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19 septembre 2011 1 19 /09 /septembre /2011 12:53

       L'ouvrage du spécialiste des virus, à grande expérience entre autres à l'Institut Pasteur et aux deux plus grands centres américains de lutte contre les virus (CDC d'Atlanta et USAMARIID de l'armée amércaine), possède le mérite singulier, de "remettre les pendules à l'heure" dans les appréciations historiques de l'effet de l'action de parmi les plus petits êtres vivants sur l'espèce humaine, trop souvent ignorante de leur activité.

Ainsi de grandes tranches de l'histoire humaine - la conquête par les Occidentaux de l'Amérique, de multiples guerres, dont la première guerre mondiale et ses conséquences... - trop souvent analysées en termes de défaites et de victoires stratégiques de peuples et de pays vis-à-vis d'autres, doivent-elles être comprises en prenant en compte l'action des virus, et ce jusqu'à des périodes récentes et même sans doute aussi aujourd'hui. Le propos de Jean-François SALUZZO est de faire revivre l'histoire des hommes, victimes ou chasseurs de virus, en se limitant à quelques agents des plus redoutables. 

 

       Ainsi, à propos de la variole, "ente les XVIe et XVIIe siècles, les Européens auront colonisé l'ensemble du continent américain. En Afrique, la situation a été totalement différente. Au début du XVIIIe siècle, on ne compte que quelques milliers de colons européens, principalement localisés sur des comptoirs côtiers. la pénétration du centre de l'Afrique ne se fera qu'à la fin du XIXe siècle. Contrairement au continent américain, ce sont les maladies qui ont empêché la colonisation du continent africain. Il a fallu attendre la découverte de la quinine pour rendre effective la pénétration des Européens au coeur de l'Afrique. Les maladies infectieuses, et notamment la fièvre jaune, le paludisme, ont constitué un rempart efficace au processus de colonisation. Au XXe siècle, le bilan est sans équivoque : il ne reste quasiment plus d'Amérindiens alors que l'Afrique connaît la plus forte démographie du globe. La fragilité vis-à-vis des maladies d'un côté, la résistance de l'autre expliquent cette évolution."

La véritable histoire de la variole, à l'aide des méthodes d'investigations, archéologiques entre autres, peut de nos jours être connue, en révisant à très fortes hausses les hécatombes causées en Amérique par son introduction. Elle nous montre aussi qu'à l'activité "naturelle" de cette maladie se mêle parfois des considérations tactiques d'extermination de la part d'hommes possédant une certaine connaissance des voies de sa propagation. Ce qui ressort de cet examen de la variole, de la fièvre jaune, de la poliomyélite, de la grippe, du sida, de la fièvre de Lassa, du virus Ebola et du virus Hantaan, objets d'autant de chapitres de cet ouvrage, c'est l'existence omniprésente et parfois décisive de ces micro-organismes au milieu des conflits humains. Si les hommes ont parfois consciemment introduits ces micro-organismes dans leurs conflits, leur activité a souvent des répercussions imprévisibles, ce qui explique par ailleurs la grande réticences des états-majors de défense des principaux pays quant à l'emploi d'armes bactériologiques. Et ces conséquences, non seulement entravent certaines grandes stratégies (l'impossibilité pour les "États-uniens" d'envahir le Canada à une certaine période...), se situent souvent sur le long terme, influant directement sur la démographie de belligérants.

  En conclusion, l'auteur écrit : "Il y aura donc des maladies nouvelles. C'est un fait fatal. Un autre fait aussi fatal est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons des notions de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire".

Ces quelques lignes prophétique - qui résonnent, pouvons-nous ajouter, fortement en ces temps de coronavirus des années 2019-2020 -, ont été écrites par le prix Nobel de médecine, Charles Nicolle, en 1933. Elles ont un corollaire : face à ces nouvelles maladies, il y aura de nouveaux chasseurs de virus. Qui seront-ils? Probablement, comme dans le passé, ils se diviseront en deux groupes : les hommes de terrain, les "cow-boys" de la virologie, comme les appelle la journaliste Laurie Garrett. Ils seront chargés d'aller traquer les virus jusqu'au fin fond des forêts tropicales. A court terme, ils ont à résoudre le mystère du réservoir du virus Ebola qui, après vingt-cinq années de recherche, n'est toujours pas élucidé.

Le deuxième groupe comprend les chercheurs des laboratoire qui, grâce à l'amélioration permanente des techniques virologiques, pourront établir l'étiologie virale de certains cancers, ou celle de certaines maladies neuro-dégénératives. Des résultats spectaculaires sont attendus dans les années futures. Les traitements à l'aide d'antiviraux et les vaccins constitueront une part très active des recherches à venir. Les remarquables progrès dans le traitement du sida ou des hépatites ouvrent d'extraordinaires possibilités qui étaient totalement inimaginables il y a une trentaine d'années, lorsque les manuels de virologie indiquaient : "il n'existe aucune traitement antiviral".

Face aux scientifiques, il y les virus, les seuls prédateurs de l'homme. Nous avons à plusieurs reprises cité l'exemple des arbovirus : six cent ont été décrits, et nous ne connaissons le pouvoir pathogène que de 10% d'entre eux. Pour la plupart, ils sont présents dans les zones tropicales, mais les facteurs de leur émergence sont progressivement réunis, le transport aérien les rapproche des pays de l'hémisphère Nord. L'exemple du virus West-Nile est très significatif : inconnu du corps médical jusqu'à ces dernières années, il a été introduit depuis peu en Israël, en Roumanie, en Russie et aux États-Unis où il persiste. Combien d'autres virus suivront ce même parcours? Comme l'indique Joshua Lederberg, "le monde est un petit village. Toute négligence dans l'étude des maladies en quelque part de notre planète est à notre propre péril." La collaboration entre les "cow-boys" de la virologie et les biologistes moléculaires offre une exceptionnelle opportunité pour combattre les virus dès leur apparition. Les techniques mises au point dans les laboratoires de l'hémisphère Nord doivent bénéficier aux chercheurs des pays tropicaux ; seule une étroite collaboration Nord-Sud peut permettre de dépister les nouveaux virus dès leur apparition. L'histoire du sida doit être retenue." 

C'est donc uns véritable guerre qui se livre entre l'espèce humaine et différentes espèces virales. C'est ce conflit entre l'espèce dominante de la planète et les différentes espèces aux agents microscopiques, qui a déjà influé dans le cours de l'histoire humaine, qui importe sans doute le plus. Nul doute qu'à trop se focaliser sur ses conflits internes, les hommes peuvent perdre la guerre essentielle...

 

           Écrit dans un style journalistique, cet ouvrage comporte, à l'appui des analyses et des faits exposés, de nombreux éléments bibliographiques.

 

    L'éditeur présente ce livre de la manière suivante (quatrième de couverture) : "Les manuels d'histoire passent sous silence le rôle souvent décisif joué par les maladies infectieuses dans l'évolution des civilisations. Pourtant, ce ne sont pas Cortez ou Pizarro, avec une poignée de valeureux conquistadores, qui ont anéanti les civilisations précolombiennes, mais bien la variole et la rougeole. Les Américains doivent en partie la conquête de l'Ouest à la fièvre jaune qui, en décimant les troupes de Napoléon stationnées en Haïti, ont conduit Talleyrand à offrir en 1804 la Louisiane, terre maudite, à Jefferson. Cette même maladie provoquera l'échec de Ferdinand de Lesseps dans sa tentative de percement du canal de Panama, tandis que la variole empêchait le conquête du Canada par le jeune Etat américain.

A côté de telles informations inédites, le livre de Jean-François Saluzzo décrit également la véritable guerre menée par des scientifiques courageux et opiniâtres contre ces virus qui sont des prédateurs de l'homme. Walter Reed, par exemple, décide de soumettre ses collègues à la piqûre des moustiques soupçonnés d'être les vecteurs de la fièvre jaune. L'obstination se révélera l'un des traits dominants de ces chercheurs : il faudra quarante ans à Jenner pour imposer la vaccination contre la variole et près d'un siècle pour que Gallo découvre le premier rétrovirus humain responsable d'un cancer. Au prix d'une grande persévérance, et souvent au péril de leur vie, d'audacieux virologues identifieront sur le continent africain les pestes de demain : Ebola, Marburg, Lassa. La guerre contre les virus est un récit passionnant d'une réalité qui nous concerne tous."

 

 

    Jean-François SALLUZO, docteur ès sciences, docteur en pharmacie, expert de l'Organisation Mondiale de la Santé, en poste actuellement chez Aventis Pasteur, après avoir travaillé 14 ans à l'Institut Pasteur, est également l'auteur d'autres ouvrages spécialisés dans la question des virus : A la conquête des virus (Belin, 2009), Grippe aviaire, sommes-nous prêts?, avec Catherine LACROIX-GERDIL (Belin, 2006), Les virus émergents, avec Pierre VIDAL et Jean-Paul GONZALEZ (IRD Editions, 2005), La variole (PUF, collection Que sais-je?, 2004), Des hommes et des germes (PUF, 2004), Ces hommes qui ont traqué les virus (Plon, 2002)...

 

Jean-François SALUZZO, La guerre contre les virus, Plon, 2002, 290 pages. 

 

Complété le 2 janvier 2013. Relu le 4 août 2020.

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