Le retournement contre soi ou retournement sur la personne propre, pour reprendre la terminologie du Vocabulaire de la psychanalyse, est le processus par lequel la pulsion remplace un objet indépendant par la personne propre. Tout de suite, d'ailleurs, Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS renvoient directement au Renversement dans le contraire.
Ce renversement (d'une pulsion) dans le contraire est défini comme le processus par lequel le but d'une pulsion se transforme en son contraire, dans le passage de l'activité à la passivité.
Sigmund FREUD, dans Pulsions et destins des pulsions (1915), en envisageant les "destins pulsionnels", compte parmi eux, à côté du refoulement et de la sublimation, le renversement dans le contraire et le retournement sur la personne propre. Il y indique que ces deux processus - le premier concernant le but, le second l'objet - sont étroitement liés l'un à l'autre, comme il apparaît dans les deux exemples majeurs cités dans ce livre, celui du sado-masochisme et celui du voyeurisme-exhibitionnisme, qu'il juge impossible de décrire séparément.
Anna FREUD (Le moi et les mécanismes de défense) range ces deux mécanismes parmi les mécanismes de défense et se demande s'il ne fallait pas y voir les processus défensifs les plus primitifs, en référence à l'identification à l'agresseur.
Rappelons avec Roger PERRON que le renversement est la transformation d'une idée, d'une représentation, d'une figure logique, d'une image du rêve, d'un symptôme, d'un affect... en son contraire et que ce processus affecte les destins de la pulsion, notamment dans la transformation de l'amour en haine, mieux précisée dans la notion de retournement. C'est à partir de l'interprétation des rêves de ses patients que Sigmund FREUD dégage ce mode de fonctionnement, qu'il théorise dans Pulsions et destins des pulsions.
Jean-Baptiste DÉTHIEUX résume ces mouvements du sadisme-masochisme et du voyeurisme-exhibitionnisme : "Dans le sadisme s'exerce une manifestation d'agressivité à l'égard d'un sujet pris comme objet. Si l'objet de la pulsion devient la personne propre, le but pulsionnel initial se modifie dans le même temps, passant de l'activité à la passivité, le sadisme s'exerçant maintenant sur celle-ci. Le retournement sur la personne propre s'y montre à l'oeuvre sans qu'il y ait encore soumission du sujet à une autre personne. La névrose obsessionnelle serait représentative de ce stade intermédiaire, qualifié par Freud d'autopunitif plutôt que de masochique. Un dernier temps consistera dans la recherche d'une personne étrangère pour exercer le rôle actif auquel renonce alors le sujet, qui se soumet ainsi à un contrôle masochique (on laisse ici ce mot à la responsabilité de l'auteur...). On voit comment, tout le long de ce cheminement du sadisme au masochisme, le retournement sur la personne propre se déploie parallèlement à la transformation de l'activité en passivité lors de cette inversion des rôles entre celui qui exerce le sadisme et celui qui le subit. Un autre couple d'opposés, le voyeurisme-exhibitionnisme, met en scène de façon privilégiée ces mêmes mécanismes. Il est possible de retrouver ici les trois stades successivement en jeu dans l'exemple précédent. Ainsi, c'est tout d'abord "regarder" comme on dirige une activité sur un objet étranger, puis se soumettre au retournement de la pulsion de regarder sur une partie du corps propre. Enfin, l'introduction d'un élément tiers permet de devenir l'objet du regard d'un autre."
Les auteurs de Les mécanismes de défense tentent de résumer cela dans leur propre définition du Renversement dans le contraire : Mécanisme où une pulsion conflictuelle est, non seulement refoulée, mais aussi remplacée par la pulsion opposée. "Trois synonymes ont été utilisés, le premier par (Sigmund) Freud, les deux autres par Anna Freud, pour désigner ce mécanisme de défense :
- renversement dans le contraire (1915/1968) ;
- transformation en contraire (1936/1993) ;
- retournement en contraire (1936/1993).
Ces auteurs affichent une nette préférence pour le premier terme.
Dans la relation de ce mécanisme avec d'autres mécanismes de défense, les mêmes auteurs écrivent d'abord que "le renversement est un contre-investissement qui intervient dans quantité d'autres mécanismes de défense. Tout d'abord, le retournement sur soi-même est un mode particulier du renversement, puisque la transformation porte sur l'objet des pulsions agressives, qui se déplacent d'autrui sur la personne elle-même. Le lecteur attentif aura bien noté cette nomination de pulsions agressives, typique de certains milieux psychanalytiques et psychiatriques, dénoncée par d'autres plus prudents... Ils citent le lien avec la formation réactionnelle, l'identification à l'agresseur, la défense par le refuge dans la rêverie, l'ascétisme de l'adolescent et la projection paranoïaque.
Sur la pathologie correspondante, "contrairement à la formation réactionnelle, qui (...) est liée à la névrose obsessionnelles, le renversement peut être, dans certains cas, associé à l'hystérie."
Mais ils insistent surtout sur le refuge dans la rêverie qui "s'installe chez l'adulte (et qui) perd le caractère anodin qu'elle avait dans l'enfance, puisqu'elle risque de modifier les relations avec la réalité, en favorisant le désintérêt pour le monde extérieur".
Par ailleurs, les auteurs de Les mécanismes de défense, et c'est au bénéfice d'une meilleure clarté sans doute, consacrent au Retournement contre soi-même un chapitre différent. Ils le définissent comme "Refus inconscient par un sujet de sa propre agressivité, qu'il détourne d'autrui pour le reporter sur lui-même. Ce mécanisme de défense peut être à la source de sentiments de culpabilité, d'un besoin de punition, d'une névrose d'échec, de tentatives d'autodestruction."
Cette définition, à forte connotation psychiatrique (ce qui n'enlève rien de son utilité), vient des études de Sigmund FREUD sur le masochisme. Sans doute le plus intéressant sur cette question, et cela au-delà de la problématique du fondateur de la psychanalyse sur la pulsion de mort (tendance à l'autodestruction), sont les réflexions de HESNARD (1949). "Serait-ce parce que ceux qui ont recours à cette défense ont des pulsions agressives anormalement développées, et qu'ils n'ont trouvé que ce moyen pour les contenir? (le masochisme)". HESNARD refuse cette explication. Il ne s'agit pas de monstres, mais "d'innocents déformés par une éthique personnelle sadique. Sur eux, plus que sur les autres, a pesé dangereusement le poids de l'interdiction." C'est leur "frein moral" qui est anormalement puissant. Chez eux existe une "hypermorale morbide", une "éthique absurde" opposée à la morale normale, c'est-à-dire à une morale compatible avec l'hygiène mentale et la santé." C'est la sévérité de l'éducation qu'il blâme et non une quelconque pulsion agressive excessive.
Les auteurs regrettent une certaine confusion entre les notions de Retournement contre soi-même et de Renversement dans le contraire (et nous d'ailleurs avec eux...).
Sur la signification de ce mécanisme de défense pour la pathologie, "le sentiment de culpabilité joue un rôle très important dans les névroses" (selon Sigmund FREUD). HESNARD va plus loin, en avançant que toute la maladie mentale est liée à la culpabilité. Sigmund FREUD souligne que c'est surtout dans certaines formes de la névrose obsessionnelle que le sentiment de culpabilité est aigu. La mélancolie, pour lui, est le terrain d'élection de l'auto-agressivité.
A l'inverse, signalent les mêmes auteurs, l'absence totale du sentiment de culpabilité est décrite par WINNICOTT (1958/1969).
Pour J. Christophe PERRY et ses collaborateurs, le Retournement contre soi-même, baptisé Agression passive, constitue bien un Mécanisme de défense à part entière. Pour eux "l'individu réagit à des conflits affectifs, ou bien à des causes de stress internes ou externes en exprimant indirectement et sans conviction une agressivité envers les autres. Une façade de conciliation apparente masque une résistance cachée aux autres. L'agression passive se caractérise par la décharge de sentiments hostiles ou vindicatifs d'une manière indirecte, voilée, sans assurance, à l'encontre d'autrui. L'agression passive se développe souvent en réaction à des exigences fortes d'action indépendante ou de performances de la part du sujet ou lorsqu'on a déçu les désirs du sujet ou son sentiment d'avoir droit à une prise en charge, que le sujet ait exprimé ce souhait ou pas."
Caractéristique de la démarche généralement adoptée par les auteurs qui se référent aux catégories du DSM IV, leur manière d'aborder le Retournement contre soi-même, se veut descriptive dans sa fonction, dans le diagnostic différentiel d'avec d'autres Mécanismes de défense et sa cotation.
Côté fonction de ce Mécanisme, "la personne qui utilise l'agression passive s'attend à être punie, frustrée ou éconduite si elle exprime des besoins ou des sentiments directement envers quelqu'un en position de pouvoir ou d'autorité sur elle. Le sujet se sent impuissant et plein de ressentiment. Cette attente est plus particulièrement prononcée dans les relations hiérarchiques. Le ressentiment s'exprime par une prise de position passive : le sujet a droit précisément aux choses qu'il ne revendique pas ouvertement, ou prétend à une exonération particulière. Il tire aussi un certain plaisir du malaise que son comportement d'agression passive provoque chez les autres." "Dans les cas extrêmes, le ressentiment n'est pas simplement exprimé de façon indirecte à l'encontre de l'autre, mais en fait, il est retourné contre le soi, en une manière d'atteindre l'autre."
Côté diagnostic différentiel, il s'agit de ne pas le confondre avec l'hypocondrie (où la demande d'aide est formulée ouvertement...), avec le comportement destructeur ou dangereux (où il s'agit d'un passage à l'acte) ou le Déplacement (où le sujet peut exprimer de l'hostilité mais choisir la mauvaise cible ou réagir à la mauvaise provocation).
Côté cotation sont définis trois degrés : 0, où il n'y a aucun signe d'agression passive ; 1, où existe une utilisation probable d'agression passive et 2, où l'utilisation de l'agression passive est évidente. Les auteurs détaillent les indices des cotes 1 et 2.
Serban INOESCU, Marie-Madeleine JACQUET, Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003. Roger PERRON article Renversement et Jean-Baptiste DÉTHIEUX, article Retournement sur la personne propre, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette LIttératures, 2002. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. J. Christophe PERRY, Julien Daniel DESPLAND, Bertrand HANIN et Claire LAMAS, Mécanismes de défense : principes et échelles d'évaluation, Elsevier Masson, 2009.
PSYCHUS
Relu le 21 décembre 2019