'Église et la guerre, dans la même maison d'édition (1913) ou La Guerre allemande et le catholicisme (1915).

Sur la perception pacifiste, il existe beaucoup d'ouvrages écrits notamment par des auteurs Quakers, mais nous conseillons surtout Pacifisme et christianisme aux premiers siècles, d'Albert BAYET, Les Oeuvres représentatives, Bibliothèque rationaliste, 1934. Il fut noter que plus récemment, c'est la lecture pacifiste qui l'emporte. On consultera avec grand profit également le livre très documenté de J. M. HORNUS, Evangile et laborum, Étude sur l'attitude du christianisme primitif devant les problèmes de l'État, de la guerre et de la violence, Genève, 1960.

 

RELIGIUS

 

Relu le 26 juillet 2020

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