C'est à partir des violences ressenties que les différents membres d'une population définit ce qu'ils acceptent et ce qu'ils réprouvent. A partir de l'intensité de ces violences-là, ils estiment les peines à encourir pour ceux qui sont désignés comme coupables de ces souffrances. Du moins dans un monde sécularisé qui laisse peu de place à des considérations religieuses tirées d'interprétations de livres sacrés. A partir du moment où l'on ne considère pas que ces textes soient la voix de Dieu, on en revient à des interprétations plus ou moins objectives.
Les attitudes face aux crimes et délits...
Les violences commises par les délinquants ou les criminels (parfois les individus ont peine à établir une frontière entre un délit et un crime... tout-à-fait à l'inverse des professionnels des institutions judiciaires), "laissent des traces plus ou moins profondes sur les corps et dans les esprits", comme l'écrit Pierre V. TOURNIER.
Le directeur de recherches au Centre d'histoire sociale du XXe siècle à l'Université PARIS I-Panthéon Sorbonne indique que "les statistiques administratives des ministères de l'Intérieur et de la Justice en conservent elles aussi la mémoire, du moins partiellement, à travers le prisme des classifications policières et des qualifications juridiques. Ces dernières peuvent d'ailleurs évoluer au long du processus pénal : ce qui était, initialement, pour la police ou le parquet, une affaire d'homicide involontaire (un délit de la compétence du tribunal correctionnel) (bien entendu, l'auteur raisonne à partir du cas français) pourra se terminer, devant la cour d'assises, par une peine de réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat (homicide volontaire avec préméditation).
Nombre de faits échappent à la police comme à la justice. On peut en avoir connaissance à travers les enquêtes dites de victimisation. Selon leur nature et leur gravité, les faits seront qualifiés, en droit, de contravention, de délit ou de crime. Ainsi, le meurtre est un crime puni de trente ans de réclusion criminelle (voire de la perpétuité dans telle ou telle circonstance aggravante) ; les violences ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) pendant plus de huit jours constituent un délit puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ; si l'incapacité n'est que de huit jours ou moins, il s'agit d'une contravention de cinquième classe punie d'une amende de 1 500 euros ; la diffamation non publique envers une personne est, elle, une contravention de première classe, punie d'une amende de 38 euros."
A travers ces exemples l'auteur veut faire comprendre une certaine relativité et une certaine instabilité du rapport entre l'acte commis et la peine encourue. Du côté des prévenus, des professionnels de la "justice" et du côté des victimes règnent des conceptions-perceptions très différentes. Et ceci dans le cadre d'un système juridique relativement ancien à l'intérieur d'un État lui aussi ancien, doté de traditions juridiques bien établies.
"A chacun sa vérité? Oui et non. Il ne peut exister une seule mesure de la délinquance et de la criminalité, une seule mesure de la violence. Aussi peut-on imaginer la difficulté qu'il y a à informer nos concitoyens sur une telle question face à des médias qui se refusent à rendre compte la complexité des choses et face à des politiques qui veulent surtout savoir si "ça" monte" ou si "ça" descend afin d'en tirer un avantage partisan en toutes circonstances." Les travaux de l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) indiquent surtout des statistiques qui rendent compte plus ou moins fidèlement les réalités...
La perception de la violence...
De manière plus ample, Bruno LEMESLE, Michel NASSIET et Pascale QUINCY-LEFEBVRE, montrent dans une Introduction à de nombreux travaux, cette sensibilité variable aux violences.
La réflexion sur la violence est au coeur du débat public et elle s'impose comme sujet d'étude au travers des représentations qu'en donne le corps social, des modes de régulation qui la prennent pour cible. La pluralité même des sens et fonctions de la violence est également sujet d'études. Elle s'impose, même lorsque des troubles comme ceux révélés par l'affaire d'Outreau en France, ne "perturbent" pas le fonctionnement de l'appareil judiciaire. L'objectif de nombreuses études est de définir ce qui, pour cette institution, est violence, est violent. Une autre dimension est d'étudier la violence sécrétée par l'institution judiciaire elle-même, à en repérer les manifestations, à en discerner les évolutions chronologiques et à tenter de la comprendre.
"Au cours des dernières décennies, la violence a en effet souvent été analysée en se référant implicitement aux concepts modernes. Pourtant, bien des pratiques aujourd'hui tenues pour violentes par l'institution judiciaire et par la société ne l'ont pas été dans le passé. Certaines formes que nous tenons aujourd'hui pour violentes ont pu bénéficier d'une légitimité sociale. Du coup, l'un des objectifs (....) (est) d'examiner comment le pouvoir judiciaire réagit ; s'oppose t-il à une violence qu'il combat, creusant alors une distance avec la société, ou du moins avec une partie d'entre elle, ou bien choisit-il d'ignorer des formes de violence pourtant explicitement illégitimes en termes de normes et de droit? A partir des archives judiciaires, mais aussi religieuses (et parfois ce sont les mêmes...), de nombreux auteurs dénichent les occurrences les plus fréquentes qui stigmatisent certaines pratiques sociales, notamment l'emploi de termes comme injustice et violence. Ce qui frappe, dans ces travaux qui vont du Moyen Age à l'époque moderne, c'est la corrélation implicite entre les violences et les soulèvements paysans ou urbains. La violence pouvait aussi recevoir une acceptation légale ou sociale dans des cas précis, comme le duel judiciaire (entendre là un véritable duel, les armes à la main...).
"La question de la légitimité de la violence conduit directement à évoquer les actions de vengeance. Leur persistance au-delà du début de la construction de l'État les a renvoyés dans les marges de l'illégalité." La prégnance de la notion d'honneur et la persistance de la vengeance "appellent à relativiser la pertinence de l'application, à l'histoire de la violence, de la théorie du procès de civilisation de Norbert Elias, qui interpelle et divise les historiens." "Toutefois, si les pratiques de vengeance demeurent larges et en partie reconnues par l'autorité judiciaire, les différences sociales sont sensibles. Les élites rurales et nobiliaires savent mieux que les catégories inférieures faire usage du monde judiciaire. C'est pourquoi il importe d'évaluer les relations complexes qui s'établissent entre les autorités judiciaires et les communautés d'habitants, dès lors que les premières se prêtent - volontairement ou non - à leur utilisation par celles-ci pour protéger des proches ou pour assouvir des vengeances. Nous devons voir comment l'attitude des autorités judiciaires peut être déterminée par les relations de pouvoir internes aux communautés d'habitants."
"Ceci nous introduit à la question des réponses pénales de l'autorité judiciaire face à la violence et donc à la "violence légale" exercée par l'autorité, selon une expression (...) antinomique mais qui fait écho à la célèbre formule de Max Weber. Discours de la violence et "violence légale" ne doivent pas être considérés séparément car l'un et l'autre participent d'une même construction. Les théoriciens à la fin du Moyen Age insistent sur la valeur exemplaire de la peine. Mais, de même que pour l'appréciation de la violence par les victimes, il convient de se livrer à une critique serrée des sources disponibles, à cause de l'extrême inégalité de leur conservation et, par conséquent, à une critique de ce qu'elles peuvent apporter au-delà d'une lecture empirique. De là, il faut réévaluer la réponse pénale violence de l'État en construction."
Le rapport entre ces violences et l'émergence de la souveraineté, jusqu'au vocabulaire employé pour les désigner est posé par de nombreuses études. "Quel rapport pouvons-nous établir entre cette violence et la notion même de souveraineté lorsque le souverain l'exerce ou lorsqu'elle est exercée en son nom? Ou encore en quoi la violence et sa rémission exercée par une puissance souveraine, rémission qui semble en être l'autre face, servaient-elles chacune à sa manière la souveraineté, en quoi participeraient-elles de sa construction et de sa définition? On le sait, tous les crimes n'étaient pas pardonnés. Et lorsque la violence judiciaire prend l'aspect terrifiant de la torture, ne doit-on pas se demander dans quelle mesure cette violence institutionnelle, par son usage et par le discours que l'autorité produit pour la justifier, ne se définit pas en opposition à la violence extrajudiciaire, débridée, voire sanglante? La violence légitime que l'État s'attribue renvoie donc à une rationalité ; il y a un discours sur la violence qui est un élément de la construction de l'État à la fin du Moyen Age et à l'époque moderne."
La délinquance, objet d'études de bien des sociologies
En histoire contemporaine, le nombre d'études explose, à la mesure des disciplines touchées par les questions de la délinquance, de la sociologie urbaine à la sociologie du droit... Cela d'autant plus, sans doute, que l'individu est plus que jamais au centre de ce droit. L'individu, dans un État de droit, dans un monde de droit, doit être protégé : la "sûreté élevée au statut de droit de l'individu."
On peut constater avec les auteurs de cette Introduction, que "l'historiographie de la violence pour la période contemporaine a longtemps été dominés par une question : celle des processus de régulation des homicides à l'origine de notre modernité aux XIXe et XXe siècles. Après la question fortement débattue dans les années 1970 et 1980 des taux d'homicides, mais aussi la fécondité des recherches sur les violences collectives ou familiales à partir d'une problématique comme "ordre et désordre", l'historiographie s'est, en partie, renouvelée et enrichie dans les années 1990 au contact de l'anthropologie et dans la continuité ou la contestation des recherches impulsées par le philosophe Michel Foucault. (...) Dans l'historiographie récente, la violence extrême fascine nombre d'historiens par ce qu'elle pourrait révéler de l'inconscient de notre modernité. (...) Dans une nouvelle ère des masses, la violence médiatisée devient un sujet de recherche. Elle nourrit une culture du fait divers, source de nouveaux imaginaires et rend possible l'étude d'un "populisme pénal" pour répondre à l'indignation collective."
Pour le meilleur et pour le pire, aurions-nous tendance à écrire, car il n'est pas sûr que le discours focalisé sur les violences extrêmes (de la grande criminalité au terrorisme) aide beaucoup à percevoir les évolutions profondes de la société.
"Bien sûr d'autres problématiques font le pont avec les interrogations des périodes antérieures : autour des violences légitimes ou fondatrices et des basculements dans l'illégalisme ou l'intolérable. A partir d'une étude des formes, places, fonctions, rendus de la violence, le chantier reste ouvert lorsqu'il s'agit de rendre compte des adaptations ou résistances au changement politique et social, de mettre à jour des retournements de sensibilités, d'étudier les fonctions sociales de la violence, mais aussi de mieux comprendre l'absorption des violences collectives par des institutions comme l'armée ou l'école".
Tant en droit, sociologie qu'en anthropologie, nous pouvons écrire à la suite de ces auteurs que les recherches foisonnantes interdisent d'indiquer une dominance, qu'ils soit politique, juridique, idéologique.... A côté de problématiques qui se situent d'emblée dans le cadre des sociétés capitalistes libérales, persiste tout un courant sociologique d'inspiration plus ou moins ouvertement marxistes.
Pour rester dans le cadre des études centré sur le judiciaire à l'époque contemporaine, "des répertoires ont été élaborés, des typologies proposées, mais bien des approches restent à explorer. Avec le thème "violence et judiciaire", le regard est orienté vers "ce qui entre, ce qui sort du judiciaire" et bien sûr vers l'étude des modèles juridiques et des pratiques judiciaires. La variabilité des pratiques et le pragmatisme de certaines décisions apportent des éclairages sur les perceptions sociales de la violence, mais aussi sur les objectifs de la justice. Les modes de saisie, les abandons de poursuite avant jugement, les possibles requalifications des crimes et délits, des réponses souvent partielles... sont des indices de la complexité des relations entre violence et judiciaire. Il faut dire que ces affaires de violence ne sont jamais simples pour une justice qui n'ignore pas les fonctions sociales de cette dernière mais qui, dans un État de droit, exige un certain niveau de garanties procédurales. Les travaux sur l'activité des tribunaux correctionnels révèlent alors une justice souvent prudente qui peut paraître indulgente dans son souci d'arrangement et de pacification des moeurs publiques ; une justice prête à refermer la boite des violences par crainte de créer du désordre et de nouvelles querelles.
Avec profit, la recherche s'attarde sur la reconstructions des normes sous le choc des pratiques judiciaires, explore l'impact social et culturel de la codification juridique des violences. Elle s'empare d'une question vaste qui est celle des interrelations entre société, normes et droits. L'étude du traitement judiciaire des violences est alors susceptible de mettre en lumière les mutations propres aux sociétés modernes." Il est question dans ces études de la responsabilité de l'individu dans une société libérale, de la sensibilité aux violences dites "ordinaires" ou "banales" dans un mouvement de plus grande judiciarisation des violences privées, du rôle de l'État dans la régulation des violences...
Propriété privée et délinquance
La société libérale s'organise autour de la défense de la propriété individuelle, base de la sécurité, selon l'idéologie en vigueur. Dans ce cadre, les chercheurs questionnent : Quelles sont les violences poursuivies? Comment évolue la demande des justiciables?
Les études françaises et anglo-saxonnes n'interrogent ni les mêmes contextes et pas avec les mêmes objectifs. "L'historiographie française, rappelle les auteurs, de la violence s'est longtemps centrée sur l'étude et le traitement judiciaire des violences corporelles. La codification influence la recherche, et le droit est l'expression d'une culture. Les études nord-américaines ont plus directement intégré, dans leurs enquêtes sur la violence, les atteintes aux biens ; des biens prolongation de l'individu dans un pays de culture protestante et où les identités se sont forgées à l'ère du capitalisme triomphant. Mais alors que notre culture s'américanise et que toute violence tend à devenir une délinquance à éradiquer, on peut observer, avec profit, la recherche historique quitter le prétoire des assises, étendre son territoire aux "violences ordinaires", banales ou quotidiennes particulièrement bien saisies (...)". Se pose la question du rôle de l'État dans la régulation (ou la production) des violences, au moment où il se pose, à travers ses fonctions sanitaires et sociales, comme moteur, agent principal... d'un ordre protectionnel, susceptible de se substituer à l'ordre pénal, par le jeu de multiples réglementations. Au moment où ces fonctions sanitaires et sociales perdent de l'importance (dévolution au secteur privé, individualisation des assurances sociales...), comment l'État peut-il agir ou agit-il encore?
Études du criminel, études du phénomène criminel....
Très longtemps, seule la sociologie criminelle, en tant qu'annexe de la criminologie mais pas toujours, s'est intéressée à la délinquance et à la criminalité, en tant que telle. Jean-Michel BESSETTE d'une part, Jacques FAGET d'autre nous présentent les sociologies qui s'y intéressent de manières différentes, mais ils se rejoignent sur le constat que l'étude du phénomène criminel ne se réduit pas à l'étude du criminel, de son comportement et de ses "corrections", mais aux problématiques autour de la norme, des normes sociales en général.
Jean-Michel BISSETTE part de la constatation que "tout groupement humain sécrète des valeurs, des normes et des règles dont l'ensemble - sous forme de coutume, de droit - vise, d'une manière générale, au maintien de sa structure. Cet ensemble normatif agit en retour sur le corps social comme un système de régulation. Bien entendu, les valeurs, les normes et les règles varient selon l'espace et le temps, imprimant leur marque particulière à la vie collective, qui se trouve ainsi diversifiée selon les sociétés."
La transgression de ces normes et de ces règles entraîne la réaction d'une société donnée, par la peine qu'elle inflige à celui ou à celle qui effectue cette transgression. Le domaine de la réaction sociale à la transgression de ces règles constitue le champ de la sociologie criminelle. "C'est ce champ de recherche, que l'actualité médiatique de la vie de nos sociétés porte en avant des préoccupations collectives (...)." "L'étude du phénomène criminel, poursuit le professeur à l'Université de Franche-Comté, intéresse le sociologue à plus d'un titre. En effet, tout acte de transgression est une fenêtre ouverte sur la société. Par les défis qu'il lance à la société et la déchirure qu'il opère dans le tissu de valeurs collective, le crime offre à celui qui l'observe un point de vue particulier, et son étude constitue pour le sociologue une voie d'approche féconde. Il agit comme un révélateur ; c'est à l'occasion des crises (et le crime est une crise ponctuelle) qui l'affectent, que l'on est le mieux à même d'apercevoir les rouages d'une société.
Désignant - en les outrepassant - les limites imposées à ses membres, le crime, non seulement donne à voir les racines sur lesquelles se fonde la vie d'une collectivité, mais par la réaction sociale qu'il suscite, il nous montre aussi à travers quels mécanismes une société se conserve, et se renforce, tout en nous ménageant une perspective sur la problématique du changement social. C'est un élément significatif permettant de saisir le degré de cohésion des valeurs collectives et de suivre leur évolution. De plus, à travers l'étude des divers acteurs qu'il met en jeu - qu'il s'agisse des auteurs du code, de ceux qui le transgressent, des victimes, ou encore des divers entrepreneurs de morales qui stigmatisent les auteurs de transgressions, en leur attribuant la qualification de criminels - ce sont les oppositions à l'intérieur et entre les différents groupes sociaux que le phénomène criminel met en relief. Enfin, à travers l'étude des processus favorisant le "passage à l'acte", c'est la formation et le développement de la personne - et plus particulièrement l'influence du social sur l'individuel - qu'il nous est donné d'observer."
Jacques FAGET constate de son côté que "jusqu'à la fin du XIXe siècle, les recherches sur le crime relevèrent presque exclusivement du domaine médical. Mais l'hégémonie des médecins s'étiola lorsqu'on comprit que le comportement délinquant n'était pas nécessairement le fruit d'un organisme déficient mais qu'il pouvait aussi avoir des raisons sociales." Il attribue à GAROFALO (1885), l'une des premières propositions de rassembler l'ensemble des approches scientifiques du crime sous le nom de criminologie.
"Le caractère flou et fédérateur du terme lui assura un grand succès. La criminologie se présente en effet comme un domaine de connaissances pluridisciplinaires dont les principales déclinaisons (sociologie, psychologie, psychiatrie, histoire, droit, médecine, police technique, anthropologie...) se veulent complémentaires." Alors que sans doute, vu les acteurs et les domaines d'intervention en cause, ces rapprochements sont l'occasion de multiples conflits de disciplines... et de compétences dans le traitement de la criminalité, non exempts à cette époque de sous-entendus politiques et idéologiques. En tout cas, pour revenir au chercheur (CERVL) et enseignant à l'Institut d'études politiques de Bordeaux, "l'approche sociologique du crime et de la justice pénale n'est donc qu'un des éléments de la boite à outils qu'est la criminologie. Elle est généralement désignée sous le terme de sociologie criminelle ou sociologie pénale. L'expression sociologia criminale (Ferri et Colajanni en revendiquent tous deux la paternité) permit au mouvement italien des juristes socialistes de se démarquer des théories innéistes ou héréditaires dominantes." Émile DURKHEIM initie en France cette sociologie criminelle dans la Revue d'anthropologie criminelle (1886). Mais en fait, les véritables recherches (en tant que pratiques) se développent seulement dans les années 1920 aux États-Unis et dans les années 1960 en Europe.
Quelles sociologies et quelles délinquances....
L'auteur, toujours Jacques FAGET, préfère parler de sociologie de la délinquance et de sociologie de la justice plutôt que de sociologie criminelle et de sociologie pénale. Car l'expression sociologie criminelle présente le désavantage de présenter une infime partie pour le tout.
Une présentation spectaculaire de cette sociologie qui fait son succès (confirmé par les ventes toujours importantes de livres consacrés au crime... sans parler du succès des romans policiers mettant surtout en vedette des crimes tels que vols très importants ou des assassinats...) s'éloigne du propos des travaux sociologiques qui, dans leur immense majorité, se préoccupent davantage de la délinquance juvénile ou de la délinquance de masse. Cette sociologie de la délinquance et de la justice pénale se trouve au confluent, tout en s'en détachant de quatre sociologies :
- la sociologie de la déviance ;
- la sociologie du droit ;
- la sociologie politique ;
- la sociologie des organisations.
Sans entrer pour l'instant dans les différentes sociologies de la délinquance - et il y en a un certain nombre - constatons comme Jacques FAGET que "l'épine dorsale du débat criminologique se situe au croisement de deux postures philosophiques et scientifiques.
La première oppose des conceptions plus ou moins déterministes ou libérales de l'acte délinquant, la seconde distingue une focalisation sur l'explication du passage à l'acte délinquant ou bien sur la manière dont les institutions définissent les limites à ne pas franchir et en sanctionnent ou non la transgression. Ces deux césures sont moins évidentes que l'histoire de la sociologie de la délinquance les a souvent présentées. De nombreux travaux naviguent entre déterminisme et libéralisme ou empruntent aux deux paradigmes dits du passage à l'acte et de la réaction sociale.
Pour autant, tout n'est pas dans tout et il existe quatre courants dominants qui permettent de baliser un certain nombre de chemins.
Le premier, que l'on qualifiera de culturaliste, est largement focalisé sur l'analyse des chocs culturels dus à l'intensification des phénomènes d'immigration et préoccupé par les processus d'intégration des immigrants. Il considère la délinquance comme le produit de la désorganisation de la structure sociale et culturelle qui préside à la socialisation des individus.
La deuxième perspective, connue sous l'appellation des théories de la tension, postule que la nature de l'homme est conformiste. C'est le fait de ne pouvoir accéder à la réalisation de désirs pourtant légitimes qui pousse les individus à la transgression.
Le troisième courant de pensée est rationaliste. Il part du postulat inverse que la transgression est naturelle à l'individu et que, dès lors, c'est la nature du contrôle social qui s'exerce sur ses comportements qui peut en assurer la normalité.
Enfin, une quatrième posture de recherche considère qu'il est vain de se demander qui est le délinquant sans auparavant s'être interrogé sur la définition même du crime et de la délinquance. Elle opère donc un travail de déconstruction des catégories sociales et juridiques et présente la délinquance comme le produit d'une négociation sociale, d'une construction judiciaire ou d'une logique politique et économique de domination."
Jacques FAGET, Sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Érès, collection trajets, 2007. Jean-Michel BESSETTE, Sociologie criminelle, dans Sociologie contemporaine, sous la direction de Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL, Vigot, 1997. Bruno LEMESLE, Michel NASSIET et Pascale QUINCY-LEFEBVRE, Introduction de La violence et le judiciaire, discours, perceptions, pratiques, sous la direction de Antoine FOLLAIN, Bruno LEMESLE, Michel NASSIET, Eric PIERRE et Pascale QUINCY-LEFEBVRE, Presses Universitaires de Rennes, 2008. Pierre V. TOURNIER, article Délinquance, dans Dictionnaire de la violence, sous la direction de Michela MARZANO, PUF, 2011.
SOCIUS
Relu le 19 décembre 2020