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16 octobre 2010 6 16 /10 /octobre /2010 06:20

              Il existe des livres clés pour comprendre à la fois le monde et l'évolution des idées et L'homme neuronal, de Jean-Pierre CHANGEUX, chercheur dans plusieurs domaines de la biologie, de la structure et de la fonction des protéines, au développement précoce du système nerveux, publié en 1983, en fait partie.

Il fait le tour des nouvelles acquisitions de connaissances qui ont continué (et se sont même accéléré depuis), qui ont donné naissance à un nouveau corpus nommé neurosciences. Destiné à un public en majorité étudiant mais ouvert à un très large public - certains chapitres trop techniques pour certains peuvent dans une certaine mesure survolés, l'ouvrage assez copieux, abondamment pourvu de figures, peut servir d'introduction aux connaissances actuelles en biologie. Il donne en tout cas une vision assez impressionnante des nouvelles connaissances, dont le même auteur effectue en 2008, une nouvelle synthèse dans Du Vrai, du Beau, du Bien. Si l'on veut comparer les deux ouvrages - en mettant de côté le renouvellement des connaissances scientifiques - ce dernier donne une plus grande place aux interprétations philosophiques de l'auteur, induites selon lui par ces nouvelles connaissances. Aussi, c'est comme cela, sans forcément entrer dans une polémique sur la place des sciences biologiques au sens large dans la constitution d'une nouvelle vision de la vie en société ou sur la place de l'homme dans l'univers, que peut se lire L'homme neuronal.                                                                                                                                Pendant toute sa carrière scientifique, Jean-Pierre CHANGEUX est fidèle à une conception moniste du cerveau de l'homme, du niveau moléculaire au niveau cognitif. Il est convaincu que la sélection est à la base de processus vitaux plutôt que l'instruction, et que le cerveau a une véritable activité, qu'il ne se borne pas à répondre aux incitations de l'environnement. Ce point de vue l'oppose à des philosophes comme RICOEUR, qui soulignent entre autres toujours le danger d'une perception de l'homme trop dépendante de l'acquisition récente d'un type de connaissances scientifiques (chose sans doute inévitable, mais dont il importe d'être très conscient et critique...). 

 

 

            Foisonnant, mais moins touffus que l'ouvrage de 2008, L'homme neuronal est une très bonne introduction à ce qui est aujourd'hui regroupé sous le terme de neurosciences, bien plus donc que Du Vrai, du Beau, du Bien, qui entre dans des considérations philosophiques importantes et sans doute nécessaires.

L'auteur examine ce qu'on appelle l'organe de l'âme, de l'Égypte ancienne à la Belle Époque, survol historique des différentes recherches qui fondent la connaissance scientifique, qui se dégage de considérations spirituelles et qui situent le cerveau dans une perspective strictement matérialiste. Le biologiste entre ensuite dans le détail des "pièces détachées", des substrats, qui, assemblés d'une certaine manière, permettent le fonctionnement du cerveau. Dans les chapitres suivants (Les esprits animaux, Passage à l'acte, Les objets mentaux....), il s'agit de comprendre, par de multiples expériences qui mettent en jeu l'électricité cérébrale, non seulement comment se forment les représentations de l'extérieur de l'organisme, mais également, carrément, la conscience. Ses explications dans Les aspects génétiques, qui seront amplement développés plus tard dans le livre de 2008, permettent de concevoir comment se transmettent, de l'appareil génétique aux cellules nerveuses, les modèles de comportements, à travers des expérience notamment sur les embryons humains. C'est ce qui amène l'auteur à l'hypothèse de l'Épigenèse, ou comment l'assemblage du cerveau se stabilise de génération en génération, sous l'effet des modifications environnementales. A l'époque de la rédaction du livre, les données expérimentales concernant ce processus sont minces; Ce qui ne l'empêche pas de proposer comme hypothèse une Anthropogénie, un schéma biologique de transformation du cerveau des primates, tout en soulignant que le mécanismes génétiques qui sont intervenus dans la poussée évolutive qui va de l'Homo habilis à l'Homo sapiens sapiens resteront vraisemblablement longtemps hors d'atteinte. 

 

          A travers des expériences de régénération de cellules du cerveau dans le cas de traitement de maladies "organiques", Jean-Pierre CHANGEUX se propose d'examiner "la relation d'interaction réciproque qui s'établit chez l'homme entre le social et le cérébral" et termine son livre sur une note inquiète à propos de liens dégradés entre l'homme et son environnement. Ces liens dégradés sont-ils en train de dévaster le cerveau humain? S'il prend comme fait marquant l'utilisation de plus en plus fréquente de tranquillisants par les hommes pour continuer tout simplement à vivre et à se supporter, nous pouvons deviner que son propos est plus vaste. Ceci est confirmé à la lecture de Du Vrai, du Beau, du Bien. Si les lecteurs qui se sont précipités sur ce dernier livre ont le sentiment de se perdre un peu dans la richesse des réflexions d'ordre historique, biologique, moral, philosophique... que le praticien et le théoricien des neurosciences y expose, abordant la notion de neuroculture par exemple, nous ne pouvons que conseiller de lire d'abord L'homme neuronal pour s'ancrer dans des connaissances sur le cerveau.

      

          C'est la la nature de la conscience que Jean-Pierre CHANGEUX explore en fin de compte. Vers la fin du dernier ouvrage, nous pouvons lire les différentes étapes de réflexion et d'expérimentation (au niveau des structures cellulaires du cerveau) qui lui permettent d'effectuer une modélisation des fonctions cognitives.

Notons particulièrement à une de ces étapes "l'architecture de base de l'organisme formel proposé repose sur deux principes :

- La distinction de deux niveaux d'organisation : un niveau de base sensori-moteur et un niveau supérieur (...) où se situe un générateur de diversité encodé par des groupes de neurones-règles dont l'activité varie alternativement d'un groupe à l'autre ;

- L'intervention de neurones de récompense - ou de renforcement positif ou négatif - dans la sélection de la règle qui s'accorde avec le signal reçu du monde extérieur (donné par exemple par l'expérimentateur)."  

Par la suite un modèle "plausible des bases neuro-anatomiques de l'espace de travail conscient (...) a pu être proposé. Celui-ce se définit comme un espace de simulation, supramodal, d'actions virtuelles, où s'évaluent buts, intentions, programmes d'action, etc, en référence à l'interaction avec le monde extérieur, les dispositions innées, le soi et l'histoire individuelle, les normes morales et les conventions sociales internalisées sous force de traces de mémoire à long terme."

L'hypothèse fondamentale de ce modèle "est que les neurones pyramidaux du cortex cérébral, qui possèdent des axones longs et sont susceptibles de relier entre elles des aires corticales distinctes et même des hémisphères cérébraux, souvent de manière réciproque, constituent la base neurale principale de l'espace de travail conscient." Jusqu'à la fin du livre, le biologiste abonde en références et de précisions, et veut montrer son attachement à une méthode scientifique stricte, confrontant constamment théories et hypothèses, dans un domaine où les "intrusions religieuses" sont légions. "Tout modèle connexionniste réaliste qui prend en compte le nombre immense de neurones cérébraux et de leurs interconnexions se heurte très rapidement à une explosion combinatoire (qui, soit dit en passant peut-être maîtrisée grâce aux outils informatiques et aux modèles mathématiques mis en place). Il existe des dispositifs cérébraux qui "encodent" cette combinatoire et sont chez l'homme acquis par l'apprentissage. D'où la propriété de "règle épigénétique" qui se construit à la suite de raisonnements, calculs, jugements, etc, et évite d'innombrables et inopérants essais et erreurs, restreignant le nombre de choix possibles dans l'espace de travail conscient. Les conséquences sont importantes en mathématique, en linguistique, en esthétique, en éthique. On peut concevoir la sélection et la mise en mémoire d'une "règle efficace" comme la sélection d'une distribution de connexions, d'états concertés d'ensembles de neurones, transmissibles de manière épigénétique, au niveau du groupe social par un mécanisme d'imitation ou de récompense partagée. C'est évidemment, une donnée de première importance pour qui s'intéresse, comme c'est mon cas, aux relations entre neurosciences et sciences humaines. ce qui nous ramène aux thèmes du vrai, du bien et du beau que nous avons suivis tout au long de cet ouvrage..."

Jean-Pierre CHANGEUX, dans la dernière ligne droite de son copieux ouvrage, examine les fonctionnements très différents à la base d'une neuroesthétique, d'une neuroéthique et des représentations scientifiques. Dans sa conclusion, le chercheur s'appuie sur un texte de René CASSIN de 1972 sur les bénéfices à long terme des découvertes scientifiques, rejoignant en cela toute la démarche des Encyclopédistes du XVIIIe siècle.

 

   L'éditeur présente ces deux livres de la manière suivante : 

- Pour Du Vrai, du beau, du bien : "J'ai écrit ce livre à partir de la matière de mes trente années d'enseignement au Collège de France. J'y traite aussi bien de la culture et de l'art que de la vie en société, de l'éthique et de la signification de la mort : aussi bien des langues et de l'écriture que des bases neurales et moléculaires de la mémoire et de l'apprentissage. Ce livre est une fresque qui rassemble quantité de données diverses, de discussions et d'hypothèses variées. Il ancre le matériau de la science contemporaine dans l'histoire de toutes ces disciplines que sont la neurologie, l'éthologie, la biologie de l'évolution, la biologie du développement, l'étude de la conscience ou encore la psychologie expérimentale et la génomie. Ce livre, enfin, essaie de montrer qu'il nous revient d'inciter sans relâche le cerveau des hommes à inventer un futur qui permette à l'humanité d'accéder à une vie plus solidaire et plus heureuses." J.-P. C.

- Pour L'homme neuronal : ""Quelle chimère est-ce donc que l'homme?, demandait Pascal. Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, que prodige!" Qu'a-t-il donc dans la tête, cet Homo qui s'attribue sans vergogne l'épithète de sapiens? Les sciences du système nerveux nous permettent aujourd'hui de mieux comprendre ce "chaos" et ce "prodige". Elles ont en effet connu, au cours des vingt dernières années, une expansion aussi décisive que celle de la physique au début du siècle, ou de la biologie moléculaire dans les années 50. Un nouveau monde se dessine et le moment parait opportun d'ouvrir ce champ du savoir à un public plus large que celui des spécialistes. Telle est l'ambition de cette somme magistrale qui voudrait faire partager à ses lecteurs l'enthousiasme qui anime les chercheurs."

 

 

        Ces deux ouvrages sont parmi les seuls en France qui font un point solide sur les neurosciences, en tant que connaissances et en tant que nouvelle (?) approche philosophique. 

       Jean-Pierre CHANGEUX (né en 1936), neurobiologiste français, professeur honoraire au Collège de France et à l'Institut Pasteur, a écrit également plusieurs autres ouvrages : Matière à penser (avec Alain CONNES, Odile Jacob, 1989) ; Raison et plaisir (Odile Jacob, 1994) ; Ce qui nous fait penser (avec Paul RICOEUR, Odile Jacob, 1998) ; L'Homme de vérité (Odile Jacob, 2002) ; Le cerveau et l'art (De Vive Voix, 2010) ; Fondements naturels de l'éthique (Odile Jacob, 1993) ; Les passions de l'âme (Odile Jacob, 2006)... A noter aussi, sous sa direction, Gènes et culture (Odile Jacob, 2003) et La Vérité dans les sciences (Odile Jacob, 2003)....

 

Jean-Pierre CHANGEUX, L'homme neuronal, Librairie Arthème Fayard, 1983, collection Pluriel, 379 pages ; Du Vrai, du Beau, du Bien, Editions Odile Jacob, 2008, 539 pages.

 

Relu le 4 mars 2020

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