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5 février 2011 6 05 /02 /février /2011 13:17

         Dans la périodisation qu'effectue Gérard DELEDALLE dans l'histoire de la philosophie américaine, la période qui va de la seconde guerre mondiale à la célébration du bicentenaire des Etats-Unis (1940-1976), est marquée par l'arrivée d'un seconde pragmatisme. Trois faisceaux de nouveaux philosophes prennent le relais des fondateurs du pragmatisme (PEIRCE, JAMES, DEWEY et MEAD), leurs "chefs de file" étant dans des domaines très différents, Clarence Irving LEWIS (1883-1964), Charles MORRIS (1901-1979) et Sidney HOOK (1902-1989). 

 

          Clarence Irving LEWIS est considéré comme le fondateur de la logique philosophique moderne.

A partir d'une critique des Principia Mathematica de WHITEHEAD et de RUSSEL (1910), il écrit A Survey of Symbolic Logic (1918), qui est à la fois la première histoire de la logique moderne et le début de l'exposé d'un certain nombre de principes sur le caractère d'un système de logique. C'est une conception pragmatique de l'a priori, qui fait de n'importe quel système de logique un système de logique acceptable du moment qu'il possède une cohérence interne et que les résultats de son application sont vérifiés dans la réalité. Dans Mind and the World-Order (1929), puis dans An Analysis of Knowledge and Valuation (1946), le philosophe logicien introduit des distinctions pour répondre d'une part à la question des conditions d'une vraie connaissance et d'autre part pour répondre à la question bien plus controversée - et conflictuelle - de la connaissance des valeurs.

L'auteur de La philosophie américaine résume à la fin du petit chapitre qu'il lui consacre : "Les nouvelles distinctions portent sur la connaissance empirique, l'évaluation étant pour Lewis "une forme de connaissance empirique". Il y a trois sortes de jugements empiriques : les jugements expressifs, les jugements "terminatifs" et les croyances objectives. Les jugements expressifs, comme leur nom l'indique, expriment une valeur "directement expériencée". Ce ne sont pas de véritables jugements, car ils ne sont pas sujets à l'erreur. celui qui les énonce peut mentir certes, sur ce qu'il éprouve, mais son expérience est ce qu'elle elle et rien d'autres. Les jugements "terminatifs" sont de vrais jugements car ils prédisent qu'une expérience aura une valeur donnée si un certain cours d'action est suivi : "Si vous touchez ce qui est devant vous, vous éprouverez une sensation agréable." Étant vérifiables, ces jugements empiriques sont ce que l'on entend d'ordinaire par connaissance. Les croyances objectives sont ce que l'on entend d'ordinaire par connaissance empirique. Elles attribuent une valeur à un objet. Ne comportant que des jugements non-terminatifs, elles ne sont que probables. On peut cependant en déduire des jugements terminatifs qui, multipliés, conféreront à ces croyances un haut degré de probabilité - et à la valeur son objectivité : "La bonté des objets bons consistent dans la possibilité qu'ils ont de faire que la bonté soir directement expériencée."

Toutes ces explications supportent toute une modélisation mathématique complexe qui les rend réellement opérationnelles dans les expériences scientifiques.

 

         Charles MORRIS entend développer une science des signes "sur une base biologique et spécifiquement dans le cadre de la science du comportement, alors que PEIRCE envisage plutôt une philosophie sémiotique basée sur des catégories universelles de perception et sur l'hypothèse que chaque pensée est un signe.

Dans Foundations of the Theory of Signs (1938), l'élève de George Herbert MEAD, distingue trois dimensions du signe : syntactique, sémantique et pragmatique, d'un point de vue behavioriste, mais non réductionniste.

"Les règles syntactiques déterminent les relations de signe entre les supports de signes ; les règles sémantiques mettent en corrélation les supports de signes avec les autres objets ; les règles pragmatiques énoncent les conditions requises des interprètes pour que le support de signe soit un signe. Toute règle réellement pratiquée fonctionne comme type de comportement et, en ce sens, toute règle comporte un élément pragmatique. Mais dans certaines langues, il y a des supports de signes qui obéissent à des règles qui débordent les règles syntactiques ou sémantiques qui gouvernent ces supports. Ces règles sont des règles pragmatiques. des interjections comme "Oh!", des ordres comme "Viens ici!", des termes d'évaluation comme "heureusement", des expressions comme "Bonjour" et certaines formules rhétoriques et poétiques ne sont employées que dans des conditions bien déterminées, par les utilisateurs de la langue. On peut dire qu'ils expriment ces conditions, mais ils ne les dénotent pas au niveau sémiotique où ils sont réellement employés dans le discours commun. L'énoncé des conditions dans lesquelles les termes sont utilisés, dans la mesure où on ne peut les formuler comme règles syntactiques et sémantiques, constitue les règles pragmatiques des termes en question." (Pragmatic Philosophy, recueil d'Amelie RORTY, Doubleday and Co, 1966).

Charles MORRIS, comme Clarence LEWIS s'intéresse au problème des valeurs, notamment pour distinguer les conclusions véritablement scientifiques des jugements de valeur. Dans le même recueil, nous pouvons lire par exemple : "Si "scientifique" s'applique aux seuls énoncés (signes de désignation), alors les évaluations (signes d'appréciation) ne sont pas scientifiques ; mais si "scientifique" s'applique à la méthode par laquelle les savants contrôlent leurs énoncés, alors il est possible d'appliquer cette méthode non seulement au contrôle des énoncés concernant les évaluations, mais au contrôle des évaluations elles-mêmes." 

 

       Sidney HOOK est qualifié par Gérard DELEDALLE de philosophe de la valeur militante. Exécuteur testamentaire idéologique de John DEWEY, il est le porte-parole, aujourd'hui très controversé, du libéralisme américain. Marxiste, une grande partie de son oeuvre l'est, marxiste, une grande partie de son engagement politique l'est, même si son interprétation du marxisme est bien dans la tradition américaine. Dans Towards the Understanding of Karl Marx : A Revolutionary Interpretation (1933) et dans From Hegel to Marx : Studies in the Intellectual Development of Karl Marx (1950), c'est surtout la révolution sociale qui l'intéresse et parce que le marxisme veut la transformation de la société, pour lui sa méthode est scientifique et sa fin démocratique.

"La vérité de toute théorie, écrit-il, dépend de la question de savoir si, oui ou non, les conséquences réelles qui découlent de la Praxis proposée pour mettre la théorie à l'épreuve sont telles qu'elles réalisent les conséquences prédites." La fin du marxisme est démocratique à deux conditions : que sa méthode soit authentiquement scientifique au sens où l'on vient de la décrire et que "la dictature du prolétariat (qui) ne s'oppose pas à la démocratie, mais à la dictature de la bourgeoisie" ne s'exerce que contre celle-ci en vue d'instituer une société démocratique sans classes."

Et c'est précisément là-dessus que, après des débuts enthousiastes pour la révolution russe, il se distancie de plus en plus, d'abord du stalinisme, puis du mouvement communiste international (indépendamment de la manipulation politique dont il a pu être l'objet, avec d'autres intellectuels, de la part des services secrets américains dans leur campagne contre le communisme et l'Union Soviétique). Il reproche par ailleurs au stalinisme d'avoir favorisé le nazisme.

Sur la marche de l'histoire, présentée par la majeure partie des intellectuels marxistes d'alors comme inéluctablement en faveur du prolétariat, il estime d'une part qu'elle n'est pas inéluctable, et d'autre part que le mouvement de masse n'est pas tout. Dans The Hero in History, il argumente sur la possibilité d'individus de modifier son cours. Il en distingue d'ailleurs deux sortes : ceux qui, par la position qu'ils occupent dans la société, s'imposent par la force, comme Pierre le Grand ou Staline, et ceux qui, au pouvoir ou en dehors de lui, s'imposent démocratiquement par la "méthode d'intelligence". Seuls ces derniers sont des héros authentiques, car seule la "méthode d'intelligence" permet le "libre développement de la personnalité."  Pourtant, dans Heresy, Yes - Conspiracy, No (1950), Sidney HOOK demande aux Américains de ne pas condamner indistinctement le marxisme révolutionnaire et le communisme soviétique. Si la conspiration est un mouvement secret qui cherche à parvenir à ses fins en enfreignant les règles communes du jeu politico-social, l'hérésie est propre à former la libre réflexion contre toutes les orthodoxies. En fin de compte, également, parce qu'il reste convaincu de la perfectibilité de la société américaine telle qu'elle est, il renonce, à cause de l'invasion du complot dans la vie politique, à tenter la synthèse entre le pragmatisme et le marxisme. Dans les années 1970 et 1980, c'est véritablement un pragmatisme qui l'emporte, son "socialisme" se réduisant à la revendication d'une certaine dose d'interventionnisme public dans les affaires de la société (Bernard GENTON).

 

Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck Université, 1987. Bernard GENTON, une passion anticommuniste : Sidney HOOK, IEP Strasbourg, dans Sources, printemps 2000.

 

                                                                                                              PHILIUS

 

Relu le 23 avril 2020

 

 

 

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