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27 avril 2012 5 27 /04 /avril /2012 14:51

       Ce n'est que de manière récente que la sociologie et l'anthropologie s'intéressent aux problématiques nées des progrès du féminisme, comme ce n'est que récemment que les façons d'être homme ou femme posent question. Tant que les sociétés considèrent les rôles sociaux définis naturellement en partie des différenciations biologiques, tant que les hiérarchies sexuelles ne sont pas mises en cause, traduire tant que le pouvoir des hommes sur les femmes n'est pas remis en cause, les questions d'identités sexuelles n'existent tout simplement pas.

Du moins, elles ne sont pas considérées comme des sources de conflit, même si par ailleurs la structure de domination entraîne réellement des conflits. Le fait est que l'on considère maintenant, du moins dans les sociétés occidentales, car dans d'autres cela se présente bien différemment, et du moins, encore une restriction, dans les couches de la société atteintes par les évolutions économiques, démographiques, idéologiques qualifiées de modernes (un peu vite...), que la masculinité et la féminité sont des qualités sociales et culturelles, non intangibles.

      Ce sont les rapports sociaux de sexe, marqués par la domination masculine, qui déterminent ce qui est considéré comme "normal" - et souvent encore interprété comme "naturel" - pour les femmes et les hommes.

La virilité revêt un doubles sens, si nous suivons Pascale MOLINIER et Daniel WEITZER-LANG :

- Les attributs sociaux associés aux hommes, et au masculin : la force, le courage, la capacité à se battre, le "droit" à la violence et aux privilèges associés à la domination de celles, et ceux, qui ne sont pas, et ne peuvent pas être virils : femmes, enfants... ;

- La forme érectile et pénétrante de la sexualité masculine.

La virilité, dans les deux acceptions du terme, est apprise et imposée aux garçons par le groupe des hommes au cours de leur socialisation, pour qu'ils se distinguent hiérarchiquement des femmes. La virilité est l'expression collective et individualisée de la domination masculine. C'est qu'analysent par exemple les études réalisées dans les années 1970 par les sociologues féministes (MATHIEU, 1973 ; GUILLAUMIN, 1978).

 

La remise en cause des schémas traditionnels par les recherches féministes

     Les recherches féministes ont d'abord remis en question la définition masculine de la féminité. Il en résulte, ensuite, une remise en question de la définition de la masculinité. Des travaux comme ceux de Daniel WELZER-LANG (1994), qui reprennent les études de Maurice GODELIER (1982) replacent la virilité dans le cadre de l'éducation masculine imposée, que ce soit dans les écoles, la famille, les clubs de sport, l'armée, les cafés... Cette virilité structure les rapports entre hommes, conformément à l'image hiérarchisée des rapports hommes/femmes. C'est une véritable chaîne de dominance psychologique et sociale qui s'instaure depuis les hommes "les plus forts", jusqu'aux femmes "les plus faibles", les plus stigmatisés étant les hommes qui manquent de virilité. L'homophobie ambiante, bien étudiée chez les hommes, moins chez les femmes, est en quelque sorte au service de cette chaîne de dominance. Cette perception de la virilité ne se manifeste pas seulement dans les relations sociales ou dans les lieux de socialité, des théâtres aux sports, mais aussi sur les lieux de travail et fait même partie d'une psychodynamique de travail (DEJOURS, 1988).

Masculinité et féminité désignent l'identité sexuelle : la capacité à "habiter" et aimer son propre corps et à en "jouer" dans les relations érotiques ; tandis que virilité et muliérité désignent le conformisme aux conduites sexuées requises par la division social et sexuelle du travail. L'adhésion des hommes aux critères de la virilité est interprétée, avant tout, comme une défense contre la souffrance et la peur engendrées au travail. La muliérité, dans ces études, est un néologisme qui désigne l'aliénation de la subjectivité féminine dans le statut de soumission (Nicole-Claude MATHIEU, 1991). Tant la virilité chez les hommes que la muliérité chez les femmes, il s'agirait d'attitudes qui camouflent des faiblesses et survalorisent certaines qualités, à la différence près que la virilité peut servir (même chez des femmes...) d'identité d'emprunt en ce qu'elle est promesse de valorisation, la muliérité ne renvoie qu'à la dépréciation et à l'effacement de soi.

Des études cliniques (MOLINIER, 1997) dans les collectifs infirmiers permettent de montrer la positivité du rapport entre féminité et travail, rapport au monde diamétralement opposé à celui de la virilité. Lorsque la féminité ne se résume pas au statut de soumission et abnégation, c'est grâce à la reconnaissance, par les infirmières, de la compassion comme souffrance générée par l'activité soignante et comme valeur morale pour orienter et juger leur travail. 

     Toute une partie de la littérature, de manière peut-être un peu optimiste selon nous, considère qu'aujourd'hui la notion de domination masculine n'est plus contestée par les sciences sociales. Se pose alors avec plus d'acuité, pour les auteures qui partagent ce point de vue, le besoin de déconstruire les catégories d'agir et de pensée articulant féminité et masculinité, domination des femmes et aliénation des hommes, virilité et violences masculines, sphère publique et sphère privée. Pascale MOLINIER et Daniel WEITZER-LANG relèvent (avec un certain humour involontaire) que, "comparé au développement des recherches féministes, le nombre réduit d'hommes qui se définissent comme "pro-féministes" et qui participent à ce travail critique ne facilite pas la nécessaire mixité des débats et des confrontations."

 

La remise au cause provient aussi de la poussée des homosexualités

La poussée des luttes pour la reconnaissance des homosexualités entraîne l'éclosion de nombreuses études sur l'hétérosexualité, qui apparait alors comme une forme d'oppression suis geneis - le harcèlement sexuel des femmes dans le travail constituant une forme radicale de "l'hétéro-normalité". En fait, ni les sciences sociales, ni la psychanalyse n'ont, à ce jour, de théorie constituée des rapports entre l'identité sexuelle et ses déterminations sociales (MOLINIER, 2000). En psychanalyse, les études restent concentrées sur l'économie érotique tandis que du côté des sciences sociales, les théories tendent à réduire l'identité sexuelle au comportement imposé par le genre, faisant l'impasse sur le désir ainsi que sur la subjectivité. Penser la sexualité autrement est sans doute nécessaire, vu la persistance et l'acuité des conflits générés, mais de même que pour la recherche de la paix (internationale par exemple), la déconstruction des idéologies ne suffit pas ; encore faut-il que s'édifient de véritables théories et pratiques nouvelles. 

 

Des évolutions encore modestes...

      Ilana LÖWY, assez loin d'une prétendue égalité des sexes, loin également de la disparition "promise" des dominances sexuelles dans les années 1960-1970, préfère analyser la persistance des images de la féminité et de la masculinité. Sans mésestimer les avancées vers l'égalité entre hommes et femmes, réalisée en grande partie sur le plan juridique dans les pays occidentaux, elle estime important, comme par exemple Virginia VALIAN (Wy so Slow? The Advancement of Women, MIT Press, Xambridge, Massachusetts, 1998), de se poser la question des ressorts de la persistance d'un écart des statuts, notamment sur le plan économique.

"La persistance de l'écart entre le statut socioprofessionnel des hommes et celui des femmes est attribuée aux différences dans la distribution des obligations familiales. Par choix, par nécessité ou souvent un mélange des deux, les femmes continuent à porter la plus grande part de responsabilité dans les tâches ménagères et éducatives, ce qui limite leurs possibilités de s'investir professionnellement et d'intervenir dans la sphère publique." Ces explications, pertinente en soi, ne suffisent pas. Mais avant de se pencher sur les ressorts de la persistance des inégalités, "il est important de ne pas perdre le sens de la proportion. Les démocraties occidentales ne sont ni l'Afghanistan, ni l'Arabie Saoudite ; la majorité des femmes qui y vivent appartiennent à un segment très privilégiés de la population mondiale. Il est indécent de mettre au même niveau les frustrations provoquées par une discrimination sur le marché du travail, les difficultés à percer en politique ou de moindres possibilités d'épanouissement personnel et les conséquences du déni des libertés fondamentales, de la pauvreté extrême, d'une violence meurtrière à l'égard des femmes. Toutefois, "dans pratiquement toutes les sociétés humaines la liberté sexuelle des femmes est plus limités que celle des hommes, elles ont un choix plus restreint de rôles sociaux et éprouvent bien plus de difficultés à accéder à la majorité des institutions sociales." (comme l'écrit l'anthropologue féministe Sherry ORTNER en 1974).

 

Un certain marketing, camouflage de réels rapports entre les sexes

    Le marketing de la femme "différence, mais égale" dissimule mal le conflit latent ou ouvert entre ce que la société globale impose comme image de la féminité et les aspirations des femmes. Pour contrer la diffusion et l'acceptation de cette image, l'historienne des sciences, propose d'articuler un certain nombre de règles et de principes de la reproduction des différences :

- L'hétérogamie, principe selon lequel une femme "doit'" implicitement rechercher un compagnon mâle de statut égal ou supérieur au sien, tandis qu'un homme privilégiera plutôt une partenaire de statut égal ou inférieur au sien ;

- L'érotisation du pouvoir mâle et de la masculinité hégémonique, qui permet de transformer la subordination de la femme en source de plaisir, non seulement dans les rapports intimes, mais aussi dans d'autres circonstances, telles que les relations de travail ;

- La perception des femmes comme étant dotées d'une capacité innée de care (terme sans équivalent précis en français qui décrit la prise en charge du bien-être physique et psychologique des autres : enfants, personnes âgées, hommes. Celles qui n'en font pas preuve sont considérées comme déviante de manière générale ;

- Une possibilité asymétrique de s'approprier attributs et rôles du sexe opposé, par exemple sur la mode vestimentaire.

- L'inégalité esthétique entre les sexes, qui accorde des "marges plus larges" aux hommes, c'est-à-dire plus de latitude pour dévier du modèle en vigueur.

  "Les femmes occidentales sont libres, en principe du moins, de développer leurs capacités intellectuelles, d'exercer une vaste gamme de professions, d'endosser des responsabilités politiques, d'avoir une vie sexuelle satisfaisante, de décider, si et quand elles veulent avoir des enfants. Mais, dans le même temps elles sont évaluées et se mesurent elles-mêmes par des normes intériorisées de féminité, fondées sur la perception des femmes comme étant avant tout partenaires sexuelles des hommes et mères. Les femmes sont censées être séduisantes, charmantes, fines, douces, pleines de compassion, douées pour le care et ne jamais aspirer ouvertement à l'exercice du pouvoir sur les hommes, surtout pas sur les hommes dans leur vie. De nombreuses femmes considèrent leur identité féminine comme une source de satisfaction profonde. Elles sont fières de leur capacité à combiner les qualités de mère exemplaire et/ou de femme séduisante (de préférence les deux à la fois) avec un travail professionnel et un engagement dans la cité. Mais tout se passe comme si elles ne remarquaient pas que la monopolisation des tâches relevant du care par un seul sexe et la dissymétrie des "obligations de beauté" laissent à l'autre le loisir de jouir en tout tranquillité d'une situation privilégiée."  

         La formidable capacité de régénération de la domination masculine se mesure encore plus sans doute, en même temps que, mise à nu dans ses ressorts, notamment par le croisement des recherches féministes et des recherches post-coloniales, elle tend à s'amenuiser ou à se transformer. A s'amenuiser, car ses contours commencent à apparaître, se prêtant à des modifications d'ordre juridique. A se transformer, car il peut se produire une féminisation des hommes comme une masculinisation des femmes. Percevoir la domination en soi - le fait de la domination (quels qu'en soient les bénéficiaires) -  comme une entité hybride, contestée, écrit  encore Ilana LÖWY, et "de ce fait, dotée d'une importante capacité de mutation et d'ajustement, a des conséquences pratiques importantes. Si les paradigmes dominants sont définis comme une citadelle immuable, il est logique de croire qu'une attaque frontale et massive suffit pour s'en débarrasser, ou si c'est impossible, qu'une faille dans le mur, élargie, peut entraîner la chute de la forteresse.

D'où la recherche de "l'élément décisif" qui fasse vaciller l'édifice de la domination masculine : partage plus équitable des tâches domestiques, égalité des salaires, éducation unisexe, élimination de la pornographie, investissement plus grand des hommes dans les soins des jeunes enfants, mariage homosexuel, parité en politique... En revanche, si l'on perçoit les paradigmes dominants comme des entités dynamiques dotées de formidables capacités de régénération, une toute autre approche s'impose - une attaque simultanée sur tous les espaces de production matérielle et symbolique des discriminations. Il s'agit d'une tâche difficile et de longue haleine. La mener à bien nécessite de gérer des situations complexes, confronter des questions difficiles, être attentif aux nuances, réflexif, critique, lucide et tenace".  

     Elle met ainsi l'accent sur la difficulté de l'évolution des moeurs vers une égalisation des conditions, dans un monde où les progrès technologiques (biologie, manipulation génétique ou hormonale) prennent une place de plus en plus grande et où la parentalité évolue de manière contrastée.

 

Ilana LÖWY, L'emprise du genre, Masculinité, féminité, inégalité, La dispute, 2005. Pascale MOLINIER et Daniel WELZER-LANG, article Féminité, Masculinté, Virilité, dans Dictionnaire critique du féminisme, PUF, 2007.

 

SOCIUS

 

Relu le 6 novembre 2020

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