Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 janvier 2020 2 21 /01 /janvier /2020 07:53

Crédibilité politique de la dissuasion nucléaire

    Pour le général GALLOIS, nous rappelle François GERÉ, le problème le plus ardu posé par la dissuasion nucléaire est celui de l'adhésion de l'opinion publique dans les sociétés démocratiques, du soutien qu'elles apportent à leur gouvernement dans le cas d'une crise, et de la liberté de manoeuvre dont celui dispose par rapport à cette même opinion. De cette relation entre le soutien de l'opinion et la crédibilité de ce qu'il nomme la "rare volonté d'user de la représaille" qui fonde la crédibilité dissuasive nucléaire, on peut inférer trois propositions :

- Que le soutien de l'opinion à la stratégie doit être entretenu par un effort d'explication et de justification permanent à tous les niveaux de la société : masses, élites, intellectuels, etc.

-Que les actions de guerre psychologique menées par l'adversaire doivent être constamment contrées. A cet égard, les pouvoirs publics font preuve d'une paranoïa constante, assimilant souvent les attaques de la stratégie nucléaire menées en France par les opposants anti-nucléaires à des entreprises de subversion extérieures. Les théories du complot fleurissent bien avant Internet dans les sphères gouvernementales...

- Que pour recueillir l'adhésion du peuple et donc être crédible, la stratégie de dissuasion nucléaire ne peut s'appliquer qu'à la notion d'intérêt vital de la nation, c'est-à-dire la coïncidence stricte avec la population du pays qui la pratique. A cet égard, le mélange d'intérêt public et d'intérêts privés propre aux entreprises coloniales, doit être exclu, sous peine justement de faire de la dissuasion nucléaire un objet partisan.

   La "rare volonté" est celle d'un homme. Un seul : le décideur nucléaire à qui incombe la responsabilité non seulement du choix mais aussi de faire croire, constamment, tout au long de l'exercice de ses fonctions, que ce choix sera pour lui psychologiquement soutenable. La résolution du chef de l'État est donc un facteur aussi déterminant que son information.

  "A une stratégie totale implicite mesuré à l'estime et en quelque sorte intuitivement par les Chefs de gouvernement fait place une stratégie qui se doit d'être scientifiquement totale, précise BEAUFRE. La stratégie totale devient  une discipline de pensée indispensable au niveau des classes dirigeantes." Le chef de l'État est donc le stratège intégral, investi par le suffrage universel depuis 1962, porteur direct de la volonté nationale, il incarne l'interface politico-stratégique. Il n'y a pas, il ne saurait y avoir d'interrogation au-delà. Sauf celles que le chef de l'État, concepteur du projet politique, poserait lui-même légitimement. Reste que dans sa soumission logique au projet politique, la stratégie de dissuasion soumet le chef de tout État nucléaire à l'épreuve d'une rigueur eceptionnelle.

 

La stratégie nucléaire au service d'une finalité politique suprême

   L'arme atomique est garante de l'être national. Pour les quatre stratèges français, elle présente l'immense avantage de permettre enfin cette protection dont la France avait tant besoin. La dissuasion nucléaire est d'abord et surtout manoeuvre de sécurité garantissant la persévérance de l'être national. La menace d'emploi d'une arme sans équivalent assure la pérennité du projet politique minimal. "Toute action politique a pour objet, en premier lieu, de soutenir l'unité politique dans l'existence et dans son identité : sa première fin est donc de persévérer dans son être" écrit POIRIER. Et de GAULLE, lui-même, avait dit en 1943 : "il faut vouloir que la France existe. Plus jamais cela n'ira de soi."

Ainsi s'explique l'évaluation qui est faite des limites de validité de la dissuasion du faible au fort. "Parce que l'unanimité nationale ne pourrait être faite que devant une grave menace, le domaine d'efficacité de la stratégie de dissuasion est plus généralement limité à la défense des intérêts vitaux du pays qui pratique cette stratégie." écrit GALLOIS.

Cette notion d'intérêts vitaux est centrale pour l'avenir puisqu'il s'agit de l'adéquation entre le sujet individuel et la communauté : le sentiment d'appartenance générateur d'identité.

Le général POIRIER est amené à privilégier le concept d'autonomie de décision : "Faculté, pour un peuple, de choisir librement, à l'abri de toute pression étrangère, le projet politique qu'il juge conforme à ses intérêts et à ses ressources, le concept d'autonomie de décision répond à la volonté d'identité nationale." C'est le renoncement à l'autonomie de décision qui équivaut logiquement à l'abandon de l'être. En conséquence, "la stratégie militaire recevra donc pour premier but, et pour but constant, l'acquisition de l'autonomie de décision si on ne la possède pas encore, et sa sauvegarde devant toutes les formes de danger susceptibles de la compromettre, de l'aliéner immédiatement ou à terme".

   On voit bien à trouver cette réflexion qu'a contrario, même avec un arsenal nucléaire au niveau de cette dissuasion, même si sur la plan diplomatique, les responsables politiques des autres pays tiennent compte de celle-ci, alliés ou adversaires potentiels, si la volonté nationale n'existe plus, cette dissuasion perde beaucoup de son objet. Or, on se rend bien compte que dans la période où ces quatre stratèges expriment quasiment la position officielle de la France, il existe à la fois un projet - issu d'ailleurs de la volonté de renouveau de la Résistance à la Libération - d'une cohésion nationale et d'un lien réel entre les citoyens de ce pays. Et que, surtout à partir du moment où les idées libérales - lesquelles refusent d'ailleurs la planification d'État en général et la solidarité sociale en particulier - pénètrent dans l'appareil d'État (cela s'accélère au cours du dernier mandat de Jacques CHIRAC), la liaison entre autonomie de décision (laquelle est jugée dans de plus en plus de domaines sans... intérêt national) et stratégie de dissuasion se délite considérablement... Quels intérêts vitaux alors la stratégie de dissuasion nucléaire veut défendre?

 

La question des alliances

   "Les alliances n'ont pas de vertus absolues, quels que soient les sentiments qui les fondent", avait dit le général de GAULLE, le 11 janvier 1963.

Très tôt, des particularités de l'arme nucléaire, de GAULLE infère l'impossibilité des alliances. Les démocraties ne peuvent guère pratquer la stratégie de dissuasion qu'au service d'une cause absolument vitale, selon lui. Il est en effet indispensable pour l'efficacité et la crédibilité de la menace que l'opinion publique apporte son soutien. La dissuasion nucléaire "répond à une fin politique, précise POIRIER, qui ne peut partager avec aucun autre État la pérennité de l'être national". Et GALLOIS de mentionner ce qu'il accentuera par la suite : "S'il s'agit d'intervenir au profit d'un autre, fût-ce un pays ami, l'hésitation est d'autant plus probable que les lois de la stratégie nucléaire sont défavorables à pareille intervention."

Il devient clair qu'aucun État ne saurait envisager de courir le risque de la mort pour un autre que lui-même. Celui qui fait les frais, c'est l'allié abandonné, mais le nucléaire garantissant mieux la probabilité de non-passage à l'acte, on pourrait en inférer que l'allié est mieux protégé que par les noeuds sacrés d'alliances...

La condamnation en bloc d'une stratégie d'alliance et le repli égoïste sur le donjon nucléaire posent évidemment d'immenses problèmes, lesquels varient dans le temps, compte tenu de l'évolution du monde et donc de chacun des acteurs. Si l'on devait distinguer l'"alliance-protectorat" de l'"alliance-communauté de biens", on jugerait la situation actuelle intermédiaire. L'alliance à n'importe quel prix n'est plus justifiée, l'alliance communauté ne parvient pas encore à se définir.

A l'ère nucléaire, peut-il exister pour un État une défense efficace qui puisse se dispenser de la composante nucléaire? Dans l'absolu, cette position serait intenable : on ne peut se défendre par des moyens classiques contre une menace nucléaire. En fait, le recours à la seule défense classique ne peut se justifier que parce que l'on a pas d'adversaire nucléaire direct ou simplement proche. Cela devient le cas pour de nombreux pays depuis que l'Union Soviétique a disparu. Mais inversement, ça l'est de moins en moins à mesure que la mondialisation rapproche les États et leurs intérêts les uns des autres. L'Irak en a fait l'amère expérience. Même dans un monde où il n'y aurait pas d'adversaires, l'existence des armes nucléaires obligerait tôt ou tard soit à se doter de cette arme, soit à se choisir un protecteur, et alors, lequel.

On peut écrire que le succès de la doctrine de dissuasion française permet la dissémination à de nombreux pays - sous condition d'en avoir les accès technologiques - de la doctrine de dissuasion pour leur propre compte... Il existe donc une contradiction certaine entre certaines déclarations contre la prolifération nucléaire et le maintien d'une doctrine de dissuasion nucléaire.... D'ailleurs, cela se traduit par une participation - avec le consentement ou non d'ailleurs de l'État - par une communication de technologies nucléaires à de nombreux pays par les plus importantes entreprises françaises qui participent à la constitution et au maintien de l'arsenal nucléaire français... Parfois, la France justifie - dans le cas d'Israël par exemple - cette participation par le droit à tout État de se défendre...

 

La dissuasion absolue?

   Mais dans ce qui est présenté souvent comme un égoïsme sacré, il y a plus d'une nuance à apporter. Toute en rejetant ce qui lui parait être chez BEAUFRE recherche d'un impossible compromis, POIRIER se distingue de GALLOIS et d'AILERET en ce qu'il s'efforce dans la stratégie militaire générale (action et dissuasion combinées) d'accorder la sanctuarisation française et les relations privilégiées à finalités communautaires entre la France et ses partenaires européens.

D'où la métaphore des trois cercles (ils aiment beaucoup les métaphores...), la dilatation spatiale liée au seuil d'agressivité critique et, surtout, une problématique de la dissuasion qui, dans une période d'interrogation et de prospective comme celle que nous connaissons aujourd'hui, est riche de suggestions et ne peut que stimules l'invention stratégique.

La dissuasion absolue est définie par Lucien POIRIER comme "une stratégie complexe qui vise à détourner toute agression, même celles qui, en leur début, n'affecteraient pas notre territoire". La dissuasion absolue englobe dissuasion radicale et dissuasion limitée. "La première, fondée sur l'existence d'un risque nucléaire qu'une agression majeure, affectant le territoire du dissuadeur, actualiserait après le franchissement d'un seuil d'agressivité critique, sera dite radicale. La seconde, fondée sur l'existence d'une capacité d'intervention classique - en principe avec des alliés - à la mesure des agressions mineures affectant le glacis et suffisante pour enlever toute valeur aux espérances de gain que l'agresseur pourrait y convoiter, sera dite limitée."

Il n'est pas possible d'isoler totalement le sanctuaire parce qu'il y a des partenaires, parce que la Drance est, en Europe, interdépendante, à la fois dans l'exiguïté géographique et dans l'enchevêtrement des intérêts. Il faut donc articuler des modes stratégiques les uns aux autres. Mais, pour y parvenir, une transformation qualitative de la dissuasion est nécessaire. Dissuasion nucléaire  en deçà, dissuasion classique au-delà. Plus précisément encore une dissuasion limitée non nucléaire.

Distinguer entre forces conventionnelles qui complètent le dispositif dissuasif nucléaire et forces conventionnelles qui agissent au loin (corps expéditionnaire) et qui constituent le second volet, et auxquelles, le cas échéant, les forces nucléaires pourraient apporter le soutien de leur capacité de dissuasion (comme ce fut le cas pour les Américains en Irak) complète la dissuasion stratégique.

Aujourd'hui, le problème se repose en termes différents. Il n'y a pas de forces nucléaires à construire. Les besoins en matières fissiles sont largement couverts. Il s'agit donc d'un rééquilibrage dans la modernisation et l'adaptation des forces nucléaires, et d'une modernisation-équilibrage des forces conventionnelles au service d'une réelle dialectique stratégique action-dissuasion correspondant à la dialectique des buts politiques positifs (développer-prospérer) et négatifs (interdire-protéger-conserver).

A l'égard de ce problème crucial de l'alliance, chacun s'est prononcé. Ici, il y a division en deux camps : AILLERET, GALLOIS, POIRIER se trouvent unis pour considérer que le risque nucléaire ne se partage pas, ce dernier proposant une organisation stratégique permettant d'intégrer la notion d'alliance de façon qu'elle n'entre pas, dans sa logique, en contradiction avec celle de la dissuasion nucléaires. BEAUFRE, seul, s'essaie à cet exercice redoutable.

 

Frictions ou quatre "malédictions" théoriques

   Rigueur et vigueur de la pensée du stratège ne sont pas tout, estime François GERÉ, et puissance de la rhétorique, avons-nous envie d'ajouter, non plus. Après l'énoncé, écrit-il, il y a le passage à l'acte, l'affrontement avec la pesanteur des choses, le conformisme et le traditionalisme, les intérêts corporatifs, lesquels ajoutons-nous encore, sont puissants dans l'institution militaire... Notre auteur-guide, qui nous permet, autant le dire en passant, d'adopter, sans doute au détriment de ses convictions profondes, d'adopter une posture critique, passe alors en revue les notions-clés de chacun des quatre stratèges français, GALLOIS, BEAUFRE, AILLERET et POIRIER.

 

- GALLOIS, à propos des représailes massives.

Cet attachement à une doctrine qui le conduit à condamner avec une virulence croissante la position américaine procède paradoxalement de la plus étroite familiarité avec le nucléaire américaine. GALLOIS comprend que les États-Unis se détournent des représailles massives à cause de la montée en puissance de l'arsenal soviétique. Il calcule et prévoit cette évolution. Il constate l'inflexion vers la riposte graduée et en déduit qu'un allié ne peut plus être certain d'être protégé dans de telles conditions. Il en conclut dès lors qu'à partir du moment où KENNEDY a engagé les États-Unis dans cette voie, les propositions d'association ne sont qu'illusions (la "farce" multilatérale, écrira t-il) sans aucune fiabilité. Ce point de vue est d'ailleurs complètement partagé par BEAUFRE. Là encore, il s'agit bien davantage de choix du ton pour dire ce qu'impose la lucidité élémentaire. Il importe alors de se doter de façon autonome des forces nucléaires pour être en mesure d'opposer ses propres forces nucléaires indépendantes à celles de l'adversaire.

Cette conception a été attaquée dès le début avec une extraordinaire virulence par Raymond ARON. Pour comprendre la nature exacte de la controverse, il convient de repérer le moment charnière où elle s'inscrit : la mutation stratégique américaine qui fait poser des représailles massives à la riposte graduée. Mutation logique que les États-Unis qui cherchent à maintenir une coalition dans des termes qui ne soient pas antinomiques avec le souci de leur sauvegarde nationale. Il n'est donc pas plus cohérent de demander à la France de se satisfaire d'une garantie américaine douteuse que d'exiger des États-Unis qu'ils prennent un risque mortel pour autre chose que leur propre survie. L'accession à la bipolarité nucléaire ne pouvait qu'inciter chacun à suivre sa propre voie, en fonction des moyens dont il pouvait disposer. Ni ARON ni BEAUFRE ne semblent admettre que la recherche de la flexibilité procède de la logique américaine, mais GALLOIS, pour maintenir à la France une authentique garantie nucléaire américaine, demande à l'administration Kennedy un engagement qui correspond désormais à la seule position de la France.

La radicalité de GALLOIS sur un "tout ou rien" dont nul décideur ne saurait pourtant jamais in fine faire l'économie a souvent été présentée comme une dissuasion par improbable et insoutenable menace de "suicide". Le général BEAUFRE la présente en ces termes : "Déclancher une action dont la riposte entrainera sa propre mort n'est qu'une forme à peine déguisée de sanction par hara-kiri. Ce n'est pas une stratégie. Au contraire, tout doit être fait pour éviter cette extrémité". Objection que réfute POIRIER démontrant sans difficulté que "la thèse du suicide n'a guère de sens par rapport à l'espérance de gain politico-stratégique qui finalise l'action adverse." Il est en effet possible d'afficher dans le cadre de la manoeuvre contre-dissuasive que l'on a la ferme intention d'annihiler la France au cas où elle exercerait sa représaille nucléaire. Mais à quoi bon? Hormis une logique vindicative qui vaut sans doute pour certains individus mais qui n'est pas la logique des "monstres froids" que sont les organismes étatiques, quels que soient leur idéologie et le maintient extérieur de leurs dirigeants. A cela s'ajoute une fois de plus que la menace d'emploi se situe dans la dimension virtuelle. L'ensemble des raisonnements qui sont construits n'a de signification que pour la manoeuvre dissuasive qui vise à la suspension interminable de l'acte de guerre. "Il n'est de victoire concevable, écrit POIRIER, que dans l'absence de guerre ; absence par impossibilité et impossibilité par absurdité."

 

- BEAUFRE et la dissuasion multilatérale

Le général BEAUFRE refuse de considérer l'incompatibilité entre détention des armes nucléaires et alliance. C'est donc à ce défi logique qu'il entend répondre en développant les principes de la dissuasion multilatérale. Expression probablement malheureuse en cette période où l'administration Kennedy propose une force nucléaire multilatérale qui cache mal les véritables intentions américaines. Le général POIRIER a relevé avec une distance souveraine les contradictions de la position de BEAUFRE. Toutefois la pensée du général va plus loin que cette impossible tentative de conciliation qui lui est prêtée.

BEAUFRE réfute effectivement la validité de l'efficacité d'une dissuasion nucléaire du faible au fort dans les termes que propose GALLOIS à l'époque et qu'élabore POIRIER au même moment. Il écrit : "La dialectique d'un adversaire très fort opposé à un adversaire très faible aboutit normalement à la dissuasion du plus faible et à la liberté d'action du plus fort, sauf dans le cas limite où le plus faible serait menacé de la perte totale de son indépendance."

Mais il fonde la suite de son raisonnement sur la situation réelle. La France n'est point seule devant l'URSS, qu'elle le veuille ou non. Il ne sert à rien de penser la validité de la capacité de frappe nucléaire française en dehors de l'existence des capacités américaines. Dès lors, échappant au modèle logique de POIRIER, s'appuyant sur la réalité concrète stratégique, BEAUFRE élabore une sorte de contre-modèle théorique qui a le mérite de sauver la démarche française, mais sans en reconnaître les axiomes, et de dépasser l'état de fait, donc la suprématie américaine qui voudrait réduire la velléité française d'autonomie. Tentative intellectuelle désespéré? Certainement pas, selon François GERÉ. La reconnaissance de la valeur de la capacité française au sommet d'Ottawa en 1974 et, plus encore, la prise en compte par l'URSS du facteur français permettent de considérer que la démarche de BEAUFRE était bien plus qu'une acrobatie pour concilier l'inconciliable.

 

- AILLERET et la dissuasion "tous azimuts".

Cet article du général paru trois mois avant sa mort accidentelle a provoqué de furieux commentaires et d'étranges erreurs d'interprétation. "Un système de défense qui ne soit dirigé contre personne, mais mondial et tous azimuts, qui ait la puissance maximum permise par ses ressources nationales, et qui, manié avec autant de sang-froid que de détermination, devrait, par la dissuasion, lui permettre d'échapper à certaines grandes guerres et, s'il n'y échappe pas, d'y participer aux meilleures conditions ; enfin qui, au cours des crises peuvent dans l'avenir ébranler le monde, mettrait la France en mesure de déterminer librement son destin."

François GERÉ remarque que le chef d'état-major des armées n'a parlé que de défense tous azimuts et non de stratégie. Il note également la rigueur extrême du choix des mots qui vise à l'explicitation complète : mondial et tous azimuts sont dissociés. Chez AILLERET, artilleur de formation, azimut est lié à une direction ou, si l'on préfère à un ciblage. Il s'agit d'indiquer que le ciblage devrait être omnidirectionnel, ce qui pose incontestablement un problème technique que la proche accession de la France à l'arme thermonucléaire et le développement de sa force sous-marine peuvent permettre de résoudre. Mondial, intentionnel, opposé à "contre personne" pour signifier qu'il est désormais susceptible d'être dirigé contre tout le monde, renvoie à un contexte politico-stratégique, celui-là même qui a été défini à grands traits par le chef des armées.

"La situation mondiale nous offre le spectacle d'un tel désordre, d'une telle agitation..." AILLERET esquissait davantage une situation qu'il appelait de ses voeux (et le chef de l'État avec lui dont le discours de Phnom Penh est du 1er septembre 1967) que la réalité sur laquelle pesait encore très lourdement l'hypothèque soviétique. Il n'en est pas moins vrai que, par une remarquable conjonction des temps, la France approchait de la mise au point de l'arme thermonucléaire et que l'OTAN allait adopter officiellement MC-14/3 qui entérinait une flexible response pour laquelle les forces américaines de l'OTAN avaient, de fait, commencé à s'organiser. AILLERET décrit exactement la situation actuelle où une certitude d'ennemi laisse la place à une incertitude généralisée pour le futur proche. "Tous azimuts", c'était faire face à la liberté du monde. Aujourd'hui, après la levée de l'hypothèque soviétique, dans le grand large planétaire où n'apparait plus aucune de ces ennemis désignés dont nous avions, en France, de génération en génération, fait le pivot de notre stratégie, ce "tous azimuts" ne devient-il pas la clé logique ouvrant tout raisonnement de stratégie nucléaire?"

Sauf sans doute, et notre auteur en laisse une zone d'ombre, les divers Libres Blancs de la défense n'ont désigné tardivement l'Union Soviétique comme l'ennemi, qu'à l'occasion de la crise des euromissiles des années 1980. Il est vrai que, au sein de l'état-major des armées, loin de la rhétorique officielle, en revanche nul doute sur le nom de l'ennemi...

 

- POIRIER et la manoeuvre pour le test.

Ayant considéré qu'il était indispensable que le décideur de la représaille nucléaire bénéficât de l'information la plus assurée pour être en mesure, en raison, de décider de la suite à donner à une "aventure" de l'adversaire en direction du sanctuaire, le général POIRIER conçoit la manoeuvre pour le test à laquelle furent affectés les régimes Pluton d'armes nucléaires tactiques. D'inspiration napoléonienne, elle rappelle "une mission générale d'éclairage au profit de la manoeuvre des "gros" conduite par le chef de l'État". C'est là que se trouvent leur rôle les forces de manoeuvre aéroterrestres et aéronautiques dites conventionnelles et les armes nucléaires tactiques auxquelles en 1966 le CPE a donné feu vert. Cet armement assurerait une double fonction : sa seule existence contraindrait l'agresseur à s'engager plus puissamment, donc plus clairement...

Ensuite, dans les mains du chef de l'État, il permettrait un tir de semonce effectué sur les seules forces assaillantes, de matérialiser d'une manière non équivoque le moment où nous estimerions que l'agression ennemie va franchir le seul d'agressivité critique. Ultime élément de dialogue, instrument sémiotique, voici donc le rôle du nucléaire tactique pour la France. POIRIER, qui écarte toute idée de bataille, toute idée de volonté de résistance sur le terrain, de justification de la riposte par le sang répandu, ne prête donc guère le flanc aux critiques exprimées à l'encontre de l'ANT française par le général GALLOIS. Au demeurant, GALLOIS s'en prend à des dérives qui n'ont rien à voir avec le test mais bien avec l'organisation du corps de bataille. Comme le fait remarquer POIRIER, "on s'est contenté de plaquer le nouveau concept, embarrassant, sur le corps de bataille existant. Au lieu d'inventer une authentique manoeuvre de test, on s'est borné à rebaptiser ainsi la mission assignée jusqu'alors à la 1er armée. GALLOIS a cent fois raison pour la réalité de l'alibi. Mais celui-ci procède du concept et le CPE n'a pas construit le concept pour l'alibi".

Le problème est que, contrairement aux forces stratégiques répartis de manière autonomes sur les trois "espaces" air, terre, mer, les forces tactiques doivent être installées quelque part. Ces chars dotés d'ogives nucléaires sont placés en des bataillons spéciaux, lesquels ont une place dans le dispositif opérationnel composé de forces conventionnelles... Jusqu'à quel point se distinguent-ils du corps de bataille... Les états-majors se dont penchés sur la question en dehors de toute phraséologie sur la stratégie de dissuasion, ce qui donne des allures bizarres au mieux à l'ensemble du dispositif français... Sans compter la volonté de l'armée de terre d'avoir "son" arme nucléaire, par rapport à sa rivale, l'armée de l'air, qui s'est accaparée l'ensemble de la maitrise des forces nucléaires stratégiques...

Une des critiques les plus sereines est celle de POIRIER lui-même qui, dans un premier temps, reconnaît que sa théorie a servi d'alibi. Puis, plus profondément encore, en 1983 : "Je confesse avoir été mal inspiré en formulant ces notions... Alors qu'il ne peut être que le moyen de l'information au politique, le teste devait inéluctablement s'ériger en but de la manoeuvre : perçue comme une épreuve de force, la notion même de test s'évaporait dans celle, plus séduisante, de bataille pour les frontières..."

La disqualification de la stratégie nucléaire en général, de celle de la France en particulier, n'a pas peu contribué à favoriser l'état d'ignorance ou d'indifférence profond dans lequel nos alliés, américains en particulier, se sont cantonnés. Il est vrai que, côté français, l'effort est resté bien modeste pour faire comprendre la logique de notre stratégie et manifester ma solidité de sa charpente intellectuelle. Vaste chantier, la culture stratégique française depuis 1945, tout occupée à la création intellectuelle et opérationnelle, n'a guère pris le temps de son exposition. Cette appréciation de François GERÉ  sur l'effort d'explication laisse perplexe, dans la mesure où les discours sur les liens entre indépendance nationale et stratégie nucléaire ont été répétés sur tous les tons, et pas seulement par les quatre stratèges cités. Sans doute l'ont-ils été plus en direction des opinions publiques et des militaires eux-mêmes - qui se sentaient dépossédés des prestigieux outils de défense de la France - qu'en direction des alliés... quoiqu'en lisant les différents rapports publics de l'OTAN, on se rend compte que les Français n'ont pas été les plus silencieux....

En tout cas, comme l'écrit François GERÉ, aujourd'hui, les forces nucléaires dites stratégiques des deux "hyper-puissances" sont en cours de réductions importantes. Des expressions plus emblématiques que stratégiques comme la suffisance raisonnable ou la dissuasion nucléaire minimum semblent servir de référence à la Russie nouvelle et sont fréquemment évoquées aux États-Unis dans le centres de recherche et les instituts scientifiques. Il ne s'agit pas de dire avec suffisance que la stratégie française de dissuasion nucléaire peut et doit servir de modèle. Plus modestement, on peut considérer qu'elle fournit les éléments d'une base conceptuelle assurée, sorte de repère théorique, pour la construction des stratégies nouvelles dont les États du monde, commencent à se mettre en quête. A commencer, complèterions-nous, par les États encore non nucléaires qui cherchent à devenir des puissances nucléaires dotées d'une théorie du faible au fort...

 

Une discussion, pas seulement à quatre, qui tourne autour d'une même préoccupation : donner à la France un outil de défense à la mesure de son désir d'indépendance au lendemain de la Seconde guerre mondiale

    Cette préoccupation ne cesse de guider stratèges et stratégistes (dominants) dans la réflexion sur la dissuasion nucléaire. Dès octobre 1945, un article de l'amiral Raoul CASTEX dans la Revue de défense nationale décrit pour la première fois en France l'impact stratégique de l'arme nucléaire. Il cite déjà ces points qui restent encore pertinents aujourd'hui dans la tête de ceux-ci : cette arme est un engin nouveau par rapport à l'ensemble des armements utilisés depuis des centaines d'années ; cette bombe ne peut rester l'apanage d'une seule nation et on s'en rend compte aujourd'hui reste difficilement le monopole des grandes puissances ; cette arme bénéficie à la nation faible comme à la nation forte, incitation puissance pour des États rivaux au plan régional de l'acquérir ; les pays à forte densité de population sont des cibles magnifiques ; les Américains s'en sont servi (sur le Japon) car ils se savaient épargnés de représailles ; la puissance unitaire de l'arme fait que le nombre n'est plus un facteur clé, et aujourd'hui la compétition est bien plus qualitative que quantitative. Il s'agit d'un article précurseur, même si la réflexion se développe ensuite aux États-Unis d'abord dans les années 1950 et au début des années 1960.

   

   L'histoire du développement des armements nucléaires montre qu'il n'y a pas de continuité ni de concomitance entre la réalité de leur déploiement et l'émission des différentes stratégies nucléaires. Celles-ci se situent dans des contextes stratégico-politiques (relations avec les États-Unis et l'URSS, et ensuite par rapport à l'Europe) bien précis. Et ceci est particulièrement éclatant dans le cas de la France, ce qui permet le déploiement de contestations importantes dans l'opinion publique et dans les milieux militaires.

 

Charles AILLERET, Réalités atomiques, dans Revue des forces terrestres, n°1, janvier 1954 ; L'arme nucléaire, arme à bon marché, dans Revue de défense nationale, octobre 1954 ; L'Aventure atomique française, Paris, 1968. Raymond ARON, Le Grand Débat, initiation à la stratégie atomique, Calmann-Lévy, 1963. André BEAUFRE, Introduction à la stratégie, Librairie Armand Colin, 1963 ; Dissuasion et stratégie, Paris, 1964 ; Les armements modernes et la stratégie, dans Revue militaire générale, juin 1960 ; Introduction à l'étude de la dissuasion, dans Stratégie n°1, 1964. Raoul CASTEX, Aperçus sur la bombe atomique, dans Revue de défense nationale, octobre 1945. Lawrence FREEDMAN, The Evolution of Nuclear Strategy, Londres, 1981. Pierre GALLOIS, Stratégie de l'âge nucléaire, Paris, 1960 ; L'arme nucléaire, ses effets militaires et politiques, Départ, de sciences politiques, février 1975. Lucien POIRIER, Des stratégies nucléaires, Bruxelles, 1988. Camille ROUGERON, La Guerre nucléaire, armes et parades, Calmann-Lévy, 1962.

Nicolas ROCHE, Pourquoi la dissuasion, PUF, 2017. François GERÉ, Stratèges français du nucléaire, dans Dictionnaire de stratégie, Sous la direction d'Arnaud BLIN et de Gérard CHALIAND, Éditions Perrin, collection tempus, 2016.

 

STRATEGUS

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
20 janvier 2020 1 20 /01 /janvier /2020 16:45

  Média d'analyse des problématiques sociales fabriqué par l'Agence belge Alter, la revue Alter Échos, selon sa propre présentation, s'adresse aux acteurs, décideurs, professionnels du social mais aussi à "tous les citoyens engagés et curieux". Elle se décline sous forme d'une publication mensuelle et une veille d'informations quotidiennes sur Internet. Tous les mois, Alter Échos s'accompagne de son supplément Focales, un carnet de photojournalisme qui "s'immerge dans des projets innovants".

    Lancé en février 1995 par deux journalistes, Pierre VERBEEREN et Thomas LEMAIGRE, Alter Échos était de répondre, avec les professionnels du social, à la question : "Comment faire pour garantir aux personnes en situation précaire l'exercice de leurs droits économiques et sociaux, quand celles-ci n'ont plus d'emplois?". Depuis cette même année, l'Agence Alter "cultive son positionnement d'association indépendante, active dans les domaines des médias, de la recherche et du conseil." Ces métiers se complètent au service de la défense des droits sociaux, économiques, culturels et politiques.

    L'équipe du journal résume sa ligne éditoriale en 7 mots :

- Engagée, dans une démarche d'éducation permanente, pour la défense des droits économiques, sociaux et culturels.

- Indépendante, ni bleu, ni vert, ni orange, ni rouge, Alter Échos donne la parole à toutes les parties sans préjugés. Au lecteur de se forger une réponse.

- Transversale, parce que les problématiques et les réponses à y apporter ne se bornent pas aux limites d'un secteur, Alter Échos invite le lecteur à élargir son horizon.

- Ambitieuse, la revue croise l'institutionnel et le terrain. Au-delà du fait, elle cherche à décrypter le système.

- Exploratrice, elle est à l'affût des projets innovants. Réponse collective à des besoins non couverts par la société, l'innovation questionne les modèles dominants.

- Accessible, elle refuse le jargon et la langue de bois. La clarté de la forme sert la compréhension d'enjeux complexes.

- Posée, dans le sprint à l'info, la revue est un coureur de fond qui privilégie l'analyse, l'investigation et le reportage.

 

      L'Agence Alter est composée de 12 salariés et d'une vingtaine de collaborateurs réguliers, chercheurs, journalistes, rédaction en chef tournante, coordination financière et administrative, communication et diffusion, graphistes, web-développeur, réalisatrice de documentaire... Le Conseil d'Administration de l'Agence Alter, composé de Abraham FRANSSEN (Président), Céline NIEUWENHUYS, Michel FENET, Vincent OURY et de Florence LECAM, se veut un comité de contenu et de pilotage, indépendant et critique. Ses ressources vont du mécénat à la vente de biens et services, en passant par des subventions intermittentes ou pérennes.

Ses domaines d'intervention en matière d'expertise de rédaction et de recherche-action sur les politiques publiques et sociales, tournent autour de l'action sociale et de santé, l'emploi, la formation, l'insertion socio-professionnelle, l'aménagement du territoire, la mobilité, le logement, l'économie (sociale, collaborative, coopérative durable), les migrations et l'asile, l'aide à la jeunesse, le crédit et l'endettement.

Ainsi, la revue, dans son numéro 478 de novembre 2019, propose un dossier sur la santé mentale et l'exclusion, et souligne les difficultés dues notamment à l'augmentation du nombre de patients et à la baisse des moyens.

 

Agence Alter, 57, rue Guillaume Tell - 1060 BRUXELLES. Site alter.be

Partager cet article
Repost0
20 janvier 2020 1 20 /01 /janvier /2020 13:26

    Le sociologue américain William Isaac THOMAS est le sociologue dont les analyse marquent la naissance, d'après de nombreuses biographies, de ce que l'on appelle usuellement l'École de Chicago. Auteur, avec Florian ZNANIECKI, d'une imposante étude sur l'immigration polonaise, The Polish Peasant (1918-1920) il est connu également pour avoir formulé le "théorème de Thomas". A l'instar de l'école pragmatiste de John DEWEY, William JAMES et George Herbert MEAD, il est amené à donner une importance primordiale à la subjectivité des individus? Sociologue engagé dans le réformisme social, ses points de vue sur le crime et la sexualité passent à l'époque pour iconoclastes, dans l'environnement puritain des États-Unis. Sa carrière est marquée par une arrestation pour "interaste transport of females for immoral purposes" (transport, avec franchissement de frontières d'un État fédéré, de femmes à des fins immorales) par le FBI, ce qui l'oblige à quitter Chicago pour terminer sa carrière à New York.

    A la fois sociologue et psychosociologue, il est, jusqu'en 1918, le personnage central de l'École de sociologie de Chicago. Ses travaux consacrés principalement à l'étude des groupes d'immigrants (au-delà du cas des Polonais) et aux différents problèmes d'assimilation que ces groupes connaissent dans une communauté urbaine. Son livre, écrit avec Florian ZNANIENCKI, n'est pas seulement une remarquable monographie fondée sur l'étude intensive de biographies et sur l'analyse des documents personnels, mais une véritable théorisation du développement de la personnalité et du changement social, l'exposé d'une typologie des personnalités et d'une définition de l'approche situationnelle, un effort pour perfectionner les techniques d'enquêtes par l'utilisation des groupes de contrôle?

Son principal souci est d'étudier les phénomènes et les individus dans la totalité de leur contexte social. Rejetant le déterminisme économique ou technologique considéré comme seul facteur de changement social, THOMAS voit dans les valeurs et attitudes humaines des éléments importants dans la transformation des sociétés. Il contribue ainsi à la création d'une discipline psychosociologique autonome.

Concernant ses démêlés avec la police et la justice, THOMAS s'est occupé de la position des femmes, des différences entre les groupes ethniques, de la criminalité. Or se préoccuper des femmes est plutôt mal perçu, dans une époque marquée par la répression des mouvements féministes. Et ses enquêtes sur le crime "gêne" au minimum une organisation d'État qui doit faire ses premières preuves de compétence. Par ailleurs, il est vrai que ses méthodes d'enquêtes - directement sur les groupes concernés - attirent les suspicions. On présente toujours un peu trop l'évolution des sociologues comme celle de fleuves un peu tranquilles alors qu'ils opèrent en pleine conflictualité.

Ses travaux sur la "désorganisation sociale" se situe dans la ligne directe de ceux effectués vingt ans plus tôt par Émile DURKHEIM sur l'anonie. Mais contrairement à son "confrère" français, THOMAS attribue aux facteurs subjectifs et à la conscience individuel un poids essentiel. Chez lui, la notion de valeur est un "fait social", une donnée objective. (Daniel DERIVRY)

 

Le théorème de THOMAS

    Ce théorème, terme emprunté aux mathématiques sans doute pour rendre scientifique la chose, veut rendre compte du fait que les comportements des individus s'expliquent par leur perception de la réalité et non par la réalité elle-même. Sa forme la plus célèbre est "Si les hommes définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences". (The child in America, 1938).

En 1923, THOMAS présente dans "The Unadjusted Girl" la notion de définition de la situation. La définition de la situation est selon lui le moment préalable à l'action au cours duquel l'individu examine la situation à laquelle il fait face et réfléchit à ce qu'il souhaite faire. Contrairement au modèle behavioriste, il affirme que l'action n'est pas la réponse à un stimulus, mais qu'elle résulte d'un point de vue particulier sur une situation donnée. THOMAS considère notamment que les individus tendent à définir la situation se façon hédoniste (recherchant d'abord le plaisir), tandis que la société leur enjoint de la définir de façon utilitaire 'plaçant la sécurité au premier plan). En 1928, il enrichit son analyse dans "The child in America". Puisque la définition de la situation d'un individu produit constitue au préalable à son action, alors pour saisir les comportements individuels il ne faut pas se référer à la réalité mais à la façon dont les individus la perçoivent. Cette proposition, parfois perçue comme une tautologie a une grande postérité en sociologie. Elle exprime l'importance qui doit être accordée dans l'explication sociologique aux représentations, même fausses, qui prennent une plus grande importance que la réalité "objective".

     THOMAS lui même ne revendique pas la production d'un théorème, c'est King MERTON, dans "éléments de théorie" et "méthode sociologique' qui le baptise ainsi. Il en déduit deux notions, celle de prophétie autoréalisatrice et celle de prophétie autodestructrice. Prophétie autoréalisatrice lorsque l'individu croit qu'elle va advenir et agit en conséquence et prophétie autodestructrice lorsqu'il, au contraire, même s'il croit qu'elle va advenir, agit au contraire, modifie son comportement pour qu'elle n'advienne pas.  A la différence du théorème de Thomas, toutefois, ce ne sont plus ici les conséquences d'un fait, mais le fait lui-même qui devient vrai ou faux.

Sans qu'une filiation soit toujours revendiquée, de nombreuses théories sociologies (l'interactionnisme symbolique de BLUMER, l'approche dramaturgique de GOFFMAN, la construction de BERGER et LUCKMANN ou l'effet pygmalion de ROSENTHAL) s'en inspirent. La place accordée dans les relations entre individus sur la représentation de la situation qu'ils s'en font, plus que sur la situation réelle elle-même, est grande dans une partie de la sociologie. En stratégie internationale, la représentation des acteurs (de leur position et de celle de leurs partenaires ou adversaires) est plus importante que leur situation réelle. En matière de stratégie nucléaire, le principe est encore plus important : la représentation de la volonté et des capacités de l'adversaire l'emporte sur la réalité de son arsenal et de sa position stratégico-politique, et il s'agit pour chacun d'agir sur les représentations des autres de la réalité.

 

William Isaac THOMAS, The polish peasant in Europe and America, en 5 volumes, 1918-1920 ; The Unadjusted Girl : with cases and standpoint for behavior analysis, 1923 ; The child in Amerika, 1928, Primitive behovior, an introduction to the social sciences, 1937. A notre connaissance, pas encore de traductions en Français.

Ervin GOFFMAN, La mise en scène de la vie quotidienne ; 1. La présentation de soi, Les éditions de Minuit, 1973. Robert K. MERTON, Éléments de théorie et de méthode sociologique, Plon, 1965.

Daniel DERIVRY, Thomas William Isaac, dans Encyclopedia Universalis, 2014

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
20 janvier 2020 1 20 /01 /janvier /2020 13:02

      Le cas français d'une glose sans fin au service d'une prophétie auto-réalisatrice est celle d'une stratégie nucléaire du faible au fort à laquelle les promoteurs et les défenseurs prêtent des vertus qualitatives qui doivent compensent une infériorité absolue en quantité. Impossible de rivaliser durant la guerre froide avec les stratégies nucléaires américaines et soviétiques, et sans doute demain, chinoises, mais il suffit de pouvoir causer des dommages irréparables pour dissuader n'importe quel adversaire sur-puissants.  Il faut pour cela, quel que soit les attendus et les variantes des stratégistes professionnels ou non, que soit sauvegardé un niveau technologique minimum à la crédibilité d'une force dont tout le monde espère que personne ne s'en servira. Cette stratégie nucléaire dite de dissuasion, prônée plus ou moins complètement (et totalement) par les puissances nucléaires d'hier, d'aujourd'hui et sans doute de demain repose sur une perception commune dans le monde entier, que rien pourtant ne laisse supposer qu'elle le sera partout et toujours. Les stratégistes - minoritaires - qui pensent utilisation du feu nucléaire sur un champ de bataille eux-mêmes n'ont pas le moindre idée des conséquences de ce que pourrait être un guerre nucléaire. Et c'est invariablement, sur cette perspective de destruction totale que repose à la fois les progrès théoriques et pratiques des armements nucléaires et les dispositifs complexes de mise en oeuvre éventuelle.

  En tout cas, dans le vaste "débat stratégique" dominant, il s'agit réellement d'une glose entre et à partir des travaux de quatre officiers (AILLERET, BEAUFRE, GALLOIS et POIRIER) qui ont pensé l'arme nucléaire de la France. A l'instar de François GERÉ, nous percevons effectivement ce débat plus que cinquantenaire maintenant, comme un cercle dont on ne sort pas, et cela au de plus en plus suivant que nous avons affaire à des textes officiels qui en reproduisent les résultats.  Ces officiers, qui appartiennent à la même génération, se révèlent autant logiciens que pédagogues, pour diffuser à la fois chez les responsable politiques et dans l'opinion publique ce qu'est la stratégie nucléaire de la France. Chacun dans un registre personnel, propre aussi à certaines étapes du programme nucléaire français, apporte sa musique à un concert qui finalement apparait comme (trop?) harmonieux en abordant la quasi-totalité du champ stratégique. La révolution nucléaire, les moyens de se protéger, la question des capacités, l'invention même de cette stratégie de dissuasion, les "lois" de la dissuasion nucléaire, les problèmes de stabilité et d'escalade, les fondements logiques de cette dissuasion, le jeu du risque, des enjeux et des probabilités, l'interface politico-stratégique, la problématique de la crédibilité, les finalités politiques suprêmes, la question des alliances, la recherche de la dissuasion absolue, tout cela est abordé par AILLERET (1907-1968), BEAUFRE (1902-1975), GALLOIS (né en 1911) et POIRIER (né en 1918). Polytechnicien, le premier a plus volontiers exploré la stratégie nucléaire du point de vue de la technique appliquée et de la méthode de raisonnement tactique, le second a travaillé beaucoup sur l'interface entre stratégie et politique, plus classiques le troisième et le quatrième ont davantage recherché la formalisation théorique de la stratégie.

 

La révolution nucléaire

   L'arme atomique apporte une puissance de destruction hors de proportion avec les moyens anciens, et opère une mutation, une discontinuité dans l'évolution des phénomènes militaires.   

    Même si leur aspect surprenant et spectaculaire frappent les esprits, l'arme nucléaire cependant, surtout avec le temps, s'inscrit bien dans une même logique d'accroissement des moyens violents d'imposer sa volonté à un adversaire ou même à un partenaire. il faut toujours avoir à l'esprit le même étonnement et la même surprise causée par l'apparition de la poudre à canon, qui faisaient écrire, de même à Nobel avec l'invention de la dynamite, que l'utilisation de ces nouvelles techniques ne se feraient jamais, tant les destructions paraissaient déjà dantesques. L'ingéniosité humaine à l'oeuvre dans les laboratoires d'armement, veut rapprocher les armes classiques des armes atomiques, par leur aspect destructif (voir la méga-bombe classique utilisée par les Américains il n'y a pas si longtemps...), sans avoir les effets radioactifs propre au nucléaire. Aussi, tous les commentaires, dont ceux d'AILLERET sur le saut qualitatif que représente l'arme atomique ne doit pas camoufler qu'est toujours à l'oeuvre cette logique-là...

   Toujours est-il que l'aspect destructif et "bon marché" de l'arme atomique avait à l'époque et possède encore aujourd'hui (heureusement, par certains côtés), un aspect mythique, qui fait percevoir une nouvelle période, celle d'une ère nucléaire. Son potentiel de destruction fait de cette nouvelle arme une arme essentiellement politique, sa possession même, sa maitrise technique surtout, confère à la puissance qui devient atomique un aspect égalisateur à celle-ci, au niveau qualitatif, même si quantitativement, elle ne parvient pas à en construire autant que ses rivales sur la scène internationale.

L'arme nucléaire change les conditions de la guerre. Rien, souligne AILLERET, ne sera plus comme avant et cela contraint à changer jusqu'aux méthodes de raisonnement stratégique et tactique. De ce point de vue, le réflexe d'AILLERET, comme celui de GALLOIS, se réfère à la seule théorie qui correspond quelque peu à la décision par destruction du potentiel par bombardement massif au-delà des lignes de front. de l'italien DOUHET. Ils en examinent les effets pratiques au même moment, l'un dans le cadre des Armes spéciales dont il a la charge, l'autre au sein de l'OTAN. GALLOIS aboutit rapidement à l'obsolescence de cette conception : "En fait, l'association de l'avion et de l'explosif atomique permit de porter à distance de tels coups qu'aussitôt mis en pratique le "douhetisme" se trouva dépassé". AILLERET s'interdit d'allier si loin, qui se contente de répertorier aussi précisément que possible les formes d'opérations militaires (têtes de pont, fronts continus, concentrations de grandes unités, etc.) désormais interdites et se garde de conclure immédiatement sur un éventuel blocage des arsenaux nucléaires des adversaires. Circonspect à l'égard des premiers écrits de Henry KISSINGER dont il suit de près l'évolution théorique, il affirme pourtant dès mars 1958 la primordiale nécessité pour la France de "disposer d'une force de représailles nucléaires capable d'écarter dans le cadre du deterrent la menace d'une agression atomique ou d'une agression armée massive de tout autre type".

 

Les moyens de se protéger...

   La réaction première des stratèges et stratégistes militaires fut de considérer les parades contre l'arme thermonucléaire. Tandis qu'aux États-Unis des hommes comme NITZE et Edward TELLER s'interrogeaient sur les conditions qui permettraient s'assurer la victoire américaine en cas de guerre nucléaire, en France on se livrait également à de très sérieuses spéculations, mais sur l'adaptation nécessaire des forces armées et des populations  aux attaques atomiques.

Convergence jugée remarquable, les réflexions des quatre stratèges français les ont conduit à rejeter cette approche à la fois parce qu'elle n'exprimait pas une rationalité politico-stratégique suffisante pour toute puissance nucléaire ; ensuite, et a fortiori, parce qu'elle ne pouvait constituer un objectivement raisonnablement accessible pour les capacités limitées de la France.

Pour le général GALLOIS, "il n'existe que quatre types de protection possibles : la destruction préventive des armes adverses, l'interception des armes atomiques, la protection physique contre les effets des explosions, et la menace de représailles..."

Finalement, la base fondamentale de l'invention de cette nouvelle stratégie est la prise de conscience que la formidable capacité de destruction unitaire, ajoutée au fait balistique, ne laisse plus de place qu'à une défense par la menace de représailles. "Militairement, la politique de dissuasion a pour origine cette carence de la défense aérienne... à partir du moment où le pouvoir de destruction d'un seul projectile est un multiple élevé de ce qu'il était auparavant, la défense est inefficace et la menace de représailles doit lui être substituée" (GALLOIS). S'il est bien exact, comme le soutient TELLER, que l'homme est capable "d'absorber" des dommages parfois beaucoup plus élevés que ce que l'on pouvait imaginer, et c'est incontestablement la leçon de l'échec des bombardements "stratégiques" ou de terreur de la Seconde Guerre mondiale, en revanche, le taux d'échec d'une défense antimissile qui ne peut jamais atteindre les 100% devient rapidement insupportable à l'ère nucléaire.

Sur un plan plus nettement politique, la possession de l'arme nucléaire ou sa non-possession modifie le statut des États. Dès 1950, selon AILLERET, il est clair que disposer de l'arme atomique reviendrait à la France à "être la plus forte possible ; à disposer d'une défense relativement indépendante, c'est-à-dire rester un pays libre de son destin... et cet armement lui donnera des armées d'une grande puissance".

   Il faut noter, par ailleurs, que le débat stratégique au sommet de l'État et dans ceux qui s'y intéressent dans l'opinion publique, tend à prendre une tournure technico-stratégique, plus qu'opérationnelle et concrète. Car la France est un pays où l'anti-américanisme et l'anti-communisme traversent les partis, les générations et les populations. Ce qui donne à la doctrine officielle adoptée seulement au retour du général de GAULLE au pouvoir, car entre-temps, il faut techniquement mettre au point l'arme atomique, avec tous les essais (au Sahara) et toutes les conditions de lancement (maitrise de trajectoire...), et cela va mettre au moins une vingtaine d'années..., une tonalité "tous azimuts" dans une doctrine (voir le Livre de la défense...) où l'ennemi n'est pas nommé.

 

La question des capacités...

    Une fois posée la nécessité de posséder cette arme nucléaire continuer de jouer un rôle sur la scène internationale (déjà que cela a été un résultat difficile d'une politique pour être à la fin de la seconde guerre mondiale du côté des vainqueurs, à l'inverse d'une position officielle de l'État français durant quatre ans...), AILLERET et GALLOIS eurent à mener campagne contre une foule d'objections de toute nature dont le premier fournit, dans ses Mémoires, un relevé assez complet :

- L'arme atomique a une très grande puissance dont il convient de se garder par toutes les mesures appropriées, mais elle reste soumise aux règles classiques de la stratégie et de la tactique.

- Nous serons toujours très en retard. Une dizaine de petits engins explosifs ne pèseraient rien face aux arsenaux des grandes puissances.

- Le programme nucléaire militaire retarderait voire interdirait le développement des programmes civils.

- Par la déclaration Parodi devant les Nations Unies, en juin 1946, la France a renoncé à l'utilisation militaire de l'atome.

- Nous sommes protégés par les armes américaines, les grosses dépenses doivent aller à la protection civile.

- De toute façon, la France n'a ni les moyens financiers, ni les moyens énergétiques en suffisance pour se lancer dans un programme d'armements nucléaires.

     La réflexion des quatre hommes s'unit sur les mêmes vérités premières, les mêmes raisons logiques, les mêmes aberrations. Même si périodiquement reviennent ces fausses innovations que seuls leurs promoteurs croient nouvelles. Ainsi du chimique dont a a parlé comme du "nucléaire du pauvre", ainsi, de la prétendue révolutions de la précision et des armes "intelligentes". Loin de dénier l'importance de ces évolutions techniques, GALLOIS en tire au contraire argument. Le renforcement de la précision est d'abord celui des forces nucléaires signifiant l'affaiblissement croissant des forces classiques, donc l'impossibilité de se fonder sur elles pour garantir la sécurité de l'Europe. Les nouvelles doctrines OTAN constituent donc pour le général GALLOIS autant de scénarios inadéquats, et seul le renforcement de la dissuasion par l'accroissement des moyens de frappe nucléaire serait en mesure d'apporter la sécurité face au dispositif soviétique.

Voilà donc pour ce qui est de la continuité. Elle se combine évidemment avec la conjoncture. De 1950 à 1958, AILLERET et GALLOIS pensent dans un contexte particulier et s'adressent à des interlocuteurs spécifiques : les décideurs militaires et surtout politiques qu'il s'agit de convaincre de la nécessité et de la possibilité d'en doter la France (GALLOIS "instruit" aussi bien Guy MOLLET que de GAULLE, le général POIRIER "INITIA" Georges MARCHAIS (Parti communiste français) comme les bon évêques).

 

L'invention d'une stratégie de dissuasion nucléaire française

    Pour le général BEAUFRE, "on demandera à la dissuasion d'abord de maintenir la paix et le statu quo territorial, mais on lui demandera aussi d'empêcher telle ou telle action adverse, de limiter l'étendue ou l'intensité des conflits, voire éventuellement de paralyser toute action adverse à une nation amie. Ce rôle protéiforme de la dissuasion, depuis l'intention la pus défensive jusqu'à son influence au profit d'actions foncièrement offensives, oblige à reconnaître et à délimiter aussi exactement que possible les véritables pouvoirs de la dissuasion."

     Le retour sur la généalogie française du concept de dissuasion nucléaire intéresse beaucoup, selon François GERÉ, qui envisage trois de ses aspects.

1 - la définition du concept par rapport à d'autres notions voisines de coercition, persuasion, etc. ;

2 - la valeur nouvelle prise par le concept de dissuasion dès lors que c'est l'arme nucléaire, elle et nulle autre qui sert la dissuasion ;

3 - la position de la dissuasion nucléaire par rapport à la stratégie générale de la France et, plus théoriquement, par rapport à toute stratégie militaire.

      1 - C'est par une distinction entre coercition et dissuasion que je général BEAUFRE introduit son étude de la dissuasion : "Toute action de coercition (et en particulier la guerre) vise, par l'emploi de divers moyens, un objectif psychologique positif en forçant une puissance, par sa capitulation, à prendre la décision de renoncer à s'opposer à son adversaire. La dissuasion au contraire, vise à empêcher une puissance adverse en présence d'une situation donnée, de prendre la décision d'employer les moyens coercitifs (violents ou non) en lui faisant craindre l'emploi de moyens coercitifs existants." Définition qu'il faut comparer aussitôt avec une seconde, du même auteur : "L'objet de la dissuasion est d'ordre psychologique : il s'agit de faire renoncer l'adversaire à prendre la décision d'intervenir. Cet objet est moins radical que celui de la guerre qui vise à faire prendre la décision de capituler. Par contre la guerre dispose du moyen de pression que constitue l'emploi des forces, tandis que la dissuasion doit obtenir ses effets par la simple menace d'emploi des forces." Ainsi, la comparaison de ces deux premières définitions permet de dégager l'importance de trois éléments : le caractère éminent du facteur psychologique ; la positivité du but de la coercition qui s'oppose au caractère négatif du but de la dissuasion ; la capitulation comme critère de réussite de l'action de coercition procède d'une conception de la guerre totale à but absolu qui, sans être particulière au général BEAUFRE, puisque aussi bien il l'emprunte à de LATTRE, lui-même influencé par LUDENDROFF, oriente l'ensemble de ses analyses selon une perspective remarquable. Dissuader consiste donc à s'opposer au projet d'autrui et à le conduire au renoncement de son action. Contraindre c'est, au contraire, amener à renoncer à s'opposer à son action.

L'opposition établie par le général BEAUFRE entre situation de non-guerre et situation de guerre le conduit à séparer l'emploi effectif de la force et la menace d'emploi. Toutefois, la coercition peut aussi bien s'exercer par la seule menace d'emploi. C'est le cas si fréquemment évoqué de Hitler devant la Tchécoslovaquie. Conscient de la difficulté, le général BEAUFRE précise : Si la dissuasion se limite à empêcher un adversaire de déclencher sur soi-même une action que l'on redoute, son effet est défensif, tandis que, si elle empêche l'adversaire de s'opposer à son action que l'on veut faire, la dissuasion est alors offensive. Mais qu'est-ce que cette dissuasion offensive, sinon une coercition? La difficulté est levée avec l'introduction par Lucien POIRIER d'une catégorie absolument fondamentale : l'antinomie entre emploi et emploi virtuel. "Il importe donc, dit ce dernier, de distinguer rigoureusement la stratégie de dissuasion et celle de défense active qui suivrait son échec ; d'éviter le glissement qui trop souvent intègre la seconde dans la première."

Cela signifie que, pour chaque mode stratégique, aussi bien l'action que la dissuasion, il peut y avoir chaque fois ce qu'on peu appeler, dixit François GERÉ, deux dimensions : l'une où l'effet physique est représenté, l'autre où il est actualisé. Cela est fondamental puisque la dissuasion nucléaire s'autonomise par rapport à tout ce qui n'est pas encore ou tout ce qui adviendrait en dehors de sa sphère d'influence (ou domaine). Nous ne savons donc rien de ce que serait l'échec de la dissuasion, parce que l'emploi réel des forces ferait basculer la situation stratégique dans une autre dimension (comme le rêve et la réalité). En effet une fois la dissuasion violée, et plus grave encore, une fois la représaille essuyée par l'adversaire, nous ne savons rien de son comportement. Pourquoi rispoterait-il?  "Certes l'URSS pourra toujours, si elle le veut "vitrifier" notre territoire... Mais est-ce un but politique rationnel?... Dans ces conditions il est faux (GERÉ le souligne) de prétendre que le dissuadeur ne saurait décider rationnellement sa  riposte massive, parce qu'il devrait compter avec une inévitable contre-réaction de l'agresseur", ajoute Lucien POIRIER.

Faisons là la parenthèse obligée : tout est basé sur la détermination de la France, et un autre cas de figure peut se présenter. La dissuasion nucléaire ne se joue pas seul. L'adversaire aussi n'ignore pas les ressorts de la peur d'une destruction. L'échec de la dissuasion peut tout aussi bien signifier l'abandon en rase campagne du combat... par la France. C'est dire que du côté des armements nucléaires, il se peut qu'il ne se passe rien dans une guerre, qui redevient alors tout-à-fait classique... C'est un scénario, celui de l'échec de volonté de la part de la France, qui est, pour les quatre théoriciens et d'ailleurs pour la très grande majorité des penseurs sur la question, qu'ils soient en poste ou pas, rigoureusement impensable... donc impensé!

 C'est donc dans la droite ligne de BEAUFRE que s'inscrit Lucien POIRIER lorsqu'il énonce encore : la dissuasion se donne pour fin de détourner autrui d'agir à nos dépens en lui faisant prendre conscience que l'entreprise qu'il projette est irrationnelle (...) transposée dans l'âge nucléaire (...) la stratégie de dissuasion nucléaire est un mode préventif de la stratégie d'interdiction qui se donne pour but de détourner un candidat-agresseur d'agir militairement en le menaçant de représailles nucléaires calculées de telle sorte que leurs effets physiques probables constituent, à ses yeux, un risque inacceptable eu égard aux finalités politiques motivant son initiative".

  2 - Pour le général GALLOIS, il n'est de dissuasion que nucléaire. Soucieux de la situer dans sa totalité stratégique, le général BEAUDRE oppose le calcul du risque classique fondé sur la crainte d'être vaincu par rapport à l'espérance de victoire dialectique fondant une dissuasion qui "tend à être instable dès que les espérances du succès cessent d'être d'être minimes". Par opposition à son avis, la dissuasion nucléaire a pour base "la certitude des destructions qu'entrainerait l'emploi de ces armes... c'est cette menace de destruction qui crée la dissuasion à cause de la valeur certaine du risque qu'elle comporte".

"Prise dans son acception courante, la dissuasion est une forme tactique ou stratégique banale et aussi ancienne que les conflits. En effet, l'interdiction des actions positives adverses peut toujours adopter deux formes : la défense, c'est-à-dire la réaction effective, par engagement de forces, aux actions ennemies ; la dissuasion par déploiement d'armées dont les capacités affichées semblent telles que l'ennemi, conscient de l'inégalité des forces en présence ou de son insuffisante supériorité, est conduit à renoncer parce que la probabilité de conquérir l'enjeu lui parait trop faible."

Même si comme le dit POIRIER, la dissuasion a existé de tout temps, elle est surtout une redécouverte de la fin du XXe siècle. Elle ne s'énonce que parce qu'on l'associe au renouveau des conceptions politiques de stabilité par équilibre des puissances (balance of power). Avec le succès final de 1914 qui fonde la critique de POIRIER, cette conception n'a jamais conduit qu'à la course aux armements en vue de la recherche de la supériorité ou de la compensation de l'infériorité (supposée), ou bien encore à des décisions fondées sur un sentiment de confiance en la qualité de sa compétence dans l'art de la guerre. Si bien que l'on peut considérer que la dissuasion, en tant que mode de prévention de la guerre, n'a jamais été qu'une vue de l'esprit contemporain incapable de l'inscrire dans les faits jusqu'à l'apparition des armes nucléaires.

  3 - Action et dissuasion, tel est le diptyque formant l'unité stratégique selon le général BEAUFRE. Pour le colonel POIRIER, "la dissuasion nucléaire ne saurait résumer, à elle seule, la stratégie militaire d'aucun État." Cela correspond à la "nature dualiste de toute stratégie militaire cohérente qui compose toujours l'interdiction des actions adverses visant nos intérêts (but négatif) et l'action soutenant les nôtres (but positif)". Cette conception est à entendre à tous les niveaux de ce que POIRIER nomme structure politico-stratégique.

 

Les lois de la dissuasion nucléaire...

    Pierre GALLOIS présente ces lois, qui selon lui, gouvernent le fonctionnement de la dissuasion nucléaire. Conclusions de plusieurs années d'étude et de responsabilité de la conception du programme de planification stratégique de l'OTAN. Il pose ces règles fondamentales : "Aujourd'hui, l'armement nucléaire pose de manière entièrement nouvelle le classique problème de la guerre :

- Entre l'enjeu convoité et le risque à courir pour l'emporter en usant de la force, il n'y a plus aucune commune mesure...

- Une certaine égalité peut être établie entre les peuples. En matière de Défense et de Sécurité, il ne peut plus y avoir de nations fortes et de nations faibles...

- Parce que de nouvelles armes, fondées également sur le principe de la fission de l'atome, mais de plus faible puissance commencent à figurer dans les panoplies des deux Grands, le concept de dissuasion s'applique non seulement à la défense d'enjeux d'importance majeure mais aussi aux conflits seconds...

- En associant l'explosif thermonucléaire au missile balistique à grande portée, les techniciens ont créé une arme actuellement imparable... Aussi, l'avènement des missiles balistiques à ogives thermonucléaires ne facilite pas l'agression, mais au contraire, permet que, moyennant certaines précautions, elle devienne à peu près irréalisable."

  La dissuasion française serait "proportionnelle" et le pouvoir de l'atome "égalisateur". le développement de la capacité offensive balistico-nucléaire paralyse l'agression, dans l'ensemble des théâtre de l'affrontement.

Cette dissuasion, selon GALLOIS, "peut être assimilée à un produit de deux facteurs dont l'un, purement technique, représente la valeur opérationnelle des moyens militaires utilisés pour exercer la représaille, et dont l'autre, subjectif, exprime la volonté de la nation menacée d'user de la force plutôt que de composer." Même approche chez BEAUFRE, pour qui "la dissuasion repose sur un facteur matériel... et un facteur psychologique beaucoup plus important et beaucoup plus impondérable."

Ni l'un ni l'autre ne parlent du second facteur comme étant "politique". En fait, il comporterait une forme opérationnelle qui relève effectivement de l'action psychologique, mais, dans la mesure où elle met en jeu la volonté nationale et la résolution du chef de l'État, elle présente un caractère hautement politique.

Le premier facteur comprend ce que BEAUFRE nomme "modalités de la stratégie atomique", soit "une grande puissance de destruction, une bonne précision et une bonne capacité de pénétration". Ces caractéristiques ont pour but de garantir le franchissement des capacités de protection de l'adversaire. Le général GALLOIS précise encore les propriétés de la "force de frappe", ajoutant qu'elle devra être "capable d'échapper à la destruction si elle est attaquée par surprise sur ses bases, conçue pour franchir les défenses adverses, et organisée de manière qu'une certaine automaticité décide de son emploi" et qu'elle "devrait encore représenter une quantité de destruction suffisante pour que l'éventuel agresseur la redoute".

Le second facteur est psycho-politique : la "rare volonté", c'est la problématique de la crédibilité qui est une composante "technique" de la dissuasion nucléaire, mais qui touche aussi au politique. Quant à l'opinion publique, un effort absolument constant doit être fait afin de maintenir par d'invisibles liens psychologiques l'adhésion nationale à la stratégie mise en oeuvre.

Reste un dernier problème, essentiel : Sur quoi faire porter la menace?. Le débat est bien connu : anti-forces ou anti-cités? On doit constater ici la remarquable convergence des quatre stratèges pour qui, compte tenu de la position française, il ne saurait être question d'autre chose que d'une capacité de représailles contre ce que GALLOIS nomme parfois les "oeuvres vives" et POIRIER la "substance même" de l'adversaire. Celui qui ne dispose que de moyens réduits recherche nécessairement, dans une stratégie en mode virtuel, à brandir la menace du plus grand mal possible qu'il peut infliger. Pour le général GALLOIS, il s'est toujours agi de "tirer le meilleur de l'atome : qu'il impose la non-guerre dans l'inégalité des potentiels de destruction. La notion de suffisance étant substituée à celle d'abondance".

 

Problèmes de stabilité et d'escalade

      Les études de l'Institut Français d'études stratégiques dirigé par le général BEAUFRE ont mis l'accent sur la question de la stabilité de la dissuasion nucléaire, et, à la suite des recherches américaines - dont il faut dire qu'elles prennent toutefois une direction bien différente de la perspective française - surtout celles de l'Hudson Institute de Herman KAHN, sur les problèmes d'escalade sur lesquels la crise de Cuba avait attiré l'attention - dans un cadre stratégique général. On retient avec François GERÉ quelques propositions qui étayeront et guideront l'évolution de la pensée stratégique française. Ainsi, "l'évaluation de la stabilité nucléaire dépend de la dialectique des deuxièmes frappes, c'est-à-dire de la comparaison entre l'efficacité des ripostes des deux adversaires". Il apparait de ce fait que la conservation d'une capacité de représailles joue un rôle essentiel. Et dans la mesure, précise BEAUFRE, où cette "deuxième frappe doit être en priorité anti-ressources", elle autorise un État disposant de moyens même limités à exercer une dissuasion suffisante. Car "les situations instables n'existent que si le risque de riposte est nul ou très faible. Dès que le risque de riposte cesses d'être faible, on se trouve dans ces situations de stabilité plus ou moins absolue"... encore nommée "stabilité relative". Autre conclusion d'une grande importance, l'excès de stabilité peut conduire à produire l'effet inverse de celui qu'on recherchait. En effet, la paralysie mutuelle au niveau nucléaire laisse une marge de manoeuvre indirecte considérable, en particulier au niveau de la guerre classique, pourvu qu'elle reste limitée. En sorte que l'excès de stabilité sommitale provoque l'excès d'instabilité aux niveaux inférieurs. Comment éviter cette situation paradoxale? D'une part en établissant une relation entre le niveau nucléaire et le niveau classique : "il est indispensable que ce niveau soit rendu complètement solidaire du niveau nucléaire par la menace d'emploi des armes atomiques tactiques. Ce n'est qu'à ce prix - et à ce risque - que la dissuasion nucléaire peut être pleinement efficace sur le niveau classique."

Ambivalence donc et réversibilité des effets. Telle est bien la nature du mécanisme chargé d'organiser cette descente de la stabilité nucléaire vers le niveau classique, à savoir l'escalade.

Dès lors qu'on a admis la stabilité nucléaire et la paralysie résultant de la parité des forces de riposte des deux adversaires (postulat que récuse GALLOIS... et bien d'autres), il convient de pouvoir contrôler les situations de conflit dans les niveaux inférieurs de façon à éviter que leur dégénérescence involontaire et imprévisible ne vienne soudainement affecter la stabilité nucléaire et placer au bord de ce gouffre de la guerre nucléaire totale que l'on cherche à éviter. Le développement volontaire dans le domaine du virtuel de la stratégie de dissuasion, permet de stabiliser les niveaux inférieurs en organisant la représentation pour l'adversaire des risques qu'il encourrait à provoquer par une première action au niveau inférieur la remontée des divers barreaux de l'escalade conduisant à la guerre nucléaire totale.

 

Sur les fondements logiques de la dissuasion nucléaire

   Dans toute la littérature sur la stratégie nucléaire française, ses théoriciens se targuent d'être très logique, énonçant à longueur de colonnes ce qu'ils appellent les fondements logiques de la dissuasion nucléaire. "L'agression atomique devrait conférer à celui qui s'y résout de bien considérables avantages pour les pays d'un tel prix", écrit GALLOIS. De son côté, POIRIER croit "en une vertu rationalisante de l'atome, en une sorte de grâce d'état accordée aux hautes instances politiques et stratégiques des puissances nucléaires et qui, dans un univers gouverné par l'intérêt bien compris, devrait tempérer les écarts de leur imagination et régulariser les inévitables processus conflictuels... Pratiquement, et si l'on suspend tout jugement moral, le seul critère de rationalité applicable aux conduites humaines, en politique comme en tout autre domaine de l'activité individuelle ou collective, est celui de l'intérêt".

Pour le général BEAUFRE, "lors intervient un second degré de persuasion fondé cette fois au contraire sur l'irrationalité... C'est qu'en réalité l'élément décisif repose sur la volonté de déclencher le cataclysme. Faire croire que l'on a cette volonté est plus important que tout le reste". En réalité, lorsqu'il parle de "fou" et d'irrationalité, BEAUFRE renvoie pour François GERÉ, mais sans le dire, aux modèles de théorie des jeux américaines du type chicken game où il s'agit de faire croire que l'on pourrait bien être assez fou pour affronter sa propre mort.

 

Logique probabiliste, enjeu, risque...

    "La force de frappe peut être proportionnelle à la valeur de l'enjeu qu'elle défend... à l'âge de l'explosif nucléaire, les périls d'une politique d'expansion usant de la force ou de la menace d'y avoir recours, sont assez grands pour que les risques courus soient constamment comparés à la valeur des buts que poursuit cette politique", écrit POIRIER. Mais poussant le raisonnement jusqu'à ses limites, il envisage le cas où "le fort attache une valeur vitale à la possession" (du faible). "Dans l'hypothèse extrême, précise-t-il, d'une lutte décisive pour l'hégémonie avec l'autre Grand, il pourrait alors accepter le risque de représailles du faible ; et c'est l'un des cas limites où la dissuasion nucléaire du faible au fort n'est pas concevable." On a vu toutefois que la propriété de l'arme atomique est de contraindre le candidat agresseur à prendre en compte la notion de risque comme jamais auparavant on ne l'avait fait. D'où l'importance de la loi de l'espérance politico-stratégique qui procède, selon son créateur, Lucien POIRIER, de l'inversion de la procédure décisionnelles traditionnellement à l'oeuvre dans le cacul stratégique : "Une entreprise politico-stratégique n'est rationnelle que si l'espérance politico-stratégique est positive ; si l'espérance de gain attachées à son projet est, dans le moment de la décision et demeure, durant l'exécution, supérieure aux risque consécutifs aux oppositions qu'elle rencontrera nécessairement dans le champ de la compétition, de la concurrence, voir du conflit armé."

L'énoncé recourt à la logique probabiliste. Cette dimension, aussi fondamentale que la distinction entre réel et virtuel qu'elle complète, introduit un facteur essentiel : l'incertitude. "C'est en fin de compte l'incertitude qui constitue le facteur essentiel de la dissuasion. Aussi doit-elle faire l'objet d'une tactique particulière dont le bue est de l'accroître... il faut absolument éviter toute action ou toute déclaration qui viendrait lever l'une des hypothèses que l'adversaire peur craindre."

Aussi; dans la manoeuvre psychologique pour la dissuasion, le facteur déclaratoire joue donc un rôle essentiel. Non seulement parce qu'il est "pédagogie" à l'égard de l'adversaire, mais  aussi parce qu'il dit la liberté du dissuadeur.

"Ne comparer que l'enjeu et le risque entendu dans le sens de coût, écrit POIRIER, c'est évacuer les facteurs de probabilité, donc les incertitudes, et prêter le flanc à ceux qui, ignorant l'essence de la stratégie, identifient crédibilité à certitude. Il précise : "On commet une erreur quand on assimile la stratégie nucléaire à une défense de "ligne Maginot" ; celle-ci visait à réduire les incertitudes dans le calcul prévisionnel et la conduite des opérations du défenseur ; celle-là se fonde, au contraire, sur une dialectique des incertitudes."

L'architecture logique de la stratégie de dissuasion nucléaire du faible devant le fort apparait alors comme la résultante d'une double mutation du calcul stratégique sous l'effet des propriétés de l'arme nucléaire.

- il doit intégrer le risque au lieu de l'écarter ;

- il doit intégrer la contrainte d'une interrogation permanente sur les conditions politico-stratégiques d'occurrence du risque.

Cette conjonction rend compte de l'efficacité inhibitrice absolument exceptionnelle de l'arme nucléaire et de la stratégie de dissuasion qui la met en oeuvre. Reste à savoir si, au-delà du domaine de la stratégie d'interdiction, les propriétés des armes nucléaires, du seul fait de leur possession, sont susceptibles d'effets et lesquels.

"L'effet dissuasif escompté de la menace de réaction nucléaire à une initiative adverse, c'est la combinaison d'une certitude et d'une incertitude : certitude partagée par tous les États, quant à l'existence permanente d'un risque nucléaire prohibitif, d'une possibilité d'action dont l'existence soudaine et imparable ne serait jamais tout à fait improbable dès lors que seraient remplies les conditions politico-stratégiques la justifiant ; incertitude sur la nature exacte de ces conditions et sur le moment critique où l'un des adversaires les jugerait remplies et où le risque s'actualiserait", écrit encore POIRIER.

Pour comprendre complètement ce rôle décisif de l'incertitude, on considérera qu'elle fonctionne par rapport à deux objets fondamentaux. D'une part l'architecture de la relation entre les duellistes, d'autre part, elle gouverne l'inscription opérationnelle ou, si l'on veut, le transfert sur un théâtre d'opérations de cette relation d'incertitude conflictuelle. Ce transfert est pris en compte chez POIRIER par le concept de seuil critique d'agressivité. "C'est le concept central de la dissuasion du faible au fort : le seuil d'agressivité critique dont le franchissement justifierait le faible d'exécuter sa menace." "La stratégie de dissuasion nucléaire du faible au fort s'identifie à une dialectique des incertitudes entre candidat agresseur et dissuadeur : si les opérations militaire devaient être engagées et se développer dans l'espace non sanctuarisé, chacun des duellistes sait qu'un seuil existe, qui déterminera leurs décisions irrévocables, et que la situation concrète le fera émerger dans la plage d'incertitudes."

"Le concept d'incertitude est un des plus difficiles à manipuler pour le non-spécialiste". Par cette phrase, François GERÉ semble estimer que le citoyen non-spécialiste justement n'a pas à s'y intéresser et encore moins à entrer dans une discussion avec les spécialistes, dont il fait bien entendu partie...  Pour se faire comprendre, cet auteur continue : "Ainsi emploie-ton des forces réelles capables de produire des effets physiques concrets au service d'un but stratégique qui se situe dans l'ordre du virtuel et qui, lorsqu'il réussit, conduit au maintien d'un but politique réel, parfaitement concret, qui est le ,non-déclenchement du conflit. Cette difficulté est renforcée par la façon dont POIRIER lui-même développe le concept de seuil d'agressivité critique en distinguant de façon très clausewitzienne le seuil "selon son concept" qu'il nomme théorique et un seuil critique dit "concret". S'il est possible d'établir une notion théorique de seuil, l'affaire est tout autre dès lors que l'on passe à l'inscription opérationnelle de l'affrontement des volontés et des forces et qu'il fait considérer le hic et nunc dans lequel se nouerait le passage du virtuel au réel." "Afficher, écrit POIRIER, cité toujours par GERÉ, en temps normal un seuil défini serait, pour le dissuader, autoriser l'agresseur à agir impunément jusqu'à sa borne... C'est pourquoi la théorie suggère que, pour l'information permanente d'un éventuel agresseur, le dissuadeur ne peut afficher en temps normal... que le seuil théorique s'indentifiant à l'interface des espaces sanctuarisé et non sanctuarisé."

Le seuil d'agressivité critique forme à la fois la liaison entre politique et stratégie et s'achève de "boucler" la logique de la dissuasion nucléaire du faible au fort. Le seuil critique d'agressivité, selon POIRIER, "est dérivé de celui d'intérêt vital , celui-ci est déterminant celui-là... seuil critique et intérêt vital sont deux interprétations d'une même réalité : la première en langage stratégique, la seconde en langage politique. Toutes deux expriment d'abord la loi de l'espérance de gain politico-stratégique". L'étroit emboîtement des concepts fondamentaux nous conduit au niveau ultime de la structure. 

Avant d'en arriver-là, il convient de noter que dans la réalité, les responsables en charge de la défense de la France entendent toujours lier le vraisemblable de la menace de représailles à leur volonté de dissuasion. En oeuvrant toujours à perfectionner les armements nucléaires, instruments indispensables. Sans performances techniques - toujours d'ailleurs mieux connues des adversaires potentiels que de l'opinion publique - il n'est pas possible de garder constamment à l'esprit de ces adversaires la stratégie de dissuasion nucléaire.

 

 La grammaire théorique liée toujours aux réalisations matérielles...

    Comme l'écrit Nicolas ROCHE, apprendre ou "réapprendre la grammaire du nucléaire, disposer des outils d'analyse" et ajouterions-nous pour le spécialiste comme pour le non-spécialiste, "permettant de mieux réfléchir à sa place dans les politiques de défense contemporaine et les conflits futurs, c'est d'abord avoir une vision la plus claire possible de l'histoire nucléaire française. Bien des choix faits dans les années 1950 et 1960 (et notamment par le jeu rhétorique des quatre théoriciens cités dans cet article), puis au tout début des années 1990, conditionnent aujourd'hui encore la structure de la défense de ce pays. Bien des circonstances historiques, de la débâcle de juin 1940 à la crise du canal de Suez en passant par la défaite de Bien Bien Phu, expliquent la relation spécifique que conserve l'opinion publique française à la dissuasion."

Connaitre ces évolutions du programme nucléaire français éclairent l'effectivité de la stratégie nucléaire, en même temps qu'elles jettent la lumière sur des décalages constants de la théorie et de la pratique, la stratégie déclaratoire qu'est la stratégie nucléaire voyant son caractère déclaratoire justement prendre le pas sur les mises en place réelles des outils matériels. Les théoriciens, dans leurs raisonnements, sont pris dans une logique qui les lie et les distancie en même de cette réalité. Accrochés aux nécessités stratégiques (ces fameux intérêts vitaux), dans un rapport polémique avec les stratégies elles-mêmes affichées par les deux Grands que sont les États-Unis et l'Union Soviétique, ils produisent constamment des discours, parfois auto-justifiants - qui sont parfois durs à tenir devant les évolutions technologiques des armements, mais qui persistent, de Livre Blanc en Livre Blanc, dans l'énoncé des doctrines officielles. Les contestations de ces discours, qu'ils proviennent des opposants aux principes mêmes de la dissuasion nucléaire, opposants à l'arme comme à la doctrine d'emploi, ou des "techniciens" qui veulent adapter à tout prix cette doctrine nucléaire aux évolutions technologiques, notamment par la réintroduction de l'arme nucléaire (étant donné que les premières doctrines d'emploi relevaient effectivement du champ de bataille) dans le combat. Les armements nucléaires tactiques et les armes dites non-stratégiques (pas par tout le monde d'ailleurs) sont le produit de ces évolutions technologiques contre les effets desquels nos quatre théoriciens français se battent...

 

François GERÉ, Stratèges français du nucléaire, dans Dictionnaire de la stratégie, Sous la direction d'Arnaud BLIN et de Gérard CHALIAND, tempus, 2016. Nicolas ROCHE, Pourquoi la dissuasion, PUF, 2017.

 

STRATEGUS

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
17 janvier 2020 5 17 /01 /janvier /2020 13:20

   L'existence de la revue le Ravi, mensuel satirique en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, née en 2004, tirant à 5 000 exemplaires, montre qu'il n'existe pas seulement dans la presse, seulement Le Canard Enchaîné ou Charlie Hebdo ou encore Le Crapouillot, sur le registre de la critique politique.

   Mélangeant enquêtes et satire, articles et dessins, portant sur la vie politique, sociale et culture de la région Paca, ce journal indépendant se veut résolument acteur de l'économie sociale et solidaore. Se revendiquant du Slow Media, le Ravi est édité par l'association "La Tchatche", sise à Marseille, parait chaque premier vendredi du moins et est présent dans les kiosques (sur toute la région) ou par abonnement (partout ailleurs...).

Le mensuel, illustré par des dessins de presse, organise ses pages selon un rubriquage en cinq grandes parties : Les enquêtes, La grosse enquête (dossier du mois), RTT (culture, gastronomie), La vie de la Tchatche (sur les différentes actions du journal en lien avec la société) et Reportages. Le journal joue aussi avec les codes plus traditionnels de la presse. Chaque mois, une personnalité, le plus souvent politique, se voit décerner dans l'esprit de la "noix d'honneur" du Canard Enchaîné (dont nous recommandons par ailleurs l'album L'incroyable histoire du..., Les arènes BD, 2019) un "Ravi de plâtre" plus horrifique qu'honorifique. Le journal propose également un portrait satirique "Poids lourd" basé sur les déclarations publiques (sélectionnées avec soin) d'une personnalité de la région en "surpoids médiatique". S'ajoutent les reportages dessinés, les strips récurrents des dessinateurs du journal, la recette de cuisine du mois, un reportage dessiné... Le journal propose également à ses lecteurs un agenda des différentes manifestations à venir.

    L'ambition de l'équipe est donc de participer à sa manière à la vie démocratique et de faire oeuvre en même temps d'éducation à la presse (dans le droit fil de l'Éducation populaire)....

   L'équipe de ce journal d'investigation, avec le rédacteur en chef Michel GAIRAUD (directeur de publication : Nicolas MEUNIER, mais la direction est en fait collégiale et bénévole), est formée d'une petite dizaine de journalistes (parmi d'autres, on y trouve Séphore BELEY, Agnès CHAPAL, Clément CHASSOT, Frédéric LEGRAND...) et d'une grande dizaine de dessinateurs, ayant d'ailleurs chacun leur propre site (Jimo, Na!, Red!, Tone, Trax, Isope, Babouse et les autres...).

   Sur son site, leravi.org, on trouve d'autres informations, tant sur la vie du journal que sur l'actualité (audio et video)....

   Le numéro 180 de janvier 2020, porte entre autres sur Le palmarès 2020 des villes à fuir, un reportage (Surprendre et frapper) sur les géants de l'agroalimentaire, un dossier sur les marchés publics, sur les inondations, etc... Beaucoup de rubriques... Le numéro précédent abordait comment la sécurité est le principal produit d'appel des candidats républicains aux élections municipales en Paca, comportait un entretien avec l'auteur de science fiction dystopique Alain DAMASIO et donnait des indications sur la mobilisation contre un entrepôt d'Amazon à Montélimar...

 

le Ravi, Enquête et sature. Site leravi.org

Partager cet article
Repost0
17 janvier 2020 5 17 /01 /janvier /2020 11:01

  D'emblée, avertissons que la Révolution écologique dont on veut parler a un double sens, puisque l'expression est accolée à Transitions énergétiques. D'une part, la Révolution écologique sur notre planète est en cours ; les changements de condition de vie n'épargneront pas l'espèce humaine, dont les individus ne survivent que dans d'étroites conditions de température et de pression. D'autre part, si l'on veut éviter que les changements climatiques ne rendent pas invivable pour nous la planète Terre, on est bien obligé de constater que les transitions énergétiques, politiques publiques ou privées devant faire passer l'économie de l'ère du charbon, du pétrole, du gaz, à l'économie des "énergies renouvelables" ne suffiront pas, et qu'il faut envisager - quitte à ce qu'il y ait une crise économique terrible (et sans doute terrifiante) - une assez brutale révolution dans notre façon de vivre. Il y a comme une course, avec une ligne d'arrivée qui se rapproche de plus en plus vite, entre la vie et la survie de notre espèce et les changements en cours.

   Les multiples conflits entre groupes humains, comme d'habitude, font oublier d'autres conflits bien plus importants : la vie et la survie de l'espèce humaine a toujours été un combat ambigu mais réel avec une nature hostile à bien des égards. Notre rapport à la nature, que l'industrie veut dompter et en soutirer le maximum de richesses, s'est durci, par rapport à une période où l'agriculture dominait encore. Il faut bien dire que beaucoup considère encore notre environnement comme une surface et comme un sous-sol qu'il s'agit d'exploiter au maximum, et du coup, il y a bien conflit entre nous et la nature - en dépit des mythes gentils - et que nous avons perdu le sens de ce conflit, et surtout que nous nous sommes trompés depuis le début sur le rapport de forces, oubliant que nous faisons partie, qu'on le veuille ou non de cette nature... Et au lieu de nous concentrer sur ce conflit-là, nous préférons nous adonner à nos petits jeux conflictuels favoris sur la répartition des richesses et des territoires. Il est en effet plus "facile", une fois évacué les scrupules moraux, de se livrer à des combats sans pitié entre nous plutôt que de prêter attention aux soubassements de notre existence...

    Face aux changements climatiques, véritable révolution écologique qui modifie courants océaniques et phénomènes atmosphériques de même que l'existence et la répartition des espèces et dont nous ne voyons sans doute que les débuts, avec perceptives de sécheresses et d'inondations toujours plus importantes, avec toutes conséquences sur les ressources à disposition de l'espèce humaine, qu'opposent aujourd'hui les différents pouvoirs publics et privés? Afin de "réduire" les gaz à effets de serre, des politiques de transitions énergétiques se mettent en place, avec une lenteur, il faut dire, assez désespérante. Entre les freins en oeuvre au sein mêmes des administrations publiques en charge (et de multiples déviations, tels que d'inclure les ravalements de façades d'immeubles au sein des mesures à cet effet), les réticences de nombreux parlementaires liés à de puissants intérêts privés financiers et/ou industriels, l'ignorance assez crasse de nombreux dirigeants en matière scientifique et les réactions d'opinions mal informées (fake news à foisin, financées par les pétroliers notamment), les politiques de transition énergétique peinent à se placer à la hauteur des changements en cours. La position emblématique des États-Unis contre toute politique publique dans ce sens, la persistance dans les esprits de nombreux dirigeants du modèle de croissance occidental, les vues à court terme de ces mêmes dirigeants, qui ont l'oeil plus sur les cours de la Bourse que sur les taux de pollution de leurs propres capitales, tout cela se ligue pour, malgré les politiques de nombre d'États américains et les initiatives de maintes fondations privées, pour que les transitions énergétiques arrivent trop tard (elles auraient d'ailleurs dû débuter il y a 50 ans!) produisent des effets réels. Il semble bien que seuls des événements importants sur le plan scientifique notamment puissent inverser maintenant la tendance à des catastrophes de plus en plus irréversibles...

    C'est pourquoi il est nécessaire que se mette en place de véritables révolutions écologiques, face aux changements actuels, qui ne sont seulement, faut-il encore et encore le rappeler, climatiques. Des cocktails à n'en plus finir de pollutions des terres, mers et de l'air s'en mêlent et s'emmêlent pour rendre de moins en moins vivables notre planète. Entre les pesticides que des puissances économiques veulent à tout prix continuer d'imposer aux agriculteurs (vendus conjointement avec les semences!), les radiactivités émanant de plus en plus de sites nucléaires endommagés, les produits divers présents maintenant en masse dans notre eau et dans notre alimentation... et sur nos corps (déodorants et compagnie), notre environnement est de moins en moins propice à la vie telle que nous l'avons toujours connue.  Quelles peuvent être les "ingrédients" de telles révolutions écologiques?

 Tout d'abord, il est vrai que l'évolution des rapports de force entre intérêts publics et intérêts privés, entre État en tant que protecteur et rassembleur des citoyens et multinationales privées de toutes sortes a de quoi rendre pessimiste quant à la possibilité de gagner cette véritable course actuelle à la vie ou même à la survie. Même en admettant qu'aujourd'hui on arrête de produire et de relâcher dans l'atmosphère tous ces gaz à effet de serre, même si on stoppe production et distribution de toutes ces substances polluantes, et même si tout de suite sont remplacés ces automobiles (qui portent si mal leur nom) à carburants par des véhicules électriques, il n'est pas sûr que la courbe actuelle des catastrophes écologiques s'inverse suffisamment tôt pour épargner à l'espèce humaine un destin des moins enviables. L'histoire des sociétés humaines au cours des millénaires passés ne prête pas à l'optimisme : leur destruction est souvent l'issue d'une évolution qui pourtant n'a pas manqué sans doute d'avertisseurs (parfois prophétiques). Plus une civilisation est complexe, plus elle est résiliente et moins elle est capable de survivre, autrement que par petits groupes qui s'en sont détachés à temps.

Aussi en est-on à espérer des événements - au sens exact du terme, inflexion radicale de la vie sociale des humains, par nature imprévisibles.

Soit subits, faisant cesser les activités humaines essentielles qui provoquent ces changements dans l'environnement, crise économique "dure", dix fois 1929 par exemple, qui se traduisent bien entendu par des guerres et des épidémies massives.

Soit en provenance des activités humaines, notamment scientifiques. Du même ordre sans doute que la révolution provenant de l'invention de l'électricité. Car les technologies qui permettent d'inverser (trop progressivement...) la courbe des émissions de gaz à effet de serre sont connues (et même parfois gelées dans des brevets acquis par des sociétés industrielles et/ou financières pour empêcher qu'on les exploite) et commencent à être utilisées. Car les recherches en matière de radioactivité sont pratiquement au point mort (transformation des éléments radioactifs en éléments stables,), sauf si l'on compte sur l'exploration spatiale pour en trouver d'autres qui ne figurent pas dans notre tableau périodique des éléments. Car enfin la transformation de techniques agricoles et industrielles est jugée trop aléatoire. Ce qui manque certainement dans l'impact de nouveautés, c'est l'absence de planification possible à l'échelle mondiale, sabotée aujourd'hui, aux Nations Unies par exemple, à la fois par des États (souvent gangrenés par des corruptions en nombre) et par des mutinationales en rêve de puissance et de capitaux.

L'issue du grand conflit actuel entre puissances privées court-termistes et puissances publiques encore ancrées dans la recherche du bien commun, aura certainement un effet sur cette course entre révolution écologique humaine et révolution écologique de la nature en cours...

  Parmi les événements possibles capables de provoquer une sorte de point d'inflexion dans la marche du monde, mondialisation, financiarisation, désastres écologiques et bouleversements climatiques ensemble, avec une crise économique d'ampleur rebattant toutes les cartes géo-économiques, figurent de grandes épidémies, pandémie à l'échelle mondiale. Celle de janvier-février 2020, dite du coronavirus pourrait peut-être faire pencher la balance... si bien entendu l'humanité est encore capable de la combattre à temps (et pas trop tôt pour que les pouvoirs politiques se décident enfin à changer...)... (addition du 29 février 2020)

 

Complété le 29 février 2020

 

 

  

Partager cet article
Repost0
15 janvier 2020 3 15 /01 /janvier /2020 14:12

    Au premier numéro sorti en 1999, cette très jeune revue, en papier et en ligne, résolument à gauche, se caractÉrise par une combativité certaine et une volonté de rompre avec l'actualité immédiate.

    Comme le journal s'affiche d'emblée : "C'est qu'on aime bien la castagne : on passe même notre temps au tribunal (contre un patron du CAC 40, un journaliste aux ordres, un politicien imbus). Tous gag,és, pour l'instant, les procès. On les remporte, parce qu'on n'aime pas trop les éditos, ni les chroniques. Nos dossiers s'appuient sur des reportages, des recherches dans les archives. Ce prend du temps, de l'énergie, mais qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour vos beaux yeux? (Et vos euros...). On n'aime pas trop "l'actualité", non plus. C'est le "bruit des vagues en surface" répète notre rédac'chef. "Nous, ce qui noue intéresse, il poursuit (un peu grandiloquent), c'est la réalité : le mouvement des plaques tectoniques en profondeur". On a donc consacré des dossiers à l'intérim, à la psychiatrie, aux contrats emploi solidarité, à un accident du travail, à une salle de muscu dans un quartier popu. Ou même à "la métaphysique du tuning". C'est qu'on aime bien, enfin, cette variété, cette surprise. Que le lecteur ne sache pas trop sur quoi il va tomber au prochain numéro, ou même à la page d'après. Comme un cadeau surprise. Qu'on évite le côté "militant chiant", avec la litanie des violences policières, des sans-papiers maltraités, avec toujours les mêmes photos de défilé, de gens alignés à la tribune. Et tant pis si les purs et durs se plaignent de nos impostures, ou de nos papiers culs. Bon, tous ces "On aime/On n'aime pas", ça fait pas une ligne bien droite. Plutôt tordue. Tant mieux ou tant pis."

    Comptant sur les bonnes volontés, des laïcards anars et des chrétiens sociaux lancent ce journal et le maintiennent depuis, au rythme de 5 numéros par an, avec peu de finances (subventions annulées au dernier moment) et beaucoup de temps consacré à la distribution, ne cessent de fustiger à longueur de pages "ce monde ultra-libéral fabriqué par des soixante-huitards"....

    Avec à sa tête comme directeur de publication Fabian LEMAIRE, l'équipe dynamique (on trouve souvent la signature de François RUFFIN) porte le journal, avec des thèmes déclinés non sans humour : le numéro 91 de décembre 2019-janvier 2020 en témoigne : Changeons d'imaginaire ! où s'égrène les rubriques de dossiers et d'enquêtes. Ce numéro est consacré à une réflexion sur l'invasion publicitaire, d'autant plus d'actualité que l'installation sur des bâtiments parisiens de panneaux glorifiant des produits de luxe devient une habitude place de la Concorde... et se remarque particulièrement depuis l'Assemblée nationale.

Des dossiers séparés sont également diffusés (Vive la banqueroute, Pauvres actionnaires!, Contre les gourous de la croissance, présentés dans une "boutique" Fakir Shop). Le combat écolologique, la sortie de la macronmonarchie, la question des retraites, la guerre des pauvres entre eux... sont quelques-uns des thèmes abordés souvent par la revue.

 

Association Fakir, 4 rue blanquetaque, 8000 AMIENS. Site internet : fakirpresse.info.

Partager cet article
Repost0
14 janvier 2020 2 14 /01 /janvier /2020 09:58

     Le sociologue et linguiste américain d'origine canadienne Erving GOFFMAN est considéré comme l'un des principaux représentants de l'École de Chicago.

    Étudiant d'abord la chimie à l'université du Manitoba, il s'inscrit en sociologie à l'université de Toronto où il obtient son baccalaureate of arts en 1945. Entre-temps, il est engagé par le Canadian Film Board (1943-1945), pour participer à la réalisation de films de propagande militaire. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale qu'il s'inscrit au département de sociologie de l'université de Chicago, sous la direction de William Lloyd WARNER. Il commence à construire une théorie de l'interaction à la fois orginale, multidisciplimaire, analytique et enracinée dans l'observation directe.

       Rattaché à la seconde école, il s'écarte des méthodes dites "quantitatives" et statistiques pour privilégier l'observation participantes. Il définit avec ses recherches la notion d'institution totale, "lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées" Si les traductions françaises donnent "institutions totalitaires" (attirant la sympathie d'une partie de l'intelligentsia de droite anti-communiste), de manière très contestables, certaines de ces institutions ne sont pas liberticides  et oppressantes. Prisons, camps de concentration, asiles, couvents, mais aussi orphelinats, internats, peuvent être considérés comme des "institutions totales" (que Michel FOUCAULT rapprochent des institutions disciplinaires). Une grande partie de son travail est consacré à la métaphore théâtrale, à la métaphore du rituel et à la métaphore cinématographique.

 

L'interactionnisme

    Dans sa thèse de 1953, soutenue sous la direction de William Lloyd WARNER, au département de sociologie de l'université de Chicago, Communication Conduct in an Island Community, GOFFMAN, au lieu d'étudier la stratification sociale, décrit des interactions conversationnelles. Dans le chapitre II, intitulé "Social Order and Social Interaction, il commence à décrire l'ordre de l'interaction. The interaction Order, sa dernière conférence en tant que président de l'American Sociologic Association, représente l'ultime état de sa théorisation. Il part de ce qu'il nomme "l'ordre social" en supposant que cet ordre "macro-social" s'applique au niveau micro-sociologique, par exemple à celui de "la conversation entre deux personnes réelles". Cet ordre global signifie : intégration des acteurs, attentes réciproques, règles sociales normatives, sanctions des déviances, corrections infligées aux déviants, etc. Or, constate-t-il, dans la plupart des interactions qu'il a observées, domine non pas ce modèle coercitif mais un "comportement d'accommodement" grâce auquel les partenaires peuvent "maintenir l'interaction", alors même que des normes ont été transgressées. Il appelle working acceptance ce type de compromis, ce "travail de la tolérance" qui montre, selon lui, que l'interaction de face-à-face constitue un ordre particulier du social, irréductible à une simple transposition de l'ordre global.

Cet ordre de l'interaction est gouverné par des "présuppositions cognitives et normatives partagées" et par des "conventions, normes et contraintes" liées à des circonstances et à des comportements particuliers: "la ligne de notre attention visuelle, l'intensité de notre engagement et la forme de nos actions initiales permettent aux autres de deviner notre intention immédiate et notre propos (...). Corrélativement, nous sommes en mesure de faciliter cette révélation ou de la bloquer, ou même d'induire en erreur ceux qui nous regardent." Il existe ainsi toute une gamme de "stratégies de gain", depuis la coopération jusqu'à la guerre froide.

 

Une approche dramaturgique

     GOFFMAN utilise le terme "dramaturgie" pour qualifier son approche de l'interaction. C'est en même temps une méthode et un point de vue sur le social. Elle est à la fois technique (les moyens), politique (les sanctions), structurale (les positions) et culturelle (les valeurs). Les termes "scène", "représentation", "mouvement", "séquence", "rôle", "cadre", "jeu", issus du théâtre et du cinéma, désignent cette "mise en scène partagée", cette ritualisation du "social" que les membres des sociétés modernes réactualisent constamment comme les rites religieux réactualisent les dieux et le "sacré" dans les sociétés traditionnelles.

 

Les institutions totalitaires

    En 1955-1956, GOFFMAN bénéficie d'un contrat de recherche et va vivre parmi les malades mentaux de l'hôpital Sainte Elisabeth de Washington. Il en tire un ouvrage, Asylums, paru en 1961, devenu un classique de la sociologie des institutions totalitaires (total institution), comme il appelle ces organisations prenant en charge toute l'existence de leurs membres et suscitant de leur part des "adaptations secondaires". Il écrit dans la foulée 6 ouvrages dans lesquels il développe et discute de sa théorie de l'interaction : The Présentation of Self in Everyday Life (1959), Encounters (1961), Behavior in Public Places (1963), Interaction Ritual (1967), Strategic Interaction (1969) et Relations in Public (1971). Il le fait sans oublier cette grande expérience où constamment sont mises en jeu prétentions de l'organisation à propos de ce que doit être l'individu et stratégies adaptatives des individus.

 

Identité et stigmatisation

     Cette théorie de l'identité se trouve au coeur de l'ouvrage Stigma, publié en 1963, qui peut être considéré comme une sorte de chef d'oeuvre caché. GOFFMAN y avance en effet masqué, car il ne prétend pas théoriser une question aussi controversée que celle de l'identité personnelle. Il analyse une relations qu'il appelle stigmatisation et qui lie un "normal" et un "handicapé", c'est-à-dire quelqu'un affecté d'un stigmate, qu'il s'agisse d'un handicap physique ou social, quelqu'un de discrédité ou de "discréditable" socialement.

Ce dialogue du "normal et du "stigmatisé est en fait une métaphore de la vie sociale. Ce sont des points de vue qui se confrontent. Dans l'interaction, lors de la rencontre entre soi et autrui, chacun cherche à "typifier" l'autre pour l'identifier. Il suffit d'une différence (de la couleur de peau à l'accent en passant par la démarche) soit traitée en inégalité pour que l'étiquette attribuée à autrui devienne un stigmate. cette "identité attribuée par autrui" risque de ne pas correspondre à l'indentité "revendiquée par soi" que l'autre espère qu'on lui reconnaisse. Cet écart entre les deux facettes de l'identité provoque du malaise dans la communication et de la souffrance chez le stigmatisé. Il suscite des stratégies identitaires de "gestion du stigmate", depuis l'affrontement jusqu'à la résignation par la fuite et la négociation.

 

Autres ouvrages

    En 1974, dans Frame Analysis, GOFFMAN rompt avec l'analyse dramaturgique pour développer une théorie des structures de l'expérience à partir des principes de structuration de la vie sociale elle-même, au-delà des interactions directes. En 1979, Gender Advertisments traite des rapports de genre à travers "l'arrangement entre les sexes", et son dernier ouvrage, Forms of Talk, publié en 1981, représente un exercice d'analyse conversationnelle proposant une structuration systématique des manières de parler, à partir des questions-réponse jusqu'au monologue intérieur, en passant par la conférence publique. (Claude DUBAR)

 

     Ervin GOFFMAN fait partie et initie grandement de tout un courant sociologique, l'interactionnisme, qui se développe au cours de la décennie 1960 dans les universités californiennes, bien au-delà donc de l'université de Chicago. Ce courant se diversifie en de multiples tendances, avec celle proprement dite de GOFFMAN, appelée parfois modèle théâtral : la sociologie compréhensive ou phénoménologique issue des travaux de SCHÜTZ, l'ethnométhodologie de GARFINKEL, l'analyse conversationnelle de SACKS, la sociologie cognitive de CIRCOUREL... Le regain d'intérêt en France pour la sociologie du quotidien s'inspire également de ce courant. (Jean-Pierre DURAND, Robert WEIL).

Ce courant interactionniste, dont le nom est inventé dès 1937 par H. BLUMER se caractérise par de nombreuses monographies, devenues références obligées aux États-Unis : études de terrain et de petites communautés, étude des groupes de déviants ou de marginaux, notamment... Malgré quelques renouvellement, il est fortement critiqué dans les années 1970, surtout pour ses explications limitées sur les phénomènes de pouvoir. Lewis COSER notamment, président de l'influente Association américaine de sociologie, procède en 1975 à un attaque en règle en dénonçant leur tendance à se limiter à l'observation directe, leur ignorance des facteurs institutionnels du pouvoir central, leur affirmation de l'impossibilité d'une approche objective. Les accusations concernent aussi leur caractère sectaire, la trivialité des objets d'étude, leur bavardage, leur subjectivisme et leur négligence de structures latentes au profit des contenus manifestes (Alain COULON, l'ethnométhodologie, PUF, 1987). On peut écrire aussi que ces critiques sont le lot des courants qui se déclarant parfois hégémoniques, finissent par ne plus produire d'analyses pertinentes et surtout opérationnelles.

 

Erwin GOFFMAN, Asiles, Étude sur les conditions sociales des malades mentaux, Minuit, 1972 ; Stigmates, Les usages sociaux des handicaps, Minuit, 1975 ; La Mise en scène de la vie quotidienne, Minuit, 1979 ; Les Rites d'interaction, Minuit, 1984 ; Façons de parler, Minuit, 1987 ; Les Moments et les hommes (recueil d'articles par Y. Winkin, précédé d'une introduction générale, Seuil-Minuit, 1988 ; Les Cadres de l'expérience, Minuit, 1991 ; L'Arrangement des sexes, La Dispute, 2002.

J.NIZET et N. RIGAUX, La sociologie d'Erving Goffman, La Découverte, 2005.

Claude DUBAR, Erving Goffman, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Jean-Pierre DURAND, Robert WEIL, Sociologie contemporaine, Vigot, 1997.

 

Partager cet article
Repost0
13 janvier 2020 1 13 /01 /janvier /2020 09:23

    La Revue française de science politique (RSFP) créée en 1951 par la Fondation nationale des sciences politiques et l'Association française de science politique, éditée par les Presses de Sciences Po, est l'une des rares revues de référence pour un grand ensemble de formations politiques, de droite ou de gauche. La volonté de s'approcher de l'esprit scientifique - souvent par l'intermédiaire du droit - pour un domaine qui relève beaucoup de l'idéologie partisane, et la permanence de l'effort dans ce sens, justifie pleinement cette position dans l'édition. Principale revue de la discipline en France, avec six numéros par an, elle se caractérise aussi par une grande stabilité - qui vient d'un comité de rédaction ancré dans les institutions universitaires, sur le plan de sa direction. Après Jean-Luc PARODI, Yves DELOYE est directeur de publication depuis janvier 2009.

    Ses numéros portent sur des questions institutionnelles, centrés sur la France, et suit d'assez près l'actualité institutionnelle (électorales mais aussi politique en général et parfois culturelle). La revue tente de tenir souvent à la fois la réflexion sur l'évolution structurelle de la société et l'événement proprement dit. Ainsi en 1997, le n°47-3-4 portent sur les Institutions et élections et en 1998, le n° 48-3-4 sur Cuisine, manière de table et politique. Elle ne néglige pas non plus ce qui se passe dans les autres pays, sur les formes de démocratie en sercice (ainsi en 2001, le n° 51-4, porte sur Italie et Japon aujourd'hui : deux démocraties "hors normes" à l'épreuve de la crise). Les numéros de la revue ne porte pas forcément sur un thème central : en 2019, nombre d'entre eux sont constitués de varia, divers travaux universitaires , de la sociogéographie des électorats Le Pen en 2017 aux problèmes du chômage des jeunes en France et en Allemagne.

    En 2010, une nouvelle formule pour la revue est lancée. Afin de marquer le 60e volume de la Revue française de science politique, le Comité de rédaction de la revue ainsi que les Presses de Science Po souhaitent en modifier la maquette extérieure comme intérieure. Changement de visuel (sommaire apparent en première et quatrième de couverture), adaptation du projet éditorial en trois objectifs majeurs (large place aux travaux de recherche, intensification des recensions bibliographiques, place plus importante accordée aux débats et controverses), lancement d'une édition électronique.

   La Revue est conçue à l'origine pour être la vitrine de la Fondation et de l'Association. En juin 1951, son comité de direction, présidé par André SIEGFRIED, réunit les incontournables du moment : Raymond ARON, Jacques CHAPSAL, Jean-Jacques CHEVALLIER, Maurice DUVERGER, François GOGUEL et Jean STOETZEL. Sans comité de rédaction, point n'est besoin! selon leur formule... Se succèdent à la direction de la revue Jean MEYNAUD (1951-1955), Jean TOUCHARD (1955-1971), Georges LAVAU (1973-1991) et Jean-Luc PARODI (1991-2008). Après Mai 1968, la revue se dote d'un Comité scientifique et d'un Comité de rédaction en 1970, avant que ne soit limité dans le temps le mandat de directeur (1991).

Si la revue invite la communauté des Instituts d'Études Politiques (IEP), des facultés de lettres et de droit à lui adresser des articles, elle reste très longtemps exclusivement parisienne et essentiellement constitué de l'intelligentsia présente autour de Saint-Germain-des-Prés. Le mouvement de décentralisation et d'extension des disciplines contributrices (longtemps cela a été une revue de droit...) est très récent. La ligne éditoriale des années MEYNAUD et TOUCHARD se décline autour des deux "noyaux durs", "Pensée politique" et "Pouvoir et Institutions". Seules les contributions des historiens Pierre RENOUVIN, Jean-Baptiste DUROSELLE et René RÉMOND offrent des incursions du côté de l'histoire politique, tandis que celle des chercheurs du CERI assurent une bonne représentation des relations internationales et des études comparées. A partir des années 1960, la sociologie électorale portée par la jeune génération du CEVIPOF témoigne d'un tournant sociologique. Il faut néanmoins la création des rubriques (Forces politiques, Conflits internations, Bibliographie) au milieu des années 1960 et l'autonomisation de la discipline (création de l'agrégation en 1971) pour que s'opèrent une spécialisation et une diversification des thèmes traités (Marie SCOT)

 

Les articles de la Revue française de science politique sont disponibles sur le site cairn.Info.

 

Revue française de science politique, Association Française de Science Politique, 27 rue Saint Guillaume, 75337 PARIS CEDEX 07

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2020 5 10 /01 /janvier /2020 15:43

   Mouvements, revue politique et culturelle française fondée en 1998 par Gilbert WASSERMAN, se réclame de gauche, et même à gauche de la gauche (dans la mesure où cette dernière existe encore...), composée de chercheurs, de journalistes et de militants, et se veut un espace de discussion entre "les idées et les luttes".

   Elle prend le relais de la revue M, fondée elle en 1986, par Henri LEFEBVRE et Gilbert WASSERMAN. Cette dernière, sous-titrée "mensuel, marxisme, mouvement", rassemble alors principalement des communistes rénovateurs. Rapidement, la revue s'ouvre aux autres gauches radicales ainsi qu'aux courants féministes et écologistes. Des intellectuel(le)s comme Yves SINTOMER, Georges LABICA, André TOSEL, Marc SAINT-UPÉRY rejoignent à ce moment le comité de rédaction.

    En 1998, la maison d'éditions La Découverte en devient propriétaire et veut y jouer son rôle de passeur entre plusieurs courants de gauche. Le comité de rédaction s'étoffe alors beaucoup, jusqu'à compter plus de 45 personnes. On y relève un temps (car cela change...) les noms de Renaud EPSTEIN, Seloua Luste BOULBINA, Philippe MARLIÈRE, Gustave MASSIAH et de Patrick SIMON... Tous travaillent de manière indépendante et sont rattachés à des rédactions spécifiques de natures diverses. La rédaction en chef est assurée par Catherine ACHIN, Jean-Paul GAUDILLIÈRE et Olivier ROUEFF.

 

   Dans la revue sont publiés des articles sur l'altermondialisme, les arts, les déchats, la domination, l'écologie, le féminisme, les gauches, les inégalités, l'international, le langage, l'intersectionnalité, la justice, le langage... Ainsi les numéros sont axés sur un thème, la Classe (n°100, décembre 2019), les Révoltes sexuelles (n°99, octobre 2019), Réinventer la lutte contre la finance (n°97, mars 2019), la Prison (n°89, novembre 2016), le Travail contre nature? Syndicats et environnement (n°80, novembre 2014).

   La revue se définit elle-même comme composée de "chercheur.e.es, journalistes et militant.e.s (qui s'essayent) ensemble, à décrire le monde social et (veulent) contribuer au débat d'idées. C'est le pari lancé par la revue Mouvements : se constituer en espace d'information critique, d'enquêtes sociales, de travaux théoriques et d'interpellation politique afin d'intensifier les échanges entre travaux de recherche, espaces de résistance et de proposition politique. Ni journal en ligne, ni liste de diffusion partisane, ni blog collectif, mouvements info est un espace réactif de réflexion politique et théorique. Dans le contexte d'une crise sans précédent de la presse généraliste et des revues de sciences humaines, Mouvements entend conjuguer le sérieux et la rigueur à un souci de réactivité aux grands débats et faits du moment, et montrer que les sciences humaines peuvent contester ou utilement éclairer les prises de position politique. (...)

La vocation première de mouvements.info est d'agir en passeur de savoirs et de connaissances, mais aussi en facilitateur de débats et d'élaboration d'idées, en offrant un accompagnement attentif de ses lecteur.rice.s (nous avons un peu horreur de cette écriture dite discursive dans ce blog, car cela complique la frappe des textes, pour un gain "idéologique" mineur! mais bon...) : pour chaque texte mis en ligne, des notes complémentaires expliquent pourquoi nous le publions; l'inscrivent dans le contexte de sa parution, reviennent sur le parcours de son auteur et proposent des liens vers des sites référents. (...) Parallèlement à l'activité du site, Mouvements continue de publier chaque trimestre une version "papier" de la revue, organisée autour d'un dossier thématique qui prend le temps et la place d'analyser en détails et dans la durée quelques unes des questions majeures du débat contemporain. (...) Mouvements.info reste fidèle à la mission d'origine (...) : devenir un espace contre hégémonique pour une gauche exigeante et critique."

 

 

Revue Mouvements, Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 PARIS. Site Internet : mouvements.info

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : LE CONFLIT
  • : Approches du conflit : philosophie, religion, psychologie, sociologie, arts, défense, anthropologie, économie, politique, sciences politiques, sciences naturelles, géopolitique, droit, biologie
  • Contact

Recherche

Liens