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26 mars 2010 5 26 /03 /mars /2010 13:43
 
       Dans son livre guide de la philosophie marxiste, pour la comprendre (tout simplement) au-delà des anathèmes et des récupérations-déformations de tout ordre, Henri LEFEBVRE expose trois moments de son élaboration :
- de sa jeunesse chez les hégéliens de gauche (1841) jusqu'au Manifeste du Parti Communiste (1848). De nombreuses oeuvres dans cette période montrent la philosophie Karl MARX en gestation, avec ses hésitations et ses doutes, ses affirmations déjà tranchées et ses points de départ : Cahiers épicuriens et thèse de doctorat sur Épicure et Démocrite (1839-1841), Critique de la Philosophie de droit de Hegel (1841-1842), La question juive (1843), Introduction à la critique du droit de Hegel (1844),  Thèses sur Feuerbach (1844), La Sainte Famille ou critique de la critique critique, Contre Otto Bauër (1845), l'idéologie allemande (1845-1846), Misère de la philosophie (1847) et enfin Manifeste du Parti Communiste (1848).
- du Manifeste au Capital, commencé en 1867, avec l'Introduction générale de la critique de l'économie politique de 1857 et l'Avant propos à la critique de l'économie politique de 1859.
- Le Capital dont la rédaction s'échelonne de 1867 jusqu'à sa mort en 1883.
     
       André TOSEL rappelle de son côté qu'il s'agit pour nous d'une reconstitution de la genèse de cette philosophie ; le développement de la philosophie marxiste a toujours connu un développement discontinu, "comme a été fragmentaire le rapport à Marx dont l'oeuvre inachevée n'a été connue que de manière fragmentaire. Chaque génération a dû trouver son Marx propre (donc sa propre perception de la philosophie de Marx)." Les livres II et III du Capital n'ont été disponibles qu'à la fin du XIXe siècle, les Manuscrits économico-philosophiques de 1844 et L'idéologie allemande n'ont été accessibles qu'à la fin des années 1930 et les grands textes des années 1858-1863, Grundrisse inclus, n'ont été réellement exploitables et exploités qu'après 1945. De plus, ses oeuvres furent inégalement connues selon les pays et les régimes politiques les censurant au fut à à mesure de leur disponibilité. De manière paradoxale, les intellectuels occidentaux eurent sans doute une connaissance plus complète des oeuvres de Karl MARX que leurs contemporains des pays sous régime "communiste".

      Avant de faire un parcours de ces différentes oeuvres et cerner ainsi la philosophie de Karl Marx selon ses propres mots, il est particulièrement utile de s'appuyer sur la présentation d'Henri LEFEBVRE.
Le marxisme ou matérialisme dialectique apparait sous deux aspects principaux :
- sous un aspect méthodologique : A partir des écrits de HEGEL, qui avait repris et développé dans sa Logique les questions relatives à l'emploi méthodique de la Raison abordés par DESCARTES, LEIBNIZ et KANT, Karl MARX approfondi la logique hégélienne et continue l'élaboration de la méthode dialectique ;
- sous un aspect historique de la conscience humaine, à travers un effort pour élaborer une théorie de l'aliénation.

       Toute discussion commence par la confrontation de thèses opposées, et si cela semble évident (pas forcément pour tout le monde...), la question "devient délicate" lorsqu'il s'agit de savoir d'où viennent ces divergences. Certains s'arrêtent à la réflexion sur l'erreur et la faillibilité humaines et de nombreux philosophes attribuent les divergences exclusivement aux défaillances de la pensée et certains soutiennent qu'en allant plus loin la discussion peut permettre de trouver des accords logiques. En fait, ces divergences peuvent apparaître insurmontables, de véritables contradictions et de plus, le philosophe, comme tout être humain, "est obligé de chercher la vérité, de tâtonner, d'avancer pas à pas en confrontant les expériences, les hypothèses, les connaissances déjà acquises, avec toutes leurs contradictions".
Par ailleurs, il faut admettre que c'est dans les choses elles-mêmes que ces contradictions ont un fondement, un point de départ. "En d'autres termes, les contradictions dans la pensée et la conscience subjectives des hommes ont un fondement objectif et réel.".
      Vis-à-vis de ce problème capital, deux attitudes sont possibles pour l'intelligence et la raison : soit on décrète que ces divergences, ces contradictions viennent seulement des défaillances de la pensée humaine (et là, les religions sont toutes d'accord!) et que l'homme atteindra un jour la révélation de la vérité une et éternelle (attitude métaphysique), soit on recherche l'origine de la réalité de ces contradictions, selon une méthode qui tente de prendre ces contradictions en compte.
"On considère que les méthodes traditionnelles de la pensée réfléchie doivent être approfondies (...), en déterminant, plus fortement que jamais, la vérité et l'objectivité comme buts de la raison, on définit une raison approfondie, la raison dialectique.".
 
      Pour Karl MARX, confronté aux faits scientifiques et aux problèmes sociaux et économiques, cette méthode dialectique est la seule qui puisse à l'homme d'approcher la vérité objective. Il veut analyser les aspects et les éléments contradictoires de la réalité. Il veut établir les liens entre ces aspects et ces éléments contradictoires qui agissent dans une même réalité. il veut retrouver son unité et l'ensemble de son mouvement.
Henri LEFEBVRE conseille fortement de lire les indications qui se trouvent dans les Préfaces au Capital pour retrouver cette perception des choses.
Il convient pour Karl MARX de distinguer la méthode de recherche et la méthode d'exposition. La recherche doit s'approprier en détail l'objet étudié, découvrir les relations internes de ses éléments, en prenant garde de ne pas calquer purement et simplement les méthodes scientifiques en sciences physiques ou naturelles sur les réalités sociales et économiques, qui obéissent à des lois très différentes.
L'exposition doit restituer ces réalités dans leur mouvements. Karl MARX insiste beaucoup plus que ses prédécesseurs sur le fait que ces réalités sont toujours en mouvement, et que si le réel est unique (nous sommes tous dans une même réalité), chaque élément de ce réel possède son propre mouvement, son devenir. Dans ses écrits, il s'efforce de présenter à la fois les résultats de sa recherche et d'analyser ces résultats afin de reconstituer ce mouvement (du capital par exemple).
Point très important et souvent oublié, les idées que l'on se fait des choses - le monde des idées - ne sont que le monde réel, matériel, exprimé et réfléchi dans la tête des hommes, à partir de la pratique et du contact actif avec le monde extérieur.
     
      Dans son analyse, Karl Marx découvre vite des groupes concrets de population, c'est-à-dire des classes. "Mais ces classes ne sont que des abstractions si l'analyse ne se poursuit pas et n'atteint pas les éléments sur lesquels elles reposent : le capital, le salariat... Mais ceux-ci, à leur tour, supposent l'échange, la division du travail, les prix... L'analyse rencontre donc partout des éléments à la fois contradictoires et indissolubles et elle doit les distinguer sans perdre leur lien."
Ce que Karl MARX reproche aux économistes comme Adam SMITH, c'est d'étudier séparément la division du travail et la consommation, la production. Pour lui, ils n'arrivent pas à saisir les rapports entre la bourgeoisie et le prolétariat, rapports dialectiques qui enveloppent un conflit constant, ne recherchant et parfois ne "trouvant" qu'une harmonie sociale. Il reproche à HEGEL de chercher à atteindre le concret que par la pensée réfléchissant à part, par le seul mouvement de la pensée, par la manipulation de concepts abstraits... alors que ce concret ne peut être atteint que si l'on prend en considération son mouvement réel, historique, changeant.
     Ce que Karl MARX découvre par son analyse, c'est l'existence d'un capitalisme pratiquement antédiluvien, aux formes changeantes dans le temps comme dans les zones où il se déploie - commercial, industriel, financier...
"L'analyse permet de retrouver le mouvement réel dans son ensemble, donc d'exposer et de comprendre la totalité concrète actuellement donnée, c'est-à-dire la structure économique et sociale actuelle. La connaissance de cette totalité, à travers ses moments historiques et son devenir, est un résultat de la pensée, mais n'est en rien une reconstruction abstraite obtenue par une pensée qui accumulerait des concepts en dehors des faits, des expériences, des documents".
            
              L' humain est un fait, pensée, connaissance, raison, sentiments tels que amitié, amour, courage, sentiment de la responsabilité, sentiment de la dignité humaine, véracité. L'inhumain également, injustice, oppression, cruauté, violence, misère, souffrance. L'humain et l'inhumain se confondaient jadis ; aujourd'hui, la conscience quotidienne les discerne.
Pourquoi? "Sans doute, de ce que le règne de l'humain semble possible, de ce qu'une revendication profonde entre toutes et fondée directement sur la conscience de la vie quotidienne projette sa lumière sur le monde."
C'est avec ces considérations qu'Henri LEFEBVRE présente le deuxième aspect de la philosophie de Karl MARX.
Les métaphysiciens et les religions ont présenté tous l'homme dans un rapport entre ce qui est bien et ce qui est mal et les philosophies dominantes (un philosophe comme Michel ONFRAY nous le rappelle constamment) ont déprécié la passion, l'imagination, le plaisir, confondu avec l'inhumain. Si l'homme comporte des vices, à côté des vertus, c'est qu'il a subi, qu'il subi une déchéance. Métaphysique et religion apportèrent donc une théorie de l'aliénation, HEGEL la reprenant à son compte, et Karl MARX lui en donne un sens dialectique, rationnel et positif. Il lui donne un sens précis, débarrassé de toute hypothèse fantaisiste sur une chute, une déchéance, un mal...
"L'aliénation de l'homme n'est pas théorique et idéale, c'est-à-dire sur le seul plan des idées et des sentiments ; elle est aussi et surtout pratique, et se découvre dans tous les domaines de la vie pratique. Le travail est aliéné : asservi, exploité, rendu fastidieux, écrasant. La vie sociale, la communauté humaine, se trouve dissociée par les classes sociales, arrachée à elle-même, déformée, transformée en vie politique, dupée, utilisés par le moyen de l'État."
L'aliénation est surtout économique, sociale, politique...(et inclus un rapport avec la nature). Certains produits de l'homme semble même prendre une existence indépendante : sa pensée et ses idées lui semblent venues d'ailleurs. Le rapport de l'être humain avec les fétiches, entendre ses relations à l'argent et à l'État politique, ses abstractions idéologiques diffèrent et s'enchevêtrent avec son rapport réel avec les biens.
L'analyse dialectique peut discerner ces éléments, perpétuellement en conflit dans le mouvement réel de l'histoire : l'élément spontané (biologique, physiologique, naturel), l'élément réfléchi (la conscience naissante, mal dégagée, d'abord, mais cependant déjà réelle et efficace) et l'élément apparent, illusoire (l'inhumain de l'aliénation et des fétiches).
  
     Le communisme que Karl MARX appelle de ses voeux, n'est pas autre chose que la disparition de l'aliénation. Il ne se définit pas comme le paradis sur terre ou comme un idéal, il se définit comme le mouvement par lequel l'homme peut s'épanouir dans toute ses potentialités.
Lisons simplement ce qu'en dit Henri LEFEBVRE, pour dissiper - encore une fois - toute analogie avec un certain régime politique justement décrié :
"Le communisme se définit donc :
- Comme le moment historique où l'homme, ayant retrouvé consciemment son lien avec la nature (matérielle), s'épanouit dans les conditions d'une puissance illimitée sur cette nature, avec tout l'apport d'une longue lutte et tout l'enrichissement d'une longue histoire.
- Comme le moment où la raison émerge décidément, organise l'ensemble humain et dépasse (sans le supprimer, au contraire, en gardant l'essentiel de ses riches conquêtes) le long processus naturel, contradictoire, accidenté, douloureux, que fut la formation de l'homme.
- Comme le moment où l'aliénation multiple (idéologique, économico-sociale, politique) de l'humanité se trouve peu à peu dépassée, résorbée et abolie (sans que la richesse matérielle et spirituelle conquise à travers ces contradictions soit supprimée)."
   "Ceci implique le dépassement de la propriété privée, c'est-à-dire non pas la suppression de l'appropriation personnelle des biens, mais de la propriété privée des moyens de produire des biens (moyens qui doivent appartenir à la société et passer au service de l'humain). La propriété privée de moyens de production entre, en effet, en conflit avec l'appropriation de la nature par l'homme social. Le conflit se résout par une organisation rationnelle de la production, qui ôte aux individus et à la classe monstrueusement privilégiés la possession de ces moyens de production."
   L'auteur indique que les textes de l'aliénation et ses différentes formes sont dispersés dans toute son oeuvre, à tel point que leur unité resta inaperçue jusqu'à une date toute récente (1974).

Henri LEFEBVRE, Le marxisme, PUF, collection Que sais-je?, 1974 ; Pour connaître la pensée de Karl MARX, Bordas, 1977. André TOSEL, Le marxisme du 20e siècle, Editions Syllepse, 2009.

                                                         PHILIUS
 
Relu le 9 novembre 2019
 
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