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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 08:20

         La sublimation, élément très important de la psychanalyse, n'a pourtant pas de théorie réellement construite, ce qui explique les nombreuses divergences d'appréciation d'auteurs sur sa fonction, sa nature, son inclusion ou non dans les mécanismes de défense, sur son rôle dans le conflit psychique. 

 

        Dans son texte sur Les mécanismes de défense, au chapitre général sur ceux-ci, Anna FREUD, après avoir longuement mis en perspective le rôle de refoulement dans le développement de l'enfant et sa place à l'intérieur des mécanismes de défense et à un niveau plus englobant qu'eux, écrit :  

"La sublimation, c'est-à-dire le déplacement vers un niveau le plus élevé du but pulsionnel du point de vue social présuppose une acceptation ou tout au moins une connaissance des valeurs morales, partant l'existence d'un surmoi. Ainsi les mécanismes de défense du refoulement et de la sublimation apparaîtraient assez tardivement au cours du développement, tandis que la date d'apparition assignée à la projection et à l'introjection dépend du point de vue théorique que l'on adopte. Des processus tels que la régression, le retournement en contraire, le retournement contre soi, restent vraisemblablement indépendants du stade atteint pas la structure psychique et doivent être aussi vieux que le conflit entre les pulsions instinctuelles et l'obstacle quelconque qui se dresse contre elles. Nous ne serions pas surpris d'apprendre qu'ils constituent les premiers mécanismes de défense utilisés par le moi. Toutefois, cette tentative de classification chronologique est contrariée par l'expérience. En effet, les premières en date des manifestations névrotiques de la prime enfance sont les symptômes hystériques dont les liens avec le refoulement sont indéniables. D'autre part, les manifestations masochiques vraies qui résultent d'un retournement de la pulsion contre le sujet lui-même sont les plus rares chez les petits enfants. Nous pensons que l'introjection et la projection apparaissent à l'époque qui suit la différenciation du moi d'avec le monde extérieur. D'après l'école analytique anglaise (Anna FREUD fait allusion au mouvement impulsé par Mélanie KLEIN), ce sont au contraire, ces mécanismes qui engendrent le moi et c'est à eux que devrait être attribuée la différenciation de celui-ci d'avec le dehors. ces divergences d'opinion montrent que la chronologie des phénomènes psychiques reste l'un des domaines les moins explorés de l'analyse théorique (à son époque, bien entendu)." Suivant que l'on adopte la vision de l'instance du surmoi précoce ou tardive, la place de la sublimation change évidemment. 

 

       Otto FENICHEL (1897-1946), notamment dans La Théorie psychanalytique des névroses (réédité en 1987 aux PUF), place également la sublimation parmi les mécanismes de défense :

"Les défenses du moi peuvent être divisées en défenses qui réussissent, qui font cesser toutes les pulsions refoulées, et en défenses qui échouent et qui exigent la répétition ou la continuation du processus de défense destiné à empêcher l'émergence des pulsions refoulées. Les défenses pathogènes, qui sont à la base des névroses, appartiennent à la seconde catégorie lorsque les pulsions refoulées ne peuvent se décharger, mais restent en suspens dans l'inconscient où elles sont sans cesse renforcées par l'activité continue de leurs sources physiologiques, il s'ensuit un état de tension. Et une irruption (dans le champ de la conscience) de la pulsion refoulée peut se produire. C'est pourquoi les défenses victorieuses sont moins importantes dans la psychologie des névroses ; en fait on les comprend moins bien. Cependant les frontières entre les deux catégories ne sont pas parfaitement définies, et il est parfois impossible de distinguer une pulsion transformée par l'influence du Moi. Une pulsion qui arrive à percer de façon déformée contre la volonté du Moi et a son insu". Ce dernier type de pulsion produira des attitudes crispées, se répétera indéfiniment, ne permettra jamais une détente complète, et aboutira à de la fatigue."

Sur la sublimation, premier mécanisme de défense abordé, nous pouvons lire :

"Les défense qui réussissent peuvent être placées sous la dénomination de sublimation. Ce terme ne désigne pas un mécanisme spécifique ; différents mécanismes peuvent être employés dans les défenses qui réussissent, comme le passage de la passivité à l'activité, le renversement de la situation par rapport au sujet, l'échange d'un but pour un but opposé. le facteur commun est que sous l'influence du Moi le but de la pulsion instinctuelle ou l'objet (ou les deux) est changé sans blocage de la décharge adéquate. (Il vaut mieux omettre le jugement de valeur généralement impliqué dans la définition de la sublimation). La sublimation ne doit pas être confondue avec les défenses qui font intervenir des contre-investissements ; les pulsions sublimées trouvent leur issue, bien que canalisées via un itinéraire artificiel ; tandis qu'il en va différemment pour les autres. Dans la sublimation, la pulsion originelle disparaît parce que son énergie lui est retirée au profit de l'investissement de son substitut. Dans les autres défenses, la libido de la pulsion originelle est contenue par un important contre-investissement. Les sublimations ont besoin d'un courant ininterrompu de libido, exactement comme la roue d'un moulin a besoin d'un courant d'eau non ralenti et canalisée. C'est pourquoi les sublimations n'apparaissent qu'après qu'un refoulement a été supprimé. Métaphoriquement, les forces défensive du Moi n'attaquent pas de front les pulsions originelles, comme dans le cas d'un contre-investissement, mais les heurtent de biais, produisant une résultante qui conjugue l'énergie instinctuelle et l'énergie défensive et qui peut suivre son chemin librement. Les sublimations diffèrent des satisfactions névrotiques de substitution par leur désexualisation ; autrement dit, la satisfaction du Moi n'est plus une satisfaction ouvertement instinctuelle. Quelles tendances peuvent subir une telle vicissitude et quelles circonstances déterminent si la sublimation est oui ou non possible? Si les pulsions prégénitales et les attitudes agressives qui les accompagnent ne sont pas réprimées par la formation d'un contre-investissement (qui les exclurait du développement ultérieur de la personnalité, elles sont plus tard organisées sous le primat de la sphère génitale. La constitution plus ou moins complète de ce processus est la condition préalable d'une sublimation réussie de la portion de la pré-génitalité qui n'est pas utilisée sexuellement dans les mécanismes du vorlust. Il est très improbable qu'il existe une sublimation de la sexualité génitale adulte. Les organes génitaux constituent un appareils préposé à la réalisation de la décharge orgastique entière, c'est-à-dire non sublimée. Ce sont les tendances prégénitales qui peuvent être sublimées. Cependant si les tendances prégénitales ont été refoulées et restent dans l'inconscient, en rivalité avec le primat du génital, elles ne peuvent être sublimées. La possibilité d'un organe génital rend possible la sublimation (dé-sexualisation) des tendances prégénitales. Il n'est pas facile de dire ce qui détermine si oui ou non le Moi réussira à atteindre une solution aussi heureuse. La sublimation est caractérisée par une inhibition du but (de la réaction du but), un désexualisation (ou plutôt dé-charnalisation), une absorption complète d'un instinct par ses dérivés, et par une modification au sein du Moi. Tous ces caractères peuvent également être retrouvés dans les résultats de certaines identifications, comme par exemple dans le processus de formation du Surmoi. Le fait empirique que les sublimations, particulièrement celles qui se produisent dans l'enfance, sont fonction de la présence de modèles ; d'incitations fournies directement ou indirectement pas l'entourage, corrobore l'hypothèse de Freud que la sublimation peut être reliées intimement à l'identification. De plus, l'étude des cas de troubles dans l'aptitude à sublimer montre que cette inaptitude correspond à une difficulté à réaliser des identifications. De même que certaines identifications, les sublimations peuvent, elles aussi, combattre et annuler certaines pulsions infantiles de destruction, mais aussi et de façon déformée faire place à ces mêmes pulsions destructrices dans un certain sens, toute fixation artistique d'un processus naturel est un "meurtre" de ce processus. des schèmes avant-coureurs de sublimations peuvent se voir dans certains jeux d'enfants dans lesquels les tendances sexuelles sont satisfaites de façon "désexualisée", après une déformation du but ou de l'objet ; et les identifications sont également très nettes dans ce genre de jeux. La mesure dans laquelle le but est dévié dans la sublimation varie énormément. Dans certains cas la déviation est limitée à un inhibition vis-à-vis du but ; le sujet qui a réalisé la sublimation fait exactement ce que son instinct le pousse à faire, mais ne le fait qu'après que l'instinct a été désexualisé et subordonné à l'organisation du Moi. Dans d'autres types de sublimation, il se produit des transformations qui ont des effets beaucoup plus grands. Il peut même arriver qu'une activité dirigée à l'opposé de l'instinct originel, ait réellement remplacé ce dernier. Certaines réactions de dégoût - courante chez les peuples civilisés - qui ne montrent aucune trace des pulsions instinctives infantiles contre lesquelles elles étaient formées à l'origine, appartiennent à cette catégorie. Ceci est identique à ce que Freud a décrit comme une "transformation en l'opposé" ; après l'installation de ce mécanisme, l'énergie totale d'un instinct agit dans la direction opposé."

 

      Claude LE GUEN, dans un article de 2003 pour la Revue française de psychanalyse, tente de faire le point sur les "Positions et propositions sur la sublimation" :

"Situer la sublimation "dès le début", plus encore que repérer une genèse, implique une structuration. Là comme ailleurs, cela se situe par rapport à la pulsion dans ce qu'elle a de premier, voire de biologique ; tout est fonction de cette énergie "déplaçable et indifférente" qui va venir renforcer, façonner un courant libidinal et, notamment, animer la sublimation : celle-ci n'est pas une pulsion par elle-même mais devient proprement pulsionnelle sous l'effet de cette énergie. Elle ne peut être désexualisée que parce qu'elle est précédée d'une sexualisation (...) ; nous avons là affaire à des processus secondaires, mais qu'en est-il des primaires en ces temps où le moi n'est pas encore séparé du ça, ce "grand réservoir de libido narcissique"? Repartons d'une notion complémentaire et inverse à celle de la sublimation : la régression. Par définition, elle ne peut advenir qu'après une évolution développementale, après une progression. Même si celle-ci est peu traitée en propre, l'idée n'en habite pas moins toute la pensée freudienne, qu'elle porte sur l'appareil psychique ou sur la culture ; elle écoule de la notion dotant l'appareil psychique d'une direction. Or la sublimation est essentiellement progrédiente, et elle est même sans doute le seul processus à l'être à ce point (...). Que la sublimation ait une fonction protectrice semble assez clair ; est-ce pour autant une défense? Certainement pas, si l'on se souvient de Freud affirmant qu'aucune relation à la sexualité n'est inhérente ni au refoulement ni aux défenses - et il (le) souligne  (...). La sublimation ignorant le conflit, "la question ne se pose plus..." ; elle travaille en dehors de la sexualité ; ce n'est pas qu'elle serait sans relation avec elle mais, plutôt que de s'en défendre, elle en triomphe, fût-ce partiellement. Bien que protectrice, elle n'est pas une défense, ce qui explique qu'elle puisse se situer au plus près du conscient, du moi, quelle que soit la profondeur de ses racines inconscientes, "jusqu'au biologique". Freud, tout en plaçant la sublimation au tout début, la lie au désir de savoir, à la capacité d'investigation, à une pulsion "capable de s'exercer librement au service de l'intérêt intellectuel" ; elle a ainsi d'emblée une connotation originelle. Serait-ce ce besoin, ce désir de savoir, qui serait aussi aux origines? Disons que lui seul peut justifier la conquête du monde que doit opérer tout être vivant, à commencer par le petit d'homme ; la seule pulsion sexuelle ne saurait pas plus suffire à l'expliquer que les violences exercées par la réalité. Mais, par son indifférence à la sexualité, ce mouvement acquiert une liberté et une indépendance extraordinaire, qu'il va chercher à satisfaire. Bien sûr, ce besoin de connaître ne pourra que rencontrer la sexualité ; ça va donc se sexualiser puis, dans un mouvement secondaire, de dé-sexsualiser pour revenir aux plaisirs a-conflictuels des premières investigations, passant ainsi de ce qu'il faut bien appeler une sublimation primaire à une sublimation secondaire. Ce mouvement est extrêmement précoce, et on peut penser que l'apparition du moi va marquer le passage à la secondarisation ; il va aussi l'ancrer dans le narcissisme, quitte à re-sexualiser celui-ci. Nous sommes bien là dans le pulsionnel, la sublimation étant l'une des formes prises par "l'énergie déplaçable indifférente". Quelle soit dès le début (...) est essentiel, tant par sa nature que pour sa structure ; elle va déterminer le développement. (...) En ces temps apparaîtrait l'idéal du moi, si proche de la sublimation, ce qui nous conduit à la première identification, à celle qui est prise de connaissance de l'autre en le prenant en soi. Freud nous dit qu'elle se s-ferait au "père de la préhistoire personnelle", on le cite à l'envi, oubliant trop souvent qu'il dut rectifier, non seulement en remarquant que l'enfant n'accorde pas de valeur différentes au père et à la mère, mais surtout en ajoutant que "pour simplifier l'exposé il ne traiterait que de l'identification au père" - retrouvant le procédé dont il usa avec l'Oedipe où, déjà pour "simplifier", il parla surtout du garçon. Mais il n'a pu persister à simplifier et tout ce qu'il découvre à partir des années 1930 (sur l'Oedipe féminin d'abord, mais qui ne peut qu'impliquer aussi le masculin) vient révéler l'extraordinaire importance de la mère dans le jeu des toutes premières identifications. (...) (Cette prise de connaissance de l'autre) nous conduit à l'idée de l'absence ; la connaissance de la perte est la condition même de la sublimation, dans la mesure où elle est la condition de la connaissance du moi et du non-moi. La perte première est celle de la mère, telle qu'elle est découverte à 8 mois, à l'occasion de la peur de l'étranger, c'est-à-dire lors de l'Oedipe originaire. Là se situe bien la première manifestation reconnaissable d'un désir de savoir qui, s'il ne peut effectivement que se produire dans l'angoisse, porte et promet le bonheur éperdu des retrouvailles. Là se retrouve toute la problématique du vécu sublimatoire. (...)".

 

  Jean LAPLANCHE, dans son recueil de cours de psychanalyse à l'UER des Sciences Humaines Cliniques (Sorbonne-Université Paris VII), consacré à la problématique de la sublimation (1976-1977) tente de la situer et de faire le point sur une littérature finalement assez abondante, sans toutefois à épuiser le sujet.

"Non seulement la sublimation se montre difficile à caractériser en théorie, mais elle se dérobe le plus souvent à la description clinique, notamment dans la cure où elle est mentionnée comme une issue sans être jamais montrée à l'oeuvre, repérée comme un processus. Ce qui amène à douter qu'il s'agisse bien d'un processus conscient échappant au refoulement comme Freud dans certains passages voudrait l'indiquer". Il reprend la définition qu'il indique avec PONTALIS dans leur Vocabulaire de la psychanalyse, "processus postulé par Freud pour rendre compte d'activités humaines apparemment sans rapport avec la sexualité mais qui trouveraient leur ressort dans la force de la pulsion sexuelle. Freud a décrit comme activité de sublimation principalement l'activité artistique et l'investigation intellectuelle. La pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers un nouveau but non-sexuel et où elle vise des objets socialement valorisés". Pour tenter de la situer, il insiste sur le caractère de postulat de l'existence de la sublimation et reprend les termes de cette définition. D'abord sur le rapport du sexuel au non-sexuel, avec la question du possible possible de l'un à l'autre, il indique une possibilité de réversibilité et ensuite sur la question de la valorisation sociale. "Cette notion de valorisation va ouvrir à un double questionnement : d'abord savoir si cette valorisation sociale est capitale dans la définition même des activités sublimées, ce qui notamment introduit à s'interroger sur le champ de la sublimation et sur ses limites : une activité non valorisée - à supposer qu'il en existe - un hobby, une marotte, un collectionnisme aberrant, est-il une sublimation au même titre qu'une activité culturellement reconnue? Et si ce ne sont pas des sublimations, faut-il un autre concept pour en rendre compte? D'autre part, à supposer que cette dimension de valorisation sociale soit à retenir, comment la comprendre, comment comprendre qu'elle soit susceptible de marquer le processus psychique lui-même? Est-ce l'utilité pour la société, est-ce, de façon plus profonde, la "reconnaissance" par l'autre ou les autres, est-ce la valeur de communication, voire la valeur de langage qui est ic en cause? Nous ne serions pas si loin de certains problèmes déjà soulevés par les rituels d'initiation où le temps de la reconnaissance nous était apparu comme essentiel." 

"Pourquoi la sublimation? (...) c'est (...) l'index (d'une) question irritante : y-a-t-il un destin non-sexuel de la pulsion sexuelle, mais un destin qui ne soit pas l'ordre du symptôme?"  Cette interrogation qui revient inlassablement dans ses cours, le rapprochement constant de la sublimation au refoulement et à la répression peuvent nous conduire à poser la question du sens d'une activité "socialement valorisée" comme étant peut-être tout simplement un refoulement réussit... Jean LAPLANCHE s'interroge à ce point qu'il en vient à théoriser un dérivation de la sublimation, avec les points suivants :

"- Si un tel destin de la pulsion, qui n'oublie pas ses origines sexuelles existe, il doit être cherché non pas dans un retour, dans un rebroussement qui fasse repasser du sexuel à l'auto-conservation (comme il semble bien que Freud l'indique parfois, dans une conception tout à fait restrictive de la culture, qui voudrait que le phénomènes du culturel soit en dernier ressort lié à l'auto-conservation de l'espèce humaine) mais dans une sorte de tressage, dès l'origine, entre le non-sexuel et cette source permanente du sexuel ;

- A propos de cette source permanente, un tel destin de la pulsion - tel qu'il apparaît notamment dans la création artistique mais aussi bien dans la création spéculative d'un Freud avec ce chapitre IV de Au-delà du principe de plaisir - implique l'idée d'une sorte de néo-création répétée, continuée, d'énergie sexuelle, donc une réouverture continuelle d'une excitation et non pas d'une canalisation d'énergie pré-existante ;

- Cette néo-création, cette sorte de sexualité qu'on pourrait dire extemporanée, au sens où l'entendent les chimistes par exemple, c'est-à-dire de création sur le moment, de plat servi chaud et non pas de réchauffé, cette sexualité extemporanée, tressée avec une création d'une oeuvre, nous est apparue comme intimement liée à la question du traumatisme."

Le parcours toujours inachevé sur la sublimation, quatrième point de cette théorisation, et sur cette dérivation de la sublimation, lui semble inséparable de la psychanalyse elle-même.

 

     Pour prendre un aspect de cette question de la créativité, qui peut aussi bien être un symptôme névrotique qu'une manière d'échapper à la névrose, traité de manière concrète, sur un plan clinique, Daniela GARIGLIO, psychologue psychothérapeute et Daniel LYSEK, médecin micropsychanalyste, dans Scienza Psicoanalisi (2001) développent une réflexion très proche de la problématique de la sublimation.

Lisons le résumé qu'ils font de leur étude : "On peut actuellement, écrivent-ils, soutenir l'hypothèse que la créativité est une fculté humaine universelle. L'absence de créativité résulterait ainsi d'un processus d'inhibition obscurcissant le potentiel créatif. Tout se passe comme si les actes créateurs étaient bloqués par refoulement. Lorsqu'une analyse ou une psychothérapie parvient à lever le blocage, on assiste au développement spontané d'une activité créatrice. la non-créativité pourrait donc être assimilée à un symptôme névrotique, qui peut être douloureux et gênant. L'expression d'une créativité est souvent vécue par le sujet comme une lumière dans son existence. Il la décrit par exemple comme un cheminement de l'obscurité à la clarté, cela ne cadre pas avec la sublimation, qui évoque renoncement ou souffrance. Les auteurs émettent l'hypothèse que la créativité est un phénomène distinct de la sublimation et plus primaire qu'elle. Avec un exemple clinique, ils s'appuient sur la théorie micro-psychanalytique pour établir un parallèle avec le travail du rêve. Pour la micro-psychanalyse en effet, le rêve puise des matériaux dans le sobre fonds inconscient et les façonne en contenus psychiques aptes à paraître au grand jour. La créativité semble faire de même."

 

        Daniel LYSEK discute par ailleurs de la sublimation de l'agressivité (1997) :

"Une étude sur la sublimation de l'agressivité rencontre a priori deux difficultés. la première concerne la sublimation en général. Même si le concept apparaît très tôt dans les écrits freudiens, le phénomène en lui-même a été beaucoup moins étudié que les conflits psychiques. Et pour cause ! Alors que ces derniers forment le coeur de l'investigation analytique et sont donc au centre de la métapsychologie, la sublimation y occupe une place périphérique. Située en marge du conflit, elle constitue une voie d'élaboration normal pour certains produits primitivement conflictuels. L'analyste peut donc être tenté de se désintéresser de cet exutoire non production de symptômes. la seconde difficulté est plus spécifique puisqu'elle concerne la relation entre l'agressivité et l'inconscient. Le concept de sublimation provient en fait de la sexualité : il répond à la nécessité d'expliquer que des contenus manifestes non sexuels (...) ont pourtant leur source dans la sexualité inconsciente et tirent leur force d'expression de la libido. Or, du point de vue freudien, il ne va pas de soi d'appliquer la même explication au domaine de l'agressivité. Longtemps, la psychanalyse a considéré que l'inconscient est d'essence sexuelle, qu'il se compose de représentations sexuelles refoulées donnant lieu à des désirs également sexuels. la sublimation de l'agressivité manquait donc totalement de base théorique. Lorsque l'agressivité s'est trouvée prise en compte, elle n'a pas pour autant acquis le même statut que le sexualité quant à l'inconscient, en particulier à cause de difficultés conceptuelles concernant la nature de la pulsion de mort et le rôle du négatif dans l'inconscient. Or, la question de la sublimation de l'agressivité bute également sur ces points.

Qu'en est-il pour la micro-psychanalyse? Fanti a poursuivi le cheminement théorique qui a conduit Freud à la pulsion de mort et à faire entrer l'agressif dans la dynamique inconsciente. Mais, pour intégrer les données issues des longues séances, il a été amené à repenser totalement la métapsychologie de l'agressivité : comme l'expérience indique qu'elle se refoule autant que la sexualité, il a montré qu'elle contribue pleinement à composer l'inconscient et à nourrir ses manifestations. ce nouveau statut transparait d'ailleurs bien dans la définition de la sublimation que donne le Dictionnaire de la psychanalyse et de la micro-psychanalyse : "une pulsions sexuelle ou agressive, inhibée quant au but, voit son objet-but désexualisé ou dé-sagressivé et valorisé socialement, en particulier culturellement (Fanti, 1983). Cela n'a cependant pas incité les micro-psychanalystes à approfondir la question. On pourrait expliquer ce désintérêt par la spécificité de la micro-psychanalyse : les longues séances sont un outil particulièrement performant pour creuser très profondément en quête de l'originaire. Aussi, la recherche micro-psychanalytique s'est-elle naturellement orientée vers la mise en évidence de déterminants toujours plus primaires. Or, la sublimation se trouve aux antipodes de ces sources reculées : elle se fonde sur une élaboration secondaire sophistiquée, elle résulte d'une travail qui se déroule essentiellement au niveau pré-conscient. Pour l'étudier, il faut se placer dans une optique que la micro-psychanalyse n'a pas privilégiée d'emblée. Mais il y a certainement là une lacune à combler car, si la quête asymptomatique de l'élémentaire est effectivement fascinante, les impacts pratiques de notre travail dépendent aussi des processus superficiels. Et, parmi les effets de notre travail , l'ouverture à la sublimation occupe une phase non négligeable. Quant à la sublimation de l'agressivité, on s'y intéresse dès qu'on tente de dégager les nécessaires transformations que subit le potentiel agressif inconscient pour permettre la dimension sociale de l'individu.

En somme, dès qu'on s'interroge sur la régulation préconsciente de l'agressivité inconsciente. L'être humain n'a rien d'un animal pacifique, cela ne demande pas à être démontrer. (...) L'investigation analytique n'est donc pas nécessaire à révéler l'agressivité humaine, mais à souligner sa dimension inconsciente et à dévoiler ses causes inconscientes. Au cours de chaque analyse, on peut effectivement constater que l'inconscient mémorise des vécus utéro-infantiles de destruction et d'agression. Ce sont par exemple différentes expériences d'annihilation, d'éclatement, de meurtre, d'élimination, de rejet, d'abandon, d'emprise... qui, à la suite d'un refoulement, se sont imprimées définitivement dans l'inconscient, avec la trace de leurs objets (parents, frères et soeurs...) et de leur charge affective (haine, rage, colère, mépris...). certains de ces vécus intériorisés pendant l'enfance sont toujours actifs chez l'adulte, d'autres se réactivent au cours de son existence. Dans tous les cas, ils génèrent des désirs dévastateurs ou mortifères, qui cherchent à se réaliser au moyen de co-pulsions agressives. Cette mémoire constitue donc une véritable poudrière que chacun porte en soi. Avec un tel potentiel de destruction caché dans son inconscient et autant de vibrations agressives dans son comportement, comment se fait-il que l'être humain cohabite en général assez bien avec lui-même et réussisse à vivre en groupe sans trop de difficultés? Car c'est généralement une évidence, l'homme est un animal social et, dans l'ensemble, son immense potentiel agressif ne l'empêche ni de survivre ni de coexister avec ses semblables. Il dispose donc d'une capacité naturelle à créer une cohésion individuelle et sociale. ce qui nécessite évidemment la mise en place de mécanismes intrapsychiques visant à tempérer sa destructivité et à restreindre ses débordements agressifs. On connaît bien les différents mécanismes névrotiques qui servent à brider l'agressivité (...). La contention névrotique de l'agressivité me parait même jouer un rôle social aussi important que les défenses érigées contre la sexualité infantile. (...) Mais ne serait-il pas étonnant qu'il n'existe aucun dispositif physiologique (non producteur de symptômes) destiné à rendre l'agressivité inconsciente compatible avec la vie individuelle et sociale? Il me semble qu'une sublimation de l'agressivité - c'est-à-dire une dé-sagressivation des poussées inconscientes n'entraînant pas de mal-être névrotique - ferait parfaitement l'affaire ; pour favoriser le développement socioculturel de l'humanité, la nature n'aurait pu trouver mieux que de combiner la sublimation de l'agressivité avec celle de la sexualité. J'ai donc interrogé la pratique et la clinique pour vérifier si elles indiquent l'existence d'un tel mécanisme et s'il se distingue bien des défenses névrotiques. Je pense pouvoir répondre positivement. (...)"

 

    Nous indiquons simplement ici un des passages de l'oeuvre de Daniel LAGACHE concernant l'agressivité et abordant la sublimation, dans des termes très circonspects :

"Il est incontestable que l'influence de la théorie topique a été grande dans tous les domaines de la psychanalyse, et jusque sur le terrain de la psychanalyse appliquée. On peut cependant distinguer entre la manière concrète dont une influence s'exerce et la fécondité euristique proprement dite. Le fait historique est qu'au cours des années 20, la psychanalyse changea d'orientation, qu'elle se détourna des fantasmes inconscients, des plaisirs désirés et des punitions redoutées, pour se tourner vers le moi, ses mécanismes de défense et ses déformations. Mais le primum movens était-il la distinction des trois instances? Ce qui fut fécond, c'est l'idée des états de dépendance du moi ; rien ne le montre mieux que le fait que, lorsqu'on parle des chevauchements des trois systèmes, les données que l'on mentionne ont toutes trait aux états de dépendance du moi. Point capital dont certaines conséquences, cependant, ont été incomplètement formulées ou aperçues. la première concerne les buts et les effets de la cure psychanalytique. Nul doute que, dans le chapitres sur les "états de dépendance du moi", Freud n'ai clairement exprimé l'idée que la fonction du traitement était de libérer le moi de l'emprise des deux autres instances. La difficulté soulevée ici ne concerne que la désignation du processus de libération. La formule devenue classique est que le moi substitue à des défenses plus régressives des défenses moins coûteuses. Ce n'est pas là une formulation satisfaisante. la différence n'a été précisée qu'à propos de la sublimation, laquelle se distingue des mécanismes de défense proprement dits par le fait qu'elle a pour condition préalable l'abolition du refoulement, donc de la défense, et qu'elle se classe par suite parmi ce qu'on pourrait appeler plus justement les mécanismes de dégagement du moi. L'introduction du concept de "dégagement", distingué du concept de défense, est une condition préalable à une approche fructueuse du problèmes des moyens et des effets de la cure psychanalytique."  

 

   Dans son analyse de la sublimation, Sophie de MIJOLLA-MELLOR, se pose la question de savoir, étant donné toutes les métaphores de la dérivation utilisées couramment dans le milieu psychanalytique et au-delà, si elle constitue un mécanisme de défense.

"Le terme de défense, écrit-elle; est ambigu dans la mesure où il connote au sens transitif l'interdiction et au sens pronominal la protection contre un danger, les deux étant d'ailleurs liés puisque les facteurs de risque feront l'objet d'interdits protecteurs. Anna Freud proposera une liste très élargie des mécanismes de défense (...). Sa définition n'apporte rien de nouveau puisqu'elle n'y voit que "le déplacement vers un niveau plus élevé du but pulsionnel au point de vue social" mais elle ajoute que cette opération "présuppose une acceptation ou tout au moins une connaissance des valeurs morales, partant l'existence d'un surmoi (Le moi et les mécanismes de défense). Ces considérations rejoignent celle qui avaient amené Freud à "restaurer le vieux concept de défense" pour distinguer, parmi les méthodes de défense qu'utilise l'appareil psychique, celles qui présentent ou font suite à la structuration en ça/moi/surmoi. Anna Freud fera une tentative aussitôt abandonnée, pour classer chronologiquement l'utilisation de ces mécanismes de défense. Dans ce contexte, le refoulement et la sublimation apparaitraient assez tardivement au cours du développement. En fait, ces classifications introduisent plutôt de l'obscurité dans la mesure où elles mettent sur le même plan des opérations de nature très différente, le refoulement ayant une place à part comme constitutif de l'inconscient et les autres mécanismes relevant soit du fonctionnement pulsionnel lui-même (introjection, projection) soit de techniques au service du moi (annulation rétroactive, isolation, etc. Nous en examinerons deux cependant en raison de la proximité apparente qu'ils ont avec la sublimation : la formation réactionnelle et l'inhibition issue du refoulement."  Quant à la sublimation de l'agressivité, elle estime que "cette notion est particulièrement complexe car elle s'est beaucoup modifiée au cours de l'élaboration de la théorie freudienne, notamment avec l'introduction de la pulsion de mort, et c'est aussi là que se situe l'apport original et important de Mélanie Klein sur la sublimation précoce de la pulsion de détruire en épistémophilie".

La directrice de l'École doctorale "Recherches en psychanalyse" à l'Université de Paris 7-Denis-Diderot, choisit de n'évoquer "que ce qui concerne l'opération sublimatoire proprement dite qui ne doit pas être confondue avec le fait que la libido puisse rendre "utile" la pulsion de destruction originaire, pure émanation de la pulsion de mort, en la liant et en la dérivant vers les objets extérieurs à l'aide du système organique particulier que constitue la musculation." Après avoir dégagé trois acceptions différentes de la notion d'agressivité (originaire, pure émanation  de la pulsion de mort ; addition comme composante libidinale à la pulsion sexuelle et qui constitue la force qui permet de conquérir et maitriser l'objet ; existence de celle totalement sexualisée dans le sadisme et le masochisme), elle aborde la sublimation épistémophilique du sadisme chez l'enfant, le rejeton sublimé de la pulsion d'emprise puis l'éthique comme sublimation. Ce dernier aspect comporte l'étude de la volonté de changer (sublimation de la destruction) et du passage de l'envie au sentiment du juste. 

 

  A partir notamment de sa pratique de la cure, dans le prolongement des enseignements de l'ensemble de la psychanalyse (conçue comme boite à outils pour la pratique), Steve ABADIE-ROSIER présente (de manière concrète, à l'intention du "grand public") le refoulement comme le processus de mise à l'écart des pulsions, qui se voient refuser l'accès à la conscience. Il classe le refoulement dans la catégorie des mécanismes pulsionnels de défense.

"Le refoulement apparait vers l'âge de 6-7 ans dès le début de la période de latence. Les pulsions inacceptables, initiées dans une relation conflictuelle avec les motivations conscientes, entrainent leur éviction immédiate hors du champ de la conscience, où les souvenirs synonymes de honte et de culpabilité deviennent inexistants aux yeux de la conscience. L'exclusion forcée de ces pulsions consomme une quantité gargantuesque d'énergie et de libido, sans jamais totalement réussir à s'effacer et restant par conséquent toujours incomplète. Il en découle une menace de voir s'infiltrer les pulsions refoulées dans le champ de la conscience, fraîchement libérée ; les événements partiellement enfouis finissent par ressurgir et créent l'angoisse. Ces pulsions seront donc refoulées une nouvelle fois, conduisant au refoulement du refoulement. (...). 

L'individu ainsi confronté, de près et de loin, à un événement affectif mal vécu se heurte à des blocages, qui annihilent sa capacité à gérer le conflit qui l'anime et à avancer au-delà de sa paralysie émotionnelle inconsciente. D'échec en échec, l'être humain dont le refoulement entraîne un manque d'utilisation de soi, s'installe dans la souffrance, inéluctablement suivie de la névrose. Plus concrètement, ce raisonnement explique pourquoi Françoise Dolto avouait avoir été incapable d'entamer ses études de médecine avant d'avoir entrepris une analyse. Elle affirmait avoir ressenti le besoin de se connaitre en profondeur afin de résoudre ses propres conflits internes et de pouvoir ainsi mieux psychanalyser ses futurs patients. 

Le refoulement peur prendre de multiples formes. Ainsi dans une absence d'activité sexuelle, le refoulement de la pulsion mène souvent à une déviation ou à un ralentissement de l'activité sexuelle, l'inhibition totale résultant d'un refoulement du refoulement. Les trous de mémoire ((aussi appelés amnésie de défense), les lapsus, les actes manqués trouvent leur point d'origine dans un mécanisme de refoulement insuffisant, et s'évertuent, par leur survenue, à accroitre les possibilités de la mémoire, composante malheureusement inefficace à l'aboutissement du refoulement. Les méthodes telles que l'hypnose et les techniques de modification de la conscience, visant à travailler sur le refoulement et sur les amnésies de défense, proposent une voie vers la compréhension des échec répétés du refoulement."

 

Daniel LAGACHE, agressivité, structure de la personnalité et autres travaux, Oeuvres IV, 1956-1962, PUF, Bibliothèque de psychanalyse, 1982. Jean LAPLANCHE, problématiques III, La sublimation, PUF, Quadrige Grands textes, 2008. Anna FREUD, Le moi et les mécanismes de défense, PUF, Bibliothèque de psychanalyse, 2001 (1949). Daniel LYSEK, La sublimation de l'agressivité, dans Bolletino dell'Istituto italiano di Micropsicoanalisi, n°22, 1997. Daniela GARILIO et Daniel LYSEK, De l'obscurité à la clarté : évolution thérapeutique d'une formation de symptôme à la créativité, Communication présentée aux Journées de Printemps de la Société Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, dans la Revue de cette Société, n°67, tome VII, juin 2003. Claude LE GUEN, Positions et propositions sur la sublimation, Revue française de psychanalyse, n°5/2003 - 675. Otto FENICHEL, La théorie psychanalytique des névroses, PUF, 1987. Sophie de MIJOLLA-MELLOR, La sublimation, PUF, collection Que sais-je?, 2006. Steve ABADIE-ROSIER, Les processus psychiques, Les neurones moteurs, 2009.

 

PSYCHUS

 

Complété le 17 décembre 2014

 

Notez bien : over-blog s'est planté en plaçant ici la dernière partie de cet article qui devait être placé à Refoulement. Et par ailleurs, la partie ajoutée sur la sublimation, à partir du même auteur, a disparu!!!!  Cela sera rétabli l'année prochaine....

 

Cet article va faire l'objet d'une révision complète. Qui ne devrait pas changer beaucoup son sens.

 

Relu le 11 Août 2020

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