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25 avril 2010 7 25 /04 /avril /2010 23:00

     L'oeuvre de Wilhelm REICH, inscrite dans le prolongement direct de la théorie sexuelle de Sigmund FREUD, inspire encore aujourd'hui de multiples réflexions sur les liens entre la sexualité et la politique.

    Roger DADOUN, auteur d'un dictionnaire de son oeuvre, le décrit comme "psychiatre et psychanalyste, écrivain, militant et penseur politique et, plus que tout, peut-être, savant capable de pousser ses recherches avec pertinence dans de multiples directions, biologie, physique, mathématiques, Reich est un des hommes les plus passionnément controversés de notre temps."

Malgré ces controverses, ses travaux offrent "pourtant une ligne de développement d'une rare cohérence" : il considère l'énergie sexuelle ou libido, comme une réalité à étudier scientifiquement sous toutes ses formes. Son concept d'orgone, très critiqué notamment par tous ceux que révulsent toute théorie de la sexualité, mais pas seulement, est fondé sur la "coalescence des notions maintenues habituellement séparées de matière, de fonction et de bioénergie" Critique sévère du mécanisme technico-scientifique comme de toute métaphysique, sa pensée se veut à la fois à portée thérapeutique et sociologique, et bien entendu, politique. Il prône très tôt une politique sexuelle, garante selon lui de l'équilibre et de l'épanouissement de l'individu et de la société, très influencé par les approches marxistes, sans se dire marxiste lui-même.

 

     Ses écrits, en appui à ses multiples engagements en Allemagne et aux États-Unis (à partir de 1939), pour l'institutionnalisation de cette politique sexuelle, nombreux, s'échelonnent de L'irruption de la morale sexuelle (1932) à Les hommes dans l'État (1953), sans compter les multiples parutions posthumes. A noter les diverses contributions rassemblées dans Premiers écrits (parue en 1976) et l'oeuvre moins connue mais importante pour l'ancrage freudien de sa pensée, publiée en 1927, La Génitalité dans la théorie de la thérapie des névroses.

 

    L'irruption de la morale sexuelle (1932, 1935), étude des origines du caractère compulsif de la morale sexuelle, écrite en 1931, constitue une première étape des efforts de Wilhelm REICH pour proposer des solutions à ce qu'il appelle le problème des névroses des masses humaines. Il part de l'examen de la question des origines de la répression sexuelle, en se fondant sur les recherches ethnologiques,  surtout de Bronislav MALINOWSKI sur les sociétés de Mélanésie. Tout en s'appuyant sur les travaux du traitement thérapeutique des névroses de Sigmund FREUD, il réfute l'opinion que le refoulement sexuel soit la condition essentielle de l'évolution culturelle.

Effectuant la comparaison entre la vie sexuelle de populations "primitives" et celle de ses contemporains occidentaux, il se pose la question de l'avantage que tire la société industrielle du refoulement sexuel. Et plus précisément la société capitaliste réactionnaire dans laquelle il vit, la société allemande des années 1930.

Nous pouvons lire dans sa préface datée de 1931 : "Le résultat le plus important de mon activité politique pour les recherches futures en matière de sociologie sexuelle était probablement la découverte que la répression sexuelle de la population est un des moyens capitaux dont se sert la classe dominante pour assujettir les populations laborieuses, que le problème de la détresse sexuelle de la population ne peut être résolu que par le mouvement de libération de toutes les formes d'oppression. Bien moins agréable fut la conclusion que la suppression définitive des effets d'une répression sexuelle plus que millénaire et la mise en place d'une vie amoureuse satisfaisante et mettant un terme à l'épidémie de névroses ne sera possible que lorsque la démocratie du travail sera instaurée dans le monde et la sécurité économique des populations garantie."

  Dans ce livre, le psychanalyste tente de confirmer la théorie de MORGAN-ENGELS sur l'évolution sociale - patriarcat, matriarcat, origine de la propriété privée, partage des rôles entre hommes et femmes, éducation des enfants. Il tente de lier le régime de la propriété des choses au développement de la répression sexuelle, bref de comprendre comment fonctionne l'économie sexuelle. L'auteur entend déjà mettre les points sur les i en ce qui concerne le vécu sexuel des populations, et parle de génitalité, pour bien faire le lien, déjà, entre les aspects psychologiques et biologiques de la sexualité.

 

    La lutte sexuelle des jeunes (1932) aborde de front les questions de tension sexuelle et de satisfaction, des ressorts de l'homosexualité, les difficultés des relations de camaraderie chez les jeunes, la signification de la répression de la vie sexuelle des jeunes dans la société capitaliste, les conditions de la révolution sexuelle, avec comme préalable la révolution socialiste... Dans ce livre extrêmement dense, l'auteur traite de l'éducation sexuelle en s'efforçant de répondre aux questions suivantes :

- Quel est le fonctionnement normal de l'appareil sexuel?

- Quelles sont les institutions de la société de classes? Inhibent-elles ou favorisent-elles la satisfaction sexuelle des hommes?

- Si elles les inhibent, pour quelles raisons et dans quel but?

- Y-a-t-il une possibilité dans la société capitaliste de supprimer la misère sexuelle des jeunes?

- Sinon, dans quelles conditions la libération sexuelle des jeunes est-elle possible et que doit faire aujourd'hui la jeunesse pour provoquer cette libération?

  Wilhelm REICH se livre à une critique féroce des institutions (famille, Église, État) qui troublent les capacités humaines de jouissance, en entrant véritablement dans le détail. Il faut remarquer que cette approche se situe à l'époque dans toute une vaste littérature, il est vrai souvent réservée au corps médical, qui traite, bien avant Sigmund FREUD d'ailleurs, des troubles sexuels dans tous leurs aspects anatomiques et physiologiques. Ce qui est nouveau dans son approche, c'est la mise en évidence des rôles sociaux de tels troubles sexuels, notamment dans la jeunesse ouvrière allemande.

 

     L'analyse caractérielle (1933) développe l'analyse du comportement et de l'attitude du malade. Il montre, en partant de la technique psychanalytique utilisée dans le traitement des névroses, comment se développent les résistances au travail analytique. C'est une véritable technique de l'analyse caractérielle qu'il entend mettre sur pied. C'est aussi une théorie de la formation du caractère qu'il élabore. C'est la mise en évidence de quelques formes caractérielles bien définies et du fait qu'ils sont très répandus. Il écrit donc sur une peste émotionnelle généralisée à l'ensemble de la société.

    Sa conclusion de la partie sur la technique de l'analyse caractérielle, en dépit des difficultés pour décrire un processus analytique, veut résumer son expérience : "Notre exemple met en scène le prototype du caractère passif-féminin qui (...) nous confronte toujours avec le même type de résistance caractérielle. Il illustre aussi le mécanisme typique du transfert négatif latent. (...). (...) la priorité donnée à l'étude systématique et logique de la résistance caractérielle (...) fait apparaître spontanément et sans ambiguïté le matériel infantile correspondant. Cela confère son caractère introspectif à l'interprétation ultérieure des contenus et des symptômes, d'où une grande efficacité thérapeutique. (...). Dès que fut établie la liaison avec le matériel infantile, l'élimination de la résistance caractérielle s'amorça. Ainsi l'interprétation ultérieure des symptômes se fit avec la collaboration active du malade. L'analyse des résistances se déroula en deux phases typiques : d'abord, l'accent fut mis sur sa forme et sa signification actuelle, puis l'élimination fut obtenue à l'aide du matériel infantile mis au jour. La différence entre une résistance caractérielle et une résistance ordinaire se manifesta dans l'exemple cité par la politesse et la docilité qui marquait l'une, par les doutes et la méfiance qui marquait l'autre. La politesse et la docilité faisaient partie intégrante du caractère et servaient d'expression à la méfiance du malade à l'égard de l'analyse. L'interprétation systématique du transfert négatif latent aboutit à la libération de l'agressivité réprimée et déguisée à l'égard de l'analyste, des chefs et du père du malade. Ainsi s'évanouit l'attitude passive-féminine qui n'était, évidemment, qu'une forme de réaction contre l'agressivité refoulée. La répression de l'agressivité à l'égard du père avait entraîné la répression du désir génital des femmes. Par conséquent, l'analyse rétablit les désirs génitaux masculins en rétablissant l'agressivité ; ainsi fut guérie l'impuissance du malade. Le caractère craintif disparut avec l'angoisse de castration par la prise de conscience, par le malade, de son agressivité ; ses crises d'angoisse s'évanouirent avec l'abandon de la continence sexuelle. la détente orgastique de l'énergie accumulée sous forme de stase d'angoisse aboutit à l'élimination du "fond somatique de la névrose"". Ensuite, l'auteur s'étend beaucoup sur les indications et les dangers de l'analyse caractérielle et le maniement délicat du transfert au cours de la cure.

    Sa théorie de la formation du caractère suit le conflit sexuel infantile depuis ses débuts, le développement de mécanismes de défense du Moi qui élabore une cuirasse caractérielle (qui s'édifie surtout par peur du châtiment). Il décrit l'économie sexuelle  de cette cuirasse caractérielle pour aboutir à la description de quelques formes caractérielles bien définies : caractères hystérique, compulsif et phallique-narcissique. Il s'appesantit sur le caractère masochiste et sa thérapie.

    Partant du conflit entre pulsion et monde extérieur, il décrit l'interaction des forces défensives qui provoque l'installation d'une économie sexuelle où se mêlent plaisir, angoisse, colère et cuirasse musculaire. Tout ceci a une traduction dans l'expression affective du réflexe orgastique. Tout un chapitre est consacré à ce qu'il appelle la désagrégation schizoïde.

    Le dernier chapitre de son livre sur La peste émotionnelle décrit l'étendue de ces affections à l'ensemble de la population, sans vouloir donner d'ailleurs à ce terme une "nuance péjorative", la représentant surtout comme une adaptation boiteuse et artificielle, à des conditions sociales défavorables.

"La peste émotionnelle est une biopathie chronique de l'organisme. La peste émotionnelle est une conséquence directe de la répression, sur une vaste échelle, de l'amour génital ; depuis, il a pris un caractère épidémique et, au cours des millénaires, aucune peuple de la terre n'en a été épargné. Rien ne permet de supposer que la maladie se transmet, par hérédité, de la mère à l'enfant ; en réalité, elle est inculquée à l'enfant depuis le premier jour de sa vie. C'est un mal épidémique comme la schizophrénie ou le cancer : la peste émotionnelle se manifeste sur le plan social. la schizophrénie et le cancer sont des biopathies causées par la peste émotionnelle dans la vie sociale. Leurs effets sont visibles aussi bien au niveau de l'organisme que dans la vie sociale. De temps en temps, la peste émotionnelle prend, comme d'autres maladies épidémiques, comme la peste et le choléra, un caractère pandémique : elles se manifestent alors par une gigantesque flambée de sadisme et de criminalité, dont l'Inquisition catholique au Moyen Age et le fascisme international du XXe siècle nous fournissent d'éloquents exemples."  Dans ce chapitre, Wilhelm REICH décrit les différences entre le caractère génital, le caractère névrotique et les réactions de la peste émotionnelle.

  Cet ouvrage est l'un des plus techniques de l'auteur. Fort volume, c'est un exposé détaillé du lien entre biologie et psychologie des profondeurs. Il contient aussi la justification de l'hypothèse de l'énergie d'orgone.

 

     La psychologie de masse du fascisme (1933) part d'une question qui taraude nombre d'auteurs : Comment dix-sept millions de personnes sur trente un millions d'électeurs d'une population de soixante dix millions d'un peuple cultivé porte-t-il avec jubilation Hitler au pouvoir en 1933? 

Wilhelm REICH ne se contente pas de proposer une interprétation psychanalytique des événements dont il est le témoin direct. Il fait converger sa pratique, son expérience clinique, sa réflexion politique et anthropologique pour situer le problème de manière plus générale. Pour lui, c'est le caractère mécaniste-mystique des hommes de notre temps qui suscite les partis fascistes et non l'inverse. L'idéologie fasciste, qu'il retrouve sous toutes les latitudes, est l'expression caractérielle biopathique de l'homme frappé d'impuissance orgastique. C'est toute une conception de la théorie raciale, dont il décortique le contenu, la fonction objective et subjective, qu'il propose. Après une démonstration sur le fonctionnement et l'origine du mysticisme, de l'irrationnel, le psychanalyste montre les fonctions biosociales du travail, ou plus précisément de la "discipline volontaire du travail" de masse. Là, il s'attaque autant aux conceptions du travail mises en oeuvre dans les industries capitalistes que dans le stakhanovisme soviétique. La régulation autoritaire et nationaliste du travail en Union Soviétique va à l'inverse de l'objectif  marxiste d'épanouissement de l'homme et de la société.

A la fin de sa préface à la troisième édition de 1942, Wilhelm REICH écrit : "La psychologie structurelle fondée sur l'économie sexuelle ajoute à la définition économique de la société une nouvelle interprétation du caractère et de la biologie de l'homme. La suppression des capitalistes individuels en Russie et le remplacement du capitalisme privé par le capitalisme d'État n'ont pas apporté le moindre changement à la structure caractérielle faiblarde, si typique des masses humaines. Notons encore que l'idéologie politique des partis marxistes en Europe avait pour objet (...) une situation économique couvrant un espace de 200 ans environ, qui correspondait à peu près à l'épanouissement du machinisme du XVIIe au XIXe siècle. Le fascisme du XXe siècle par contre a soulevé le problème fondamental des attributs caractériels de l'homme, de la mystique et du besoin d'autorité, qui correspondent à un espace de 4 000 à 6 000 ans environ. Là aussi, le marxisme vulgaire essaie de loger un éléphant dans une renardière. La sociologie fondée sur l'économie sexuelle se penche sur une structure humaine qui ne s'est pas formée au cours des deux siècles passés, mais qui résume une civilisation patriarcale et autoritaire vieille de plusieurs millénaires. (...) La découverte de la démocratie de travail, entité biologique et naturelle, dans les rapports humains internationaux peut être considérée comme l'antidote contre le fascisme."

 

     La fonction de l'orgasme de 1942, dit l'auteur dans son introduction résume "l'oeuvre médicale et scientifique que j'ai accomplie sur l'organisme vivant pendant ces vingt dernières années".

En fait, c'est par une approche d'abord physiologique qu'il publie dès 1927 sous ce titre le fondement d'une économie sexuelle axée sur la puissance orgastique et la génitalité. Cette approche s'élargit au fur et à mesure de ses recherches sur les plans psychanalytiques et sociologiques. Ce texte livre la base de la réflexion de Wilhelm REICH  qui pense que l'orgasme, ou acmé de l'excitation génitale gouverne l'ensemble du comportement biologique de l'homme. Il s'agirait d'un courant végétatif bio-électrique correspondant chez l'homme au rythme biologique le plus profond, et qui se déroulerait suivant un processus à quatre temps : tension mécanique, charge électrique, décharge électrique, relaxation mécanique. Tout mauvais fonctionnement de l'orgasme, qu'il rencontre de manière forte dans les multiples névroses qu'il traite, détruit l'équilibre biologique et conduit à de nombreux symptômes somatiques. Il rapporte à l'impuissance orgastique une certain nombre de troubles psychiques et somatiques. Et place donc l'orgasme au coeur de la médecine psycho-somatique. Il oppose l'orgasme, qui est lié au bon fonctionnement du para-sympathique, à l'angoisse qui est liée à une sympathicotonie. Entre l'un et l'autre existe un jeu de compensation.

 "La théorie de l'économie sexuelle peut s'exprimer en quelques phrases : La santé psychique dépend de la puissance orgastique, c'est-à-dire de la capacité de se donner lors de l'acmé de l'excitation sexuelle, pendant l'acte sexuel naturel. Sa base est l'attitude caractérielle non névrotique de la capacité d'aimer. La maladie mentale est le résultat d'un désordre dans la capacité d'aimer. C'est le cas de l'impuissance orgastique, dont souffre la majorité des humains, l'énergie biologique est inhibée et devient ainsi la source de toutes sortes de comportements irrationnels. La guérison des troubles psychiques exige en premier lieu le rétablissement de la capacité d'aimer. Elle dépend autant des conditions sociales que des conditions psychiques.

Les troubles psychiques sont les effets des perturbations sexuelles qui découlent de la structure de notre société. Pendant des milliers d'années, ce chaos a favorisé l'entreprise qui tendait à soumettre les individus aux conditions existantes par l'intériorisation de contraintes extérieures imposées à la vie. Son but est d'obtenir l'ancrage psychique d'une civilisation mécanisée et autoritaire en ôtant aux individus leur confiance en eux-mêmes.

Les énergies vitales, dans des conditions naturelles, ont une régulation spontanée, excluant les formes obsessionnelles du devoir et de la moralité. Ces formes obsessionnelles révèlent à coup sûr l'existence de tendances anti-sociales. Le comportement anti-social naît de pulsions secondaires qui doivent leur existence à la répression de la sexualité naturelle.

L'individu élevé dans une atmosphère de négation de la vie et du sexe acquiert un plaisir-angoisse (la peur de l'excitation du plaisir) qui est représenté physiologiquement par des spasmes musculaires chroniques. Ce plaisir-angoisse est le terrain sur lequel l'individu recrée les idéologies qui nient la vie et qui forment les bases des dictatures. C'est le fondement de la peur de vivre d'une manière libre et indépendante. Il devient la source où toutes les activités politiques réactionnaires, où tous les systèmes de domination d'un individu ou d'un groupe sur une majorité de travailleurs puisent leur force. C'est une angoisse bio-physiologique. Elle constitue le problème central de la recherche psycho-somatique. Jusqu'à présent ce fut là le plus grand obstacle à l'investigation portée dans le domaine des fonctions vitales involontaires que le névrosé éprouve comme quelque chose d'étrange et d'effrayant.

La structure caractérielle de l'homme d'aujourd'hui (...) est marquée par une cuirasse contre la nature en lui-même et contre la misère sociale extérieure à lui-même. Cette cuirasse du caractère est à la base de la solitude, de l'insécurité, du désir ardent d'autorité, de la peur de la responsabilité, de la quête d'une mystique, de la misère sexuelle, de la révolte impuissante, de la résignation à un type de comportement pathologique et contraire à la nature. Les êtres humains ont adopté une attitude hostile contre ce qui, en eux-mêmes, représente la vie, et se sont éloignés d'elle. Cette aliénation n'est pas d'origine biologique, mais d'origine sociale et économique. On ne la trouve pas dans l'histoire humaine avant le développement de l'ordre social patriarcal."

 

      La révolution sexuelle, de 1945, développe sur le plan social, la réorientation de l'économie sexuelle vers l'épanouissement humain. Wilhelm REICH y insiste sur le fait "qu'il ne sera certainement pas possible de maîtriser le processus culturel actuel sans comprendre que le noyau de la structure psychologique est la structure sexuelle, et que le processus culturel est essentiellement déterminé par les besoins sexuels."  Il s'attaque au moralisme sexuel et les idées qu'il développe font partie aujourd'hui de l'histoire de ce que l'on appelle la "libération des moeurs". Dans le conflit entre une structure sociale et ce besoin sexuel, l'Église et l'État sont en première ligne. Dans les derniers chapitres, l'auteur examine de manière critique certaines expériences menées en Occident et en Union Soviétique (dans ses premiers temps) avant dans "Quelques problèmes de sexualité infantile" de proposer une nouvelle manière d''approcher l'éducation des enfants. Il vise à la fois la création de structures collectives et de structures non-autoritaires chez l'enfant.

 

     Ecoute petit homme!, de 1948, n'est pas un écrit de caractère scientifique mais une longue apostrophe philosophique  (sans le langage proprement philosophique bien entendu) dans le contexte d'une lutte contre une campagne (longue) contre ses expériences et des recherches sur l'orgone. C'est une apostrophe philosophique en ce sens qu'au-delà de son propre cas, Wilhelm REICH met en garde le citoyen ordinaire contre les méthodes (autoritaires)  et les objectifs des représentants qui officiellement doivent défendre ses intérêts et permettre son épanouissement.

 

      La biopathie du Cancer (1948) retrace ses expériences sur l'énergie d'orgone. Loin de proposer une thérapeutique curative du cancer, insistant souvent sur le caractère expérimental de ses théories mêmes, il expose simplement 8 ans de recherches (1939-1947).

Dans un langage compréhensible par tous, très loin des manuels médicaux, il désigne ce qui selon lui est à l'origine de cette affection. Il pense qu'une partie des difficultés de la recherche sur le cancer provient de la conception même que l'on a du fonctionnement biologique. Il propose une conception de la biogenèse  qui refuse la thèse établie de l'infection par des germes aériens et soutient l'idée d'une génération spontanée du vivant, sous l'aspect de vésicules chargées d'énergie, ou bions, à partir de la désintégration de la matière organique ou minérale. Il attribue un rôle fondamental à l'émotion, dans sa fonction biologique primordiale (Cent fleurs pour Wilhelm REICH)

Selon Roger DADOUN, "l'interprétation orgonomique de l'étiologie du cancer conduit Reich à poser un remarquable parallélisme et d'éclairantes articulations entre le fonctionnement cellulaire, au niveau microscopique, et la fonction du système nerveux autonome au niveau de l'organisme global. Il existe un relation d'équilibre dynamique entre le noyau et le plasma dans la cellule saine : flux d'énergie, orgonotiquement plus puissance ; en situation de carence, le noyau, menacé en quelque sorte de "sufocation", précipite ses processus spécifiques de luminescence et de division : rapide décharge orgonotique et mitose cellulaire "sauvage", caractéristique précisément du cancer."

Ses expériences ne sont pas reprises par le corps médical, et ses installations de laboratoire sont détruites après une campagne de dénigrement de son travail scientifique.

     C'est dans La superposition cosmique de 1951 que Wilhelm REICH décrit le plus précisément ce qu'il entend par l'orgone. Relatant les expériences de l'auteur, Roger DADOUN écrit "qu'il faut d'abord montrer que l'orgone existe. L'observation joue ici un rôle prépondérant. C'est avec ses organes des sens, ses "sensations d'organe", sa curiosité, son intérêt, sa rationalité, son désir, que le chercheur est appelé à percevoir une forme inhabituelle de réalité ; sa structure toute entière est impliquée dans la recherche, structure et recherche sont liées, non pas dans un sens banalement relativiste, mais dans toute la force du terme : c'est le propre en effet de l'énergie de l'orgone - omniprésente - d'être aussi l'énergie actuelle du corps, de donner à la sensation, au désir, à la raison leurs rythmes et leur pouvoir ; une forme unique, infiniment obscure d'échange, d'osmose, de contact, de complicité, peut-être ou de connivence, règle en ce lieu les rapports de l'observateur et de l'objet ; Reich en vient ainsi à engager une réflexion épistémologique originale, où il s'efforce de réduire l'antithèse fadement automatique de l'objectif et du subjectif, de dépasser ce dualisme mécaniste et paralysant en extrayant la subjectivité de son nébuleux et mystique contexte psychologique pour la distribuer dans des structures caractérielles et culturelles susceptibles de donner prise au rationnel et à l'objectif - ce à quoi précisément l'orgone par définition se prête. Et il importe à Reich, au plus haut point, de réduire ce "subjectif", dans la mesure où les "arguments" lancés contre la théorie de l'orgone consistent principalement en accusation de "subjectivité", formulée entre autres par Einstein."

Ce qui précède reflète assez bien le genre de littérature auquel le lecteur doit s'attendre dans les dernières oeuvres de Wilhelm REICH. Dans les tentatives, qui nous semblent un peu désespérées, de saisir le quanta de la vie, surtout avec le matériel alors disponible, le psychanalyste du début s'éloigne de plus en plus de l'approche psychanalytique pour tenter d'atteindre ce qui lie le cosmique à la vie. Et partant de se discréditer de plus en plus auprès de l'ensemble de la communauté scientifique, dans ses tentatives d'exprimer ce qui est difficilement observable : le flux même de la vie, l'orientation de l'énergie vitale dans la cellule comme dans l'organisme, surtout qu'il effectue le saut (trop vite certainement) avec l'énergie cosmique.

 

     L'éther, Dieu et le diable, de 1949, se situe dans le prolongement de cette approche. Des premiers chapitres qui traitent du fonctionnalisme orgonomique, des deux "piliers de la pensée humaine", de l'animisme, du mysticisme et du mécanisme, le lecteur passe aux derniers sur le "Royaume du diable" et enfin sur "l'énergie d'orgone cosmique et l'éther". Il est question de l'existence d'une énergie qui pénètre tout et dont la présence peut être prouvée.

Lisons les dernières lignes : "Les observateurs de la nature ont décrit correctement l'énergie cosmique originelle pour autant qu'il était question de ses fonctions. Encore ont-ils été incapables d'établir un contact avec ces fonctions si ce n'était par des déductions ; ils n'avaient aucun accès à l'observation et à l'expérimentation directe. Il est évident que ce fait n'est pas imputable à l'éther mais à l'observateur. Il s'agit donc d'un problème de biopsychiatrie qui se rattache surtout à la biophysique de la perception, à l'interprétation d'impressions sensorielles et de sensations d'organe. Comme l'a si bien montré toute l'évolution de l'orgonomie, il n'existe qu'une seule voie pour parvenir à l'étude physique de l'éther : cette voie, c'est le courant orgonotique dans l'homme, ou pour employer une autre formule : le "flux de l'éther" dans la structure membraneuse de l'homme. Pendant longtemps, l'humanité a appelé cette force originelle "Dieu". Nous commençons à comprendre pourquoi la plupart des grands physiciens qui se sont penchés sur les problèmes cosmiques et plus spécialement sur celui de l'éther ont, comme Newton, réfléchi intensément sur le problème de Dieu."

 

     Le meurtre du Christ, de 1956, est une audacieuse (très audacieuse...) interprétation de l'homme Jésus comme incarnation de l'amour génital dans la plénitude.

La vision reichienne de la réalité christique implique une double récusation : elle ne se satisfait pas de la conception laïque et rationaliste traditionnelle qui ne veut connaître au mieux que le seul Jésus historique qui fut un excellent meneur d'hommes, démagogue peut-être, et qui sut exprimer avec vigueur les revendications et les aspirations des masses de Judée pressurées par les castes de juifs riches et par les conquérants romains. L'auréole divine de Jésus est tenue pour de l'idéologie. Contre cette position historiciste, Reich considère qu'une approche rationnelle doit conserver au Christ cette auréole. Il existe nécessairement, vu l'impact qu'il a dans l'histoire, dans la personne du Christ quelque chose qui le distingue des messies de tout genre de son époque. Et ce quelque chose est la forme-Jésus, une incarnation de l'amour, qui est l'amour physique (et non mystifié). Ce quelque chose est à relier directement avec le fonctionnement de l'économie sexuelle. (Roger DADOUN)

 

     Les hommes dans l'État (People in trouble), de 1953, relate l'expérience personnelle de Wilhelm REICH des principaux événements sociaux et politiques de l'époque de la fin de la République de Weimar et de l'avènement du nazisme. Il montre comment cette expérience l'a progressivement amené à prendre conscience de la structure du caractère humain, de son influence sur le processus social et, réciproquement, de l'influence des phénomènes sociaux sur le caractère de l'individu. Livre autobiographique de l'Observateur Silencieux comme il se nomme dans cet ouvrage.  C'est peut-être par celui-là que le lecteur qui ne connaît pas l'oeuvre de Wilhelm REICH doit commencer.

 

     Roger DADOUN, dans une présentation de Wilhelm REICH, écrit qu'"à défaut de développer les nombreuses objections que ne manque pas de soulever une entreprise aussi vaste (que celle qu'il s'est assignée) et qui a fait l'objet de plus d'accusations que de critiques, on peut regrouper ces dernières sous une même arête directrice : Reich a tendance à faire fi des relais nécessaires, à négliger tout un patient travail de mise en relations et d'articulations intermédiaires : il ne voit pas que la pulsion de mort peut être un puissant outil d'élaboration théorique, comme en témoigne toute la deuxième topique freudienne ou l'oeuvre de Mélanie KLEIN ; sa vision politique ne tient guère compte de la complexité et de l'évolution des rapports de force entre classes sociales et organisations politiques ; surtout sa construction orgonomique, centrée sur le concept d'orgone, mal dégagé d'intuitions vitalistes, semble reposer sur des fondations précaires, et seul l'avenir, en permettant une investigation approfondie et objective des travaux de Reich, pourra restituer à son entreprise ses justes dimensions".

 

     Ce que la postérité retire surtout de l'oeuvre de Wilhelm REICH est surtout centré sur les thèmes d'oppression et de révolution sexuelles, qui ont marqué les générations des années 1960-1970 en Occident, notamment dans la jeunesse.

Yves BUIN fait de l'oeuvre européenne de ce chercheur, laissant ce qu'il appelle les errances de la période américaine de côté, le véritable centre d'intérêt de sa pensée. A savoir toute cette réflexion entre les aspects psychanalytiques de la sexualité et les aspects du fonctionnement politique des sociétés. La notion de cuirasse caractérielle n'est pas ignorée de bien des psychanalystes d'aujourd'hui. Helmut DAHMER, Paul FRAPPIER et Jean-Marie BROHM, de leur côté soulignent les convergences entre Reich et Marx à travers l'oeuvre de Reich, et ce qui fait partie du freudo-marxisme. Roger DADOUM souligne d'ailleurs que même dans sa période américaine, Wilhelm REICH  n'a pas perdu de vue (et tous ses adversaires hystériques aux États-Unis non plus!) la lutte contre le fascisme, envisagé dans une large perspective anthropologique et non uniquement politique ou idéologique. C'est cette lutte qui est l'aiguillon qui le mène à la recherche sur le mouvement vital.

 

Wilhelm REICH, L'irruption de la morale sexuelle, Étude des origines du caractère compulsif de la morale sexuelle, Petite Bibliothèque Payot, 1974 ; La lutte sexuelle des jeunes, François Maspéro, Petite collection maspéro, 1972 ; L'analyse caractérielle, Payot, Collection science de l'homme, 1973 ; La psychologie de masse du fascisme, Petite Bibliothèque Payot, 1974 ; La fonction de l'orgasme ; L'arche, collection Le sens de la marche, 1970 ; La révolution sexuelle, Union Générale d'Éditions, 10/18, 1971 ; Écoute petit homme!, Petite Bibliothèque Payot, 1974 ; L'éther, Dieu et le diable, Petite Bibliothèque Payot, 1999 ; La superposition cosmique, Petite Bibliothèque Payot, 1999 ; Les hommes dans l'État, Payot, 1978.

Roger DADOUN, article Encyclopedia Universalis, 2004 ; Cent fleurs pour Wilhelm REICH, Petite Bibliothèque Payot, 1975 ; article Wilhelm REICH, dans Dictionnaire international de psychanalyse, Hachette littératures, 2002 ; article La psychologie de masse du fascisme dans Dictionnaire des oeuvres politiques, PUF, 1986.

Yves BUIN, l'oeuvre européenne de Reich, Éditions universitaires, collection encyclopédie universitaire, 1972. Contributions de Helmut DAHMER, Paul FRAPPIER et Jean-Marie BROHM dans "débats", Editions Taupe Rouge de Novembre 1975.

 

 

Relu le 24 novembre 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

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