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27 octobre 2020 2 27 /10 /octobre /2020 08:49

  Se présentant comme l'atelier de prospective sur l'Asie, cette revue livre des informations et des analyses importantes au moment où l'axe des relations internationales se déplace vers le Pacifique. Il s'agit de cerner les évolutions politiques, économiques et autres visibles et possibles sur les deux rives de l'océan, les articles se concentrant souvent sur les États-Unis d'une part et sur l'Asie - jusqu'à la Russie d'autre part...

Surtout présent sur Internet, bilingue (français-anglais), Asie 21 "suit en permanence et avec attention l'évolution de cette région, pour y déceler les faits susceptibles d'engendrer des changements significatifs. En bref : le contexte géopolitique de l'intelligence économique dans une vision prospective."

   Asie 21 publie une Lettre confidentielle (Lettre confidentielle Asie21-Futuribles) mensuelle à laquelle sont abonnés des décideurs publics et privés conscients que dans les affaires, l'anticipation est payante. Conçus pour une lecture rapide, ses articles sont courts et structurés (faits/enjeux/commentaires prospectifs). Les sommaires sont consultables en ligne sur le site asie21.com qui offre, par ailleurs, un panorama étoffé du paysage politique et économique asiatique. Pour son n°140 de juin 2020, Asie 21 se demande qui gagnera la bataille du vaccin contre le Covid-19. La province de Hainan a-t-elle vocation à remplacer Hong-Kong dans le rôle de tête chercheuses économique? Que cache la destitution du maire de Kaoshsiung à Taîwan?

Le groupe Asie21 rassemble des "praticiens" de l'Asie, venant d'horizons professionnels divers et pratiquant depuis plus de deux décennies le travail collectif, même si chaque article es signé par son auteur. Plutôt qu'une comité de rédaction, les membres d'Asie 21 - plus d'une vingtaine - réfléchissent collectivement sur un thème ou un autre suivant les numéros, s'adjoignant ad hoc des membres associés ou des collaborateurs extérieurs. On y repère les noms de Jean HOURCADE, Daniel SCHAEFFER, Philippe DELALANDE ou de Laurent AMELOT

Il ne faut pas attendre d'Asie 21 des analyses critiques de la situation politique ou sociale, mais ses analyses stratégiques et géopolitiques sont suffisamment fines pour qu'elles aident à comprendre ce qui se passe dans cette partie du monde, où se manifestent - notamment entre pays asiatiques - de forts antagonismes.

 

Asie21.com, Finaldées EURL, Siège social : 13, avenue Boudon, Paris 75016.

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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 12:22

  C'est parallèlement au développement du début de la stratégie aérienne qu'émerge une véritable géopolitique de l'air. Esquissée par Clément ADER avec sa théorie des voies aériennes (fondée sur l'idée que le milieu aérien n'est pas universellement propice au vol - questions d'altitude, de pression atmosphérique, de température, des mouvements des vents, etc...), elle devient une véritable discipline aux Etats-Unis avec SERVERSKY et des universitaires dont le plus important bien oublié aujourd'hui est George T RENNER (Human Geography in the Air Age, 1942). Le facteur aérien est au coeur du débat géopolitique qui se développe aux Etats-Unis dans les années 1940. Les théories de MAHAN, de MACKINDER, de SPYKMAN... sont réinterprétées à la lumière du développement de l'aviation.

    De manière générale, les géopoliticiens mettent l'accent sur l'émergence, grâce à l'avion, d'une nouvelle géographie à la fois globale, grâce au rétrécissement des distances, et inversée, par rapport à l'orientation traditionnelle : les cartes Mercator qui privilégient les régions tempérées et équatoriales et une polarité Est-Oust sont concurrencées par de nouvelles projections centrées sur les pôles qui placent les régions polaires au coeur des routes aériennes du futur. Cette approche est largement dominante, même si elle est contestée par par exemple J Parker VAN ZANDT (The Goegraphy of World Air Transport, Brookings, 1944), est à l'origine du réseau de bases organisé par l'US Air Force au Canada, au Groenland et en Alaska dès la début de la guerre froide.

Ce mouvement dominant n'a cessé de se renforcer, tant pendant cette guerre froide (frontières "communes" avec l'URSS, question de la circulation des sous-marins nucléaires...) qu'aujourd'hui, avec la fonte accélérée des glaces aux pôles....

 

     La révolution aérienne, tout comme la révolution de l'espace qui la suit, bouleverse les données géopolitiques, mais n'efface pas les constantes des siècles précédents qui demeure. Les réalités terrestres et maritimes continuent d'ailleurs de dominer souvent l'esprit de nombreux stratégistes et stratèges qui considèrent que l'aviation n'ajoute qu'une dimension supplémentaire, au demeurant moins facilement exploitable que les deux premières. Dans la géopolitique de l'air, les puissances déjà dominantes sur terre et sur mer gagnent un surcroît de possibilités d'action, et même si des "petits pays" tendent à se trouver à la pointe du progrès dans l'air et dans l'espace, ils n'en demeurent pas moins tributaires de l'étroitesse de leurs capacités au sol. 

       Contrairement au cas de la terre, dans le cas de l'air, il n'y a pas de "topologie géopolitique possible". Car l'espace aérien est considéré souvent comme homogène et continu. Les aéronefs y circulent dans toutes les directions et à de nombreuses couches atmosphériques ; le caractère très changeant des vents (du à beaucoup de facteurs) comme encore la faible connaissance scientifique des dynamiques globales de la Terre, interdisent pour l'instant de tracer des "routes" comme on trace des "routes maritimes". Une cartographie des vents existe, mais c'est surtout au niveau tactique que l'on peut la prendre en considération dans les opérations militaires. En fonction toutefois des couches d'altitude, le type de navigation, d'appareils et d'armements possibles est variable. Cela joue en terme de capacité d'action des aéronefs, tant en rayon d'action immédiat qu'en transport sur de longues distances. 

   Comme l'écrit Aymeric CHAUPRADE, "si l'on veut parler d'aéropolitique, il ne peut donc s'agir  d'une politique des caractéristiques de l'espace aérien, mais bien plutôt d'une politique de la puissance et de la stratégie aériennes, au sens où un Etat orienterait sa politique en fonction des possibilités que lui donne son aviation, et de la multiplication de ses bases projection aériennes.

L'importance stratégique d'îles relais des océans Atlantique et Pacifique ou de la Méditerranée - comme Malte - a dépendu dans l'histoire du XXème siècle des progrès de l'autonomie des avions. Les avions à long rayon d'action comme le ravitaillement en vol font que les puissances aériennes se contentent de plus en plus de leur Etat sanctuaire comme base de départ des actions militaires. 

Comment en effet ne pas se poser la question, dans le cas des Etats-Unis notamment, d'une philosophie de la puissance aérienne qui déterminerait une vision du monde et une politique étrangère? La possibilité même des guerres du Golfe et du Kosovo et donc la politique de puissance américaine au Moyen-Orient et dans les Balkans pourrait-il exister si les Etats-Unis ne disposaient pas d'une écrasante supériorité en matière d'avion, d'information satellitaires et de télécommunication?

Certains experts soutiennent la fameuse thèse de la révolution militaire selon laquelle c'est le militaire, à travers ses révolutions successives, qui détermine la nature de la politique des Etats et l'organisation de ceux-ci. Les Etats-Unis seraient donc des "aérocraties", à la manière des thalassocratie athénienne, phénicienne ou vénitienne qui tiraient l'essence même de leur puissance de la mer. Il y a lieu d'en débattre car si l'air est incontestablement devenu - la mer le reste aussi - un élément de puissance essentiel des Etats-Unis d'Amérique, la puissance américaine ne saurait se résumer à ce seul élément. Une fois encore, nous soulignons le danger de toute interprétation monocausale de l'histoire et l'importance des facteurs multiples."

    La géopolitique de l'espace n'est pas le simple prolongement de la géopolitique de l'air, même si les progrès technologiques expérimentés dans la couche atmosphérique servent ceux réalisés ensuite dans l'espace. La grande majorité de ces progrès visent d'abord la consolidation de la puissance au sol et sur mers, d'une manière plus secondaire la conquête spatiale. 

Aussi, il s'agit pour l'URSS et les Etats-Unis d'abord, puis pour d'autres puissances après la guerre froide, d'établir un leadership spatial. Ce leadership repose sur la capacité de lancement des missiles en tout genre, l'observation satellitaire, le repérage, les sepctro-imageurs, les systèmes d'observation à haute résolution, où se mêlent préoccupations militaires, économiques et, de plus en plus, environnementales. 

"Certains, écrit encore Aymeric CHAUPRADE, nous prédisent la fin des territoires par la mondialisation et le facteur technique. Ont-ils seulement étudié les applications du facteur technique? Car l'ironie de l'histoire fait que l'observation de la Terre donne davantage encore de forces aux recoins de la géographie : plus l'observation est fine, plus les stratégies géographiques sont aiguisées. La conquête spatiale n'est donc pas une mort annoncée de la géopolitique, car l'homme resté à terre ne cesse de jouer à cache-cache avec celui qui l'observe posté dans l'espace ; à la surveillance et au décryptage du relief répond la gamme inépuisable des leurres et des ruses.

L'espace est bien un facteur de changement de la géopolitique en ce qu'il accuse les données de la puissance - il renforce le leadership américain - mais, en même temps, la domination spatiale est une sorte de preuve affichée que l'homme n'en finit pas de courir après les déterminismes de la géographie. (...)".

 

 Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, 2003. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002. 

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20 septembre 2014 6 20 /09 /septembre /2014 09:10

  L'insularité, caractéristique du morceau de terre bordé d'eau, à l'écart des continents, du Japon fait de sa géopolitique le type même de géopolitique d'archipel. Le peuplement insulaire y nourrit un sentiment traditionnel d'isolement et d'unicité, comme pour la Grande Bretagne avec lequel il est souvent comparé. Mais la comparaison ne va pas loin, compte tenu de la disproportion entre les deux groupes d'îles dans le rapport continent/île.

Le Japon, loin du contact en définitive permanent de la politique continentale de l'Europe et de celle des îles britanniques, est longtemps resté fermé au monde extra-insulaire avant de s'ouvrir à lui, à une époque où précisément les distances se sont raccourcies à cause des nouveaux moyens de transports. Le Japon partage tout de même avec la Grande Bretagne la hantise d'être envahis, et une posture semblable par rapport au continent, sauf encore une fois que la grande île européenne est particulièrement "interventionniste" depuis très longtemps face aux puissances continentales, et que le japon ne pratique une politique impérialiste qu'après de longues incursions occidentales. La mer, en tout cas est une frontière sûre en même temps qu'elle ouvre au monde : venant de Corée ou de Chine, les influences n'ont jamais cessé. 

 

    Aymeric CHAUPRADE et François THUAL indiquent que "le territoire de l'Empire du Japon s'est formé par la conquête lente du nord de l'archipel à partir des villes du sud. L'orientation séculaire Sud-Nord, produit de l'histoire japonaise, continue d'apparaître, à l'époque moderne, comme l'une des constantes du déploiement géopolitique nippon. 

Au milieu du XIXe siècle, le Japon connut une mutation historique majeure : il sortit de son isolement en mettant un terme à la féodalité sociale, laquelle fut remplacée par un État centralisateur et une monarchie constitutionnelle - ère Meiji.

L'ouverture qui se fit en direction des États-Unis, tenait à une cause précise : la hantise croissante des dirigeants nippons face à une expansion russe venue du Pacifique Nord, et dirigée non seulement vers les zones du littoral de l'océan Pacifique, mais aussi vers l'archipel du Japon." C'est après cette "ouverture" que le japon se lance dans une politique de conquête hors de l'archipel : il se dote d'une armée et d'une flotte moderne organisées à l'européenne et c'est cet outil militaire qui de 1895 à 1945 fait du japon une puissance de premier plan. 

   Au sortir de la Première guerre mondiale se met en place la triangulation géopolitique du Japon : Chine-Russie-États-Unis constituent les puissances partenaires/adversaires/concurrentes. 

      C'est surtout à partir de 1930, pendant 15 ans, que le japon prend son essor territorial et se livre à des agressions continues contre les pays de la zone. Cette époque correspond à des débats très importants à la Cour impériale. Les cercles impérialistes nippons sont partagés alors en deux écoles : l'école sibérienne et l'école coloniale. L'école sibérienne, qui représente essentiellement l'armée de terre, souhaite s'emparer, outre de la Chine du Nord, de la Mandchourie, de la Mongolie, de la vaste Sibérie, avec comme principal ennemi l'Union Soviétique. L'école coloniale, qui représente les milieux de la Marine, voit l'avenir du Japon dans la conquête des empires anglais, français et hollandais de l'Asie du Sud-Est, avec comme ennemi principal les États-Unis. 

"De 1930 à 1939, résument les deux auteurs, la première école l'emporta : la Mandchourie fut conquise ; puis la guerre fut déclenchée contre la Chine du Nord avec l'objectif, d'une part d'empêcher la réunification de la Chine par les troupes nationalistes de Tchang Kaï-Chek, d'autre part de préparer l'attaque de l'Union Soviétique à partir des territoires chinois nouvellement conquis.

La Mongolie, pays communiste indépendant fut à deux reprises, en 1938 et en 1939, attaqué par les forces japonaises, lesquelles, chaque fois, furent repoussés par l'Armée rouge soviétique au prix d'accrochages importants.

De tels échec militaires eurent une conséquences importante : surestimant la force militaire russe en Asie, ainsi que la victoire d'Hitler, au même moment en Europe, le Japon opta pour la conquête du Sud, donnant raison à l'école coloniale, en éclipsant du même coup les thèses de l'école sibérienne."

   Le rêve d'un grand empire japonais, s'appuyant sur une vaste zone de co-prospérité asiatique et pacifique, et regroupant la quasi-totalité des pays de l'Asie du Sud-Est s'achève avec la défaite de 1945. Ce rêve géopolitique s'est brisé au profit de la Russie, qui progresse considérablement en Asie du Nord et au profit des États-Unis qui occupe la totalité du Japon jusqu'en 1952 (Traité de San Francisco). Le Japon lui-même est amputé de l'archipel des Riu-Kyu et de celui des Bonins rattachés directement à l'administration américaine. La guerre froide et ses séquelles ne bouleversent pas le problème géopolitique fondamental : le triangle Russie-États-Unis-Chine reste celui à travers lesquels se discute et se décide la stratégie du Japon. 

  "Le milieu des années 1990 fut marqué par une série de mutations qui inaugura un nouveau cycle géopolitique : la première des mutations fut la disparition de l'Union Soviétique et son remplacement par une Russie post-communiste, tout aussi peu désireuse de restituer les îles Kouriles ; la deuxième tient au développement économique foudroyant de la Chine sur son littoral, qui déboucha sur le renforcement de la puissance chinoise, et augmenta l'inquiétude de Tokyo ; la troisième dut l'évocation de la possibilité d'une réunification des deux Corées, ce qui équivalait à la création d'un rival direct du Japon, sur le plan économique avant de l'être sur le plan géopolitique ; la quatrième fut le rapprochement entre la Chine et la Russie dans le cadre d'un vaste affrontement géopolitique développé à l'échelle planétaire. Confronté à ces données géopolitiques nouvelles, le Japon renforça son potentiel militaire sur tous les plans - y compris, selon certains experts, sur le plan nucléaire -, et consolida l'alliance américaine en renouvelant ses traités ainsi que ses garanties de sécurité. 

Le japon est revenu à la position géopolitique des années 1950 : un axe Tokyo-Washington s'oppose à un axe Moscou-Pékin ; seul le motif des alliances a changé, ainsi d'ailleurs que les acteurs. Un Japon désormais riche est allié sur un plan de parité avec les États-Unis ; il ne s'agit plus d'un pays détruit et vaincu, allié à une super-puissance."

Dans ce jeu, se profile, selon l'optique japonaise, la recomposition discrète de deux blocs : un bloc continental opposé à un bloc maritime.

 

Sur-insularité, maritinité,

    Philippe PELLETIER, de l'institut d'Asie orientale à l'Université Lyon-II discute de ce qu'il appelle une géopolitique sur-insulaire, après que Yves LACOSTE ait rappelé que les aspects géopolitiques et les évolutions politiques et sociales internes (système féodal, État-nation japonais existant, structures de propriétés et formes de colonialisme) sont toujours liés (pas d'automaticité lié à la position géographique).

"Poser la question du territoire japonais, de sa logique et de sa construction, revient à s'interroger sur l'insularité et, par conséquent, puisque île implique mer, sur sa "maritinité". On rencontre ici un premier obstacle, et un premier paradoxe : contrairement à ce qu'on pourrait penser, les travaux japonais et a fortiori étrangers sur l'insularité du Japon sont peu nombreux. Les géographes eux-mêmes ne se sont que très peu penchés sur la question, la laissant à quelques rares anthropologues, ethnologues ou sociologues. Les traités de géographie sur le Japon, japonais ou étrangers, s'ouvrent pourtant invariablement, lorsqu'ils manquent d'imagination, sur le constat classique : le Japon est composé de quatre grandes îles..., mais ce sera tout! Pratiquement rien sur les autres îles, leur nombre, leur rôle, l'identité réelle qui est ainsi donnée à l'ensemble. Hormis quelques allusions rapides sur le fameux mais pas vraiment décrypté "sentiment insulaire", il n'y a pas grand chose d'autre à savoir, ou presque.

Car systématiquement, ce paradoxe en rencontre un autre, à savoir l'affirmation selon laquelle l'insularité est directement à l'origine de l'unité nationale japonaise, affirmation maintes et maintes fois répétée aussi bien au Japon qu'à l'étranger, mais jamais vraiment étayée ni même réellement décrite car apparemment pétrie d'évidence. Ainsi, dans son exposé préliminaire sur les "critères variés qui peuvent être utilement appliqués au Japon pour saisir le développement de son nationalisme", l'historien britannique Jean-Pierre Lehman commence tout naturellement, dans sa logique, par évoquer le territoire qui est selon lui "clairement défini", quoique "fortement contracté ou étendu dans le temps" autour de ses îles centrales (The roots of Modern Japan, Macmillan Asian Series, 1982). De même, pour le sociologue japonais contemporain Nakano Hideichiro, le Japon a précocement acquis "un statut d'État-nation" grâce à sa "démarcation territoriale d'île-pays entièrement entourée par la mer" (Comment comprendre la société japonaise : une perspective culturelle, Kansai Gakuin, 1986).

On touche là directement au géopolitique. Un tel silence, une telle omission, d'un côté, un tel raccourcissement, de l'autre, sur la réalité de l'insularité ne peuvent qu'obéir à une sociodicée, pour reprendre la terminologie de Bourdieu. Autrement dit, ces deux affirmations, relativement opposées mais connexes dans leur caricature, unies dans un même mouvement de simplification, correspondent à une pression culturelle, idéologique et politique. Cette pression, qu'elle soit consciente ou inconsciente, est bien d'ordre géopolitique dans la mesure où elle renvoie à une équation spatiale, extrêmement forte. C'est ce rapport qu'il faut analyser, y compris dans ses implications de "géopolitique active" dans le sens oùn comme l'entend Michel Foucher lorsqu'il parle de la dimension "utilitariste" du "raisonnement géopolitique" parallèle à sa dimension "heuristique" (Fronts et frontières - un tour du monde géopolitique, Fayard, 1988), il s'agit pour le pouvoir étatique d'utiliser une connaissance géographique à des fins d'expansionnisme politico-territorial ou, à tout le moins, de contrôle spatial.

 

Un processus de territorialisation

Analyser le processus de territorialisation du Japon permet non seulement d'appréhender en quoi l'espace géographique de ce pays a façonné la construction d'un État-nation réputé ancien et unitaire. la plongée dans le "temps long" tente de faire ressortir les tendances récurrentes du ces processus et de montrer quelles sont celles qui demeurent au cours du XXe siècle, notamment au moment de l'expansionnisme japonais, et ceux qui pourraient resurgir à l'avenir. (...)."

  L'auteur, dans cette perspective retrace, historiquement, la multiplicité insulaire japonaise. Il replace notamment l'archipel japonais dans son cadre géographique réaliste, celui d'un archipel bien plus ample, la grande guirlande qui s'étend du détroit de Béring à l'Australie. Est justifié du coup cette dénomination que l'on trouve surtout en archéologie et en anthropologie de l'espace entre cette guirlande et le continent euro-asiatique, de "Mediterranée d'Asie orientale". L'étude du peuplement plurimillénaire de cette myriade d'îles, diverse et variée, des quatre points cardinaux ou presque, de l'histoire des diverses agricultures qui s'y sont implantées, bien différentes entre la riziculture "centralinsulaire" et les différentes cultures de différentes îles, montrent que les frontières du "Japon" fluctuent. Les différentes sources historiques (chinoises, coréennes et japonaises) indiquent des frontières bien différentes, des délimitations et des désignations contrastées (notamment du point de vue de l'Empire chinois) dans l'Antiquité, au Moyen Age et au cours de la période moderne. Ainsi, des chroniques chinoises du Weizhi (Gishi en japonais), du IIIe siècle aux réformes dites de Taika (646) sur le modèle administratif de la Chine des T'ang, se dessinent des conceptions différentes des territoires. Îles principales, îles éloignées,  se situent dans un modèle centre-périphérie à l'échelle de l'archipel. Mais en fait, l'ancienne cartographie japonaise du XIIe au XIVe siècle, époque où elle est la plus complète à l'échelle de cet archipel, n'est pas plus précise que la chinoise, influencée qu'elle est par la cosmogonie bouddhiste. L'univers est imaginé comme un cercle au centre duquel se trouve la montagne sacrée de Sumeru, entourée par un océan puis par quatre continents. L'Inde et la Chine occupent la plus grande place tandis que l'archipel est relégué à un angle... Comme ailleurs, avec la première véritable unification politique de l'archipel au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, avec les premiers arrivants européens et les visées expansionnistes de Toyotomi Hideyoshi qui veut conquérir la Corée puis la Chine, la géographie du Japon sert à faire la guerre. Du XVe au XVIIIe siècle par exemple, l'attention est tellement focalisée vers le continent que dans la cartographie japonaise les îles du Nord, Hokkaidô et au-delà, sont absentes. 

"En près de deux mille ans d'histoire, explique Philippe PELLETIER, le pouvoir central japonais a progressivement délimité sa sphère de contrôle et d'influence en utilisant au mieux les conditions insulaires. Au nord, au contact de la Sibérie, à l'ouest au contact de la Corée et de la Chine, au sud-ouest, au contact de la Chine - encore - et du monde malayo-polynésien, il a mis en place de véritables marches. A la différence des deux dernières qui n'ont que peu d'espaces de manoeuvres, la première, la marche septentrionale, fait office de véritable front pionnier intérieur. C'est la marge frontière typique : les Japonais n'en connaissent pas les limites, le bout. Ces trois espaces offrent donc de véritables transitions historico-géographiques, riches d'un subtil dégradé de civilisations, qui rompent non seulement avec une vision uniformisante ou monolithique de l'espace japonais telle qu'elle est habituellement véhiculée, mais qui posent aussi la trame territoriale dans laquelle va s'engager le Japon contemporain, avec leur poids, leurs inerties, leurs récurrences. Connaître ces transitions sur-insulaires permet de comprendre l'un des facettes de la dynamique spatiale japonaise récente." Notre auteur décrit alors la topologie de Tsushima (civilisation des détroits), la géopolitique nippo-coréenne des Sô de Tsushima, la position des Ryûkyâ, entre Chine et Japon, la géopolitique sino-japonaise des Shimazu dans les Ryûkyû, la situation du sas sur-insulaire (dans les îles éloignées), le contrôle administratif de ces dernières, et l'expansion sur-insulaire de l'impérialisme moderne.

 

Les discussions de géopolitique au Japon

     Il situe ainsi les discussions de géopolitique au Japon : "... dans les années trente et quarante, les discussions de géopolitique sont en vogue au sein de l'élite. Certains géographes japonais essaient de construire un soubassement théorique par des emprunts à l'école géopolitique allemande et introduisent le concept d'"espace vital". Mais ils n'obtiennent pas vraiment gain de cause. Leur échec n'est pas tant dû à la faillite intrinsèque de la théorie - bien reçue ailleurs - qu'au contexte japonais lui-même. Fondée sur une approche qui se veut rationaliste et déterministe, la géographie allemande heurte en effet le sentiment de nombreux géographes japonais. Ceux de la traditionnelle université de Kyôto ne peuvent admettre une conception organiciste de l'État qui va à l'encontre de la dimension volontariste, romantique et nationaliste du tennôisme. Héritant d'un sentiment animiste de la nature et du monde, ils refusent une vision de l'espace où l'homme ne serait que le jouet de processus mécaniques. L'empereur, l'empire et l'impérialisme sont liés à un milieu spécifique, celui du Japon, mais aussi à leur capacité de décision. Même certains de ceux qui font de l'analogie de l'État le présupposé scientifique d'un expansionnisme naturel pour le Japon, comme les géographes de la plus moderne université de Tôkyô, Ezawa en particulier, réfutent le déterminisme géographique comme explication de l'organisation de l'espace. 

Ce qui rapproche ces hommes tient à une vision farouchement intégratrice de l'État et de la nation, qui accorde au politique le pouvoir de suivre selon les uns ou de dépasser selon les autres le cours des choses. De fait, l'idée d'espace vital ou d'étroitesse du territoire disparait peu à peu des discours officiels. Le rescrit sur le kokutai de 1937, le texte idéologique de référence à l'époque, n'y fait aucune allusion. Il met l'accent sur la "propagation de la voie impériale dans le monde" et sur sa "manifestation de moralité". Lorsqu'il aborde comme à contre-coeur, des questions matérielles, les impératifs invoqués sont d'ordre externe : il s'agit moins de soulager une pression économique ou démographique interne que de trouver des débouchés, de poursuivre une croissance jugée naturelle, sans frontières, et d'apporter en Asie la bonne parole culturelle et morale contre la colonisation spirituelle et matérielle des Occidentaux. C'est ainsi que le peuplement de la Mandchourie n'est que tardivement intégré à une stratégie politico-militaire d'ensemble.

Le géographe Iimoto, qui est pourtant le secrétaire général de la Société japonaise de géographie, fondée en 1942 avec la bénédiction du régime, et son collègue Watanabe critiquent sévèrement la géopolitique. Ils la jugent "plus intuitive qu'analytique" et peu "cohérente" du point de vue scientifique. Si, contrairement à leurs collègues allemands, les géographes japonais ont fait après la guerre l'économie d'une rétrospection critique sur la géopolitique, c'est parce que l'adoption de celle-ci avait été contradictoire et que les structures culturelles et idéologiques qui avaient biaisé son adoption n'ont pas disparu avec l'effondrement de la politique expansionniste."

  L'existence étudiée de la richesse hallieutique de l'archipel (la pèche et les autres activités liées à l'eau), la conscience d'une certaine importance de  son espace réel et utile, qui dépasse de loin le sentiment qu'on a parfois à l'extérieur que le Japon en manque (vue perclue d'illusions perspectivistes), est bien intégré dans l'esprit des militaires japonais. "Ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui, et l'on enseigne la géopolitique de l'amiral Alfred Thayer Mahan (1840-1914) dans les écoles navales japonaises depuis 1897. L'ancienne marine impériale fut l'un des enfants chéris enfantés par le nouveau régime de Meiji sous la bannière de slogan "pays riche, armée forte". Elle a contribué au développement précoce d'une politique industrielle en faveur de la construction navale. Elle fut au demeurant financées par des fonds provenant directement de la famille impériale, même si le mystère est encore savamment entretenu à ce sujet. On sait la rivalité qui opposa cette marine à l'armée de terre japonaises, et qu'elle remporta, assumant le leadership final et fatal au cours de la guerre du Pacifique (1941-1945). Certains propos officiels récents (l'auteur écrit en 1995) confirment que la défense insularo-maritime est toujours d'actualité dans un État qui est, en principe, constitutionnellement dépourvu d'armée."

  La puissance économique japonaise contemporaine dépend largement de cet ensemble insulaire et sur-insulaire. Même si, en définitive, selon l'auteur, les scientifiques japonais ont largement négligé d'étudier le rôle de cet espace sur-insulaire (comprenant les îles éloignées). Ceci parce que cet espace est un peu en dehors, dans les marges ou la périphérie. Revendiquer son appartenance, dans une sorte de stratégie expansive ou défensive, n'implique pas en louer toutes les implications, notamment à propos des minorités qui y vivent. Lorsque interviennent les revendication territoriales, interviennent des éléments plutôt compromettant pour le pouvoir central : capacités moyennes de contrôle, "turbulences" de certaines populations, jusqu'à une certaine mouvance géologique permanente du fait de nombreuses activités sismiques dans cette région du monde qui interdit de dresser des états des lieux fixes des limites du Japon.

 

Philippe PELLETIER, La politique sur-insulaire du Japon, dans Hérodote, Japon et Géopolitique, n°78-79, 4eme trimestre 1995. Aymeric CHAUPRADE et François THUEL, Dictionnaire de géopolitique, Ellipses, 1999.

Pour les tout derniers développements de la géopolitique du Japon, on consultera avec propos le numéro de mai-juin 2020 de la revue Diplomatie, notamment un entretien avec Céline PAJON, chercheuse et responsable des activités Japon au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (IFRI) : Le Japon de retour sur la scène internationale? Un article sur le Japon face aux cicatrices de l'histoire de Franck MICHELIN (Centre Roland Mousnier de Sorbonne et Maison franco-japonaise de l'institut français de recherche sur le Japon) revient sur l'empire japonais des années 1940.

 

STRATEGUS

 

Relu le 21 novembre 2021

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29 août 2013 4 29 /08 /août /2013 13:05

             La prise en compte des changements climatiques dans les stratégies de défense des principaux États s'effectue déjà à partir des années 1980, avec une certaine avance, suivant les pays, mais surtout aux États-Unis, par rapport à une certaine défiance, au niveau politique comme au niveau des opinions publiques sur les présentations de différentes instances scientifiques des conséquences du réchauffement de la planète.

Cette prise en compte s'échelonne aujourd'hui de la simple alerte dans les milieux militaires - encore au niveau de la prospective "prudente", à un bouleversement, pas très médiatisé d'ailleurs, de la stratégie de défense. C'est aux États-Unis que ce changement stratégique se fait le plus sensible ; la France, pour ne prendre que ce pays, commence tout juste à intégrer la menace climatique dans ses plans de défense. On peut cependant dire, qu'en règle générale, les milieux militaires se sont montrés, avant l'opinion publique et les élites politiques au pouvoir, bien plus tôt sensibles qu'eux à cette question.

 

Une véritable révolution stratégique en cours...

        Jean-Michel VALANTIN, à partir d'une étude de l'évolution des différents think tanks (cercles de réflexions et de communication) influents dans les milieux de la défense, des années 1980 à nos jours, décrit cette véritable révolution. Depuis le début du XXIe siècle, "alors même que tout l'appareil de sécurité nationale se mobilise dans la war on terror, que l'Afghanistan et l'Irak deviennent les théâtre de guerres longues et douloureuses, ce même appareil militaire (services "spéciaux" compris), qui a su se faire redouter pour son inébranlable capacité de destruction, est en train de s'approprier les questions liées aux grands changements de l'écosystème planétaire, ainsi que les questionnements, les principes, méthodes et démarches, propres au développement durable. 

Cette notion, formalisée en 1987 par le fameux "Rapport brundtland" intitulé Notre avenir à tous (Our common future) le définit comme un "... développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Deux concepts sont inhérents à cette notion :

- le concept de "besoins", et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité.

- l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.""

Le dérèglement, continue le docteur en études stratégiques et sociologie de la défense, "de ce rapport intégral (entre besoins et ressources), c'est-à-dire la désarticulation des relations entre les différentes dimensions de l'environnement, les formes d'organisation sociétale, l'économie et les décisions politiques (au sens le plus fondamental du terme) est fatal s'il n'est pas corrigé. Le "développement durable" vise à restaurer les équilibres dynamiques fondamentaux nécessaires aux sociétés contemporaines, à s'assurer qu'elles entretiennent et cultivent ces différents types de supports, qui leur sont essentiels et donc elles dépendent pour être pérennes. En d'autres termes, s'approprier le développement durable revient à affirmer la continuité, voire l'unicité entre une société, ses conditions de vie, les autres sociétés et la planète.

    Or les militaires américains étant, comme la grande majorité de leurs collègues de par le monde, des empiristes pragmatiques en charge de la Défense nationale - activité vitale s'il en est pour une société et un État - identifient les changements globaux, rapides et violents dus à la multiplication des catastrophes et des déséquilibres socio-environnementaux comme autant de menaces. Ils sont alors amenés à s'interroger sur la façon dont leurs missions vont en être affectées, car risquent de se multiplier les guerres pour l'eau, pour le pétrole, (alors qu'ils sont engagés dans une "longue épreuve" en Irak) pour les ressources minérales ou alimentaires... Ils commencent aussi à réaliser que si l'humanité entre dans une nouvelle ère, celle non seulement de la grande crise socienvironnementale, mais aussi dans celle de la raréfaction des ressources, le développement durable peut être la meilleure façon de s'y adapter.

Ainsi le 6 août 2012, jour anniversaire au Japon du bombardement d'Hiroshima, le ministère américain de la Défense et le ministère de l'Intérieur publient un communiqué de presse, annonçant la signature d'un protocole d'accord entre les deux ministères portant sur leur soutien coordonné à la multiplication des projets portant sur les énergies renouvelables. L'US Army, la Navy, l'Air Force s'engagent chacun à produire pour plus d'un giga-watt d'électricité grâce aux énergies renouvelables, tant sur leurs bases sur le sol américain que sur les bases outre-mer, d'ici à 2025.

En même temps, a lieu une militarisation rapide de l'Arctique, le changement climatique bouleversant totalement le statut géopolitique de la région, car le réchauffement commence à y rendre accessible ce qui pourrait être un immense potentiel de ressources minérales et pétrolières qui intéressent autant les États-Unis que le Canada, le Danemark, l'Union Européenne, la Chine et, bien sûr, la Russie.

 

Une mobilisation prévue de plus en plus importante des appareils militaires face aux changements climatiques

  Ces nouveaux enjeux sont entrés dans la Grande stratégie américaine depuis une décennie. Ils induisent une mobilisation toujours plus importante de l'appareil américain de sécurité nationale, qui prépare le futur tant en absorbant les leçons de la dévastation de la Nouvelle-Orléans comme de l'occupation de l'Irak."

    Le spécialiste Jean Michel VALENTIN de la stratégie américaine et de sécurité environnementale décrit cette "révolution culturelle" qui commence dès 2002/2003, après avoir été préparée en quelque sorte par de nombreux acteurs militaires en poste ou en réserve, suivant les travaux du GIEC avec une conviction de plus de plus arrêtée que les changements climatiques vont changer le visage de la planète. 

"(...) durant le premier mandat de Georges Busch Jr., dont l'administration était pourtant largement installée dans la tendance dite "climatosceptique"", commence à se succéder rapports, études circonstanciées et recommandations. "Depuis, l'ensemble du système américain de national security - ce gigantesque complexe où se combinent les forces armées, l'administration militaire, la communauté de l'intelligence (en charge du renseignement et de l'influence), l'industrie, le monde scientifique, celui de la prospective et du conseil, de la politique, des médias, de la politique étrangère et de la politique énergétique -, se mobilise par rapport au changement climatique. Malgré son ampleur, ce mouvement est difficilement perçu à l'extérieur du champ de la sécurité nationale. Or, ce processus se développe autour d'une réalité politique fondamentale aux États-Unis : l'établissement d'une définition de la menace partagée par les différents acteurs de la sécurité nationale, définition régulièrement renouvelée."

Alors que les forces armées américaines sont engagées dans deux guerres (Afghanistan et Irak), "durant l'automne 2003 est "fuité" (le fuitage, rappelons-le est un procédé qui rend semi-public, de manière plus ou moins clandestine, un document officiel normalement réservé, dans le cadre d'une stratégie déclaratoire pour faire avancer un certains nombre d'idées ou des propositions) le rapport intitulé National security consequences of an abrupt climate change, par l'Office of net assesment, discret et influent  bureau du Pentagone. (...) Ce document met en évidence la façon dont le changement climatique peut altérer les températures et les précipitations, impactant les infrastructures et la santé, mais aussi la production agricole et l'accès à l'eau, autant de facteurs de tensions sociales et politiques de très haute intensité. Par ailleurs, cela amènerait les États-Unis à renforcer leurs alliances ou leurs capacités de contrainte sur les pays et les régions dont les ressources apparaissent nécessaires. Dans le même mouvement, le changement climatique induirait d'immenses processus de dislocation sociale et géopolitique à l'échelle du globe. Aussi le rapports envisage-t-il, en raison d'un refroidissement régional, des mouvements de populations massifs de l'Europe du nord vers le sud, accompagnés de nouvelles tensions et conflits intra-européens, d'autant que les ressources d'Europe du Sud ne cesseraient de s'amoindrir. Selon les analystes du Pentagone et de la CIA, le changement climatique pourrait non seulement stopper la dynamique de la globalisation, mais la renverser en favorisant l'apparition de nouvelles formes de protectionnisme militarisé, plongeant des pans entiers de l'humanité dans une détresse extrême. Que ce rapport soit publiée par l'Office of net assessment lui confère un poids politique particulier dans le champ américain de la national security, cet institut ayant alimenté la pensée politique et stratégique du Department of Defense durant près de quarante ans. Ses responsables admettent cependant être en décalage avec les positions de l'administration présidentielle de George Bush Jr., défiant ainsi l'emprise des faucons néoconservateurs soutenus par Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense, et Paul Wolfowitz, sous-decrétaire d'Etat, véritable tête de pont de ce courant idéologique au Pentagone. (...) En évoquant les risques et conséquences possibles d'un abrupt climate change, l'Office of net assessment se livre implicitement à un commentaire acerbe de la politique de défense américaine, mettant en avant la façon dont la sécurité nationale risque d'être profondément affectée par le changement climatique, au moment même où l'armée américaine tente de contrôler l'Irak, dont les réserves de pétrole sont parmi les plus importantes au monde, ce qui revient à utiliser l'armée américaine pour renforcer le système fondé sur les énergies fossiles. D'après le rapport, la consommation prolongée de celles-ci aggrave le risque de voir les États-Unis et le monde subir les effets massifs du réchauffement global dans un contexte géopolitique global qui aura été dégradé par la multiplication des affrontements armés. Cette posture critique apparait en particulier quand sont évoquées les relations avec les pays producteurs et les "alliés de circonstance", dont certains peuvent être extrêmement critiquables au regard des valeurs américaines." Si pendant la guerre froide, le même Office mettait en musique le thème de la menace soviétique, il semble se mettre en rupture avec sa propre tradition, déplaçant la menace des "rouges", des "terroristes" vers le changement climatique. Un jeu d'acteurs complexe commence au sein du ministère de la Défense américaine, pour faire émerger les risques liés au climat. 

"En 2006, Donald Rumsfled est remplacé par Robert Gates à la tête du Department of Defense, marquant ainsi la fin du règne des néo-conservateurs. Ce dernier mandate alors un groupe de très hauts gradés, "jeunes" retraités, pour qu'ils mènent une étude sur les effets stratégiques du changement climatique dans un cadre pleinement officiel. Leurs conclusions, rassemblées dans le rapport National Security and the Threat of climate Change, envisagent explicitement la montée en puissance de très forts risques de déstabilisation partout dans le monde. (...) Ce rapport établi par des militaires déclenche une réaction très particulière à Washington, qui voit l'appareil de sécurité nationale s'emparer du thème du climat comme nouvelle menace stratégique, alors que la Maison Blanche campe sur une position officielle très distancée à l'égard de ces considérations. La très haute hiérarchie militaire assume une position sur le changement climatique que l'équipe de George Bush Jr. ne peut endosser pour des raisons politiques et idéologiques. (...)

 

Différents rapports clés et mouvements internes à l'appareil militaire américain pour un changement de stratégie

      Commandité par Robert Gates, le CNA publie le rapport The Age of consequences : The National Security and Foreign Policy Implications of Climat Change, soutenu par d'anciens responsables opérationnels du plus haut niveau, comme Anthony Zini, ancien commandant en chef du Marine Corps et du Central Command (le commandement opérationnel en charge de la région Moyen-Orient-Asie centrale) ou des organismes comme le Center for Strategic and international Studies (CSIS), en partenariat avec le Center for a new American security (CNAS).

Cette étude porte sur les conséquences politiques, diplomatiques et stratégiques, du changement climatique sur les dix, vingt et trente années à venir. Ce document propose que le gouvernement fédéral traite de façon radicalement neuve les enjeux du climat. Il dénonce en même temps avec la plus grande vigueur la façon plus que laxiste (laggard) dont cette question est traitée par les différentes autorités américaines dans les États ou au niveau fédéral. (...) Il ne s'agit pas là d'une "simple" étude, même de très bon niveau, mais d'une déclaration politique émise par les échelons les plus élevés de l'establishment lié à la politique de défense et à la diplomatie de Washington. (...) La publication de (ce document) est un succès et ses auteurs (sont) auditionnés fin 2007 par le National Intelligence Council, organe de coordination des seize grandes agences de renseignements. (...) Dans cette dynamique, le directeur (de cette instance) commande à son tour un rapport inter-agences, intitulé lors de sa parution au printemps 2008, National Intelligence Assessment on the National Security Implications of Global Climate Change to 2030 (voir l'ouvrage traduit en français, Le monde en 2030 vu par la CIA, Préface de Flore VASSEUR, Éditions des Équateurs, 2013). présenté en juin 2008 à la commission du renseignement du Congrès. (...)  La version du rapport rendue publique indique que les parties demeurant confidentielles concernent les régions du monde qui pourraient être déstabilisées par les effets du changement climatique."

Au moment où les États-Unis sont impliqués dans deux guerres, s'enfoncent dans la crise financière des subprimes, et où la campagne présidentielle de 2008 monopolise toutes les attentions, "émerge un axe nouveau de la stratégie américaine". Toute cette prise en compte, largement inspirée des études du GIEC, est d'ailleurs accélérée depuis le choc de l'ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans en août 2005, où les forces de sécurité, les troupes régulières mobilisées dans ces deux guerres ont fait singulièrement défaut dans l'organisation des secours. "Katrina a amené les militaires à s'interroger sur leur propre légitimité, sur le sens de leur missions, à savoir la défense, la guerre et la sécurité, activités dont dépendent tant la vie de la Cité, de la polis, que la légitimité de l'autorité en place."

En 2008, le Pentagone publie le Joint Operation environnement 2008 (JOE), rédigé à l'initiative du Joint Chief of Staff, l'organisme de coordination  de l'Army, de la Navy, de l'Air Force, des Marines et des dix commandements opérationnels. "Le JOE 2008 reconnait explicitement le risque pour les forces armées américaines, entre 2012 et 2015, de devoir faire face aux effets d'un repli de l'offre pétrolière en regard de la demande, déclenchant une crise énergétique de grande ampleur, sans doute  "inévitable". Enfin, le système de fuite massive de documents officiels sur lequel repose le site Internet Wikileaks révèle l'inquiétude des diplomates américains face à l'état des réserves pétrolières saoudiennes, qui ne semblent plus en mesure de réguler le marché international par d'importantes capacités d'augmentation de la production. Or, cette considération renvoie le Pentagone à deux interrogations" :

- le danger d'une compétition globale pour les hydrocarbures, qui pourrait déclencher des interventions américaines ou mettre en danger les forces des États-Unis, tout en risquant de déclencher de grandes crises énergétiques ;

- la nature même de la doctrine militaire pose question. Elle est en effet fondée sur la notion de "projection de force" et s'appuie sur la capacité d'emport de troupes d'armes, de matériel et de puissance de feu des navires, des avions, des hélicoptères, des véhicules blindés et de l'ensemble des véhicules de l'armée américaine, soit une consommation globale de carburants par jour équivalente à la consommation quotidienne de la Suède.

Le Center for new american security (CNAS), think tank créé en 2007 pour contrer directement des arguments des néo-conservateurs, prend une place de premier plan au changement de présidence. "Les parcours intellectuels des membres du Board of directors, comme celle du Board advisors indiquent clairement que le CNAS correspond à une offensive sociétale et intellectuelle des élites de la côte Est, qui reconstituent ainsi la fameuse alliance entre le Council for foreign affairs de Chicago, les grandes universités de Boston que sont Harward et le Massachusetts Institute of Technology (MIT), les financiers et les responsables médiatiques de New York, les politiques, les militaires, les journalistes et hommes d'influence de Washington, issus des traditions des ailes modérées des partis démocrate et républicain.

La création de ce think tank traduit une volonté commune de reconstituer le consensus bipartisan, socle de la vie politique américaine au niveau fédéral et international depuis le début des années trente", à l'inverse précisément de la rupture de ce consensus entamée depuis les années 1980 et agissante pendant les présidence des deux Bush. Les rapports du CNAS se singularisent "par la façon dont ils s'adressent avant tout aux militaires, plus qu'à la communauté de la National security dans son ensemble", ce qui explique la rapidité avec laquelle est adoptée l'ensemble des nouveaux éléments de la sécurité américaine, rassemblé sous le concept de natural security.

"Ce concept, explicitement adopté en 2009, est présent dès les premiers travaux du CNAS (...) et les différents domaines des relations "environnement/énergie/ressources" et sécurité sont réunis en 2010 pour composer l'ensemble des problématiques de la natural security. Ce concept est mis au point au moment où est lancé la Quadrenial Defense Review, exercice qui mobilise toute la communauté de sécurité nationale autour des responsables du Congrès, afin de définir pour quatre ans les grands axes à mettre en oeuvre dans la politique de défense. La précédente a eu lien en 2006, pendant la présidence de George Bush Jr, et a été largement orientée autour de la question de la guerre contre le terrorisme. Pour les nouveaux responsables politiques, issus du Parti démocrate et des élites de la côte Est (...) il est fondamental de préparer l'armée aux véritables enjeux du XXIe siècle."

      C'est l'approche d'une entrée de l'Amérique dans une nouvelle séquence de "l'histoire de la frontière" sur laquelle est construite l'histoire américaine (après la conquête de l'Ouest, la conquête de l'espace, la préservation d'un modèle de vie, le combat sur une nouvelle frontière plus inquiétante) où il s'agit de "sécuriser la nature". Cette nouvelle réflexion fait partie d'un renouvellement profond de la doctrine de "Grande stratégie" coordonnée par la Maison Blanche.

     Le président Barak OBAMA, dans son discours sur la défense, "impose un nouveau questionnement à la politique américaine : comment rétablir les équilibres fondamentaux entre la société, son économie et son rapport au monde, dans le contexte d'une planète aux ressources finies." Il propose un gigantesque programme de refonte des bases de la puissance américaine, en fonction des impératifs du XXIe siècle.

La nouvelle National security strategy of the United States de 2010 (NSS 2010) s'écarte résolument du schéma antérieur, défini dès 2002, fondée sur la notion de pre-emptive strike, possibilité aux autorités politiques de déclencher des frappes contre un adversaire donné avant que celui-ci n'emploie ses propres armes, contre notamment les pays membres de "l'axe du mal" (Irak, Corée du nord). Ce document de 51 pages redéfinit les fondamentaux de la sécurité nationale américaine, en termes d'usage des armes mais surtout, en termes de reprise de discussion avec tous les États, même ceux qui ne sont pas des alliés, et avec les institutions internationales, dont celle dédiées à la coopération et aux politiques de développement. Ces enjeux vont du "terrorisme international et à la diffusion de technologies mortellement dangereuses" aux "soulèvements d'origine économique et au changement climatique". La réponse apportée à ces enjeux est la volonté de "contrer l'extrémisme violent et les guerillas (qui s'en prennent à nos soldats) ; stopper la diffusion d'armes nucléaires et mettre en sûreté les matériaux nucléaires ; combattre le changement climatique et soutenir la croissance ; aider les pays qui en ont besoin à se nourrir et à prendre soin de leurs malades ; résoudre et prévenir les conflits, tout en aidant à en guérir les blessures" tout en rappelant que "le rejet de l'agression et de l'injustice et notre soutien aux droits universels sont à la fois fondamentaux pour le leadership américain et sont la source de notre force dans le monde."

    Jean-Michel VALANTIN résume : "Ainsi faisant, la présidence américaine se livre à une redéfinition de la sécurité nationale qui rompt avec la logique des huit années précédentes, fondée sur la notion de pre-emptive strike et la croyance en l'efficacité de la guerre pour résoudre les déséquilibres internationaux.

En introduisant l'idée de menaces globales, et donc communs à tous les États et à tous les peuples, et en identifiant comme telles la prolifération des armes nucléaires et le changement climatique, Barak Obama fait évoluer la définition politique de la menace. Il introduit le principe de péril planétaire, propre non pas aux seuls Américains, mais à l'ensemble de l'humanité." La NSS 2010 s'achève par la définition des "défis clés globaux" auxquels doit répondre l'Amérique sur le plan intérieur, le premier de ces défis est celui de la relation entre énergie et économie, en relançant l'industrie nucléaire, en améliorant les critères de l'efficacité énergétique, en investissant dans les énergies renouvelables et en installant de fortes incitations pour les promouvoir. Le but affiché en est une réduction de "17% des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020... pour parvenir à 80% d'ici à 2050".  Le texte de la NSS 2010 est chargé de références non seulement aux principes de la démocratie américaine, mais aussi aux orientations stratégiques adoptées par l'Etat américain depuis une vingtaine d'années. Les deux axes de réflexion de la Maison blanche portent sur l'énergie, l'économie et la cohésion sociale, et le rétablissement du leadership global de l'Amérique." 

   Il est à noter que la présidence de BIDEN veut reprendre toute cette réflexion, mise entre parenthèses, avec de grandes difficultés d'ailleurs, par son prédécesseur TRUMP.

 

L'appareil militaire français à la traine sur les menaces climatiques

   Pour ce qui est de la France, la réflexion stratégique tarde un peu à se traduire dans les programmes et les mise en place opérationnelle, déjà que, si nous suivons l'opinion des auteurs d'un rapport d'information de février 2012 de la commission des affaires européennes sur l'impact du changement climatique en matière de sécurité et de défense, André SCHNEIDER et Philippe TOURTELIER, cette réflexion même, obérée par la diffusion d'un scepticisme sur les résultats des recherches scientifiques du GIEC, n'atteint pas le niveau des instances américaines homologues.

"S'il existe actuellement, résument-t-ils, des incertitudes et divergences entre scientifiques quant au rythme de l'accélération du phénomène dans les cinquante à cent prochaines années, cela ne doit pas freiner la prise en considération de l'impact des risques inhérents au changement climatiques." Ils rappellent qu'une évaluation du 5 décembre 2011, portant sur le changement climatique, met en exergue les risques courus en cas d'inaction dans ce domaine et l'urgence de prendre en considération l'ensemble de ces conséquences, en particulier en matière de sécurité. "les conséquences du changement climatique en matière de sécurité et de défense sont un enjeu fondamental, dont les pouvoirs publics doivent se saisir d'urgence. Ainsi aux "États-Unis, le réchauffement climatique n'est plus simplement qu'une question environnementale, c'est devenu un enjeu stratégique majeur. Cet aspect n'est pas envisagé aussi clairement en Europe. Or, anticiper et planifier le monde de demain relève bien de la responsabilité du politique. En effet, si les conséquences du réchauffement climatique en matière de sécurité sont en premier lieu purement physiques, elles auront également de nombreuses conséquences à caractère socio-politique. La traduction pourrait en être une intensification des conflits liés à l'utilisation foncière et le déclenchement de migrations de nature environnementale, ou encore l'apparition de conflits de type nouveau. En outre, il faut prendre en considération le fait que tous ces facteurs, liés aux changements climatiques et à la géopolitique, demanderont également des efforts d'adaptation importants à la Défense dans les années à venir, aux niveaux national, européen et international, en particulier dans l'approche admise d'un continuum défense/sécurité. La stratégie en matière de défense doit donc également être repensée et adaptée de manière à faire face aux différents effets induits. Dans ce nouveau domaine, la mutualisation des renseignement et des actions est indispensable. L'Union européenne gagnerait à la définition et à la mise en place d'une véritable politique européenne en la matière, traitant à la fois des aspects "sécurité" et "défense" du changement climatique ; elle dispose des outils nécessaires pour cela." 

Leur rapport met en avant un "effet multiplicateur" et "intensifiant" des facteurs de tension :

- les compétitions pour les territoires et pour l'accès aux ressources hydriques, énergétiques et alimentaires (terres cultivables, ressources halieutiques) ;

- les phénomènes migratoires ;

- les risques de prolifération nucléaire, si un nombre croissant de pays se tournent vers le nucléaire civil pour des raisons climatiques et énergétiques ;

- les postures critiques/conflictuelles des pays moins développés à l'égard des système de gouvernance internationale et des pays européens, perçus à la fois comme les principaux responsables du problème climatique et acteurs éminemment intéressés à en tirer des avantages au détriment du "Sud du monde".

Ils incitent, à l'exemple du Royaume Unis, le pays le plus avancé sur cette question au sein de l'Union Européenne, à examiner de manière systématique trois éléments déterminant l'impact climatique en matière de sécurité :

- la sécurité alimentaire ;

- la sécurité énergétique ;

- la sécurité liée à l'eau.

Un conseil de sécurité nationale y a été créé après 2007, présidé par le ministre chargé d'analyser les menaces nouvelles. 

 

Un ensemble convergent de différentes parties de la communauté scientifique française

   On entend le même appel de la part par exemple de l'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire) ou du CIRED (Centre International de Recherches sur l'Environnement et le Développement), avec des tonalités différentes.

    Plusieurs chercheurs du Laboratoire de l'INSERM s'expriment en Juillet 2011, dans une Réflexion stratégique sur le changement climatique et les implications pour la défense. Ils rappellent que l'Union Européenne a reconnu l'impact du changement climatique sur la sécurité internationale et s'attache entre autres depuis 2007, dans le cadre de son programme de recherche (PCRD), à déterminer quel peut en être l'effet sur la propre sécurité de l'Europe. Différents travaux cartogaphiques sont menés pour identifier les zones qui pourraient être le plus affectées par les risques d'inondations, de sécheresse, de cyclones ou par plusieurs risques cumulés.

ils examinent les conséquences pour la fonction de défense de ces phénomènes :

- Si l'impact du changement climatique sur les capacités de défense devrait être assez marginal, les acteurs du secteur de la défense devraient être affectés en revanche au même titre que le monde civil par les changements de normes environnementales (participation des conditions d'utilisation des carburants pour réduire l'émission des gaz à effet de serre, changement de types de moteurs et de véhicules utilisés...) ;

- Les conséquences géostratégiques du changement climatique pourraient faire évoluer les missions, les zones d'engagement et donc les besoins capacitaires ;

- L'évolution des normes environnementales, des bonnes pratiques et l'adaptation des technologies pourraient être des facteurs d'évolution pour la conception des matériels de défense et la conduite des opérations militaires. 

En matière d'évolution des missions, ils écrivent notamment : "Aujourd'hui, les capacités militaires dont dispose la France ne sont ni vraiment appropriés ni suffisantes pour intervenir de façon véritablement efficace en situation de catastrophe naturelle de grande ampleur. Il est vrai que les armées française ont l'expérience de missions humanitaires et ont souvent été sollicitées dans le cadre de protection des populations. Toutefois, les caractéristiques des zones d'intervention et l'échelle de ce type de catastrophe nécessiteraient un réexamen précis de l'éventail des capacités à détenir pour que les forces armées puissent intervenir avec une réelle efficacité. dans ce type de scénario, il serait sans doute nécessaire d'adapter les savoir-faire "strictement" militaires, de développer des moyens d'intervention spécifiques adaptés aux zones littorale et de mettre l'effort sur la préparation dans des engagements urbains. Le tsunami survenu en 2004 en Asie du Sud-Est est un cas concret qui a montré combien il était particulièrement difficile :

- d'intervenir sur terre uniquement à partir des airs ou de moyens maritimes ;

- de se déplacer sur des terrains où les voies de communication avaient été coupées ;

- d'acheminer en urgence des moyens sanitaires, d'épuration d'eau ou de fourniture d'électricité.

De même, les enseignements tirés sur des lieux de catastrophes naturelles, telles les inondations, ont fait état d'autres déficits importants. La coordination des secours et des moyens en provenance de pays étrangers doit impérativement être optimisés (...). Les forces armées peuvent également apporter leurs compétences en matière d'organisation, de cooridnation et d'emploi des moyens de secours avec différents moyens mis en oeuvre (...). La France dispose d'unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC) qui interviennent régulièrement dans de telles circonstances. Cependant ces moyens sont insuffisants et largement sous-dimensionnés pour faire face à des situations de catastrophes naturelles de grande ampleur."

La modification des conditions climatiques influeront sur le fonctionnement de matériels sophistiqués de contrôle et de commandement. Par exemple, le changement d'acidité des océans influent sur la fiabilité des matériels de repérage marins ou sous-marins. Derrière se profilent, même si ce n'est pas abordés par les auteurs de l'étude, les modifications drastiques sur les conditions physiques et techniques dans des zone à environnement dégradé, et sur les nouvelles difficultés de manoeuvre des troupes.

       Dans un document de travail datant de 2005, déjà, le CIRED examine les liens entre changement climatique et enjeux de sécurité. Comment les menaces sur la sécurité alimentaire, sur la disponibilité de l'eau, de la vulnérabilité aux phénomènes extrêmes des territoires insulaires et des régions côtières pèsent sur l'ensemble de la sécurité. Comment de tels risques pour la sécurité humaine, avec une remise en cause des besoins fondamentaux de certaines populations ou une accentuation de leur précarité, peuvent se muer en enjeux de sécurité collective, notamment selon quatre modalités :

- exode rural accompagné d'une paupérisation des populations ;

- sources de conflits localisés pour l'usage des ressources ;

- tensions diplomatiques et conflits internationaux ;

- propagation à des régions initialement épargnées via des flux migratoires.

Les chercheurs s'interrogent sur la crédibilité et la réalité de mécanismes de compensation entre "gagnants" et "perdants", dans des changements en matière de distribution et d'accessibilité des ressources. Les outils de solidarité universelle doivent de toute évidence être repensé devant l'ampleur des catastrophes futures.

Ils n'examinent pas la réflexion qui pointent dans certains milieux sur les occasions économiques offertes par ces changements climatiques (demande nouvelle de nouveaux biens et services) ou sur les possibilités d'utiliser à leur avantage le déplacement des zones de conflits, voire de les manipuler d'une manière ou d'une autre.

Ils pointent en revanche le fait que le changement climatique "pourrait être à l'origine d'une redistribution sans précédent de certaines ressources au cours du siècle, redistribution qui le plus souvent aggravera des déséquilibres déjà existants. Cette nouvelle répartition ne manquera pas de créer ou d'amplifier des conflits pour le contrôle des ressources, mettant aux prises victimes et responsables, d'autant plus que, contrairement à d'autres catastrophes naturelles, des pays "responsables" peuvent ici être facilement identifiés, qu'ils sont parmi les plus riches de la planète et qu'ils seront relativement épargnés par les conséquences du changement climatique. Il est donc inconcevable que le climat ne devienne pas un facteur important des enjeux de sécurité au cours des prochaines décennies, justifiant par là une position haute dans les priorités de recherche et les agendas politiques."

 

Philippe AMBROSI et Stéphane HALLEGATTE, Changement climatique et enjeux de sécurité, CIRED, Septembre 2005 (Site www.centre-cired.fr). André SCHNEIDER et Philippe TOURTELIER, Rapport d'information déposé par la Commission des Affaires Européennes, sur l'impact du changement climatique en matière de sécurité et de défense, Assemblée Nationale, 28 février 2012. Michel ASENCIO et collaborateurs, Réflexion stratégique sur le changement climatique et les implications pour la défense, Laboratoire de l'ISERM 2011, Edition Juillet 2011.

Jean-Michel VALENTIN, Guerre et Nature, L'Amérique se prépare à la guerre du climat, Éditions Prisma, 2013.

 

STRATEGUS

 

Relu et (légèrement) complété le 3 juin 2021

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25 juillet 2013 4 25 /07 /juillet /2013 09:06

    Les discours sur un monde sans frontières, fait remarquer Lucile MÉDINA, Agrégée et docteur en géographie, maitre de conférences à l'université Paul Valéry à Montpellier 3, "qui ont marqué la fin du XXe siècle pourraient laisser penser que l'analyse de conflits appartenant désormais à un autre âge est peu opératoire pour la compréhension du monde contemporain". Il n'en est rien, selon elle, en témoignent les chiffres avancés par Michel Foucher (l'obsession des frontières, Perrin, 2007), faisant état de 26 000 km de frontières terrestres apparues depuis 1991 sur les 248 000 km dans le monde, alors que les processus d'effacement sont fort rares. D'où l'image d'un monde toujours aussi fragmenté, qui s'impose d'autant plus qu'un grand nombre de conflits, latents ou déclarés, subsistent sur des frontières "chaudes" et enveniment les relations diplomatiques partout dans le monde. Les frontières sont donc appréhendées par les géographes comme des interfaces, mais également comme lieux privilégiés d'enjeux et de frictions, au prisme de la dialectique classique entre ouverture et fermeture, conflit et coopération."

      Pour Jacques ANCEL (Géographie des frontières, 1938), mentionne-t-elle également, les frontières ne sont pas génératrices de conflit en soi. "Elles ne sont objets de conflits qu'au regard de problématiques politiques portées par les gouvernements des États limitrophes concernés. Le spécialiste en géopolitique écrit que "il n'est pas de problème de frontières, il n'est que des problèmes de nations"", renvoyant ainsi à la figure de l'État et au contenu, les frontières n'étant que le contenant.

Le renforcement des acteurs non étatiques ou transnationaux, avec l'activité entre autres des organisations internationales inter-étatiques (dont l'ONU) et l'activité d'organisations criminelles liées à des mouvements stratégiques des entreprises désireuses d'échapper à l'impôt, ne fait pas substituer pour le moment une logique géopolitique transcendant les frontières à une logique qui s'y rattache. Après la fin de l'Empire soviétique, on peut écrire qu'un mouvement de fragmentation accompagne un mouvement de "mondialisation", l'affaiblissement de grandes entités politiques favorisant l'apparition de plus petites revendiquant à leur tour une posture d'État. pendant que leurs capacités d'action stricto-sensu, dans les domaines économiques en particulier, se réduisent. 

 

Les frontières comme "isobares politiques"

      Les frontières peuvent s'apparenter à des "isobares politiques", continue t-elle, "fruits d'un rapport de force à un instant t entre deux États limitrophes. L'Europe, en particulier, a connu une horogenèse (c'est-à-dire une création de frontières) active pendant la période contemporaine : production de nouvelles frontières en vertu du traité de Versailles de 1919 et de la consécration de l'idée d'État-nation, apparition d'une frontière entre la RDA et la RFA au sortir de la Seconde Guerre mondiale (effacement en 1989), partition de l'île de Chypre (...), frontières nées de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie en 1991.

L'exemple du conflit chypriote, mobilisant la Grèce et la Turquie, montre la nécessité d'envisager les problématiques géopolitiques à différentes échelles. La dernière frontière internationale créée en 2011 est celle qui va désormais séparer le Soudan du Soudan du Sud devenu indépendant. Le cas de la Belgique reste incertain, face à l'implosion que certains jugent inéluctable le long de la frontière administrative séparant les aires linguistiquement flamande et wallonne. 

Les murs de séparation érigés en "frontières" dans les villes en guerre sont un bon exemple de prise en compte d'une échelle différente, intra-urbaine dans ce cas." Elle cite les cas de Belfast, mais on pourrait citer le cas de Berlin ou même le long de la frontière entre Israël et l'État palestinien qui traversent plusieurs villages...

 

Enjeux territoriaux, enjeux économiques

    La cause la plus fréquente de conflits aux frontières est la contestation du tracé de celles-ci, sur la base de revendications territoriales contradictoires. En arrière-plan de ces contestations, habillées de considérations pseudo-historiques, l'accès aux ressources fossiles ou à des minerais est souvent en jeu.

   Le cas des frontières maritimes est particulier. "Comme l'espace aérien, le domaine maritime n'a fait l'objet d'une réglementation et d'un découpage que récemment, parallèlement à l'exploitation croissante des richesses halieutiques et du sous-sol. Une série de conférences des Nations Unies a abouti en 1982 à la signature d'une convention sur le Droit de la Mer (tous les pays n'en sont pas signataires) qui fixe l'extension vers le large et le régime juridique des eaux sous souverainetés nationales (...). Les opérations de délimitation qui s'en sont suivies ont provoqué un déplacement des conflits du domaine terrestre vers le domaine maritime. Les détroits et les espaces insulaires sont potentiellement sujets à contentieux, des îlots inhabités devenant stratégiques au regard des prétentions territoriales maritimes auxquels ils ouvrent droit (notamment en mer des Caraïbes et en mer de Chine).

    Un autre type de conflit frontalier renvoie à la fonction de séparation politique et juridique de la frontière et aux enjeux de partage (de ressources) et d'échange (populations, biens, capitaux) qui ne manquent pas de se poser. Deux cas sont symptomatiques, celui des ressources hydriques partagées (cours d'eau, lacs ou nappes phréatiques) et celui des flux migratoires.

 

Frontières et conflits internes

     Les frontières peuvent être impactées, écrit enfin Lucile MÉDINA, "par des conflits internes, du fait que les régions frontalières se trouvent utilisées comme base arrière par les mouvements révolutionnaires en lutte contre le pouvoir central. Parce que celui-ci ne contrôle pas les régions périphériques, les frontières deviennent alors des théâtres privilégiés de combats. Le conflit reste rarement circonscrit, et tend à déborder sur le territoire de l'État voisin, engendrant alors un conflit interétatique. En effet, l'État voisin peut se plaindre d'incursions de groupes armés étrangers ou bien être accusé de complaisance envers ces derniers (...).

Les territoires se retrouvent donc au coeur d'enjeux politiques stratégiques pour les États, accusant dès lors généralement des retards de développement dans les domaines sociaux et économiques. Le caractère conflictuel d'une frontière se traduit par la fermeture de celle-ci (surveillance accrue, fermeture de postes frontière), qui entrave les échanges de biens ou la circulation des personnes. Les frontières sont loin d'être définitivement figées, et certaines résolutions pacifiques de conflits apportent une sorte d'optimisme : pour preuve, le traité réglant le tracé de la frontière sino-russe en 2008, après quarante ans de négociations, qui fut corroboré par la construction d'un pont frontalier, commencée en 2010."

 

De l'érosion des États...

     La problématique actuelle des frontières met encore surtout aux prises des États, malgré l'érosion relative de leur importance. Ce qui se passe en Europe avec l'Union Européenne, ce qui est acquis pour les États-Unis d'Amérique, ne peut pas être généralisé à l'ensemble du monde. Les nationalismes restent virulents dans de nombreuses régions du globe, et parfois même se renforcent. Les questions de séparation et de partage des ressources et de contrôle des populations restent en effet l'apanage des États, malgré les progrès notables des organisations internationales. Le pas est loin d'être franchi dans l'abolition de frontières par un processus de substitution à une logique souvent réductible au domaine militaire entre entités souveraines d'une logique de police internationale menée par une organisation supra-nationale. Les contours des pouvoirs d'un tel organisme ne font même pas partie des programmes politiques à l'heure actuelle. Le lent chemin d'une universalisation des échanges commerciaux n'est sans doute pas suffisant pour parvenir à défocaliser les entités politiques de problématiques étatiques, car des acteurs économiques, parmi les plus importants, désirent faire l'impasse sur leurs participations aux nécessaires solidarités sociales.

 

Les frontières comme problèmes de communication ?

   C'est aussi ce que Anne-Laure AMILHAT-SZARY, agrégée de Géographie et Maitre de conférence à Grenoble 1-PACTE, constate dans sa revue des relations entre conflits et frontières. Dans son approche se trouve à la base une définition "discursive du conflit qui détermine son apparition comme le résultat de la non-acceptation, par l'un, de la position de l'autre, accompagnée de l'impossibilité de trouver un moyen de communication pour régler ce désaccord, qui peut déboucher sur l'affrontement.

Cette définition permet de comprendre les conflits dans une perspective diachronique (moins on communique, plus on s'oppose et plus le conflit se creuse)." Nous ne pensons pas que cette conception prenne en compte tous les types de conflits, et à une époque où les moyens de traduction et les études transculturelles n'ont jamais été aussi importantes, sans doute une grande part des conflits sont-ils "objectifs", c'est-à-dire résultant de désirs ou de stratégies opposées concernant le même objet, et ne procèdent pas en majorité d'un manque de communication.

 

La frontière, marque de la différence d'avec l'autre

    Toutefois, il est vrai que "la frontière marque le point de différenciation d'avec l'autre" et "matérialise l'altérité" : toute frontière introduit "de la distance dans la proximité" (C. ARBARET-SCHULTZ, Les villes européennes, attracteurs étranges de formes frontalières nouvelles, dans l'ouvrage Villes et frontières, sous la direction de Bernard REITEL, Patricia ZANDER, Jean-Luc PIERMAY et Jean-Pierre RENARD, Antrohopos-Economica, collection Villes, 2002)

L'auteur poursuit : "et elle est de ce fait susceptible de cristalliser le conflit." "Notre définition large, poursuit-elle, de la frontière permet de comprendre en quoi ces lignes conventionnelles et stries socio-spatiales peuvent articuler de très nombreux conflits. Leur existence même est le plus souvent liée au conflit, mais sur ce point déjà, les interprétations fluctuent : certains auteurs argumentent le fait que le tracé des frontières permet de régler des conflits, d'autres qu'il les attise. Des exemples de ces deux dynamiques existent, et (il est important) de comprendre quels sont les contextes qui aboutissent à des situations aussi différenciées. Cette analyse des interactions entre frontière et conflit doit en outre être comprise au regard de l'évolution des frontières elles-mêmes." Elle fait référence à l'augmentation depuis 1991 des kilomètres de frontières et elle cherche à comprendre "de quelle façon cette surenchère accompagne-t-elle la réduction paradoxale des conflits internationaux."

Par ailleurs, "les États ne sont pas les seuls détenteurs de la violence aux frontières, bien au contraire. Dans un contexte mondial où la violence interétatique est globalement en régression (...), les guerres civiles ont pris le pas sur les conflits internationaux dans la deuxième moitié du XXe siècle. Ce qui ne veut pas dire que les espaces frontaliers deviennent des zones totalement pacifiées.

Au contraire, les conflits frontaliers constituent une représentation dominante des conflits territoriaux. Sans doute cette induration est-elle due à leur visibilité, sur les cartes notamment : les parties en présence peuvent tracer les périmètres revendiqués. Notre approche multiscalaire nous amènera cependant à analyser l'espace autour des lignes frontières, car il concentre souvent toutes sortes de violences. La violence interétatique n'est pas la seule en cause : on s'intéressera aux formes de violences sociales, ou violences matérielles et symboliques faites aux personnes, toutes ayant comme point commun d'être porteuses de conflit. Liées aux activités illicites qui s'y développent, on trouve, en effet, dans les zones frontalières plus d'armes qu'ailleurs. On y croise également plus d'opportunités de confrontation à la norme, confrontations qui peuvent dégénérer de façon violente (par exemple lors de contrôles d'identités)."

 

Anne-Laure AMILHAT SVARY, Frontières et Conflits, dans Géographie des conflits, Sous la direction de Frank TÉTART, CNED/Editions Sedes, 2011. Lucile MÉDINA, Frontière, dans Dictionnaire des conflits, Atlande, 2012

 

STRATEGUS

 

Vérifié le 17 octobre 2018. Relu le 23 mai 2021

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7 juillet 2013 7 07 /07 /juillet /2013 08:12

      Sources d'énergie les plus utilisées dans le monde contemporain, les énergies fossiles constituent l'enjeu d'une grande partie des conflits armés.

La prépondérance récente  à l'échelle historique des énergies fossiles dans le fonctionnement de l'économie mondiale, produite en liaison avec la révolution industrielle, née en Grande Bretagne vers la fin du XVIIIe siècle, et étendue en Europe occidentale et aux États-Unis au cours de la première moitié du XIXe siècle avant de se généraliser dans la seconde moitié du XXe, ne doit pas masquer le fait qu'elle s'est effectuée et s'effectue encore avec de nombreux heurts. Il ne s'agit pas seulement de processus techniques complexes de détection, d'extraction, de transport et de distribution, mais aussi d'une lutte constante entre plusieurs forces économiques (qu'elle soient d'acteurs étatiques ou non) pour se les approprier, se les réserver, les monopoliser. Les énergies fossiles sont souvent au coeur de certains processus de colonisation et de décolonisation. Plusieurs guerres, aux buts souvent masqués, ont pour enjeu unique la course aux ressources fossiles.

 

Conflits et contraintes techniques

  Elles possèdent en effet plusieurs caractéristiques qui favorisent le mélange (complexe) de conflits et de contraintes techniques. Certains pourraient même envisager de concevoir les difficultés liées à l'utilisation de ces ressources fossiles comme un double combat entre l'humanité et la nature, et entre plusieurs parties de l'humanité. 

       - Charbon, pétrole et gaz naturel proviennent de processus complexes de transformation de différentes matières organiques qui se sont produits au cours de longues périodes géologiques. La vie reposant sur la chimie du carbone, toutes les sources d'énergie fossile renferment une proportion plus ou moins forte de cet élément. Lors de leur combustion, elles sont pas conséquent susceptibles de produire du gaz carbonique. Aucune importance n'a été pendant très longtemps attachée à ce phénomène, qui de nos jours, est devenu le principal inconvénient de ces sources d'énergie.

On croyait que le combat contre la nature se résumait à extraire cet élément du sous-sol, or ce combat se prolonge aujourd'hui avec un nouveau visage : les multiples pollutions causées, les changements climatiques provoqués, à cause d'une certaine ignorance (voulue ou non) du fonctionnement des écosystèmes naturels, menace la vie même sur terre, sous la forme que nous connaissons.

       - Les processus géologiques qui ont donné naissance à ces énergies ont permis la constitution de gisements qui sont des accumulations parfois très considérables. C'est ce qui a constitué le principal attrait de ces sources d'énergie. Elles offraient la possibilité d'accéder d'un seul coup à des quantités d'énergie sans commune mesure avec ce dont l'homme avait pu disposer auparavant. Pour une même source on rencontre des gisements ayant des réserves et des conditions d'extraction extrêmement différentes. Cela a beaucoup d'importance au moment de la mondialisation du marché des énergies. Leur prix sera celui nécessaire pour assurer la survie du gisement le plus coûteux à exploiter dont la production est quand même nécessaire pour répondre à la demande. Cela signifie que la rentabilité des gisements les plus faciles à exploiter est très élevée. L'exploitation des sources d'énergie fossile est susceptible d'engendrer des "rentes" très considérables pour certains territoires d'autant que l'existence de cartels publics ou privés, d'ententes regroupant la majorité des producteurs peut faire monter très fortement les cours de ces produits.

     - Ces gisements sont géographiquement inégalement répartis. La plus ou moins grande facilité de transport de ces énergies sur des distances parfois très importantes devient un des principaux élément de leur compétitivité.

      - Identifier un gisement, le mettre en exploitation et produire des quantités suffisantes pour avoir un impact sur le marché mondial est un processus nécessairement lent. Ce manque d'élasticité de l'offre vis-à-vis de la demande est classique dans le cas des matières premières minérales. Ce fait à lui seul contribue déjà à créer un contexte favorable à la volatilité des cours si ceux-ci sont fixés librement par un marché et non pas déterminé de manière autoritaire par un pouvoir politique ou un cartel d'entreprises.

     - Les effets de l'inégalité de la répartition géographiques des gisements sont accentués par le découpage du monde en territoires, les États, de taille extrêmement variées. La grande majorité d'entre eux est déficitaire ou excédentaire. L'équilibre entre les besoins et les ressources est une situation assez rare, mais là, l'écart important entre les deux fait des sources fossiles un enjeu de première grandeur pour les sociétés qu'ils abritent, que ce soient les sociétés qui vivent sur le sol de ces ressources, ou les sociétés qui en vivent tout en étant dépourvues de celles-ci. Comment gérer pour reprendre une approche libérale le manque ou la surabondance des sources d'énergie fossile? Des réponses très variées (et plus ou moins violemment imposées!) ont été apportées. Les États excédentaires, tirent parti de leur abondance énergétique pour essayer d'améliorer leur place sur l'échiquier international. Ceux qui sont déficitaires essaient de sécuriser leurs approvisionnements en exerçant un "ascendant" plus ou moins indirect sur leurs fournisseurs par le biais d'investissements, d'accords exclusifs de coopération, d'un contrôle direct de leurs ressources, d'accords de sécurité et de défense, de présences plus ou moins armées, d'une stratégie qui manie tour à tour la coopération et l'antagonisme des acteurs sur place... Tout cela revient à dire que les interactions entre l'inégalité de la répartition des gisements et de la fragmentation politique croissante du monde ont fait que les énergies fossiles sont devenues un facteur géopolitique de premier plan à travers lequel s'expriment les rapports de domination entre les différents pays. Plus la répartition géographique est inégale, plus la quantité de pays utilisateurs de cette source est importante et plus la probabilité de voir surgir des tensions géopolitiques est vive.

     - A l'intérieur même des États, les énergies fossiles sont génératrices de déséquilibre spatial car, sauf dans le cas de pays de très faible superficie, les gisements sont très inégalement répartis à travers leur territoire. Leur mise en valeur crée des foyers de fixation de population et d'infrastructures dont la durée de vie est conditionnée par celle du gisement. Elle peut certes durer assez longtemps, plusieurs générations comme dans le cas de bassins houillers mais à terme la question de leur reconversion finit toujours par se poser. Là encore ce sont les spécificités des territoires qui obligent les sociétés à faire face avec leurs caractéristiques propres à un problème inéluctable, une source d'énergie en chassant une autre, dans l'évolution du système économique. (Michel BATTIAU)

 

Le pétrole, devenue principale source d'énergie

      Le pétrole, rappelle, s'il est besoin de le rappeler, Jean-Pierre FAVENNEC est l'énergie de référence parce qu'il présente plusieurs caractéristiques essentielles :

- C'est une matière première stratégique, car "notre civilisation repose en grande partie sur le transports d'individus ou des marchandises. Or, les voitures automobiles fonctionnent essentiellement avec de l'essence ou du gazole, les camions avec du gazole, les avions avec du carboréacteur. D'autres carburants existent : le gaz, les carburants issus de la biomasse, voire l'hydrogène, mais aucun de ces produits n'est actuellement compétitif face aux produits pétroliers. Les produits pétroliers couvrent 97% des besoins de carburant (l'auteur écrit en 2009). le pétrole est donc indispensable dans le secteur du transport et sans lui aucune activité économique n'est possible.

Le pétrole sert aussi à faire la guerre. L'importance du pétrole est apparue avant et pendant la Première Guerre mondiale. (...) Si au début de (cette guerre) le cheval est encore la force de trait la plus importante, le rôle des tanks et véhicules automobiles va bientôt s'avérer prépondérant. Les avions de combat font même leur apparition dans les derniers mois du conflit."

- Le pétrole est liquide, "... cette caractéristique fait du pétrole une énergie facile à produire, facile à transporter, facile à utiliser. De plus, le pétrole est une énergie concentrée : le gaz est beaucoup plus coûteux à transporter et à distribuer, le charbon est un solide qui se prête plus difficilement aux manipulations. L'électricité est elle aussi une énergie coûteuse à produire et impossible à stocker (sous forme de courant alternatif, devons-nous préciser). Cette facilité de production fait du commerce du pétrole le commerce mondial le plus important en volume et en valeur. (...) Le marché du pétrole est mondial car le pétrole se transporte facilement d'un bout à l'autre de la planète."

- Le pétrole est la seule matière première dont le prix peut être très supérieur au coût de production. "Le pétrole ne coûte que quelques dollars à produire au Moyen-Orient et au maximum quelques dizaines de dollars dans les conditions les plus difficiles. Est-ce une conséquence de son caractère stratégique? L'effet d'une rareté réelle ou organisée? Toujours est-il que le prix du pétrole en ce début du XXIe siècle est en moyenne très supérieur à son coût d'extraction. On parle d'une économie de rendre : la rente est l'écart entre le prix (supposé refléter une juste valeur pour le consommateur) et le coût de production. (...)" Cette rente revient à l'État en Arabie Saoudite qui en rétrocède une partie à la compagnie nationale, la Saudi Aramco, qui dispose du monopole de l'exploitation des ressources en hydrocarbures du royaume, pour financer les opérations d'exploration, de production, de traitement. "Dans les pays où les sociétés internationales privées (IOC : Exxon, BP, Shell, Total, Chevron...) opèrent seules ou en association avec une société nationale (cas du Nigeria, de l'Angola, voire sur une échelle plus limitée du Venezuela ou de l'Iran), la rente est partagés entre l'&tat et la compagnie pétrolière. En principe lorsque le prix varie fortement, la part de la rente restant à la société pétrolière augmente plus modérément, la règle implicite étant la suivante : l'État est le propriétaire des gisements". A noter qu'il n'en a pas toujours été ainsi et que seul le mouvement de décolonisation a permis cette répartition.

 

Sécurité des approvisionnements, pierre angulaire stratégique

  Jean-Pierre FAVENNEC cite deux exemples sur ce rôle fondamental qui fait de la sécurité des approvisionnements et des politiques énergétiques, les pierres angulaires des politiques stratégiques et économiques.

- "Pendant la Seconde Guerre mondiale, la disponibilité de carburants, donc de pétrole brut, est au coeur des décisions stratégiques allemandes : après avoir pris le contrôle des gisements roumains, l'Allemagne nazie, en déclarant la guerre à l'Union Soviétique et en envahissant la Russie, cherche entre autres à mettre la main sur les gisements de pétrole de Bakou et de la Volga. Les troupes allemandes sont défaites à Stalingrad et échoueront à prendre le contrôle du pétrole russe. Un peu plus tard, Rommel se dirige vers le Moyen-Orient où les gisements géants viennent d'être découverts, mais les troupes britanniques et le manque de carburants l'empêchent de parvenir à ses fins. Les armées allemandes ont alors recours à des carburants obtenus par liquéfaction du charbon." On pourrait multiplier les exemples sur les front européens et asiatiques que l'on peut retrouve par exemple dans le livre de Antony BEEVOR, La Seconde Guerre Mondiale.

- "Dans les pays du tiers-monde une disponibilité insuffisante en produits pétrolier signifie des récoltes plus difficiles et surtout l'impossibilité de les transporter jusqu'à la ville et donc d'alimenter les populations urbaines. Dans les années 1970, l'augmentation du prix du pétrole a eu des conséquences particulièrement néfastes pour de nombreux pays africains : incapables de payer leur facture pétrolière, ils laissent sécher les récoltes sur place faute de moyens de transport pour les acheminer". 

   Pour assurer la sécurité d'approvisionnement, suite aux chocs pétroliers dans les années 1970 et 1980, les responsables économiques occidentaux misent surtout sur la recherche de l'efficacité énergétique (économies d'énergie, mise en place de technologies plus performantes...), comme l'Union Européenne en 2005, avec son Livre Vert sur l'efficacité énergétique. Ils comptent également sur la diversification des sources d'énergie, chaque pays utilisant dans des proportions différentes le pétrole, le gaz naturel, le charbon, le nucléaire et les énergies renouvelables, mais c'est surtout dans une politique de diversification géographique des sources d'approvisionnement que leurs efforts a jusque là porté, avant que la prise de conscience des dangers liés aux changements climatiques leur parvienne. 

   Pour le pétrole, l'acheminent de l'énergie se fait soit par transport maritime (pour sa grande majorité) soit par oléoducs (le cas du gaz naturel est différent). Dans les deux cas, la protection des circuits d'approvisionnement nécessite aux yeux des responsables politiques des mesures de protection, parfois militaires. Il s'agit de protéger des zones géographique charnières (détroits, canaux) à la fois d'entreprises politiques qui menaceraient la stabilité de ces zones comme d'ailleurs des zones d'extraction et des actes de piraterie, soit terrestres, soit maritimes.

Les États-Unis, seule actuelle super-puissance, assure la sécurisation des approvisionnements en hydrocarbure, à la fois pour eux-mêmes et (parfois) pour leurs alliés. Par des accords de défense, souvent bilatéraux, des bases américaines sont installées un peu partout dans le monde, et s'assurent la libre circulation (même parfois dans les zones territoriales des pays) de leur marine de guerre, présente sur tous les océans et mers du monde. Le dispositif proprement militaire est complété par des mesures "indirectes" (financement de marines d'alliés, surveillance des zones "déstabilisées" ou en voie de l'être).

  Il s'agit pour tous les pays consommateurs, non seulement d'assurer leur consommation courante, mais aussi de mettre en place des stocks de sécurité, pour des besoins civils ou militaires. 

 

Deux approches distinctes

   Jean-Pierre FAVENNEC met l'accent sur l'existence de deux approches distinctes du problème :

- Celle des États-Unis qui met l'accent sur l'offre et cherche à assurer la stabilité ds zones productrices, notamment dans la région du Moyen-Orient. L'objectif principal est de permettre un approvisionnement abondant du marché américain, les problématiques environnementales passant au second plan. Aujourd'hui, les États-Unis sont asses puissants pour se permettre de résister aux appels d'une communauté internationale globalement plus sensible aux problèmes de pollution. De plus, la recherche sur les sources d'énergie a toujours été, depuis leur fondation, un des grands soucis des entreprises pétrolières, et actuellement (mais les choses peuvent vite changer...), les percées technologique sur le gaz de schiste pourrait lui assurer une certaine indépendance dans l'approvisionnement, rendant moins "pesantes" "l'obligation" de sa présence au Moyen Orient, prélude sans doute à d'autres bouleversements géopolitiques...

- L'approche choisie par l'Union européenne procède de la logique inverse, à savoir une diminution de la demande d'énergie. Cette politique a l'avantage de présenter une certaine complémentarité avec les politiques mises en place pour apporter une réponse aux risques environnementaux. Cependant, il apparaît que l'Union européenne abandonne aux États-Unis le soin d'assurer la sécurité physique des approvisionnements. De plus entre les proclamations intergouvernementales ou les directives européennes de diminution de consommation d'énergie et les réalisations de cette politique, notamment dans une période où l'on mesure (trop sans doute) les financements correspondants, un délai assez long peut se produire...

 

Jean-Pierre FAVENNEC, Géopolitique de l'énergie, Besoins, ressources, échanges mondiaux, Editions Technip, 2009. Michel BATTIAU, L'énergie, Un enjeu pour les sociétés et les territoires, Ellipses, 2008.

 

STRATEGUS

 

Relu le 31 mai 2021

 

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3 juillet 2013 3 03 /07 /juillet /2013 11:30

     La géopolitique de l'énergie ne traite - au vu des manuels et des traités quand ils la mentionnent et l'analysent, ce qui n'est pas le cas partout - encore que de géopolitique des énergies fossiles, surtout du pétrole et du gaz naturel, et à propos de la production, de la circulation et de la distribution de l'électricité, surtout de l'énergie nucléaire. Or la production d'énergie, à partir du XIXe siècle, n'est pas du tout la même que celle des siècles antérieurs et, sans doute, faut-il l'espérer, la même que dans le courant du IIIe millénaire. Analyser une géopolitique de l'énergie revient donc, suivant l'énergie en question - animale, humaine, mécanique, électrique, combustible (du feu au pétrole) - à étudier certaines composantes qui apparaissent dans tous les cas ou dans les cas les plus fréquents, à travers les siècles.

 

Des caractéristiques invariables

    Parmi ces invariants suivant les siècles,  nous pouvons énoncer :

- une présence massive des sources d'énergie sur des espaces restreints ;

- une utilisation d'énergie pour l'extraction même de ces énergies ;

- une circulation (transport) de ces énergies ;

- une demande de cette énergie inégale également suivant les territoires ;

- une présence de "maîtres de l'énergie", fraction ou partie des populations productrices ou contribuant à leur distribution, voire contrôlant les circuits de consommation, qui en tire un pouvoir, suivant les civilisations, principalement religieux, politique, économique et/ou social. Ces parties de la la population participent à la structure du pouvoir dans leurs sociétés respectives et influent sur l'ensemble de la géopolitique, y compris celle qui ne concernent pas directement l'énergie.

   Nous sommes tellement centrés sur les difficultés d'approvisionnement contemporaine en énergie que nous en oublions tout le reste, dans le temps et dans l'espace.

Alors même que les types d'énergie eux-mêmes - en concurrence ou en complémentarité - influent sur la géopolitique globale. Pour prendre un exemple, au XIXe siècles, coexistent dans des conflits permanents, plusieurs formes d'énergie, parfois très distantes les unes des autres, par les pratiques sociales mises en oeuvre. En Europe émerge une véritable économie du charbon de terre alors qu'en Inde domine encore largement l'utilisation de l'énergie animale et humaine, et cela dans de nombreux secteurs d'activités...

 

Des énergies différentes, des géopolitiques différentes...

     Une géopolitique de l'énergie, très différente d'une période de dominance énergétique à une autre, doit tenir compte de caractéristiques propres à l'énergie. Il existe en effet une différence entre énergie primaire et énergie secondaire dont nous devons tenir compte.

On parle d'énergie primaire pour désigner l'énergie directement issue de l'exploitation d'une ressource disponible dans la nature : bois, charbon, pétrole, gaz naturel, vent, rayonnement solaire, énergie hydraulique ou géothermique. On peut considérer, avant le XIXe siècle, en outre, l'énergie humaine et l'énergie animale comme des énergies primaires. Néanmoins, certaines énergies ne sont pas toujours directement utilisables : il faut d'abord les transformer (raffinage du pétrole pour obtenir du carburant).

L'énergie secondaire est le résultat d'une transformation d'une énergie primaire au moyen d'un système de conversion : l'électricité (énergie secondaire) est par exemple produite à partir de l'exploitation du charbon (énergie primaire) ou de gaz (énergie primaire) dans une centrale thermique, d'uranium (énergie primaire) dans une centrale nucléaire.

Le passage d'une énergie primaire à une énergie secondaire se fait avec des pertes de transformation ou de conversion. 

    Dans l'Antiquité, et auparavant, les seules ressources sont la force humaine (à partir du travail des esclaves notamment), la traction animale (pour le transport) et la biomasse, en particulier le bois pour la cuisson, le chauffage et l'éclairage. Toutefois, dans l'Antiquité existe déjà de l'énergie mécanique, notamment à partir de l'utilisation de l'eau. Au Moyen Age européen, viennent d'Orient les moulins à vent qui fournissent une énergie plus efficace, en particulier pour l'industrie alimentaire et l'industrie textile. Le moulin à eau, plus puissant, redécouvert parfois, permet le développement des moulins à papier et des moulins à battre le fer.    

    Ce n'est que il y a peu de temps, vers le XIXe siècle, qu'est mise en oeuvre une énergie mécanique massive, notamment à partir de l'utilisation du charbon pour faire mouvoir des machines à vapeur.

    La découverte de l'énergie électrique, énergie secondaire par excellence, fabriquée d'abord par détente de vapeur produite par la combustion du charbon, enclenche une révolution de grande ampleur. L'utilisation du pétrole dans les centrales thermiques dynamise l'évolution de la société industrielle. L'invention du moteur à explosion modifie ensuite son visage ; le pétrole devient la source d'énergie la plus importante du point de vue géopolitique. L'éloignement, la rareté de cette source d'énergie des lieux d'utilisation la rend proprement stratégique, au même titre que les minerais de fer, de cuivre,.

  L'utilisation au siècle dernier de l'électricité produite par l'énergie nucléaire et par des centrales à cycle combiné, alimenté au gaz naturel provoque un développement accéléré de la société industrielle.

 

L'apparition d'une science géopolitique de l'énergie

    Ainsi, une géopolitique de l'énergie humaine est envisageable, même si cela est bien sûr anachronique par rapport à l'apparition de la géopolitique dans l'histoire des idées, en considérant des sources géographiquement située d'esclaves, dans la mesure même où l'esclavage pour dettes et l'esclavage par faits de guerre ne suffit plus à alimenter un système esclavagiste comme celui de la civilisation gréco-romaine. Un commerce d'esclave s'organise pour alimenter le système économique romain, le fournir en énergie romaine, ceci d'autant plus que le travail est considéré par les élites comme une activité dégradante et qu'il n'est plus question à partir d'une certaine période d'alimenter les marchés d'esclaves à partir du vivier des populations conquises. De véritables sources d'esclaves, bien délimitées, une circulation d'esclaves, l'activité d'une puissante classe de commerçants d'esclave, des points de concentration de la demande d'esclaves, tout cela peut fournir matière à une géopolitique.

    Il en est de même pour l'eau, les sources où l'eau est suffisamment puissantes pour faire mouvoir des moulins constituent autant de points stratégiques. 

    Dans tous les cas, existent des maîtres de l'énergie, que ce soit du feu dans la préhistoire ou du pétrole dans le monde moderne, qui occupent dans les sociétés en question des places centrales. Et de leur point de vue, s'il n'existe évidemment pas de pensée géopolitique (mais il existe une certaine pensée stratégique en revanche...), il existe des zones à surveiller et à défendre, non seulement contre des forces qui menaceraient l'approvisionnement en énergie, mais également contre les concurrents. La défense des points de concentration en énergie primaire est incluse dans la défense des voies commerciales d'approvisionnement en énergie. Les zones de guerre sont souvent, de ce fait, des zones récurrentes suivant les civilisations, précisément parce qu'elles constituent des points de concentration ou de circulation de l'énergie indispensable à leur fonctionnement. C'est aussi vrai dans l'Antiquité, au Moyen-Age... que de nos jours, même s'il faut attendre le surdéveloppement des transports qui rapetissent dans l'imaginaire l'espace global d'activité, pour voir naître une géopolitique qui analyse les constantes et les variables des mouvements sociaux, politiques, économiques, militaires, en fonction des caractéristiques du climat, du relief, de la forme et de la masse des mers et des océans comme des terres, et de leur rapport entre eux; 

 

   De nos jours, qui dit géopolitique de l'énergie dit géopolitique du pétrole. Car le pétrole reste l'énergie de référence, matière première stratégique, seule matière première dont le prix peut être très supérieur au coût de production, matière première également facile à transporter et facile à utiliser. De manière proche, le gaz naturel, également hydrocarbure est englobé dans cette géopolitique-là.

  L'utilisation du pétrole est multiple, dans les transports et dans la production d'électricité, mais également dans la fabrication de biens manufacturés (plastiques...), ce qui en est fait la matière la plus susceptible de provoquer et de faire perdurer les conflits armés dans le monde. Les entreprise pétrolières et les États défendent les sources de pétrole avec une férocité qui rappelle celle des Romains pour protéger les voies d'approvisionnement en esclaves. 

 

Jean-Pierre FAVENNEC, Géopolitique de l'énergie, Besoins, ressources, échanges mondiaux, Editions Technip, 2009.

 

STRATEGUS

 

Relu le 1 juin 2021

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29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 15:26

      Un des avantages de prendre le mot géostratégie au lieu de géopolitique (mais ce n'est pas ce que l'Histoire a retenu), c'est qu'à l'inverse de géopolitique, terme qui peut être rendu impersonnel en se rattachant directement à un pays, une région, une religion, voire une activité (le tourisme, la santé...), le terme géostratégie dérive de stratégie, qui suppose des stratèges ou des stratégistes, et qui se trouve directement actif : un acteur mène une géostratégie, soit une stratégie sur un lieu, une région, un pays...  La discipline qui émerge au XIXe siècle aurait pu s'appeler "géostratégie", rappelle Hervé COUTEAU-BÉGARIE. "Si l'histoire du concept de géopolitique peut être reconstituée avec certitude, celle du concept de géostratégie est plus floue." Le chercheur italien, le colonel Ferruccio BOTTI identifie le général piémontais Giacomo DURANDO, avec son Della nazionalita italiana (1846), comme l'inventeur des concepts, simultanément, de géostratégie et de géo-tactique (voir Stratégique n°58, 1995-2).

 

Plusieurs points de vue...

    Alors que la géopolitique se suffit à elle-même, la géostratégie n'est, en règle générale, poursuit Hervé COUTEAU-BÉGARIE, définie que par référence à sa "soeur aînée". Pierre CÉLÉRIER (Géopolitique et géostratégie, PUF, 1955) affirme que "la géostratégie, soeur cadette de la géopolitique, forme avec elle un diptyque homogène qui offre ainsi au politique et au militaire une même méthode d'approche de problèmes nécessairement connexes dans le monde actuel". Mais il se garde de proposer une définition. Dans la recherche de cette définition, le rédacteur du Traité de stratégie écarte la distinction de Saül B COHEN (qui part des conceptions de région géostratégique et de région géopolitique...) et présente celles d'Yves LACOSTE, du groupe de géostratégie du Laboratoire de stratégie théorique de la Fondation pour les Études de Défense Nationale et du contre-amiral François CARON.

   Yves LACOSTE oppose le concept de géostratégie à celui de la géopolitique (L'Occident et la guerre des Arabes, Hérodote n°60-61, 1991 et Géopolitique et Géostratégie, Stratégique, 1991-2). Il propose de "réserver le terme de géopolitique aux discussions et controverses entre citoyens d'une même nation (ou habitants d'un même pays) et le terme de géostratégie aux rivalités et aux antagonismes entre des États ou entre des forces politiques qui se considèrent comme absolument adverses." Les exemples qu'il cite peut amener à réserver la géopolitique aux pays démocratiques, mais il nous semble que l'on se rapproche davantage pour la géostratégie des acteurs de la stratégie. 

    Le groupe de géostratégie du Laboratoire de stratégie théorique de la FEDN propose un autre critère : la géopolitique raisonnerait en terme de zones d'influence alors que la géostratégie raisonnerait en termes de glacis (A quoi sert la géostratégie?, Stratégique, n°50, 1991-2). Cette conception peut apparaître trop réductrice. Elle se réfère par priorité, sinon exclusivement à une géostratégie du temps de paix, alors même que le conflit par excellence est et reste la guerre. Il faut donc trouver, observe toujours Hervé COUTREAU-BÉGARIE, "une définition qui témoigne de l'élargissement de la géostratégie au temps de paix, sans oublier qu'elle trouve d'abord et surtout son application dans le conflit."

    Le contre-amiral François CARON insiste sur la "parenté très intime qui unit à travers les mêmes données les deux mondes de la géopolitique et de la géostratégie... La géopolitique ne peut-être que l'étude des facteurs généraux dont la dimension est de nature à affecter, en profondeur, dans un sens ou dans l'autre, le projet politique ; (la géostratégie) analyse l'ensemble des données de toutes sorte, appartenant tant à l'économie qu'à la sociologie, à la démographie, mais aussi au domaine militaire, susceptibles d'affecter la stratégie générale mise en oeuvre par l'État" (Géopolitique et géostratégie, Stratégique n°58, 1995-2). Cette distinction a l'immense mérite, selon notre auteur, de la clarté et de la simplicité : à la géopolitique l'étude du projet, à la géostratégie celle de l'exécution. "Mais l'objet proprement dit de la géostratégie ainsi entendue est trop vaste pour être véritablement appréhendé : il a vocation à tout englober, sans que la spécificité "géo" apparaisse clairement."

     Dans les controverses et les interrogations sur le sens de la géostratégie émerge peut-être la proposition de Zbigniew BRZEZINSKI (Game Plan. A Gestrategic Framewaork for the Conduct of the US-Soviet Contest, New York, The Atlantic Monthly Press, 1986) : la géostratégie n'est-elle simplement que le produit de la fusion de considérations stratégiques et géopolitiques. Lucien POIRIER (postface aux Transformations de la guerre, du général Colin) s'interroge sur la pertinence du concept : "L'espace est l'une des catégories usuelles de la pensée stratégique, laquelle s'inscrit dans la dimension "géo". Dire géostratégie est tautologique." Mais la même objection pourrait être faire à la géopolitique. 

    Hervé COUTEAU-BÉGARIE conclue que la réflexion sur l'épistémologie de la géostratégie est très faible, contrairement à celle sur l'épistémologie de la géopolitique...

Ce qui ne l'empêche pas, pour cerner sa signification, d'enclencher son propos sur la géographie militaire. Son historique montre son importance d'abord de premier plan puis déclinante, au profit d'un mouvement de géostratégistes qui mettent en avant  la nécessité pour le stratège d'élaborer en fonction du terrain, une géostratégie, une logique de la stratégie en fonction de la géographie rencontrée dans ses mouvements. Ce qui amène alors notre auteur à aborder la géostratégie en tant que stratégie des États, en tant que stratégie des grands espaces, que stratégie unifiée ensuite... La géostratégie s'organise alors en tant que stratégie de la complexité, par des actions de grande dimension comme l'est la stratégie contemporaine qui se réparti en ensembles terrestres, maritimes, aériens et spatiaux plus ou moins liés. Du coup, la géostratégie, tenant compte des évolutions modernes, est une stratégie fondée sur l'exploitation systématique des possibilités offertes par les grands espaces en terme d'étendue, de forme, de topographie, de ressources de tous ordres.        

 Une telle approche, conclue Hervé COUTEAU-BEGARIE, après avoir effectué l'histoire des choses que la géostratégie peut recouvrir, au-delà de définitions originelles, suggère bien l'idée centrale, celle d'une mondialisation et d'une complexification de la stratégie à l'époque contemporaine. "On pourrait dire, en simplifiant, que la géographie militaire raisonnait d'abord en termes de terrain et de fronts, alors que la géostratégie raisonne en termes d'espace et de réseaux, les fameux C4I américains (Command, Control, Communication, Computer and Intelligence) ; que la géographie militaire était descriptive et statique, alors que la géostratégie se veut prescriptive et dynamique. La géostratégie, finalement, est soeur de la stratégie nucléaire. Elle essaie de rendre compte de la mutation de la stratégie de l'action, tandis que la stratégie nucléaire analyse l'apparition de la stratégie de dissuasion."

       Martin MOTTE effectue le même constat des controverses et des flous qui entourent la définition de la géostratégie. Alors que celle-ci était encore inconnue du grand public jusque dans les années 1980, la géostratégie se décline dans un peu n'importe quel sens.

 

De grandes difficultés de définition... qui proviennent peut-être de représentations fondées sur l'imaginaire que sur le réel...

     En fin de compte, "on peut risquer une définition de la géostratégie comme partie de la stratégie générale militaire qui traite des opérations à l'échelle macro-géographique, c'est-à-dire à une dimension spatiale suffisante pour exclure la constitution d'un théâtre unique. Son objet propre est la coordination stratégique et logistique des différents théâtres, envisage dans sa relation aux divers milieux physiques comme aux configurations spatiales. La coordination stratégique envisage l'effet produit par les opérations d'un théâtre donné sur les autres théâtres ; la coordination logistique porte sur le transfert des forces entre théâtres."

Après un commentaire qui limite la portée d'une telle définition et en tenant compte des réflexions de Hervé COUTEAU-BÉGARIE, l'auteur, professeur agrégé d'histoire, écrit que "bien qu'il s'avère impossible de réduire la géopolitique à une définition univoque, on ne peut qu'être frappé de l'extraordinaire fécondité des réflexions développées autour de ce concept. Fort éclairant à cet égard est le constat, récemment formulé par Hervé COUTEAU-BÉGARIE, de la corrélation entre l'application d'une pensée explicitement géostratégique et la modestie des forces armées réellement disponibles (ainsi dans l'Espagne de 1900, en Amérique Latine, etc.) : tout se passe comme si la géostratégie, plus qu'une discipline universitaire ou une pratique militaire stricto sensu, constituait d'abord un imaginaire stratégique, poésie des grands espaces. En faisant la part des fantasmes auxquels peut prédisposer le mot "poésie", il ne faut pas oublier qu'il désigne étymologiquement une intuition créatrice (...), dans la mesure où la géostratégie ouvre l'esprit à l'intelligence des phénomènes spatiaux qui affectent un certain nombre de conflits contemporains, elle peut constituer à une merveilleuse conduite de l'action. 

Au reste, parce qu'elle concerne la guerre, "art tout d'exécution", selon l'heureuse formule de Napoléon, la géostratégie est plus concrète que la géopolitique, souvent prompte aux mirages des emballements de l'idéologie : c'est l'épreuve de force qui démontre de facto la pertinence de tel ou tel échafaudage géopolitique. La distinction proposée par Franck Debié entre le traitement géopolitique de l'espace comme zone d'influence et l'usage militaire qu'en fait la géostratégie révèle ici toute sa portée, car l'influence, phénomène immatériel, est facilement mise à mal par la brutalité des armes. Les investissements massifs de la France en Russie tsariste, entre 1892 et 1914, n'ont pas survécu à l'impossibilité pratique d'appuyer directement l'allié oriental, géo-stratégiquement isolé par l'entrée en guerre de l'Empire Ottoman et la fermeture des détroits... L'objectivité géostratégique pourrait bien être, en fin de compte, le tribunal de la subjectivité géopolitique."

 

Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/Institut de Stratégie Comparée, 2002. Martin MOTTE, Géostratégie, dans Dictionnaire de stratégie, sous la direction de Thierry de MONTBRIAL et Jean KLEIN, PUF, 2000.

 

STRATEGUS

 

Relu le 23 février 2021

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25 janvier 2013 5 25 /01 /janvier /2013 11:32

      Professeur émérite de civilisation de l'Asie orientale à l'Institut national des langues et civilisations orientales, François JOYAUX est notamment un spécialiste de la Chine. Créateur du diplôme de hautes études internationales, enseignant à l'Université Paris 1, à l'École Nationale d'Administration, puis aux Instituts d'Études Politiques de Paris et Grenoble, il est membre de la Société Asiatique. C'est actuellement un des meilleurs spécialistes de l'histoire moderne de l'Asie orientale.

 

     Dans son oeuvre, il montre la continuité dans l'histoire des problématiques géopolitiques de la Chine, du Japon et de la Corée. S'il ne se définit pas comme un géopoliticien, il a néanmoins écrit des ouvrages de géopolitique exhaustifs et qui font force de modèle tant ils éclairent sur les invariants géopolitiques des États asiatiques. La lecture des travaux de ce spécialiste est également instructive tant dans les descriptions de situations - guerre de Corée, ambition de la Chine, politique japonaise, fonctionnement de l'Association des Nations du Sud-Est asiatique - que par la méthode suivie. (Aymeric CHAUPRADE et François THUAL).

 

   Auteur d'un ouvrage en trois tomes, La nouvelle question d'Orient (Bibliothèque historique Payot, 1985-1988), de Géopolitique de l'Extrême Orient, en deux volumes (Editions Complexe, 1991-1993) et de La tentation impériale (Imprimerie nationale, 1994), après La Chine et le règlement du premier conflit d'Indochine (Publications de la Sorbonne, 1979), François JOYAUX a écrit également trois livres dans la collection Que sais-je? des Presses Universitaires de France : La politique extérieure du Japon (1993), La politique extérieure de la Chine populaire (1994) et L'Association des nations du Sud-Est (1998).

 

la politique extérieure de la Chine

    Dans un article intitulé La politique extérieure de la Chine, publié dans la revue Pouvoirs (n°81, 1997), il écrit notamment : "La République populaire de Chine (RPC) (...) est un État fondamentalement polymorphe, difficile à saisir. C'est tout d'abord un État socialiste ou, plus précisément, demeuré socialiste. L'immense marché que constitue ce pays, voire le concurrent commercial dangereux qu'il est devenu dans certains secteurs, tout comme le caractère capitaliste d'une partie de son économie font parfois oublier ce caractère essentiellement socialiste de la Chine. Par ailleurs, c'est également un État du tiers-monde : en dépit des résultats économiques exceptionnels de ses régions côtières, la Chine demeure, globalement, un pays sous-développé dont le revenu per capita ne dépasse pas cinq cent dollars par an. Enfin, la RPC est une grande puissance, non seulement parce qu'elle dispose d'un territoire, d'une population et de ressources énormes, parce qu'elle possède l'arme atomique ou parce qu'elle occupe un siège permanent au Conseil de sécurité, mais tout simplement parce qu'elle joue un rôle croissant dans la vie internationale." Dans un petit chapitre intitulé Empire ou impérialisme?, il écrit également que il reste toujours cette question suprême en matière d'unité chinoise, celle de Taïwan. En outre, "la question des îles revendiquées par la RPC en mer de Chine du Sud peut sembler assez secondaire et très différente de celle de l'unité du pays. En fait, c'est un litige dont l'importance, aux yeux de Pékin, est probablement considérable et qui, lui aussi, pèse sur le comportement international chinois. De ce contrôle de la mer de Chine dépend, au fond, la place de la RPC en Asie orientale : ou bien elle est rejetée en Asie du Nord-Est, dans un face à face difficile avec le Japon, ou bien elle se retrouve au coeur de l'Asie du Sud-Est, c'est-à-dire au milieu de ses anciens tributaires et des communautés chinoises de la région. Il y va donc de sa pleine dimension asiatique et de son positionnement face à Taïwan et au Japon.

Consolidation d'une RPC héritière de l'Empire ou impérialisme pur et simple : la frontière ne saurait être précise, mais il est bien évident que cette ambition "impériale" est sous-jacente à toute la politique extérieure chinoise. (...)".

 

François JOYAUX, La politique extérieure de la Chine, dans Pouvoirs, n°81, 1997.

Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de Géopolitique, Ellipses, 1999.

 

Relu le 25 février 2021

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 14:45

     Revenant sur les analyses antérieurs des analystes, notamment marxistes ou marxisant, qui utilisaient la grille de lecture géopolitique Nord-Sud ou Centre/Périphérie, Yves LACOSTE constate avec beaucoup que la Chine est passée du statut de puissance située à l'extérieur à statut de puissance façonnant puissamment un nouveau centre.

"D'où des discours que l'on peut résumer en substance : Pourquoi le capitalisme s'était-il développé en Europe occidentale? Parce qu'elle était le centre. Pourquoi le centre est-il passé aux États-Unis? Parce que l'Europe est devenue leur périphérie. Mais pourquoi y-a-t-il des pays "sous-développés"? Parce qu'ils forment la périphérie. Mais comment différencier ces périphéries? C'est ce que n'explique pas le modèle. En termes de géo-histoire, il est, en vérité, mis en cause par l'existence même de la Chine.

L'empire chinois, l'"empire du Milieu", fut de toute évidence durant des siècles le centre du monde ou du moins de l'ancien monde, le centre de toute évidence tant par sa prépondérance démographique que par son avance technique et scientifique. Alors pourquoi la Chine est-elle tombée dans la périphérie? L'attaque occidentale, les trop fameuses "guerres de l'opium", cette politique de la canonnière, aurait, tout aussi bien,pu être repoussée, comme elle le sera un peu plus tard au Japon. Les forces de celui-ci étaient pourtant bien petites en regard de celles de l''empire chinois. On peut réfléchir sur les causes qui ont empêché que se constitue, dans cet empire bureaucratique, une vraie bourgeoisie, alors qu'elle a pu se former dans les structures féodales du Japon, comme cela avait été le cas en Europe occidentale. Telles sont les questions qu'autrefois je me suis posées, et tout d'abord à propos du monde musulman, tout en ayant la chance de me trouver impliqué, en tant que géographe, dans un certain nombre de conflits qui se déroulaient dans le tiers-monde (Yves LACOSTE, Unité et diversité du tiers-monde - Des représentations planétaires aux stratégies sur le terrain, Maspéro, 1980). 

Mais aujourd'hui, ce sont d'autres problèmes qui se posent à nous, pour essayer de comprendre quelles sont les causes profondes du formidable développement de la Chine, en dépit mais aussi à cause des processus de mondialisation : développement formidable par sa rapidité et l'effectif énorme des populations qu'il mobilise. La Chine est véritablement en train de changer l'ordre du monde : si elle porte encore beaucoup de séquelles des phénomènes de sous-développement qu'elle a connus et de l'autarcie maoïste, l'essor de son capitalisme à direction communiste fait éclater le fameux modèle centre/périphérie. A moins que l'on considère que la Chine est en train de devenir un nouveau centre du monde, ce que les dirigeants de l'URSS n'avaient jamais envisagé en termes économiques, mais seulement au plan de la politique et de l'idéologie.(...)".

 

Une ambition géo-politique mondiale

     Jean-Pierre CABESTAN, directeur de recherche au CNRS, rattaché à l'UMR de droit comparé de l'Université Paris 1, chercheur associé à l'Asia Center, estime qu'en matière de politique étrangère, une Chine sans ennemis n'est pas forcément une Chine rassurante.

"La monté en puissance de la Chine au cours des années 1990 a gonflé les ambitions régionales et mondiales de ce pays. Si ces ambitions restent aujourd'hui inchangées, néanmoins depuis 2001, et ceci avant le 11 septembre, le style comme les objectifs de la politique étrangère de la Chine populaire ont notablement évolué, adoptant des contours plus consensuels et modérés et surtout moins anti-américains. (...) Le Chine ne cesse d'insister sur le caractère "pacifique" de son développement et de son émergence mondiale. Il n'en demeure pas moins que cette modération trouve sa limite dans la question de Taïwan, abordée avec toujours autant d'intransigeance par la nouvelle direction du Parti communiste chinois, les relations sino-japonaises, encore à bien des égards passionnelles, et plus encore dans l'accélération de la modernisation de l'outil militaire appelé à soutenir et garantir cette "ascension pacifique" et la concurrence stratégiques avec les États-Unis." L'auteur aurait pu ajouter l'épineuse question du Tibet... "La dépendance extérieure croissante de l'économie chinoise et l'intégration progressive de ce pays dans la communauté mondiale pourront-elles tempérer les ardeurs et la fierté nationalistes que cette reconquête par la Chine de son statut de grande puissance a immanquablement sécrétées?."  Cet article, écrit en 2007, ne tient pas encore compte évidemment d'un certain essoufflement constaté de l'économie chinoise (depuis le début des années 2010), et de l'accumulation de problèmes environnementaux de plus en plus évidents. Bien entendu, le recul manque pour affirmer la réalisation de ces ambitions chinoises, le bruit médiatique et la propagande officielle précédant souvent son effectivité. 

   En tout cas, la Chine a une nouvelle priorité : sécuriser sa dépendance économique extérieure, car structurellement, l'essentiel de la croissance chinoise provient de ses activités économiques tournées vers l'extérieur du continent. "Parallèlement (à son développement militaire et politique), plutôt que de chercher à retrouver une autonomie énergétique et alimentaire illusoire, Pékin s'est au contraire efforcé de sécuriser sa dépendance économique extérieure croissante par la mise en place, à travers l'investissement et le commerce, d'un réseau toujours plus dense de liens de coopération avec les pays du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Amérique Latine, dont les États-Unis et le monde développé dans son ensemble sont également, à des degrés divers, tributaires."

  Avec sa politique de sécurité tournée avant tout vers Taïwan et les États-Unis se pose la question d'une "émergence pacifique" :

- un développement dans un environnement pacifique ou le retour de Taïwan à la patrie ;

- la coexistence multipolaire y compris avec ses voisins les plus proches (Japon, Inde, Russie) ou la rivalité entre puissances pour la supématie en Asie-Pacifique et plus particulièrement en Asie orientale ;

- une meilleure sécurité et une plus grande influence régionale par le multilatéralisme ou un jeu bipolaire qui hisse la Chine au-dessus des autres grandes puissances pour en faire la quasi-égale des États-Unis et, demain, la véritable superpuissance mondiale.

"On peut penser que la Chine débattra encore longtemps (d'options) tout en tentant de les concilier. Cependant, plus que les rivalités internationales, ce seront les contraintes internes de l'interdépendance économique mondialisée qui continueront de peser sur les choix diplomatiques qu'elle fera à l'avenir. (...)".

 

Le jeu des contraintes internes

   Par contraintes internes, il faut entendre les conflictualités politiques vives résultant du maintien du Parti Communiste comme centre politique officiel de la Chine, mais aussi les multiples problèmes environnementaux qui sont véritablement à la mesure de son immensité, et encore le jeu des dynamiques régionales propres à l'Empire du Milieu.

  Thierry SANJUAN cite les différentes analyses qu'on peu en faire, au delà des chiffres. Ces analyses doivent rendre compte à la fois de la dimension macroscopique et de la diversité,multiple et microscopique : "naviguer ainsi à diverses échelles et sur plusieurs lieux parfois distants les uns des autres de 3 000, 4 000 voire 5 000 km."

Des géographes proposent successivement depuis de nombreuses années différentes grilles de lecture pour comprendre cette diversité régionales. "D'Élisée RECLUS aux auteurs actuels, ce sont à la fois des lectures qui s'inscrivent dans le temps de la discipline géographique et dans les mutations propres à la Chine. Pour autant, chacune apporte des clés nouvelles, originales, de compréhension, sur lesquelles se fondent les suivantes, en les prolongeant ou en s'y opposant. En cela, l'histoire d'une lecture régionale de la Chine par la géographie française révèle aussi nos non-dits, nos grilles héritées d'interprétation, mais aussi les éléments structuraux d'une géographie de la Chine que les bouleversements spatiaux, économiques et sociaux en cours ne suppriment pas mais recomposent."

Trois types principaux de critères ont aidé à rendre compte des découpages régionaux :

- les critères identifiant les grands ensembles physiques (topographie, hydrométrie) et humains (densité et distribution démographiques, peuples han et non han) ;

- les critères liés au développement économique (industrialisation, degré d'ouverture en fonction des investissements directs étrangers et des exportations) ;

- les critères fonctionnels fondés sur les liens, les hiérarchies et les solidarités territoriales, les rapports centre-périphérie, les polarisations et les réseaux, les régionalisations et les conflits de pouvoirs.

"Trois temps de réflexion semblent également découler de ces critères : une géographie régionale qui découpe du nord au sud le territoire en fonction des bassins fluviaux jusqu'aux années 1970 ; une fragmentation est-ouest avec le développement économique du littoral dans les années 1980 et 1990 ; et enfin, une lecture où les polarités de l'espace chinois impulsent des degrés inégaux d'intégration à l'économie mondiale."

 

Contraintes topographiques

    Pierre GOUROU (La Terre et l'homme en Extrême-Orient, Flammarion, 1940, réédition en 1972) examine les contraintes topographiques. Elles tiennent dans une opposition entre les basses terres rizicoles, très anciennement et densément peuplées par le peuple chinois ou sinisés, et les montagnes, mal mises en valeur et le plus souvent abandonnées à des populations minoritaires qui y ont été refoulées.

     Élisée RECLUS (L'empire chinois, dans Nouvelle Géographie Universelle. La Terre et les hommes, tome 7 : L'Asie orientale, Hachette, 1882) est soucieux, à la suite des travaux de Ferdinand Freiherrn von RICHTHOFEN (1877-1912, 1898 et 1907)) et de George Babcock CRESSEY (1934), de lectures synthétiques qui ne soient pas seulement thématiques (topographie, climats, régions agricoles, régions industrielles, grandes régions administratives), ni de simples catalogues de provinces. Il opère une division régionale de la Chine des Han selon trois critères : une énumération latitudinale allant du nord au sud, une régionalisation par les principaux bassins hydrographiques et une subdivision secondaire en provinces. Deux axes de lecture s'imposent : une interprétation politico-historique qui part du coeur de l'Empire pour gagner ses marges et un rôle structurant accordé aux trois grands fleuves (fleuve Jaune, Yangzi, Xijiang).

    Jules SION (Géographie universelle, tome 9 : Asie des moussons, 1ère partie : Chine-Japon, Armand Colin, 1928) dégage trois entités, la Chine du Nord, une région médiane - celle du Yangzi, et la Chine du Sud, qui correspondent pour l'essentiel aux trois grandes régions fluviales. Cette lecture s'impose dans la géographie française de la Chine jusqu'au début des années 1990. 

    A partir des années 1990, les transformations rapides et profondes de l'espace chinois poussent les géographes à abandonner une perspective typologique et classique. Ils rompent complètement avec les lectures héritées d'Elisée RECLUS, Jules SION ou de Pierre GOUROU. A noter que certaines analyses accordent sans doute trop de crédibilité aux statistiques à l'échelle provinciale parfois difficile à comparer entre elles...

A notre avis, nombre d'auteurs ne prennent pas assez de recul pour effectuer leurs raisonnements et peuvent être victimes des manipulations des sources d'information au niveau chinois. L'opacité ne concerne pas seulement les aspects politiques en Chine... Toutefois, les efforts des géographes, notamment par leurs correspondances mutuelles peuvent permettre de rétablir (redresser) un certain nombre de données.

     Jean-Pierre LARIVIÈRE (avec Jean Pierre MARCHAND, Géographie de la Chine, Armand Colin, 1991) découpe l'espace chinois non plus en grandes régions Nord, centre et Sud, mais en trois vastes bandes longitudinales (littoral, intérieur et Ouest). Thierry SANJUAN (La Chine, Territoire et société, Hachette, 2000) nuance cette présentation en fonction du degré d'ouverture économique et, secondairement, des enjeux géopolitiques internes. 

     Pierre TROLLIET (Géographie de la Chine, 1993, réédition 1996) propose une nouvelle interprétation de l'organisation de l'espace chinois. Il distingue également trois grandes zones : les provinces littorales ouvertes, la Chine intérieure et la Chine périphérique. Les critères retenus permettent des discriminations internes en fonction des formes de développement et d'une chronologie de l'ouverture. 

     Pierre GENTELLE (Géographie universelle, tome Chine, Japon, Corée, sous la direction de Roger BRUNET, Belin-Reclus, 1994) accentue cette approche et décline la géographie chinoise, comme un projet global, parlant d'un polycentrisme littoral jusqu'aux périphéries, qui payent le "prix de la modernité".

     Guillaume GIROIR (Processus de développement et dynamiques régionales en Chine, dans La Chine et les Chinois de la diaspora, sous la direction de Jean-Pierre LARIVIÈRE, CNED-SEDES, 1999) propose une nouvelle lecture des disparités du territoire chinois. Il maintien une tripartition longitudinale en y intégrant les dynamiques urbaines. 

      Alain REYNAUD (La Chine ou le "grand dragon", dans L'espace Asie-Pacifique, avec Jean DOMINGO et Alain GAUTHIER, Bréal, 1997) propose une lecture régionale depuis les pôles littoraux et graduant l'espace chinois suivant leur niveau d'intégration à l'économie mondiale. 

  Pour Thierry SANJUAN, une lecture globale doit partir des vocations différentes des métropoles littorales, de leurs rôles dans les recompositions des pouvoirs au sein de l'État et de leurs combinaisons fonctionnelles avec les autres grandes villes chinoises. Les atouts et les difficultés de Pékin, Hong Kong, Shangaï... pèsent sur la dynamique économique.

"... Les grandes villes chinoises, littorales comme intérieures, sont également dans des logiques de spécialisation économique, de marketing urbain et de rivalités régionales. Elles jouent en cela de leur puissance économique ou de leur situation géographique pour s'aménager des marges de manoeuvre et recomposer à leur profit des aires de rayonnement. Elles ont toutes entamé dans les années 1990 d'ambitieuses politiques d'aménagement interne et de réformes structurelles qui doivent les poser comme les pôles de référence d'une nouvelle modernité chinoise dans leur région, en Chine, voire en Asie et dans le monde. Elles expriment en cela de nouveaux localismes régionaux, dont elles deviennent des porte-drapeau. le développement a ainsi réactivé, en leur donnant une nouvelle force, des localismes régionaux, où provinces, municipalités, districts, bourgs peuvent entrer en concurrence voire en opposition entre eux. L'essor économique aggrave le morcellement territorial, tout en créant de nouvelles solidarités productives, commerciales, financières entre les villes, pôles de réseaux d'échelle locale, régionale, nationale, parfois internationale. Aujourd'hui, les dynamiques régionales sont ainsi productrices de dislocations comme de liens recomposés entre les territoires de la Chine.   

Trois types de pouvoirs principaux s'imposent désormais : l'État central, les autorités microlocales à l'origine de développements spectaculaires comme celui du delta de la rivière des Perles et surtout, depuis les années 1990, les pouvoirs des métropoles et des grandes villes. La Chine n'éclate pas dans la mesure où les dissensions, horizontales comme verticales, entre ces différents acteurs s'expriment au sein du Parti-État. Les négociations sont permanentes entre ces instances intra-étatiques, mais sans qu'une vraie menace de sécession soit envisageable."

 

Yves LACOSTE, Thierry SANJUAN, Jean-Pierre CABESTAN, dans Chine, Nouveaux enjeux géopolitiques, Hérodote, n°125, 2ème trimestre 2007.

 

STRATEGUS

 

Relu le 26 février 2021

 

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