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10 juin 2010 4 10 /06 /juin /2010 16:37

         L'historien, critique et théoricien français du cinéma, et aussi réalisateur (une quinzaine de films entre 1929 et 1963) est l'auteur d'une oeuvre fondamentale dans la compréhension des ressorts du septième art. A travers surtout Esthétique et psychologie du cinéma (1965) et La Sémiologie en question (1987), il montre la spécificité du cinéma, par rapport à la littérature et au théâtre par exemple et par là, indique comment il influence notre manière de voir le monde. Ce n'est qu'à partir du moment où l'on se dégage d'une manière de voir le cinéma comme seulement traduction en images d'une représentation, que l'on pouvait trouver dans la littérature, que l'on peut mieux approcher comment le cinéma montre les conflits et comment il y intervient.

   Son oeuvre, en parallèle avec ses activités de cinéaste et d'archiviste du cinéma (il fonde avec Henri LANGLOIS la cinémathèque française), a servi et sert encore à la réflexion sur le cinéma.

Il ne s'agit pas d'une oeuvre théorique sèche, en prenant la philosophie ou la logique comme base (même s'il soutient qu'une bonne analyse ne peut pas se passer d'éléments de la philosophie ou de la logique), mais d'une approche souvent pragmatique acquise "sur le terrain" en acteur du cinéma et en cinéphile. Cette cinéphilie est à la base de son monumentale Histoire du cinéma débutée en 1967 et achevée en 1980 (qui couvre la période 1895-1980), après sa Filmographie universelle (100 000 fiches et 2 000 réalisateurs...) publiée d'abord par l'IDHEC de 1963 à 1972.

 

           Esthétique et psychologie du cinéma constitue son oeuvre centrale et se présente comme le fruit de l'application d'une méthode épistémologique. Cette méthode ne peut se passer d'une pratique, et une des causes des méprises théoriques provient d'un manque de patience et d'assiduité à l'étude des films, et n'est profitable pour l'étude du cinéma qu'avec l'appui d'une très culture culture artistique dans les domaines de la peinture et du graphisme. Il y reprend tous les problèmes théoriques fondamentaux - le cinéma en tant que langage, la psychologie des mouvements de caméra et de la profondeur de champ, les notions de temps, d'espace, de réalité, de structures des images développés par tous ses prédécesseurs. Pour lui, contrairement à beaucoup d'analystes qui s'efforcent de trouver des correspondances entre l'image et l'écrit (entre le cinéma et la littérature), voire de traduire en termes littéraires les effets de l'image, "les conditions de l'expression filmique (sont) fondées, de toute évidence, sur la psychologie des perceptions et les phénomènes de conscience".

Dans La sémiologie en question, Jean MITRY approfondit cette conception du cinéma qui n'est absolument pas réductible à une forme linguistique, dans laquelle on ferait intervenir des composants comme les syntagmes, les verbes, les conjonctions, les structures grammaticales. Il veut montrer au contraire la nature propre de la nature filmique.

      

       Benoit PATAR résume cette nature bien spécifique :

"En premier lieu, elle se déroule dans le temps. ce qui veut dire que le souvenir immédiat joue un rôle premier. En cela, évidemment, le cinéma est proche voisin de la musique, à la nuance près cependant que celle-ci est une impression auditive, alors que le septième art recourt à la mémoire rétinienne (l'oeil). Ce recours au temps, à la durée faudrait-il dire (...), a pour conséquence externe une modification possible de la logique filmique. Ainsi, un réalisateur pourra utiliser comme processus narratif la répétition d'un passage ou, chose plus significative, la superposition d'une séquence précédente (...). Mais ce qui est tout aussi important, ce sont les conséquences internes de la dimension temporelle. Les utilisations du flash back et de la contraction temporelle par exemple, sont des signes irréductibles à toute autre forme de langage, du moins par leur intensité ou les systématisations. (...). Elle se déroule ensuite dans l'espace. Et il faut entendre ici par espace la dimension à laquelle on se réfère, à laquelle la pellicule renvoie, et d'autre part, le cadre de projection qui constitue le film lui-même. Sur ce point, il faut bien comprendre que la trame du langage cinématographique est spécifique, et que sa ressemblance avec un autre art n'est que superficielle. (...).

Mitry insiste (dans une bonne partie de l'Esthétique consacrée à la technique)  sur ce que signifie la profondeur de champ, le champ étant pour lui tout l'espace creusé par la perspective dans les limites de l'écran filmique (...). Mais l'analyse spatiale de Mitry ne se limite pas à la structure contextuelle du plan, ou à la diversité angulaire des prises de vue ; ce qui l'intéresse au plus haut point, c'est l'enchaînement dans la durée des images constituées en lieu. Autrement dit, ce qui devient passionnant dans le langage filmique, c'est de voir comment des espaces se succèdent ou se superposent dans le temps. Le caractère chronologique de l'espace filmique donne à celui-ci une liberté décisive. Mettre l'un après l'autre deux objets filmés, dans un espace déterminé, c'est recourir à un type de litote (procédé discursif qui consiste à atténuer un point de vue pour  signifier un point de vue plus fort)  et de synecdocque (procédé discursif qui consiste à prendre, par exemple, la partie pour un tout, la voile pour un navire...) dont il est impossible de faire usage en littérature ou en musique, parce que, précisément, l'espace qui constitue les objets associés les rend absolument imprévisibles dans leur signification, du fait même de leur contexte (...)."

Pour Jean MITRY, le cinéma est par lui-même une succession de symboles, auxquels les procédés techniques donnent un sens ou un autre. "Le langage filmique est donc référentiel, c'est-à-dire qu'il se constitue à partir de signes qui sont des évocations d'une réalité. Il tend à rendre compte d'une réalité qui n'est pas totalement celle qu'il désigne par le signe qu'il leur prend.(...) Les choses pour le cinéma (...) n'ont de signification qu'à travers leurs concepts." 

 

        Qu'est-ce qu'un film réussi ou un bon film pour Jean MITRY?  

Surtout son caractère novateur et la pérennité de cette nouveauté dans une perspective historique, qui fait que l'on peut voir et revoir plusieurs fois un film en renouvelant à chaque fois son plaisir de le voir, sa capacité finalement de toujours susciter des émotions, quelles que soient celles-ci, tragiques ou comiques. Et aussi ajoute-t-il, sa capacité à faire réfléchir. Une oeuvre comique sera d'autant plus comique et donc libératrice, que les moments de rire sont les épisodes moteurs d'une émotion et d'une réflexion. 

Ensuite, sa suffisance en quelque sorte. La narration est visuelle et les bruits, la musique ne sert que d'appoint. Nous nous souvenons que pour savoir si un film est bon, Steven SPIEBLERG, disait dans un entretien public à l'Actor's Studio (transmise à la télévision, sur une chaine spécialisée dans le cinéma), il  faut passer le film (ce qui est facile avec un magnétoscope) sans le son. La fluidité des images doit être telle que l'essence de l'histoire est comprise. 

Puis, un film ne doit pas chercher à révéler le réel, mais à l'exprimer. Le réalisme absolu est un contresens. Rien n'est plus ennuyeux qu'un film de fiction, de propagande ou un documentaire qui veut absolument tout montrer. Le cinéma s'adresse d'abord au coeur et à l'imagination, et à partir de l'émotion et de l'imagination, la réflexion sur la situation montrée devient possible. Cela rejoint l'échec absolu, constaté après le succès de la nouveauté et grâce sans doute au tapage publicitaire, des télé-réalités... échec auquel les réalisateurs pallient.... en les scénarisant carrément...

 

Jean MITRY, Esthétique et psychologie du cinéma, Editions universitaire, 1963 (Editions universitaires/Jean-Paul Delarge, 1990) ; Histoire du cinéma (5 volumes), Editions universitaires, 1967-1980 ; La sémiologie en question, Editions du Cerf, collection 7ème art, 1987 ; Le cinéma expérimental, Editions Seghers, 1974 ; Filmographie universelle (35 volumes), IDHEC, 1963-1973, Services des Archives du film du CNC, 1979-1988. 

Benoit PATAR, article Jean MITRy : un géant, dans cinémAction n°60, de juillet 1991, Histoire des théories du cinéma, Corlet/Télérama.

 

Relu le 14 janvier 2020

 

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commentaires

C
je viens de lire votre article sur jean Mitry et je pense qu'il y a une erreur sur la période traitée par les 5 volumes de l'histoire du cinéma ils ont été écrit de 1967 a 1980 mais ils relatent<br /> 'histoire du cinéma de 1895 à 1950 (1 volume par décennie)a moins qu'il existe une suite à ces 5 volumes.<br /> cordialement ct
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G
<br /> <br /> Merci de cette précision.<br /> <br /> <br /> Dans une prochaine actualisation des articles traitant des auteurs, nous rectifierons directement sur l'article.<br /> <br /> <br /> <br />

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