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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 07:04

       L'intellectualisation est définie selon la tradition freudienne comme le processus par lequel le sujet cherche à donner une formulation discursive à ses conflits et à ses émotions de façon à les maîtriser. le terme est souvent pris de manière négative car il désigne, notamment dans la cure psychanalytique, la prépondérance donnée à la pensée abstraite sur l'émergence et la reconnaissance des affects et des fantasmes. (LAPLANCHE et PONTALIS). 

Mais ce terme ne se rencontre pas dans l'oeuvre de Sigmund FREUD et assez peu dans l'ensemble de la littérature psychanalytique, et même psychologique. Le texte le plus explicite est celui d'Anna FREUD qui le considère comme un Mécanisme de défense, chez l'adolescent surtout, comme processus "normal" par lequel le Moi cherche à "maîtriser les pulsions en les rattachant à des idées avec lesquelles on peut consciemment jouer...". Il constitue "... l'un des pouvoirs acquis les plus généraux, les plus anciens et les plus nécessaires du Moi humain" (1936). Ce terme est surtout employé, dans la cure, pour désigner un mode de résistance rencontré par l'analyste, plus ou moins patent.

Les auteurs du Vocabulaire de la psychanalyse émettent quelques réserves quant à la pertinence de cette notion :

- Comme le montre l'exemple de patients (rapportés par Karl ABRAHAM entre autres dans Une forme particulière de résistance névrotique à la méthode psychanalytique (1919), il n'est pas toujours aisé de distingué ce mode de résistance du temps nécessaire et fécond où le sujet met en forme (analyse lui-même en fin de compte, interprète lui-même en fonction de ce qui émerge pendant la cure...) et assimile les découvertes antérieures et les interprétations fournies par l'analyste (notion qui se rapproche de la Perlaboration) ;

- Le terme d'intellectualisation se réfère à l'opposition, héritée de la psychologie des "facultés" entre intellectuel et affectif. il risque, une fois l'intellectualisation dénoncée, de conduire à une valorisation excessive du "vécu affectif" dans la cure analytique, celle-ci étant alors confondue avec la méthode cathartique. C. FENICHEL (The psychoanalytic Theory of Neurosis, New York, 1945) renvoie dos à dos ces deux modalités symétriques de la résistance : "... le patient est toujours raisonnable et refuse de pactiser avec la logique particulière des émotions ; (...) le patient est sans cesse plongé dans un monde obscur d'émotions, sans pourvoir s'en libérer (...)". Cet auteur souligne l'équivalence intellectualisation-résistance.

Ils rapprochent l'intellectualisation de la rationalisation, qui se situe toutefois dans une position différente : elle n'implique pas un évitement systématique des affects, mais attribue à ceux-ci des motivations plus plausibles que vraies en leur donnant une justification d'ordre rationnel ou idéal. La rationalisation est rencontrée dans beaucoup de domaines de la vie quotidienne ou dans le combat politique, dirions-nous, pour justifier des actes ou des jugements et il n'est pas sûr qu'au bout du compte, par des processus distanciés, que certaines intellectualisations ne se rapprochent pas de certaines rationalisations... bien plus souvent qu'on ne le pense.

 

           De manière générale, l'intellectualisation est une utilisation défensive de l'intellect afin de mettre à distance le pulsionnel. Avec l'intellectualisation, le névrosé obsessionnel cherche à se rendre maître de représentations obsédantes et s'épuise dans une activité intellectuelle aussi intense que creuse, s'obligeant contre sa volonté à scruter et à spéculer comme s'il s'agissait de ses affaires vitales les plus importantes (Sophie de MIJOLLA-MELLOR). Malgré l'expression courante de "masturbation intellectuelle", on ne confondra pas cette sexualisation de la pensée qui s'apparente à une activité masturbatoire indéfiniment prolongée, avec le plaisir que la pensée peut retirer de son exercice (plaisir de pensée). Car c'est le doute qui est au centre de l'intellectualisation dans la névrose obsessionnelle (l'auteur restreint réellement l'usage de ce terme à cette affection...), "mais n'en constitue cependant qu'un élément. 

Pierre JANET décrit cette intellectualisation (1909) dans la forme particulière d'un travail de la pensée douloureux et incessant, pouvant prendre la forme extrême que les psychiatres appellent la "rumination intellectuelle".  Selon Sigmund FREUD, l'intellectualisation obsessionnelle n'est pas un gage de développement de l'activité de pensée, car celle-ci est détournée à des fins de combat contre le pulsionnel et bien souvent, lorsque le refoulement a pris le dessus, elle s'efface ensuite. Il décrit cette véritable affection comme un combat qui fait rage dans le couches profondes et qui n'a pu être mené à son terme par une rapide sublimation et identification.

 

         Serban IONESCU et ses collaborateurs définissent l'intellectualisation comme le "Recours à l'abstraction et à la généralisation face à une situation conflictuelle qui angoisserait trop le sujet s'il reconnaissait y être personnellement impliqué."

Parmi les auteurs, finalement pas très nombreux qui évoquent l'intellectualisation, ils citent E. BÖHM (Traité du psychodiagnostic de Rorschach, PUF, 1951) qui l'évoque pour la vie quotidienne chez des jeunes intellectuels qui cherchent la maîtrise de leurs angoisses "à l'aide d'une vaste intellectualisation de leurs affects" qu'il propose de nommer névrose de cérébralisation. Également, et toujours pour la vie quotidienne, MUCCHIELLI (Les mécanismes de défense, PUF, 1981) qui précise que l'affect est alors transposé en idées, SANDLER (L'analyse des défenses. Entretien avec Anna Freud, PUF, 1985) qui souligne qu'il s'agit de "considérer les choses dans l'abstrait, dans des généralités qui sont à distance de soi-même" et RAUSCH de TRAUBEBERG et BOIZOU (Les mécanisme de défense et leur expression Rorschach et des Méthodes projectives, 1976) pour qui "il y a substitution de la connaissance, de la logique et de l'objectivité à tout ce qui est émotion et pulsion".

      Si toutes ces définitions recoupent celles du DSM III-R qui présente l'intellectualisation comme un "mécanisme par lequel la personne s'adonne à des pensées exagérément abstraites pour éviter d'éprouver des sentiments gênants" et du DSM-IV qui la caractérise par une "utilisation excessive de pensés abstraites ou d'une tendance à la généralisation", Anna FREUD (1936) a une optique assez différente. Pour cette dernière (on lira les pages dans la quatrième partie de son livre, Le moi et les mécanismes de défense), l'intellectualisation est une défense spécialement adolescente, les adolescents transformant volontiers leurs problèmes personnels en problèmes mondiaux. Et elle constitue un processus positif et courant, s'il ne s'éternise pas, naturellement, opinion partagée entre autres par BENASSY (Le moi et les mécanismes de défense. Étude théorique, dans S. NACHT, La Théorie psychanalytique, PUF, 1969) et par BRACONNIER (Les Adieux à l'enfance, Calmann-Lévy, 1989).

Il ne faut pas voir dans toute intellectualisation, ce qui serait facile pour les auteurs qui versent facilement dans le dénigrement des intellectuels pour mieux s'en protéger, un mécanisme de défense. Elle est un processus qui provoque un gain intellectuel à l'adolescence, et qui dirions-nous, n'est pas sans relation avec le développement d'un sens critique. Anna FREUD fait bien la différence entre l'intellectualisation défensive propre à l'adolescence et l'intellectualisation, qui, selon elle, "résout le problème réel" et qui n'est donc pas stérile (voir dans SANDLER, op cit). 

Mais, une fois ces "réserves faites", Serban IONESCU et ses collaborateurs, en accord d'ailleurs avec les écrits d'Anna FREUD, disent qu'il "faut bien admettre que l'intellectualisation est une défense dangereuse (...° qui peut tourner à l'obsession, à la rumination stérile.) Ils évoquent les études de DEUTSCH (Discussions sur certaines formes de résistances, dans Psychanalyse des névroses et autres essais, Payot, 1939).

Où il relève trois types d'intellectualisation, où "l'analyse s'est révélée particulièrement difficile", car les patients obtiennent de leur défense un "gain secondaire" de satisfaction narcissique et ont d'autant moins de raison de renoncer à ce mode de défense" :

- des intellectuels qui, à partir de la sublimation, se sont forgé des résistances inattaquables ;

- des névrosés obsessionnels ;

- "des patients présentant des affects bloqués ou perturbés qui, ayant refoulé le côté affectif de leur vie, ont retenu le côté intellectuel comme seul moyen d'exprimer leur personnalité psychique".

 

      J Christophe PERRY et ses collaborateurs, dans la foulée toujours des cadres du DSM IV définissent l'intellectualisation, comme l'action du sujet qui répond aux conflits émotionnels ou aux facteurs internes ou externes par un usage excessif de la pensée abstraite, pour éviter de ressentir des sentiments dérangeants. Ils précisent les éléments de ce Mécanisme de défense concernant sa fonction, le diagnostic différentiel et la cotation.

En ce qui concerne la fonction, "l'intellectualisation est un mécanisme de défense contre les affects ou pulsions dont la représentation reste consciente et s'exprime par une généralisation, détachant ou distançant ainsi le sujet de l'affect ou de la pulsion. La qualité émotionnelle est perdue, ainsi que le caractère impérieux de la pulsion. Les éléments cognitifs restent conscients, mais en termes impersonnels ou sous forme de généralisations. le sujet se réfère souvent à son vécu en termes très généraux ou à la seconde ou troisième personne. Il n'est pas nécessaire d'être intelligent (nous serions tenter de réagir...) pour faire appel à l'intellectualisation. Il ne s'agit que d'une stratégie cognitive (qui demande, selon nous, tout de même des ressources...) destinée à minimiser l'importance ressentie des problèmes rencontrés au cours d'une vie affective. Comme tous les autres mécanisme de défense, on peut parfois l'observer en cas de retard mental ou chez les victimes de syndromes cérébraux organiques."

Il ne faut pas confondre, toujours selon les mêmes auteurs, l'intellectualisation avec l'isolation, car ce dernier mécanisme parvient directement en détachant et en compartimentant les sentiment du sujet, taisant leur vécu direct tout en laissant le sujet à même de décrire les détails matériels de son vécu au même objectif alors que le premier n'y parvient qu'indirectement, le sujet traduisant d'abord son vécu en généralités qui le distancient du vécu immédiat ds sentiments. De même, la rationalisation est un désaveu apparenté, mais distinct de l'intellectualisation. La rationalisation a tendance à déformer les faits, oriente le sujet dans une autre piste que celle du vécu actuel. Enfin, la projection s'exprime souvent par le recours à des affirmations d'ordre général, mais dans ce cas l'objet de la projection est toujours une motivation, une impulsion, un sentiment ou un vécu que le sujet désavoue.

La cotation, de 0 à 2 veut faire l'échelle entre l'absence de preuve d'intellectualisation au cours d'un entretien, son utilisation probable  et son utilisation évidente. La détermination du barreau de l'échelle dépend des réactions du sujets à certaines questions, de l'utilisation de généralités et de formule de distanciation (à la troisième personne) de temps à temps à quasiment dans tous les cas. 

 

J. Christophe PERRY et collaborateurs, Mécanismes de défense : principes et échelles d'évaluation, Elsevier Masson, 2009. Serban IONESCU et collaborateurs, Les mécanisme de défense, Nathan Université, 2003. Sophie de MIJOLLA-MELLOR, article Intellectualisation dans Dictionnaire international de psychanalyse, Hachette Littératures, 2002. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, 1976.

 

PSYCHUS

 

Relu le 22 août 2020

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commentaires

L
le pathologie c'est a la mode mais en abuser ça craint ! coller des étiquettes pour tout ,j'ai une idée la "pathologie de savoir que l'on n'a une pathologie","le malaise d'être normale" "la crédulité de la non l'intellectualisation"
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A
On utilise tous les mécanismes de défense. C'est une protection. C'est pathologique quand des mécanismes sont utilisés à outrance.
G
je crois qu'il y a maldonne : un mécanisme de défense n'est pas forcément pathologique. Par ailleurs, l'intellectualisation n'est pas le savoir intellectuel...
A
Bonjour, merci pour cet article. Effectivement, il y a l'air d'avoir très peu d'analyse de l'intellectualisation. C'est dommage et peut etre un grand manque car c'est peut.etre, voir surement, ce.dont je suis victime et qui.me handicape lourdement dans ma vie quotidienne, mais.qu'aucun specialiste n'a jamais.diagnostiqué ou traité, ce.qui.me laisse à la merci de ma pathologie et de.ses consequences. Effectivement, gros manque et.echec de la psychiatrie.et.de.la psychanalyse face à cette pathologie.
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