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25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 18:52

   Pamphlet antimonétariste paru en Angleterre en 1982, ce texte de Nicholas KALDOR (1908-1986), une des figures marquantes du keynésianisme britannique (il participe à l'élaboration de la Théorie, après avoir été disciple de HAYEK) constitue une contestation radicale des postulats théoriques et des déductions logiques de l'analyse monétariste de Milton FRIEDMAN.

Les principales contributions théoriques du professeur à l'université de Cambridge (1952) et du conseiller des gouvernements travaillistes de l'après-guerre et de nombreux pays, portent sur la croissance et la répartition des revenus. Il approfondit l'analyse keynésienne de l'intérêt et de l'incertitude économique, et aborde donc les questions monétaires. Il fait partie des "disciples" de John Meynard KEYNES qui mènent le combat contre les politiques monétaristes entre 1979 et 1986. Le texte de ce pamphlet fait suite à de nombreux travaux sur le comportement des agents économiques.

 

     Sa théorie centrale repose sur la constatation que les détenteurs de profit, les entreprises ou les propriétaires de capitaux, épargnent davantage leurs revenus que les salariés. Il s'ensuit qu'à chaque configuration de la répartition du revenu correspond un montant d'épargne, donc d'investissement, différent. Comme le niveau de l'emploi et de la croissance dépendent du niveau de l'investissement, il existe une relation entre la répartition des revenus et la croissance. Une fois cette relation explicitée, Nicholas KALDOR pose la question de la relation entre l'investissement et la croissance à long terme.

Cette question essentielle pour comprendre l'évolution des économies industrielles, n'est pourtant pas beaucoup posée par les économistes depuis les travaux de Karl MARX. Pour y répondre, l'économiste britannique veut montrer, à la suite d'Adam SMITH, que les gains de productivité industrielle augmentent avec le niveau de l'investissement et de la production. En effet, plus la production s'accroît, plus il est possible de spécialiser les travailleurs et les machines. En outre, les coûts fixes comme les frais de gestion ou de mise au point diminuent par unité produite. Enfin, le progrès technique ne peut s'incorporer que dans de nouvelles machines, et dépend donc du taux d'investissement. 

Nicholas KALDOR tire les conséquences d'une telle relation quant à la politique économique. Afin de susciter une croissance continue de la production et des gains de productivité, il paraît nécessaire de maintenir la demande à un niveau élevé. Il rejoint ici l'enseignement de KEYNES, mais inscrit dans une perspective dynamique. Dans la mesure où les gains de productivité sont redistribués sous forme d'une augmentation des revenus, une telle politique  permet de créer un cercle vertueux de croissance, puisque toute augmentation de la demande permet un accroissement des revenus, et donc une nouvelle augmentation de la demande. Du coup, toute politique de réduction de la demande globale conduit à une moindre croissance de la production, et donc à une hausse des coûts unitaires de production qui entraine une perte de compétitivité et une nouvelle contraction des marchés. L'économie est alors entrainée dans le cercle vicieux de la désindustrialisation. (Gérard GRELLET)

 

Une contestation du monétarisme

       Le Fléau du monétarisme prolonge une littérature abondante keynésienne sur la politique monétaire.

Nicholas KALDOR conteste d'abord les arguments empiriques de FRIEDMAN relatifs à la stabilité de la fonction de demande de monnaie. La mise en avant du caractère endogène de la monnaie est l'argument principal au nom duquel il rejette la vision monétariste, et l'amène à amender celle de KEYNES. FRIEDMAN a en effet en commun avec KEYNES de considérer la masse monétaire comme une grandeur exogène. Cette hypothèse est conforme à la tradition classique libérale venue de RICARDO, qui voit dans l'offre de monnaie une variable soumise au double arbitraire des décisions de la Banque centrale et des comportements des banques de second rang, mais elle est gênante, selon le point de vue de KALDOR, car les propriétés d'instabilité d'une économie capitaliste sont alors associées non pas aux fluctuations plus ou moins erratiques (en fonction des règles d'émission) de l'offre de monnaie, mais aux conditions d'incertitude radicale qui entourent les décisions d'investissement des entrepreneurs. Aussi, les successeurs de KEYNES, avec KALDOR, l'ont-ils abandonnée au profit d'une conception endogène de l'offre de monnaie, dans laquelle l'offre de monnaie bancaire, qui représente l'essentiel de la masse monétaire, répond à la demande des firmes et des particuliers. Nicholas KALDOR insiste sur ce point, qui remet en cause toute possibilité de contrôle de l'offre de monnaie par les autorités monétaires. 

   Les arguments avancés dans ce texte peuvent être considérés comme le "fond commun" anti-monétariste des différents courants keynésiens, que l'on retrouve par exemple chez Frank HAHN (1971, 1983) ou chez James TOBIN (1981), représentants d'un keynésianisme beaucoup plus syncrétique que celui de Nicholas KALDOR, qui est, avec Joan ROBINSON, la pointe avancée d'un keynésianisme "anti-néoclassique", très critique par rapport à la théorie dominante de l'équilibre. (Christian TUTIN).

 

Dans le texte de cette oeuvre...

   Après s'être attaqué à une évolution qui va du quantitativisme au monétarisme, Nicholas KALDOR dénonce les postulats fondamentaux de ce monétarisme et leurs implications :

"Les principales propositions du monétarisme sont : - le taux de croissance de la masse monétaire (en lui déduisant le taux de croissance justifié par l'augmentation de la production réelle) est la principale cause, si ce n'est la seule, de la croissance des prix des biens et des services ; - à part les perturbations à court terme dues à l'incapacité de prévoir le futur (anticipations irrationnelles), l'évolution de l'"économie réelle", soit la croissance de la production, de l'emploi, de la productivité, est entièrement déterminée par les "facteurs réels" tels que le progrès technique, la croissance de l'offre de travail et le taux de formation du capital. Tous ces facteurs sont déterminés par les forces du marché, indépendamment des variations de la masse monétaire, si on met à part les perturbations temporaires (qui peuvent être positives ou négatives en termes de produit réelle ou d'emploi) dues à l'imperfection des prévisions. A "long terme", cependant, la production réelle (ainsi que sa répartition) est entièrement déterminée par de tels facteurs "réels" : il n'y a pas de place pour une quelconque politique macroéconomique se fixant les objectifs cités ci-dessus, sauf en ce qui concerne la maitrise de l'inflation, qui peut être obtenue (et uniquement de cette manière-là) par le contrôle de la masse monétaire.

Avant de commencer à examiner les hypothèses qui justifient ces opinions, un certain nombre de questions se posent : - En supposant que le comportement de l'économie "réelle" soit neutre par rapport aux perturbations monétaires, pourquoi devrait-on regarder l'élimination de l'inflation comme un objectif d'une telle importance, au point de lui accorder la "priorité absolue?" Dans quelle mesure est-il préférable pour la communauté d'avoir des prix constants plutôt que des pris qui augmentent (ou baissent) constamment?

Évidemment la réponse doit être, du point de vue du gouvernement, que l'inflation entraine des distorsions graves et mène à une détérioration de la situation économique. Dans ce cas-là, cependant, la proposition de base selon laquelle l'économie "réelle" reste insensible à de telles perturbations ne tient pas. (...)."

   L'auteur explique ensuite que les propositions monétaristes pourraient s'appliquer à une économie imaginaire régie par le modèle de WALRAS sur l'équilibre général, mais en définitive, les monétaristes "supposent que l'économie livrée à elle-même s'"autorégule" et fonctionne de façon à assurer la pleine utilisation des ressources". Ils supposent aussi "qu'il n'y a pas de différence importante entre le fonctionnement d'une économie faisant appel à une monnaie-marchandise et une économie utilisant une monnaie de crédit. Dans cette dernières, la monnaie est formée par des reconnaissances de dettes ("promesses de paiement") convertibles en d'autres "promesses de paiement" qui apparaitraient en tant que sous-produit des opérations d'open market de la Banque centrale et de l'octroi de crédits par le système bancaire, et non pas en tant que conséquence de l'activité économique et des revenus qu'elle engendre. Ils supposent aussi "que le contrôle  réussi de la croissance de la masse monétaire provoquera à lui tout seul une "pression de la baisse" sur les prix et par conséquent une ralentissement de l'inflation, en arrivant même à la faire disparaitre si le contrôle est maintenu suffisamment longtemps".

C'est à partir de ces fausses prémisses que sont proposées des politiques économiques  au mieux inefficaces, au plus nocives. Car le contrôle de l'"offre de monnaie", "totalement inefficace d'après les propres critères du gouvernement, ce n'est rien d'autre qu'un écran de fumée procurant une justification idéologique à ses mesures antisociales."

Les erreurs des monétaristes proviennent plus profondément selon Nicholas KALDOR à une conception erronée de la monnaie. Dans son chapitre sur "La définition de la monnaie", il écrit "Tous s'accordaient finalement pour dire que la ligne de démarcation entre les politiques économiques keynésiennes et non keynésiennes passait par la réponse à une question empirique tournant autour de la valeur prise dans la réalité par l'élasticité par rapport au taux d'intérêt de la demande de monnaie. En réalité, la divergence est beaucoup plus profonde - il s'agit de savoir si le "côté de l'offre de monnaie" tel qu'il est déterminé par les autorités monétaires, est mieux représenté en termes de quantité de monnaie offerte ou en termes de taux d'intérêt fixé par la Banque centrale, qui détermine le coût du crédit (laissant la demande déterminer la quantité de monnaie en circulation). Si l'élasticité par rapport au taux d'intérêt de la demande de monnaie est faible ou nulle (ce qui est le cas, comme nous le montrerons à partir de preuves empiriques), cela ne parle pas en faveur de l'efficacité des contrôles monétaires (comme le prétendent les tenants de la théorie quantitative de la monnaie), mais montre, au contraire, l'impuissance des autorités monétaires à faire varier la quantité de monnaie autrement qu'en répondant aux variations de la demande. De ce point de vue, l'étroite corrélation entre quantité de monnaie et niveau du revenu prouve non pas l'importance de la politique monétaire, mais exactement le contraire : la variation du stock de monnaie n'est rien d'autre que le reflet de la variation du volume des transactions monétaires. Plus importante est la réponse de l'"offre de monnaie" aux variations du volume des transactions monétaire, moindre est le besoin d'économiser de la monnaie ; et voici l'explication de ce paradoxe apparent d'une masse monétaire et d'une vitesse de circulation variant souvent dans le même sens, et non dans un sens opposé."

 

Nicholas KALDOR, Le Fléau du monétarisme, Economica, 1985. Traduction en français de B. GURRIEN et M. ORIOL.

Christian TUTIN, Une histoire des théories monétaires par les textes, Flammarion, 2009. Gérard GRELLET, Nicholas Kaldor, dans Encyclopédia Universalis, 2014.

 

Relu le 25 septembre 2021

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