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28 octobre 2010 4 28 /10 /octobre /2010 12:39

       Pour se limiter au cas français et du coup à la conscription, même sans se restreindre à la forme moderne du service national aujourd'hui suspendu, nous pouvons nous demander quels films illustrent, d'une manière ou d'une manière la condition militaire, que ce soit dans la fiction ou le documentaire.

C'est relativement tôt que nous pouvons retrouver des traces, des scènes, des allusions souvent à cette condition militaire dans les oeuvres de fiction, dès avant 1914. L'armée, de son côté, s'est organisée pour filmer la guerre depuis 1915, pour rattraper le retard pris sur l'armée allemande et pour répondre aux souhaits des sociétés de cinéma Gaumont, Pathé, Eclair et Eclipse, notamment par la création d'une Section Cinématographique de l'armée (SCPA), lointain ancêtre de l'ECPA actuel. Enfin, il nous reste à trouver, en dehors de films familiaux tournés de manière strictement privée, des documentaires indépendants qui font état de la condition militaire...

Si le phénomène guerre en soi a fait très tôt le sujet de films de fiction destinés au grand public, de films documentaires à des fins de propagande ou de commémoration... la condition militaire en soi n'est qu'évoquée à titre d'anecdote dans des films de tout genre, et n'intéresse surtout qu'entre deux-guerre, et surtout sur le registre comique, les sociétés de cinéma, et ne fait l'objet d'une succession de films documentaires dans les armées, de manière systématique, qu'après 1969.

 

        Sébastien DENIS pense que "entre antimilitarisme et patriotisme, le cinéma français a donné naissance à des stéréotypes qui ont survécu à l'épreuve du temps. Car si le rôle du militaire est avant tout de combattre, sa présence à l'écran est plus liée à la vie de l'arrière qu'au champ d'honneur : en dehors du temps de guerre, on s'intéresse plus dans les films à sa vie sentimentale et extra-guerrière qu'à ses hauts faits, sinon pour faire l'apologie du pacifisme. Ainsi se profile dans la production courante un soldat bien plus prosaïque qu'héroïque, une image plus "valorisante" étant à chercher dans un ailleurs fantasmé."

 Pour cet auteur, la fin du premier conflit mondial voit le personnage du militaire sortir de la propagande de guerre pour intégrer dans les années 1920, un flot de drames mondains impliquant le plus souvent la figure d'un officier noble. Il cite ainsi Calvaire d'amour, du réalisateur Tourjansky, de 1923 ; Celle qui domine, de Gallone, de 1927 ; Chignole, de Plaissetty, de 1927; La chateleine du Liban, de Gastyne, de 1926. La plupart des intrigues amoureuses, lorsqu'elles mettent en scène des officiers ou des sous-officiers, très rarement des soldats du rang, n'utilisent le militaire que comme adjuvant du mélodrame traditionnel. Comme Le bonheur perdu, de Fescourt, de 1912 ; Le rachat du passé, de Perret, de 1914 ; et plus tard, comme Les petites alliées, de Dréville, de 1936 ; La porte du large, de Marcel L'Herbier, de 1936 ; Des légions d'honneur, de Maurice Gleize, de 1938. Dans un autre registre, celui du comique ou de la comédie romantique, le cinéma intègre dans les scénarios les mêmes niveaux de grade, depuis le début du siècle. Ainsi Le buste du commandant, de 1909 ; Madame et son filleul, de 1919 ou Chouquette et son as, de 1920, tous les trois produits par Pathé. Ce genre, dans la mesure où il fait appel plus ou moins au militaire, le comique, supplante après les années 1930, celui de la comédie dramatique. Domine alors nettement, dans le genre comique, les films de caserne.

   "Les films de caserne, qui connaissent leur apogée entre les périodes de conflit, sont emblématiques de la vision de l'armée héritée du Mouézy-Eon de Tire-au-flanc (adapté par Renoir en 1928, par Wulschleger en 1937 et par Givray en 1961) ou du Courteline des Gaités de l'escadron (adapté par Tourneur en 1913 et en 1932). Brimades, réprimandes injustifiées sont alors le lot quotidien d'un soldat ne comprenant pas précisément son rôle - un Cabu arrivera aux mêmes conclusions. Ignace (Pierre Colombier, 1937) est un bon exemple de ces films de "tourlourous" : Fernandel - d'ailleurs issus du music-hall - aussi représentatif du militaire de comédie que Gabin l'est du colonial mythique, y campe un benêt parfait auquel la maladresse vaudra bien des malheurs - et pour finir le bonheur. C'est l'archétype du vaudeville militaire que les multiples Dégourdis de la 11ème (Christian-Jaque, 1937,...), Tampon du capistom (Francis et Toulout en 1930, Labro en 1950), et autres Cavalier Lafleur, Margoton du bataillon, Deux combinards ou Trois artilleurs au pensionnat, propagent dans les années 30. Après les hautes années de l'entre-deux-guerres, la défaite de l'armée française en 1940 et la Libération font du militaire - en dehors des films de propagande - un personnage absent ou dont il n'est pas encore d'actualité de se moquer juste après 1945. Il faut attendre les années 1960-1970 pour voir réapparaitre les avatars des Dégourdis sous la forme de Charlots et autres 7ème compagnie. Encore faut-noter que les comédies de l'après-guerre-d'Algérie sont souvent en rapport avec la Seconde Guerre Mondiale, montrant une armée française en pleine déconfiture face aux Allemands, des prisonniers de guerre ou bien des Français venant en aide à des militaires étrangers (La Grande Vadrouille, de Gérard Oury, 1966). Quoiqu'il en soit, les comédies relatant l'Occupation s'évertuent à caricaturer les militaires nazis faute de glorifier les troupes françaises, absentes du territoire ou à la botte de l'envahisseur. Ainsi le comique du temps de paix permet-il de traiter par le cynisme un temps guerrier évincé." 

         Jacques LOURCELLES, dans son Dictionnaire du cinéma, commente Les gaités de l'escadron, réalisé par Maurice Tourneur en 1932, en le dissociant du courant du comique et du vaudeville troupiers cher au cinéma français des années 1930.

"Son objet et son ambition sont tout autres. loin de nouer des intrigues sentimentales et burlesques, d'alimenter des quiproquos et des malentendus, Maurice Tourneur, fidèle à la pièce de Courteline, livre, dans une unité de lieu absolue, une satire de la vie militaire basée sur une accumulation de vignettes et de saynettes." (...) (Il) tempère cependant le vitriol de Courteline par une ironie souriante. Il accentue encore, dans cette intention, l'importance (du capitaine) Hurluret (interprété par Raimu), génie tutélaire d'un univers souvent absurde et cruel.". Autre film commenté par Jacques LOURCELLES, Le train de 8h47, de 1934, réalisé par Henry Wulschleger, qui raconte l'équipée ferroviaire et nocturne de deux militaires chargés de récupérer quatre chevaux égarés dans un une caserne voisine:  "Si la mise en scène est rudimentaire, Courteline n'aurait pu rêver meilleur interprète pour son épopée à rebours que le vieux routier Bach allant bras dessus, bras dessous avec le presque débutant Fernandel. (...) Ces deux caricatures vivantes, admirables de verve, de santé, de puérilité, se mettent mutuellement en valeur et rendent à l'univers courtelinesque sa saveur première, sa force comique venue du tréfonds de l'art français et proche, par exemple, d'un fabliau du Moyen-Age". Quant à Les dégourdis de la onzième, le même commentateur décrit ce film de 1937 réalisé par Christian-Jaque comme "l'une des meilleures (et chronologiquement l'une des dernières comédies militaires des années 30). Le genre est typique d'une époque où le but suprême était de divertir le public, non de l'impressionner ou de l'édifier. On hésite à appeler le film un vaudeville, car il n'est basé sur aucune des situations vaudevillesques traditionnelles."

        Raymond LEFEVRE s'étend sur ces "Rires de caserne" qui connurent de multiples rebondissements pendant toute la période où le service militaire était en vigueur. Il est difficile de se dégager des gaudrioles d'un cinéma de caserne quand on recherche des films traitant de la condition militaire... L'âge d'or du comique de garnison, c'est-à-dire de films qui prennent comme environnement et personnages principaux le cadre du service miliaire n'a duré pour cet auteur "qu'une douzaine d'années".

Nous pouvons retenir de la filmographie "récente" les films suivants, qui au début remplacent tout de même la farce par la fantaisie élégante, mais qui devient de moins en moins élégante avec le temps... :

- Les grandes manoeuvres, René Clair, 1955 ;

- Tire-au-flan 62, Claude de Givray et François Truffaut, 1961 ;

- Les bidasses en folie, Zidi, 1971... Et toute la série des bidasses...

 Le film Allons z'enfants, d'Yves Boisset, de 1980, qui a pour cadre une école militaire, semble, avec sa peinture dramatique, donné une sorte de coup d'arrêt à la production de films troupiers ou de casernes.

  La série de films qui commence par Le gendarme de Saint-Tropez (1964) et se termine par Le gendarme et les gendarmettes (1982) dans le registre comique, reprend les éléments des films de caserne. Pour certains (Jean Tulard dans son Guide des films) laids et vulgaires, pour d'autres divertissants et jouant sur la nostalgie (même de manière décalée vu le contexte), ces films sont fondés surtout sur une vision de l'autorité hiérarchique (caricaturale...).

 

         Violaine CHALEAT, retraçant l'histoire du cinéma au service de la défense, résume l'évolution de l'activité de l'Établissement Cinématographique et Photographique des Armées (ECPA). Après 1968 et jusqu'à la suspension du service militaire, l'ECPA a pour tâche la production de tous les films pour les armées, la réalisation de reportages intéressant le ministère de la défense, la reproduction, la diffusion et la conservation des films et des photographies. Il conserve sa mission de productions de films d'instruction et d'information, consacrés autant à la politique de dissuasion qu'à la vie quotidienne des appelés. "Il ne s'agit plus seulement de filmer la guerre, mais aussi de documenter la vie de l'armée française en temps de paix, dans tous ses aspects. Le service national alimente l'établissement en jeunes talents prometteurs, dans tous ses domaines de la production : Claude Lelouch, Rémy Grumbach ou Alain Darchy feront ainsi leurs premières armes de cinéma ou de télévision à l'ECPA, dont la production témoigne d'une notable créativité dans la forme du discours et du point de vue technique. (...) A l'heure de la télévision, l'armée se donne également les moyens d'utiliser ce média de masse : elle dispose jusqu'à la suspension du service national de différentes émissions télévisées sur les chaînes hertziennes, les magazines Armée 2000, Magazine Horizon et Top Défense. La vidéo est utilisée dans la production militaire à partir des années 1980, mais les films les plus prestigieux sont tournés en 35 mm jusqu'au début des années 1990".   Ensuite, c'est surtout la vidéo qui domine, dans les différents services du SIRPA par exemple. Si la production des films d'instruction a disparu, des co-productions continuent, notamment avec la chaine parlementaire LCP, sur laquelle est diffusé chaque mois depuis 2006, le Journal de la défense. 

   Une vidéo DVD instructive de 165 minutes, Souviens-toi Bidasse, album souvenir du service militaire (témoignage de quatre générations d'appelés sur leur vie quotidienne, leur présence sur les fronts et scènes burlesques de vedettes en uniforme) est disponible auprès de l'ECPAD.

 

                                                                                                                                   FILMUS

 

Violaine CHALEAT, le cinéma au service de la défense, 1915-2008, Revue historique des armées, n°252, 2008 (Dossier sur le cinéma). Sites ECPAD.fr et Recrutement.Terre.Défense.Gouv.fr pour des documents, surtout de propagande (parfois faite par des réalisateurs de publicité..., nous l'avons constaté, les pires, mais ils reprennent les mêmes ressorts habituels de la propagande du recrutement ).

Sébastien DENIS (Le militaire français à l'écran : un chevalier inexistant?) et Raymond LEFEVRE (Rires de caserne), L'armée à l'écran, Ciném'Action n°113, 4ème trimestre 2004.

 

Relu le 27 février 2020

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