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7 juillet 2012 6 07 /07 /juillet /2012 13:38

        Il est difficile de savoir toujours ce qui relève de la philosophie et de la religion, sauf à faire reporter sur la philosophie tout développement sur la nature du monde et sur la religion toute la pratique et la méditation. Alors que dans le bouddhisme, l'un va rarement sans l'autre.

Toutefois beaucoup de traditions bouddhiques, comme le Theravâda, le Zen ou le Shinnyo-en, mettent surtout en avant la méditation (dyana) ou/et la pratique des enseignements dans le quotidien afin d'atteindre l'état d'éveil et n'accordent pas une grande importance aux élaborations conceptuelles. C'est surtout dans le Mahâyâna, développé notamment en Chine, que subsistent, après bien de nombreux processus historiques, des écoles proprement philosophiques. Deux d'entre elles connaissent une activité importante, le Cittamatra (esprit seulement) et le Madhyamaka (voie du milieu).

 

Le Cittamatra

       L'école du Cittamâtra prône un "idéalisme phénoménologique" (comparable à l'idéalisme subjectif de George BERKELEY, mais comparable seulement) : tous les phénomènes ne sont que des faits de conscience, et la conscience est la seule réalité, le monde et les individus en étant la projection. La vacuité est vue davantage comme l'absence de dualité entre sujet et objet que comme l'absence de nature propre des phénomènes (ce que prône le Madhyamaka).

    La conscience qui "crée" le monde est l'ultime nature-de-bouddha lorsque son reflet se particularise dans la conscience individuelle, et que celle-ci ne se reconnaît pas en tant que nature-du-bouddha. Cette méprise "originelle" l'entraîne et la soumet alors à un réseau de causes et d'effets (karma) qu'elle projette elle-même de par sa complète créativité. 

   L'école de l'"Esprit seul" , est encore appelée Vijnavâda, "école de la conscience", Vijnaptimâtra, "Seulement pensée", quand on met l'accent sur la philosophie, et Ygacara, "école de Pratiquants du Yoga", quand on met l'accent sur son aspect pratique. Illustration de la double facette philosophique et religieuse de nombreuses écoles.

Fondée au IVe siècle par ASANGA, cette école mahayaniste est historiquement la dernière des quatre écoles philosophiques bouddhistes (selon la classification tibétaine) et s'appuie sur les sûtra de la troisième roue tels que le Lankavatarasûtra, le Sandhinirmocanasûtra, le Samadhirajasûtra et l'Avatamsakasûtra, considérés par le fondateur et ses successeurs comme étant de sens définitif, à la différence des sûtra des deux premières roues, au sens à interpréter. L'école du Cittamâtra, née en inde, se développe ensuite en chine, au Japon et au Tibet. On peut présenter le cittamâtra en trois volets :

- la Base qui comprend les vues philosophiques de l'école ;

- la voie, qui permet d'en comprendre l'application pratique ;

- le Fruit, ou résultat du cheminement spirituel.

Nous nous intéressons ici au volet philosophique. La base peut être présentée en quatre composantes :

- Rien qu'esprit ;

- Les huit consciences et l'alayavitjana ;

- Les deux aspects de la conscience ;

- Les trois natures des phénomènes.

    Rien qu'esprit. Cette école est parfois dite "idéaliste" car elle déclare que les phénomènes sont de la nature de l'esprit et ne sont que des simples apparences pour l'esprit. Elle n'accepte donc pas l'existence réelle de phénomènes externes, mais affirme que seule la conscience existe en vérité ultime. C'est en elle seule, sous l'emprise de l'ignorance, que nait l'illusion d'un sujet préhenseur et d'objets appréhendés. Ainsi, le caractère illusoire des objets extérieurs est illustré à l'aide des huit métaphores de l'illusion : on compare les phénomènes extérieurs à une illusion créée par magie, à un rêve, au reflet de la lune dans l'eau, à un écho, à une cité aérienne, à un fantôme. L'exemple du rêve est le plus frappant. Le rêveur croit à la réalité du contenu de son rêve au point de s'enfuir s'il se croit poursuivi par un tigre affamé. Pourtant, le coureur et le poursuivant sont tous deux les produits de son esprit. En outre, les apparitions oniriques sont irréelles puisqu'elles s'évanouissent au réveil.De même; la compréhension de la vacuité ou ainsité fait s'évanouir la dualité sujet-objet qui n'était qu'une projection de l'esprit illusionné. Les phénomènes qui apparaissent ainsi à la conscience sont les résultats du karman de l'individu. Dans le passé, d'innombrables traces karmiques ou empreintes, littéralement "parfumages", ont été déposés dans la conscience. Elles sont comme des semences qui donneront naissance, quand les conditions leur permettront de mûrir, à des phénomènes psychiques semblables à ceux qui sont à leur origine.

   Les huit consciences et l'alayavitjana. Quel est le support de ces semences? Les "adeptes des écritures" acceptent généralement l'existence de huit consciences : six consciences des sens, une conscience mentales souillée, toutes actives et tournées vers leurs objets, et la conscience base-de-tout (alayavitjana). C'est cette dernière qui sert de réceptacle aux empreintes karmiques ou semences. Conscience fondamentale neutre, elle ne fait que recevoir les empreintes karmiques qui résultent des activités karmiques antérieures produites par la conscience mentale souillée. Quand, par le mûrissement des semences karmique du passé engrangées dans l'alayavitjana, se manifestent des apparences (formes, sons, odeurs, goûts, textures ou phénomènes mentaux), les consciences des sens les perçoivent sans plus, mais la conscience mentale souillée s'en saisit comme d'objets de désir ou d'aversion. Il en résulte la production de nouveaux karman et le dépôt de nouvelles empreintes karmiques dans l'alayavitjana. Tant qu'il y a des empreintes, cette dernière continue d'exister. Ni vertueuse ni non vertueuse en elle-même, elle est la continuité consciente qui relie tous les états de la conscience : sommeil profond, évanouissements, conscience de veille, absorption méditative. A la mort, toutes les autres consciences s'y résorbent, mais comme elle est le support des empreintes karmiques, c'est elle qui constitue la conscience qui transmigre de vie en vie.

   Les deux aspect de la conscience. Quand la conscience perçoit un objet, elle a deux aspects ; elle se tourne vers l'objet pour s'en saisir et simultanément expérimente sa propre nature à l'extérieur. Grâce à ce dernier aspect, "la conscience interne qui se connaît et s'illumine elle-même, on peut se souvenir d'une expérience vécue quand elle n'est plus présente. Si une fleur apparaît à la conscience tournée vers l'objet, la reconnaissance et le souvenir de la fleur se produisent grâce à l'aspect de la conscience tournée vers l'intérieur. Et de fait, le sujet, la conscience intérieure qui saisit l'objet et l'objet perçu n'existent pas indépendamment les uns des autres car on ne peut les séparer. la conscience a-perceptive, qui se connaît et s'illumine elle-même, est vide de la dualité sujet-objet.

   Les trois natures des phénomènes. Quand un phénomène se présente à l'esprit, il est caractérisé par trois natures : la nature entièrement imaginaire, conception que l'on se fait des objets qui se manifestent, la nature dépendante qui inclut tous les phénomènes produits par des causes, c'est-à-dire qui participe de la coproduction conditionnée ou interdépendance et la nature parfaitement établie qui est la nature réelle ou absolue des phénomènes, la nature dépendante toute simple quand elle est entièrement dégagée de l'entendement imaginaire. Cette dernière est la réalité telle qu'elle, la vacuité des caractères phénoménaux de l'existence et de l'inexistence et l'absence de dualité sujet-objet. 

   La polémique fait toujours rage entre Mâdhyamaka et Cittamâtra. Les maîtres mâdhyana reproche principalement au Cittamâtra ses tendances substantialistes qui se résument en deux points : l'affirmation de l'existence ultime de l'esprit et l'existence réelle des phénomènes éprouvés par la conscience dans leur nature dépendante, c'est-à-dire en tant que phénomènes efficients. De leur côté les Cittamâtrin taxent le Mâhadhyamika de nihilisme. Leur conception de la vacuité diffère en effet de celle de Mâdhyanmika : pour eux; la vacuité est l'absence de dualité sujet-objet au sein de la conscience qui seule existe. En fait, la doctrine cittamâtrin, destiné à être associée à la pratique méditative, mène à l'expérience directe de la tathatâ, la réalité telle quelle, où tout concept s'abolit. Dès lors, on peut considérer sa théorie comme un expédient provisoire, très efficace pour expliquer la causalité karmique du phénoménal mais destinée à être surmontée dans l'expérience ultime de la réalité. 

  Le système du Cittamâtra a permis l(éclosion de l'école Yogacâra mâdhyamika, où tout en embrassant une vue de la vérité ultime résolument mâdhyamika, on ne rejette pas la vue cittamâtrin concernant la vérité relative. A l'inverse, les auteurs mâdhyamika prâsansika tels que CADRAKISTI en Inde et DJÉ TSONGKHAPA au Tibet ont non seulement critiqué le substantialisme du cittamâtra, mais aussi réfuté l'idéalisme et le concept d'âlayavijnâna et de conscience a-perceptive, préférant s'en tenir à un vérité relative "selon les conventions du monde", c'est-à-dire de type réaliste. Tel n'a toutefois pas été le choix d'autres penseurs prâsangika au Tibet, comme GORAMPA, LONGCHENPA ou MIP'AM RIMPOCHÉ, qui n'ont pas récusé la présentation cittamâtrin de la vérité relative. (Philippe CORNU)

 

Le Madhyamaka

      L'école du Madhyamaka se veut plus achevée : dans sa fonction insondabilité, sa transcendance, la Nature-de-Bouddha ne saurait être appréhendée, et la seule philosophie valide ne saurait être que radicalement négative. NÂGÂRJUNA, la grande figure de cette école résume sa position dans son célèbre tétralemme :

- On ne peut affirmer : "il existe quelque chose"

- On ne peut affirmer : "il n'existe rien"

- on ne peut affirmer : "il existe quelque chose et il n'existe rien"

- On ne peut affirmer : "il existe ni quelque chose, ni rien".

Cette philosophie constitue l'aboutissement conséquent et radical de la doctrine de la vacuité. 

    Cette école tire son nom de madhyamâ, "du milieu, médian", se voulant par excellence la voie du milieu à laquelle le Bouddha faisait référence dans ses premiers enseignements. NAGARJUNA (II-IIIe siècle) et ses continuateurs veulent mener à son aboutissement la notion de "voie du milieu" dans une dialectique qui ne penche vers aucune extrême de la pensée et n'affirme aucune opinion, se contentant de demeurer dans une attitude non fixée menant à la compréhension de la vacuité de toutes choses. La vacuité, selon cette école, n'est pas un concept philosophique mais l'expérience de la réalité ultime de toutes choses (ce qui ne nous empêche pas de le prendre pour un concept philosophique...), ce qui fait dire à NAGARJUNA : "Le Vainqueur a dit que la vacuité est l'évacuation complète de toutes les opinions. Quant à ceux qui croient en la vacuité, ceux-là, je les déclare incurables" (Kârikâ).   On peut, là aussi, présenter le Madhyamaka en trois volets, la Base, la Voie, le Fruit. Abordons ici seulement la Base.

Celle-ci consiste à unir les deux vérités ou réalités, la réalité relative ou conventionnelle, qui concerne le registre des apparences phénoménales, et la réalité absolue ou ultime, qui est la vacuité des phénomènes. Il faut tout d'abord bien distinguer ces deux réalités que CANDRAKIRTI définit ainsi : "Tous les phénomènes ont deux natures : celle trouvée en percevant leur réalité et celle trouvée en percevant leur caractère trompeur. L'objet de la perception correcte est la réalité absolue, celui de la perception trompeuse, la réalité conventionnelle". La réalité relative est dite "réalité d'enveloppement" parce qu'elle nous cache complètement l'essence de la réalité. Au niveau relatif, les phénomènes apparaissent à nos sens et semblent exister vraiment, mais ils sont ultimement dépourvus d'existence intrinsèque : phénomènes composés, c'est-à-dire soumis à la causalité, ils sont impermanents et dépourvus d'être en soi. Nés d'une combinaison de causes et de circonstances, leur existence dépend d'autres facteurs : c'est la coproduction conditionnée ou interdépendance. NAGARJUNA déclare dans le tétralemme : "Où que ce soit, quelles qu'elles soient, ni de soui ni d'autrui, ni de l'un et de l'autre, ni indépendamment de l'un et de l'autre, les choses ne sont jamais produites". Par les "éclats de diamant", on démontre l'impossibilité de la production d'un phénomène à partir de lui-même, à partir d'un phénomène radicalement autre, des deux à la fois, d'aucun des deux. La production conditionnée concerne des phénomènes inconsistants, in-substantiels, qui échappent aux quatre alternatives de "l'être", du "néant",  "l'être et du non-être à la fois" et du "ni être ni non-être". NAGARJUNA qualifie donc la production interdépendante des phénomènes au moyen de huit négations : absence de production et de cessation, de permanence et d'annihilation, d'allées et venues, d'unité et de multiplicité. Il précise que "la production conditionnée, nous l'appelons vacuité. C'est une désignation métaphorique, la voie du milieu". Les apparences liées par la causalité n'ont en fait pas de substrat réel : l'in-substantialité des phénomènes est leur vacuité d'être en soi. Telles et la réalité absolue. Les deux réalités sont  donc :

- opposées puisque l'apparence d'un phénomène n'est pas sa réalité absolue ;

- inséparables car, bien que vides d'existence en soi, les phénomènes apparaissent et, bien qu'apparaissant à nos sens, ils sont sans existence en soi ;

- d'une même essence ; la nature essentielle ou ultime des phénomènes relatifs est leur vacuité.

En conclusion, la coproduction conditionnée des phénomènes implique leur absence d'être en soi. Elle nous détourne de l'éternalisme, puisque des phénomènes existant en soi ne pourraient exister en dépendance d'autres phénomènes. Il n'y aurait alors ni production ni destruction possibles. Elle nous évite aussi une conclusion nihiliste, puisque les phénomènes apparaissent et existent relativement par le fait de la production interdépendante. Les phénomènes n'ont donc pas d'être en soi, mais ne sont inexistants non plus. Telle est la voie du milieu. (Philippe CORNU)

     NAGARJUNA est le premier dans l'histoire du bouddhisme à avoir créé un "système" philosophique qui tente de prouver l'irréalité du monde extérieur, au lieu de la présenter comme un fait éprouvé. Cette façon de penser constitue la pierre angulaire du Mâdhyamaka et exerce sur le développement philosophique des autres branches du bouddhisme une influence non négligeable. Sa principale oeuvre attestée est la (Mûla-)Mâdhyamaka-Kârikâ, (Journal poétique sur la Doctrine du Milieu) qui renferme en 27 chapitres (400 vers), l'essentiel de sa pensée.  (Ingrid FISHER-SCHREIBER).

 

Ingrid FISHER-SCHREIBER, Dictionnaire de la sagesse orientale, Robert Laffont, 1989. Philippe CORNU, Dictionnaire Encyclopédique du Bouddhisme, Seuil, 2006.  

 

PHILIUS

 

Relu le 24 décembre 2020

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