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10 mars 2014 1 10 /03 /mars /2014 13:05

   L'expression "La guerre est la continuation de la politique par d'autrs moyens" est devenue plus une formule passe partout qu'une expression incitant à une réflexion poussée sur les relations entre la guerre et la politique. A une époque où, notamment en France, le pouvoir politique est au main d'une véritable caste militaire - la caste napoléonienne - CLAUSEWITZ a fortement repensé - sinon pensée le premier - ces relations. En tout cas, de nos jours, les Etats ont construits une armature solide et stable sur le principe de la subordination des militaires aux politiques ; c'est même devenu un critère de comparaison sur la stabilité des régimes, entre Etats de la vieille Europe par exemple et Etats en Amérique Latine ou en Afrique. Si le stratégiste et stratège prussien établit clairement cette subordination - et on peut écrire qu'il la souhaite, lui ou en tout cas ses continuateurs - le cheminement de la pensée dans une Europe profondément militarisée pour aboutir à cette conclusion qu'il place dès les Livres 1 et 2 de De la guerre, n'est pas simple.

 

   Après avoir expliqué ce qui limite l'expression dans la réalité des trois lois de réciprocité de la guerre, il veut expliquer comment la guerre peut être interrompue, au lieu de parvenir aux extrêmes ou même de se prolonger indéfiniment jusqu'à épuisement des adversaires, comment le principe de polarité entre politique et guerre entre en jeu, dans précisément la nature profondément différente de l'attaque et de la défense. 

 

   Tout ce qu'il écrit précédemment est loin d'expliquer la suspension de l'acte de guerre. "Si deux parties se sont armées pour le combat, c'est qu'elles y ont été poussées par un principe d'hostilité. tant qu'elles restent sous les armes, c'est-àd-dire tant qu'elles ne font pas la paix, ce principe doit exister ; il ne cessera d'agir sur l'un des deux adversaires que pour une seule raison, à savoir son désir d'attendre un moment plus propice à l'action. Or, il semble à première vue que cette raison ne peut jamais exister que pour l'un des deux camps, car elle agit eo ipsos en sens inverse sur l'autre. Si l'un a intérêt à agir, l'autre doit avoir intérêt à attendre. 

Un équilibre parfait des forces ne peut pas entrainer une suspension de l'action, car celui qui poursuit le but positif, et obéit par conséquent à un mobile plus fort, dispose aussi des ressources les plus faibles, de sorte que l'équation découlerait du produit des mobiles et des forces, on pourrait toujours dire : si l'on ne prévoit aucune modification dans cet équilibre, les deux camps seraient obligés de faire la paix. Mais si une modification est à prévoir, elle se ferait en faveur d'un camp seulement, ce qui inciterait nécessairement l'autre à agir. Nous voyons donc que l'idée d'équilibre n'explique par la trêve des hostilités, mais qu'elle équivaut toujours à l'attente d'un moment plus favorable. Admettons donc que de deux Etats l'un ait un but positif : il veut s'emparer d'une province de l'ennemi, pour s'en prévaloir au moment de la paix. Après cette conquête, son dessein politique étant atteint, la nécessité d'agir n'existe plus, et il peut se reposer. Si l'adversaire veut bien lui accorder ce succès, il fera la paix ; sinon il faudra qu'il agisse. Il se pourrait que dans un délai d'un mois il soit mieux organisé ; il aura donc un motif suffisant pour retarder son action. A partir de ce moment, semble t-il, l'initiative doit revenir logiquement à l'adversaire, afin de ne pas laisser au vaincu le temps de préparer l'action. En tout cela, chaque camp est évidemment censé avoir une connaissance parfaite des faits."

Mais cette continuité de l'acte de guerre n'existe pas réellement dans la réalité, à de rares exceptions près. Il n'est guère dans l'Histoire d'exemples de campagnes complètement ininterrompues, sans trêves souvent propices à la négociation d'une fin de guerre. Pourquoi ? Parce qu'il existe dans toute guerre une très grande différence entre attaque et défense : si l'un des deux camps veut conquérir une province, l'autre s'y oppose, et même s'il fait diversion en attaquant une autre province (chose assez courante...), celui-ci se trouve aux prises à une défense à son tour...

    L'attaque et la défense sont deux choses de nature différente et de force inégalité : la polarité ne s'applique donc pas  à elles. La polarité - ce qui fait l'essentiel dans la guerre - se rapporte à la déicsion,et non dans l'attaque et la défense qui ne peuvent être équivalentes. CLAUSEWITZ estime, et cette estimation se fonde sur une analyse historique approfondie, que la défense est supérieure à la défense, et cela explique la suspension de l'acte de guerre. Cette supériorité de la défense est bien plus considérable qu'il n'apparait à première vue et une grande partie des périodes d'inaction qui se produisent en temps de guerre s'expliquent sans qu'il y ait nécessairement contradiction interne. "Plus les motifs d'action sont faibles, plus ils seront submergés et neutralisés par la différence entre attaque et défense, et plus fréquemment, par conséquent, il y aura trève de l'action militaire, comme d'ailleurs l'expérience l'apprend." 

La seconde cause de cette suspension de la guerre réside dans la connaissance imparfaite de la situation par l'un des deux adversaires ou par les deux. L'hésitation induite par cette mauvaise connaissance ou au contraire la trop grande impulsivité qui mène à un échec, même partiel, joue dans la modération de la guerre.

La trève fréquente dans l'acte de guerre éloigne toujours plus la guerre de l'absolu et la rapproche toujours plus du calcul des probabilités. Plus l'action militaire est lente, plus les deux camps prennent le temps de préparation de l'action, et plus ce temps de préparation est long, plus le rythme des combats ralentit. La nécessité par les deux camps - sauf en cas bien entendu de guerre rapide - d'établir ce calcul des probabilités, rapproche la guerre du jeu et le hasard riste d'intervenir de plus en plus fréquemment. "L'accidentel et la chance, jouent donc, avec le hasard, un grand rôle dans la guerre".

 La guerre devient un jeu par sa nature subjective et sa nature objective. "Si nous jetons maintenant un coup d'oeil sur la nature subjective de la guerre, c'est-à-dire sur les forces nécessaires pour la mener, elle nous apparait davantage encore comme un jeu. Le danger est l'élément où se meuvent les activités de la guerre ; quel est, dans le danger, la force d'âme suprême? C'est le courage. Or, le courage peut très bien s'associer au cacul judicieux, bien que ce soient deux choses différentes, qui relèvent de deux côtés de l'âme. D'autre part, la bravoure, la confiance dans le succès, la témérité et l'audace ne sont que des manifestations du courage, et toutes ces tendances de l'âme recherchent l'accidentel, qui est leur élément.

Nous voyons donc que dès l'origine l'élément absolu, en quelque sorte mathématique de la guerre, ne trouve aucune base certaine sur laquelle fonder les calculs relatifs à l'art de la guerre ; il s'y mêle d'emblée un jeu de possibilités et de probabilités, de bonne et de mauvaise fortune, qui se poursuit le long de chaque fil, gros ou mince, dont est tissée sa trame, et qui fait de la guerre l'activité humaine qui ressemble le plus à un jeu de cartes. 

  Dans un long exposé, CLAUSEWITZ explique que l'élément qui convient le mieux à l'esprit humain en général est bien le le courage devant le danger. L'art de la guerre s'applique à des forces vivantes et morales et le facteur accidentel est toujours présent. "le courage et l'assurance sont donc des principes tout à fait essentiels à la guerre ; par conséquent, la théorie ne doit édicter que des lois propres à donner carrière à tous les degrés et à toutes les variétés de ces vertus militaires, les plus indispensables et les plus nobles de tous." Mais la guerre reste toujours un moyen sérieux en vue d'un but sérieux. Pulsation régulière de la violence, "plus ou moins prompte à relâcher ses tensions et à épuiser ses forces", la guerre ne produit un réel résultat que sous un objectif politique. Lequel "n'est pas pour autant, un législateur despotique ; il doit s'adapter à la nature des moyens dont il dispose, ce qui l'amène souvent à se transformer complètement ; il reste néanmoins toujours au premier rang de nos considérations. Aussi la politique pénètrera-t-elle l'acte de guerre entier en exerçant une influence constante sur lui, dans la mesure où le permet la nature des forces explosives qui s'y exercent."

 

    La guerre est une simple continuation de la politique par d'autres moyens. "Nous voyons donc que la guerre n'est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des relations politiques, une réalisation de celles-ci par d'autres moyens. Ce qui reste toujours particulier à la guerre relève purement du caractère particulier des moyens qu'lle met en oeuvre. L'art de la guerre en général, et du commandant dans chaque cas d'espèce, peut exiger que les tendances et les intentions de la politique ne soient pas incompatibles avec ces moyens, exigence non négligeable assurément. Mais aussi puissamment qu'elle réagisse en certains cas sur les intentions politiques, cela doit toujours être considéré seulement comme une modification de celles-ci : car l'intention politique est à la fin, tandis que la guerre est le moyen, et l'on ne peut concevoir le moyen indépendamment de la fin."

   Le lecteur d'aujourd'hui ne manque pas de relever le ton non seulement explicatif, analytique du texte, mais également, derrière lui, et certaines tournures de phrases sont bien révélatrices à cet égard (s'y dissimule parfois une certaine véhémence sous l'apparente froideur des propos), proscriptif. La guerre, pour rester un moyen, doit toujours rester subordonné à la politique. Il s'agit bien d'expliquer, d'apprendre une méthode au gouvernement d'un Etat, les tenants et aboutissants de ce moyen qu'est la guerre. Bien entendu, en explicitant les trois lois réciproques de la guerre et en les faisant apparaitre comme éléments constamment moteurs de la guerre, CLAUSEWITZ indique que, dans certaines guerres, l'explosion continue de la violence, notamment dans les guerres d'extermination ou de pillage, va toujours plus loin que des intentions politiques. Même si des éléments objectifs (différence entre attaque et défense) et subjectifs (méconnaissance de la situation, état du moral des combattants et des chefs) limitent la montée aux extrêmes, on perçoit bien que, comme il l'écrit plus loin d'ailleurs, "toute guerre sera considérée comme un acte politique".

       "La guerre n'est pas seulement un véritable caméléon qui modifie quelque peu sa nature dans chaque cas concret (va la diversité extrême des guerres) , mais elle est aussi, comme phénomène d'ensemble et par rapport aux tendances qui y prédominent, une étonnant trinité où l'on retrouve d'abord la violence originelle de son élément, la haine et l'animosité, qu'il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle, puis le jeu des probabilités et du hasard qui font d'elle une libre activité de l'âme, et sa nature subordonnée d'instrument de la politique, par laquelle elle appartient à l'entendement pur."  Le problème que perçoit CLAUSEWITZ "consiste à maitenir la théorie au milieu de ces trois tendances, comme en suspension entre trois centres d'attraction."

 

     Revenant amplement sur la formule "La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens", Raymond ARON analyse la portée établie par CLAUSEWITZ, à la fois théorique et pratique, "de la structuration du champ guerrier par le rapport de moyen à fin". "Acte de violence en vue d'imposer sa volonté à l'autre, la guerre inclut un moyen, la violence, et une fin, fixée par la politique. Mais puisque celle-ci soumet la violence à l'intelligence, autrement dit à la politique, cette dernière ne cesse de conduire le déchainement de la violence. Substituons les Etats aux lutteurs face à face au milieu d'un champ clos : la volonté émane de la politique objectivée - de l'ensemble des relations politico-sociales dans le sein desquelles les linéaments du conflit armé s'esquissent et se dissimulent. Entre 1804 et 1807, Clausewitz a pris pleine conscience que les fins de la guerre devaient dominer les fins dans la guerre. Si nombre de lecteurs s'étonnent aujourd'hui que Clausewitz insiste aussi lourdement (et nous y insistons lourdement dessus dans cet article!), sur cette idée aussi banale, voire triviale, c'est que lui-même a jugé avec raison que les autres théoriciens négligeaient cette considération, à ses yeux décisive, et, par suite, n'avaient rien à dire sur l'essentiel, la diversité historique des guerres et l'hétérogénéité interne de chacun d'elles."

Le grand commentateur de CLAUSEWITZ indique que CLAUSEWITZ a voulu aussi signifier "que la guerre serve de moyen à la politique implique qu'elle serve de moyen à la restauration de la paix." La substitution de la victoire à la paix, en tant qu'objectif dernier de la guerre, résulterait de l'autonomie de la guerre. Dès lors que celle-ci cesse d'être une "chose indépendante", elle n'a pas d'autre fin ultime que la paix." Bien entendu, il s'agit d'une certaine paix, précise t-il, et non de la paix. Ce que fait le penseur prussien, c'est de ne condamner ni d'approuver la guerre, mais de la tenir pour une donnée première. Il admet explicitement (après tout, lui-même est un officier supérieur...) le caractère normal du règlement par le sang.

Raymond ARON s'oppose à une interprétation répandue en Angleterre et aux Etats-Unis, telle que la formule A RAPPOPORT (Préface à l'édition abrégée du Traité, dans l'édition de Penguin Book de 1968, où... d'ailleurs le livre VI a disparu.) : "si les conceptions de Clausewitz en ce qui concerne les relations entre guerre et politique sont examinées par référence aux fins et moyens de l'une et de l'autre, il apparait qu'elles sont interchangeables. La fonction du militaite est d'accepter la volonté de l'Etat ; on suppose tacitement que la volonté de l'Etat est orientée vers l'accroissement continuel de puissance à l'égard des autres Etats, donc qu'elle cherche et saisit les occasions de gains stratégiques en vue de luttes futures. En bref, les intérêts de l'Etat et ceux de l'armée coïncident dans la conception clausewitzienne de la guerre." Le stratégiste français estime que cette interprétation est incompatible avec les textes et avec la logique politique du penseur prussien. Dans le chapitre 6, CLAUSEWITZ écrit clairement la subordination du militaire au politique, car le chef militaire est un spécialiste et l'homme d'Etat embrasse l'ensemble des circonstances politiques. Le système européen établit d'ailleurs après les guerres napoléoniennes considère l'équilibre entre les Etats, faibles ou forts, comme essentiel au bien de tous les Etats, à l'inverse de préoccupations de puissance où les militaires seraient en première ligne. C'est ce système que CLAUSEWITZ a en arrière plan en pensée, même si il s'établit après lui. "En un langage moins élégant, plus technique parfois que ses prédécesseurs, Clausewitz esquisse une interprétation de la société européenne des Etats, qui, me semble t-il, se rattache à celle de Montesquieu, de Voltaire ou de Gentz. C'est à Voltaire ou à Montesquieu qu'il fait probablement allusion en rappelant le précepte d'un grand écrivain français : il faut s'élever au-dessus de l'anecdote pour rendre l'histoire intelligible, cette histoire de mille ans durant laquelle les Etats européens, presque les mêmes Etats, ont coexisté sans être englobés en un empire." La défaite de Napoléon s'explique en partie par son ambition démesurée, par sa confiance exclusive dans la force des armes. 

A la différence de bien d'autres penseurs militaires, il se refuse à reconnaitre l'autonomie du militaire. Il pose deux principes qui vont directement à l'encontre d'une interprétation militariste : la pluralité des fins au niveau de la stratégie et la subordination du commandant en chef des armées au pouvoir civil durant le cours même des hostilités. Cette position s'affirme plus clairement vers la fin de sa longue réflexion.  "Clausewitz trouve l'unité (de la guerre) non plus (dans les parties du livre rédigées ou révisées après 1827, notamment dans le chapitre VIII) dans le déchainement extrême de la violence, mais dans un point de vue supérieur : la guerre sort de la politique, c'est elle, la politique, qui en détermine l'intensité, qui en crée le motif, qui en dessine les grandes lignes, qui en fixe les fins, et du même coup, les objectifs militaires. La solution du problème théorique (exposé à la fin du paragraphe précédent) commande celle du problème ou plutôt des problèmes praxéologiques." CLAUSEWITZ ne souscrit pas, au moins à la fin de sa vie, à la doctrine qu'auraient préférée tous les chefs de guerre allemands : la liberté d'action entre le premier coup de canon et les négociations de paix, doctrine que tendent à vouloir faire appliquer, non seulement ces généraux allemands, mais aussi une très grande partie de la classe militaire, qu'elle soit française (voir les nombreux ouvrages-mémoires qui pestent contre les manoeuvres politiques) ou américaine (voir l'attitude de la hiérarchie américaine lors des guerre de Corée et du VietNam). Ce qui montre que l'adage selon lequel la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens apparait moins banal qu'en apparence...

Cette loi suprême de la suprématie de la politique est exprimée surtout au livre VIII, qui constitue le livre qui complète immédiatement les exposés des livres 1 et 2. 

 

   La "loi" clauzewitzienne de la primauté du politique sur le militaire semble remise en cause par un ensemble d'évolutions apparues de manière accélérée après la fin de l'union Soviétique et du système des blocs. Déjà, l'apparition du nucléaire après la seconde guerre mondiale avait constitué un questionnement sur l'actualité même de la pensée du théoricien de la guerre, sous l'angle d'une remise en cause des statuts de l'attaque et de la défense comme du déséquilibre entre stratégie déclaratoire et réalité, cette stratégie déclaratoire ayant en fin de compte des effets comparables sur le plan des rapports de forces internationaux à une stratégie militaire classique, déplaçant en fin de compte la problématique d'une stratégie de guerre réelle et une stratégie d'armements (la course aux armements se menant entre deux forces qui ne s'affrontent plus de façon directe et directement militaire). La présence du nucléaire détruit les préceptes de CLAUSEWITZ pour certains ; pour d'autres, au coutraire, on peut très bien interprété son influence en prenant en compte ses principes. De nos jours, la mondialisation, l'affaiblissement des Etats, le développement d'une société civile mondiale, l'installation de zones géopolitiques de désordre, le développement de stratégies terroristes à multiples sens, la montée en puissance d'armées privées, constituent autant de faits qui semblent rendre la théorie exposée dans De la guerre inactuelle.

Bernard BOËNE, qui ne fait pas l'impasse sur une redéfinition possible du politique et surtout de l'étroite liaison entre l'Etat et le politique, estime que "l'origine du débat sur l'inactualité de la pensée clausewitzienne est clairement située dans le changement de contexte intervenu en 1990 et modifié après 2001. Les caractéristiques de ce changement sont d'ordinaire bien prises en compte (...). Ce qui manifestement pose problème, c'est l'interprétation que (l'on) en donne. Ces interprétations surestiment l'importance (et la nouveauté) de certains traits centraux de la nouvelle donne, et sous-estiment la plasticité de la pensée de Clausewitz, dont ils font une lecture figée. La conclusion générale qui se dégage de ces analyses, au demeurant diverses dans le détail, est que les "guerres nouvelles" ne répondent plus à la Formule (primat du politique), ni à l'étrange Trinité (gouvernement/armée/peuple), ou chez les tenants de la révolution dans les affaires militaires - que la contingence et les forces morales voient leur rôle réduit de manière décisive par les nouvelles technologies. 

A bien des égards, les faits, vus de 2008, ont tranché : les conflits en cours (ceux où des coalitions d'Etats interviennent, en Afghanistan et en Irak, mais encore les guerres civiles qui constituent la grande majorité des conflits de par le monde) montrent une véritable contre-révolution dans les affaires militaires : la guerre dans la foule ou "au milieu du peuple", devenue la règle aujourd'hui et pour l'avenir prévisible, confère aux facteurs humains et à la contingence une place que la technologie ne parvient pas à circonscrire. Ne serait-ce qu'en raison de la fonctionnalité plus faible de la force conventionnelle que le laissait espérer l'écrasante supériorité militaire des forces du statu quo sur les forces révisionnistes, la politique y est plus centrale que jamais. L'irrationnalité prêtée aux acteurs des "guerres nouvelles" est un trompte-l'oeil : eu égard aux contextes qui sont les leurs, leurs motifs (déni de reconnaissance), les enjeux de leur combat, les moyens et modes d'action auxquels ils ont recours sont accessibles à la raison. Comme toutes les remises en cause collectives au nom d'une autre légitimité, leur contestation de l'ordre existant, quand bien même elle fait une large place à l'expression identitaire, à la religion ou à l'économie, est bien d'essence politique."   Et ressurgissent dans les crises que la planète connait cette articulation du militaire et du politique, où, à la limite, si la primauté du politique semble être remise en cause, la guerre semble se déployer (presque de façon indéfinie) suivant les fameuses lois de l'action réciproque, menant aux extrêmes, jusqu'à ce que dans une zone ou une autre, en définitive, il n'y ait plus grand chose qui fasse enjeu, quasiment tout ayant été détruit. 

 

Bernard BOËNE, Inactualité de Clausewitz?, dans De la guerre? Clausewitz et la pensée stratégique contemporaine, Sous la direction de Laure BARDIÈS et Martin MOTTE, Economica/Fondation St Cyr/ISC, 2008. Raymond ARON, Penser la guerre, Clausewitz, tome 1, L'âge européen, Gallimard, 1976. CLAUSEWITZ, De la guerre, Les Editions de Minuit, 1955.

 

STRATEGUS

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commentaires

E
Les élections municipales sont un bon terrain d'observation...<br /> et peut-être terreau de ces guerres de pouvoir à venir...
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