Les stratégies de guérilla font partie, en regard du modèle occidental de la guerre, des stratégies alternatives. Depuis très longtemps, la petite guerre fait partie du paysage stratégique.
Dans l'Antiquité, de nombreux auteurs y font allusion et SALUSTRE (Guerre de Jugurtha, considéré comme le premier traité de guérilla) la range dans le domaine d'exercice courant de la guerre. Elle n'est pas seulement la stratégie du camp le plus faible en nombre ou en puissance technologique ou d'organisations considérées par des régimes plus ou moins autoritaires comme illégitimes. Elle n'est pas seulement la stratégie qui commence à se former des hommes et des femmes en révolte contre l'oppression. Elle constitue un ensemble de moyens et d'objectifs qui peut être utilisé par un Empire. L'Empire byzantin doit une partie de sa longévité à la stratégie de Nicéphore PHOCAS au Xe siècle, utilisée face aux Barbares. (Hervé COUTEAU-BEGARIE) Si la petite guerre n'est connue à part ce grand exemple qu'à travers les mémoires de chefs de partisans ou d'écrits historiques qui privilégient l'anecdote, elle correspond à la volonté d'éviter les combats décisifs et d'empêcher précisément un adversaire supérieur au niveau militaire de stabiliser la situation à son avantage. Sous ce terme générique de guérilla existe une sorte d'univers stratégique qui va de la petite guerre, escarmouches répétées et distantes dans le temps et dans l'espace, à la guerre révolutionnaire organisée pour renverser l'ordre établi.
Ce mode de combat, qui répond à des logiques historiques différentes, correspond à plusieurs motivations et contenus. Pierre DABEZIES distingue :
- le soulèvement d'ordre sociologique de populations, plus ou moins minoritaires et opprimées, défendant leur intégrité, leurs biens, ou se battant pour une cause sociale, religieuse et ethnique ; il s'agit là de violences souvent spontanées, voire primitives, que l'on retrouve dans les affrontements de clans propres aux sociétés pré-étatiques ou aux sociétés marquées par la désagrégation du cadre collectif ;
- la révolte à dominante idéologique et politique de partisans, cherchant, en s'appuyant sur le peuple, à liquider un régime ou des dirigeants honnis ;
- la réaction nationale contre un envahisseur ou un occupant, que celle-ci se présente sous la forme d'une "résistance" oeuvrant au côté ou en complément d'une armée régulière chargée de la défense du pays ou bien qu'elle soit le fait, au contraire, de francs-tireurs ou de maquisards livrés à eux-mêmes. La Seconde Guerre Mondiale fourmille d'exemples de ce type de combats.
"De l'une à l'autre de ces hypothèses diffèrent non seulement les motivations, mais un certain nombre d'éléments, comme la structuration du mouvement, l'encadrement idéologique ou la formation des combattants. En revanche, sous réserve de l'évolution des matériels, les techniques ne varient guère, tandis que s'imposent deux facteurs communs essentiels : l'un est le temps, puisqu'il s'agit non pas de détruire l'ennemi à l'emporte-pièce, comme dans le combat classique, mais de le miner ou de le grignoter sous l'angle moral comme sous l'angle physique dans une lutte par essence prolongée ; l'autre facteur est le soutien populaire, atout majeur pour les insurgés, trame de la bataille et, de part et d'autre, enjeu véritable. C'est là que les choses ont sans doute le plus changé. Vieille comme le monde, en effet, la guérilla a très souvent reflété des velléités diffuses, une effervescence anarchique, des pulsions antagonistes qu'épisodiquement quelques personnalités exceptionnelles réussissaient à contrôler et à transcender. Or, prolongeant l'analyse de CLAUSEWITZ, les écoles marxistes russe, puis asiatique, ont systématisé et rationalisé le phénomène, non point jusqu'à le rendre irrésistible comme certains esprits simplistes l'ont affirmé, du moins en lui donnant une dimension nouvelle et, de là, de plus grandes chances de succès. Le concept de guérilla n'en est pas pour autant limpide. D'une part, il se situe entre le combat classique et, à l'opposé, certaines formes de violences fragmentaires ou englobantes comme le terrorisme ou la guerre subversive ; d'autre part, il se présente différemment selon le cadre spatial et chronologique où on l'appréhende."
Dans tous les cas, selon Richard TABER (The War of the Flea : guerilla Warfare, Theory and Practice, Paladin, Londres, 1977), la guérilla a pour objectif politique de renverser une autorité contestée par de faibles moyens militaires très mobiles utilisant les effets de surprise et avec une forte capacité de concentration et de dispersion. La tactique des commandos britanniques durant la Seconde Guerre Mondiale est proche de celle de la guérilla, mais diffère dans le but qui est militaire pour les commandos et politique pour la guérilla. Les "forces spéciales" d'aujourd'hui sont les héritières directes de ces commandos britanniques. Souvent, il y a confusion entre guérilla et commando, dont la similarité est dans la tactique et la différence dans la stratégie à la fois militaire et psychologique pour atteindre le but de renverser le gouvernement.
Dans son Introduction à la stratégie, André BEAUFRE, termine son analyse de la stratégie indirecte en la plaçant dans une perspective historique, comme le fait plus tard d'ailleurs Gérard CHALIAND : "La stratégie indirecte qui est un "mode" mineur de la guerre totale a été de toutes les époques (tout comme la stratégie directe d'ailleurs). Ses aspects modernes et sa grande vogue tiennent à ce qu'aujourd'hui la grande guerre est devenue raisonnablement impraticable. Son rôle est donc en réalité complémentaire de celui de la stratégie nucléaire directe : la stratégie indirecte est le complément et en quelque sorte l'antidote de la stratégie nucléaire. Plus la stratégie nucléaire se développera et aboutira par ses équilibres précaires à renforcer la dissuasion globale, plus la stratégie indirecte sera employée. La paix sera de moins en moins pacifique et prendra la forme de ce que j'avais appelé en 1939 la "Paix-guerre" et que nous connaissons bien depuis sous le vocable de guerre froide." "Bien que ses aspects soient très particuliers et parfois déroutants, la stratégie indirecte n'es pas une stratégie spéciale, intrinsèquement distincte de la stratégie directe. La clef, comme dans toute stratégie, est la liberté d'action. C'est la façon d'obtenir, par l'initiative et la sûreté, qui est différente, parce que la marge de liberté d'action (donc la sûreté) dépend de la manoeuvre extérieure et non de la manoeuvre intérieure. C'est cette particularité qui lui donne le caractère indirect. "
Gérard CHALIAND considère qu'un nouvel art de la guerre est né de la situation présente. En parallèle à la baisse progressive du nombre de guerres interétatiques depuis 1945, il s'interroge sur la difficulté des troupes occidentales à l'emporter dans un contexte de guerres irrégulières. Alors que la supériorité de l'armement est systématiquement du côté des troupes régulières, ces dernières essuient des défaites cinglantes lorsqu'elles se voient confrontées à des guérillas. Il fait deux constats :
- les populations sont aujourd'hui partie prenante des guerres asymétriques ;
- un conflit ne peut être gagné que grâce à une volonté politique supérieure à celle de l'adversaire.
"Si la guérilla est une technique d'irréguliers, fondée sur la surprise et le harcèlement, destinée à affaiblir une armée régulière, la guerre révolutionnaire cherche pour sa part, par les mêmes moyens politiques et militaires, à encadrer une population afin de s'emparer du pouvoir. Les idées émancipatrices, le nationalisme moderne et les techniques organisationnelles ont permis aux colonisés et semi-colonisés de se libérer par la violence - ou par d'autres moyens - de la mainmise de l'Occident." (Anthologie mondiale de la stratégie).
La guerre révolutionnaire peut être considérée comme un synthèse entre la grande guerre et la petite guerre (Hervé COUTEAU-BEGARIE). Ceci reflète l'opinion dominante des stratèges actuels qui raisonnent souvent encore par le primat de la violence armée, laquelle peut se décliner également (notamment par la guérilla) dans la stratégie navale et dans la stratégie aérienne.
L'emploi parfois indifférent ou simplement le rapprochement des termes guérilla, terrorisme, guerre révolutionnaire, produit des amalgames contre lesquels met en garde par exemple Pierre DABEZIES. "La guerre, comme l'écrit Clausewitz, étant un "caméléon", il ne faut pas s'étonner que la guérilla - elle-même hybride - ne soit pas toujours facile à individualiser, que ce soit au regard de la guerre classique, du terrorisme, de la guerre révolutionnaire ou des insurrections citadines." Mais "dégagent, en définitive, trois idées : la guérilla, technique opérationnelle tournée exclusivement vers le combat ; la guérilla élargie aux domaines politiques et psychologiques, le partisan étant un militant qui s'adosse à une mystique et ne peut se passer pour vaincre de l'appui populaire ; enfin la guérilla confondue avec la révolution, elle-même, sous le nom de guerre de partisans, de guerre prolongée, de guerre du peuple ou de guerre révolutionnaire. Le mot prend, dans ce cas, une extension outrée." Bien entendu, ces propos ne proviennent pas d'un auteur particulièrement favorable aux guérillas en question ; toutefois, elles possèdent le mérite de clarifier un peu la question.
De même que les populations civiles sont de plus en plus entraînées, lorsque une guerre ravage leur territoire, à y participer (si elles ne fuient pas), de même les techniques de harcèlement et de désobéissance civile se diffusent, en milieu rural ou en milieu urbain, lorsque ces populations considèrent comme injustes les politiques socio-économiques des pouvoirs politiques en place. Nous pouvons parler de véritables guérillas civiles et souvent non-violentes (n'utilisant en tout cas pas des armes pour s'exprimer), qui traversent de nombreux champs sociaux, de l'éducation aux transports publics, guérillas devant lesquelles les États, à moins d'user de répressions systématiques (mais elles n'en ont parfois pas les moyens ni la volonté), doivent composer. Même lorsque leurs participants ne l'évoquent pas, il s'agit d'une lutte socio-politique qui rejoint certaines des préoccupations marxistes quant à l'organisation de la lutte des classes.
Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Économica/Institut de stratégie comparée, 2002. Pierre DABEZIES, article Guérilla, dans Encyclopedia Universalis, 2002 ; article guérilla dans Dictionnaire de la stratégie, PUF, 2000. Gérard CHALIAND, Le Nouvel art de la guerre, Éditions de l'Archipel, 2008. André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Hachette Littératures, 1998.
STRATEGUS
Relu le 17 mai 2020