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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 12:58

   Nous devrions sans doute écrire Hindouismes tant le champ couvert rassemble des sensibilités religieuses assez différentes - du moins dans l'expression extérieure - et des territoires si vastes. Ensemble de croyances très anciennes, ne possédant ni dogmes centraux ni encore plus gardiens de dogmes, l'hindouisme, dont le nom même est donné à l'extérieur de lui, même s'il le revendique désormais (le confondant souvent avec une indianité à l'échelle du sous-continent) (dans la littérature persane et musulmane au départ), se présente comme un ensemble de concepts philosophiques, avec une identité forte (un panthéon même s'il est très évolutif, des notions bien affirmées et assez élaborées, des comportements séculaires...), doué de syncrétisme, avec une forte tendance à amalgamer - dès ses origines - de multiples réflexions.

L'hindouisme est à la fois une religion et une philosophie, et même un ensemble philosophico-religieux, où les croyances religieuses aiguillonnent les sciences les plus diverses, le droit, la politique, l'architecture, l'astronomie, la médecine, pour ne citer que les plus saillantes d'entre elles. Désignant les populations autour du grand fleuve Indus, les hindouistes se considèrent réellement comme un peuple "élu", dont le système social, celui des castes en particulier, garantit à la fois l'efficacité et la pérennité de l'accomplissement de la destinée individuelle.

 

Des évolutions multiséculaires

Enfin, ce que l'on désigne par hindouisme, recouvre des évolutions multiséculaires, du védisme (entre 2500 et 1500 av J-C.), au brahmanisme (de 1500 à 500 avant J-C.), d'une certaine fusion entre l'hindouisme, le jaïnisme et le bouddhisme, réformateurs (ce dernier amalgamé dans le même ensemble, avant de disparaitre en tant que tel de ses terres de naissance) (entre 500 av J-C. et 500)... Évolution qui continue de nos jours (depuis 500), surtout depuis les débuts de la confrontation avec l'Islam (invasions musulmanes) et la Chrétienté (domination britannique), sans oublier les effets de la domination moghole de l'Inde entre 1526 et 1605...

L'hindouisme, avec ses myriades de sectes (définies en tant qu'ensembles religieux, parfois très vastes, qui se caractérisent par des filiations philosophico-religieuses précises et des comportements distincts, pas du tout dans l'acceptation courante du mot sectaire), s'apparente plutôt à un substrat culturel, un mode de vie ou de pensée qu'à une religion organisée.

   Ce que l'on appelle aujourd'hui hindouisme est la tentative - avec une volonté étatique forte soutenue par un nationalisme récent (depuis l'indépendance en 1947) - de rassembler les croyances disparates issues de l'ancien panthéon védique éclipsé par la popularité des divinités de Shiva, de Vishnou ou de Khrisna. 

 

A chaque forme d'hindouisme, une configuration des conflits

    A chaque forme d'hindouisme correspond une configuration, parfois voisine, parfois éloignée, de coopérations et de conflits. Conflits entre différentes sensibilités religieuses, rarement violents, conflits parfois armés avec des États de confession non hindouiste, conflits enfin entre différentes classes sociales, avec des caractéristiques qui mêlent situations matérielles et représentations religieuses. Il est difficile de parler de lutte des classes, vu l'idéologie de castes dominante, au sens européen du terme, d'autant plus que très longtemps les sociétés indiennes sont demeurées rurales. Ce n'est qu'avec l'industrialisation que l'on voit apparaitre de véritables relations de type occidental, avec des représentations politiques et syndicales, qui se détachent, surtout depuis l'Indépendance, du fond religieux, même s'il persiste des solidarités qui transcendent les multiples exodes et déplacements de populations. Ce qui n'empêche pas de voir relater, quelquefois et même régulièrement dans l'Histoire, des révoltes paysannes très sanglantes dans une société où les richesses demeurent depuis toujours concentrées entre les mains de propriétaires temporels ou spirituels, notamment dans les périodes de disettes, tout-à-fait à l'image des jacqueries paysannes européennes.

Même si les révoltes peuvent avoir dans certaines circonstances une coloration religieuse, ce qui n'est nullement l'apanage de cette région, l'histoire de l'Inde ne peut se confondre avec l'histoire de l'hindouisme. En effet, d'une part nos connaissances de l'histoire de cette vaste région dont la superficie égale celle de l'Europe continentale restent lacunaires, ces connaissances demeurant importantes seulement autour de la vallée de l'Indus, et d'autre part, les territoires dénommées Inde varient suivant les époques. Les frontières de l'Inde toute entière, si l'on peut s'exprimer ainsi, ne sont réellement fixées que sous la domination britannique (incluant d'ailleurs l'actuel Pakistan et le Bengladesh), et les religions d'autres régions qu'autour de l'Indus ne nous sont que partiellement connues. En outre, l'histoire de l'hindouisme lui-même ne nous est pas entièrement connue, surtout dans la période du védisme et antérieurement. 

 

La caste

   En tout cas, ce qui donne un contenu certain aux différents conflits, est l'une des caractéristiques les plus importantes de l'hindouisme, l'appartenance à la caste, fait si général qui imprègne mentalités et habitudes sociales, qu'il intervient même dans les milieux qui prétendent s'en affranchir.

Anne-Marie ESNOUL signale que le mot "caste" n'est pas indien, mais d'origine portugaise. "il désigne une structure sociale qui se présente sous deux aspects. Le premier presque uniquement théorique - tel, du moins, qu'on le trouve attesté dans les Veda, 1 500 ans avant notre ère -, définit une société divisée en quatre catégories (varna), qui n'ont jamais dû exister d'une manière aussi rigide. En revanche, l'autre forme, qui remonte très haut dans le temps, est la fragmentation en des groupes nombreux déterminés par des particularités le plus souvent en dépendance des métiers exercés : quelque chose d'assez proche de ce que pouvaient être les corporations dans l'Europe médiévale." "L'unité religieuse que recouvre le mot "hindouisme" est plus une attitude générale que l'accord fait sur des dogmes particuliers. Sans doute trouve-t-on partout répandue la croyance aux renaissances successives (samsara) auxquelles, sous le poids des actes accomplis dans les existences antérieures (karman), un principe spirituel individuel est astreint jusqu'à sa parfaite purification. Mais, héritée de formes brahmaniques plus anciennes, telles qu'on les rencontrait dans les upanisad classiques, cette notion est pan-indienne, commune au bouddhisme comme au brahmanisme, et en liaison avec la croyance à l'éternité de l'univers. L'identité du soi individuel (Atman) à l'Absolu (Atman ou brahman), Soi universel, reste le centre des spéculations traditionnelles ; cependant, ce qui caractérise surtout l'hindouisme, c'est sa tendance plus ou moins accentuée à mettre en évidence une Personne Suprême. Tantôt il la subordonne au Principe impersonnel - ce sera la position, entre autres, du courant imprégné de vedanta shankarien - tantôt il l'y superpose - et ce sera l'attitude adoptée par ce que l'on a nommé les mouvements sectaires."

 

De l'indouisme actuel

   Alors que l'émiettement religieux, dans ce cadre, est la règle, on peut considérer que l'hindouisme débute avec l'ère chrétienne, mais les textes épiques, Mahabharata et Ramayana, composés entre le IIIe siècle av J-C. et le IIIe siècle, en contiennent les germes, y compris dans leurs parties les plus anciennes. Parmi les upanisad classiques, également, deux des plus tardives, la Svetasvatara et la Maitri, présentent toutes les caractéristiques des textes hindouistes, avec leur tendance marquée au théisme. Elles doivent être à peu près contemporaines de la Bhagavad Gita, célèbre fragment de l'Epopée, qui exalte Krisna, le Bienheureux Seigneur, en tant qu'Absolu Personnel origine de toutes choses.

      Anne-Maries ESNOUL énonce quelques autres croyances caractéristiques, étant donné une tendance à l'universalisme, qui se manifeste par un extraordinaire pouvoir d'absorption des notions les plus diverses. L'évolution des divinités est révélatrice à cet égard, et, dans leur définition-invocation, les frontières de leurs attributions sont souvent floues, les emprunts de l'une à l'autre étant également nombreux. Ce qui domine cependant, et cela se trouve tout au long de ce que nous connaissons des formes les anciennes comme les plus nouvelles de l'hindouisme (du védisme à l'hindouisme moderne, jusqu'à sa version la plus laïcisée) c'est le souci de la Libération, "si étroitement lié au cycle des renaissances et à la rétribution des actes (qui) pèse toujours lourdement sur la pensée indienne, aiguillonnant son désir d'échapper définitivement à la ronde redoutée du samsara qui désigne d'abord le devenir dans le monde phénoménal, puis les renaissances successives."  

Un fil rouge, en quelque sorte, permet de comprendre les différentes formes qui vont du védisme, au brahmanisme puis à l'hindouisme stricto sensu, est l'attitude envers le sacrifice, qui devient finalement plus un hommage-invocation que l'holocauste plus ou moins étendu de vies animales et humaines. Avec le sacrifice, la croyance en l'efficacité des rites constitue un élément de l'évolution de cette sagesse qu'est l'hindouisme.

 

Hindouisme et ordre social

        L'ordre social, quel que soit la tendance religieuse observée, dans l'hindouisme, découle de la conception du monde et s'inscrit dans des mentalités très proches les unes des autres, quel que soit la secte ou la caste envisagée. C'est ce qu'explique, entre autres, Ananda COOMARASWAMY (1877-1947), spécialiste de la philosophie, des religieux et de l'art orientaux, qui connait bien par ailleurs la pensée de l'Occident.

Après avoir expliqué le mythe, la théologie ou plutôt l'autologie et la voie des oeuvres, il nous fait pénétrer cette conception très partagée de l'ordre social. "L'éthique, en tant que "prudence" ou en tant qu'art, n'est pas autre chose que l'application scientifique des normes doctrinales aux problèmes contingents. Bien agir ou bien faire n'est pas une question de volonté, mais de conscience ou de lucidité, le choix n'étant possible qu'entre l'obéissance et la rébellion. Autrement dit, les actions sont dans l'ordre ou contre l'ordre, exactement de la même façon que l'iconographie est correcte ou incorrecte, en forme ou informe. L'erreur, c'est de manquer la cible ; on doit l'attendre de tous ceux qui agissent selon leurs instincts, pour se plaire en eux-mêmes. L'habileté est vertu, dans l'agir comme dans le faire ; il est nécessaire d'insister là-dessus parce qu'on est arrivé à perdre de vue que le péché existe aussi bien en art qu'en morale. "Le yoga est habileté dans les oeuvres". Là où tout s'ordonne à la fin de la nature humaine, et où c'est l'oeuvre sacrificielle qui constitue la voie par laquelle se réalisent les fins actuelles et suprêmes de la vie, la forme de la société sera évidemment déterminée par les exigences du Sacrifice ; et le sens de cet ordre et de son impartialité sera de mettre chaque homme en mesure de devenir ce qu'il est en puissance, de l'empêcher de s'égarer. (...) c'est à ceux qui maintiennent fidèlement le Sacrifice qu'est faite la promesse d'épanouissement. Dès lors, le Sacrifice accompli in divinis par le Maitre d'Oeuvre universel, demande, pour être imité ici-bas, la coopération de tous les arts, par exemple ceux de la musique, de l'architecture, de la charpente, de l'agriculture, et celui de la guerre pour assurer la protection du rite. La politique des communautés céleste, sociale et individuelle est gouvernée par une seule et même loi. L'exemplaire de la politique céleste est révélé dans l'Écriture et reflété dans la constitution de l'état autonome et dans celle de l'homme qui se gouverne lui-même. 

Dans cet homme, quand sa vie sacramentelle est complète, il y a une hiérarchie des pouvoirs sacerdotal, royal et administratif, ainsi qu'une quatrième classe formée des organes physiques de sensation et d'action, qui traitent la matière première ou "nourriture" à préparer pour tous. Il est clair que, si cet organisme doit s'épanouir - chose impossible s'il se divise contre lui-même - les pouvoirs sacerdotal, royal et administratif doivent être les maitres selon leur rang, et les agents, qui travaillent sur les matières premières, leurs serviteurs. C'est exactement de la même façon que les exigences du Sacrifice, dont dépend la prospérité d'un royaume, déterminent la hiérarchie de ses fonctions. A la lettre, les castes sont "nées du Sacrifice". Dans l'ordre sacramentel, il y a nécessité et place pour le travail de tous les hommes. Et dans ces conditions il n'y a pas de conséquence plus significative du principe selon lequel le travail est sacrifice, que le fait, si éloigné que cela puisse être de nos modes de pensée profanes, que chaque fonction, depuis celle du prêtre et du roi jusqu'à celle du potier et du balayeur, est littéralement un sacerdoce et toute action un rite. De plus, chacune de ces sphères a "son éthique professionnelle". L'institution des castes diffère de la "division du travail" industriel, avec son fractionnement de la capacité humaine, en ce qu'elle présuppose une distinction dans les modalités, mais non dans les degrés, de la responsabilité. Et c'est précisément parce qu'une telle organisation de fonctions, avec son loyalisme et ses devoirs mutuels, est absolument incompatible avec le caractère de la compétition de notre industrialisme, qu'une telle institution, fondée sur la monarchie, la féodalité et les castes, est toujours peinte en couleurs si sombres par les sociologues, dont l'opinion est déterminée beaucoup plus par les préjugés de leur milieu que par le recours aux vrais principes.

La notion du caractère héréditaire des capacités individuelles et des vocations correspondantes découle nécessairement de la doctrine de la filiation ancestrale ;: le fils d'un homme donné est qualifié et prédestiné de naissance pour assumer la "marque distinctive" de son père, et pour prendre sa place dans le monde. C'est la raison pour laquelle il est initié dans la profession paternelle etr confirmé définitivement en elle par les rites de transmission accomplis au lit de mort à la suite desquels, quand bien même le père survivrait, le fils devient le chef de famille. En remplaçant son père, le fils délivre celui-ci de la responsabilité de la fonction dont il était chargé dans cette vie, et même temps qu'il pourvoit à la continuation du service sacrificiel. Pour la même raison, une lignée familiale trouve sa fin, non pas quand les descendants font défaut (l'adoption peut y suppléer), mais quand la vocation et la tradition de la famille sont abandonnées. C'est également pour cela qu'une totale confusion des castes marque la mort d'une société, qui n'est plus alors qu'une foule informe, où l'homme peut changer de profession à volonté, comme si celle-ci était quelque chose d'indépendant de sa propre nature. En fait, c'est ainsi que les sociétés traditionnelle sont tuées et leur culture détruite, au contact des civilisations industrielles et prolétariennes. (...). (...) une telle opposition ne saurait exister qu'entre l'Orient encore orthodoxe et l'Occident moderne, et (elle) n'aurait pas été valable au XIIIe siècle.

Par cette intégration de fonctions, l'ordre social est destiné, d'une part à pourvoir à la prospérité générale, et d'autre part à rendre chaque membre de la société capable de réaliser sa propre perfection. Dans le sens où la religion peut s'identifier à la "loi" et se distinguer de l'esprit, la religion hindoue est strictement parlant, une obéissance. Cela apparait clairement dans le fait qu'un homme est tenu pour hindou eu égard à son bon comportement, et non par suite de ce qu'il croit ou de ce qu'il fait ; autrement dit, en raison de son "adresse" à bien agir selon la loi.

Car s'il n'y a pas de délivrance par les oeuvres, il est évident que la partie pratique de l'ordre social, même accomplie avec une fidélité parfaite, ne peut, pas plus qu'un autre rite ou que la théologie affirmative, être regardée comme quelque chose de plus qu'un moyen en vue d'une fin qui le dépasse. Il reste toujours un dernier pas où le rituel est abandonné et où les vérités relatives de la théologie sont reniées. De même que l'homme est déchu de l'élévation de son premier état par la connaissance du bien et diu mal, c'est de la connaissance du bien et du mal, de la loi morale, qu'il devra être finalement délivré. Si loin que l'on soit parvenu, il reste un dernier pas à faire, qui emporte la dissolution de toutes les valeurs antérieures. Une église ou une société - un Hindou ne fait pas de distinction entre les deux - qui ne fournit pas le moyen d'échapper à ses propres institutions, qui empêche ses membres de se libérer d'elle-même réduit à néant sa suprême raison d'être." 

il s'agit toujours et quasi uniquement de se libérer de la chaîne des réincarnations, et pour cela, il faut accomplir les sacrifices nécessaires. Afin non seulement, dans l'ordre social, de se libérer soi-même mais aussi de libérer tous les autres hommes ; de leur libération dépend de plus la sienne propre, et cela tout au long des hiérarchies sociales. Ces réincarnations sont regardées avec une crainte et même une terreur, qui rend solide des liens sociaux d'une telle sorte, même si les conditions de vie - pour une très grande partie des populations,  sont particulièrement médiocres. Il s'agit d'atteindre progressivement la Lumière, au lieu de retomber dans des stades inférieurs de réincarnation : animaux, végétaux et même minéraux...

 

Ananda K. COOMARASWAMY, Hindouisme et Bouddhisme, Gallimard, 2010 (la première édition date de 1949). Anne-Marie ESNOUL, Hindouisme, dans Encyclopedia Universalis, 2004. 

 

RELIGIUS

 

Relu le 14 juillet 2021

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