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28 février 2018 3 28 /02 /février /2018 13:17

     David Low DODGE, fermier, instituteur puis commerçant en marchandises non périssables dans le Connecticut aux Etats-Unis, pacifiste et non-violent américain, participe à la création de la New York Peace Society avant de fonder la New York Bible Society et la New YorkTract Society. Il est considéré comme l'auteur en 1812, en pleine guerre anglo-américaine, du premier manifeste publié du mouvement non-violent naissant : War Inconsistant with the Religion of Jesus Christ.

      Avant cela, il publie en 1809 un autre pamphlet sur le futilité de la guerre. The Mediator's Kingdom not of this World, suivit par bien d'autres. DODGE est le président de la New York Peace Society fondée en 1815. C'est le premier dans le monde (anglophone au moins) - quatre mois avant l'association de Noah WORCESTER (Massachusetts Peace Society et un an avant l'English Peace Society - à créer ainsi une organisation pacifiste à vocation politique, précurseur de la New National Society de 1829 à la formation de laquelle il participe également. Il est président et membre de cette Society jusqu'à sa mort. 

      Alors qu'il ne bénéficie que d'une maigre instruction, il lit à fond (en possède à la fois la lettre et l'esprit) les quelques livres à sa disposition, une Bible, quelques livres de géographie et d'histoire. Dans un environnement parental de forte religiosité, il acquiert un véritable sens de la théologie et de la logique. Doté de facultés pédagogiques certaines, il quitte la ferme pour des écoles où il enseigne, comme on enseignait à l'époque, c'est-à-dire suivant une pédagogie collective et avec peu de moyens, centré sur la lecture et l'écriture... et la Bible. C'est contraint par des obligations familiales - mauvaise santé de plusieurs membres de sa famille - qu'il se voit contraint d'exercer plusieurs petits métiers dans le commerce, jusqu'à être sollicité pour diriger quelques petites entreprises. Doté d'un réel sens commercial, ses affaires deviennent florissantes et il utilise sa richesse pour militer en politique, fréquentant plusieurs politiciens du Congrès local. Il parvient à tisser un réseau de relations tel qu'il trouve facilement les financements aux associations pacifistes qu'il crée. Que ce soit dans ses affaires politiques ou dans ses entreprises politiques, il sait s'entourer de véritables associés qui pensent dans le même sens que lui : ferveur religieuse et pacifisme vont de pair pour une grande partie de ses amis.

Il faut se représenter l'époque : tout est à faire et presque et les multiples pionniers dans tous les domaines s'activent, quel que soit leur niveau d'instruction ou d'éducation. Et parmi ces pionniers, David Low DODGE, sa famille et ses amis, sont particulièrement actifs, consacrant leurs ressources à la cause qui leur est chère. Les prières, prêches, tracts, sermons, toutes les occasions sont bonnes pour promouvoir la cause pacifiste. 

Le succès des entreprises commerciales créées, gérées et transmises par David Low DODGE est tel qu'elles figurent longtemps parmi les entreprises les plus importantes de la région (commerce extérieur), à l'image des Quakers qui font commerce de leurs célèbres céréales. Et les fils, petits-fils... poursuivent dans le même esprit, s'attirant de généreux donateurs (Carnegie par exemple) pour financer des centres ou maisons pour la paix. 

 

David Low DODGE, The Mediator's Kingdom do not of This World, 1809 ; War Inconsistent with the Religion of Jesus Christ, 1812. Les deux textes sont disponibles (non traduits en Français) en format Kindle (voir amazon.fr à faible coût). On y trouve une biographie détaillée due à Edwin D. MEAD (1904)

Peter BROCK, Pacifism in the United States : from the colonial era to the first World War, Princeton University Press, 1968. 

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 16:14

   Cartl von DEKKER est un général prussien, auteur de Der Kleine Krieg im Geiste der Neueren Kriegsführung (La petite guerre ou Traité des opérations secondaires de la guerre), publié en 1822 puis en 1844. Il est aussi l'auteur de nombreux autres écrits militaires, de 1815 à 1842. Il est bien connu en Allemagne comme historien militaire.

Commençant sa carrière dans un régiment d'artillerie de son père en 1797, il devient lieutenant et participe aux campagnes de 1806 et 1807, pour parvenir à l'état-major général où il participe aux campagnes de 1814 et 1815. Instructeur à l'école d'ingénieur, toujours dans l'artillerie, en 1818, chef du département topographique en 1817, terminant sa carrière dans l'armée en 1841, avant d'être promu major général.

Il fonde l'hebdomadaire militaire Militär Wochenblatt en 1816 avec Rühle von LILIENSTERN pour favoriser la réflexion des officiers et est co-rédacteur en chef de la Litteraturzeitung militaire à partir de 1821. Dans le cadre d'une réorganisation achevée la même année par la séparation entre le Ministère de la guerre, chargé des question administrative et l'état-major, dont dépendent toutes les questions opérationnelles. 

Il est également l'auteur de plusieurs comédies.

Il insiste sur le fait que la "petite guerre" ou guérilla est plus complexe que la guerre classique. Il s'étend longuement sur son organisation technique, mais est sensible aux qualités particulières requises pour la guerre irrégulière. Surtout il fait la distinction entre la petite guerre et la guerre des Partisans et s'intéresse surtout à la première. Cette distinction est reprise ensuite par d'autres auteurs, notamment CLAUSEWITZ.

Il considère que la petite guerre, appelée de plus en plus guérilla par la suite, est une composante de la grande. Cette petite guerre couvre toutes les opérations secondaires de la guerre dans lesquelles "on ne propose de nuire à l'ennemi sans toutefois en venir à un combat décisif." Au contraire, l'objet de la guerre des partisans est "de frapper l'ennemi sur les points où l'on ne peut porter des masses considérables, de le tenir en alerte, de le harceler, de lui couper les vivres, et cela sans s'exposer à de grands dangers. Dans la petite guerre, tout peut être régulier ; dans la guerre des partisans, tout est irrégulier : les opérations de la première sont nécessairement liées aux opérations principales de la guerre ; celles de la seconde en sont entièrement indépendantes."

 

Cart von DECKER, De la petite guerre selon l'esprit de la stratégie moderne, Paris, J. Cornard, 1845 ; Élément de stratégie pratique Bruxelles, Méline, Cans et Cie, 1849, Réédition en 2011 chez Nabu Press ; Traité de l'art de combattre de l'artillerie à cheval réunie à la cavalerie, F.G. Levraut, 1831. Dans l'Anthologie mondiale des stratégies (Robert Laffont, 1990), on trouvera des extraits de La petite guerre ou Traité des opérations secondaires de la guerre, traduction de PERETTSDORF, édition sF.G. Levrault, Paris, 1827.

Hervé COUTEAU BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 10:16

   Georg Wilhelm Freiherr von VALENTINI est un officier prussien, lieutenant-général, chef d'état-major de KURT (chargé du contrôle et de l'éducation)  et un  écrivain militaire. 

 

Une carrière qui suit les vicissitudes de l'armée prusse.

   Appartenant à une famille de militaires, il fait ses classes dès 1791 comme Junker au régiment de chasseurs à pied de l'armée prussienne. Sous-lieutenant en 1792, il participe à la guerre de la première coalition. Au siège de Landau en décembre 1793 il est blessé ainsi que durant la bataille de Wissembourg. Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre sa carrière militaire jusqu'à la bataille d'Iéna et au-delà pour, en1809, faisant partie de ces officiers qui n'acceptent pas la défaire face aux Français, de passer au service des Autrichiens. Après la défaite autrichienne, il passe dans l'armée russe et participa en 1810-1811 à la guerre contre les Turcs, devenant lieutenant-colonel russe en 1811. C'est sous ce grade qu'il retourne en 1812 dans l'armée de Prusse. Il combat plusieurs fois encore, affecté entre autres à l'accompagnement du Prince d'Orange, et en mars 1813 est intendant général de la guerre de libération.

Après la guerre, il devient alors chef d'état-major en 1828 et participe à ce titre à la réforme de l'armée de la Prusse. 

 

Un écrivain sur la "petite guerre"

     Georg Wilhelm Von VALENTINI s'inspire de sa participation à la guerre contre la jeune République française (1792-1794) pour écrire un ouvrage sur la "petite guerre" (1799). Ce livre connait plusieurs éditions, remaniées à chaque fois. Après 1809 un écrit un Essai sur une histoire de la compagne de 1809.  Par la suite, il écrit sur la façon de combattre les troupes ottomanes. Ce traité sur la guerre contre les turcs, est traduit en Français en 1830.

En fait, que ce soit pendant une campagne ou dans ses périodes de repos après blessures, il n'arrête pas d'écrire, ce qui explique des dates différentes mentionnées parfois pour la publication de ses livres. 

   C'est l'un des premiers Allemands, après Von EWALD à traiter de la "petite guerre". Ce n'est qu'en 1810 que CLAUSEWITZ, dont il est le précurseur, enseigne à l'Académie militaire de Berlin un cours sur la guérilla (De la Guerre). 

 

Les petites guerres

L'extrait qui suit est tiré du livre de Walter LAQUEUR, A historical anthology, New American Library, 1977, repris dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, Sous la direction de Gérard CHALIAND, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990. (Abhandlung über den Kleinen Krieg und über den Gebrauch der Leitchen Truppen).

"Que l'ennemi ait été chassé de la péninsule Ibérique et pressé jusque dans son propre pays a bien entendu été dû essentiellement aux victoires du duc de Wellington. Mais celui qui a simplement parcouru l'histoire de cette guerre sait comment la guerre des paysans - ainsi qu'on l'appelle - a contribué à ces victoires et comment elle a empêché l'ennemi de jouir tranquillement du fruit de ses succès initiaux.

Toute guerre défensive dans laquelle le peuple joue un rôle déterminé en soutenant les opérations des forces alliées et en menant une petite guerre sur les arrières de l'ennemi aboutira au même succès. Même après avoir remporté une bataille, l'ennemi ne sera jamais en mesure de prendre fermement pied dans le pays ailleurs que dans des places fortes qu'il aura emportées ou créées lui-même. Tout détachement qu'il fait sortir, tout envoi de renforts, d'armes ou de vivres sera exposé aux attaques des partisans. Menées de cette manière sur une grande échelle, les petites guerres deviennent des guerres d'extermination pour les armées ennemies.

La guerre de Vendée ne peut cependant pas être considérée comme une petite guerre. Les paysans qui y combattirent si vaillamment pour leur roi et leur pays visaient à détruire complètement l'adversaire. Versés dans l'art de la chasse, ils exploitèrent à fond les possibilités qu'offraient les haies, les fourrés et les chemins creux qui sillonnaient leur pays pour se mettre aux aguets des hordes bleues, les envelopper de toutes parts et les abattre par des salves bien dirigées. Puis, quand l'ennemi chancelait sous la fusillade, ils le chargeaient exactement au moment voulu et l'achevaient le plus rapidement possible au corps à corps. L'emploi de l'artillerie, dont l'efficacité était considérablement réduite par la portée limitée qu'imposait ce pays boisé, était rendu inoffensif par l'habitude qu'avaient les paysans de se jeter à terre quand les canons tiraient. Puis ils emportaient l'artillerie dans l'assaut final.

Au début de la guerre, seule une minorité de paysans étaient armée de fusils, dont certains n'étaient que des fusils de chasse. Les autres ne les combattaient qu'au corps à corps. Jusqu'au moment de la charge, les quelques fusils disponibles étaient confiés à des tireurs d'élite que leurs camarades rechargeaient. Lorsqu'une escarmouche semblait mal tourner pour eux, les agiles paysans sautaient par)dessus les haies et disparaissaient dans les sentiers tortueux. Il semble qu'il n'y ait eu parmi eux qu'un minimum d'organisation. Les volontaires n'étaient informés que de l'objectif d'un coup de main et de l'endroit où il devait avoir lieu ; les hommes concernés étant particulièrement familiers du terrain, cela suffisait.


La guerre dans le Tyrol présente un caractère analogue. On est frappé par le fait que, dans les régions de montagne en général dans les contrées où les hommes doivent combattre la nature pour survivre et assurer leur subsistance, les habitants sont soumis à un entraînement de l'esprit et du corps qui les rend propres à la guerre ; cet entraînement leur donne un sens tactique naturel adapté au terrain qu'il est presque impossible d'inculquer par des méthodes artificielles. Apprendre à ceux qui vivent en plaine et exercent leurs métiers en ville, ou qui labourent à loisir dans des champs largement ouvertes, la façon de mener la guerre à la manière de ces montagnards à l'humeur combative ne sera pas une affaire aisée."

 

 

Georg Wilhelm VALENTIN, Traité sur la guerre contre les Turcs, 1830. Disponible sur Google.fr.

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 09:48

      Denis Vassilievitch DAVYDOV ou DAVIDOFF est un poète et général russe des guerres napoléoniennes. Inventeur d'un nouveau genre de poésie, la poésie du hussard qui promeut l'hédonisme et la bravoure, Tout comme le poète anglais Lord BYRON, il veut faire de sa vie le reflet de sa poésie. 

Issu d'une famille noble russe de lignée ancienne, ruinée à la mort de CATHERINE II, il est orienté vers les Régiment des chevaliers-gardes (1801) et son frère vers la politique étrangère. Alors que son régiment est cantonné bien à l'arrière, désireux de prouver sa valeur militaire, il tente d'une manière audacieuse de se faire accepter au front. Il participe à plusieurs campagnes militaires (Finlande, Moldavie) avant de devenir en 1812 lieutenant-colonel dans le régiment de hussards Akhtyka dans l'avant-garde du général Ilarion VASSITCHIKOV. 

C'est là qu'il met en oeuvre ses tactiques de guérilla. 

Plus tard, il poursuit après 1814 sa carrière militaire (de nouveau contre les Français, puis contre les Perses en 1827, et en 1831 contre l'insurrection polonaise)

 

Une expérience de guérilla

       Poète et ami de POUCHKINE, Denis DAVIDOFF est aide de camp dans l'armée russe auprès de BAGRATION pendant la campagne de Russie de NAPOLÉON en 1812. 

Quelque jours avant la bataille de Borodino (la Moskova, 7 septembre), anticipant des difficultés du côté russe, DEVIDOFF réclame un corps de 1 000 hommes capables de harceler les forces françaises. Au terme de la bataille, difficile mais victorieuse pour NAPOLÉON, DAVIDOFF obtient un corps de 130 unités composées de cosaques et de hussards. Après s'être assuré le soutien des populations rurales, il libère des convois de prisonniers russes qui rejoignent ses rangs et parvient à s'emparer des convois de ravitaillement ennemis. Pour mieux surprendre l'ennemi, DAVIDOFF ordonne à ses troupes de se mouvoir continuellement, et, lorsque la Grande Armée entame sa retraite quelques semaines plus tard, il s'applique à harceler les troupes de l'arrière. Il consigne cette expérience dans un Essai sur la guerre des partisans, écrit en 1821 et traduit en français en 1842, ainsi que dans son journal.

Pour DAVIDOFF les armées de masse qui émergent à son époque sont vulnérables aux attaques de partisans à cause de leur dépendance en ravitaillement et en munitions. "La guerre de guérilla, dit-il, ne consiste ni en menues entreprises ni en celles de première importance (...) Elle embrasse et franchit l'ensemble des lignes ennemies, des arrières de l'armée adverse à la zone de territoire désignées au stationnement de troupes, du ravitaillement et des armes. La guerre de guérilla bloque donc la source de la force d'une armée et sa survie, et la livre à la merci de l'armée de guérilla qui affaiblit, affame, désarme l'armée ennemie et la prive des liens salutaires de l'autorité. C'est là la guerre de guérilla au plein sens du terme". DAVIDOFF souligne l'importance du moral dans la guerre et met en lumière l'aptitude qu'ont ses troupes à ébranler la volonté de l'ennemi.

Contrairement aux responsables militaires russes (et allemands) de l'époque, Denis DAVIDOFF est conscient de l'importance stratégique de l'espace russe. (BLIN et CHALIAND)

      Sa vie es évoquée (sous le nom de Denis DAVIDOFF) dans le roman d'Henri TROYAT Le front dans les nuages. Outre son Essai sur la guerre des partisans, il décrit ses expériences de soldat dans plusieurs de ses oeuvres. Il célèbre un certain idéal russe, le courage, les putains, la vodka et l'amitié véritable. Sa poésie se veut libre et dénuée de puritanisme. 

  Remarquable par son effort de théorisation, il lie dans son Essai le développement de la guerre des partisans à l'augmentation des effectif des armée. La guerre des partisans consiste à "occuper tout l'espace qui sépare l'ennemi de sa base d'opérations, couper toutes ses lignes de communications, anéantir tous les détachements et convois qui cherchent à le rejoindre, le livrer aux coups de l'ennemi sans vivres, sans cartouches, et lui barrer en même temps le chemin de la retraite." Dépassant le récit de la compagne de 1812, il se propose d'établir les "principes fondamentaux sur la manière de diriger un parti" qui "ne se trouvent pas encore nulle part". Son système, fondé sur une base d'opérations, de ravitaillement et de bataille, rappelle fortement celui de JOMINI. Son audience seule avoir été considérable. (COUTEAU-BÉGARIE)

 

 

Denis DAVIDOFF, Essai sur la guerre des partisans, éditions Astrée, 2012. Journal sur les opérations de partisans, Voennçé Zapiski, Moscou, 1940. On trouvera des extraits de la deuxième partie de son livre Essai sur la guerre de partisans, soit Partisans de 1812 contre Napoléon, Sur la guerre de guérilla, Pourquoi la guerre des partisans convient à la Russie, traduction de H. de POLIGNAC, Paris, 1842. 

Walter LAQUEUE, Guerrilla, a Historical and Critical Study, Boston, 1976.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.

 

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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 08:23

         Bertrand de Jouvenel des Ursins ou Bertrand de JOUVENEL est un écrivain, journaliste français, également juriste, politologue et économiste. Connu pour une carrière plutôt contrastée et controversée, une grande partie de son oeuvre est consacrée à l'analyse et à la critique du pouvoir, des pouvoirs. Parmi ses 37 livres, Du pouvoir reste une référence. Fondateur de la revue Futuristes, il est d'abord un libéral au sens politique, avec une vision hétérodoxe de l'économie, estimant que la gestion de l'environnement revêt une importance capitale. S'il est reconnu comme un pionnier de l'écologie politique par certains (Ivo RENS), beaucoup doutent de la nature de cette écologie. Par contre, il se fait le promoteur de la prospective et à ce titre est défavorable à tout pilotage économique uniquement à court terme. Il est, avec Friedrich HAYEK et Jacques RUEFF, le fondateur du club d'intellectuels libéraux la Société du Mont Pèlerin. 

       Issu d'une famille où certains membres se signalent dans le journalisme pro-dreyfus, après des études scientifiques et juridiques, Bertrand de JOUVENEL devient correspondant diplomatique, puis correspondant pour divers journaux, avant d'entamer une carrière universitaire.

Politiquement, ses adhésions sont plutôt fluctuantes.  Il s'inscrit en 1925 au Parti radical où il milite aux côtés des "Jeunes Turcs". Son livre L'Économie dirigée, publié en 1928, défend les vertus du dirigisme contre le capitalisme libéral. Homme de gauche, pacifiste et partisans convaincu de la réconciliation franco-allemande, il travaille avec LUCHAIRE à Notre Temps à la fin des années 1920. L'essentiel de ses préoccupations est tourné vers cette réconciliation franco-allemande, car il pressent avec beaucoup d'autres que le Traité de Versailles gâche toutes les chances de paix en Europe. Vers les Etats-Unis d'Europe, écrit en 1930, il prend encore parti pour cette réconciliation. Toute sa vie, et c'est un fil conducteur dans ses changements d'orientation en politique, il a pour horizon cette réconciliation, horizon qui l'emmène de gauche à droite...

Après les émeutes organisée par les ligues antiparlementaires en 1934, convaincu de l'inefficacité des partis, il décide d'agir comme "électron libre". Il quitte le Parti radical et lance avec Pierre ANDRIEU, l'hebdomadaire La lutte des jeunes, tout en multipliant ses collaborations avec d'autres journaux plus à droite, comme Gringoire et fréquente des intellectuels comme Henri de MAN ou Pierre Drieu LA ROCHELLE. Il se lie d'amitié avec Otto ABETZ, futur ambassadeur d'Allemagne à Paris sous l'Occupation, et réalise, ce qui lui est très reproché par la suite et qu'il regrette d'ailleurs à plusieurs reprises, une interview d'Adolf HITLER dans laquelle il insiste sur la volonté de paix du chancelier allemand. Il suit cette dérive longtemps, rejoignant le Parti Populaire Français (PPF) créé par Jacques DORIOT, rédacteur en chef du journal de ce mouvement à l'Emancipation où il fait éloge du fascisme. Ce n'est qu'au Accords de Munich qu'il rompt avec le PPF en 1938. Mais pendant l'Occupation, à une période où beaucoup de journalistes pensaient que l'Allemagne nazie vaincrait en Europe, il sympathise avec des collaborationnistes. Dans des circonstances pas très éclaircies aujourd'hui, il est menacé par la Gestapo et s'exile en Suisse en septembre 1943. Il décide alors d'abandonner ses engagements politiques pour se consacrer à l'économie, à la sociologie politique et aux questions d'environnement. A son retour en France, à la Libération, il échappe à l'épuration, mais est considéré, selon sa propre expression, comme un pestiféré. Il doit d'ailleurs changer d'éditeur... 

Son parcours est sévèrement critique par l'historien Zeev STERNHELL (Ni Droite, ni Gauche, l'idéologie fasciste en France, Le Seuil, 1983) qui voit en JOUVENEL l'un des intellectuels français les plus engagés en faveur du fascisme. Poursuivi en justice, il est condamné pour diffamation (notamment grâce à l'intervention de Raymond ARON). 

    L'oeuvre de Bertrand de JOUVENEL témoigne de toute une époque, de disciplines diverses, de problèmes multiples, de solutions contrastées, voire contradictoires. Certains (dont nous...) voient en lui, un honnête homme dont le pacifisme et la volonté d'unité européenne se sont dévoyés dans un soutien à une idéologie tout juste contraire à ses propres idéaux. Est-il sincèrement fasciste, comme le montre beaucoup de ses écrits de journaux? Est-il sincèrement libéral, au sens vrai du terme, comme l'indique nombre de ses livres? Il y a bien en tout cas une coupure radicale entre avant 1945 et après, sans compter une part d'ombre dans ses activités sous l'Occupation.

 

Critique du libéralisme, critique du Pouvoir

     Après avoir procédé à une critique radicale du libéralisme sous toutes ses formes, afin "d'instaurer un ordre nouveau dégagé du parlementarisme et du capitalisme", Bertrand de JOUVENEL, après 1945, s'engage sur la voie d'une critique aussi sévère des croissances du "pouvoir". Après avoir prétendu que "le rôle historique du fascisme est de mettre un terme à la décomposition sociale de l'Occident" et espéré que Jacques DORIOT mette enfin "entre les Français une juste inégalité", avec des sympathies réelles envers les milieux royalistes, il condamne les révolutions, les coups d'États, les "journées brutales" jusqu'à celle du 13 mai 1958 dans laquelle il ne voit que "l'occasion égoïste d'une passion". Il préfère désormais l'autorité de type intendant (rex) à celle du type meneur (dux). On peut alors tenir Bertrand de JOUVENEL pour un conservateur soucieux de dénoncer la "route de la servitude" que pavent toutes les formes de planification. On risque alors de s'interdire de comprendre le fondateur de la SEDEIS (Société d'études et de documentation économiques, industrielles et sociales), le directeur de Futuristes, l'auteur de L'Art de la conjecture (1963-1965) et d'Arachide, essais sur le mieux-vivre (1968) et d'ignorer sa passion pour la "prévision", la recherche "prospective" et la rationalisation de l'économie...

La dénonciation du pouvoir est son thème majeur : croissance d'un pouvoir qui s'institutionnalise en Etat, concentration du pouvoir au sein de l'institution-État. la société se multiplie par ses couches supérieures qui monopolisent la richesse,la fonction militaire et la puissance politique. Elle prend une forme pyramidale. Le rapport de domination s'institutionnalise et la cohésion du système ne se maintient désormais que par le "haut" sans engendrer aucun équilibre durable : le pouvoir tend à plus de domination car "la guerre livrée à l'étranger est toujours l'occasion d'une conquête du pouvoir sur ses ressortissants". Impôts, police, bureaucratie offrent de moins en moins de contraste, le progrès économique prend l'allure d'une "entreprise militaire" au nom d'une "guerre de conquête menée contre la Nature, ce qui est bien métaphorique". Or, si l'économie doit être "dirigée" elle ne saurait justifier aucune "télocratie". Bertrand de JOUVENEL constate, en "tocquevillien", que tous les systèmes de légitimation du pouvoir par ses origines ont contribué à renforcer la croissance de l'Etat. Il est particulièrement sévère à l'égard d'une certaine conception "française" de la démocratie qui, conçue "pour fonder la liberté", a fourni à l'Etat "les plus amples alluvions dont il ait jamais disposer pour s'étaler sur le champ social". Ce "système intellectuel" favorise en outre la "concentration du pouvoir au sein de l'État". les "faiseurs de constitution", honorant "les mânes de Rousseau" tout en "brûlant un cierge à Montesquieu", ont inventé des artifices juridiques destructeurs des "forces sociales réelles".

Croissance des fonctions de l'État, concentration du pouvoir : l'analyse est classique, voire sans grande originalité. Mais Bertrand de JOUVENEL ne s'en est jamais contenté : aux méfaits du pouvoir, cet "observateur de la réalité sociale" oppose les bienfaits de l'autorité. La "mise en mouvement de l'homme par l'homme" constitue le phénomène générateur de l'action collective : "incessamment, cette faculté instigatrice joue pour mobiliser les énergies humaines : nous lui devons tous nos progrès". En outre, elle se révèle "bienfaisante" parce que, contrairement au pouvoir qui implique la domination imposée, elle suppose l'assentiment volontaire, donc la liberté. Cette théorie permet de comprendre l'unité et la cohérence d'un homme qui n'a jamais été un nostalgique du passé. Pas plus que la science économique ne doit limiter ses solutions à celles du marché, la science politique ne saurait voir "dans la nature de l'Etat aucune fatalité". L'intervention de l'Etat est nécessaire et bienfaisante lorsqu'elle est le fait d'autorités qualifiées et compétentes. L'élite n'est "naturelle" et "légitime" que lorsqu'elle se révèle "fonctionnelle" et source à la fois de progrès et de liberté. Prenant acte du déclin des formes traditionnelles de la représentation comme de l'émergence de nouvelles "attentes" sociales et économiques, il appelle de ses voeux le couronnement de l'expert. Ce "seigneur d'aujourd'hui" peut "corriger le césarisme", mettre en échec la personnalisation du pouvoir, opposer aux tyrannies du bien commun une pratique politique fondée sur la négociation et la délibération ; il saura tirer les leçons d'une "stratégie prospective de l'économie sociale" pour mettre les révolution technologiques "au service de l'aménité de la vie". (Evelyne PISIER)

 

Il faut ajouter que ses écrits n'ont pas la rigueur que l'on peut trouver par exemple dans l'oeuvre de Raymond ARON. Même dans le livre que nous aimons le mieux, Du Pouvoir, (beaucoup d'autres sont contraires à nos opinions!...) il y a beaucoup de métaphores très parlantes mais non explicitées (il est pourtant très documenté, comme ses oeuvres économiques)... Sur le fond, ses apports théoriques apparaissent moins que ses arguments proches du journalisme de combat. Pourtant, pour beaucoup d'étudiants, que ce soit en politique ou en économie, la lecture de certains de ses livres écrits après 1945 constitue un très bon départ pour aller beaucoup plus loin... 

 

Bertrand de JOUVENEL, Économie dirigée. le programme de la nouvelle génération, Valois, 1928 ; La crise du capitalisme américain, Gallimard, 1933 ; Le Réveil de l'Europe, 1938 ; Après la défaite, Plon, 1941 ; D'une guerre à l'autre, en trois volumes, publié tome I par Calmant-Lévy, tome II par Plon, tome III par A l'enseigne du cheval ailé (Bruxelles), de 1940 à 1947 ; Raisons de craindre, raisons d'espérer, en deux tomes, éditions du Portulan, 1947 ; Le rôle de prévision dans les affaires publiques. Les Cous de droit, 1965-1966, Université de Paris, Institut d'études publiques, 1966 ; La civilisation de puissance, Fayard, 1976 ; Un Voyageur dans le Siècle, avec Jeannie MALIGNE, Firmin-Didot, 1980. 

Olivier DARD, Bertrand de Jouvenel, Perrin, 2008.

Evelyne PISIER, Bertrand de Jouvenel, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

 

 

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22 février 2018 4 22 /02 /février /2018 10:18

    Francisco de JEREZ ou Francisco Lopez de XEREZ est un conquistadore espagnol qui a participé à la conquête de l'actuel Pérou. Il fait partie de ces chroniqueurs qui s'attache après expéditions et batailles à décrire leur expérience, avec souvent le désir d'appuyer leurs revendications de terres. 

  Il arrive dans le Nouveau Monde en 1514 avec l'expédition de Ferdinand II d'Aragon et il participe à l'organisation des explorations à partir de Panama et au gouvernement de cette contrée. En 1524, il rejoint Francisco PIZARRE, dont il est le secrétaire et "scribe" officiel, qu'il suit  en 1532 dans l'expédition et la conquête de l'Empire Inca. Présent avec 168 Espagnols à Cajamarca, lors de la capture de l'empereur ATAHUALPA, qui provoque l'effondrement de l'Empire Inca. il prend part à la transaction de l'otage.

Blessé (fracture d'une jambe), il est contraint de rentrer en Espagne en 1534 et, après un mariage avec une membre d'une famille aristocratique, se consacre au commerce maritime à Séville. Avec une succession d'infortunes d'ailleurs.  Il retourne en 1554 aux Indes et y est tué. 

    Francisco de JEREZ est, avec une demi-douzaine d'autres participants à la conquête (Diego de TRUJILLO, Francisco PIZARRO, Pedro Sancho de la HOZ, Juan Ruiz de ARCE, Cristobal de MOLINA, Cristobal de la MENA), l'auteur d'une relation de qualité rédigée et aussitôt publiée en 1534. La Couronne espagnole, soucieuse de perpétuer la gloire de ses conquêtes, encourage le mouvement historiographie de soldats et de prêtres. De plus, elle crée le poste officiel de Corniste Mayor et conçoit des questionnaires type, en vue de faciliter la recherche de toutes les particularités des Indes. C'est à l'aide d'un tel système d'information (et d'informateurs sur place) que la Couronne enta très vite la colonisation de l'actuel Mexique et de l'actuel Pérou, sur les décombres des Empires Aztèques et Inca. Les premières chroniques datent d'avant ces conquêtes, les prépare, et d'autres prolongent ensuite tout ce mouvement d'information. Plusieurs chroniqueurs relatent les mêmes faits et les mêmes contrées, souvent dans un rapport de rivalité lors des publications de leurs écrits. Ainsi, Francisco Lopez de GOMARA, chapelain de CORTÈS est le rival direct de Bernal DIAZ DEL CASTILLO. (Jacques LAFAYE)

    Sa Vraie relation de la conquête du Pérou constitue selon son auteur une rectification de l'écrit de Cristobal de MENA, La conquête du Pérou. Son récit a souvent la préférence des auteurs contemporains. 

 

Francisco de JEREZ, Relation vraie de la conquête de la province du Pérou et de Cuozo, Séville, 1534. La Conquête du Pérou, traduction de Henri Ternoux COMPANS, Editions A. M. Métailié, 1982. Un extrait de son livre, sur la capture d'Atahualpa à Cajamarca est disponible dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990.

Jacques LAFAYE, Chroniques du Nouveau Monde, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

 

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19 février 2018 1 19 /02 /février /2018 12:45

   Francisco Pizarro Gonzalès, marquis de los Atabillos, connu sous le nom de François PIZARRE, (en Français) est un conquistador espagnol. Conquérant de l'Empire inca et gouverneur de l'actuel Pérou, il fait partie de ces élément de la noblesse espagnole (cousin de Hernan CORTÈS au deuxième degré) qui cherche l'aventure loin de ce qui n'est pas encore une métropole. Il participe à la guerre entre conquistadores au Pérou, dont il sort perdant, comme beaucoup..

Si l'on connait bien cette histoire, ce n'est pas grâce à lui-même en tant qu'auteur (il est illettré), mais parce que, comme dans beaucoup de ces expéditions, il est accompagné de lettrés chargés de relater leurs faits et gestes, dont certains sont de véritables espions de la Couronne. C'était d'ailleurs le seul moyen (corruptible il est vrai mais pas toujours corrompu...) pour la monarchie espagnole de connaitre les agissements de ceux qu'elle investissait de "capitulations"... 

    Sa carrière n'a pas l'éclat de celle de CORTÈS, mais sa personnalité est peut-être plus représentative, par ses qualités et ses limites mêmes, de la majorité des conquistadores espagnols. Comme tous les conquistadores célèbres, son oeuvre dépasse largement l'homme. La conquête de l'empire inca fixe le destin de toute l'Amérique du Sud.

 

Une carrière de conquistadore, parmi d'autres, à l'épopée très bavarde....

    Avant cette carrière de conquistadore, après avoir été élevé comme un petit paysan, il est d'abord soldat en Italie et passe aux "Indes" en 1502. Pendant près de vingt ans, rien ne le distingue de ses compagnons d'aventure. Il est de toutes les entreprise du Darien : lieutenant d'OJEDA au golfe d'Aruba (1509), puis de BILBOA, qu'il accompagne dans sa marche jusqu'à la mer du Sud (1513) ; plus tard au service du gouverneur PEDRARIAS, il procède à l'arrestation de BILBOA, que PEDRARIAS et ESPINOSA condamnèrent à mort (1518-1519). Etabli à Panama, bénéficiaire d'une encomienda d'Indiens travaillant à son profit, il élève du bétail et paraît avoir connu une assez large aisance. 

     En novembre 1532, François PIZARRE, à la tête de 167 hommes, entre sans difficultés dans la ville de Cajamarca, au nord du Pérou. Il a déjà alors près de 25 ans d'expériences en Amérique Latine et deux expéditions qui se sont soldées par des échecs. Il n'est pas le seul à essuyer ce genre d'échec : l'histoire des conquistadores en est parsemée. 

Cependant, ayant réussit à obtenir de CHARLES QUINT une "capitulation", il ramène d'Estramadore, d'où il est issu, une centaine de recrues dont ses demi-frères et un cousin germain qui tous s'illustrent dans la conquête. Souvent, les expéditions dans le nouveau continent sont des affaires familiales. En plus de son associé ALMAGRO qui le rejoint après Cajamarca, PIZZARE est accompagné de conquistadores qui deviennent célèbres par la suite : Sébastien de BENALCAZAR, le futur conquérant de Quito, Hernando de SOTO, le futur découvreur de la Floride, ORELIENS qui descendra l'Orenoque.

   PIZARRE ignore, lorsqu'il atteint Cajamarca, que l'Empire inca, construction remontant seulement au siècle précédent, est miné par une guerre civile dont le vainqueur tout récent est ARAHUALPA. Ce dernier accepte de se rendre à l'invitation de PIZARRE qui a dissimulé hommes et chevaux tout autour de la grand-place de Cajamarca et qui, par un coup d'audace, s'empare de l'Inca et sans le savoir jette à bas l'Empire. ARAHUALPA, prisonnier, cherche à recouvrer sa liberté en offrant une énorme quantité d'or. S'il y a bien une tradition des deux côtés de l'Océan, c'est bien celle du trafic des otages des chefs militaires et politiques. Lorsque l'or est rassemblé, ce dernier est exécuté, pratique moins courante en Espagne, mais les Espagnols ne considèrent pas les indigènes comme des hommes comme eux. Entre-temps, ARAHUALPA avait fait lui-même exécuter son demi-frère HUASCAR, souverain de Cuzco. La première rencontre militaire des Espagnols avec les forces d'ARAHUALPA a lieu l'année suivante, et ces derniers sont taillés en pièces. Cuzco est investie sans combat e, novembre 1533, les Espagnols apparaissant aux partisans de HUASCAR comme des adversaires d'ARAHUALPA. Habilement, PIZARRE met en place sur le trône un nouveau Inca.

En février 1534, on annonce en Equateur l'arrivée d'un des lieutenants de CORTEZ, Pedro de ALVADARO, attiré par la perspective d'une nouvelle conquête. Sebastien de BENALCAZAR est envoyé en toute hâte vers Quito, la capitale d'ARAHUALPA, dont il s'empare après avoir battu l'un des généraux de ce dernier. Le départ d'ALVARADO est acheté par ALMAGRO. Les dernières troupes d'ATAHUALPA sont défaites.

Au début de 1535, PIZARRE fonde Lima qui devient capitale du Pérou et, par la suite, siège des vice-rois des indes (parce que l'on reste persuadé, dans la plupart des milieux espagnols qu'il s'agit des Indes, vers qui ils cherchent encore une route plus courte que par le Moyen-Orient.) La même année, ALMAGRO, insatisfait de n'être point l'égal de son associé PIZARRE, s'en va à la conquête du Chili où il espère trouver de l'or. Son expédition est un désastre au milieu du rude hiver de la cordillère (les Espagnols ne connaissent pas encore bien le climat de cette Amérique).

Pendant ce temps, l'Inca MANCO, humilié par les Espagnols, s'échappe de Cuzco et lève l'étendard de la rébellion (1536). Beaucoup d'Indiens se rallient, mais les tribus naguère subjuguées par les Incas restent fidèles aux Espagnols. Un moment, la situation des Espagnols - moins d'un millier au total dans tout le Pérou - paraît désespérée : l'une des trois villes qu'ils ont fondées, Jauja, tombe. Cuzco tenue par trois des frères PIZARRE est encerclée. L'un d'eux y perd la vie. Mais les Espagnols parviennent à tenir tandis que Lima elle-même est menacée. Devant Lima, les troupes de MANCO sont défaites. Elles se replient et, jusqu'en 1539, ne sont plus en mesure que de mener une guerre de guérilla ne pouvant mettre en danger la domination espagnole.

Entre-temps, ALMAGRO, de retour du Chili, s'empare des deux frères PIZARRE, Hernando et Gonzalo, à Cuzco et les tient prisonniers, estimant qu'il a été lésé dans le partage de la conquête. François PIZARRE parvient à obtenir la libération de ses frères, mais l'inimité entre AMALGRO et les PIZARRE est trop profonde. Les deux factions s'affrontent à la bataille de la Salinas (1538). ALMAGRO est vaincu et est exécuté. Le fils de ce dernier tire vengeanceplus tard de la mort de son père en provoquant la mort de François PIZARRE à la tête de quelques fidèles d'ALMAGRO (1541).

Après la mort de PIZARRE, l'anarchie devient chronique et les conquistadores s'entre-déchirent tandis qu'ils défient la Couronne jusqu'en 1548, date de l'exécution de Gonzalo PIZARRE, le dernier des frères présents au Pérou. C'est la couronne qui distribue alors les domaines (encomiendas) et met fin à l'ère des conquistadores. (BLIN et CHALIAND, Jean-Pierre BERTHE)

 

John HEMMING, La Conquête du Pérou, Paris, 1971. W.H. PRESCOTT, La Conquête du Pérou, Paris, 1992.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Jean-Pierre BERTHE, Pizarro, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

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19 février 2018 1 19 /02 /février /2018 08:10

       Fernando Cortès de Monroy Pizarro Altamora, dit Hernan CORTÈS, premier marquis de la vallée d'Oaxaca, est un conquistador espagnol. Il s'empare en 1521 de l'Empire aztèque pour le compte de CHARLES QUINT, roi de Castille et empereur romain germanique. Cet acte fondateur de la Nouvelle-Espagne, de l'Empire espagnol des Amériques, étape fondamentale de la colonisation espagnoles des Amériques au XVIe siècle, est plus ambigü que le laisse entendre les titres conférés après-coup. Si c'est au nom de la Couronne espagnole que CORTÈS se prévaut dans ses actions - et dans ses écrits - il agit d'abord comme l'un de ces nombreux aventuriers qui "tentent leur chance" dans le nouveau continent découvert quelque temps plus tôt. 

    Nanti de réelles connaissances en matière de stratégie, d'une tradition ibérique née lors de la Reconquista espagnole sur les Musulmans, Hernan CORTÈS appartient à l'une des familles nobles les plus influentes de l'Espagne.

 

Le personnage type du conquistadore

   Après avoir brièvement étudié à Salamanque, Hernan CORTÈS quitte l'Espagne (1511) pour Cuba où il devient alcade (maire) de Santiago. Contre l'avis du gouverneur VÉLASQUEZ, CORTÈS quitte Cuba pour le Mexique en 1519 avec 600 hommes, 16 chevaux et une dizaine de pièces d'artillerie, embarqués sur 11 navires.

S'appuyant sur le vieux droit communal espagnol, il fonde la ville de Vera Cruz, ce qui, en principe, le délie de toute dépendance envers le gouverneur de Cuba. Entre-temps, il cherche à se gagner les bonnes grâces des tribus qu'il rencontre et n'use de la force que lorsqu'il n'a pas d'autre choix.

Très vite, il dispose d'un atout considérable que jamais n'auront ses adversaires majeurs, les Aztèques : deux interprètes, l'un espagnol, qui fut prisonnier chez les Mayas, et une Indienne, la Maliche (qui, baptisée, devient Marina et bientôt la maitresse de CORTÈS), qui parle le nahuatl et apprend rapidement l'espagnol. CORTÈS sait ainsi ce que pense l'adversaire tandis que les Aztèques ne pourront que conjecturer. Pour les Aztèques, apparemment ces hommes venus de loin sont des dieux porteurs de désastre qu'il faut tenir éloignés de Tenochtitlan (Mexico).

Mais CORTÈS, contre l'avis d'une partie de sa troupe où se trouvent des partisans de VELASQUEZ, veut à toute force aller de l'avant et fait démâter ses navires ("brûler ses vaisseaux"...). Au cours de l'avancée, il se heurte durement aux Tlaxcaltèques mais parvient à s'en faire des alliés. En effet, la domination des Aztèques est récente, dure et mal supportée, aussi CORTÈS peut-il jouer des dissensions tribales.

Le statut divin  qui est apparemment le leur permet aux Espagnols de pénétrer sans coup férir à Tenochtitlan (1520) où ils sont les hôtes de MOCTEZUMA. Mais conscients de la fragilité de leur posture et mesurant à quel point ils sont vulnérables, si peu nombreux au sein d'une cité lacustre aux accès faciles à interdire, CORTÈS et ses compagnons s'emparent de MOCTEZUMA qui, subjugué, se laisse emmener dans les quartiers dévolus aux Espagnols. C'est alors qu'on apprend que le gouverneur VELASQUEZ a envoyé un millier d'hommes pour s'emparer de CORTÈS. Celui-ci réagit immédiatement et, laissant une petite garnison commandée par ALVARADO, un de ses lieutenants, parvient à s'emparer du chef de l'expédition punitive et retourne les troupes de ce dernier en leur promettant un riche butin.

Au retour, CORTÈS retrouve Tenochlitlan en pleine insurrection. Son lieutenant ALVARADO a pris l'initiative de frapper le premier afin, selon lui, de prendre les devants d'une sédition. MOCTEZUMA, en cherchant à ramener la concorde, est lapidé par les Aztèques. La situation des Espagnols devient intenable. On se décide à faire retraite. Celle-ci est opérée dans des conditions désastreuses au cours de ce que les Espagnols ont dénommé la noche triste.

Quelques jours plus tard, les Astèques, très supérieurs en nombre, veulent anéantir la troupe réduite de moitié de CORTÈS. Mais celui-ci, acec quelques cavaliers, réussit à tuer le chef adverse, ce qui provoque la fuite des Aztèques.

La bataille d'Otumba (1520), en soi une bataille médiocre où CORTÈS bénéficie de l'effet de surprise causé par l'apparition de sa cavalerie (les Aztèques ignore le cheval) doublé d'une supériorité technologique très forte (épées d'acier, armes à feu), est considérée comme la plus remarquable des victoires de CORTÈS. En fait, la bataille est doublement asymétrique : Alors que les Espagnols luttent pour tuer, les Aztèques s'efforcent de seulement les neutraliser... (en vue tout de même de les offrir en sacrifice...)

Tandis qu'une épidémie de variole provoquée par des éléments de la force punitive envoyée par le gouverneur VELASQUEZ ravage Tenochtitlan, CORTÈS ne s'avouant pas vaincu réorganise ses troupes, reçoit des renforts et se prépare pour une nouvelle expédition.

En mai 1521, le siège est mis devant la capitale aztèque. L'originalité de la stratégie utilisée par CORTEZ consiste à avoir combiné opérations terrestre et lacustre. En effet, grâce à une flottille de brigantins acheminés en pièces détachées à dos d'homme, CORTÈS peut imposer un blocus à Tenochtitlan. Après un très dur siège de près de trois mois, la capitale aztèque, affamée, tombe. La conquête a duré dix-huit mois.

Bien que gratifié du titre de marquis, CORTÈS est rapidement éloigné du Mexique et se trouve de moins en moins bien en cour en Espagne. Politique avisé, CORTÈS est un excellent stratège, un habile tacticien et un chef de guerre dans la tradition héroïque. Il est par ailleurs, l'auteur des Lettres de relation, rédigées dans une belle prose sobre où il démontre ses talents de diplomate. (BLIN et CHALIAND)

 

Un tacticien et stratège habile qui profite bien des circonstances et un bâtisseur de villes

     Après 1519, la vie de CORTÈS se confond avec l'histoire de la conquête du Mexique : il y manifeste une habileté politique et des talents militaires hors pair. Il impose, dès les premiers contacts avec les Mayas du Yucatan, sa stratégie : négocier avec les Indiens, s'interdire tout pillage (ce qui est l'occasion de heurts avec des lieutenants de ses propres troupes) et ne livrer combat que contraint. C'est là que sa bonne fortune lui fait rencontrer, parmi les captives que lui offre un cacique, une Indienne de langue mexicaine, la célèbre dona MARINA, ou MALINCHE, qui devient sa maîtresse, son interprète et sa conseillère.

C'est en débarquant sur les plages de Cempoala, le 21 avril 1519, que CORTÈS donne aux événements l'impulsion décisive. Il y reçoit les envoyés de MOCTÉZUMA, et se fait une idée plus exacte de la richesse et de la puissance de l'empire aztèque. Il comprend aussi, en s'alliant avec le cacique totonaque du lieu, que les peuples tributaires, mal soumis, ne demandent qu'à secouer le joug de Tenochtitian et décide de s'appuyer sur eux pour entreprendre la conquête du pays tout entier. Enfin, il s'émancipe de la tutelle de VELASQUEZ par une adroite manoeuvre : il inspire à la majorité de ses hommes la décision de fonder une cité, la Villa Rica de la Vera Cruz, dont la municipalité, usant des privilèges traditionnels des villes de Castille, lui confère le titre de capitaine général et le droit de justice. Quoique fictive, cette fondation donne à sa rébellion un semblant de légalité et lui permet de plaisir sa cause devant la cour d'Espagne, où il envoie aussitôt des représentants munis de riches présents. Pour empêcher la désertion possible des partisans de VÉLASQUES et montrer à ses hommes qu'ils n'ont de salut que dans la victoire, il fait désarmer et saborder (en partie) ses vaisseaux. Puis il entreprend de gagner le haut plateau mexicain et d'atteindre la capitale de l'Empire aztèque : les efforts de MOCTÉZUMA pour l'en dissuader n'avaient fait que le fortifier dans son projet.

Dans toute cette entreprise de conquête, CORTÈS met en oeuvre la reconstitution fréquente de ses troupes avec des aventuriers venus des Antilles et des auxiliaires indiens, mettant en oeuvre tout l'art ibérique de sièges des villes. Cet art consiste à en faire le blocus, à affamer la population : après un siège de trois mois, Tenochtitlan est pratiquement entièrement détruite, sa population décimée, notamment en raison d'une épidémie. Après la chute de la capitale de l'Empire aztèque et la capture de CUAUHTÉMOC, neveu de MOCTÉZUMA, toute résistance organisée prend fin. De simples promenades militaires suffisent alors aux Espagnols pour soumettre, en 1522-1523, tout le sud et l'ouest du Mexique.

  CORTÈS organise le territoire conquis aussitôt la victoire acquise. Il fait rebâtir Mexico et s'appuie que les autorités indigènes traditionnelles pour gouverner le pays. Il distribue des encomiendas à ses compagnons déçus par la modicité de leur part de butin et se préoccupe de l'évangélisation des Indiens. il réussit à se faire confirmer par CHARLES QUINT dans ses fonctions de gouverneur de la Nouvelle-Espagne. Mais sa malheureuse expédition au Honduras contre un de ses lieutenants révoltés (1524-1526) - au cours de laquelle il fait exécuter CUAUHTÉMOC - laisse le champ libre à ses ennemis. Après avoir rétabli l'ordre à Mexico, il part se justifier en Espagne : on l'accuse, entre autres méfaits, du meurtre de sa femme et de l'empoisonnement de plusieurs envoyés royaux. CHARLES QUINT doit cependant lui conférer le marquisat "del Valle de Oaxaca" et des droits seigneuriaux sur les plus riches provinces du Mexique ; mais il ne lui laisse pas le gouvernement de la Nouvelle-Espagne, confié à une audience (1527), puis à un vice-roi (1535).

De retour au Mexique en 1530, après s'être allié par un nouveau mariage à la grande noblesse espagnole, CORTÈS se consacre, en homme d'affaires entreprenant et avisé, à l'exploitation de ses domaines : moulins à sucre, élevage, mines d'or et d'argent. Il est moins heureux dans ses tentatives d'exploration du Pacifique : les escadres qu'il finance à grand frais ne réussissent pas à établir une liaison avec les Moluques. Du moins, il met et fait mettre à son actif la découverte de la péninsule de Californie (1534-1535).

Les mauvaises relations de CORTÈS avec le vice-roi et l'audience, et les multiples procès dans lesquels il se trouve engagé, le décident à retourner en Espagne (1540). Il y vit alors en grand seigneur et prend part à la malheureuse expédition de CHARLES QUINT contre Alger. Mais la Cour ne lui rend pas le rôle politique qu'il prétend jouer au Mexique : de là, peut-être, la légende des persécutions et de la pauvreté qui auraient marqué ses dernières années. Alors qu'il se prépare à regagner la Nouvelle-Espagne, il meurt près de Séville. (Jean-Pierre BERTHE)

 

Herman CORTÈS, Lettres de relation, Paris, 1969. Un très long extrait de La Conquête du Mexique, rédigé par Hernan CORTÈS, traduit par Désiré CHARNAY en 1896, publié aux éditions La Découverte (1982), est disponible dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1990.

Savador de MADARIAGA, Cortès, Patis, 1962. C. DUVERGER, Cortès, Fayard, 2001. 

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Jean-Pierre BERTHE, Hernan Cortes, dans Encyclopedia Universalis.

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16 février 2018 5 16 /02 /février /2018 14:06

     Jacques de BOLLARDIÈRE, officier général de l'armée française, combattant de la Seconde Guerre Mondiale, de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie, est un des figures de la non-violence en France.

 

Une carrière militaire brillante

   Après ses études secondaires, il rejoint le Prytanée national militaire de La Flèche, et entre ensuite en 1927 à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, où il fait de LYAUTEY son idole. Il est issu d'une famille de militaires de longue date.

 Élève indiscipliné et devant redoubler, il sort de Saint Cyr avec seulement le grade de sergent-chef (alors qu'habituellement les élèves sortent de Saint-Cyr au minimum avec le grade de sous-lieutenant), et est affecté en Corse puis en Algérie. C'est qu'il n'aime pas ces traditions militaires et surtout la glorification de la guerre, avec tout son décorum. Il est largement rétif aux devoirs de désobéissance aveugle.

 Il participe à la Seconde guerre mondiale, dans la campagne de Norvège. A la débâcle, il rejoint les Force Françaises Libres et a l'honneur, avec le général De GAULLE, d'être condamné à mort par le régime de Vichy. Il s'illustre dans les campagnes de novembre 1940 au Gabon, puis en Erythrée, puis à diverses autres campagnes militaires, avant de rejoindre en octobre 1943, le BCRA où il commande la mission "Citronelle" qui doit organiser le maquis des Manises dans les Ardennes. Lorsqu'il arrive au maquis pour y introduire entre autres des armes, il constate l'existence d'une autre résistance des paysans à l'occupant, non armée mais efficace notamment sur le plan de l'aide aux réfugiés ou aux évadés.

  Lorsque ce maquis subit un sanglant revers, il rejoint la brigade SAS, qui saute sur la Hollande en avril 1945 aux arrières de l'ennemi pour saboter ses communications et attaquer ses Postes de Commandement.

Jacques de BOLLARDIÈRE est à la Libération, l'un des Français les plus décorés de la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, il est promu lieutenant-colonel et en 1946 il est débarqué à Saïgon avec le corps expéditionnaire français en Extrême-Orient. Il rentre en France en 1948, puis commande les troupes aéroportées en Indochine de 1950 à 1953. 

Lors de ce commandement, il se prend de sympathie pour le peuple vietnamien et commence à avoir de la répugnance envers cette guerre. C'est qu'il comprend les parallèles que l'on peut faire entre la lutte pour la Libération du peuple français en 1940-1945 et celle du peuple vietnamien. Déjà qu'il ne participait pas à l'esprit de revanche qui animait la haute hiérarchie de l'armée française sur sa défaite humiliante de 1940. Par ailleurs, les conditions de déploiement des troupes françaises, sans compter celles de ses transports (dans des cargos!) de France au VietNam (témoignage familial de l'auteur de l'article), pitoyables pour le moins, avaient déjà de quoi faire réfléchir...

Affecté au Centre des Hautes Études Militaires en octobre 1953, puis à l'École de guerre, où il enseigne la tactique des troupes aéroportées, il prend la tête de deux brigades en Algérie en juillet 1956. En décembre de la même année, il est promu général de brigade, alors le plus jeune général de l'armée française. Il exprime très tôt ses appréhensions vis-à-vis de la guerre en Algérie. Il a alors sous son commandement le lieutenant de réserve Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER (JJSS) qu'il autorise à circuler partout en Algérie et à entretenir des contacts avec des journalistes. Il met l'accent, au poste qu'il occupe, l'accent avant tout sur l'action sociale au détriment de la lutte contre les troupes rebelles. Il retrouve là l'esprit de LYAUTEY et de sa doctrine sociale du soldat. 

 

Une action militante non-violente

C'est alors que en raison de la dégradation de la situation dans le secteur dont il a la charge que le général MASSU diligente une enquête qui montre à la fois l'inefficacité de la répression dans ce secteur et la mauvaise tenue des troupes. Il demande à être relevé de son commandement en raison du manque de moyens - fait général dans toute la colonie, la métropole ayant toute sa reconstruction à effectuer... - et de la structure de la hiérarchie qui le place sous les ordres de MASSU.

       Ce n'est qu'à son retour en France qu'il s'exprime publiquement au sujet de la torture à l'occasion de la sortie du lire de JJSS, Lieutenant en Algérie. Auparavant seulement très connu des milieux militaires, il entre en pleine jour pour le grand public. Il faut dire que c'est sur l'insistance de ses camarades proches qu'il le fait, car il n'aime pas se produire en public.

 Sa prise de position retentissante lui vaut une sanction de 60 jours d'arrêt de forteresse, en avril 1957. C'est qu'il n'est pas complètement isolé dans l'institution militaire et beaucoup d'officiers, soit par répugnance du système colonial, soit parce qu'ils partagent ses convictions chrétiennes, et les autorités craignent toute contagion. Jacques de BOLLARDIÈRE ne cache pas ses sentiments sur l'analogie entre les méthodes nazies sous l'occupation et les pratiques de la torture pendant la guerre d'Algérie. Même s'il est le seul officier supérieur à s'être exprimé ouvertement contre ces pratiques, un certain nombre d'officiers subalternes partagent ses points de vue. De plus, il n'est pas le seul officier supérieur qui s'exprime publiquement ; même s'il est alors dans la réserve, le général Pierre BILLOTTE refuse également toute forme de torture. 

Cela ne met pas fin à sa carrière militaire, car, bénéficiant du soutien de Gaston DEFERRE, il est nommé adjoint du général commandant supérieur des forces armées de la zone de défense AEF-Cameroun, puis à Conblence, en Allemagne, des postes honorifiques qui l'éloigne du commandement. Il démissionne au moment du putsch des généraux (avril 1961), n'ayant pu obtenir de poste en Algérie comme il le souhaitait. Ne voulant pas être complice d'une aventure totalitaire qui a réellement ébranlé la nation, Jacques de BOLLARDIÈRE opère un tournant radical dans sa vie.

Sa rencontre en 1970 avec Jean-Marie MULLER accentue son inclination de gauche et pacifiste. Il devient un membre actif du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) avec sa femme Simone. Il participe au mouvement de défense du Larzac menacé par l'extension du camp militaire. Il participe en 1973 à la campagne contre les essais nucléaires, notamment sur son voilier, le Fri. C'est l'aventure du "commando Bollardière" en compagnie de Jean TOULAT, jean-Marie MULLER et Brice LALONDE. Il participe ensuite à différentes luttes sociales dans les années 1970. 

C'est dans ces années qu'il fait publier coup sur coup trois ouvrages, Bataille d'Alger, bataille de l'homme (1972), La Bataillon de la paix (ouvrage collectif) (1974) et La Guerre et le désarmement (1976).

Président de l'association Logement et promotion sociale de 1968 à 1978, il est également membre d'associations régionalistes bretonnes et théoricien de la défense civile non-violente. Lors de sa participation aux cessions de formation organisées notamment par Le Cun du Larzac, il impressionne toujours pas ses propos et son calme; "Cette cause du Larzac est la mienne, disait-il, devant un auditoire de 50 000 personnes au Rajal du Larzac, l'un de ces nombreux rassemblements qui eurent lieu alors, Je suis opposé à l'extension du camp. D'abord parce que la décision a été prise en dehors de toute démocratie. Ensuite parce que le choix qui a été fait est mauvais. Aucun pays n'a de véritable défense nationale s'il na pas l'adhésion de la population, et surtout celle de sa jeunesse". 

   Ses combats ont fait l'objet de plusieurs ouvrages et d'au moins deux films (Général de Bollardière, d'André GAZUT et Pierre STUCKI, de 1974 et Un combat singulier, documentaire de 52 minutes de Xavier VILLETARD, en 2004). 

 

Jacques Pâris de BOLLARDIÈRE, Bataille d'Alger, bataille de l'homme, Éditions Desclée de Brouwer, 1972 ; Le Bataillon de la Paix (ouvrage collectif), Éditions Buchet-Chastel, 1974 ; La Guerre et le désarmement, Paris, 1976. 

Roger BARBEROT, Malaventure avec le général Pâris de Bollardière, Plon, 1957. Jean TOULAT, Un Combat pour l'homme, Le général de Bollardière, Éditions du Centurion, 1987 ; Combattants de la non-violence, De Lanza del Vasto au Général de Bollardière, Cerf, 1983. Vincent ROUSSEL, Jacques de Bollardière : de l'armée à la non-violence, Desclée de Brouwer, 1997. Jessie MAGANA, Général de Bollardière, non à la torture, Actes Sud, 2009.

 

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8 février 2018 4 08 /02 /février /2018 09:12

           Engagé très tôt dans le syndicalisme (il est employé dans une compagnie des chemins de fer), Jean GOSS, militant français de la non-violence, donne une impulsion indéniable à la non-violence évangélique, dans un rapport constant d'interpellation des Églises.

      Prisonnier dans un camp après la défaite de 1940, s'étant rebellé contre le système il est condamné à mort et sauvé in extrémis (par le chef de camp bouleversé par son témoignage de foi), se réfugiant chez un pasteur. Juste après la Libération, après une expérience de soldat qui lui fait prendre conscience "qu'il n'a pas tué Hiltler, mais des hommes comme lui, des pères de famille et des ouvriers qui n'avaient pas demandé cette boucherie", il décide de s'engager avant tout (même une activité professionnelle) pour "vivre et et faire découvrir cet amour" qui ne le quitte plus.

    Dès cette époque, il cherche à entrer en contact avec les catholiques et leurs responsables pour leur prêcher la non-violence, jusqu'au Saint-Office à Rome en 1950 où il se fait expulser. Il excède tellement les autorités religieuses qu'elles lui indiquent qu'il existent des protestants! Il adhère alors au Mouvement International de la Réconciliation (MIR). En même temps qu'il interpelle les autorités religieuses, il s'engage dans l'objection de conscience en renvoyant en 1948 ses papiers militaires et ses décorations, dans la lutte pour la construction de logements sociaux et les luttes syndicales à la SNCF au point de devenir un des leaders parisiens de la grève de 1953 et.. de se faire exclure du syndicat pour jusqu'au-boutisme, et ne plus il est présent à la même époque dans un congrès de Pax Christi. Autant dire qu'il dépense de sa personne sans compter. Il participe alors à diverses rencontres de paix en Europe de l'Est (Budapest 1953, Varsovie 1956, Moscou 1957, Prague 1958).

    Il épouse Hildegarde MAYR en 1958 et prend assez vite sa retraité anticipée des Chemins de fer. L'activité du couple booster la dynamique qu'ils engageaient alors séparément : Suivant Vatican II en 1962, auquel ils fondent beaucoup d'espoir, ils partent vivre en Amérique Latine, en Brésil (1964-1965) puis au Mexique (1970-1971) où ils participent au vaste mouvement théorie et pratique de la théologie de la libération. Parallèlement, ils donnent des conférences et séminaires sur la non-violence dans divers pays touchés par la guerre ou la violence. Ils  préparent et accompagnent en 1986 la révolution non-violente des Philippines en 1986. Jean GOSS s'éteint en pleine activité alors qu'il devait partir le lendemain du Zaïre pour Madagascar.

     Membre pendant des années, avec son épouse Hildegarde, du Conseil international du MIR, puis vice-président, Jean GOSS prêche jusqu'au bout la non-violence évangélique, souffrant que son Eglise et les autres Eglises chrétienne soient si hésitantes à la prêcher à leur tour. Armé d'une grande patience, il prend tout son temps pour dialoguer avec leurs responsables et une de ses grandes fiertés est d'avoir organiser pour les évêques d'Amérique Latine à Bogota en 1977 un séminaire sur la non-violence.

    Infatigable prêcheur, il entraine avec lui sans son sillage nombre de futurs militants et associations de la non-violence. Le MIR continue de s'inspirer de lui, spécialement les branches française et suisse. Titulaire de nombreux prix de la paix, il fait l'objet en 1993 à Paris d'un Colloque, dont les Actes ont été publiés en 1995. 

Jean GOSS et Hildegard GOSS-MAYR et MIR, une autre révolution : violence des non-violents, Cerf, 1969 ; avec Jean LASSERRE, Une révolution pour tous les hommes, Toulouse, Centre d'information pour l'ouverture au tiers-monde, 1969 ; Evangiles et luttes pour la paix : séminaire d'entrainement à la non-violence évangélique et ses méthodes d'engagement, Les Bergers et les Mages, 1989.

Jean GOSS, témoin de la non-violence, MIR, 1993. Actes du Colloque Jean Goss du 30 octobre 1993, Paris, MIR, 1995. Gérard HOUVER : Jean et Hildegarde GOSS : la non-violence, c'est la vie, Cerf, 1981. Hildegard GOSS-MAYR : Oser le combat non-violents : aux côtés de Jean Goss, Cerf, 1998. Hildegard GOSS-MAYR et Jo HANSSENS, Jean Goss, Mystique et militant de la non-violence, Fidelite Eds, décembre 2010. 

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