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1 septembre 2011 4 01 /09 /septembre /2011 13:50

        Les positions successives de l'Église catholique peuvent être confondues avec celles du christianisme (défini d'ailleurs dès les premiers siècles comme catholique) dans son ensemble, à l'avènement de l'Empire romain chrétien (325), si l'on ne compte pas les différents schismes et pseudo-schismes, jusqu'au moment où l'Église orthodoxe s'affirme à l'Est et où le protestantisme, né de volontés très diverses de réformes, prend une place concurrente forte.

Les positions de l'orthodoxisme et du protestantisme sont alors très différentes. La plupart des historiens s'accordent sur ce point, même s'ils ne sont pas toujours d'accord pour affirmer que l'Église romaine catholique forme un bloc cohérent, au-delà des divisions par continents ou sphères de civilisation. Aujourd'hui, alors que le christianisme est traversé par maints courants (dont l'évangélisme n'est pas le moindre), parler de la position de l'Église catholique, c'est parler de la doctrine officielle en cours à Rome. Celle-ci assume les couches successives des réflexions sur la guerre, mais de nos jours, avec les nouvelles manières de faire la guerre et la planétarisation des problèmes, elle affirme une doctrine qui tranche beaucoup avec celle qui précède, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale.

 

Des changements profonds dans l'Église catholique

      Georges MINOIS estime que "l'histoire des rapports entre l'Église et la guerre nous apprend évidemment plus sur l'Église que sur la guerre. Son attitude a évolué considérablement. Le discours classique d'après lequel "l'Église a toujours dit ceci" ou "l'Église a toujours dit cela" est une pure illusion. Comme toute institution, l'Église a profondément changé sa façon de voir, tout en prétendant le contraire. Son discours sur la guerre aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui qu'elle tenait au XVIIe siècle".

Il faut dire que le mouvement de sécularisation, notamment du siècle des Lumières (XVIIIe siècle) a profondément bouleversé la donne politique et sociale. "De plus, l'Église a parlé plusieurs langages. Il y a toujours eu en son sein des pacifistes, des belliqueux, des fanatiques agents de guerres saintes, des doux et humbles, des tièdes, des raisonnables. En dépit de sa structure monolithique centralisée et hiérarchisée, des voix discordantes ont retrouvé moyen de se faire entendre. Il faut donc se garder des généralisations abusives. Simplement, à chaque époque, certaines tendances s'expriment plus fort que d'autres.

L'attitude de l'Église par rapport à la guerre a évolué en fonction de deux éléments principaux. Le premier est la place occupée par l'Église dans la société, qu'elle le contrôle ou qu'elle lui est soumise. Le second est la nature et la technique de la guerre, suivant qu'elle est plus ou moins meurtrière, plus ou moins cruelle, plus ou moins générale, plus ou moins contrôlée. L'Église est une institution religieuse. Or toute ferveur religieuse repose sur une tension nécessaire entre une réalité imparfaite et un idéal parfait. Toute vie religieuse est d'une certaine façon un combat, et la vigueur d'une religion a besoin de l'aiguillon du mal à combattre. Toute la question est de savoir si ce mal à combattre est purement intérieur et spirituel, ou s'il est incarné, auquel cas il doit faire l'objet d'une guerre sainte, afin de l'éliminer. C'est là le drame d'une religion institutionnalisée, dont l'Église catholique est le type même. Dans une religion non institutionnalisée, telle que l'était le christianisme primitif, le seul combat est le combat spirituel, le combat intérieur de l'individu contre le mal. S'il est persécuté, la seule réponse est le martyre, car il ne se bat pas pour ce monde, mais pour le royaume de Dieu, qui n'est pas de ce monde et qu'il a hâte de rejoindre. En revanche une religion-institution se doit de survivre en ce monde ; elle est implantée dans le monde, elle est l'Église visible, signe sur terre de l'Église invisible, de la Cité de Dieu. Elle doit faire face à ses ennemis, qui, ennemis du vrai Dieu, sont nécessairement les incarnations du mal. Le combat spirituel, associé au martyre, transféré dans le domaine des luttes terrestres, devient alors guerre sainte. Une religion-institution ne peut y échapper, d'une façon ou d'une autre, sous peine de disparaître."

"Le choc de la première guerre mondiale réveille les théologien ; si les Églises nationales opposées ont pu légitimer une pareille guerre en s'appuyant toutes sur la théologie de la guerre juste, c'est que cette dernière était fondamentalement mauvaise. La prise de conscience est lente ; la guerre idéologique et l'arme atomique vont stimuler la réflexion pour aboutir aux déclarations pontificales d'aujourd'hui : la guerre sainte est un non-sens ; la guerre juste est une erreur. Et la guerre tout court? L'Église, désengagée de la politique, en revient partiellement à son attitude initiale : la seule guerre légitime pour le chrétien est le combat spirituel intérieur. Pour ce qui est des guerres terrestres, elles étaient au cours des premières siècles laissées à la libre appréciation de la conscience individuelle. La guerre contemporaine, avec sa menace atomique, bactériologique et chimique, ne laisse plus une telle possibilité de libre appréciation, car ses destructions sont hors de proportion avec les torts qu'elle serait supposée punir. En fait, il n'y a plus le choix : la guerre est un mal ; elle existe toujours, mais le droit de guerre a vécu.

La guerre n'est plus qu'un fait irrationnel, un scandale permanent à faire disparaître, comme la famine et les épidémies. Si ces dernières ont disparu des pays avancés, c'est que personne n'avait intérêt à leur perpétuation. Si la guerre disparaît un jour, ce sera également parce que personne n'y trouvera plus son compte. En remplaçant la théologie de la guerre par la théologie de la paix, l'Église tourne une page très désagréable de son histoire. Mais son discours de paix d'aujourd'hui est moins écouté que son discours de guerre d'hier. Le vrai combat, celui de l'homme spirituel contre lui-même, ne fait que commencer ; c'est ce combat qu'avait lancé la première Église, et qu'elle a délaissé progressivement pour s'occuper des guerres temporelles. Ce que les théologiens, la hiérarchie, les fidèles de l'Église comprennent de plus en plus, à des rythmes différents, c'est qu'il n'y a pas de politique chrétienne, pas d'économie chrétienne, pas de guerres chrétiennes. Il y a des chrétiens qui font de la politique, de l'économie ou la guerre. ce retour à l'individu est fondamental et indispensable. C'est le retour à l'esprit authentique du christianisme. Ce ne sont pas les idées ou les nations qui s'affrontent, ce sont des hommes, animés par des idées, des idéologies, des imaginations, c'est-à-dire des illusions. Ce n'est pas au niveau des institutions et des textes que se situe la guerre ou la paix, car ces institutions et ces textes dépendent entièrement des hommes qui les appliquent. "C'est dans le coeur des hommes que naissent les guerres" disait Paul VI. C'est donc là que l'Église se doit d'agir, en formant la spiritualité humaine."

 

     Mais, malgré cette nouvelle théologie dominante de la paix, qui intervient dans un contexte très sécularisé en Occident, nombre de théologiens et de fidèles qui se rattachent à l'Église catholique dépendent encore de toute cette sédimentation de théologie de la guerre juste, voire pour une très faible minorité d'entre eux, de la guerre sainte. Aussi, l'exposé de ces sédiments s'avère encore utile pour comprendre les différentes réactions qui se font jour à l'occasion de nouvelles guerres contemporaines.

 

Les sources de la position de l'Église catholique  

    René COSTE présente les sources de la doctrine de l'Église catholique :

- les sources bibliques ;

- la tradition théologique ;

- le concile Vatican II ;

- des points de repères éthiques contemporains.

 

   La Bible (Ancien et Nouveau Testament), considérée comme Parole adressée par Dieu à l'humanité, consignée sous l'inspiration de l'Esprit-Saint (dogme catholique toujours), "n'apporte pas de réponse directe aux problèmes concrets que nous devons affronter aujourd'hui en ce qui concerne la guerre et la paix." La théologie sociale, propre à l'Église catholique, "rappelle constamment que la Parole de Dieu, tout en nous fournissant des orientations et des critères fondamentaux, nous renvoie à notre propre responsabilité". Le principe herméneutique fondamental est que "La Bonne Nouvelle de la Révélation de Dieu à l'humanité, qui a culminé en Jésus-Christ, celle de Dieu libérateur, du Dieu qui est Amour, du Dieu qui, d'après la foi chrétienne, est Père, Fils et Esprit -, peut être légitimement synthétisée dans l'expression suivante de l'Épitre aux Éphésiens 6, 15 : l'Évangile de la Paix."

Le professeur à l'Institut catholique de Toulouse propose de relire ce passage de l'Épitre, "auquel on est loin généralement de reconnaître toute l'importance qu'il mérite : "Débout donc : à la taille, la vérité pour ceinturon, avec la justice pour cuirasse et comme chaussures aux pieds, l'élan pour annoncer l'Évangile de la paix". L'Apôtre s'adressait à l'ensemble des chrétiens. Nous aurons remarqué son saisissant vocabulaire militaire. Les chrétiens sont ainsi invités à constituer une armée non pas de conquête militaire par la violence, mais d'évangélisateurs de la Bonne Nouvelle de la Paix du Christ. Il s'agit d'une prodigieuse entreprise de conversion et de transformation de la société à la lumière de l'Évangile. Il faut pour cela courage, audace, lucidité, patience, persévérance (...)". C'est dans l'Ancien Testament : la Paix fondée sur le "droit et la justice" que l'on peut trouver les premiers fondements d'une doctrine sur la guerre et la paix ; à travers la saisissante présence de la guerre dans les livres saints, la notion de shalom, le Plan de Dieu par rapport à l'humanité, le principe de légitime défense et les deux notions réunies de justice et de paix. Le Nouveau Testament prolonge et précise la paix comme conception théologique et comme commandement de la non-violence évangélique.

 Avec une emphase que nous lui laissons bien volontiers, René COSTE indique les éléments qui font "la profondeur et la richesse du concept néo-testamentaire". Il cite ainsi les versets suivants :

-  "La Paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus-Christ" "Le Dieu de la paix sera avec vous" (Paul, Ph. 4,7) ; Comment interpréter ces assurances que l'Apôtre donne à ses chrétiens sans penser à sa foi au mystère trinitaire, ainsi qu'à sa doctrine de la présence divine au plus intime de l'être du baptisé et à celle de l'incorporation du Christ? La Paix de Dieu est, à sa source, Amour entre le Père, le Fils et l'Esprit. Si la théologie de la pais est, d'abord, théologie de la charité, c'est que la paix a précisément sa source dans le coeur même du Dieu trinitaire.

- Le texte paulinien (du, rappelons-le, premier Apôtre à concevoir l'évangélisation de manière globale dans tout l'Empire, par ses voyages et ses prédications) le plus dense théologiquement est Ep. 2, 13-17 : Jésus-Christ y est non seulement audacieusement identifié à la paix, il y est même présenté comme "notre paix". Grâce à lui, plus précisément, "dans sa chair"", "au moyen de la croix", elle devient la réconciliation fondamentale entre Dieu et l'humanité. Aux yeux de l'Apôtre, s'est réalisée en Jésus l'antithèse par rapport au récit symbole de la Genèse. La haine et le mensonge du serpent avaient poussé l'humanité au Péché. Celle-ci, en se révoltant contre Dieu, avait engendré dans son sein la vis sans fin de la Violence. La Croix est la nouvelle et définitive victoire de l'Amour. En Jésus ont commencé à se réaliser l'humanité pacifiée et la société fraternelle.

- Dans le quatrième évangile (celui de Jean), la paix est toujours présentée en relation avec la personne du Christ, sa présence et son action vivifiante : "Je vous laisse la paix, je vous donne la paix. Ce n'est pas à la manière du monde que je vous la donne". Ces confidences, mises sur les lèvres de Jésus de la dernière cène (avant la crucifixion), ne sauraient mieux affirmer, d'un même mouvement, la valeur inestimable de la paix qu'il donne à ses disciples et sa différence d'essence par rapport à la paix humaine.

- Il est capital de se remémorer la béatitude matthéenne de "ceux qui font oeuvre de paix (Matthieu 5,9). René COSTE traduit : "bâtisseurs de paix". Il s'agit désormais de mettre toute son énergie au service de la paix juste.

- Il y a incontestablement un commandement évangélique de non-violence (notamment Matthieu 5, 38-42). jésus lui-même a refusé de recourir à la force pour se défendre, au moment de son arrestation. En refusant le messianisme politico-religieux de la majorité de ses compatriotes (signification symbolique essentielle du récit de la Tentation), il avait, par le fait même, refusé le recours à la violence pour l'accomplissement de sa mission. Il avait, dès le début de son ministère public, définitivement choisi de s'adresser à la conscience humaine par le témoignage de la Vérité et de l'Amour. Comment interpréter ce commandement? Trois remarques :

. Il est la conséquence logique du commandement de "charité", d'autant plus qu'il embrasse nécessairement l'amour des ennemis. le minimum de l'amour à l'égard du prochain n'est-il pas de renoncer à toute violence par rapport à lui?

. Il est cependant, comme toute l'éthique évangélique, soumis à la régulation suprême du commandement de la charité. N'y-a-il pas des situations, dans un monde de violence et de péché, où l'on pourra estimer raisonnablement que l'amour effectif du prochain nous demande de recourir à la violence, afin de le défendre efficacement contre un injuste agresseur?

. Certains textes du Nouveau Testament nous empêchent de recourir comme s'imposant de soi à une interprétation rigide de la non-violence évangélique.

- Luc rapporte la réponse de Jean-Baptiste à des soldats qui lui demandaient ce qu'ils devaient faire pour réaliser la conversion intérieure qu'il prêchait : "Ne faites no violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde." Ceux-ci étaient plutôt des hommes prêtant main-forte aux agents du fisc et on ne peut pas en tirer une approbation générale du métier militaire. Il contient, cependant, au moins une approbation indirecte de l'usage légitime de la force, dans le cadre de la politique interne d'un Etat, puisqu'il n'est pas demandé à ces hommes de bonne volonté de renoncer à leur profession. Certes, on peut objecter que le Baptiste appartenait encore à l'économie de l'Ancienne Alliance. Mais il sera facile de répondre que l'évangéliste garantit sa conformité à de la doctrine chrétienne par son approbation implicite, qui est certaine.

- Luc, toujours, en accord avec Matthieu, nous laisse un texte à la valeur d'argumentation plus forte. C'est l'histoire de ce centurion qui fait demander à Jésus par "quelques notables des Juifs" (Luc 7,3) de bien vouloir guérir son serviteur malade, et cela en des termes empreints d'une telle foi qu'ils provoquent l'admiration du Maître, qui le donne en exemple à la foule qui l'entourait : "Je vous le déclare, même en Israel, je n'ai pas trouvé une telle foi" (Luc 7,9). Sans doute, un centurion pouvait-il être affecté provisoirement à des emplois civils de l'État ; il n'en restait pas moins essentiellement un officier de l'armée romaine (qui occupait alors la Palestine). Or, la tradition évangélique n'a pas un mot pour réprouver cette profession.

- Deux textes concernant la conception chrétienne de la politique, à l'âge apostolique, sont également très importants : Romains (EpÎtre aux Romains) 13,1-5, 1 P 2, 13-14. L'un et l'autre assignent comme mission première au pouvoir politique l'exercice de la justice. Comme l'affirme le premier à propos de l'"autorité" : "Ce n'est pas en vain qu'elle porte le glaive ; en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur" (Rm 13,4). Il est évident que le pouvoir politique peut avoir à faire respecter la justice, non seulement contre les perturbateurs de l'Etat, mais encore contre des ennemis extérieurs.

  René COSTE, tout en accentuant le trait vers une relativisation du message non-violent de l'Évangile, regrette qu'au cours de l'histoire, on ne lui ait pas prêté davantage attention...

 

   La tradition théologique commence véritablement à partir de l'époque de CONSTANTIN, car jusque là, le problème de la guerre n'a pas été primordial pour l'Église. Auparavant, le recrutement de chrétiens dans l'armée posait problème dans la mesure où les soldats étaient obligés de prêter serment à l'empereur et d'honorer les dieux païens. Le problème résultait plus finalement dans le danger de l'idolâtrie que dans l'emploi de la violence, et face à cela plusieurs interprétations s'affrontaient dans l'Église primitive. Mais une fois l'Empire chrétien proclamé, l'Église prend nettement position en faveur du service militaire, devoir même pour le service concret des chrétiens à leurs frères, dans un monde de violence (et réellement plus violent qu'au Ier ou IIe siècle, voire IIIe). Certains évêques faisaient l'éloge de la fonction sociale du soldat. Mais l'idéal évangélique de la non-violence ne disparaît pas, car un puissant mouvement monastique se développe tout au long des siècles du"Moyen-Age". C'est tout-à-fait en parallèle à l'élaboration de la doctrine catholique que des chrétiens choisissent de se retirer et de vivre en communautés restreintes fidèles à des principes de fraternité et de non-violence.

AUGUSTIN, avec La Cité de Dieu, pose le premier fondement de cette doctrine, dans une défense du christianisme accusé par ses ennemis d'être le responsable de la chute de Rome. "C'est l'injustice de l'adversaire, écrit-il, qui contraint le sage à des guerres justes". D'après l'Évangile, c'est le principe de charité qui est absolu (pas celui de justice...) et non pas celui de la non-violence. La problématique augustinienne, indique René COSTE toujours, est à l'origine de la tradition théologique catholique concernant les problèmes de la violence et de la guerre, et notamment de la doctrine dite de la "guerre juste", "qu'on ferait mieux sans doute d'appeler - en vie d'éviter les ambiguïtés d'interprétation - la doctrine théologique de la résistance collective contre l'agression. Il n'y a rien de belliqueux dans cette tradition : seulement la volonté d'assumer d'une façon responsable la dynamique évangélique de la charité, dans un monde de violences et de guerres. Cette volonté a pu être parfois perdue de vue dans la sécheresse dialectique des manuels. Elle a été, en tout cas, profondément consciente chez de grands docteurs."

Parmi ces "grands docteurs" figurent immédiatement après THOMAS d'Aquin, avec son Traité, Somme théologique. Il s'appuie constamment sur le Nouveau Testament et sa référence essentielle est AUGUSTIN. "Est-ce toujours un péché de faire la guerre?" Cette question signifie qu'il y a présomption de péché par rapport à la guerre et que, face à un ca précis, afin d'avoir le droit d'y participer en conscience, il faudra avoir pu se convaincre qu'elle n'est alors pas un péché. On ne se résoudra à la guerre que si la charité dans sa composante de justice, nous l'impose. Les conditions d'une guerre juste, sont au nombre de trois :

- L'autorité du prince, sur ordre de qui la guerre doit se faire...;

- une cause juste : c'est-à-dire qu'il est requis que ceux qui sont attaqués méritent de l'être en raison de quelque faute...;

- une intention droite chez ceux qui font la guerre ; c'est-à-dire qu'on doit se proposer de promouvoir le bien ou d'éviter le mal.

Ces trois conditions sont reprises indéfiniment par ses successeurs, avec des adaptations et des commentaires, suivant l'époque.

Dans le sillage directe de THOMAS d'Aquin, René COSTE cite le dominicain François de VITORIA (1483-1546), l'un des maitres de la théologie sociale. Son apport concerne les répercussions de la guerre : "Une guerre est injuste pour la seule raison que, malgré son utilité pour telle province, elle causerait un dommage à l'univers et à la chrétienté." A noter tout de même que cette réflexion va alors à contre-courant de pratiques contre des adversaires, qu'ils soient Européens, Musulmans ou Indiens d'Amérique" et que l'ensemble de la hiérarchique catholique est plutôt dans le registre de la justification des guerres menées par les différentes monarchies. Si la lignée présentée par René COSTE mène effectivement à la théologie de la paix contemporaine, ce qui nous intéresse principalement ici, il ne faut pas oublier que dans cette lignée, les idées exprimées sont à leur époque minoritaires.

Nous pouvons citer avec René COSTE, Bartholomé de Las Casas (1474-1566), Erasme, Francisco Suarez (1548-1617); le Père Louis Taparelli d'Azeglio (1793-1862) et dans le XXe siècle, le Père de la Brière, le Père Delos, don Luigi Sturzo, ainsi que les auteurs du Manifeste de Fribourg, du 19 octobre 1931, "qui exprimait la pointe avancée de la théologie catholique à cette époque". Il retient l'oeuvre doctrinale de Pie XII, à cause de sa valeur intrinsèque, et parce qu'elle a été la base de la pensée du concile Vatican II concernant les problèmes de la guerre et de la paix.

 

  Ayons toujours à l'esprit que cette lignée minoritaire ne devient dominante qu'après les boucheries de la première guerre mondiale. L'autre lignée, très dominante malgré les réticences originelles d'intellectuels chrétiens face au service militaire, part de la fondation de l'empire chrétien vers la barbarisation de l'Église pendant la période de transformation de l'empire en royaumes, par le renforcement des pouvoirs ecclésiastiques pendant tout le Haut Moyen-Âge où la doctrine de la paix de Dieu s'enlise jusqu'aux Croisades pendant lesquelles s'élaborent celle de la guerre sainte (XI-XIIIes siècles). Une véritable militarisation de l'Église s'approfondit avec "saint" Georges, Urban II, "saint" Bernard, jusqu'à l'élaboration d'une doctrine de la guerre juste, codifié notamment par le moine camaldule bolognais GRATIEN entre 1140 et 1150. Un texte, intitulé simplement le Décret (Concordiua discordantium canonun, concorde des canons discordants), est d'importance capitale car, fondé sur les écrits de Pères de l'Église, il considère la vie militaire comme très méritoire, position du Concile de Latran de 1139.

     Dans Sources du droit canonique, Jean SCHLICK rappelle que GRATIEN pose diverses questions qui le préoccupent : Huit questions qui taraudent les diverses instances dirigeantes de l'Église :

- A cette occasion, on cherchera, premièrement, si c'est un péché de faire la guerre ;

- Deuxièmement, quelle guerre est juste, et comment les guerres des israélites étaient faites avec justice ;

- Troisièmement, si l'injure faite aux nôtres, à nos alliés, doit être repoussée par les armes ;

- Quatrièmement, si la vengeance est permise ;

- Cinquièmement, si le juge ou son ministre commet un péché en ordonnant la mort du coupable ou lui donnant la mort ;

- Sixièmement, si les méchants peuvent être contraints pour l'accomplissement du bien ;

- Septièmement, si les hérétiques peuvent être dépouillés de leurs biens propres et des biens de l'Église ;

- Huitièmement, s'il est licite pour les évêques, et plus généralement pour les clercs, de prendre les armes, en vertu de l'autorité apostolique ou du commandement de l'empereur. (Merci à Walter) Ce décret qui reprend la forme usuelle de l'enseignement médiéval fait autorité jusqu'au Code de droit canon de 1917.

        Le Décret de GRATIEN sera repris, écrit Georges MINOIS "dans de nombreux commentaires à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, qui vont en approfondir le sens. Si Huguccio se contente de déclarer que "la guerre est juste quand elle est faite par le juste édit du prince", maître Riffin, dans la Summa decretorum de 1157, pose nettement trois conditions : la guerre est juste si celui qui la déclare a l'autorité légitime, si celui qui la fait s'exécute avec bonté et n'a aucune empêchement canonique, et si celui à qui elle est faite le mérite. Vers 1210, Laurant l'Espagnol (Hispanus) étend le nombre de critères à cinq, dans son Apparatus, et vers 1240, Raymond de Penafort, reprenant ce nombre formule ce qui va devenir la doctrine classique : "Note que cinq points sont exigés pour que la guerre soit juste, à savoir la personne, l'objet, la cause, l'esprit et l'autorité. La personne : qu'elle soit une personne du siècle à laquelle il est licite de répandre le sang, et non une personne ecclésiastique, à laquelle cela est interdit sauf en cas de nécessité inévitable. L'objet : que ce soit pour recouvrer des biens ou défendre la patrie. La cause : que ce soit par nécessité, pour que la paix soit acquise par le combat. L'esprit : que la guerre ne soit faite ni par haine ni par vengeance. L'autorité : qu'elle soit faite par l'autorité de l'Église, principalement lorsqu'on combat pour la foi, ou par l'autorité du prince. Si l'un de ces points manque, que la guerre soit dite injuste."

Une théologie, une pastorale et une mystique de la guerre fleurissent, prospèrent, permettant plus tard (1565-1605) les guerres de religion, lesquelles permettent ensuite la sanctification des guerres royales (contradictoirement avec un retour à des valeurs "plus chrétiennes" via notamment le protestantisme) et la mise au service de la nation du Dieu des armées (1815-1914) jusqu'à la fin de la première guerre mondiale.

 

Le tournant du Concile Vatican II

  Le Concile Vatican II constitue encore aujourd'hui, malgré certaines remises en cause d'une partie de la hiérarchie catholique elle-même, la référence des positions de l'Église, singulièrement en ce qui concerne les questions de guerre et de paix. Ses positions, préparées dès 1963 par l'Encyclique de Jean XXIII, Pacem in Terris, laquelle, devant l'évolution technologiques des armements et notamment l'apparition des armements nucléaires, estime qu'il "devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d'une violation de droits" (article 123). Les directives, concernant la guerre, de Vatican II, sont contenues dans la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps : "Gaudium et Spe". Un chapitre entier est consacré aux problèmes de guerre et de paix sous le titre "La sauvegarde de la paix le la construction de la communauté des nations". René COSTE se concentre sur la première section, intitulée "Éviter la guerre". 

Pour le Concile, citant le prophète Isaïe (32, 17), la paix est avant tout "oeuvre de justice", un thème qui est repris ensuite avec insistance par les différentes conférences épiscopales de la guerre et de la paix de 1983. Avec ce Concile, la doctrine de paix de l'Église devient une théologie de la paix. C'est la "paix du Christ" que l'Église doit présenter au monde. C'est d'abord, explique René COSTE, "la paix intime de celui en qui les chrétiens reconnaissent le Fils de Dieu, qui est fondamentalement le partage de la paix du Dieu trinitaire : communication totale, amour infini, harmonie parfaite entre les Trois Divines Personnes. Cette paix qui est sienne, le Christ nous en fait don, si nous le voulons. Des exigences capitales en découlent pour toutes les relations humaines : celles de contribuer de toutes ses forces au dialogue, à la compréhension, à l'entraide, à la fraternité et à la paix entre les hommes." Le texte du Concile dit : "Poussés par le même esprit, nous ne pouvons pas ne pas louer ceux qui, renonçant à l'action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense, qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres ou de la communauté (article 78). Tout effort pour résoudre pacifiquement les conflits, toute action entreprise loyalement en faveur du maintien et de la croissance de la paix, les améliorations de la condition des travailleur, le respect des minorités ethniques, raciales ou religieuses, la coopération au développement du tiers-monde, tout acte de justice ou de charité, tout ce qui a pour but de rendre le monde plus fraternel, que ce soit sur le plan politique, économique, social ou culturel, tous ces comportements (à la condition qu'ils n'impliquent pas le recours à la violence) méritent à quelque degrés d'être considérés comme des réalisations pratiques de la non-violence. Beaucoup estiment qu'il y a là une édulcoration de l'Évangile quand d'autres se scandalisent d'une certaine remise en cause de postulats économiques et politiques, sans parler de certains attendus stratégiques et d'une attaque contre l'institution militaire au sens large.

En fait, il s'agit là en quelque sorte d'un retour à certaines intuitions du christianisme primitif; sans faire, insiste René COSTE, un exigence absolue de la non-violence. Découlant de ces principes, le Concile condamne crimes de guerre et les crimes contre l'humanité qui appellent la plus sévère réprobation. De même l'objection de conscience, authentique et de bonne foi, est reconnue entièrement, avec la restriction, lorsque le service militaire existe, que les objecteurs de conscience acceptent de servir sous une autre forme la communauté humaine (article 79). La question se pose de savoir si les dispositions de Vatican II impliquent l'abandon de la doctrine traditionnelle dite de la guerre juste. De nombreuses lignes semblent faire répondre par la négative : "La guerre, assurément, n'a pas disparu de l'horizon humain. Et aussi longtemps que le risque de guerre subsistera, qu'il n'y aura pas d'autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense. Les chefs d'État et ceux qui partagent les responsabilités des affaires publiques ont donc le devoir d'assurer la sauvegarde des peuples dont ils ont la charge, en ne traitant pas à la légère des questions aussi sérieuses. Mais faire la guerre pour la juste défense des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d'autres nations en est une autre. La puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force à des fins politiques ou militaires. Et ce n'est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient, par le fait même, licite entre parties adverses. (article 79).

Le concile aborde le problème spécifique de la guerre totale et défend avec fermeté le principe de l'immunité de la population civile : "Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l'homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation." (article 80). L'abandon de la reconnaissance juridique de la distinction entre combattants et non-combattants est un retour à la barbarie, et une lecture stricte de ce qui précède revient à condamner nombre d'actions entreprises par maints acteurs de la Seconde guerre mondiale.

Les participants du Concile ne pouvait donc pas ne pas aborder la question de la dissuasion nucléaire, mais en définitive, il ne se prononce pas directement à son sujet : "Quoi qu'il en soit de ce précédé de dissuasion, dit-il" (article 81). le Concile, sans entrer dans une argumentation sur la dissuasion nucléaire, demande qu'on choisisse "des voies nouvelles en partant de la réforme des esprits pour en finir avec ce scandale et pouvoir ainsi libérer le monde de l'anxiété qui l'opprime et lui rendre une paix véritable" (article 81) ; "Mettons à profit le délai dont nous jouissons" semble viser, dans le même article, aussi bien la dissuasion nucléaire que la course aux armements elle-même. 

Suivent dans le texte conciliaire, les directives concernant l'absolue proscription de la guerre et préconise "l'institution d'une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d'une puissance efficace, susceptible d'assurer à tous le respect de la justice et la garantie des droits" (article 82).

 

Les points de repères contemporains

    Un certain nombre de points de repère éthiques pour notre temps est proposé par René COSTE.

Sur le plan de la raison et sur celui de la foi, l'Église catholique considère comme son devoir, "dans une prise de position qui forme un tout indissociable, de maintenir, même pour notre époque, le principe de la légitime défense collective, et d'affirmer d'une façon péremptoire l'irrationalité radicale de la guerre et sa contradiction radicale avec la volonté divine d'une humanité pacifiée. D'où la conséquence qu'il faut tout mettre en oeuvre pour la faire disparaître des horizons de l'histoire. Notre position est celle-là même que Jean-Paul II explicitait pour son propre compte, dans son Message pour la quinzième journée mondiale de la Paix, avec ses deux principes conjoints :

a) celui selon lequel "les peuples ont le droit et même le devoir de protéger, par des moyens proportionnés, leur existence et leur liberté contre un injuste agresseur" ;

b) celui aussi selon lequel "la guerre est le moyen le plus barbare et le plus inefficace de résoudre les conflits".

Le 30 mai 1982, à Coventry, le pape déclarait : "Aujourd'hui, l'ampleur et l'horreur de la guerre moderne - nucléaire ou non - la rendent totalement inacceptable comme moyen de régler les différends entre les nations. La guerre devrait appartenir au passé tragique, à l'histoire ; elle ne devrait pas trouver place dans les projets futurs de l'humanité."

Des déclarations successives depuis vont dans le même sens, précisant davantage le sens d'une action en profondeur contre les causes de la guerre : la course aux armements, d'une manière immédiate, conte les facteurs d'injustice de manière structurelle. La solidarité et ses composantes essentielles sont la base de la construction de la paix. A plusieurs reprises, Paul VI et Jean-Paul II ont pris vigoureusement position conte l'utilisation systématique et précipitée de la violence préconisée par certaines idéologies, dans le cadre du combat des classes sociales ou des peuples opprimés pour faire cesser leur exploitation :  "ceux qui discréditent la voie des réformes au profit du mythe de la révolution, non seulement , nourrissent l'illsion que l'abolition d'une situation inique suffit par elle-même à créer une société plus humaine, mais encore favorisent l'avènement de régimes totalitaires. La lutte contre les injustices n'a de sens que si elle est menée en vue de l'instauration d'un nouvel ordre social et politique conforme aux exigences de la justice. Celle-ci doit déjà marquer les étapes de son instauration. Il y a une moralité des moyens" (Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, n°78, Congrégation pour la Doctrine de la foi). "Ces principes, ajoute ce document, doivent être spécialement appliqués dans le cas extrême du recours à la lutte armée, indiquée par le magistère comme l'ultime remède pour mettre fin à une "tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait dangereusement au bien commun d'un pays". 

René COSTE termine son exposé sur la doctrine de l'Église catholique en réaffirmant le droit et le devoir de l'Église catholique d'intervenir dans les affaires de ce monde. "Humblement, mais fermement, l'Église doit avoir la lucidité et le courage du témoin de la Parole de Dieu (car celle-ci est la base fondamentale de sa foi), comme Ambroise devant Théodose, comme Augustin posant les fondements de la problématique théologique de la guerre et de la paix, comme le dominicain François de Vitoria face aux conquérants espagnols du Nouveau Monde, comme Benoît XV dans ses propositions de pais de 1917 qui auraient évité à l'Europe tant de tragédies ultérieures, comme Paul VI dans son discours de 1965 à l'ONU et Jean-Paul II dans ses appels d'Hiroshima et de Coventry. De plus en plus, les Églises se sentent pressées de remplir ce rôle prophétique de témoins de la paix par leur propre foi en la Parole de Dieu. Elles ne peuvent pas s'y dérober. Tout en pratiquant le plus grand effort de dialogue avec tous, elles doivent, comme les prophètes et Jésus, garder leur indépendance, qui garantit à la fois leur responsabilité évangélique et leur service désintéressé de leurs frères humains."

 

 

René COSTE, Doctrine fondamentale de l'Eglise catholique concernant le problème de la guerre et de la paix, dans Les religions et la guerre, Sous l'égide du Secrétariat général de la Défense nationale, Cerf, 1991. Georges MINOIS, l'Église et la guerre, De la Bible à l'ère atomique, Fayard, 1994.

On consultera avec profit l'ouvrage Paix sur la terre - Pacem in terris (11 avril 1963), Paul VI, Jean Paul II, mars 2003, collection "documents d'église, Bayard/Cerf/Fleurus-Mame. Dans cet ouvrage, figurent au sommaire, une préface du cardinal français Roger Etchegaray, une présentation de Michel Rougé et Jean Pierre Guérend, le Message de Jean Paul II pour le 40ème anniversaire de Pacem in Terris, le texte intégral de l'encyclique et la Lettre du cardinal Roy à Paul VI pour le 10ème anniversaire de Pacem in Terris.

De même existe un petit livre très accessible écrit par le Père Lalande, La paix est entre nos mains, éditions du "Livre ouvert", collection Paroles de vie.

Le site www.eglise.catholique.fr et celui du Vatican fournissent également des informations sur la position de l'Église catholique sur la guerre et le paix.

 

RELIGIUS (merci à Walter pour son courriel sur le Décret de GRATIEN)

 

RELIGIUS

 

Relu le 10 août 2020

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