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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 16:05
          La bataille de Kadesh (1285 avant JC, selon le livre de l'UNESCO, vers 1295 av JC selon l'anthologie de Gérard Chaliand, 1293 selon Le monde et son histoire), considérée par les historiens comme l'une des plus grandes, sinon la plus grande bataille entre chars de l'Antiquité, sans doute en partie parce que c'est celle dont nous avons le plus grand nombre d'information (vestiges), mit en prise deux grands empires de l'époque, l'empire égyptien et l'empire hittite. Elle opposa à la tête de leurs armées, Ramsès II (1298-1235) et Mouwatalli (1310-1296) pour la possession de la Syrie.
    De part et d'autres, ce furent des proclamations de victoire alors que pour l'Egypte, ce fut sinon une déroute, au moins une semi-défaite car elle ne pu reprendre la ville fortifiée de Kadesh, et que pour les Hittites, ils ne purent engager toutes leurs forces dans la bataille, leur empereur étant atteint par la maladie.
Ramsès II fit partie de la XIXème dynastie, celle du Nouvel Empire (1550-1100). Son règne se situe dans la restauration de la grandeur de l'Egypte, cette période qui intervint après le règne dit hérétique d'Akenaton (1370-1352) qui entendait établir la religion monothéiste fondée sur le culte d'Aton (opposé à celui d'Amon, vénéré par le clergé tout puissant). Il était absolument "indispensable" pour ce "grand Roi" de restaurer le prestige réel (en terme de possessions territoriales, perdues auparavant, notamment face aux Hittites), le prestige spirituel, imaginaire (en terme de pouvoir idéologique sur l'ensemble de la société, d'où de nouvelles constructions "pharaoniques").
   En fait, sa défaite dans le réel, qui se solda par un traité de paix avec les Hittites, conclu en 1278, se transforma en une victoire dans l'imaginaire, sans doute ce qui compte le plus dans un monde soumis à la lenteur de la circulation de l'information et la possession monopolisée de ces mêmes moyens. Car ce traité de paix permit 40 ans de prospérité à l'Egypte qui partagea la Syrie avec son ennemi (avec laquelle fut conclue une véritable alliance défensive contre l'Assyrie). L'Egypte se couvrit à ce moment-là "d'une parure monumentale sans pareille", Ramsès II faisant "restaurer tous les temples (d'Amon) et entreprenant des travaux célèbres, comme la salle hypostyle de Karnak ou le temple funéraire d'Abou-Simbel." (Le monde et son histoire).
       
       Examinant les conditions de la non-émergence de l'Egypte comme véritable noyau d'Empire universel (les batailles se soldant souvent par des conquêtes perdues et regagnées puis reperdues...), Alain JOXE pense que, tout simplement, "qu'elle n'a jamais pu être sérieusement envahie par un peuple voisin semi-barbare conquis par sa civilisation, parce qu'un tel peuple n'existait pas dans l'absence de "voisinages" suffisamment connexes fondés sur des concentrations démographiques à peu près comparables".
Par ailleurs, la puissance politique est celle du Pharaon, dieu propriétaire des terres et chef de guerre, contrairement par exemple aux premiers rois sumériens. "Sans doute la divinisation de la fonction politico-militaire et le manque d'autonomie de la fonction logistique par rapport à la fonction politique peut produire, en cas de crise économique (par exemple dans les cas, dirions-nous, de guerres prolongées comme pendant la campagne de Syrie de Ramsès II), des effets de désagrégation au profit d'une classe d'apanagiers prébendaires cherchant à créer cette autonomie localement. Mais cette divinisation est, en temps de restauration unitaire (comme pour le Nouvel Empire, pensons-nous), le symptôme d'un verrouillage qui, finalement, s'oppose à la dynamique de la conquête indéfinie, parce qu'elle s'oppose au jeu d'un critère militaire autonome. Pharaon a toujours dû acheter ses soldats (nombreux mercenaires, il y aurait eu 2 100 mercenaires contre 1 900 soldats égyptiens sous les ordres de Ramsès II à la bataille de Kadesh), c'est-à-dire en faire le sous-produit de sa supériorité logistique." 
 Les conditions du traité conclu avec les Hittites permettent finalement à l'Egypte de construire réellement sa puissance dans la stabilité d'une relative paix, répit entre d'incessantes campagnes militaires.

        Deux sortes de "documents" permettent aujourd'hui de se faire une idée de la bataille de Kadesh, d'une part les sculptures des monuments d'Aboul-Simbel, des temples de Karnak, Louxor, Ramesseum et Abydos, d'autre part des fragments de deux textes distincts, sur papyrus : le Poème de Pentawer et le Bulletin.
   Le poème, élaboré sans doute en l'an 9 du règne de Ramsès II (Colophon de papyrus, sallier III), est le plus long des deux textes. Document de propagande, exaltation de la victoire et du Dieu-Roi, ce poème donne une idée du lyrisme employé par toute une administration de scribes pour célébrer la puissance idéologique et imaginaire de l'Egypte. Laquelle a de réelles implications matérielles. Les fidèles du dieu Amon obéissent aux injonctions de Pharaon : paiement des impôts, réalisation de travaux, obéissance aux lois.
    "Sa Majesté était alors un jeune seigneur, un héros, sans égal ; ses bras étaient puissants, son coeur était vaillant, sa force était comparable à celle de Montou en son heure, sa forme était parfaite comme celle d'Atoum, et l'on se réjouissait de voir sa beauté", commence le poème.
 Les préparatifs de guerre, l'attaque-surprise des hittites, favorisée par la réussite de ses espions, la prière du héros solitaire en pleine bataille, le paroxysme de la mêlée, conjointement avec Amon, présent dans la bataille au côté de Ramsès II, faisant corps avec Ramsès II, ses reproches à une partie de l'armée qui n'a pas combattu (reproches qui peuvent n'exister aussi que pour exalter davantage la puissance du Roi), sa charge verbale contre le charrier poltron, le retour de l'armée repentie qui se ressaisit à la vue du héros qui massacre à lui seul des milliers de soldats, le second jour de la bataille, à l'aube, dans la mêlée, avec le feu de Rê (Rê étant une partie de l'armée de Pharaon), la paix magnanime de Pharaon qui épargne le Roi ennemi (en fait ledit Roi qui se réfugie dans Kadesh serait trop long et trop laborieux à détruire...) et le retour triomphal en Egypte... tout cela est décrit en un long hymne vraiment beau. On peut remercier au passage les traducteurs des hiéroglyphes d'avoir pu rendre contemporaine cette envolée lyrique antique.
   Selon Claude OBSOMER, égyptologue belge, qui offre sur son site de nombreuses informations sur cette période de l'histoire de l'Egypte ancienne, la campagne de l'an 5 du règne de Ramsès II "fut essentiellement un échec, si le but de cette campagne était, comme semble l'indiquer l'itinéraire suivi, de reprendre la ville de Qadesh et d'étendre l'influence égyptienne dans les régions intérieures du couloir syro-palestinien. C'est finalement Muwattali qui étend son empire vers le Sud, lorsqu'il parvient, mais probablement pas dès l'an 5 de Ramsès, à reconquérir l'Amurru."
"Néanmoins, Ramsès a su déjouer le stratagème conçu par Muwattali pour vaincre l'armée égyptienne : grâce à son dynamisme personnel, à l'aide de son escorte et à l'initiative des na'arin, Ramsès aura réussi à sauver sa vie, l'essentiel de la division d'Amon, et à repousser les agresseurs vers l'Oronte. On peut donc dire sans ambages qu'il a remporté la bataille livrée près de Qadesh en Chemou III.9 de l'an 5. De retour en Egypte, seule cette victoire ponctuelle sera évoquée dans le texte composé pour vanter la toute-puissance du jeune roi, à savoir le "Poème". Cette omnipotence y est reconnue par tous les acteurs de la bataille, même par le roi Muwattali à qui il est attribuée la demande de l'arrêt des combats."

      Le traité entre Ramsès II et Hattousil III représente l'un des tous premiers en notre possession. Le texte, tant égyptien que hittite est par endroit trop corrompu pour être rendu. Mais l'essentiel semble y être :
- Ramsès-mai-Amana, le grand Roi d'Egypte, (...), le héros (...), Vois à présent, j'ai donné la fraternité belle et la paix belle entre nous, pour donner la paix belle et la fraternité belle dans les relations du pays d'Egypte avec le pays de Khatti pour l'éternité... A cela répond dans le texte hittite des termes semblables.
 - (...) le grand roi d'Egypte ne doit pas attaquer le pays de Khatti pour le piller, pour l'éternité. Hattousi, le grand roi du pays de Khatti ne doit pas attaquer le pays d'Egypte pour le piller, jusqu'à l'éternité... A cela répond le texte hittite : ...le grand maître du Khati ne violera jamais la terre d'Egypte pour la piller. Ousermaâtré Séteperenrê, le grand roi d'Egypte, n'envahira jamais la terre de Khatti pour la piller...
- Si un ennemi vient dans le pays de Khatti, et si Hattousi, le grand roi, le roi assumant la vengeance pour le pays de Khatti...
 - Si un homme important s'enfuit du pays d'Egypte (partie hittite) et arrive dans le pays du grand maître de Khatti, ou dans une ville, ou dans une région qui appartiennent aux possessions de Ramsès-aimé-d'Amon, le grand maître du Khatti ne doit pas le recevoir. Il doit le livrer à Ousermaâtrê Sétepenrê, le grand roi d'Egypte, son maître.
    On y trouve le prototype de nombreux traités de paix : amitié et alliance, échange d'expulsion de sujets désobéissant à leur maître...
 
Texte du poème de Pentawer, dans La bataille de Kadesh, Anthologie mondiale de la stratégie, sous la direction de Gérard Chaliand, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990 (lui-même tiré de Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Egypte, E.I. Des pharaons et des hommes, traduction et commentaires de Claire LALOUETTE, UNESCO, 1984). Extrait du Traité de paix, de l'ouvrage de Christiane DESROCHES-NOBLECOURT, Ramsès II, la véritable histoire, Pygmalion, 1996.
Maurice MEULEAU, Le monde antique, dans Le monde et son histoire, Sous la direction de Maurice MEULEAU et de Luce PIETRI, Tome 1, Robert Laffont, collection Bouquins, 1971. Sous la direction de Paulo CARNEIRO, Histoire du développement culturel et scientifique de l'humanité, Tome 1, L'âge de bronze, Robert Laffont, UNESCO, 1967. Alain JOXE, Voyage aux sources de la guerre, PUF, collection Pratiques Théoriques, 1991. Claude OBSOMER, Récits et images de la bataille de Qadesh. En quoi Ramsès II transforma-t-il la réalité?, dans L'histoire entre mythe et réalité, Louvain-La-Neuve, 2003.
     
    L'ouvrage de référence en ce qui concerne la bataille de Kadesh, même s'il date de 1935, réédité en 1996, est celui de Joseph STURM, la guerre de Ramsès II contre les Hittites, qui se fonde de façon critique uniquement sur les textes et les figurations dus à Ramsès II. (Connaissance de l'Egypte ancienne, Bruxelles, 248 pages, aux Editions Safran, www.safran.be). Il met en évidence la sincérité de l'analyse de la bataille par le Bulletin et met en évidence les enseignements que l'on peut même tirer du poème. Nous dirions d'ailleurs que ces documents sont exemplaires d'une civilisation menant jusqu'à leur aboutissement logique de nombreuses connaissances empiriques, quoique organisées sur des postulats faux, et qui dans la relation des fait, supports de ces même connaissances, gardent une transparence qui s'approche sûrement de la vérité. Joseph STURM montre bien que ces textes permettent une bonne dissociation du conte et de la réalité. Il ne faut jamais oublier que l'essentiel des acquisitions scientifiques de ce temps se trouvait souvent en Egypte, comme l'attestent de nombreux auteurs grecs. L'Egypte, par ailleurs fut longtemps le grenier le d'Empire romain, à tel point que l'on peut penser que, dans la Méditerranée, qui tenait l'Egypte tenait le monde.
    Pour comprendre la place de la bataille de Qadesh dans l'ensemble de l'Histoire, nous conseillons de lire l'ouvrage de Nicolas GRIMAL, Histoire de l'Egypte ancienne, Fayard, Le livre de poche, 2009.


                                                                STRATEGUS
 
Relu le 7 Août 2019


     
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