Il n'existe pas de publication francophone à l'heure actuelle qui dépasse le public spécialisé, alors que foisonnent les sites sur Internet consacrés à la religion ou à la philosophie hindoue, souvent orientées vers la pensée de tel ou tel auteur, dans un but de propagande idéologique ou commerciale. La France est dotée en revanche d'un éventail assez large et assez nombreux d'étudiants, de doctorants, d'universitaires et de spécialistes dans les problématiques anciennes ou modernes concernant le sous-continent indien, mais la production de travaux originaux semble stagner en qualité et en quantité, même en tenant compte de la tendance généralisée à la publication en anglais, même de la part d'institutions financées sur des fonds publics français. L'intérêt du grand public est bien retombé en ce qui concerne les "sciences" ou la "sagesse" orientales, notamment indienne, mais restent tout de même actives diverses organisations en liaison avec des "gourous" ou des "maitres" en Inde.
Ici, nous nous concentrons sur les sources d'études universitaires de l'inde ancienne et moderne. Nous ne présentons que trois revues des plus importances en France après avoir rapporté la vue d'ensemble des études indiennes et d'Asie centrale en 2012 d'un indianiste réputé, Gérard FUSSMAN. Les études indiennes, d'une manière ou une autre touchent très souvent un aspect ou un autre de l'hindouisme, même lorsque, dans le corps des contributions, il n'en est pas fait mention.
Gérard FUSSMAN (né en 1940), historien français et titulaire d'une chaire d'Histoire du monde indien au Collège de France, expose sa vision de l'état actuel des études en France sur l'Inde et l'Asie centrale.
"J'ai commencé à apprendre le sanskrit en 1958. Quatre ans plus tard,(...), j'étais nommé archéologue-adjoint à la Délégation Archéologique Française en Afghanistan. Je pense qu'aujourd'hui ce ne serait plus possible, pas seulement parce que depuis quelques années les postes se raréfient et que les chercheurs obtiennent plus facilement des crédits de recherche pour une courte période qu'un emploi permanent leur assurant la tranquillité d'esprit nécessaire pour mener des recherches de longue durée. Je pense surtout que les institutions sont devenues beaucoup plus frileuses. Elles recrutent sur diplômes (...) exclusivement, même quand cela n'a pas de sens, par exemple au CNRS, à l'EFEO et à l'APHE. On ne fait pas confiance aux jeunes gens alors que tout professeur sait très bien que, sauf exception, on peut très bien juger des capacités présentes et futures d'un étudiant de 20 ans. Il en résulte un accroissement de la précarité pour les jeunes chercheurs, un retard de carrière pour ceux plus âgés et une perte de capacités pour la recherche, par abandon des jeunes chercheurs sans fortune personnelle ou familiale, par vieillissement du corps des chercheurs également. Ce n'est pas le moindre effet négatif des réformes successives de la recherche et de l'université qui toutes ont, l'une après l'autre, accrues la lourdeur et la lenteur des recrutements sans avoir apporté la moindre garantie quant à leur qualité.
En 1958, le sanskrit était la discipline reine, en partie parce qu'une connaissance minimale de cette langue était nécessaire pour faire de la grammaire comparée des langues indo-européennes. Cette discipline jouissait d'un grand prestige, étant la seule linguistique enseignée et bénéficiant de l'aura des grands noms de l'Université, dont Émile Benveniste. La seule Inde qui valait était l'Inde ancienne, très ancienne même. L'Inde moderne n'était qu'une dégénérescence. Les indianistes de cette époque, remarquables savants s'il en fut, ont manqué deux tournants. Le renouvellement de la linguistique telle que symbolisée par les noms de Martinet et Chomsky, l'intérêt grandissant suscité d'abord par l'Inde contemporaine puis médiévale. La linguistique française moderne s'est constituée en dehors et, dans une certaine mesure, contre la grammaire comparée. Les études indiennes contemporaines se sont développées à l'INALCO et à l'EHESS. Ces deux coupures n'ont en rien bénéficié à l'indianisme. Mais il y a eu un énorme changement de perspective. En 1958 on pouvait se dire indianiste, et même anthropologue indianiste, sans connaitre aucune langue contemporaine de l'Inde. Les étudiants formés depuis 1980 sont tous censés parler une langue contemporaine de l'Inde et en tout cas ne croient plus qu'on puisse faire une enquête de terrain en anglais seulement.
La hiérarchie des champs d'études a aussi beaucoup changé. En 1958 le sanskrit, assimilé à l'Inde, était la discipline reine, en France comme en Allemagne. C'était l'héritage de la découverte, au début du 19e siècle, de cette langue et de son apport à la grammaire comparée des langues européennes. Le tibétain et le japonais étaient des disciplines confidentielles enseignées à l'École des Langues Orientales seulement, de statut nettement inférieur à celui de l'Université, ne serait-ce que parce que très peu de ses enseignants étaient docteurs. Devenue l'INALCO, c'est maintenant, après maintes péripéties, une université de plein droit, avec de nouveaux locaux, la proximité d'une bibliothèque ultra-moderne (la BULAC) et la participation au PRES (Pôle de Recherche de l'Enseignement Supérieur) Paris-Cité. Dans le domaine des études orientales, désormais orientées vers le monde contemporain, c'est apparemment l'institution qui a le plus d'avenir.
La hiérarchie actuelle de la production scientifique me parait différente de celle implicitement admise en 1958. Le monde contemporain alors négligé par l'Université, est désormais privilégié par les étudiant et les "décideurs"". Du point de vue de la productivité de la recherche, la hiérarchie me semble plutôt être études iraniennes, études centra-asiatiques, études indiennes. Pour le nombre des étudiant, c'est probablement le chinois qui arrive en tête. Cela a des causes objectives. Pour l'Iran le renouveau des études avestiques, sous l'impulsion en France de mon collègue Jean Kellens, et le développement des études sur le chiisme dans la lignée d'Henri Corbin et maintenant de Mohammed Amir-Moezzi. Pour l'Asie centrale, c'est le développement des fouilles archéologiques en Afghanistan jusqu'en 1978 et ensuite en Ouzbékistan. La création de l'Institut Français de l'Asie Centrale (IFEAC) à Tashkent, malheureusement fermé en 2011 par la volonté des autorités ouzbèques, a permis le développement d'études sur l'Asie centrale contemporaine. La Chine a profité du prestige d'une nation en pleine renaissance, de plus en plus ouverte sur l'étranger, de l'enseignement du chinois dans les lycées français et d'un réservoir d'étudiants chinois et surtout chinoises issus de l'immigration ou venus en France grâce à des bourses. Ces bourses existent aussi pour les étudiants indiens, mais ceux-ci ne viennent pas en France étudier l'indianisme classique : ce sont les métiers de la finance et du management qui attirent les meilleurs d'entre eux, y compris et surtout en Inde contemporaine.
Cette situation n'est pas définitive. Le rapide développement économique de la République indienne va accroître l'attirance pour les études indiennes une fois que nous auront fait comprendre à tous qu'il ne suffit pas de savoir l'anglais pour comprendre les pays et ses habitants. Mais les indianistes, malgré une augmentation très sensible du nombre des postes, sont aujourd'hui très mal armés pour défendre ou restaurer le prestige de leur discipline.(...)."
Le chercheur mentionne que les conditions d'accès au terrain ont complètement changé depuis les années 1970. L'Afghanistan et la Pakistan (où se situent de nombreux sites exploitables pour l'étude de l'Hindouisme ou de l'Inde ancienne), alors relativement en danger, sont de fait fermés aux chercheurs étrangers. L'Inde, informe t-il encore, de plus en plus agitée de mouvements nationalistes hindous qui rendent le dialogue difficile, interdisent aux étrangers, de même qu'aux Indiens, de traiter de certains sujets n public, comme l'apport musulman, les Aryens, les causes de la scission de 1947.... Les coopérations ne peuvent se faire que sur des sujets qui ne fâchent pas, la grammaire de Pânini ou l'urbanisme antique...
Le Centre d'Études de l'Inde et de l'Asie du Sud
Le Centre d'Études de l'Inde et de l'Asie du Sud (CEIS), le plus grand laboratoire français de recherche en sciences sociales sur le sous-continent indien, dirigé actuellement par Blandine RIPERT, est une unité mixte de recherche (UMR 8564) de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) (où il a son siège principal, 190-198 avenue de France, 75244 PARIS CEDEX 13) et du CNRS. Fondé au milieu des années 1950 sous l'impulsion de Louis DUMONT, ce Centre avait pour objectif de rénover l'étude de l'Inde par la conjonction des diverses disciplines des sciences sociales et humaines avec les acquis et les problèmes de l'indologie classique. Il regroupe dès l'origine les spécialités alors enseignées à Paris.
Le CEIAS est aussi un centre de documentation (Maison de l'Asie, 22 avenue du Président Wilson, 75116 PARIS) dont la bibliothèque possède le fonds le plus important d'ouvrages (30 000 environ) et de périodes (439 dont 60 vivants) sur l'Asie du Sud moderne et contemporaine. Son catalogue est en ligne dans la base de données de la Bibliothèque Universitaire des Langues et Civilisations (BULAC).
En 2011, le CEIAS a accordé un accueil institutionnel à la revue en ligne SAMAJ (South Asia Multidisciplinary Academic Journal), revue à comité de lecture consacrée à la recherche en sciences sociales sur l'Asie du Sud (http://samaj.revues.org).
Le CEIAS publie depuis 1975, sous le titre de Purusârtha, une collection dont les volumes (environ un par an) ouverts aux chercheurs extérieurs français et étrangers reflètent les orientations de recherche et les débats scientifiques qui se développent en son sein. Parmi les ouvrages publiés, notons L'Inde des Lumières, de Marie FOURCADE (2013), circulation et territoire dans le monde indien contemporain, de Véronique DUPONT (2010) ou encore Divins remèdes. Médecine et religion en Asie du Sud (2009). Beaucoup de thèmes sur l'hindouisme sont abordés dans cette collection, comme Rites hindous, de Gérard COLAS (2006) ou Tribus et basses castes, de Marine CARRIN (2002).
Depuis 1998, le CEAIS fonctionne comme laboratoire de rattachement administratif pour le Centre de Compétences Thématiques du CNRS en modélisation, analyse spatiale et systèmes d'information géographique (CTT MASSIG).
Le Bulletin d'Études indiennes
Le Bulletin d'Études indiennes, publié dans le cadre de "Mondes iranien et indien" (27, rue Paul Bert, 94204 IVRY-SUR-SEINE), Unité Mixte de Recherche créée en 2005, est publié par l'Association Française pour les Études indiennes (52, rue du Cardinal Lemoine, 75231 PARIS CEDEX 05). Fondé en 1983 par Nalini BALBIR (actuel éditeur et responsable de publication) et Georges-Jean PINAULT, ce périodique scientifique est consacré à tous les aspects relatifs aux études indiennes. Chaque numéro (200 à 300 pages) (périodicité irrégulière) contient des articles et au moins une vingtaine de comptes rendus, et en outre, des études monographiques et des nécrologies. Il est accompagné de suppléments. Le numéro 30 de 2012 est achevé d'imprimer en mars 2013.
Ainsi le Bulletin n°26-27 (2008-2009), après des rapports pour l'exercice 2009, contient les articles entre autres de Jean FEZAS (Traditions et sens commun, une présentation népalaise du rituel : La fête Tij vue par Bhîma Nidhi Tiwâri, de Mislav ZEVIC (Les études indiennes en Croatie : Histoire, présent, projets, résultats, publications), de Roman MOREAU (Bhima Vrkodara : homme ou animal?) ou de Jérôme PETIT (Baârasîdâs et Jean-Baptiste Tavernier : Feux croisés sur l'histoire économique de l'Inde au XVIIe siècle)... Ce Bulletin s'adresse à un public très spécialisé.
L'Institut d'Études indiennes
L'Institut d'Études Indiennes, du Collège de France produit une Lettre d'information, envoyée à une centaine d'instituts indologiques étrangers et publiée par les Publications de l'Institut de Civilisation Indienne, les Editions de Boccard (11, rue de Médicis, 75006 PARIS). Installé 52, rue du cardinal Lemoine (75231 paris cedex 05), l'Institut, présidé par Jean KELLENS, par sa publication, donne des informations sur ses activités d'enseignements et de recherche. Fondé en juin 1927 à l'initiative d'Emile SANART, appartenant à l'origine à l'Université de Paris, il a été rattaché au Collège de France en janvier 1973.
Le fonds important de la bibliothèque de l'Institut d'études indiennes (85 000 volumes et 450 titres de publication, dont 40 vivants) couvre toute l'Asie du Sud, soit l'Inde, le Pakistan, le Népal, le Sri Lanka, l'Asie centrale indianisée, Afghanistan et dans une moindre mesure l'Asie du Sud-Est, les périodes du monde indien ancien et principalement l'Inde préislamique. On peut y trouver des ouvrages sur la linguistique, l'archéologie, l'histoire des religions, le védisme, le brahamanisme, le bouddhisme et le jaïnisme. Le consultation est ouverte aux chercheurs, ainsi qu'aux doctorants et dans certains cas aux élèves de master sur lettre de recommandation. Comme pour beaucoup de bibliothèques spécialisées rattachées à un ensemble universitaire, l'autorisation de consultation se fait en général sur recommandation de professeurs, pour les étudiants de 3ème cycle, et à titre exceptionnel pour des lecteurs occasionnels.
Relu le 30 août 2021