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1 janvier 2021 5 01 /01 /janvier /2021 15:22

  Ouvrage somme en trois tomes et quatre volumes sur les débuts du capitalisme, Le premier âge du capitalisme, revisite à très grands frais la théorie économique marxiste, ou du moins la conception marxiste des débuts du système capitaliste.

Alain BIHR (né en 1950), sociologue français déjà auteur de nombreux ouvrages, se réclamant du communisme libertaire, est membre du laboratoire de sociologie et d'anthropologie de l'université de Franche-Comté, est connu également pour son étude de l'extrême droite française (en particulier du Front National) et du négationnisme (dirigeant un important collectif intitulé Négationnistes : Les chiffonniers de l'histoire, de 1997). Ses travaux portent principalement sur le capitalisme et précédant cette grande étude, il avait déjà publié en 2006, La préhistoire du capital. le devenir-monde du capitalisme, volume 1, Lausanne, aux Éditions Page Deux.

   Dans cet ouvrage, disponible en ligne sur le site Les classiques en sciences sociales (uqac), il dressait les contours de ses concepts d'analyse du capitalisme et de sa naissance.

"Le devenir-monde du capitalisme? écrivait-il. L'expression aura sans doute surpris et intrigué le lecteur. Qu'il se rassure : il en trouvera l'explication et la justification dans les pages suivantes. Pour l'instant, je me contenterai d'indiquer qu'elle vise à démarquer d'emblée mon propos de la grande masse des publications ayant porté, depuis près d'un quart de siècle, sur "la mondialisation" ou "la globalisation". Non seulement le champ sur lequel je me propose de me pencher diffère tant par son étendue spatiotemporelle que par son contenu social de celui couvert par ces publications ; mais encore et surtout la grille d'analyse qui en constitue le fonds théorique tourne radicalement le dos aux présupposés sous-tendant la quasi-totalité des ouvrages consacrés jusqu'à présent à "la mondialisation". C'est donc la critique de ces présupposés qui va me servir de point de départ."

Ces présupposés, au nombre de trois, se retrouvent communément, sous des formes très variables d'un ouvrage à l'autre :

- "la mondialisation" daterait des années 1970, au mieux des années 1960, alors qu'en fait cette "mondialisation" n'est que la dernière phase d'un processus déjà vieux de 5 siècles ;

- Sans ignorer les travaux de Fernand BRAUDEL, d'Emmanuel WALLERSTEIN, d'Eric HOBSBAWN, ni ceux de Samir AMIN, Michel BEAUD ou de Philippe NOREL, ou encore les travaux plus anciens de Max WEBER ou de Werner SOMBART, Alain BIHR propose de montrer que contrairement à eux qui ont tendance à ne voir dans la constitution du capitalisme que le résultat d'un développement économique, le capitalisme en est aussi la condition préalable. "Ils n'ont pas su comprendre le monde capitaliste comme une condition que ce même devenir a transformé en résultat au fur et à mesure où il l'a confortée." Il se propose de montrer que le parachèvement des rapports capitalistes de production, aboutissant à leur essor à partir de la "révolution industrielle" qui se produit dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, n'aurait jamais été possible sans une première période et forme du devenir-monde du capitalisme que constitue l'expansion commerciale et coloniales européenne du XVIe au XVIIIe siècle, constitutif de ce qu'il appelle le protocapitalisme mercantile. Ce colonialisme et cette expansion européenne est la condition de la formation d'un ensemble structurel curieux, fait d'homogénéisation, de fragmentation et de hiérarchisation.

- Le troisième présupposé consiste à réduire "la mondialisation" capitaliste à un phénomène principalement, voire exclusivement, économique, alors "qu'on pressent pourtant qu'elle met en jeu l'ensemble des niveaux et des dimensions du capitalisme."  Il s'agit au contraire d'analyser le devenir-monde du capitalisme comme mode de production (comme totalité sociale, comme forme ou genre de société globale) et non pas comme devenir-monde du seul capital comme rapport de production. Un défaut d'articulation est à l'origine de bien des difficultés, même dans la théorie marxiste de l'État.

"Dépasser les limites ordinaires des analyses actuelles de "la mondialisation" exige tout à la fois d'en rappeler et d'en explorer la dimension du devenir historique ; d'expliquer inversement la permanence d'un monde capitaliste, à la structure homogène/fragmentée/hiérarchisée si singulière, comme présupposé de ce devenir que celui-ci n'a fait qu'élargir et approfondir ; et de saisir que ce qui se "mondialise" ainsi n'est pas seulement le capital comme rapport de production mais le capitalisme comme mode de production."

   Pour se familiariser avec la vision de l'auteur, on ne peut que conseiller de relire ce premier ouvrage, ou au moins (car c'est déjà - très - consistant!), sa conclusion Où en est-on à la fin du Moyen-Age européen? On voit clairement l'interpénétration des modes économiques féodaux, hérités des habitudes héritées de l'Empire Romain et du Monde germanique, avec certaines formes de capitalisme, véritables essais et erreurs - menant à des dépressions économiques importantes alternant des périodes de brusques prospérité - de mise en oeuvre du capital dans des structures qui parfois s'y opposent frontalement...

   L'Introduction de Le premier âge du capitalisme, au Tome 1, sur l'expansion européenne, donne l'occasion à l'auteur de reprendre son projet d'historien, en 7 points, dont le premier reconduit ce qu'il écrivait déjà dans La préhistoire du capital. "... je me suis efforcé de montrer que, de tous les modes de production auxquels le devenir historique des sociétés humaines a pu donner naissance, le féodalisme, tel qu'il s'est formé en Europe à la fin du premier millénaire et dans l'archipel nippon dans le cours de la première moitié du second millénaire, est le plus favorable, à la limite le seul favorable, à la formation de ce rapport de production, même si cette dernière continue à s'y heurter à de nombreux obstacles qui en limitent le développement, tant quantitativement (dans l'étendue, le rythme et le volume de l'accumulation du capital) que qualitativement (dans les formes qu'il peut prendre)."

"En somme, selon la formule consacrée, si le féodalisme a constitué une condition nécessaire à la formation du capital comme rapport social de production, il n' en a pas assuré la condition suffisante : il ne lui a permis ni de se parachever comme rapport social de production ni, surtout, de mettre en situation de commencer à subordonner l'ensemble des rapports, des protiques et des acteurs sociaux aux nécessités et possibilités de sa reproduction comme rapport de production, en un mot de donner naissance à ce que depuis Marx on nomme le mode de production capitaliste." "L'objet du présent ouvrage est précisément d'établir que cette condition suffisante a été fournie par l'expansion commerciale et coloniale de l'Europe occidentale, qui début à la fin du Moyen Âge et s'est poursuivie durant tous les temps modernes, pour reprendre la périodisation classique, et qui a abouti à la formation d'un premier monde capitaliste centré sur l'Europe occidentale, un monde que cette dernière entend diriger et ordonner en fonction de ses intérêts propres."

Ses deuxième et troisième points constituent un survol de la littérature disponible pour un tel projet, qui dépasse largement les mille références fournies à la fin du tome 3. C'est l'occasion de reprendre les réflexions déjà signalées de SOMBART, WEBER, de MARX lui-même, notamment de la dernière section du Livre 1 du Capital, de WALLERSTEIN, de BRAUDEL, dont il salue le maître ouvrage Civilisation matérielle, économie et capitalisme de 1979. C'est là où également, il se distancie nettement d'approches contemporaines de la world history (apparue dans les années 1980 aux États-Unis) comme de la global history, qui notamment dans un souci de briser un européo-centrisme en viennent à oublier le rôle historique central de l'Europe dans la formation du capitalisme mondial. Son quatrième point complète le champ de ses références, le titre même de son ouvrage étant un clin d'oeil appuyé à l'oeuvre d'Ernst MANDEL, notamment à son Troisième âge du capitalisme. S'il tire nombre de ses réflexions de la littérature académique allemande, notre auteur connait les difficultés de transposition en Français de nombre de concepts, et préfère d'emblée expliquer clairement ce qu'il a pu en tirer dans une terminologie familière à un public francophone pour éviter certains pièges de langage.

Dans un cinquième point, il justifie la délimitation chronologie de ce premier âge du capitalisme. C'est avec les premières expéditions maritimes des Portugais et des Espagnols à partir du XVe siècle que l'Europe occidentale amorce son expansion commerciale et coloniale en direction des Amériques, de l'Afrique et de l'Asie. C'est avec la prise de Ceuta par les Portugais en 1415 que se consolide la première voie de cette expansion. De même, c'est avec la double victoire des Britanniques à Plassey en 1757, dans le cadre de la guerre de Sept Ans (1756-1763), et à Buxar en 1764 sur les troupes bengalo-mogholes que l'on peut dater la clôture de la période protocapitaliste. Car cette double victoire va leur ouvrir la voie, dans le cours de la décennie suivante, de la conquête et de la colonisation de la plaine indo-gangétique qui constitue l'acte inaugural de l'expansion commerciale et surtout coloniale de l'Europe, dont le gros ne déferle cependant sur l'ensemble du monde qu'au cours du siècle suivant. Les années 1760 sont bien une période charnière du développement du procès global de reproduction du capital? C'est en fonction de ce procès, de sa structure interne, du poids relatif de ses différents moments et de leur évolution, que l'auteur développe son argumentation dans la formation de cette économie-monde, dans les débuts de cette révolution industrielle, sous l'impulsion également des États qui se structurent tout au long de cette période. La révolution industrielle est permise par l'hégémonie britannique sur une partie du monde, et cette hégémonie est permise également, dans un processus dynamique qui s'accélère sur le long terme par cette révolution industrielle. On ne peut pour Alain BIHR penser l'un sans l'autre. Il estime également qu'une autre date aurait pu être retenue, qui achève cette première période historique : 1776, à la fois date de la proclamation américaine d'indépendance qui marque le début de la fin de l'hégémonie de l'Empire britannique et de la parution de l'ouvrage d'Adam SMITH, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, qui opère une révolution intellectuelle et jette les bases du libéralisme, opposé au mercantilisme, qui domine durant la période protocapitaliste.

Son sixième point concerne l'exposition de ce processus, la mise en ordre d'un énorme matériau historique s'étalant sur trois siècles en demi et sur la totalité des formations sociales et spatiales de la planète. Trois options se présentent : un plan chronologique, distinguant les différentes phases du développement du protocapitalisme mercantile, un plan géographique passant en revue les différentes formations socio-spatiales impliquées, un plan thématique, analysant les principaux éléments constitutifs remarquables de ce processus. Chacune a le défaut de polariser l'attention sur un des aspects de ce développement. Aussi l'auteur choisit de partir de là où le processus a pris naissance, de l'Europe. Le premier tome de l'ouvrage déploie tout le panorama de cette expansion , de ses formes et conditions, péripéties et résultats. Il insiste sur les rapports d'exploitation et de domination que les Européens ont déployés pour chercher à périphériser les formations sociales avec lesquelles ils sont entrés en contact, à les réorganiser en les instruentalisant au service de leur propre devenir protocapitaliste, en n'omettant pas de mentionner les obstacles et résistances auxquels ils se sont heurtés dans cette entreprise, ni combien celle-ci les a constamment dressés les uns contre les autres. Le second tome s'efforce de montrer comment, dans le cadre et sur la base de cette expansion, au sein de cette Europe occidentale qui en a été l'actrice en même temps que le bénéficiaire, le protocapitalisme mercantile a pu y prendre forme, à savoir :

- Comment les rapports capitalistes de production ont pu s'y parachever par la croissance (accumulation) et le développement du capital marchand ; par la formation d'un protoprolétariat ; par les avancées du capital industriel sous des formes manufacturières mais aussi automatiques ; par l'évolution des marchés vers des formes spécifiquement capitalistes ; le tout soutenu par la mise en oeuvre de politiques mercantilistes ;

- Comment la segmentation et la hiérarchisation sociales ont évolué des ordres vers les classes sociales, parmi lesquelles la bourgeoisie et ses différentes fractions, dont les alliances, compromis, rivalités et luttes avec l'aristocratie nobiliaire, pour l'exercice du pouvoir donneront naissance à l'absolutisme, mais aussi, quelquefois, aux premières révolutions bourgeoises.

- Comment cela s'est accompagné de la formation d'un type nouveau d'État, original tant par sa forme de pouvoir public impersonnel que par sa structure en système d'États.

- Comment enfin l'Europe occidentale a ainsi donné naissance à ce que l'on nomme habituellement la modernité dont seuls quelques moments (la Réforme, la Renaissance, les Lumières, l'émergence de l'individualité autonome) seront retenus par l'auteur.

Le troisième tome peut montrer comment de de double processus est né un premier monde capitaliste, avec sa structure caractéristique faite à la fois d'homogénéisation économique et culturelle tendancielle, de fragmentation en unité politiques rivales et de sévère hiérarchisation entre :

- un centre limité à l'Europe occidentale, au sein duquel n'ont cessé de s'affronter celles des puissances européennes qui, tour à tour, ont pris la tête de l'expansion européenne et ont cherché à s'assurer la prédominance en Europe même, animant ainsi une lutte féroce pour l'hégémonie au sein du système des États européens, dont l'enjeu fondamental aura été l'appropriation des bénéfices de l'expansion commerciale et coloniale et de la dynamique protocapitaliste à laquelle elle a donné naissance ;

- une semi-périphérie constituée de toutes les puissances européennes qui ne sont pas parvenues à intégrer le cercle restreint des puissances centrales ou à s'y maintenir, subordonnées au devenir protocapitaliste de ces dernières et néanmoins mêlées le plus souvent à titres d'alliées à leurs luttes pour l'hégémonie ;

- un vaste ensemble de formations disséminées sur les continents américain, africain et asiatique, constituées ou remodelées par l'expansion commerciale ou coloniale de l'Europe occidentale dans un statut périphérique ;

- tout le restant de la planète et de l'humanité se maintenant en marge de ce premier monde capitaliste, soit littéralement terrae incognitae pour lui, soit déjà en butte à son expansion mais encore en capacité de lui résister.

   L'auteur a mise 12 ans à rédiger cet énorme ouvrage  et a dû se livrer à des efforts dans la présentation de son travail, car le lecteur aussi doit fournir un certain effort pour parvenir à tout assimiler (ce qui n'exclue pas qu'il garde à la fois la vue d'ensemble et qu'il garde son esprit critique!). Aussi il doit voiler quelques règles académiques : réduction drastique des notes marginales, quasi-absence à des renvois à des auteurs tiers, renvoi à la bibliographie qui clôt l'ouvrage de l'ensemble des références, évitement d'entrer directement dans des discussions avec les multiples auteurs ayant discuté des mêmes aspects, à la seule exception de BRAUDEL et de WALLERSTEIN...). Il s'est efforcé également de permettre la lecture séparée des différentes parties de l'ouvrage, le lecteur pouvant très bien éviter de le lire tout entier d'un bout à l'autre, et pour se faire a multiplié les crochets de renvoi à une partie ou une autre pour l'amorce ou le prolongement du texte lu. Enfin, Alain BIHR sait qu'il n'a pu être exhaustif : comme la grande majorité des auteurs marxistes, il a privilégié les processus socio-économiques et socio-politiques. Et réduit à la portion congrue les processus socio-culturels : les aspects artistiques, religieux, philosophiques, scientifiques... Il souhaite avoir fait oeuvre utile mais, l'historiographie étant par essence une discipline évolutive, pense inévitable des erreurs factuelles ou d'interprétation...

   C'est dire que le lecteur se trouve là en face d'un copieux complément au Capital de Karl MARX et Friedrich ENGELS... Mais à l'inverse de cette dernière oeuvre, le premier âge du capitalisme, parait tout de même plus facile à lire (!) et moins heurté (tant les passages théoriques enchainent des descriptions économiques ou sociales), car chacun le sait, les auteurs du marxisme ont eux aussi voulu appréhender l'évolution du capitalisme, même s'il se sont étendu bien plus sur le fonctionnement d'un capitalisme déjà arrivé à une certaine maturité. C'est surtout un ouvrage d'histoire et d'histoire économique, avec un éclairage novateur à cent lieues de ce qui est malheureusement le lot de tout étudiant en économie dans les universités (quoique la situation évolue...). Un ouvrage donc fortement recommandé même pour ceux qui pensent avoir l'histoire économique au bout des doigts...

 

Alain BIHR est également l'auteur de nombreux autres ouvrages, entre autres : L'Économique fétiche. Fragment d'une théorie de la praxis capitaliste (Le Sycomore, 1979) ; Les Métamorphoses du socialisme (Strasbourg, 1986) ; Entre bourgeoisie et prolétariat : l'encadrement capitaliste (L'Harmattan, 1989) ; Le spectre de l'extrême droite : les Français dans le miroir du Front National (Les Éditions de l'Atelier et Les Éditions ouvrières, 1998) ; Le crépuscule des États-nations. Transnationalisation et crispations nationalistes (Lausanne, Éditions Page2, 2001) ; La reproduction du capital Prolégomènes à une théorie générale du capitalisme, 2 tomes (Lausanne, Éditions Page2, 2000) ; La Novlangue néolibérale, la rhétorique du fétichisme capitaliste (Lausanne, Éditions Page2, 2007) ; La Logique méconnue du Capital (Lausanne, Éditions Page2, 2010) ; Les rapports sociaux de classes (Lausanne, Éditions Page2, 2012) ; Dictionnaire des inégalités (Armand colin, 2014)...

 

Alain BIHR, 1415-1763, Le premier âge du capitalisme, tome 1 L'expansion européenne ; tome 2 La marche de l'Europe occidentale vers le capitalisme ; tome 3 Un premier monde capitaliste, en deux volumes, Page 2/Éditions Syllepse, 2018-2019, 694 pages, 805 pages et 1762 pages.

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21 décembre 2020 1 21 /12 /décembre /2020 13:47

   Au risque d'enfoncer des portes maintenant largement ouvertes, sauf pour les faussement ou réellement naïfs, la théorie de l'exploitation de l'homme par l'homme, au coeur de l'explication marxiste de la marche du monde, fait partie du paysage de la philosophie politique comme de la sociologie. Dans l'écheveau des coopérations et des conflits, la réalité de cette exploitation et de sa prise de conscience, marque malheureusement la vie des habitants de cette planète. Pour beaucoup d'ailleurs, l'exploitation est la condition sine qua none de la coopération et pour d'autres qui en combattent les multiples formes, c'est l'arrêt de cette exploitation qui laisse la voie ouverte à la vraie justice et à la vraie paix entre les êtres de l'espèce humaine.

 

La théorie de l'exploitation au coeur de l'oeuvre économique de Karl MARX et Friedrich ENGELS

   Comme l'écrit Jean-Pierre DURAND, on peut dire que MARX (mais toujours lorsqu'on cite MARX, on cite aussi ENGELS) cherche à démontrer l'exploitation de la force de travail, quand d'autres ne font que la constater (THOMPSON, SAINT-SIMON...). Si MARX est réellement l'un des premiers à chercher un démonstration scientifique de l'exploitation de l'homme par l'homme, les prémisses de la théorie de l'exploitation étaient déjà chez RICARDO et chez Adam SMITH.

Selon ce dernier, le capitaliste "n'aurait pas d'intérêt à employer ces ouvriers s'il n'attendait pas de la vente de leur ouvrage quelque chose de plus que ce qu'il fallait pour remplacer ses fonds avancés pour le salaire". Pour que cette intuition se traduise en une théorie, MARX a été conduit à distinguer le "capital constant" (les usines, les machines, les bureaux...) du "capital variable" qui achète la force de travail, laquelle produit plus de valeur qu'elle n'en contient elle-même. C'est ici l'explication du "mystère" de la production du surplus économique dans le capitalisme et de son développement.

La théorie de la plus-value fonde tout l'édifice de l'économie et de la sociologie marxiste. Elle est à l'origine des classes sociales chez MARX, de sa thèse de leur polarisation et de l'appauvrissement de la classes ouvrière. En même temps, la découverte de la "plus-value relative" explique - à l'encontre des prévisions (un peu trop déterministes) de MARX - pourquoi le capitalisme perdure et domine aujourd'hui toute la planète. Cette théorie est omniprésente dans l'étude de la fabrique, du machinisme, de la coopération, de la division du travail, de la "population excédentaire" et plus généralement du développement des inégalités (entre classes, entre villes et campagnes...). Elle sous-tendu aussi l'ensemble des démonstrations sur les contradictions de classe et sur leur nécessaire issue dans le communisme débarrassé de l'exploitation de l'homme par l'homme, selon MARX.

 

De la marchandise à la théorie de la plus-value

 Au moment où le salariat devient dominant, Karl MARX cherche à démontrer que c'est bien le travail salarié des hommes qui produire des profits au capitaliste, alors que dans la presse financière et économique de son époque, l'accent est mis sur la technique des affaires et l'esprit d'entreprise des chefs d'entreprise, capables de faire des "miracles" économiques. Il cherche à mettre à nu le processus au cours duquel une valeur A (avant la journée du travail) donne lieu à une valeur A' (A" étant plus grand que A) après la journée de travail. MARX suit la tendance du moment à utiliser de plus en plus les mathématiques, science dont les financiers capitalistes se disent les plus à mêmes d'utiliser. Cela donne parfois une lecture ardue au Capital, qui contraste avec les descriptions de la condition ouvrière, tirées elles-mêmes des rapports sociaux d'institutions d'assistance, d'écrivains et de journalistes, nombreux dans l'Angleterre et la Nouvelle-Angleterre mais aussi sur le Continent, qui s'y attachent alors.

Pour fonder son analyse, MARX distingue deux types de valeurs dans les marchandises : la "valeur d'usage" et la "valeur d'échange". Pour qu'un acheteur souhaite posséder une marchandise, il est indispensable qu'il lui trouve une utilité, un usage. En même temps, ce qui apparaît utile pour l'acheteur est nécessairement une "non-utilité" pour le vendeur (soit il n'en a pas l'usage, soit il en a trop en quantité). Ainsi, il ne peut y avoir de marchandise qui ne possède pas une quelconque valeur d'usage pour l'acheteur.

Ce qui est marchandise possède une valeur d'échange qui est un niveau ou une "proportion dans laquelle des valeurs d'usage d'espèces différentes s'échangent l'une contre l'autre" (Le Capital, tome 1). Chaque marchandise a une valeur d'échange spécifique. Ceci posé - même si le débat valeur d'usage-valeur d'échange, n'est pas pour autant clos - il s'agit de savoir comment se fixe le niveau de l'échange, entre les différents objets. Selon les économistes classiques que MARX et ENGELS critiquent avec véhémence, la valeur d'échange d'un objet est déterminée par le quantum de travail, ou le temps de travail, dépensé pour sa production. Sachant que l'on se situe à un niveau de raisonnement abstrait (loin d'une "comptabilité réelle", d'où le concept marxien de "travail abstrait", producteur de valeur qui s'oppose au "travail concret", producteur d'utilité), on considère que les hommes malhabiles ou paresseux sont écartés de la production et l'on parle de temps moyen socialement nécessaire à la production des marchandises. De même, s'il existe différentes catégories de travail, du plus complexe au plus simple, MARX propose de ramener une quantité donnée de travail complexe à une quantité plus grande de travail simple.

Toute marchandise renferme une somme de travail humain, la fabrication d'un objet étant la somme de la matière première de ses composants, de l'usure de la machine ramenée à un certain temps de travail, du temps de travail de l'ouvrier réalisant l'objet. Toutes les valeurs d'échange des marchandises peuvent être exprimées en temps moyen de travail socialement nécessaire qui fonctionne alors comme équivalent général de toutes ces marchandises (en laissant de côté pour l'instant au cours de la démonstration la question des prix qui fluctuent au gré de la conjoncture, ainsi que la question de la monnaie, que MARX aborde plus loin). Les rapports entre valeur d'usage et valeur, exemple de la dialectique marxiste, où elles s'opposent et se complètent en même temps, constituent le point de départ de sa réflexion.

Derrière la marchandise existe toujours une force de travail nécessaire pour la créer. Pour le capitaliste, il faut toujours, que sa valeur soit supérieure aux apports qu'il fait lui-même pour créer cette marchandise, que ce soit sous forme de salaires aux travailleurs ou sous forme de machines construites pour la créer, ou encore sous forme de matériaux d'origine... On peut s'interroger sur l'acceptation de l'ouvrier de travailler tant d'heures pour fabriquer cette marchandise, à un salaire inférieur à sa valeur. Il l'accepte parce que la forme phénoménale du salaire masque le surtravail et la production de la plus-value : tout se passe comme si le capitaliste rémunérait la journée de travail dans sa totalité tandis que la mise à nu de cette exploitation a occupé plus de deux générations d'économistes. Le mystère de l'exploitation ayant été élucidé, pourquoi les ouvriers continuent-ils d'accepter cet échange qui leur est défavorable?

Cette acceptation du surtravail repose d'abord sur le fait que les ouvriers ne disposent ni des moyens de production pour produire des marchandises à échanger ni des moyens de subsistance pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, c'est-à-dire pour reproduire leur force de travail. Enfin, les ouvriers se font concurrence et, si une partie d'entre eux accepte l'exploitation, les autres sont bien contraints de l'accepter sous peine de se laisser mourir de faim. D'où la nécessité, pour les capitalistes, d'entretenir une "population excédentaire" afin de favoriser cette concurrence entre ouvriers, en employant des irlandais dans l'Angleterre du XIXe siècle, puis des paysans, des femmes, des immigrés, des enfants (tout au moins au début), dans l'Europe du XXe siècle. On retrouve ici l'importance des conditions d'émergence du capitalisme : disposer de travailleurs libres, dépourvus de moyens de production, et des moyens de subsistance. En fait, cette liberté est d'autant plus pernicieuse que l'ouvrier est contraint de se présenter au capitaliste pour lui vendre sa force de travail puisque "les conditions objectives du travail (moyens de production) et les conditions subjectives de travail (moyens de subsistance) font face à l'ouvrier comme capital et son monopolisés par l'acheteur de la force de travail" (Le Capital).

 

La reproduction du rapport de production capitaliste

  Cette double caractéristique proprement sociologique de liberté de l'ouvrier et de sa dépossession des conditions objectives et subjectives de travail est essentielle pour comprendre la nature du capitalisme et la révolution qu'elle a opéré dans les rapports de production. Ce qu'on entend par libéralisme, en faisant dérivé mentalement et idéologiquement ce mot de la liberté, trouve là un ressort puissant. L'illusion de libération d'un rapport des artisans au maître d'oeuvre, qui est une réelle libération d'ailleurs dans les faits, est aussi l'enfermement des ouvriers dans des rapports de production, dans des situations moins ouvertement de hiérarchie et de soumission, mais bien plus "efficaces" pour les propriétaires des moyens de production.

Par un renversement dialectique dont il est coutumier, MARX souligne l'importance de ces moyens de travail (et de ceux qui les possède) puisque, sans eux, la production de plus-value ne pourrait avoir lieu. C'est ce qu'il exprime le plus clairement dans un chapitre inédit du Capital : "Au sein du procès du travail, ces objets ont pour seule signification d'opérer comme moyens de réalisation du travail, valeurs d'usage du travail ; par rapport au produit, ils sont moyens de production et pour autant qu'ils sont eux-mêmes déjà des produits, ils sont des moyens de créer un produit nouveau. Mais ces objets ne jouent pas ce rôle dans le procès de travail parce que le capitaliste les a achetés ou parce qu'ils sont la forme modifiée de son argent, mais, au contraire, il les achète parce qu'ils jouent ce rôle dans le procès de travail".

Ainsi, parce qu'à la fin de sa journée de travail l'ouvrier se trouve tout autant démuni qu'au début, il est contraint de recommencer l'échange de sa force de travail contre les moyens de subsistance, indispensables à lui-même et à sa famille : alors la reproduction du rapport de production capitaliste est un résultat plus important que la production matérielle des marchandises. Cette reproduction tient au fait que le produit du surtravail n'appartient qu'au capitaliste. Ce dernier, devenu possesseur de la force de travail (capacité de travail) pour un temps donné, utilise la valeur d'usage de la marchandise acquise : c'est-à-dire qu'il lui fait cristalliser du travail (d'autrui) sur les moyens de travail (objet) qui lui appartiennent. Durant toute la journée de travail, l'ouvrier transmet ainsi, à travers son travail, de la valeur à un objet qui appartient au capitaliste. Et il lui transmet cette valeur durant la partie de la journée qui lui est payée, tout autant que pendant la partie de la journée qui ne lui ait pas payée, correspondant au surtravail effectué, moment de la production de la plus-value. La valeur d'usage ainsi créée fait l'objet de la part du capitaliste d'un échange marchand à un vendeur qui n'a que sa force de travail à vendre. C'est bien, contre toutes les circonvolutions de la majorité des auteurs d'économie politique de son époque, à une aliénation que l'on assiste, selon MARX, mais surtout selon tous ses continuateurs. 

     Le procès de production de la plus-value est ainsi un procès d'exploitation, chaque cycle est un processus de valorisation du capital : une somme d'argent A devient A' après l'achat de marchandise M force de travail et sa mise en oeuvre? En résumant ce procès : A-M-A' suivi de A'-M-A", lui-même suivi de A"-M-A'", on signifie bien sûr l'accroissement permanent de A, mais aussi indirectement la nécessité pour cristalliser  du travail sur les conditions objectives de travail possédés par le capitaliste. Autrement dit, la reproduction du rapport capitaliste de production n'est pas seulement une reproduction simple (l'ouvrier sans moyens de subsistance ni moyens de production doit retourner vendre sa force de travail chaque jour), mais c'est aussi une reproduction élargie qui met en oeuvre à chaque fois un capital accru et de nouvelles forces de travail. Le travail ne produit donc pas seulement - en opposition à lui-même et à une échelle sans cesse élargie - les conditions de travail sous forme de capital, lequel produit à son tour sur une échelle toujours élargie, les travailleurs salariés productifs dont il a besoin. le travail produit ses propres conditions de production comme capital et le capital produit le travail, sous forme salariée comme moyen de le réaliser comme capital.

Karl MARX pose très tôt que la production capitaliste n'est pas seulement reproduction du rapport, elle en est la reproduction à une échelle toujours plus large. La croissance du capital va de pair avec l'augmentation du prolétariat : ce sont deux produits jaillissant aux pôles opposés d'un seul et même procès. C'est l'amorce de la thèse de la polarisation des classes sociales à partie de la théorie de la production de la plus-value. A travers l'analyse des différents types de plus-values, il va aboutir à cette théorie qui n'est pas seulement une théorie de l'exploitation de l'homme par l'homme, mais aussi, une théorie de l'exploitation d'une classe sociale par une autre classe sociale.

 

Une vue générale sur l'exploitation

  L'économiste marxiste Guy CAIRE expose qu'au "sens le plus général du terme, l'exploitation caractérise toute situation où des hommes travaillent gratuitement au profit d'autres hommes  : en un sens plus rigoureux on dira que l'exploitation est la production par les travailleurs d'un surproduit accaparé par les propriétaires des moyens de production ; enfin, d'un point de vue technique on définira l'exploitation capitaliste comme l'utilisation par le capitaliste de la force de travail en vue de produire de la plus-value". "Exprimant, poursuit-il, à la fois un rapport économique - l'appropriation du surproduit - et un rapport social - la division en classes sociales - l'exploitation caractérise donc toute société où l'appropriation des moyens de production sépare les hommes en groupes antagonistes." Les formes de l'exploitation évolue dans l'histoire, permettant de distinguer les modes de production esclavagiste, asiatique, féodal, capitaliste.

Notre auteur ajoute que "l'exploitation concerne nécessairement la sphère de la production et que ce n'est qu'un abus de langage que l'analyse économique, de type néo-classique, applique ce terme à toute situation d'injustice ou de spoliation relevant de la sphère de la circulation (revenus, échange), pour caractériser les écarts de prix constatés sir les différents marchés (marchés du travail, des produits, voire des capitaux) par rapport aux pris d'équilibre de la concurrence parfaite."

Comme on l'a vu, l'explication marxiste de l'exploitation découle de la théorie de la valeur. "Sachant que, pour le marxisme, le capital n'est pas une chose en soi mais un rapport social de production qui a d'ailleurs un caractère historique et transitoire et prend la forme illusoire d'un rapport entre objets (les moyens de production) dont il apparaît comme la propriété - ce qui est à l'origine du fétichisme - ses différentes parties constitutives ne jouent pas le même rôle dans le processus de production de la plus-value. Celle qui existe sous la forme de moyens de production ou capital constant ne change pas de grandeur au cours de la production, par contre celle qui est consacrée à l'achat de la force de travail ou capital variable change de grandeur au cours de la production par suite de la création de la plus-value.

La distinction entre capital constant et capital variable, établie par Marx, repose sur la découverte du double caractère du travail incarné par la marchandise et à partir duquel se dégage l'essence de l'exploitation. Comme travail concret et déterminé, le travail ouvrier, le travail ouvrier transmet au produit la valeur des moyens de production dépensés et comme travail abstrait (ou dépense de la force de travail en général), le travail ouvrier crée une nouvelle valeur. Dès lors, le degré d'exploitation de l'ouvrier par le capitaliste trouve son expression dans le taux de plus-value ou rapport, exprimé en pourcentage, de la plus-value au capital variable. Ce rapport montre dans quelle proportion le travail dépensé par les ouvriers se divise en travail nécessaire et en surtravail. L'exploitation peut donc être mesurée concrètement, quoique de façon approximative. Elle est en effet définie par sa grandeur - le temps de travail supplémentaire ou surtravail - et par son degré - le rapport du temps de travail supplémentaire au temps de travail."

Alors qu'une grande partie de la littérature d'économie politique concerne surtout le conflit entre capitalistes sur les marchés des produits ou des moyens de production, les auteurs marxistes, comme Guy CAIRE insiste sur le conflit entre ouvriers et capitalistes dans le partage de la plus-value produite, issue du travail des ouvriers. Tout capitaliste, afin d'accroître la plus-value, cherchera à augmenter la part du surtravail qu'il extorque à l'ouvrier. Marx évoque trois possibilités pour le faire.

- Le premier moyen consiste à allonger la journée de travail, ou, ce qui revient au même, à en accroître l'intensité. Le temps de travail nécessaire restant inchangé, le surtravail s'en trouve accru d'autant. la plus-value en résultant est dite plus-value absolue. Dans les premières phase du capitalisme ce moyen a été largement utilisé, mais l'augmentation de la durée du travail ou l'accroissement de son intensité se heurtent à des limites physiques, liées aux exigences de la reconstitution de la force de travail et à des limites sociales du fait des succès des luttes ouvrières pour la diminution de la durée du travail ou la réduction des cadences.

- Le second moyen consiste, la durée du travail étant inchangée,  à réduire le temps de travail nécessaire, ce qui résulte des progrès de la productivité dans des branches fabriquant des biens de consommation et dans les branches qui fournissent les instruments de production nécessaire à la fabrication des biens de consommation. la durée du surtravail augmente par le fait même que le rapport entre temps de travail nécessaire  et temps du surtravail se trouve modifié, la plus-value en découlant est appelée plus-value relative. Dans la période du machinisme, ce second moyen est largement utilisé.

- Le troisième moyen est la réalisation de la plus-value extra. Celle-ci s'obtient lorsque certains capitalistes introduisent chez eux des machines ou des méthodes de production (taylorisme, fordisme par exemple) plus perfectionnées que celles utilisées dans la plupart des entreprises de la même branche. La valeur individuelle de la marchandise produite par ledit capitaliste se trouve alors être inférieure  à la valeur sociale de cette marchandise, valeur qui résulte des conditions sociales moyennes de production et qui détermine le prix. La plus-value extra est alors cet excédent de plus-value que perçoivent les capitalistes en abaissant la valeur individuelle des marchandises produites dans leur entreprise. Mais la plus-value extra ne peut être que transitoire. Lorsque les nouvelles machines ou les procédés de production plus efficients se trouvent à leur tour adoptés par l'ensemble des entreprises de la branche, le temps socialement nécessaire à la production des marchandises diminue, conduisant à une baisse de la valeur des marchandises.

"Au total, poursuit l'économiste, on peut dire que "la somme de la plus-value produite par un capital variable est égale à la valeur de ce capital avancé, multipliée par le taux de la plus-value, ou bien elle est égale à la valeur d'une force de travail, multipliée par le degré de son exploitation, multipliée par le nombre des forces employées conjointement." C'est à partir de cette fameuse composition organique du capital, intégrant capital variable, capital constant et plus-value que Karl MARX théorise les différents rapports sociaux de production rencontrés dans l'Histoire. Les économistes marxistes insistent sur la dynamique interne de l'exploitation où l'évolution de chaque terme de cette composition organique du capital est concrétisée par les divers rapports de force entre ouvriers et capitalistes. Guy CAIRE présentent deux situations originales où l'on peut voir une vue plus complexe des mécanismes de l'exploitation, l'impérialisme et la phase du capitalisme monopoliste d'État.

- L'impérialisme a été défini de multiples façons dans la littérature marxiste. Rosa LUXEMBOURG y voyait essentiellement un problème de débouché, LÉNINE un moyen de contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit, mis en relief par MARX à travers le fonctionnement de la composition organique du capital. Si l'on met essentiellement l'accent sur l'exportation et l'importation des marchandises des économies colonisées ou dépendantes, l'exploitation peut être décelée à travers la détérioration des termes de l'échange - termes de l'échange nets si l'on considère le rapport des pris des marchandises exportées par rapport aux prix des marchandises importées, termes de l'échange bruts si l'on considère simplement le rapport des quantités. On a là une première idée statistique de la nature de l'échange inégal qui a retenu l'attention de nombreux économistes contemporains, qu'ils soient d'ailleurs marxistes ou non. Si l'on met l'accent sur les relations financières et plus particulièrement sur l'exportation des capitaux, l'impérialisme et la forme d'exploitation qui en découle se manifestent par l'existence de sur-profits. Ces profits, supérieurs aux profits moyens enregistrés dans les métropoles impérialistes, sont la conséquence de deux phénomènes essentiels. D'une part, l'achat de matières premières, produits miniers, sources d'énergie à bon marché entraîne une baisse de la valeur unitaire du capital constant, ce qui constitue une force contrecarrant la tendance à la baisse du taux de profit? D'autre part, le taux de la plus-value - et par conséquent le taux d'exploitation - est particulièrement élevé dans les pays coloniaux et semi-coloniaux parce que s'y retrouvent les mécanismes d'apparition de la plus-value absolue (travail des femmes et des enfants, durée du travail plus longue, etc.) et parce que ceux de la plus-value relative y sont renforcés, la valeur de la force de travail y est plus petite en raison de la sous-évaluation des produits agricoles et d'un aspect historique et social de la valeur de la force de travail également plus faible, les besoins suscités par le capital y étant moins développés et, pour une partie au moins, pris en charge par les formes de production pré-capitalistes, ce alors même que les travailleurs opèrent dans des conditions techniques relativement semblables à celles des ouvriers dans les pays capitalistes avancés.

- Dans la phase du capitalisme monopoliste d'État et si l'on retourne dans les pays du capitalisme développé, l'essentiel des changements dans le processus d'exploitation réside dans la socialisation capitaliste et dans le rôle nouveau de l'État. Le salaire demeure certes toujours le prix de la force de travail mais le salaire direct qui tend de plus en plus à être fixé par des procédures collectives ne correspond plus, à lui seul, à la valeur de la force de travail. Aussi la structure du capital variable comprend-elle des éléments salariaux et non salariaux (salaire, prestations sociales, services collectifs utilisés gratuitement ou à prix réduits). Les dépenses de reproduction de la force de travail ne se trouvent donc plus entièrement régulés par le marché. A la phase du capitalisme monopoliste d'État, l'exploitation du travail constitue de plus en plus, un système d'ensemble à l'échelle de la société toute entière. Par ailleurs, l'élargissement à l'ensemble de la nation des sources de l'accumulation capitaliste par la fiscalité, l'inflation, le développement de diverses formes d'épargne forcée, etc, marque le rôle croissant de l'appareil d'État dans l'intensification de l'exploitation capitaliste et le pillage des couches monopolistes. Mais dans la mesure où l'opposition entre le travail et le capital se manifeste d'abord  sur le lieu du travail et dans la mesure aussi où, par nature, l'exploitation ne met pas en présence un travail et un capitaliste isolés, mais constitue un rapport social entre classes antagonistes, la politique de l'emploi constitue une pièce essentielle du dispositif mis en place par l'État. En effet, les mécanismes concrets de l'accumulation du capital entraînent la formation de réserves de main-d'oeuvre déclassées et sous-payées (jeunes, femmes, immigrés) que la pratique des entreprises et la politique monopoliste de l'emploi visent à développer dans un vaste processus de segmentation de la force de travail. Ces différentes modalités de rémunération, de mobilisation et d'utilisation de la force du travail contribuent à leur tour à donner aux luttes des classes contemporaines une physionomie nouvelle. (Guy CAIRE)

 

Guy CLAIRE, Exploitation, dans Dictionnaire critique du marxisme, Sous la direction de LABICA-BENSUSSAN, PUF, 1999. Jean-Pierre DURAND, La sociologie de Marx, La Découverte, 2018.

 

Note : Jean-Pierre DURAND fait à plusieurs reprises référence à un chapitre inédit du Capital. On peut trouver ce chapitre dans www.marxists.org. Ce chapitre, découvert ultérieurement à l'édition du Capital, en 1867, chapitre peu connu mais utilisé par d'autres auteurs marxistes.

Après avoir achevé en juin 1863 les 23 cahiers de 1472 pages in-quatro, intitulées Critique de l'économie politique, dont ENGELS tirera, avec le scrupule et l'exactitude qu'on lui connait, le texte du livre II du Capital, et KAUTSKY le texte du livre IV, connu en France sous le titre de Histoire des doctrines économiques (Éditions Costes), MARX se consacra à l'élaboration du gigantesque matériel en vue de la publication du Livre I, tout en développant parallèlement le canevas (en partie contenu dans les 23 cahiers, en partie réuni en cahiers successifs) du livre III, publié lui aussi par ENGELS.

En 1864, retrouvant la liaison entre théorie et pratique révolutionnaires, MARX est pris par son activité au sein de la Première Internationale, et il lui faut presque 4 ans avant que le livre I soit prêt pour l'impression.

C'est entre juin 1863 et décembre 1866 - et plutôt au début de cette période - que se situe la rédaction du cahier intitulé Premier livre. Le procès de production du capital. Sixième chapitre. Résultats du procès de production immédiat. A la page 1110 du manuscrit de la Critique, MARX a tracé un plan du Livre I qui permet de situer la place qu'il comptait donner au VIe chapitre. Finalement, MARX a décidé de ne pas reprendre ce VIe chapitre pour lui donner sa place et une forme définitive. Et ce chapitre est resté dans les tiroirs jusque dans les années 1930. Et pourtant, ce VIe chapitre forme une charnière entre les livres I et II, car il traite d'un point central du procès de production immédiat du capital et éclaire fortement (certains diraient éclaircissent un texte en définitive très foisonnant) la conception clé de l'exploitation capitaliste. (tiré de la présentation de R. DANGEVILLE). Nul doute que lire le Capital aujourd'hui, surtout au milieu d'enseignements brouillant passablement un vue d'ensemble de l'économie, ne peut se passer de la présence utile de ce chapitre inédit.

 

ECONOMIUS

 

 

  

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17 décembre 2020 4 17 /12 /décembre /2020 13:41

   En Français La Russie sur la scène internationale, Russia in Global Affairs, revue trimestrielle russe d'analyse des relations internationales créée en 2002, sur le modèle du Foreign Affairs américain, prétend combler l'absence de revue francophone reconnue à l'étranger en la matière. Même si les informations en provenance de Russie sont toujours à prendre avec réserve, étant donné l"efficacité du système russe de rétention d'informations, les articles de la revue donnent tout de même de précieuses indications sur les conceptions d'hommes influents dans ce pays. RGA se conçoit elle-même comme un instrument d'intégration des élites politiques et économiques russes et étrangères, et se destine à informer la société, dont les étudiants, les politiciens et les hommes d'affaires, des processus en cours dans le monde. elle se veut également un forum de débats entre experts russes et experts étrangers. Depuis 2006, d'ailleurs, le journal est publié par Foreign Policy Resaerch Foundation.

La revue a été cofondée par le Conseil de politique extérieure et de défense (SVOP), l'Union russe des industriels et des entrepreneurs et le quotidien Izvestia. Le Conseil éditorial de RGA comprend des hommes d'État, des intellectuels et des experts, tant russes qu'étrangers (Sergueï KARAGANOV, Igor IVANOV, Evgueni PRIMAKOV, Helmut KOHLE, Carl BILDT, Thierry de MONTBRIAL...). Ce Conseil est dirigé par un rédacteur en chef, Fedor LOUKIANOV et un président du Conseil éditorial, Sergueï KARAGANOV.

   Si elle est publiée sur une base trimestrielle en anglais, elle l'est d'abord en russe deux fois par an, avec le soutien de Foreign Affairs pour cette deuxième version.

     La revue, outre l'analyse des grands enjeux stratégiques, traite des problématiques internationales dans leur ensemble, comme la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme, l'extrémisme religieux et les crises économiques, sanitaires et écologiques. Le n¨3 de 2020, Juin-Septembre, porte entre autres sur Iran's Nuclear Superposition (Andrey A. BAKLITSKIY) The theory of Universal Racism (Alexander V. LUSKIN) et sur Sinophobia in the Post-Soviet Space (plusieurs auteurs dont Yuri V. KULINTSEV).

De manière général, la revue russe constitue une référence pour les observateurs de la vie internationale.

 

Russia in Global Affairs, Office 205, 17 Malaya Gronyka Str., Moscow, Russia. Site Internet : www.globalaffairs.ru

 

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8 décembre 2020 2 08 /12 /décembre /2020 09:29

       Revue biannuelle fondée en 2008 par un collectif de chercheurs en économie et sociologie, la Revue française de Socio-économie se positionne au carrefour des sciences sociales de l'économie et défend la pluridisciplinarité de la recherche. Éditée par les Éditions La Découverte, son projet éditorial est de "prouver le mouvement en marchant"...

Dans leur présentation au numéro 1 de la revue, ses animateurs se veulent "simplement pragmatiques et cherchent plutôt à prendre appui sur des courants de recherche existants, qu'ils viennent de la sociologie, de l'anthropologie ou de l'économie, mais aussi de la gestion, des sciences politiques ou de l'histoire, pour faire de la revue un lieu de mise en problématique permanente de l'identité scientifique d'une socio-économie telle qu'elle se fait." Se situant dans une critique du capitalisme, dont l'évolution constitue l'économie moderne en un "véritable sous-système de la société, en un ordre de pratique et d'institutions sociales homogènes, relativement autonomes vis-à-vis des ordres domestique, religieux et politique." "C'est ce sous-système qu'une science nouvelle, l'économie politique appelé bientôt Science économique s'est proposé d'étudier, construisant pour se faire théories et méthodologies propres." Tout en tentant de délimiter ce domaine de la socio-économie, pour ne pas en faire un "fourre-tout", les animateurs veulent prendre en compte les approches hétérodoxes de l'économie, comme celles des différentes orthodoxies, pour comprendre le réel, en dehors de l'idéologie néo-libérale d'ailleurs de plus en plus contestée à l'heure actuelle. Ils rappellent que le monde anglo-saxon disposent déjà de ce type de revue, comme Economic Sociology, The European Electronic Newsletter, alors que le monde francophone en manque "cruellement". Pour répondre aux exigences théoriques et méthodologiques, les animateurs de la revue se proposent donc de présenter trimestriellement des rubriques adéquates : éditorial, un dossier couvrant la moitié de la pagination, des notes de recherches, des comptes-rendus d'ouvrages...

   Avec pour directeur de publication Jean-Christophe CAMART (président de l'Université de Lille), webmestres Fabien ELOIRE et Frédéric CHAVY, un comité de rédaction d'universitaires d'une vingtaine de personnes, appuyé par un comité international, alimente la revue. Ont déjà été abordés, entre autres, Les économies de la sexualité (2020/2), Valeur et capitalisme (2020/1 et 2019/23), le projet de monnaie fiscale complémentaire (2019/22), La grande transformation des logiques agricoles (2017/1), la socio-économie du numérique (2011/1)...

 

Revue Française de Socio-Économie, Laboratoire Clersé, Faculté des Sciences Économiques et Sociales, Université de Lille, 59665 Villeneuve d'Asq, Site internet = rf.socioeconomieuniv-lille.fr

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20 novembre 2020 5 20 /11 /novembre /2020 09:46

   La revue MEED, en langue anglaise qualifiée souvent de remarquable, onéreuse aussi, de management est l'émanation de MEED Events et de MEED Projects, présente surtout sur Internet mais disponible aussi par abonnement, offre depuis 1957 des analyses économiques et financières, surtout sur les initiatives de développement des pays arabes du Moyen-Orient.

Livrant une information pointue depuis 1957, d'abord à destination des "décideurs" économiques du monde entier, elle se veut un organe guidant les pouvoirs économiques et politiques sur les investissements dans le secteur pétrolier, des transports, de l'énergie et de l'eau et financier de ces pays. Indépendant, précis et relativement objectif sur ces projets économiques et financiers, elle est également un outil précieux, consulté régulièrement par tous les spécialistes de cette région. Sa parution, irrégulière, est cadencée uniquement par les événements, à l'occasion d'ailleurs desquelles, elle organise des conférences.

Bien que peu connue du grand public, son comité de rédaction étoffé, emmené par Richard THOMPSON, de sa base à Dubaï, possède sans doute le réseau le plus dense d'informateurs sur ce qui se passe à la tête des différents groupes d'intérêt économique du Moyen-Orient. Discret aussi sur ce qui relève de la défense et des armements, MEED s'en tient à une stricte délimitation de ses domaines d'information. Ses pages renseignent sur l'évolution des pays de la région, avec notamment nombre de numéros spéciaux - encore plus onéreux - Par exemple, le numéro spécial de juin 2020 est consacré à l'Arabie Saoudite, et s'intéresse aux conséquences de l'épidémie du Covid-19 sur l'économie du royaume et sur le financement des grands projets d'infrastructures.

 

MEED, Site Internet : www.meed.com

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13 novembre 2020 5 13 /11 /novembre /2020 12:06

    La revue francophone Annales de Démographie Historique, fondée en 1964 par la Société de Démographie Historique (SDH), est la seule en français dans ce domaine, les histoires de la population et de la famille telles qu'elles se présentent aujourd'hui. Avec des travaux soucieux de leurs méthodes et de leurs catégories d'analyse, des approches largement ouvertes sur l'histoire sociale et l'histoire de la santé, ces Annales sont attentives aux apports de l'anthropologie comme de l'économie.

    Avec deux numéros (copieux) par an, la revue s'attache à chaque fois à une thématique précise, avec des varias et des recensions de bibliographie internationale. Les Annales sont publiées avec le soutien de l'INSH, aux éditions Belin. Dans son numéro 138 d'hiver 2020 (juin 2020), la revue aborde la question de la fécondité en milieu populaire : les exemples belges et français montrent que, si le fort déclin au XIXe siècle a d'abord touché les femmes les plus instruites, il a également affecté tous les groupes sociaux.

  La démographie historique est une discipline avant tout historique et fondée par des historiens français. Si la démographie appartient à la géographie, ce sont les historiens Pierre GOUBERT, Jacques DUPÂQUIER, Pierre CHAUNU, Philippe ARIÈS et Hervé LE BRAS, entre autres, qui ont fondé cette discipline.

Qui ont révolutionné la démographie du passé et dont les travaux inspirent encore les méthodes des historiens et même géographes actuels. Ils permettent de comprendre notamment l'impact des conflits et de l'enrôlement militaire sur la population d'un village, d'une région ou d'un pays. Plus généralement, il s'agit de cerner les facteurs multiples de la fécondité, d'où le caractère multidisciplinaires de ces travaux... 

    Sont à la tête de la SDH actuellement Vyril GRANGE (président), Vincent GOURDON (vice-président) et Isabelle ROBIN et Julie DOYON (secrétaires généraux). La SDH est également à l'origine de nombreuses publications dans sa discipline.

 

Annales de Démographie Historique, www.societededemographiehistorique.fr

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5 septembre 2020 6 05 /09 /septembre /2020 16:40

      Projet de revue, dont le numéro 1 est sorti en avril 2020, dont on se demandait s'il allait survivre à la brusque pandémie du coronavirus, lancé par le groupe L'Humanité, se déclinait en un "triptyque interactif" : une revue trimestrielle, une plateforme numérique coopérative et la tenue de colloques. Doté d'un Conseil scientifique auxquels s'associaient dès le début, entre autres, Dominique MÉDA, Bernard THIBAULT et Alain OBADIA, qui veut assurer la liaison entre les travaux de sociologues et les interventions politiques, TAF se proposait de passer au crible le travail et ses réalités, ses mutations et ses permanences, avec l'ambition d'offrir au monde du travail, au mouvement social comme au monde académique, un contenu original et navoteur sur cet enjeu à la fois central et transversal.

Appuyé par une démarche collaborative avec des acteurs syndicaux, associatifs, politiques, avec des intellectuels qui ont fait du travail leur sujet de recherche, ce projet au long court vise à soulever les multiples enjeu du travail, parfois cachés, tout en oeuvrant à son émancipation des logiques aliénantes.

    Le premier numéro de la revue TAF analyse le travail "dans tous ses états", en offrant une large palette d'angles pour donner à voir les réalités du monde du travail, des métiers, et les problématiques générales auxquelles il fait face, comme une première réflexion menée sur un sujet aux infinies potentialités. Disponible en kiosque, la revue est également proposée par abonnement.

   La plateforme numérique (travailleraufutur.fr) a pour vocation, toujours selon les promoteurs du projet, d'accueillir les contributions des syndicalistes, des salariés, des paysans ou des cadres ; de chercheurs, de responsables de "ressources humaines", d'élus comme d'entrepreneurs, ainsi que des dossiers juridiques et des enquêtes, interactive, cette plateforme réclame la participation active de toutes celles et de tous ceux qui désirent s'investir dans cette large réflexion, à partir de leurs propres expériences.

   Il semble, même si sur Internet il y ait encore peu d'interventions, que le projet se maintienne, notamment avec la parution en juin 2020 d'un numéro entièrement consacré au travail des femmes. Et pour la rentrée, un numéro 3 est paru sur Prendre soin au travail, thème brûlant d'actualité à l'heure où, comme l'écrit la rédaction les personnels de santé notamment ont été soumis à de rudes épreuves; alors que les dirigeants du pays discouraient sur leur inutilité sociale et leur individualisme irrépressible : quand la crise sanitaire révèle le travail....

Mené dans des circonstances difficiles, dans un environnement économique tout sauf favorable, TAF,  notamment avec Patrick LE HYARIC (directeur de la publication) et Valère STARASELSKI (coordinateur éditorial) ainsi qu'avec Fabrice SAVEL (coordinateur de la plateforme coopérative), est à l'origine une réponse directe à la disparition possible du journal L'Humanité. Misant sur la qualité et sa police d'écriture confortable, assumant une surcharge d'informations par une présentation relativement claire, TAF veut donner envie de découvrir une par une les différentes données. L'équipe de TAF donne une grande place à la culture et à l'expérience concrète des intervenants (les pages centrales sont entièrement consacrées à des portraits de salariés).

 

TAF, SNH 5, rue Pleyel, immeuble Calliope, 93528 Saint-Denis.

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1 septembre 2020 2 01 /09 /septembre /2020 11:54

   Le magazine trimestriel Finances & Développement, en support papier et dans Internet - est diffusé en plusieurs langues (anglais, français, russe...) par le Fonds Monétaire International. Même si l'on critique vivement les politiques du FMI, il faut reconnaitre que les chiffres et les contributions qui paraissent dans cette revue constituent des sources importances de connaissance de l'économie sur le plan mondial. D'autant que les opinions exprimées dans Finances & Développement ne sont pas forcément représentatives de ces politiques et le FMI s'en distancie constamment.

  Avec une dizaine de rédacteur, Camille Lund ANDERSEN, Rédacteur en chef, et de nombreux conseillers de rédaction, le magazine constitue une référence de nombreux spécialistes en économie, et nombre de revues spécialisées y piochent bien des données.

   Chaque numéro porte sur un thème, par exemple celui de mars 2020 comporte un dossier sur Vivre bien et longtemps : Démographie et bien-être économique. Le numéro porte notamment sur les retombées économiques des tendances démographiques mondiales en pleine évolution. Celui de décembre 2019 portait sur l'économie face au climat. A noter que celui de juin 2019 portait sur le 75e anniversaire du FMI, occasion de faire le point sur l'organisation.

   Rappelons ici simplement que le Fonds Monétaire International est une institution internationale regroupant 189 pays, dont le but est de "promouvoir la coopération monétaire internationale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges internationaux, contribuer à un niveau élevé d'emploi, à la stabilité économique et faire reculer la pauvreté". Fondée en décembre 1945, institution spécialisée de l'ONU, il est en ce moment intéressant de savoir comment le FMI agit/réagit aux effets financiers de la pandémie du Covid-19. Le FMI fait et a fait l'objet de nombreuses critiques, ses plans financiers d'aide étant accusé d'aller à l'encontre des objectifs affichés.

 

 

 

Finances & Développement, IMF Publication Services, Box FD-101, 700 19th street, N.W., Washington, DC 20431 USA. Site Internet : imf.org

 

 

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16 juillet 2020 4 16 /07 /juillet /2020 09:07

     Marchand d'armes depuis quarante ans, grande gueule (selon ses propres termes),  toujours flanqué de jeunes femmes (bisexuelles, un atout toujours selon lui) disponibles pour recevoir des informations (dans le lit, ce sont les meilleures) de ses concurrents et "amis", si tant est qu'on peut en avoir dans cette "profession" d'intermédiaires, à la population nombreuse, Bernard CHEYNEL délivre dans ce livre en quelque sorte ses Mémoires... Dont maints passages constituent autant d'occasion de se plaindre des malheurs qu'il a dû enduré dans ses entreprises (solitaires), qui nous font arracher des tonnes de larmes de crocodiles (notez que les sauriens n'ont pas de glandes lacrymales...)...

     Par-delà le témoignage très détaillé de ses entreprises de relations publiques-privées visant à "faciliter", moyennant commissions normalement substantielles (qu'il s'est fait volées maintes fois) (forts pourcentages sur le montant total des contrats), nous révélant au passage les turpitudes de maints hauts responsables de sociétés privées et publiques d'armement (Safran, Dassault, Thomson, Thalès, Direction des Constructions Navales, Sagem, Sfim...) et de responsables politiques (de Jacques CHIRAC à Nicolas SARKOZY...), de la révolution iranienne à l'affaire Karachi, c'est une véritable description de la manière dont fonctionne réellement les marchés d'armements. Constamment relancés à l'occasion du renouvellement d'armes obsolètes (notamment dans l'aéronautique), les intermédiaires comme Bernard CHEYNEL, sans qui ces marchés n'existeraient pas, sont capables de mettre en relation responsables d'État des matériels en question et décideurs des sociétés commerciales.

Ces marchés d'armement fonctionnent en France suivant des caractéristiques que l'auteur désigne comme dommageables pour l'industrie d'armement elle-même. Trop dépendants des manoeuvres politiciennes de candidats à l'élection présidentielle soucieux avant tout de financer leurs campagnes électorales et leurs partis politiques. C'est ce système d'interpénétration des intérêts privés d'hommes politique et des intérêts publics (mal) gérés selon lui par, souvent des Polytechniciens (qu'on pourrait croire Poly-imbéciles!) qu'il dénonce comme responsable de ses déboires personnels et des déboires de l'industrie française d'armement face à ses concurrents européens, russes et américains...

   Très documenté - comme un dossier de procès comprenant autant de pièces à charge - en photographies (valorisantes pour l'auteur) et en reproductions de documents (compromettantes pour leurs signataires) - ce livre est instructif effectivement de la manière dont cette économie des armes fonctionne réellement, par-delà tous les calculs de coûts de production ou de ratios commerciaux, basée surtout sur des rapports personnels entre gens qui se connaissent très bien et se haïssent aussi bien (autant que des camarades de cours d'école maternelle!), vivant (très bien) de leurs entreprises, voyageant constamment en jet et résidant dans les meilleurs hôtels, passant vite des hautes sphères politiques à la prison... ou à la tombe!

  Bien entendu, le livre ne donne qu'un éclairage, dirait-on au quotidien, suivant une chronologie d'ailleurs bien rigoureuse et précise - qui jette par exemple une lueur - crue - sur les relations entre chiraquiens et baladuriens - et ne remplace pas une vue d'ensemble macro-économique et politique sur le commerce des armements.

 

Bernard CHEYNEL, avec la collaboration de Catherine GRACIET, Marchand d'armes, Seuil, 2014, 270 pages.

Catherine GRACIET est déjà l'auteure de plusieurs livres, dont La Régente de Carthage (La Découverte, 2009), Le Roi prédateur (Seuil, 2012) et Sarkozy-Kadhafi, Histoire secrète d'une trahison (Seuil, 2013).

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23 juin 2020 2 23 /06 /juin /2020 11:39

      Cet ouvrage collectif de 2015, réalisé en plein boom éditorial sur la question du climat, sous la direction d'un conseiller spécial de l'IFRI et senior fellow de la Brooking Institution, membre du Cercle des économistes, articule la réponse aux changements climatiques autour de propositions autour du "prix du carbone", question centrale encore pour beaucoup (voir les débats actuels autour de la taxe carbone) pour un réorientation, toujours capitaliste, de l'économie. Convaincu que, après la crise financière de 2008 que tout est à reprendre pour ouvrir une nécessaire ère nouvelle, une ère d'économie bas-carbone, Jacques MISTRAL a regroupé les contributions d'une quinzaine de spécialistes, surtout des économistes.

   Les auteurs condensent dans cet ouvrage pour contribuer à la grande mutation du XXIe siècle, leurs analyses et propositions, Jacques MISTRAL l'introduisant - par entretien interposé de Geoffrey PARKER, par un rappel du précédent historique du "petit âge glaciaire" du XVIIe siècle. Fort de l'irruption des études scientifiques sur le climat dans le débat public, malgré les dénégations de climato-sceptiques pas très objectifs (et bourrés de conflits d'intérêts), dénonçant d'ailleurs "un lobbyisme éhonté", les auteurs se situent maintenant dans la perspective d'une nécessité historique, même si tous ne partagent pas leur conception du futur. Sachant qu'une évolution du climat peut transformer une crise en catastrophe et conscient aujourd'hui que le climat n'est pas une variable mineure de l'évolution des sociétés, ces auteurs présentent chacun une facette de ce qu'ils espèrent être une solution à ce problème (existentiel).

   

     Jean TIROLE, par exemple, (Économie politique du réchauffement climatique) tirant les leçons du processus du Kyoto (amorcé par le protocole de 1997), déplore les lacunes des accords passés (surtout absence d'engagements fermes pour 2020 et promesses généreuses pour 2050) et propose, outre le renforcement d'institutions internationales de soutien des accords (entraide et contrôle), une feuille de route - définir une politique de lutte contre la pollution, tenir compte de la prépondérance des intérêts nationaux - et un processus qui comprendrait :

- un accord sur une bonne gouvernance : un chemin pour les émissions de CO2, globales, un marché mondial de CO2, un schéma de gouvernance internationale comprenant un mécanisme exécutoire, des carottes et des bâtons, l'abandon des politiques inefficaces comme les MDP.

- le lancement d'un système de suivi des émissions par satellite permettant de mesurer précisément l'évolution des émissions au niveau de chaque pays ;

- un processus de négociation pour la conception des compensations et les problèmes restants.

"Cette feuille de route laisse un certain nombre de questions ouvertes. Nous en avons évoqué quelques unes, mais d'autres viennent à l'esprit. Par exemple, puisque des négociations impliquant près de 200 pays sont assez improductives, il semblerait souhaitable de parvenir d'abord à un accord entre les grands émetteurs (actuels et futurs), qui exerceraient ensuite une pression délicate sur les autres pays. Dans ce processus en deux étapes, on pourrait commencer par un accord entre par exemple, les États-Unis, l'Union Européenne, la Chine, la Russie, le brésil, le Canada, le japon, l'Australie, l'Inde, etc. (...)"  Ces lignes ont été écrites avant l'élection de Donald TRUMP à la présidence des États-Unis et un tel schéma est bien entendu difficile à réaliser avec les États-Unis en ce moment...

   Si la contribution de Jean TIROLE reste globale, on entre vite dans le détail d'un sujet (le marché carbone) qui prend en compte des données économiques très diverses. De Christian de PERTHUIS et Pierre-André JOUVET (Négociation climatique et prix du carbone), à Jean-Marie CHEVALIER (transitions énergétiques, transitions économiques, de Pierre-Noël GIRAUD (Ressources naturelles et croissance verte : au-delà des illusions) à Anton BRENDER et Pierre JACQUET (Comment "financer le climat"?), de Jean-Paul BETBÈZE (Ambition politique et lucidité économique : pourquoi est-il si difficile d'agir pour le climat?) à Katheline SCUBERT et Akika SUWA-EISENMANN (Les pays du Sud face au changement climatique), de Bruno FULDA (Le leadership américain à l'épreuve du climat) à Patrick ARTUS (La Chine : plus une menace pour le climat?), sans oublier une postface de Michel ROCARD sur Le réchauffement climatique et l'évolution de l'Arctique, tous abordent un aspect bien précis d'une question d'ensemble. Ce qui fait de ce livre, malgré l'accélération de l'Histoire et la pandémie du COVID-19, un ouvrage intéressant.

Même si aucun ne remet véritablement en cause le capitalisme d'aujourd'hui, sauf à des aménagements qui peuvent être considérables, et tente en définitive de faire changer celui-ci sans changer de système économique. Le Cercle des économistes est bien connu pour son attachement au capitalisme de manière générale, même si la crise financière de 2008 a rebattu les cartes des positionnements. Mais par-delà son attachement au capitalisme, que ne partagent pas tous les auteurs cités d'ailleurs, il faut noter en cette moitié de la décennie 2010 que le vent a changé par rapport au problème climatique. Il n'est plus possible de le nier. Il s'agit de changer les choses pour que le système perdure. Si les considérations économiques abondent, au mot sur les conflits sociaux, même causés par des politiques plus fermes en matière de climat ou de pollution. Les considérations sont surtout géopolitiques et macro-économiques, même si les entreprises (et les entreprises privées s'entend) ne sont pas du tout oubliées dans les processus analysés et les propositions émises.

 

Sous la direction de Jacques MISTRAL, Le climat va-t-il changer le capitalisme? La grande mutation du XXIe siècle, Eyrolles, 2015, 270 pages.

 

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