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15 décembre 2009 2 15 /12 /décembre /2009 17:29
         Dans l'introduction générale de la vaste étude sur le droit international qu'il coordonne, Mohammed BEDJAOUI montre l'articulation entre le droit interne des États et le droit international et les différences essentielles qui existent entre eux, dans leur rapport à la souveraineté.
    "De même que le droit dit interne est l'ensemble des règles qui régissent les relations des individus, des personnes morales, des groupes et des entités entre eux à l'intérieur d'un même État, le droit dit international est constitué par un corps de normes, écrites ou non, destinées à discipliner les rapports des États entre eux. Il réglemente donc en principe le comportement des États et non celui des individus.
Ce sont les États qui sont encore les protagonistes quasi exclusifs sur la scène internationale. Pour être plus précis, il faudrait parler ici de droit international public, mais le langage courant a fait prévaloir l'expression raccourcie (...). La caractéristique fondamentale de ce droit international est donc qu'il est appelé à réglementer les relations entre États, c'est-à-dire des entités qui sont connues comme étant souveraines et qui se réclament en principe de leur totale indépendance vis-à-vis de tout ordre juridique. Se pose alors immédiatement le problème (...) de savoir comment des États qui affirment ainsi leur souveraineté peuvent dépendre du droit international. Dès lors que l'on part du postulat qu'il n'existe aucune autorité supérieure à l'État, comment la norme de droit international peut-elle être produite pour et appliquée par cet État souverain? On devine qu'il n'existe qu'une seule réponse possible à cette question, à savoir que le droit international n'a pu historiquement et ne pourra encore longtemps être autre chose qu'un droit reposant assez largement sur le consentement, exprès ou tacite, des États. Cela donne sa nature véritable et sa tonalité réelle à ce droit. Il apparaît plus comme un droit de coordination (entre les compétences toutes souveraines des différents États) qu'un droit de subordination comme l'est le droit interne qui régit des sujets, au besoin par sa coercition exercée par l'appareil d'État.
      Les Etats se déclarant souverains et sacralisant leurs intérêts, toute l'histoire du droit international et toute l'évolution de celui-ci vers des formes supérieures ou plus élaborées, auront consisté à discipliner progressivement les compétences exclusives des États pour les faire "coexister" à travers une coordination satisfaisante.
Cette coordination, qui s'est réalisée sous l'empire de circonstances diverses, a pris un élan significatif lorsqu'elle parvient à s'institutionnaliser, car l'institutionnalisation est déjà tout le contraire d'un pouvoir étatique exclusif et sans contrôle. La coordination était censée concilier toutes les compétences, de paix comme de guerre. Mais le progrès le plus significatif se réalisa lorsque le pouvoir de l'État de faire la guerre fut prohibé par ce droit international de la coordination.
Un tel progrès s'accompagna d'un autre tout aussi considérable, transmutant cette coordination des compétences en coopération entre elles, par l'apparition des Organisations internationales, qui a qualitativement modifié le paysage international. Par la suite, la vocation à l'universalité de ces Organisations internationales et la promotion du droit des peuples a été à la fois la source première et le produit fini d'une communauté internationale chaque fois plus universelle et chaque fois mieux organisée, où des compétences traditionnelles et sans partage de l'État ont été disciplinées. Une telle évolution a livré l'esquisse de nouveaux sujets de droit international, l'individu, le peuple, l'humanité, placés en rivaux potentiels de l'État dans l'ordre international."

    Le Pacte de la Société des Nations en 1919 et la Charte de l'Organisation des Nations Unies en 1945 définissent la fonction de ces nouvelles organisations internationales à leurs époques respectives dans un système de coopération entre États souverains. Il existe entre la SDN et l'ONU une véritable continuité philosophique, voire politique. Il s'agit dans les deux cas de sauvegarder la paix et la sécurité internationale. Pour cela, ils disposent d'un certain nombre de moyens pour concilier les parties en conflit comme pour les sanctionner.
   Tout réside dans l'importance des règles communément acceptées et dans la manière dont elles sont ensuite appliquées. Dans l'acceptation comme dans la mise en fonction de ces règles, la SDN et l'ONU ont adopté des comportements à la fois analogues et différents. Ayons toujours à l'esprit que le système international dans lequel elles évoluent et qu'elles veulent d'une certaine manière influencer ou transformer sont très différents. Avant 1945, nous sommes dans un système colonial, inter-impérialiste et dans un monde encore morcelé. En 1945, nous entrons dans une ère d'uniformisation et de mondialisation véritables où les Nations sont maîtresses d'un bout à l'autre de la planète. De plus, les distances, et c'est capital, ne sont plus des obstacles à l'action sur les conflits.

      Qu'entend-ton finalement par souveraineté, compte tenu de l'expérience et de l'histoire des idées?
     Dans un État souverain, les citoyens sont liés par une autorité qui agit en leur nom, sont mis sur un pied d'égalité au sein d'une culture homogène, sont insérés dans un même système de solidarité et d'identité, la nation. Ils se sont placés, après de multiples mouvements de l'histoire, plus ou moins volontairement, souvent d'ailleurs par la violence, dans un système vertical d'autorité, avec une police qui sanctionne les manquements aux règles fixées, au sein d'un ensemble où règne le monopole de la violence.
       Dans le système international, les États ne sont pas liés par une autorité qui agit en leur nom de façon définitive, ne sont pas sur un pied d'égalité - il existe toute une hiérarchie de puissances - ne sont pas insérés dans le même système de solidarité et d'identité - la culture internationale est très faible à l'époque de la SDN et l'est encore aujourd'hui - et enfin ils se sont placés dans un système horizontal d'autorité, sans police permanente qui sanctionne les manquements aux règles fixées, au sein d'un ensemble où règnent de multiples centres qui revendiquent le droit d'user de la violence pour parvenir à la sauvegarde de leurs intérêts propres.
    La souveraineté est la capacité d'un ensemble politique à imposer une même règle à tous et surtout, l'histoire nous l'apprend suffisamment, à instaurer dans un espace donné une paix relative, une non guerre de tous contre tous.

        A chaque fois après une guerre mondiale aux pertes immenses et aux conséquences catastrophiques, les États ont conclu librement entre eux un traité plus ou moins universel dans lequel, essentiellement, il est confié à un organisme le soin de prévenir les guerres et/ou d'y mettre fin... Il s'agit là d'une limitation volontaire de la souveraineté, temporaire et pratiquement "au cas par cas".

Mohammed BEDJAOUI, Rédacteur général, Droit International, Bilan et Perspectives, Tome 1, Editions A. PEDONE, UNESCO, 1991.

                                                          JURIDICUS
 
Relu le 8 septembre 2019
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commentaires

F
<br /> Document de très bonne qualité!!!! un grand merci!<br /> <br /> <br />
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