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17 décembre 2014 3 17 /12 /décembre /2014 09:18

    Les séries télévisées, types d'émissions de fiction ancrée dans le paysage culturel des sociétés "modernes", sont analysées, en dehors de la "critique" artistico-commerciale courante des supports médiatiques (papier, internet, télévision...) tantôt en tant qu'élément important de la machine économique capitaliste, tantôt en tant que vecteur de valeurs. Rares sont les analyses qui tiennent les deux bouts, économiques et culturels de leur rôle. Quel que soit leur genre - familial, science fiction, dramatique, comique et même politique - les séries constituent un noeud privilégié dans les politiques de fidélisation du public des chaines de télévision. Qu'elles soient consensuelles ou (parfois faussement) critiques, elles figurent parmi les émissions en définitive les plus citées que ce soit dans la presse générale, la presse-télé ou les études sociologiques.

A côté de la téléréalité et des émissions politiques (journaux télévisés) et des émissions sportives, les séries offrent un éventail varié des conflits culturels qui traversent les sociétés : conflits de génération, conflits sur la place de la justice et de la vengeance (que l'on songe aux séries policières), conflits sur le rôle de la violence et de la sexualité. S'entremêlent bien entendu des logiques de représentation de la société et des logiques de conflits socio-économiques réels, ne serait-ce que par la prédominance des personnages et des situations représentés : plus le policier que l'ouvrier, plus l'ingénieur que le technicien, plus le patron que l'ouvrier, plus les classes riches que les classes pauvres. Tout semble parfois circuler entre le sexe, l'argent, le pouvoir et la violence, avec des regard tantôt conformistes faussement ironiques ou des regards critiques limités par les courses à l'audience (plaire au plus grand nombre limite les marges de manoeuvre de représentation critique...). La prédominance forte des séries américaines donnent une image parfois très orientée des États-Unis, elle-même génératrice de perceptions, en Europe notamment, qui rendent parfois difficile une compréhension de la réalité de cet immense pays. On pourra faire la même remarque sur la place des séries chinoises dans le monde asiatique ou des séries indiennes dans une vaste région du monde... Leur force réside tout simplement en la dramatisation fictionnelle (avec des préférences marquées pour les décalages d'espace et de temps) de nombres de problèmes bien actuels. Elles introduisent une prise de distance par rapport au monde où le spectateur se regarde comme dans un miroir (très) déformé, en même temps que, tout simplement par le tour de passe passe habituel de l'entertainment (force de la passion et des affects), elles peuvent faire adhérer bien plus facilement à des valeurs que d'autres émissions - culturelles, politiques ou mêmes sportives, qui obligent (un peu plus et pas toujours) à faire appel au raisonnement.

 

   Christian BOSSENO, sur les séries télévisées écrit que "boudées naguère par l'intelligentsia, considérées à l'origine comme un genre mineur, un sous-produit culturel voué au seul divertissement, (elles) ont aujourd'hui conquis leurs lettres de noblesse. Certaines d'entre elles sont analysées dans les grandes revues de cinéma et bénéficient d'une légitimité académique, au point de constituer des thèmes de cours, séminaires et colloques universitaires. La télévision est désormais regardée comme l'égal du cinéma et nombreux sont les grands cinéastes (Steven Spielberg, Martin Scrocese) qui travaillent sur les séries, reconnues comme génératrices de nouvelles formes esthétiques et narratives. Consubstantielle à la télévision pour laquelle la notion de rendez-vous est essentielle, la série télévisée est ainsi devenue un genre universel aux thématiques multiples. Elle est aussi l'héritière des feuilletons publiés dans la presse quotidienne depuis le milieu du XIXe siècle et des feuilletons radiophoniques. Le cinéma de son côté, avait montré le chemin avec les serials, au début du XXe siècle. Déjà, ces films à épisodes avaient mis en place ce qui est devenu un dispositif clé des séries télévisées, le cliffhanging ("suspendu à la falaise"), créant à la fin de chaque épisode un suspens tellement puissant qu'il suscite l'impérieux besoin de revenir, la semaine suivante, pour connaitre la suite de l'histoire". Même si, entre parenthèses, rares sont les spectateurs qui suivent réellement d'un bout à l'autre ces épisodes (qui peuvent être très nombreux...). Les spectateurs de DVD qui les rassemblent pour une lecture suivie sont sans doute les seuls à le faire, à des années de distance des raisons pour lesquels ces serials ont été conçus. On peut noter en passant que le marché des DVD consacrent la place éminente, loin devant les sports et les documentaires, des séries télévisées.

   "La télévision, termine-t-il, est devenue un des principaux vecteurs culturels dans le monde. les séries en constituent une composante majeure. Facteur de lien social et d'identification (notons nous-mêmes que le jeune spectateur voit plus souvent les acteurs des séries télévisées que ses parents!), répondant à un besoin universel d'"histoires" et d'imaginaire (que ne racontent plus précisément, notons-nous encore, les parents...), une série tisse, grâce à sa durée, un lien profond, fait d'empathie et de connivence, avec le téléspectateur qui s'identifie volontiers avec un personnage qui lui ressemble ou réalise ses rêves d'évasion. Cet attachement peut concerner aussi des personnages asociaux, comme le médecin boiteux dans Dr House (2004-2012). La série devient alors le miroir et l'expression de la société qui la produit. Dans une économie planétaire des médias, il importe que chaque culture, sans subir la déferlante d'une culture dominante, puisse exprimer son identité propre à travers des séries capables de prendre en compte ses particularités. D'où l'impérieuse nécessité de développer une production nationale ambitieuse."

 

   C'est souvent par rapport au cinéma, dont ils tirent nombre d'enseignement techniques et dramaturgiques, que sont analysées les séries télévisées. Ainsi Pascal LOUGARRE écrit qu'elles sont "l'avenir ou la mort du cinéma."

"Depuis qu'elles occupent le devant de la scène critique et scientifique, les fictions télévisuelles semblent ne pouvoir tenir que l'un ou l'autre de ces rôles à l'égard de leur aîné cinématographique. Salvateur ou destructeur, leur dialogue avec le cinéma est toujours radical. En France, il est alimenté par la conception dominante d'une culture hiérarchisée et une cinématographie auteuriste dubitative devant ces productions audiovisuelles aux multiples scénaristes et aux réalisateurs interchangeables. Aux États-Unis où les séries sont reines, elles assument pourtant sereinement leur position d'infériorité par rapport au septième art dont l'imaginaire reste la glaise à partir de laquelle elles remodèlent sans cesse leur formule immuable. Modèle à subvertir ou à parodier, mais modèle. Le pullulement des citations cinématographiques dans les séries contemporaines les plus populaires impliquent qu'un "sériphile" se doit en premier lieu d'être un cinéphile. L'inverse n'est pas vrai. Le cinéma complexe la télévision qui, en retour, le cannibalise sans complexe pour s'en émanciper tout en rêvant de lui ressembler. Rusée, la chaîne pionnière du câble HBO, développa une stratégie de communication visant à se définir comme autre chose que de la télévision et valorisa l'identité autoriale des créateurs de série (...). Afin de conquérir un public cinéphile méfiant, l'industrie des séries télévisées lorgna du côté de la politique des auteurs et du cinéma européen des années soixante.

Qu'on le veuille ou non, le cinéma reste donc l'étalon suprême à partir duquel les séries se calculent. Les discours qui les opposent, louant la préciosité du film unique contre la standardisation des épisodes multiples ou le savoir-faire et l'audace narrative des séries qu'Hollywood aurait perdues masquent à peine l'embarras de ceux qui les proclament. Une gêne occasionnée par les trop nombreuses similitudes entre séries et cinéma : moyens de production, genres, grammaire audiovisuelle, que différencie vraiment une grande série d'un mauvais film, un chef d'oeuvre du cinéma d'un soap opera de carton-pâte? Piégée en plusieurs points, la comparaison nécessite un peu de hauteur et de simplicité. La confrontation entre séries et cinéma doit aborder les oeuvres par leurs différences les plus évidentes : les spectateurs qui les regardent et les écrans qui les portent."

 

     Des différences majeures existent entre les conditions du spectacle cinématographique (dans une salle, avec d'autres nombreux spectateurs, dans le noir, la lumière indirecte...) et du visionnage télévisuel (dans un cadre familier, au milieu des habitudes domestiques, avec ses proches, dans une pièce éclairée et souvent encombré, la lumière directe, scintillante et hypnotique...), sans compter la taille respective des écrans (ce qui tend à s'amenuiser avec les DVD-Home cinéma). Comme pour les conditions de projection-diffusion eux-mêmes (absence ou présence de publicité. A cet égard, le public français est plutôt "gâté" par rapport au public anglo-saxon, qui est gratifié depuis plus longtemps et plus souvent de coupures publicitaires, à tel point que ce que l'un perçoit comme effet dramatique (suspens dans l'épisode) n'est souvent que la relance de l'attention détournée par la publicité insérée pour l'autre... Ces différences interdisent que l'on parle sur le même plan cinéma et séries télévisées, car s'il y a homogénéisation dans les conditions de production (à tel point qu'on se partagent les mêmes studios), les conditions de réception sont radicalement différentes. Il y a bien une spécificité des séries télévisées, bien plus étroitement liées au système publicitaire, dont en grande partie elles doivent leur naissance, par rapport au films de cinéma. De nombreuses études affinent leur approche en tenant compte des conditions bien spéciales de la réception, même si celles-ci évoluent avec la montée de la domination du marché des DVD. Ces conditions, à la fois plus hachées dans le temps et dans l'espace et plus intimes pour le spectateur font l'objet d'analyses pour concevoir en quoi ces séries télévisées influencent ou modèlent la culture, notamment ce que l'on appelle la culture populaire. Quelles valeurs y sont ainsi véhiculées, absorbées, déviées à la réception? Quelle est la distance entre les intentions du/des réalisateurs d'une série et la réception de leurs oeuvres qui appartiennent, qu'on le veuille ou non, à un huitième art? Sans compter que ni les intentions des uns ni la réception des autres ne ressortent complètement de comportements conscients. C'est la répétition de la mise en scène de ces valeurs qui sans doute, nonobstant les attentions plus que lâches des téléspectateurs devant leur récepteur - qui interdisent d'ailleurs de confondre audience et intérêt de l'émission - qui exercent sans doute une influence plus ou moins profonde sur la société. Sur des thèmes bien concrets : sexualité, liens familiaux, occupations professionnelles, représentation de l'autorité, place de la violence, intensité du racisme... C'est pourquoi la recherche sociologique de presque tous les domaines de la vie sociale est intéressée par ces séries télévisées. On pourrait pousser d'ores et déjà le questionnement sur l'influence de ces séries sur les différents conflits, qu'ils soient interpersonnels ou sociaux, leur perception, leur représentation : les fictions orientent ces perceptions, certainement. Dans quels sens? De manière complexe assurément...

    On ne saurait minorer de plus les conditions de visionnage des sériées télévisées américaines en Europe (surtout en France) et aux États-Unis pour lesquels l'aspect commercial et financier est bien plus visible : ces fameuses relances du suspens au cours d'un épisode ou élément d'une série pour le spectateur européen correspondent en fait à des interruptions (coupes) publicitaire aux États-Unis... De même nombre de films sont coupés au moins en deux aux States par des messages publicitaires, chose inconcevable en France... malgré les pressions de propriétaires de certaines chaines, avides de recettes publicitaires...

 

Pascal LOUGARRE, Séries américaines, dans Dictionnaire de la pensée du cinéma, Sous la direction de Antoine de BAECQUE et de Philippe CHEVALLIER, PUF, collection Quadrige, 2012. Christian BOSSENO, Séries télévisées, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

 

ARTUS

 

Relu et complété le 10 décembre 2021

 

 

 

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