La rationalisation est définie selon la tradition freudienne comme le procédé par lequel le sujet cherche à donner une explication cohérente du point de vue logique, ou acceptable du point de vue moral, à une attitude, une action, une idée, un sentiment, etc., dont les motifs véritables ne sont pas aperçus. (LAPLANCHE et PONTALIS). La rationalisation d'un symptôme, d'une compulsion défensive, d'une formation réactionnelle sont très courantes. Elle intervient aussi dans le délire, aboutissant à une systématisation plus ou moins marquée.
C'est E. JONES (article la rationalisation dans la vie quotidienne, 1908) qui introduit cette notion, reprise ensuite de manière très fréquente. Elle intervient bien entendu dans la cure dans le cadre des résistances. On ne range pas habituellement la rationalisation parmi les mécanismes de défense, malgré sa fonction défense patente. Car elle n'est pas directement dirigée contre la satisfaction pulsionnelle, mais vient plutôt camoufler secondairement les divers éléments du conflit.
"C'est ainsi, précisent nos deux auteurs, que des défenses, des résistances dans l'analyse, des formations réactionnelles peuvent être elles-mêmes rationalisées. La rationalisation trouve de solides appuis dans des idéologies constituées, morale commune, religions, convictions politiques, etc., l'action du surmoi venant ici renforcer les défenses du moi." Ils rapprochent la rationalisation de l'élaboration secondaire qui soumet les images du rêve à un scénario cohérent.
Une définition plus ramassée fait de la rationalisation une justification rationnelle (sur les plans logique ou moral) que donne le sujet d'une action ou d'une attitude dont les motivations (inconscientes) lui sont inaccessibles. (Michèle BERTRAND). Elle non plus ne range pas la rationalisation parmi les mécanismes de défense, pour les mêmes raisons. La question reste de savoir si la rationalisation peut être appliquée aux délires, aux délires logiques des paranoïaques notamment. Si Sigmund FREUD récuse cette possibilité, des psychiatres ont recours à cette notion ou à une notion très analogue pour montrer comment la mégalomanie est induite par un besoin d'expliquer et de justifier le sentiment de persécution.
Par contre, Serban IONESCU et ses collaborateurs détaillent la rationalisation comme un véritable mécanisme de défense. Reprenant pratiquement la même définition, soit "Justification logique, mais artificielle, qui camoufle, à l'insu de celui qui l'utilise, les vrais motifs (irrationnels et inconscients) de certains de ses jugements, de ses conduites, de ses sentiments, car ces motifs véritables ne pourraient être reconnus sans anxiété", ces auteurs en discutent surtout en s'appuyant sur les études de MUCCHIELLI (Les mécanismes de défense, PUF, 1981). Ce dernier auteur affirme l'équivalence entre rationalisation et mauvais foi : toute rationalisation serait destinées à autrui, car il doute que le moi puisse se cacher à lui-même ses véritables motivations et il estime qu'il s'agit seulement de sauvegarder aux yeux des autres une certaine image de soi, notamment dans la vie courante. Mais il nuance quand il admet que les mécanismes originairement de défense sociale, tels que la rationalisation peuvent être utilisés au niveau interne. Il n'explique pas le glissement d'une tromperie consciente à une défense inconsciente, mais E. JONES saisit ce double aspect de la rationalisation, destinée aussi bien au sujet qu'à ses proches.
La rationalisation est autant individuelle que collective, et sans doute l'aspect collectif nourrit-il l'aspect individuel, dans une dynamique qui tendrait à même faire oublier le volet de la mauvaise foi au sujet. Il en est ainsi de toutes les rationalisations du fanatisme, du racisme et de la guerre. Sigmund FREUD lui-même l'évoque dans ses propos désabusés sur l'aveuglement face à la guerre (Considérations actuelles sur la guerre et la paix, 1915). Aussi ce procédé est bien connu des psychosociologues, tels que BEAUVOIS et JOULE (Soumission et idéologies. Psychosociologie de la rationalisation, 1981). L'idéologie apparaît à entre autres MUCCHIELLI, comme une justification de la vision du monde, elle élimine l'incertitude en évitant les faits inquiétants. Ce mécanismes défensif est particulièrement patent lorsque la violence est innocentée par référence à une idéologie.
Anna FREUD ne l'inclut pas toutefois dans les Mécanismes de défense, mais la cite dans ses discussions avec SANDLER, et la plupart des auteurs ultérieurs la reconnaisse comme tel. Le DSM III-R et le DSM-IV classent cette défense dans la rubrique "Inhibition mentale".
J Christophe PERRY et ses collaborateurs définissent la Rationalisation en tant que Mécanisme de défense : "le sujet répond aux conflits émotionnels ou aux facteurs de stress internes ou externes en dissimulant les motivations réelles de ses propres pensées, actes ou sentiments derrière des explications rassurantes ou complaisantes, mais erronées."
Processus conscient et inconscient à la fois, sa fonction vise "à substituer une raison plausible à un acte donné, une impulsion de la part du sujet, alors qu'une motivations plus égoïste ou plus difficile à admettre est évidente à l'observateur externe. Tandis que la motivation sous-jacente dissimulée peut être égoïste, elle peut aussi impliquer des sentiments d'amour ou d'attention qui peuvent gêner le sujet. On pense que le sujet est inconscient ou à peine conscient de sa vraie motivation sous-jacente ; il ou elle ne voit que la raison substituée, socialement plus acceptable, de l'acte. Les raisons invoquées par le sujet n'ont en général rien à voir avec une gratification personnelle, et déguisent ainsi sa véritable impulsion ou motivation, bien qu'un affect quelconque puisse être quand même perceptible."
Il ne faut pas confondre la rationalisation avec le mensonge (même s'il est difficile de le distinguer, car mentir est un acte conscient), avec l'intellectualisation ou avec la projection.
La cotation de la rationalisation dans l'évaluation s'échelonne de 0 (Aucune preuve de son usage), à 2 (certitude de son usage), en passant par 1 (usage probable), comme d'habitude chez ces auteurs. Au dernier niveau, le sujet se déresponsabilise complètement, "oublie" ses motivations personnelles et cherche à manipuler l'observateur dans une description plausible de ses raisons pour agir. Il nous semble que cette dernière manoeuvre doit être facilitée au maximum lorsque l'observateur et l'observé partagent exactement les mêmes valeurs. Sans vouloir faire d'humour, sans doute nombre d'analystes peuvent effectuer une rationalisation de leur diagnostic, surtout quand ils accordent la plus forte cote, lorsqu'ils ne partagent aucune valeur de l'observé...
J Christophe PERRY et collaborateurs, Mécanismes de défense : principes et échelles d'évaluation, Elsevier Masson, 2009. Serban IONESCU et coll., Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003. Michèle BERTRAND, article rationalisation dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2002. J. LAPLANCHE et J-B. PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976.
PSYCHUS
Relu le 21 août 2020