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23 février 2010 2 23 /02 /février /2010 10:40
        Plusieurs théories politiques justifient des visions à la fois pessimistes et agressives de la vie sociale. Pessimistes comme les théories d'Arthur de GOBINEAU, de Gustave le BON ou de Vacher de LAPOUGE, agressives comme celles de Houston Stewart CHAMBERLAIN ou de Francis GALTON, les théories socio-politiques de la lutte pour la vie possèdent en commun une confusion entre les niveaux biologique et sociaux de la réalité. Ils s'insèrent plus ou moins dans un darwinisme social qui n'a rien de scientifique.

     Ce darwinisme social, si l'on suit André BEJIN, malgré sa grande diversité, distille 6 postulats principaux :
- moniste : dans la plupart des cas, il s'agit d'un monisme matérialiste, selon lequel tout ce qui existe peut se ramener à un seul principe, la matière ;
 - réductionniste : tous les phénomènes peuvent être décomposés en unités de plus en plus simples ;
 - déterministe : il existe des relations nécessaires entre les phénomènes concomitants, les phénomènes successifs, les phénomènes complexes, d'une part, et les phénomènes simples les constituant ;
- d'inégalité : les individus, qui par nature diffèrent les uns des autres par leurs aptitudes et leurs comportements (principes de variation), sont du point de vue de chacune des facultés physiques ou mentales discernables, généralement inégaux ;
- d'hérédité : les traits physiques et mentaux innés et/ou acquis se transmettent, par voie de reproduction, des parents à leurs descendants. A noter que le principe lamarckien de l'hérédité des caractères acquis, accepté partiellement par Charles DARWIN, est abandonné aujourd'hui par la plupart de ses successeurs.
- de sélection : l'évolution des espèces et des sociétés procède des sélections - sélections par la mort (la lutte pour l'existence au sens strict) et par la fécondité différentielle (la lutte pour la descendance selon Vacher de LAPOUGE).
         Ce même auteur distingue trois phases dans l'histoire de l'évolution de ces théories :
- de 1853 à 1883, on passe progressivement d'un premier darwinisme social, plutôt libéral, à un second plutôt socialiste et dirigiste ;
- entre 1884 et 1904, domine ce second darwinisme social, souvent eugéniste, raciste et/ou impérialiste ;
- de 1905 à 1935, ce courant de pensée ne produit plus d'innovations théoriques majeures mais il inspire des applications politiques lourdes de conséquences.
       Mais, comme André BEJIN le souligne, ce darwinisme social s'inspire également d'un mouvement intellectuel tel que le panslavisme, qui se transforme au gré des nationalités de ceux qui s'expriment. Ainsi, un pangermanisme naît ensuite dans la mouvance de ce darwinisme social...

          Plusieurs auteurs peuvent être situés dans cet ensemble assez vaste, parfois sans en faire l'objet principal de leurs préoccupations.
    - Arthur de GOBINEAU (1806-1882)  ouvre cette période du darwinisme social, par la place qu'il donne aux races, notamment aux "Ariens-Germains" dans cette évolution qui selon lui provient du mélange à partir des races fondamentales, blanches, noires et jaunes.
- Clémence ROYER (1830-1902), par ailleurs figure française du féminisme et de la libre pensée, première traductrice en français de l'oeuvre de Charles DARWIN, développe ses propres idées évolutionnistes dans le domaine des sciences sociales. Dans sa préface à L'origine des espèces, elle évoque surtout "la protection exclusive et inintelligente accordée aux faibles, aux infirmes, aux incurables, aux méchants eux-mêmes, à tous les disgraciés de la nature (alors que) rien au contraire ne tend à aider la force naissante, à la développer, à la multiplier". Elle reste cependant optimiste pour autant qu'il soit admis que les hommes comme les races "sont inégaux par nature" et que soit établi "le régime de la liberté individuelle la plus illimitée, c'est-à-dire de la libre concurrence des forces et des facultés comme de leur libre association".
     - Walter BAGEHOT (1826-1877), journaliste britannique, auteur d'ouvrages de politique constitutionnelle (The English Constitution, 1867) et d'économie (Physics and Politics, 1872), considère que la guerre avait longtemps constitué l'instrument essentiel de la sélection naturelle s'appliquant aux hommes, mais que son rôle devait décroître dans les sociétés les plus "civilisées" au profit de celui de la "discussion".
- Francis GALTON (1822-1911), anthropologue et explorateur anglais, fondateur par ailleurs de la psychologie différentielle ou comparée, met en place la méthode d'identification des individus par empreintes digitales. Ce cousin de Charles DARWIN veut faire le lien entre la théorie de la sélection naturelle et la recherche mathématique, mais surtout clame la nécessité (Hereditarius Genius, 1869) de pallier les carences  de la sélection naturelle dans les nations "civilisées" en instituant ce qu'il appelle d'abord une "viriculture" puis en 1883 (Inquiries into Human Faculty), l'"eugénique" qu'il définissait comme la science de l'amélioration des qualités héréditaires. Attaché aux droits de l'homme dans les démocraties modernes, il ouvre la voie à toutes les théories et pratiques eugéniques peu regardantes envers ces droits.
     - Gustave Le BON (1841-1931), anthropologue, psychologue, sociologue amateur français, vulgarisateur des théories sur l'inconscient, est connu surtout pour ses ouvrages sur la psychologie des foules. Dans son ouvrage le plus synthétique, Lois psychologiques de l'évolution des peuples (disponible sur le site de l'uqac) de 1894, difficile à résumer, il tente de lier la transformation du caractère et l'hérédité. Pour agir sur le caractère, il existe deux moyens : la modification de l'hérédité et la création de sentiments et de croyances. Mais en ce qui concerne l'action sur l'hérédité, Gustave Le BON ne croit pas, à l'encontre des eugénistes socialistes, en l'efficacité d'une "sélection méthodique" de grande ampleur. C'est le "mélange des races" qui fait évoluer le fondement héréditaire. Il n'existe pas de "peuples purs de tout mélange" : la plupart des races civilisées actuelles sont le produit du "hasard des conquêtes, des immigrations et de la politique...". La formation de l'âme de la race est lente. Par contre, sa décadence peut être très rapide : "La présence d'étrangers, même en petit nombre, suffit à altérer l'âme d'un peuple. Elle lui fait perdre son aptitude à défendre les caractères de sa race, les monuments de son histoire, les oeuvres de ses aïeux". D'où la possibilité et la nécessité d'agir par la création de sentiments et de croyances à partir d'idées nouvelles. Même si elles sont chimériques, elles sont mobilisatrices, écrit-il, et peuvent contribuer à bâtir une civilisation.
       - Georges Vacher de LAPOUGE (1854-1936), anthropologue française, se fondait sur l'étude de variations de certaines mensurations crâniennes pour affirmer que les "dysgéniques" submergent progressivement les "eugéniques" (sujets héréditairement doués). Cette rapide destruction des plus parfaits, décrite notamment dans Les sélections sociales, de 1889, résulte, selon lui, de la conjugaison de "sélections sociales" :
- militaire, les guerres modernes éliminant surtout les meilleurs ;
- politique, les coteries et les partis politiques favorisant les médiocres ;
- religieuse, le célibat sacerdotal interdisant à de très nombreux eugéniques de se reproduire et les persécutions religieuses entraînant la disparition de nombreux êtres d'élite ;
- morale, la charité profitant aux dysgéniques ;
- légale, l'interdiction de la polygamie nuisant par exemple aux eugéniques ;
- économique, la ploutocratie française favorisant l'élimination de l'aristocratie intellectuelle et conduisant à multiplier les mariages dictés par des raisons financières aux dépens des considérations d'eugénisme ;
- professionnelle, les individus les plus qualifiés ayant généralement une fécondité moindre ;
- urbaine, les villes drainant les eugéniques avant de les stériliser...
Du coup, l'évolution ne tend vers rien. En un sursaut volontariste, affirme que la sélection systématique pourrait permettre  de "refondre la nature humaine". Il suggère, parmi d'autres propositions, un service sexuel obligatoire pour les individus sains, afin de renverser la tendance. Il fait de nombreux adeptes, hors de France surtout, et engagé en faveur du contrôle des naissances, promeut les idées de Madison GRANT, président depuis 1922 de l'Immigration Restriction League, qui considère l'immigration comme une menace pour la survie de la race blanche. Sympathisant de nombreuses organisations racistes tant dans le monde anglo-saxon qu'en Allemagne, Georges Vaches de LAPOUGE reste ambivalent face au nazisme, s'interrogeant sur sa politique, à savoir si les exterminations seront réellement compensées par la réorientation du destin de l'espèce humaine. Il est l'auteur d'oeuvres racistes et antisémites, dont L'Aryen, son rôle social (1889), disponible sur le site www.archive.org. Elles ont eu une influence certaine juste avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale.
       - Houston Stewart CHAMBERLAIN (1855-1927), écrivain et essayiste anglais d'expression allemande, par son ouvrage Genèse du XIXe siècle, de 1899, marque un tournant dans l'histoire des doctrines raciales. Surtout parce qu'il leur donne un volontarisme qui dépasse le pessimiste de nombreux d'auteurs antérieurs. Désignant comme péril majeur le chaos ethnique, et durcissant les oppositions entre la race des "Germains" et celle des anti-Germains, les Juifs, il affirme possible une politique si elle est menée avec énergie et systématisme, qui peut redonner toute sa noblesse à la meilleure race. Cette politique de mélange temporaire entre races apparentées, suivie d'endogamie raciale et de sélection dans le cadre des nations, le Germain doit pouvoir s'opposer à l"abâtardissement.
         - Alexis CARREL en fait Marie Joseph Auguste CARREL-BILLIARD (1873-1944), chirurgien et biologiste français, fait partie des rares auteurs, dans cette dernière période qui va de 1905 à 1935, à redonner de la vigueur intellectuelle aux vieilles idées racistes et eugénistes. Dans celle-ci, caractérisée plutôt par des pratiques eugénistes un peu partout dans le monde (notamment aux États-Unis et en Allemagne), le lauréat 1912 du Prix Nobel de physiologie et de médecine, notamment à travers des ouvrages comme L'homme, cet inconnu (1935) ou Réflexions sur la conduite de la vie (posthume, mais écrit en 1905) contribue à l'affermissement scientifique de ces pratiques.
Dans L'homme cet inconnu, il reprend cette théorisation : "La vie moderne nous a apporté un autre danger plus subtil, mais plus grave encore que la guerre : l'extinction des meilleurs éléments de la race." Alors que les nations blanches se dépeuplent, les nations africaines et asiatiques s'accroissent. Prônant l'eugénisme, "qui peut exercer une grande influence sur la destinée des races civilisées", même si "on ne réglera jamais la reproduction des humains comme celle des animaux, Alexis CARREL appelle de ses voeux l'établissement par celui-ci "d'une aristocratie biologique héréditaire (...) étape importante vers la solution des grands problèmes de l'heure présente", très loin de cette confusion des concepts d'être humain et d'individu, qu'est l'égalité démocratique...
   
     Ces conceptions de la lutte pour la vie n'ont pas tellement d'influence précise sur la production scientifique ou la pensée politique dans leur ensemble, mais elles possèdent une influence diffuse, dans beaucoup de domaine de la littérature. On peut citer comme le fait - très largement - André BEJIN, l'oeuvre d'Emile ZOLA (Roujon-Macquart, Fécondité de 1899...), la naissance de la géopolitique (Harold MACKINDER, The Geographical pivot of History en 1904, mais amendé en 1919 et en 1943)... On pourrait bien entendu en citer bien d'autres, à la postérité bien moindre.

André BEJIN, chapitre Théories socio-politiques de la lutte pour la vie, dans nouvelles histoire des idées politiques, sous la direction de Pascal OURY, Hachette, 1987.

                                                                               PHILIUS
 
 
Relu le 19 octobre 2019

  
   
       
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