Dans la grande famille des économistes libéraux, une ligne de partage plus ou moins nette se dessine depuis le début de la "science économique" entre ceux qui tentent de penser l'économie sans la monnaie, en tout cas en la neutralisant le plus possible et ceux qui la prennent en compte, surtout pour en corriger les aspects perturbatifs.
Cette deuxième série d'économistes, dominante à l'heure actuelle chez les économistes libéraux, est poussée surtout à faire de propositions alternatives de politique économique face aux approches inspirées du keynésianisme, qui lui, prend en compte le caractère actif de la monnaie dans l'économie, au point de l'utiliser pour agir sur ses évolutions.
Combinaison de la pensée des continuateurs de Jean-Baptiste SAY et de ceux de John Maynard KEYNES, les monétarismes admettent l'action à court terme de la monnaie sur l'économie, mais lui refusent un rôle à moyen et long terme. Nous pouvons gloser à loisir sur les catégories temporelles à l'oeuvre dans leurs théories (court, moyen, long terme...) et.. c'est à raison!
Tombé pratiquement dans l'oubli devant les déploiements des politiques keynésiennes depuis la seconde guerre mondiale, le courant monétariste connaît (en fait connaissait) depuis les années 1980 un renouveau tel qu'il s'insère dans les courants dominants néo-libéraux actuels. Ce sont surtout des auteurs anglo-saxons qui l'alimentent, dans le fil droit souvent du capitalisme américain. Ce courant redonne en tout cas vie à l'ancienne théorie quantitative de la monnaie, qui établit une relation directe entre le niveau de la masse monétaire, celui de l'offre de biens et de services et celui des prix. Selon cette théorie, les variations de la masse monétaire n'ont d'influence que sur l'évolution du niveau général des prix et sur la valeur nominale des grandeurs économiques les plus importantes.
Dans sa version actuelle, le courant monétariste reprend cette idée de la théorie quantitative, mais il la complète en matière de court terme, aboutissant à la conclusion que les variations de la masse monétaire provoquent, dans un délai assez bref, des variations en volume du niveau d'activité économique qui précèdent de quelques mois des modifications de prix.
En étudiant l'histoire monétaire des États-Unis, Milton FRIEDMAN (né en 1912) et Anna SCHWARTZ ont évalué les taux de variation de la masse monétaire dans le temps et ont découvert un modèle d'oscillations cycliques : le taux de progression de la masse monétaire connaît un maximum au moins d'un an avant le sommet de chaque cycle économique et un minimum bien avant le point le plus bas de chaque cycle, mais il y a des fluctuations considérables dans les décalages entre les variations monétaires et les points de retournement du cycle économique. Il est donc très difficile de mener une politique monétaire souple, et Milton FRIEDMAN en conclut que la meilleure politique monétaire serait d'assurer une augmentation continue de la masse monétaire pour tenir compte de la croissance de la production et du déclin séculaire de la vitesse de circulation de la monnaie. Cette diminution de la vitesse de circulation de la monnaie tient au fait que, celle-ci étant un bien supérieur, la demande pour les services de la monnaie augmente plus que proportionnellement à l'accroissement du revenu. Cette tendance à la diminution de la vitesse de la circulation n'exclut pas son accroissement lors des phases d'expansion du cycle économique, parce que le revenu perçu est supérieur au revenu permanent. Les formulations du nouveau courant monétariste mettent l'accent sur la demande de monnaie et, en analysant les facteurs mieux (en tout cas, c'est que les auteurs mêmes de ces études disent...) que les quantitativistes traditionnels, elles mettent en relief l'influence de l'offre de la monnaie sur les mouvements de prix sans pour autant retenir une stricte proportionnalité entre leurs variations. (P SCHAEFER).
Le courant monétariste est très diversifié.
Le courant monétariste est ancien et très diversifié. Jean BODIN, David HUME, Irving FISHER, Milton FRIEDMAN, malgré leurs différences convergent sur quelques principes très généraux :
- l'offre de monnaie est exogène (déterminé par la banque centrale) ;
- la demande de monnaie est stable ;
- l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire, due à l'augmentation trop rapide de la masse monétaire. Les moyens de paiement mis en circulation sont donc régis par des mouvements mécaniques, sans aspérités sur les conflits économiques..
- les agents font des anticipations adaptatives qui diminuent à long terme l'effet des politiques conjoncturelles ;
- il existe un taux de chômage naturel en dessous duquel l'économie ne peut pas descendre durablement.
Les différences entre l'École de Chicago de FRIEDMAN et d'autres monétarismes sont toutefois très importantes. A côté des friedmaniens, il existe plusieurs autres écoles :
- les continuateurs de HAYEK et de son école autrichienne;
- des auteurs qui donnent une très grande importance aux anticipations rationnelles (Thomas J SARGENT (né en 1943), Neil WALLACE (né en 1938), Robert E LUCAS (né en 1937), même si ces deux derniers se détachent ensuite du monétarisme) ;
- d'autres, plus proches des post-keynésiens ou se confondant avec eux (H. G. JOHNSON) qui montrent l'importance de l'internationalisation des problèmes monétaires ; parmi ces derniers, S. FISCHER et Edmund PHELPS (né en 1933), Karl BRUNNER et Lloyd METZLER (1913-1980) prônent des politiques économiques différentes.
Aux États-Unis, se développe un monétarisme qui cherche à affiner les instruments et les indicateurs d'une politique économique. Les recherches portent notamment sur l'hypothèse du taux de chômage naturel, la crédibilité des politiques de stabilisation, les instruments du contrôle monétaire et la mise au point de modèles de plus en plus sophistiqués. Le monétarisme, dans le renouveau néo-classique, pousse le plus loin la liaison entre la théorie et la pratique.
Les différentes synthèses économiques regroupent ces différents auteurs suivant leurs plus ou moins grandes différences avec les keynésiens.
La présentation dominante du monétarisme...
En fait, le monétarisme, qui constitue une des premières formes de l'offensive libérale des années 1980, ne constitue plus un courant dominant dans la famille libérale, si l'on en croit le manuel de référence de SAMUELSON/NORDHAUS. Combinant surtout approches libérales et approches keynésiennes, ce manuel estime que "nous pouvons mieux comprendre le monétarisme si nous retraçons d'abord son histoire à partir de la vieille théorie quantitative de la monnaie et des prix (...). Le monétarisme considère que l'offre de monnaie est le principal déterminant des variations de court terme du PIB nominal et des variations de long terme des prix. Évidemment, la macroéconomie keynésienne reconnaît également le rôle de la monnaie dans la détermination de la demande globale. La principale différence entre les monétaristes et les keynésiens repose sur leurs approches de la détermination de la demande globale. Tandis que les théories keynésiennes considèrent qu'un grand nombre de forces autres que la monnaie influent sur la demande globale, les monétaristes prétendent que les variations de l'offre de la monnaie sont le facteur principal qui termine le produit et les variations de prix." Les monétaristes définissent une vitesse de circulation de la monnaie comme relativement stable et prévisible, et à partir de là forme une nouvelle théorie quantitative des prix. "La théorie quantitative de la monnaie et des prix considère que les prix varient proportionnellement à l'offre de monnaie. Bien que la théorie quantitative de la monnaie et des prix ne soit qu'une approximation grossière, elle aide à comprendre pourquoi les pays ayant une faible croissance du stock de la monnaie ont une inflation modérée tandis que ceux qui sont une croissance rapide du stocks de monnaie verront leurs prix s'envoler." Les deux auteurs du Manuel présentent l'essence du monétarisme de la manière suivante :
"Comme toutes les écoles de pensée sérieuses, le monétarisme a différentes facettes. Les points suivants sont centraux dans la pensée monétariste :
- La croissance de l'offre de monnaie est le principal déterminant systématique de la croissance du PIB nominal. Le monétarisme est fondamentalement une théorie des déterminants de la demande globale. Il considère que la demande globale nominale est principalement affectée par les variations de l'offre de monnaie. la politique budgétaire est importante pour certaines choses (comme la part du PIB consacrée à la défense ou à la consommation privée), mais les principales variables macroéconomiques (produit global, emploi et prix) sont surtout affectés par la monnaie. (...) Quels sont les fondements de la croyance monétariste dans la primauté de la monnaie? Ils consistent en deux propositions centrales. Premièrement, comme Friedman l'a établi, "il y a une extraordinaire stabilité empirique et une extraordinaire régularité de grandeurs telles que la vitesse de circulation qui ne peuvent que frapper quiconque travaille beaucoup sur les données monétaires". Deuxièmement, un grand nombre de monétaristes ont l'habitude de prétendre que la demande de monnaie est complètement insensible aux taux d'intérêt. Si la vitesse de circulation est constante, alors elle est insensible aux taux d'intérêt. Si la vitesse de circulation dépendait du taux d'intérêt, ceci permettrait à la politique budgétaire d'influer sur le produit. La proposition d'indépendance de la demande de monnaie par rapport aux taux d'intérêt a été remise en cause et n'a généralement plus trouvé de partisans ces dernières années (l'édition utilisée date de 1998, traduction française de 2000). (...)"
- Les prix et les salaires sont relativement flexibles. (...) Puisque la monnaie est le principal déterminant du produit nominal et que les prix et salaires sont flexibles au voisinage du produit potentiel, leur principe (des monétaristes) sera donc que les variations de la quantité de monnaie auront peu d'influence sur le produit réel et qu'elles influenceront essentiellement les prix. Ainsi, à court terme, la monnaie peut avoir un effet à la fois sur les prix et les quantités. Mais après quelques années et parce que la monnaie influencera essentiellement les prix. Par contre, la politique budgétaire n'influencera que fort peu les quantités et les prix, à court comme à long terme.
- le secteur privé est stable. Finalement les monétaristes considèrent que l'économie privée, laissée à ses dynamiques propres, n'est pas sujette à l'instabilité. En fait, la plupart des fluctuations du produit nominal seront le résultat d'interventions publiques - en particulier de changements dans l'offre de monnaie, qui découlent eux-mêmes des politiques de la banque centrale."
Les auteurs se livrent à une comparaison des approches monétaristes et keynésiennes et constatent une convergence de vue au cours des trois dernières décennies (il s'agit des années 1970-1990), "de telle sorte que les différences portent plus sur l'intensité que sur le fond." Ils citent deux grandes différences :
- "En premier lieu, les deux écoles divergent sur les forces opérant sur la demande globale. Les monétaristes considèrent que la demande globale est uniquement (ou principalement) affectée par la masse monétaire, et que les effets de la monnaie sont stables et sûrs. Ils pensent aussi que des changements de politique budgétaire ou même des variations autonomes de la demande globale n'auront guère d'effets sur le produit et les prix, sauf s'ils sont accompagnés par des mouvements de monnaie. Par contre, les keynésiens ont une analyse beaucoup plus complexe. Tout en reconnaissant l'influence de la quantité de monnaie sur la demande globale, le produit et les prix, ils considèrent que d'autres facteurs comptent aussi. Pour eux, la monnaie intervient ici aux côtés d'autres variables telles que la politique budgétaire ou les exportations nettes. En outre, ils en arrivent à la conclusion selon laquelle (la vitesse de circulation de la monnaie) augmente systématiquement avec les taux d'intérêt de telle sorte que l'on ne peut déduire de la constance de la masse monétaire celle du produit nominal. Mais, dans un des exemples les plus intéressants de la convergence de leurs positions, les deux écoles considèrent que la politique de stabilisation aux Etats-Unis doit d'abord être conduite via la politique monétaire.
- La seconde différence importante concerne le comportement de la fonction d'offre globale. Les économistes keynésiens mettent en avant l'inertie des prix et des salaires. Les monétaristes considèrent par contre que les keynésiens exagèrent cette rigidité des prix et des salaires et ils considèrent donc que la courbe d'offre globale, même si elle n'est pas totalement verticale, l'est en tout cas beaucoup plus que celles postulées par les keynésiens.
Comme ils ont une vision différente de la fonction d'offre globale, monétaristes et keynésiens en tirent des analyses différentes des impacts à court terme des variations de la demande globale sur le produit et sur les prix. les monétaristes considéreront au contraire que ce même changement fera varier les prix plutôt que les quantités.
L'essence de la position monétariste en macroéconomie est sa concentration sur le rôle de la monnaie pour déterminer la demande globale et sur la flexibilité des salaires et des prix"
Sur la plate-forme monétariste et les expériences monétaristes, les deux économistes constatent le déclin du monétarisme dans les années 1990, de manière pour paradoxal car c'est au moment même, selon eux, "où les politiques monétaristes réussissaient à éradiquer l'inflation de l'économie américaine que les modifications des marchés financiers suscitèrent des modifications de comportement qui minèrent les fondements de l'approche monétariste." "Le problème vint principalement de la modification de la vitesse de circulation de la monnaie" alors même que pour les monétaristes, cette vitesse de circulation est stable et donnée. "Or au moment où la doctrine monétariste fut adoptée, cette vitesse de circulation de la monnaie devint très instable. (...) Les taux d'intérêt élevés avaient, au cours de cette période, suscité des innovations financières importantes, ainsi que l'extension des comptes courants porteurs d'intérêt. Ainsi la vitesses de circulation de la monnaie devint-elle très instable après 1980. Certains ont même considéré que l'instabilité de la vitesse de circulation était produite par le poids excessif mis sur la politique monétaire au cours de cette période."
Nous pouvons même dire que ce "poids excessif" constitue le signe le plus sûr d'un changement dans le système économique, dans le capitalisme, dans les priorités données à un moment du cycle de circulation des marchandises et de l'argent. En accentuant le poids de la finance en général, le capitalisme s'oriente plus vers une circulation accélérée de l'argent que sur la valorisation des marchandises. Les monétaristes, en fin de compte, par le succès de leur dire économique, ont préparé la période actuelle de domination du capital financier sur l'ensemble de l'économie, sans pour autant que ce soit dans leur esprit libéral d'accorder à la monnaie une telle prépondérance.
Paul SAMUELSON et William NORDHAUS, Economie, seizième édition, Economica, 2000. P. SCHAEFER, Monétarisme, Encyclopedia Universalis, 2004.
ECONOMIUS
Relu le 21 septembre 2020