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15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 13:44

      L'ouvrage de l'économiste et professeur américain de politique étrangère, de sécurité nationale, de stratégie nucléaire et de contrôle des armements à la School of Public Policy de l'université du Mariland à College Park Thomas SCHELLING (né en 1921), publié en 1960, ouvre la voie à l'étude des paris et comportements stratégiques. Il constitue un ouvrage de référence sur la théorie du conflit international. Considérant le retard à l'époque pris en matière d'études de stratégie internationale, notamment sur le plan universitaire, retard qui se traduit dans la direction de la défense des États-Unis, l'auteur s'appuie notamment sur la théorie des jeux pour analyser tous les éléments d'une théorie de la stratégie. Parfois, l'on sent bien en arrière plan (comme d'ailleurs beaucoup d'oeuvres de stratégie), la logique de l'oeuvre de CLAUSEWITZ, même si évidemment ici il ne s'agit pas de faire la guerre, mais de l'éviter.

 

     Thomas SCHELLING voulait d'abord et avant tout contribuer à la limitation des armements stratégiques, par une étude serrée des tenants et aboutissants de la négociation. Mais son étude va plus loin, abordant nombre d'aspects de conflits de tout ordre.

 

La notion de conflit

Pour lui, la notion de conflit est intimement liée à celle de négociation entre les individus ainsi qu'entre les groupes. Rares sont les cas de "purs conflits", c'est-à-dire ceux où la guerre à outrance devient inévitable. Même dans les pires situations où les protagonistes veulent gagner à tout prix, ceux-ci essaient de conduire la guerre de manière à minimiser les destructions. Ils essaient d'abord de faire pression sur l'adversaire par une menace de recours aux armes non suivie d'exécution, la recherche d'un éventuel accord devenant l'élément majeur du conflit. Les concepts de dissuasion, de guerre limitée et de négociation sont liés à l'existence d'intérêts communs aux adversaires et reflètent leur dépendance commune.

Selon l'auteur, la stratégie ne vise pas à l'exercice de la force, mais son utilisation potentielle. Elle ne concerne pas seulement les adversaires qui se détestent, mais également les partenaires qui se méfient les uns des autres ou qui sont en désaccord. Elle recouvre tout aussi bien la répartition des gains et des pertes entre adversaires que l'obtention de résultats particuliers qui peuvent, suivant les circonstances, se révéler meilleurs ou pires pour l'ensemble des deux parties en présence.

Il s'intéresse particulièrement à la contribution que peut apporter la théorie des jeux à la compréhension des conflits internationaux. Au départ, cependant, il reconnait que cette théorie est surtout utile pour expliquer les situations de "pur conflit", illustrées par des jeux dits "à somme nulle" ou "à somme constante". Par contre, lorsque le conflit implique des belligérants ayant une certaine dépendance mutuelle comme c'est le cas de la plupart des conflits internationaux mais aussi des grèves, des négociations de prix..., on se retrouve en présence de jeux dits "à somme non nulle" ou "à somme variable". Le professeur américain s'intéresse donc aux jeux dans lesquels, bien que l'élément de conflit soit à l'origine de l'intérêt dramatique, l'interdépendance des protagonistes est partie intégrante de la structure logique du jeu et impose une certaine forme de coopération ou de tolérance, même si cette coopération se limite en fin de compte à parer au srisque de destruction mutuelle. Il propose donc de faire évoluer la théorie des jeux vers ce qu'il appelle une "théorie de la décision interdépendante".

    Cette théorie associe la négociation à un jeu de stratégie ou un jeu de comportement dans lequel la meilleure décision de chacun des joueurs dépend de l'idée qu'il se fair du choix éventuel de son vis-à-vis, chacun étant conditionné par l'appréciation de l'influence du résultat potentiel sur les attentes de l'autre. La négociation, pour SCHELLING, est donc un exercice de coordination des attentes réciproques des parties.

 

De la théorie des jeux

      L'auteur tente d'élargir le domaine de la théorie des jeux à des jeux à somme non nulle en introduisant deux dimensions importantes. D'abord, en mettant en évidence des éléments liés à la perception et à la suggestion dans le processus de formation d'attentes réciproques cohérentes. Il insiste aussi sur le rôle important de la communication dans ce processus. Ensuite, en identifiant ce qu'il appelle certains "coups", c'est-à-dire des modes d'action fondamentaux que l'on peut rencontrer dans les jeux de stratégie tels que la négociation ainsi que les structures logiques qui les régissent. Il définit les coups stratégiques comme "les actions visant à influencer le choix de l'adversaire en faveur de soi-même en jouant sur l'attente de ce dernier face au choix que l'on fera". il s'agit de faire peser sur l'adversaire une contrainte qui l'amènera en retour à résoudre le problème de maximisation auquel il se trouve confronté dans un sens favorable à soi-même tout en lui interdisant de procéder de même. Parmi ces "coups" ou modes d'action, on retrouve les concepts clés d'engagement, de menace, de promesse et de contrainte.

Ainsi l'engagement est défini comme une action stratégique utilisée en vue d'amener un autre négociateur à agir dans le sens souhaité. La menace, comme l'engagement, correspond à une restriction volontaire d'autres choix possibles qui aura pour effet de dévaloriser la position de celui qui la formule au cas où la manoeuvre échouerait. Menace et engagement sont donc utilisés "dans la mesure où l'on pense que l'autre partie, si elle est rationnelle, devra dès qu'elle en aura été informée, tenir compte du fait que sont adversaire a altéré l'éventail de ses propres motivations". De plus, la menace, pour être efficace, ne dépend pas du fait que celui qui la formule ait moins à souffriri, en cas de mise en application, que celui qui est menacé, ce qui serait le cas si l'on était en présence d'un jeu à somme nulle. Il en est ainsi "à cause des asymétries entre les joueurs qui dépendent de facteurs tels le système de communication, les moyens de contraindre les joueurs à mettre à exécution promesses et menaces, la rapidité des engagements, la rationalité des réactions prévisibles et, enfin dans certains cas, la relativité des dommages." Il affirme que la formulation d'une menace équivaut à poser la question suivante : "Comment, pour obtenir un effet recherché,peut-on s'obliger à l'avance à exécuter un acte que l'on préférerait ne pas avoir à accomplir?" Cette question met en évidence un paradoxe de la négociation que sans doute SCHELLING a été l'un des premiers chercheurs à mettre en évidence, c'est-à-dire que le pouvoir de contraindre l'adversaire est lié à la capacité de se contraindre soi-même. Quant au résultat d'une négociation, il dépend, selon lui, pour une large part, de la formulation du problème, des analogies ou des précédents que cette formulation évoque dans l'esprit des négociateurs ainsi que des informations disponibles au cours de la discussion.

Tous les manuels ou traités de négociation contemporains considèrent maintenant ces éléments comme allant de soi mais il faut reconnaitre à SCHELLING le mérite d'avoir été un des premiers à les identifier et à les exposer clairement. Il en est de même de la nécessaire coordination des attentes des négociateurs qui progressent vers un point focal permettant d'arriver au dénouement de la négociation.

 

Les aspects de la négociation

Bien que SCHELLING affirme s'intéresser uniquement aux aspects distributifs de la négociation et aux facteurs influençant les concessions réciproques, ces constatations peuvent s'appliquer également aux trois autres sous-processus de la négociation collective identifié par Richard WALTON et Robert McKERSIE (A Behavioral théoery of Labor Negociations, New York, McGraw-Hill, 1965), soit : les aspects intégrateurs de la négociation, la structuration des attitudes et la négociation intra-organisationnelle.

En ce sens, ses travaux de SCHELLING ont sans doute ouvert la voie à cet ouvrage magistral publié quelques années plus tard qui est, selon Jean BOIVIN, de l'Université de Laval au Québec, dont nous tirons l'essentiel de cette présentation, l'un des meilleurs efforts de théorisation réalisé à ce jour à propos de la négociation en relations professionnelles. (www.Cairn.info)

 

Un ouvrage, quatre parties

    Divisé en quatre parties, le livre semble d'une lecture limpide mais requiert en fait une attention soutenue (sans compter qu'on voit poindre parfois la tentation de s'étendre sur la représentation mathématique, surtout dans la quetrième partie) car elles s'enchainent logiquement et chaque chapitre ajoute pratiquement une ramification à l'analyse du conflit conçu comme jeu. 

    La première partie (la plus importante en pagination avec la deuxième partie), Élements pour une théorie de la stratégie, après avoir exposé le "retard des études en matière de stratégie internationale, comprend d'abord un Essai sur la notion de Négociation, à travers le pouvoir de négocier et le pouvoir de contraindre. Sont examinés ensuite la structure et l'environnement de la négociation, soit :

- le recours à un mandataire, qui ouvre d'ailleurs pour beaucoup d'auteurs à une réflexion sur la médiation ;

- secret ou publicité : le compromis ;

- les négociations croisées ;

- les négociations permanentes ;

- la limitation de l'ordre du jour ;

- les compensations ;

- les principes et les précédents ;

- la casuistique ;

- la menace ;

- la promesse

Le tout illustré à la fin par un "jeu". avant d'aborder les relations entre la négociation, les communications et les guerres limitées.

   La deuxième partie se centre sur une réorientation de la théorie des jeux : Vers une théorie de la décision interdépendante ; Les actions stratégiques, les moyens de s'imposer et de communiquer ; la théorie des jeux et la recherche expérimentale.

    La troisième partie examine le hasard et la stratégie. 

    La quatrième partie expose les composantes de l'attaque par surprise, le cas de la méfiance réciproque.

 

Thomas C SCHELLING, Stratégie du conflit, PUF, 1986. Traduction française de The Strategy of conflict, 1960, révisé (faiblement) en 1980. Préface de l'auteur de 1980.

 

Relu le 14 septembre 2021

 

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