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22 septembre 2010 3 22 /09 /septembre /2010 13:31

         Le champ géopolitique global se polarise à l'époque contemporaine en groupe d'États antagonistes dont les oppositions structurent l'ensemble des relations internationales.

Aymeric CHAUPRADE et François THUAL cite en exemple de cette polarisation celle de la formation au début du siècle du bloc austro-germano-turc face au bloc franco-anglo-russe et durant l'entre-deux-guerres (mondiales), celle de l'émergence de trois blocs franco-anglais, germano-italien et soviétique, puis encore après 1945, la formation de deux blocs "socialiste" et "occidental".

Leurs analyses après l'effondrement du bloc "socialiste" les amènent à se demander si un nouveau bloc ne se constitue pas autour des États-Unis et de l'Allemagne, du Japon, de la Turquie, du Pakistan, de l'Arabie Saoudite et d'Israël pour contenir la puissance russe, de ses alliés balkaniques, de la Chine, de l'Iran et de certains pays arabes (Syrie-Irak). Mais ces conjectures sont peut-être aussi hasardeuses que la formation souhaitée d'un bloc arabe contre Israël, ou d'une alliance autour de la Chine pour contrer son influence. En tout cas, le concept de polarisation permet de comprendre comment une série d'antagonismes principaux et secondaires s'articulent, avec une certaine permanence dans le temps, en dépit de changements idéologiques internes. "En général, précisent les auteurs du Dictionnaire de géopolitique, les termes de la polarisation de chacun des blocs ne couvrent pas l'ensemble des pays. Il existe toujours des zones neutres, mais celles-ci font aussi partie du champ des forces et participent aux phénomènes d'équilibre de celles-ci."  

Ce concept permet de dégager des hiérarchies dans les contradictions et dans les convergences dans un classement opératoire des puissances sur la scène mondiale. En géopolitique, il permet une clarification par rapport à des événements, qui, s'ils font la une de l'actualité, ne sont pas forcément d'une grande importance dans les rapports de force. 

 

          D'un usage relativement récent, le concept de mondialisation recouvre des réalités qui, dans le passé de l'histoire de cette planète, revêtent une importance de premier plan. Ainsi, au cours des siècles, des cités, des États et des Empires ont homogénéisé les relations politiques et économiques. Aujourd'hui, c'est avant tout un phénomène économique, qui encore une fois encore a eu des correspondances autrefois. Que l'on songe par exemple au vaste ensemble du Moyen-Age occidental qui permettait une grande liberté de circulation de l'Irlande aux bords de l'Asie, pour ne pas dire plus loin encore, avant la formation des sentiments nationaux, et ce malgré les grands troubles et les guerres incessantes.

"La mondialisation dont on parle aujourd'hui n'est pas différente dans son essence de celle d'hier ; elle admet cependant des caractéristiques économiques propres et des conséquences nouvelles d'un point de vue géopolitique" (Aymeric CHAUPRADE et François THUAL). Le constat de la montée en force des investissements étrangers croisés entre pays industriels, grâce à la déréglementation tout azimut, de l'essor quantitatif des échanges internationaux proportionnellement à l'accroissement de la production mondiale, de la participation active des pays en voie de développement et des nouveaux pays industriels aux côtés de la triade économique États-Unis/Japon/Europe et de la globalisation financière, où se déconnecte une sphère spéculative et une sphère productive, conduit certains analystes à prévoir la fin du système des États-nations.

La suprématie des réseaux sur les territoires (comme l'analyse Olivier DOLFUSS - L'espace géographique, 1970) remet en question la validité même de la géopolitique. Les deux auteurs du Dictionnaire de géopolitique estime pourtant que c'est loin d'être le cas. "Il est certain que la mondialisation est à la source de changements géo-économiques importants (...). Mais la mondialisation a t-elle consacré définitivement la prééminence du facteur transnational?" Historiquement, les instruments économiques de la mondialisation (GATT, FMI, Banque mondiale...) furent surtout mis en place par les États-Unis qui avait déjà acquis un grand avantage au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. L'uniformisation des modes de vie et des cultures se fait essentiellement sur le modèle américain. Les firmes multinationales elles-mêmes sont rarement soustraites aux logiques nationales. Par ailleurs, nous pouvons ajouter que la mondialisation est conduite à partir des appareils d'État, suivant une volonté délibérée. Selon eux, "la géopolitique doit étudier les phénomènes de mondialisation en cherchant les influences étatiques souterraines plutôt que comme un phénomènes disqualifiant pour l'État. Elle montrera que la mondialisation est une représentation opératoire plus politique que géopolitique."

Le débat est loin d'être clos entre tenants de l'école réaliste (Hans  MORGENTHAU) ou néo-réaliste (Kenneth WALTZ) et tenants de l'école mondialiste (John BURTON, Norbert ELIAS - La société des individus, 1991) ou de l'école du changement systémique (James ROSENEAU - Distant Proximities : Beyon Globalization, 2003 ; Bernard BADIE - Un monde sans souveraineté, 1999)....

 

       Concept encore plus récent, la mondialité est utilisée selon au moins deux acceptions très différentes : la mondialité au sens de ce qui caractérise une puissance mondiale, et la mondialité au sens de ce qui caractérise une situation géopolitique mondiale. On pourrait ajouter, si l'on en juge de l'usage qui est fait un peu partout,  que n'importe quel acteur, citoyen, ville, État... fait acte de mondialité par sa perception globale au niveau planétaire de la réalité, ou par son action au niveau mondial.

Selon Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, "un État ayant accès à la mondialité est une puissance mondiale qui se caractérise par sa capacité à être présente dans toutes les régions de la planète et en particulier dans tous les emplacements stratégiques." Aujourd'hui, selon cette définition restreinte, seuls les États-Unis peuvent être considérés comme l'unique puissance dotée du statut de mondialité, comme l'était la France de 1920 à 1950 ou l'Union Soviétique de 1970 à 1990. Statut réversible, la mondialité se distingue de la puissance mondiale. Des lieux stratégiques comme Suez, Panama ou Singapour, ou encore Hong Kong, peuvent être caractérisés par cette mondialité, dans la mesure où ce qui s'y passe a une répercussion planétaire. "Une puissance étatique ayant accès à la mondialité est précisément une puissance capable de contrôler la plupart des lieux de mondialité, des situations mondiales." On pourrait même considérer que certaines villes, on plus que des États, accès à cette mondialité. New-York, ville plus "européo-américaine" qu'"états-unienne" en exemplaire à cet égard.

 

       La géopolitique commencera sans doute à devenir invalide comme instrument de compréhension des relations internationales au moment où les puissances économiques comme certaines firmes multinationales posséderont un véritable pouvoir de polarisation. Or, pour l'instant, la logique de concurrence, et même une logique de guerre économique, domine l'activité des différentes puissances économiques et ce qui caractérise le mieux le système économique planétaire est bien une succession accélérée de crises de tout ordre qui détruisent des géants économiques les uns après les autres, dans une instabilité de plus en plus générale. Alors que les États sont parvenus à une relative stabilité en tant qu'entités juridiques possédant encore la légitimité de la violence en dernier recours.  

La carte des États connaît encore des phases d'équilibre et de déséquilibre, mais finalement même les acteurs économiques dits transnationaux se tournent vers eux dans les moments de périls. En fait, comme l'écrit Raymond BOUDON avec lequel nous sommes très souvent en désaccord, la difficulté croissante des gouvernants à déterminer le bien public de façon claire et cohérente constitue la principale source d'anomie. Formule pour ne pas évoquer franchement la question des luttes sociales à l'intérieur des frontières et dépassant ces frontières. La question réside dans la conception de la souveraineté que les élites au pouvoir mettent en oeuvre et le poids relatif des citoyens sur leurs activités. Enfin en guise de dernière remarque, il existe un ensemble d'acteurs de la mondialisation qui entendent de plus en plus à peser sur les évolutions.

Ces acteurs agissent souvent au sein d'organisations internationales à vocation universelle comme l'ONU ou au sein d'organisations non gouvernementales, dont certaines sont fortement financées par des fondations. Ils entendent sortir d'un antagonisme entre logique étatique et logique libérale pour une autre gestion politique de la planète. Qu'ils adoptent le conception d'altermondialisme ou non est d'une importance relative dans la mesure où ces acteurs veulent acquérir une mondialité réelle (dans sa conception élargie). 

 

Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Constantes et Changements dans l'histoire, Ellipses, 2003. Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, États, Concepts, Auteurs, Ellipses, 1999.

 

                                                                                                                                                                                                         STRATEGUS

 

Relu le 20 février 2020

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7 septembre 2010 2 07 /09 /septembre /2010 08:05

      Comme l'écrit Aymeric CHAUPRADE, les sociétés occidentales "ne voient pas toujours le lien géopolitique qui existe, par la chaîne "économique" de la drogue, entre les conflits de dévolution des États du Tiers-Monde, en Afrique, en Asie, en Amérique Latine, et les germes de guerre civile dans les enclaves de sous-développement économique et culturel des sociétés occidentales."  

Reprenant à très grand trait la problématique de la drogue comme facteur géopolitique, l'auteur du gros volume Géopolitique, cite Antoine BOUSTANY pour l'illustrer : "Les archéologues et les visiteurs de la citadelle de Baalbeck, au coeur de la plaine de la Bekaa, au Liban, et qui était considérée comme le grenier de Rome, peuvent admirer les sculptures finement dentelées qui ornent le pourtour du grand portail du temple de Bacchus la répétition miraculeuse des trois plantes : un épi de blé, une grappe de raisin et une tête de pavot." La drogue a toujours possédé un grand poids économique, alimente depuis des siècles les guérillas locales, les séparatismes et sans doute des révolutions. Qui contrôle les zones de production de ces substances aux propriétés très particulières, qui contrôle les circuits de distribution et alimente les zones de consommation, exerce un certain pouvoir sur la marche du monde. 

            La criminalisation (d'ailleurs le chapitre consacré entre autres à la drogue par Aymeric CHAUPRADE porte le titre "Le défi du crime international") de certaines drogues et le contrôle serré d'autres (nous pensons tout simplement au vin et aux alcools courants, voire à la cigarette...) évoquée notamment par François-Xavier DUDOUET ou Nicolas CARRIER, brouille d'ailleurs la réflexion sur la place géopolitique des drogues. Lorsque l'on discute de cette géopolitique, en effet, nous nous plaçons souvent sans le savoir dans le fil droit de l'opinion de grands ensembles économiques qui se réservent l'exploitation des drogues légales. Or, depuis la nuit des temps, les drogues entrent dans l'ensemble du commerce mondial, quel que soit leur statut juridique, et sont recherchées pour les mêmes motifs: leurs effets physiologiques et psychologiques.

 

             Alain LABROUSSE, un des pionniers de la formation de la nouvelle discipline de la géopolitique des drogues, reprend une définition classique de la géopolitique - conflits de pouvoirs pour le contrôle de territoires, des richesses qu'ils recèlent et des hommes qui les produisent (Yves LACOSTE) - pour l'appliquer aux drogues.

"En effet, trois sur quatre des grandes familles de drogues illicites, les dérivés de la feuille de coca, de l'opium et du cannabis, sont élaborées à partir de productions agricoles qui s'étendent sur des territoires régionaux qui s'étendent jusqu'à 150 000 ha. Dans le cas de l'héroïne et de la cocaïne, les laboratoires, qui représentent une valeur ajoutée considérable par rapport aux productions de "plantes à drogues", se trouvent souvent à proximité de ces dernières. Les drogues de synthèse constituent une exception dans la mesure où leur matière première, purement chimique, n'implique pas de territoires de cultures de plantes et où, dans les pays riches, elles sont fabriquées non loin des lieux de consommation. Les enjeux géopolitiques de leur commerce sont donc beaucoup plus limités."

Il existe des routes de la drogue, des zones de production aux marchés de consommation, qui sont autant d'enjeux pour différents acteurs - organisations criminelles, guérillas, polices, armées - qui cherchent à les contrôler pour s'emparer des drogues afin soit de les détruire, soit de les revendre à leur profit. Ces routes sont situées souvent dans des régions escarpées, montagneuses ou marécageuses, en tout cas d'accès difficile, afin de restreindre l'activité des forces de répression ou des concurrents. Ces routes peuvent aussi être maritimes ou aériennes. Sur les territoires des marchés peuvent éclater des conflits entre organisations rivales. Une des nouveautés est aujourd'hui le développement de "poly-trafics". Transitent sur les anciennes routes de la drogue non seulement ces substances mais aussi des armes, des diamants, des êtres humains réduits en quasi-esclavage. "Il faut donc toujours avoir en mémoire, lorsque l'on parle de production et de trafic des drogues, qu'ils sont rarement isolables d'autres activités criminelles et que les mafias (...) ne se limitent pas à un seul trafic. Cependant, par rapport aux autres produits, les drogues ont l'avantage de subir plusieurs transformations, dont chacune d'elles représente une escalade des profits importante." (Alain LABROUSSE)

   Ce dernier fait, précisément, est à l'origine, de la part des industries pharmaceutiques, du fait des profits énormes engrangeables, des efforts pour se réserver le monopole (de commercialisation) de ces substances, en criminalisant les autres trafiquants, efforts qui ne se sont vus véritablement récompensés (même si la législation se forme au début du XXe siècle) que depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale (effectivité et efficacité de la répression). 

 

          La discipline de la géopolitique des drogues est récente. Deux ouvrages (The politics of Heroin, cia Complicity in the Global Drug Trade, Chicago, Lawrence Hill Press, d'Alfred W McCOY et Les grandes manoeuvres de l'opium, Le Seuil, 1972 de Catherine LAMOUR et de Miche LAMBERTI) qui traitent de l'utilisation de la drogue à des fins géopolitiques en Asie du Sud-Est de la part des services secrets des puissances coloniales, provoquent une floraison d'études du même genre.

Les frères André et Louis BOUCAUD et Bertil LINTNER prolongent les enquêtes en 1987. Le géographe français Pierre-Arnaud CHOUVY (Les territoires de l'opium, Conflits et trafics du Triangle d'or et du Croissant d'or, Genève, Olizane, 2002) dépasse la simple description parfois dénonciatrice pour adopter une démarche globale, effectue une analyse comparative, intégrée, de réalités mouvantes. Jusqu'à la fin des années 1980, il n'existe pas dans le monde d'institut spécialisé dans la géopolitique des drogues. C'est seulement en 1990 que l'Observatoire Géopolitique des Drogues est fondée par une équipe pluridisciplinaire où l'on compte Alain LABROUSSE, Michel KOUTOUSIS, Charles-Henri de  CHOISEUL, Philippe BORDES, Dimitri de KOCHKO, Pascale PEREZ, Laurent LANIEL. Pendant dix ans, celui-ci a publié six rapports annuels et de nombreux ouvrages. Cette nouvelle discipline permet de mieux comprendre les interactions entre les différents acteurs aux prises et les implications géopolitiques de leurs activités (industries pharmaceutiques, trafiquants criminels, polices, organes de répression nationaux et internationaux, guérillas...) comme aussi l'importance économique et politique de ce secteur particulier d'activité.

 

        La criminalité organisée, selon Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, s'appuie essentiellement sur le commerce de la drogue, mais la méconnaissance des contours de cette criminalité, inhérente à toute activité clandestine, interdit d'avoir à ce propos une opinion tranchée. Car le trafic des armements de tout genre, comme celui de marchandises illicites, croît lui aussi à toute vitesse. Toutefois, le narco-trafic est un phénomène économique en expansion forte. Cette économie souterraine génère plus de revenus, dans certains États, que l'économie légale, dans laquelle elle s'insère, par le biais de mécanismes tels que le blanchiment d'argent, de plus en plus. Si l'Amérique Latine et le Moyen Orient restent des zones de production traditionnelle, les productions illicites se diversifient et touchent désormais tous les continents. Les auteurs se posent la question de savoir si ce phénomène économique d'ampleur est pour autant également un phénomène géo-politique majeur. Il est certain que les organisations criminelles, transnationales ou mafias, possèdent maintenant des moyens militaires parfois suffisants pour menacer les pouvoirs centraux des États (en Colombie par exemple). Leur puissance conduit à l'existence de véritables zones de non-droits, des zones grises où règnent en maîtres différentes factions rivales, parfois en relation avec des guérillas qui trouvent dans le narco-trafic l'essentiel de leurs ressources financières. Mais même si des conflits perdurent à cause de l'existence de cette criminalité, cette dernière ne constitue pas le moteur de la conflictualité, selon les deux auteurs. "Le crime international n'est-il pas lui-même instrumentalisé par des ambitions nationales ou identitaires? Les logiques géo-économiques du crime n'obéissent-elles pas à des logiques géopolitiques plus fortes?" De manière parallèle, on peut se demander si l'interpénétration des réseaux économiques légaux et illégaux, ne se traduit pas aussi par des échanges de personnels politiques qui feraient du trafic de drogue un élément parmi d'autres d'une stratégie qui tendrait à substituer à la légitimité d'État une toute autre légitimité, sur laquelle les impératifs démocratiques n'auraient aucune prise. 

Les travaux de Xavier RAUFER (Les superpuissances du crime : enquête sur le narco-terrorisme, 1993) tendent à indiquer que la géopolitique traditionnelle des États est de plus en plus revisitée par la superposition de réseaux transnationaux et déstabilisée par la grande criminalité des mafias. Cela participe au mouvement de la mondialisation. Jean Christophe RUFIN (L'Empire et les nouveaux barbares, 1991) propose une vision du monde divisé en deux parties : les zones de "civilisation" contrôlées par les États et les lois, et les zones de "réensauvagement" dans lesquelles le monopole de la violence est détruit. Des études sont nécessaires sur le poids réel des géopolitiques concurrentes et de leur relation avec la dynamique interétatique. Ce genre d'analyse s'inscrit aisément dans une vision de re-féodalisation du monde. 

 

 

Alain LABROUSSE, Géopolitique des drogues, PUF, Collection Que sais-je? 2004. André BOUSTANY, Drogues de paix, drogues de guerre, Hachette Littératures, collection Pluriel, 1998. François-Xavier DUDOUET, Le grand deal de l'opium, Histoire du marché légal des drogues, Syllepse, 2009. Nicolas CARRIER, La politique de stupéfaction, Pérennité de la prohibition des drogues, Presses Universitaires de Rennes, collection Le Sens Social, 2008. Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, 2003 ; Géopolitique mondiale de la drogue, Diplomatie Hors série n°11, 2010. Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, Ellipses, 1999.

 

                                                                                                                                                      STRATEGUS

 

Relu le 24 février 2020

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21 décembre 2009 1 21 /12 /décembre /2009 16:00
            Dans la même volonté d'analyser des perspectives d'ensemble que Naissance et déclin des grandes puissances de Paul KENNEDY ou Le grand échiquier de Zbigniew BRZEZINSKI, Le choc des civilisation, du fondateur de la revue Foreign Policy constitue avant tout un livre de géopolitique.
Ce livre, écrit-il "n'a pas été conçu comme un ouvrage de sciences sociales. C'est plutôt une interprétation de l'évolution de la politique globale après la guerre froide. Il entend présenter une grille de lecture, un paradigme de la politique globale qui puisse être utile aux chercheurs et aux hommes politiques. Pour tester sa signification et son opérativité, on ne doit pas demander s'il rend compte de tout ce qui se produit en politique internationale. Ce n'est certainement pas le cas. On doit plutôt se demander s'il fournit une lentille plus signifiante et plus utile que tout autre paradigme pour considérer les évolutions internationales. J'ajouterai qu'aucun paradigme n'est valide éternellement. L'approche civilisationnelle peut aider à comprendre la politique globale à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle. Pour autant, cela ne veut pas dire que cette grille est pertinente pour le milieu du XXe ni qu'elle le sera pour le milieu du XXIe siècle."
    A en juger de la polémique née dès sa publication, beaucoup de géopoliticiens se demandent si ce paradigme a une valeur réelle d'explication du monde, même pour cette charnière entre les XXe et XXIe siècle. C'est que Samuel HUNTINGTON, professeur à l'Université d'Harvard et dirigeant du Olin Institue for Strategic Studies,  utilise le concept de civilisation dans un sens très large et oppose celles de l'Occident et de l'Orient, en vient à définir des aires civilisationnelles qui recoupent parfois les aires religieuses, et en fait pratiquement des blocs culturels susceptibles justement d'entrer en collision. Pris dans le contexte de stigmatisation d'une partie du monde musulman identifié comme extrémiste, voire terroriste, ce livre participe - on peut l'espérer malgré lui quoique... - à la tentative d'identification par de nombreux milieux politiques, qui ne se caractérisent pas vraiment par leurs préoccupations sociales, de nouveaux ennemis.

       "Quel est le thème central de ce livre? Le fait que la culture, les identités culturelles qui, à un niveau grossier, sont des identités de civilisation, déterminent les structures de cohésion, de désintégration et de conflits dans le monde d'après la guerre froide."
L'auteur présente ainsi les cinq parties de son ouvrage :
- Pour la première fois dans l'histoire, la politique globale est à la fois multipolaire et multi-civilisationnelle. La modernisation se distingue de l'occidentalisation et ne produit nullement une civilisation universelle, pas plus qu'elle ne donne lieu à l'occidentalisation des sociétés non occidentales ;
- Le rapport de forces entre les civilisations change. L'influence relative de l'Occident décline ; la puissance économique, militaire et politique des civilisations asiatiques s'accroît ; l'islam explose sur le plan démographique, ce qui déstabilise les pays musulmans et leurs voisins ; enfin les civilisations non occidentales réaffirment la valeur de leur propre culture ;
- Un ordre mondial organisé sur la base de civilisations apparaît. Des sociétés qui partagent des affinités culturelles coopèrent les unes avec les autres ; les efforts menés pour attirer une société dans le giron d'une autre civilisation échouent ; les pays se regroupent autour des États phares de leur civilisation ;
- Les prétentions de l'Occident à l'universalité le conduisent de plus en plus à entrer en conflit avec d'autres civilisations, en particulier l'Islam et la Chine ; au niveau local, des guerres frontalières, surtout entre musulmans et non-musulmans, suscitent des alliances nouvelles et entraînent l'escalade de la violence, ce qui conduit les États dominants à tenter d'arrêter ces guerres ;
- La survie de l'Occident dépend de la réaffirmation par les Américains de leur identité occidentale ; les Occidentaux doivent admettre que leur civilisation est unique mais pas universelle et s'unir pour lui redonner vigueur contre les défis posés par les sociétés non occidentales. Nous éviterons une guerre généralisée entre civilisations si, dans le monde entier, les chefs politiques admettent que la politique globale est devenue multi-civilisationnelle et coopèrent à préserver cet état de fait.
 
   Dans son chapitre sur la recomposition culturelle, nous pouvons lire  :
"Pourquoi les affinités culturelles devraient-elles faciliter la coopération et la cohésion, tandis que les différences culturelles devraient attiser les clivages et les conflits ?
Premièrement, chacun a de multiples identités, de cousinages, professionnelles, culturelle, institutionnelles, territoriale, d'éducation, partisane, idéologique, etc, qui peuvent entrer en compétition ou se renforcer les unes les autres.(...) Dans le monde contemporain, l'identification culturelle gagne de plus en plus en importance par comparaison avec les autres dimensions d'identité."
    C'est peut-être là, que des préoccupations idéologiques - briser des solidarités de lutte de minorités ou de classes sociales - rejoignent des présupposés socio-politiques. Les références faites par Samuel HUNTINGTON sent situe clairement du côté d'Edmond BURKE. Il n'est pas certain que les conflits les plus vifs existent entre cultures radicalement différentes, en fait, si l'on rejoint certaines réflexions de Georges SIMMEL. Les guerres les plus atroces se situent souvent à l'intérieur des mêmes aires civilisationnelles (guerres de religions à l'intérieur de la Chrétienté, guerre entre l'Iran et l'Irak, peut-être une des plus meurtrières du XXe siècle...).
    Toutefois, l'auteur souligne (dans un deuxièmement...) sans doute avec raison que l'un des résultats de la modernisation socio-économique (facteur de dislocation et d'aliénation) au niveau individuel, soit la recherche de l'identité culturelle.
   "Troisièmement, l'identité à quelque niveau que ce soit - personnel, tribal, racial, civilisationnel - se définit toujours par rapport à l'"autre, une personne, une tribu, une race ou une civilisation différentes. (...) Le "nous" civilisationnel et le "eux" extra-civilisationnel sont des constantes dans l'histoire. Ces différentes de comportement intra- et extra-civilisationnel consistent en :
- un sentiment de supériorité (et parfois d'infériorité) vis-à-vis de gens considérés comme très différents ;
 - une peur ou un manque de confiance vis-à-vis d'eux ;
 - des difficultés de communication avec eux dues aux différences de langue et de comportement social ;
 - un manque de familiarité vis-à-vis des principes, des motivations, des structures et des pratiques sociales des autres. Là, nous percevons l'influence de thèses, peut-être interprétées d'ailleurs d'une manière non orthodoxe, de Carl SCHMITT.
   "Quatrièmement, les conflits entre États et groupes appartenant à différentes civilisations tiennent, dans une large mesure, à des raisons classiques : contrôle sur la population, territoire, richesses, ressources, rapports de force, c'est-à-dire aptitude à imposer ses valeurs, sa culture et ses institutions à un autre groupe, qui est moins capable. (...)"
   "Cinquièmement et sixièmement, le conflit est universel.(...)".  En fait le politologue en revient au concept de Thomas HOBBES de guerre de tous contre tous dans l'état naturel. Mais pourquoi, disent ses détracteurs, placer les conflits entre différentes civilisations au premier plan de ceux qui peuvent déclencher les guerres?  Bien entendu, l'auteur développe bien des chapitres de son livre abordant les coopérations existantes et possibles entre aires de civilisation différentes, mais l'accent des commentateurs est bien ailleurs...
  
     Pourtant sa conclusion reste bien modérée par rapport aux diverses utilisations qui ont été faites de son ouvrage :
"Dans les années cinquante, Lester PEARSON annonçait que l'humanité allait entrer dans "un âge où les différentes civilisations devront apprendre à vivre côte à côte en entretenant des relations pacifiques, en apprenant à se connaître, en étudiant mutuellement leur histoire, leur idéal, leur art et leur culture ; en s'enrichissant réciproquement. Sinon, dans ce petit monde surpeuplé, on tendra vers l'incompréhension, la tension, le choc et la catastrophe." L'avenir, tant de la Paix que de la Civilisation, dépend de l'entente et de la coopération des principales civilisations du monde. Dans le choc des civilisations, l'Europe et l'Amérique feront bloc ou se sépareront. Quand surviendra le choc total, le "véritable choc" mondial entre la Civilisation et la Barbarie, les civilisations majeures, qui auront leur plein épanouissement dans les domaines de la religion, de la littérature, de la philosophie, de la science,de la technologie, de la moralité et de la compassion, feront également bloc ou divergeront. Dans le temps à venir, les chocs entre civilisations représentent la principale menace pour la paix dans le monde, mais ils sont aussi, au sein d'un ordre international, désormais fondé sur les civilisations, le garde fou le plus sûr contre une guerre mondiale." 
        
     Des auteurs, comme Marc CREPON (L'imposture du choc des civilisations, Editions Pleins Feux, 2002), s'élèvent contre des aspects d'anti-cosmopolitisme, de replis sur des valeurs dites occidentales, qu'ils trouvent dans cet ouvrage et contestent la vision de civilisations homogènes comme les huit civilisations majeures que l'auteur présente. Toutefois, ce livre constitue un moment dans l'histoire des idées et il faut en prendre connaissance, ne serait-ce même que pour en contester vigoureusement les développements et les conclusions.
 
    L'éditeur présente cet ouvrage de la manière succincte suivante :
"Menacé par la puissance grandissante de l'islam et de la Chine, l'Occident parviendra-t-il à conjurer son déclin? Saurons-nous apprendre rapidement à coexister ou bien nos différences culturelles nous pousseront-elles vers un nouveau type de conflit, plus violent que ceux que nous avons connus depuis un siècle. Pour Samuel Hungtington, les peuples se regroupent désormais en fonction de leurs affinités culturelles. Au conflit entre les blocs idéologiques de naguère succède le choc des civilisations. Voici le livre qu'il faut lire pour comprendre le monde contemporain et les vraies menaces qui s'annoncent." Cet ouvrage reçoit les soutiens d'Henry KISSINGER et de Zbigniew BRZEZINSKI. 
 
   Presque bréviaire des administrations républicaines avant Barak OBAMA, cet ouvrage rassemble nombre d'arguments d'une grande partie de la pensée intellectuelle américaine, notamment celle présente au sein de l'establishment, celle qui adhère à la base idéologique de "la guerre contre le terrorisme". Par contre, la majeure partie du monde universitaire et du monde intellectuel américain conteste pratiquement tous les arguments du livre. Les critiques d'ordre géopolitique (axe de lecture réducteur et simplificateur, ignorance des conflits inter-ethniques et même inter-culturelles, ignorance d'autres enjeux majeurs qui "guident" encore la marche du monde, comme le pétrole au Moyen-Orient, manque de pertinence du critère géographique pour le tracé approximatif des aires de civilisation présentées). Les critiques d'ordre démographique (de Youssef COURBAGE et d'Emmanuel TODD dans Le Rendez-vous des civilisations, qui estiment au contraire que les processus démographiques vont faire aboutir à une convergence), les critiques d'ordre anthropologique (une civilisation ne se définit pas de manière essentialiste, au contraire, mais par sa capacité à s'ouvrir et à échanger) et les critiques d'ordre politique (prophéties auto-réalisatrices parce que les dirigeants - surtout occidentaux - peuvent précipiter les facteurs de conflits) se multiplient depuis la parution de l'ouvrage...
 

 

 
   Samuel HUNTINGTON (1927-2008), professeur américain de science politique, fondateur et un des directeurs de la revue Foreign Policy, est également l'auteur d'ouvrages (dont la plupart non encore traduits en Français) géopolitiques ou stratégiques : Soldier and the State : The Theory and Politics of Civil-Military Relations, 1957 ; Political order in Changing Societies, 1968 ; The Crisis of Democracy : On the Governability of Democracies, 1976 ; The Third Wave : Democratization in the Late Twientieth century, 1991 ; Who are We : The Challenges to America's National identity (2004)
     
 Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Editions Odile Jacob, collection poches, 2000, 547 pages.
Il s'agit de la traduction de The clash of civilizations and the Remaking of World Order, publié aux Etats-Unis par Simon & Schuster en 1996.
 
Complété le 10 septembre 2012
Relu le 29 Août 2019.
N-B, depuis 2009, des traductions françaises des ouvrages de Samuel HUNTINGTON sont disponibles sur papier ou sur Internet.
  
 
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12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 09:46
                Surtout dans les temps anciens où la notion de frontière reste floue au profit plutôt de marches épousant les formes du relief ou des villes les plus lointaines des centres des pouvoirs d'un Etat ou d'un Empire, les routes sont essentielles pour le contrôle du territoire. Ces routes permettent à la fois l'acheminement des troupes et des populations, l'information de ce qui se passe dans le pays et le moyen d'y intervenir en cas de menaces.
      
            Aymeric CHAUPRADE et François THUAL définissent bien leurs caractères essentiels pour la vie des Etats et des Empires.
"Les routes terrestres, maritimes et, dans une moindre mesure, aériennes, forment le système nerveux de la géopolitique. La route, lieu de circulation des richesses et des armées, scande l'histoire des sociétés. Née de la rencontre des déterminations géographiques - col, vallée, détroit, fleuve, etc - et de l'activité humaine - commerce, guerre, agriculture, etc -, la route est un facteur à la fois "entraîné et entraînant" de l'histoire géopolitique. De tout temps, elle a suscité des convoitises et des tentatives de captation, et elle a été à l'origine de la formation d'États et d'empires. Les exemples en sont nombreux : route des épices, route de la soie, route de l'ambre, route des mines d'or du Sahara..."   Aujourd'hui les routes de l'information, joignant les technologies de l'informatique et des télécommunications forment les nouvelles routes de circulation et de communication essentielles à la vie de la société, un peu trop vite qualifiée sans doute de post-industrielle.
     Ces routes forment un réseau qui couvre une plus ou moins grande partie du territoire, et ce réseau est plus ou moins dense selon les États ou les Empires. L'existence de nombreuses routes dans un paysage modérément contrasté fourni la possibilité de contrôle et d'exploitation importante d'un territoire, permet la constitution de pouvoirs politiques forts. En revanche, la rareté de routes, même sur un territoire culturellement ou seulement religieusement unifié, ne permet que la constitution de pouvoirs politiques - pouvant dans certains cas être uniquement symboliques - faibles et constamment remis en cause.

         C'est aussi dans cette logique que Claude RAFFESTIN réfléchit aux réseaux et au pouvoir.
"La circulation et la communication sont les deux faces de la mobilité. Complémentaires, elles sont présentes dans toutes les stratégies que déclenchent les acteurs pour maîtriser les surfaces et les points à travers la gestion et le contrôle des distances."
Le géographe distingue la circulation comme "transfert d'êtres et de biens" de la communication "au transfert de l'information". "Encore que, cette distinction, toute utile qu'elle est, peut apparaître ambiguë car elle pourrait laisser croire qu'il y a soit la circulation, soit la communication. En réalité, il y a simultanément circulation et communication dans tout "transport". Les hommes ou les biens qui circulent sont porteurs d'une information et par conséquent ils "communiquent" quelque chose. De même l'information qui est communiquée est en même temps un "bien" qui "circule"".
        Jusqu'à l'époque contemporaine, les réseaux de circulation et les réseaux de communication étaient presque les mêmes réseaux. Mais avec l'apparition de l'information et des télécommunications, ils se dissocient partiellement. "Si parallèlement les "distances temporelles" en matière de circulation ont été considérablement réduites (...) il y a une spécialisation très poussée des réseaux de circulation et de communication qui ne sont plus confondus. Cette discordance entre distance de circulation et distance de communication (fondement entre autre des dissociations entre économie réelle et économie financière à l'échelle de la planète, dirions-nous), n'a pas manqué de créer des problèmes nouveaux très spécifiques à notre époque. Cette distorsion est tout à la fois un avantage et un désavantage pour ceux qui exercent le pouvoir. Avantage d'être renseigné presque immédiatement mais désavantage si l'information reçue implique la nécessité de transférer des hommes ou des biens d'un point à un autre de l'espace. L'idéal du pouvoir est d'agir en temps réel. Si la distance de circulation et la distance de communication tendaient vers l'égalité, le pouvoir ne serait pas loin d'être absolu et toute tentative totalitaire trouverait là un point d'appui pour contrôler... le monde."
              Il existe toute une dialectique pour le pouvoir entre voir sans être vu, mais être perçu toutefois pour exercer ce pouvoir avec un minimum d'efforts. Tout l'enjeu de l'infomatique semble bien être là : le pouvoir doit être au courant de ce qui se passe pour être réel, et les acteurs qui subissent ou bénéficient de ce pouvoir n'ont pas forcément envie d'être identifiés toujours et partout...
       
              Chaque pouvoir développe une stratégie pour recevoir l'information et faire circuler de manière la plus efficace ses instruments de pouvoir.
   Les moyens techniques à sa disposition font varier considérablement ses facultés. Il construit un réseau de circulation selon ses centres d'intérêts (économiques, politiques, stratégiques militaires ou culturels), s'efforçant de contrôler le plus possible les endroits où son action peut être menacée et laissant à des relais seconds le contrôle pour son compte de portions plus ou moins importantes du territoire.
   De même, comme Harold Adams INNIS (professeur canadien d'économie politique, 1894-1952, Empire and communication, 1950)  et Marshall McLUHAN (1911-1980) l'ont mis en lumière, il construit des réseaux de communication avec toutes les contraintes à ce genre d'exercice. La distribution de l'information - moyen de savoir réellement et moyen de faire croire ce qui est irréel - est l'objet de leurs études. L'idée fondamentale de INNIS est qu'il ne semble pas possible de maîtriser à la fois le temps et l'espace : Gouverner, certes, mais sur quelle surface et pour quelle durée.
Pour préciser cela, Claude RAFFESTIN donnent l'exemple des "médias" utilisés par différents États ou Empires : les monuments de pierre, résistants ou d'une maniabilité faible, le papyrus ou le papier plus facilement utilisable et circulant plus vite. Il critique le fait que Harold INNIS privilégie trop le médium par rapport au message mais son analyse demeure pertinente, car beaucoup d'auteurs ont tendance à oublier les contraintes techniques de circulation de l'information, et la concentration de pouvoir nécessaire à l'utilisation de certains matériaux (connaissance technique, possession d'ateliers de construction en série, etc....).
  Marshall McLUHAN insiste bien que le fait qu'une société qui utilise une technologie est influencé par elle dans sa manière de voir le temps et l'espace : "Quand une société invente ou adopte une technologie qui donne la prédominance ou une importance nouvelle à l'un des sens, le rapport des sens entre eux est transformé. L'homme est transformé : ses yeux, ses oreilles, tous ses sens sont, eux aussi, transformés" (La galaxie Gutemberg, 1977).  Claude RAFFESTIN poursuit cette réflexion : "L'information peut être "entendue" ou "vue" : le réseau des sons n'est pas le réseau des images. Les pouvoirs qui en dérivent ne sont pas non plus de même nature. Il est donc vrai qu'un nouveau médium peut conduire à l'émergence d'une nouvelle civilisation. On pourrait ajouter aussi qu'un nouveau médium est porteur d'une possible restructuration du pouvoir." 
   Ce qui est en jeu ici n'est ni plus ni moins que l'emprise exercée par le pouvoir, qu'il soit politique ou économique. "Les sociétés à forte emprise territoriale sont caractérisées par des flux considérables d'information nécessitant d'énormes quantités d'énergie. (Soit dit en passant selon nous, le réseau Internet consomme énormément d'énergie et le modèle économique qui le sous-tend, reposant sur la circulation d'information inutiles ou parasites comme les publicités commerciales devra certainement être révisé si l'on veut lutter contre le réchauffement climatique). A l'inverse, les sociétés à faible emprise territoriale sont peu traversées par des flux d'information et par conséquent elles ne sont pas de grosses consommatrices d'énergie."   La mise en place des réseaux de circulation est étudié par Claude RAFFESTIN et nous en discuterons plus tard : il s'agit tout simplement du processus de changements de civilisation, de la pierre à l'informatique, que nous avons connu.
     Dans sa conclusion sur "Les réseaux et le pouvoir", attentive aux formes oppressives du pouvoir, Claude RAFFESTIN écrit : "Les réseaux informels de masse ou interpersonnels constituent un contrepoids utile et bienvenu car ils ne peuvent que très difficilement être concentrés et centralisés. Pour contrôler les moyens actuels de reproduction et les conversations, il faut contrôler un ordre fondé sur la terreur. (...) Quelles que soient les mesures prises, l'information finit toujours par passer car elle s'infiltre partout : les barrières autour de l'information ne servent à rien. Norbert WIENER (Cybernétique et société, 1962) ne s'y est pas trompé il y a un quart de siècle lorsqu'il a écrit : "L'information se présente encore davantage comme une question de processus plutôt que le stockage. Le pays qui jouira de la plus grande sécurité sera celui dans lequel la situation de l'information et de la science sera propre à satisfaire les exigences éventuelles - le pays où l'on se rendra compte pleinement que l'information importe en tant que stade d'un processus continu par lequel nous observons le monde extérieur et agissons efficacement sur lui."

 Claude RAFFESTIN, pour une géographie du pouvoir, Librairies techniques, 1980. Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, Ellipses, 1999.

                                                                    STRATEGUS
 
Relu le 14 septembre 2019
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4 décembre 2009 5 04 /12 /décembre /2009 09:55
         Géographe et géopoliticien français, Jacques ANCEL est d'abord un grand spécialiste de l'Europe orientale et balkanique avant d'être un des fondateurs de la géopolitique française, en opposition avec la géopolitique allemande, incarnée par Karl HAUSHOFER.
         
            Son oeuvre comprend jusqu'en 1930 des livres sur les questions d'Europe orientale (comprendre aujourd'hui l'Europe centrale avec les Balkans surtout) avant de comporter une suite d'articles (dans les revues spécialisées destinées aux cercles militaires et aux géographes comme aux historiens) et d'ouvrages sur la géopolitique comprise de manière globale.
Avant et pendant son activité dans l'armée lors de la Première Guerre Mondiale où il termine comme capitaine, chef du service politique à l'État-major de l'Armée Française d'Orient, il écrit une série d'études très détaillées, de 1902 avec La formation de la colonie du Congo Français (1843-1882) à 1919 avec L'unité de la politique bulgare (1870-1919). Ces travaux, poursuivis dans l'entre-deux guerres, font autorité auprès de la Société Des Nations, car ils servent de base aux Conférence du Pacte Balkanique de 1934.
      On peut compter une poignée d'ouvrages importants, à côté d'une quantité très importante d'articles dans les revues diplomatiques de l'époque : 
- 1921 : Les travaux et les jours de l'Armée d'Orient, 1915-1918 ;
- 1923 : Manuel historique de la question d'Orient (1792-1923) ;
- 1926 : Peuples et nations des Balkans ;
- 1929 : Histoire contemporaine depuis le milieu du XIXe siècle, en collaboration avec Henri CALVET ;
- 1929 : Manuel de politique européenne, histoire diplomatique de l'Europe (1871-1914) ;
- 1930 : La Macédoine, étude de colonisation contemporaine.
      Mais c'est surtout sa contribution à la formation de la géopolitique française, qui possède aujourd'hui une grande influence, même si son nom est méconnu par beaucoup, avec successivement :
- 1936 : Géopolitique ;
- 1938 : Géographie des frontières ;
- 1936-1945 : Manuel géographique de politique européenne ;
- 1945 : Slaves et Germains.

           Le géographe français, influencé par une conception de la nation française héritée d'Ernest RENAN (1823-1892), développe surtout une conception des frontières, étant entendu que pour lui, la géopolitique est avant tout observation et analyse des relations humaines avec le territoire sur lequel les populations vivent.
    Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, poursuivant en cela la réflexion de Xavier de PLANHOL (Les nations de Prophète, 1986) dans la redécouverte de l'oeuvre de Jacques ANCEL, écrivent que "(sa) méthode consiste, à partir de données géographiques invariantes - déserts, montagnes, îles, fleuves, littoraux - à démonter les mouvements des peuples et des Nations dans leur expansion politique, commerciale et militaire."
           
            Dans son livre-clé, Géopolitique, Jacques ANCEL engage une réflexion poussée sur le concept de frontière. Elle se fonde pour lui sur deux conceptions radicalement différentes :
- c'est le sol qui impose des limites : l'État est arrêté par des obstacles physiques - c'est la nature qui crée la frontière ;
 - ce sont deux groupes humains qui parviennent à un équilibre : la frontière se modèle sur ce "qui s'agite en-deça et au-delà" - c'est l'homme qui crée la frontière.
Il affirme sa préférence pour la seconde conception et s'attache à démontrer que les obstacles naturels ne constituent pas nécessairement des frontières naturelles. La mer, la montagne, le fleuve contribuent à rapprocher, favorisant une circulation. Il n'est que les vides naturels, déserts, marais, forêts qui peuvent réellement faire office de frontière naturelle, empêchant précisément cette communication. De plus, pour lui, les vrais frontières sont linguistiques, avant même d'ailleurs d'être religieuses.
           
      Dans Géographie des frontières, il étaye ses idées-forces par de multiples exemples,  tirée de sa grande érudition, dont tous n'ont pas la même pertinence. La frontière, écrit-il, cette limitation périphérique, n'est pas un facteur capital dans l'existence d'un État. C'est le dedans qui importe. La force d'un État repose moins sur la solidité de ses frontières que sur l'énergie et la vie qu'il contient, notion qui semble oubliée de nos jours par tous les commentateurs qui se crispent sur leur porosité dans le contexte de la mondialisation. Le tracé de beaucoup de frontières d'États fut déterminé, à l'exclusion des traits physiques du territoire politique, par les impulsions de leur volonté interne. Dans sa volonté de vouloir démonter à tout prix l'idée de frontières naturelles, Jacques ANCEL énonce parfois des exemples pas très pertinents, même si dans l'ensemble son argumentation porte, car la plupart des exemples cités sont étayés géographiquement et historiquement. Sa campagne contre la "superstition linéaire" permet de replacer les obstacles naturels dans le bon contexte - aucun n'est infranchissable, l'histoire stratégique le montre bien - et il est parfois plus pertinent, si l'on regarde l'ensemble de l'histoire de discuter des espaces-tampons et des marches bordées de "murs" que de frontière millimétrées... (Albert DEMANGEON, Géographie des frontières, dans Annales de géographie, tome 50, n°281, 1941).
 
      Le nombre des critiques de ses livres dans les revues spécialisées (Annales de géographie par exemple), témoigne de leur importance.  

  Le discrédit sur la géopolitique, dominée par la conception allemande, utilisée par les nazis dans leurs visions expansionnistes et racistes, a stoppé la lente éclosion d'une géopolitique française (de plus, Jacques ANCEL disparu dans la Résistance), et il faut attendre la fin de l'hégémonie de la pensée stratégique nucléaire pour voir de nouveau fleurir les analyses géopolitiques.

Jacques ANCEL, Géopolitique, Librairie Delagrave, 1936 ; Slaves et Germains, Armand Colin, 1945 ; Peuple et nations des Balkans, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1992. 
Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, Ellipses, 1999.
 
Révisé le 28 mars 2015
Relu le 19 septembre 2019
                                                     
                                           
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1 décembre 2009 2 01 /12 /décembre /2009 14:40
            Le Dictionnaire de géopolitique définit la territorialité comme le concept générique qui regroupe "tout ce qui a trait à l'espace comme facteur des comportements géopolitiques". "A cet égard, pour tout pays, comme pour toute construction politique, une esquisse de sa morphogenèse territoriale s'impose. Pour chaque acteur du champ géopolitique, il convient de dresser un bilan territorial : étapes de la formation du territoire, zone initiale d'impulsion de la construction politique (...), acquisitions consolidées, acquisitions et pertes provisoires, pertes définitives.
Aymeric CHAPRADE et François THUAL poursuivent : "La territorialité d'un pays ne ressort pas seulement de ce qui a été, mais aussi de ce qui aurait pu être. L'ensemble de ces gains et pertes sur la longue durée forme le socle à partir duquel l'analyse géopolitique peut ensuite s'élaborer." En fin de compte, toute analyse géopolitique solide doit s'appuyer sur ce premier bilan. Toute compréhension de l'activité d'un acteur géopolitique ne peut faire l'économie de cette connaissance proprement historique.
Depuis que le monde se construit à partir d'entités sédentaires, ce qui ne serait pas nécessaire avec des populations nomades en constant déplacement et qui couvrent de grandes étendues sans y revenir, est indispensable pour comprendre quoi que ce soit à une actualité parfois perturbante, et qui a souvent plus de répercussions sur la vie quotidienne des peuples que peut le faire penser les informations intermittentes qu'ils en reçoivent.
     Après ce bilan territorial, "l'analyse de la territorialité doit se centrer sur les menaces diverses pesant sur l'intégrité territoriale et sur leurs motifs, ainsi que sur les ambitions concernant les territoires voisins". L'hétérogénéité des populations présentes sur un même territoire définit politiquement, majoritaire comme minoritaires, pose la question de la représentation qu'en ont les peuples. "L'identitaire sacralise le territoire et le territoire sacralise l'identité. Cette démarche est universelle et s'est généralisée au XXe siècle avec le modèle d'État-nation véhiculé par le monde occidental."

           La territorialité renvoie bien entendu au territoire, dont Claude RAFFESTIN tente d'établir les caractéristiques dans une géographie du pouvoir. L'espace qui précède le territoire - avant la venue de ceux qui le désigne par le nom de leur pays - est un "lieu ou un champ des possibles".
Il y a en outre "autant d'images territoriales qu'il y a de visées intentionnelles différentes." Le système territorial comporte différents éléments. "Les individus ou les groupes occupent des points dans l'espace et se distribuent selon des modèles qui peuvent être aléatoires, réguliers ou concentrés. Ce sont, en partie, des réponses possibles au facteur distance et à son complément, l'accessibilité. La distance pouvant être appréhendée en termes purement spatiaux (distance physique ou géographique), temporels, psychologiques ou économiques. La distance intéresse l'interaction entre les différents lieux. Interactions politique, économique, sociale et culturelle qui résultent de jeux d'offres et de demandes émanant des individus et/ou des groupes. Cela conduit à des systèmes de maillages, de noeuds et de réseaux qui s'impriment dans l'espace et constituent en quelque sorte le territoire. Non seulement, il se réalise une différenciation fonctionnelle, mais encore une différenciation commandée par le principe hiérarchique qui contribue à ordonner le territoire selon l'importance accordée par les individus et/ou les groupes à leurs diverses actions."
   "Le maillage territorial peut comporter des niveaux. Ces niveaux sont déterminés par des fonctions qui doivent se réaliser dans chacune de ses mailles. Selon l'importance et la nature des fonctions laissées à chaque niveau, on pourra parler de centralisations ou de décentralisations. A cet égard, la finesse du maillage est ambiguë si l'on ne tient pas compte des objectifs. En effet, un maillage à plusieurs niveaux peut avoir pour objectif d'assurer le fonctionnement optimal d'activités pour la population, ou peut avoir pour objectif d'assurer le contrôle maximal de la population. (...) Il faut distinguer le maillage voulu du maillage subi par le groupe. Le maillage "voulu" est celui qui tente d'optimaliser le champ opératoire du groupe, tandis que le maillage "subi" est celui qui tente de maximiser le contrôle sur le groupe. La limite n'a donc pas du tout la même signification dans l'un ou l'autre cas. Dans les deux cas, le maillage est pourtant la projection d'un système de limites ou de frontières plus ou moins institutionnalisées (...). Ce maillage est toujours une grille du pouvoir ou d'un pouvoir. L'échelle du maillage détermine l'échelle des pouvoirs. Il y a des pouvoirs qui peuvent intervenir à toutes les échelles et ceux qui sont limités à des échelles données. Finalement, le maillage exprime l'aire d'exercice des pouvoirs ou l'aire de capacité des pouvoirs."
   Nous pouvons ajouter que ce maillage peut-être réel ou imaginaire, dans l'esprit de ceux qui l'établissent comme dans l'esprit de ceux qui le subissent. Il est essentiel pour un pouvoir qui n'a pas les moyens de contrôler tout et partout mais qui voudrait obtenir les effets économiques, politiques ou religieux de ce contrôle, nous ne développerons pas ici, mais c'est important, que les gens aient le sentiment que le maillage est constant et serré. D'où la nécessité des promenades des souverains dans leur royaume, plus ou moins fréquentes et plus ou moins déléguées, comme des processions religieuses pour les différentes autorités religieuses. L'exercice de l'autorité en dépend. Le souvenir du passage du roi perpétue en quelque sorte sa loi, même dans les territoires les plus reculés.

        C'est plus concrètement que François FOURQUET et Lion MURARD analyse le territoire, prenant appui directement sur l'histoire des villes, et tentent d'établir une généalogie des inscriptions territoriales. Pour eux, l'inscription territoriale n'est pas un concept, "c'est l'indice d'un problème qui renvoie d'une part à la puissance d'inscription, l'instance dominatrice, l'État, le capital, qui marque un quelque chose qui désormais s'enregistre comme territoire. C'est d'une part une façon de s'empêcher de considérer dès le départ que le territoire n'est qu'une surface passive où se projettent telle ou telle instance sociale ou politique. Autrement dit, restituer, si cela est possible, la dimension spécifique où évoluent les villes."
    Les auteurs de cette étude parcourent ainsi successivement l'émergence des premières villes dans l'Orient pour comprendre ce qu'est un territoire despotique (État organisant l'irrigation et l'utilisation de l'eau comme force motrice et qui prend la responsabilité de la surveillance des dépôts de nourriture), ce que sont les cités grecques et les grands empires antiques. Quels rôles aussi remplissent des religions comme l'Islam, des organisations sociales comme la féodalité dans la pérennité des villes. Comment s'organisent les cités-États et la monarchie absolue. Comment le capitalisme industriel construit le réseau des villes, dans l'indifférence à peu près complète de l'ancien réseau, prenant comme axe les lieux de ressources exploitables et comme lien entre les nouveaux points de pouvoir, le chemin de fer. Il s'agit pour eux de poser différents éléments qui rentrent dans la composition du territoire, des origines à nos jours.

François FOURQUET et Lion MURARD, Les équipements du pouvoir, Recherches n°13, Union Générale d'Editions, 10/18, 1976. Claude RAFFESTIN, Pour une géographie du pouvoir, Librairies techniques (LITEC),  collection Géographie économique et sociale, 1980. Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, Ellipses, 1999.

                                                     STRATEGUS
 
 
Relu le 21 septembre 2019
           
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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 15:16
             Du niveau local au niveau mondial, le problème de l'approvisionnement en ressources aquifères se trouve au centre de nouveaux et d'anciens conflits. Que ce soit dans des régions favorisées par leurs réseaux hydrauliques ou dans des régions pauvres en eau, les systèmes économiques actuels se révèlent inadéquats pour assurer le droit à tous d'étancher sa soif et d'assurer les besoins de l'agriculture. Si dans les pays industrialisés du Nord de la planète, l'exploitation de l'eau donne lieu à des enrichissements considérables de sociétés spécialisées, souvent filiales d'énormes consortiums financiers, dans nombre de pays du Sud où la rareté des infrastructures d'acheminement de l'eau, même dans des régions richement dotées en volume, est souvent la règle, d'incessants conflits, frontaliers ou non, s'alimentent de cette relative pénurie. La désertification de régions entières au coeur d'États développés industriellement provoquent même aujourd'hui de nombreux problèmes.
S'ajoute à cela les effets de pollutions massives (pesticides de l'agriculture notamment) et des technologies insuffisantes d'extraction de l'eau des mers.

          Sur l'impact ou la place de l'eau en matière géopolitique, Aymeric CHAUPRADE, consacre de nombreux passages de son gros volume Géopolitique :
- Sur la montagne frontière, barrière et source d'eau, on peut lire que "la frontière par la montagne se fait souvent sur un critère de ressource, celui de l'eau. Il existe en effet un lien fondamental entre la montagne, l'eau et la frontière : lorsque des frontières se font en montagne, elles se font souvent suivant la ligne de partage des eaux." L'auteur rappelle que l'on différencie deux manières d'établir une frontière relativement à la question de l'eau : le système du talweg, ligne joignant les points les plus bas d'une vallée, par le fleuve en fait, qui n'est pas nécessairement navigable tout le long de son cours et le système de la ligne de crête, où il s'agit de revenir à la source, en montagne où se séparent les eaux de ruissellement, les uns courant sur un versant, les autres sur un autre.
- La fluvialité est souvent un aspect aussi important que l'alimentation en eau proprement dite. "Il est probable qu'à l'avenir, la dimension relationnelle de la fluvialité ne cessera d'augmenter au détriment de la dimension frontalière. Inter-étatique, s'insérant dans des logiques souvent plus régionales que nationales, le fleuve restera, dans le cadre des dynamiques régionales, un facteur géopolitique important. La question de l'eau, qui touche à celle des fleuves, au Moyen-Orient en particulier, pousse en effet les États à des discussions régionales et à réfléchir sur la notion de bassin partagé."
- La géographie des cours d'eau a toujours fait partie des plans de stratégie : l'eau est une cible de guerre à de nombreux points de vue. Nous signalons seulement ici l'édification de barrages temporaires pouvant noyer les troupes adverses, les empoisonnements de l'eau dans la retraite des armées ou tout simplement les nécessités d'approvisionner en eau tout le cortège qui accompagne les armées en compagnes sans compter les armées elles-mêmes.
 
        Plus généralement, même en temps de paix, la démographie des peuples est très liée à leur réseau disponible en eau. De nombreux pays dépendent de cours d'eau présents dans les pays qui les bordent. Ainsi la Turquie, la Syrie et l'Irak revendiquent souvent pour eux-mêmes les sources et les méandres du Tigre et de l'Euphrate (la Turquie considère que les ressources de l'Euphrate lui appartiennent aussi légitimement que le pétrole appartient aux pays arabes et refuse l'approche du bassin intégré, mais c'est une situation qui ne peut durer... la Syrie et l'Irak revendiquent de leur côté leur "droit à l'eau" face au grand projet hydraulique turc conçu en 1970 et mis en oeuvre depuis 1984....). Le Gange, le Brahmapoutre et l'indus constituent des enjeux de conflits entre l'Inde, Pakistan et le Bengladesh. Le parcours du Nil, de même, est l'occasion de frictions entre l'Egypte, l'Ethiopie et des pays d'Afrique Noire, de cataracte en cataracte... Le Chatt ell Arab fut déjà l'enjeu de guerres entre l'Iran et l'Irak.
         Occulté très souvent, passé en tout cas sous silence dans toutes les analyses que nous pouvons lire sur le conflit isaélo-palestinien et israélo-arabe (moins récemment, même si leur évocation suscite des "protestations indignées"... ), le problème de l'eau semble central. La stratégie d'expansion territoriale et démographique d'Israël se fonde, que ce soit par la prise progressive de territoires continus ou l'implantation de colonies, sur le repérage des présences d'eau dans une région très montagneuse. Le Liban, parce qu'il est le premier grand gisement de ressources en eau connaît toujours une situation politique très instable, qui ne doit pas toutes ses caractéristiques à la présence des trois religions monothéistes. Le bassin du Jourdain, le plateau du Golan sont d'autant de terrains de combat dont les enjeux sont souvent l'eau. La constitution d'un Etat palestinien, qui devra s'appuyer lui aussi sur les réserves d'eau présentes dans la région constitue un défi vital pour l'Etat d'Israël, de la délimitation des zones israéliennes à la bataille économique entre les sociétés de gestion de l'eau.
           
        Les fonds marins recèlent des matériaux d'où peuvent être extraites de grands quantités d'eau, à condition d'avoir la technologie nécessaire (qui demeure encore trop coûteuse) : les nodules polymétalliques qui s'étendent en champs entre 4 000 et 5 000 mètres de profondeur sont repérés et font l'objet déjà d'obtention de droits d'exploitation, notamment sous les eaux internationales.

        Frédéric LASSERRE, professeur-chercheur à l'Université de Laval au Quebec (Transferts massifs d'eau. Outils de développement ou instrument de pouvoir?, Presses de l'Université de Laval, 2005) essaie d'élaborer une modélisation des conflits hydrauliques et des guerres de l'eau. Entre les conflits étatiques, où l'eau est catalyseur de tensions et les conflits internes de basse intensité existe toute une gamme de conflits dont on peut dresser un tableau :
- Pour les conflits entre Etats, nous pouvons citer ceux se déroulant autour du Nil, entre l'Arabie Saoudite et la Jordanie ou entre la Libye et l'Egypte pour les aquifères du Sahara. La guerre des Six jours de 1967 peut être présentée comme la première guerre de l'eau, précédée de grandes manoeuvres sous forme de grands travaux hydrauliques. Dans les accords de paix ou de cessez-le-feu sont souvent prévues des dispositions sur l'accès à l'eau qui prouvent que des arrangements fructueux pour les deux parties sont souvent possibles ;
- Pour les conflits internes et de basse intensité, les exemples ne manquent pas. De 1982 à 2005, on peut lister au moins une dizaine de conflits ayant l'eau pour principal enjeu : des importantes violences intercommunautaires au sujet du partage de l'eau de l'Isfera, vallée de la Fegaria entre le Kirghiztan et le Tadjikistan en 1982 et en 1988-1989 aux affrontements en plusieurs points du kenya qui ont fait plusieurs dizaines de mort autour du fleuve Tana en février-juillet 2005.
     
       Il faut remarquer qu la rareté de l'eau n'a pas les mêmes effets sur toutes les sociétés : le vécu de la rareté, la difficulté ou la facilité de coopérer pour la gestion de points d'eau plus ou moins importants dépend de capacités d'adaptation extrêmement variées. La mauvaise exploitation des terres, par des moyens d'irrigation pensés souvent à court terme, conduit souvent à une diminution du niveau de vie des paysans et ces derniers trouvent à leur situation des solutions qui vont de l'immigration pure et simple au recours à la violence, en passant par des coopérations  efficaces. De nombreux auteurs (Peter GLEIK, Frederic FREY, Thomas NAFF, Aaron YAIR...) abordent cette question-là, indiquant des pistes de gestion des conflits de l'eau et nous y reviendrons.
 
       Les changements climatiques rendent de plus en plus urgents des développements institutionnels de gestion de l'eau, surtout à l'échelle régionale, et depuis 1960 déjà, des organisations internationales comme les Nations Unies (programme pour le développement, PNUD) ou l'Agence canadienne de développement international (ACDI) ont déjà une grande expérience derrière eux. Avec Luc DESCROIX, hydrologue, de l'Institut de Recherche pour le Développement, Frédéric LASSERRE indique les atouts et les contraintes à la constitution d'institutions efficaces.
       Parmi les contraintes :
- la persistance de la méfiance entre les Etats, qui se traduit notamment par le refus du partage des données hydrométriques (entre Chine et Russie pour l'Amour, entre pays du bassin du Mékong) ;
- le poids politique du dogme de l'autosuffisance alimentaire, qui rend très difficile d'accepter toute concession quant aux volumes d'eau à partager (Egypte) ;
 - la crainte de heurter un monde rural souvent en crise (Asie centrale, Egypte).
          Il existe une Convention depuis 1997, qui consacre la "souveraineté territoriale limitée" entre Etats d'un même bassin, surtout mise en oeuvre en Afrique de l'Ouest ou en Amérique du Nord, régions qui possèdent souvent leurs propres accords régionaux. Ainsi le Canada et les Etats-Unis possèdent une longue expérience de coopération régionale, du Traité des Eaux Limitrophes de 1909  l'Accord sur l'approvisionnement en eau et la protection contre les crues dans le bassin de la rivière Souris de 1989 en passant par l'accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs (ARQEL) de 1978.
 
       Un rapport d'information déposé par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale française sur "la géopolitique de l'eau" en décembre 2011 effectue une analyse détaillée des conflits sur la répartition de l'eau, conflits appelés à croître, de manière générale, avant de se centrer sur la question du bassin jordanien en Palestine et d'insister sur "l'impérieuse nécessité d'améliorer la gouvernance de l'eau". La commission constate l'apparition d'un véritable apartheid au Moyen Orient, notamment entre populations israéliennes et populations palestiniennes. Elle apporte des propositions pour améliorer cette gouvernance, soit par l'augmentation de la ressource disponible soit par une répartition plus équitable.
 
Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Ellipses, 2003.
Dossiers sur la géopolitique de l'eau des revues Défense Nationale et sécurité collective (Novembre 2006) et Revue internationale et stratégique (Eté 2007). Rapport d'information de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée Nationale, du 13 décembre 2011, en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 5 octobre 2010, sur "la géopolitique de l'eau", présidée par Lionnel LUCA (rapporteur Jean GLAVANY). 

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Relu le 10 juillet 2019
  
            
   
                
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24 novembre 2009 2 24 /11 /novembre /2009 15:57
             Dans une formule paradoxale, nous pouvons dire que les changements climatiques constituent une constante géopolitique dans l'histoire de l'humanité. Loin de banaliser les actuels bouleversements, cette formule veut mettre l'accent sur la vulnérabilité des civilisations, sans doute nombreuses avant la nôtre à avoir disparu à cause de ces changements.

            Aymeric CHAUPRADE situe bien ces révolutions géographiques que sont les changements de climat, d'importance égale en terme de répercussions sur les hommes, sur leurs structures sociales comme sur leurs conditions de vie, que les cataclysmes naturels (tremblements de terre, éruptions volcaniques) ou les transformations résultantes des activités humaines (percements de canaux, mise en relation de mers...).
    Il existe un lien rétroactif fort entre transformations écologiques et processus géopolitiques. Deux grands faits géopolitiques principaux,  "le recul des forêts - déforestation - et la centralité énergétique du pétrole" amènent aujourd'hui un changement climatique global dont la mesure d'ailleurs, au rythme de la multiplication des études géologiques et des expéditions polaires, suscite des inquiétudes de plus en plus vives.
    "Dans l'histoire de l'humanité, la variation du niveau des mers a eu, au moins à un moment, une conséquence géopolitique considérable : il y a quelques dix mille ans, la dernière glaciation entraîna un abaissement du niveau des mers de 120 mètres qui permit aux populations d'Asie de passer en Amérique par le détroit de Béring. Au dernier optimum climatique de notre ère inter-glaciaire, en revanche, les deltas étaient inondés par la remontée marine consécutive à la fonte des glaces. En Chine, le delta du Yang-Tsé était envahi par les eaux, comme l'était le territoire de l'actuel Bengladesh, les iles Maldives et les atolls du Pacifique."
      Une première estimation des effets géopolitiques du changement climatique a d'ores et déjà été faites, sans préjuger de leur vitesse ou de leur ampleur :
- Une reconfiguration des souverainetés pourrait toucher les zones économiques exclusives nées du récent droit de la mer (notamment par changement des zones de pêches, variations importantes dans la vie saisonnière des poissons et crustacés...) ;
- De nouvelles controverses concernant respectivement l'Antarctique et l'Arctique pourraient naitre, du fait de nouvelles possibilités de circulation et d'exploitation de ressources ;
- Des bouleversements dans le cycle de la mousson en Asie pourraient mettre en danger la vie de milliards d'hommes. Déjà des retards dans les étapes des cycles se révèlent sensiblement.
- Enfin, les effets proprement  psychologiques de bouleversements climatiques attendus existent déjà, sous forme de confrontations entre États dans des négociations internationales économiques.
           
             En géopolitique, l'instrumentalisation d'une menace produit autant d'effet (peut-être parfois plus) que la menace elle-même. Certains auteurs n'hésitent pas à pointer certaines forces politiques profitant d'une peur d'un nouveau genre, en minorant d'ailleurs au passage les réels bouleversements en cours.
          Outre l'aspect objectif d'une nécessaire solidarité entre les peuples induitent par les multiples aspects de la mondialisation par ailleurs, les menaces écologiques globales rendent encore plus pressantes l'inscription à l'ordre du jour des agendas politiques, la formation de nouveaux mécanismes économiques et politiques.

       Différentes organismes nationaux en charge de la sécurité et de la défense, dans leurs évaluations des menaces, prennent très au sérieux les changements climatiques et leurs effets géopolitiques.
  Ainsi le Pentagone a-t-il entrepris toute une série d'études confidentielles ou secrètes sur les conséquences d'un changement global du climat.
L'une d'entre elle, entreprise par Peter SCHWARTZ et Doug RANDALL en 2003, élabore un scénario de changement climatique sur 2010-2030. Elle prévoit de nombreux conflits de par le monde dans différentes zones géopolitiques. Dans leur avant-propos, les auteurs signalent que "les scientifiques sont en accord avec nos conceptions, mais formulent la réserve suivante : le scénario décrit est un cas extrême sur deux points fondamentaux. Tout d'abord, ils avancent que les événements esquissés ici ne se produiraient pas sur toute la surface du globe, mais plus vraisemblablement dans quelques régions seulement. Ensuite, ils pensent que l'amplitude de ces événements ne sera peut-être pas aussi dramatique que nous l'avons imaginé.".
Ils ont mis sur pied un scénario à partir des évolutions en cours, dans le domaine alimentaire notamment, en se basant sur les phénomènes de réchauffement et de glaciation vieux de plusieurs milliers d'années comme de ceux du petit Age de Glace de 1 300 à 1 800. Rappelons qu'il s'agit surtout de périodes longues de réchauffement progressif suivis de glaciation brusque, fruits des déplacements de courants d'air et d'eau planétaires plus ou moins bien connus aujourd'hui, et de leur interactions en terme de température et de pression. Leur rapport met l'accent sur la sécheresse et le froid qui poussent les populations vers le Sud ou vers l'intérieur des terres, provoquant ou amplifiant des conflits entre États situés dans les zones de turbulence comme les États européens, les États-Unis et le Canada, l'Inde et le Pakistan, de même qu'en Chine et en Afrique.
Citons simplement ici leur conclusion : "Il est assez plausible qu'en l'espace de dix ans les preuves qu'un changement climatique brutal est proche deviennent indubitables. Il est aussi possible que nos modèles nous permettent d'en mieux prévoir les conséquences. Dans ce cas, les États-Unis seront dans la nécessité de prendre des mesures d'urgence pour prévenir et atténuer certains de ses effets les plus significatifs. Des actions diplomatiques devront être entreprises pour minimiser les risques de conflits, particulièrement dans les Caraïbes et en Asie. De toute façon, de vastes déplacements de population sont inévitables dans ce scénario. Apprendre à gérer ces populations, les tensions aux frontières et les réfugiés qui en découlent, deviendra vital. De nouvelles formes d'accords sur la sécurité, mentionnant spécifiquement l'énergie, la nourriture, l'eau seront aussi une nécessité. En bref, même si les États-Unis resteront eux-mêmes relativement bien lotis, et dotés d'une plus grande capacité d'adaptation, ils se trouveront dans un monde où des vagues de réfugiés viendront se briser sur leurs côtes ; où l'Europe sera confrontée à des luttes internes ; où l'Asie sera plongée dans une crise grave à cause de l'eau et de la nourriture. Les troubles et les conflits seront alors des traits permanents de la vie sur terre."

              Dans un livre qui fera certainement date, Harald WELZER (né en 1958), directeur de recherches en psychologie sociale et directeur du Centre de recherche interdisciplinaire sur la mémoire à Essen, en Allemagne, réfléchit sur les guerres causées ou induites, ou encore aggravées par les changements climatiques.
A partir d'une réflexion sur les génocides et sur les facteurs qui poussent les hommes à tuer en masse, sur les différentes catastrophes climatiques de l'ouragan de Katrina (destruction de la Nouvelle-Orléans, aux États-Unis) ou de différents ouragans depuis la fin du XXe siècle, comme sur les guerres du Rwanda (massacre de masse des Hutus) ou du Soudan, l'auteur repère les conditions des guerres climatiques de demain. Il fait état, parmi les conséquences des changements climatiques à la fois :
- de conflits armés dans des parties déjà très pauvres de la planète, accroissant encore les inégalités socio-économiques en Afrique et en Asie notamment. Dans des régions où les États héritiers des décolonisations sont déjà faibles, on assiste déjà à une véritable désintégration des pouvoirs publics ;
- de conflits armés entre États bien organisés suscités par des changements géographiques.
          
   "C'est seulement depuis peu, à propos des conflits entre nomades et sédentaires au Nigeria, en Éthiopie ou au Kenya, et des génocides du Rwanda et du Darfour, que sont perçues les corrélations écosociales. Il faut toutefois souligner que les explications simples sont trop courtes : les conflits violents sont toujours le produit d'évolutions parallèles et asynchrones. Mais les causes structurelles de conflits - comme la désétatisation, l'émergence de marchés de la violence, l'exclusion ou l'extermination de groupes de population - se trouvent renforcées et accélérées par des problèmes écologiques et par la perte de ressources comme le sol et l'eau." L'effondrement des systèmes de sécurité face aux déchaînements réguliers des éléments marins ou des cycles de crues des fleuves devenus chaotiques et aux intensités beaucoup plus grandes que par le passé, la fréquence accrue de phénomènes météorologiques, tels que les ouragans, le développement de maladies infectieuses et les problèmes alimentaires provoqués notamment par la disparition ou le déplacement des populations animales (des quadrupèdes aux insectes), tout cela met directement en péril près de deux milliards de personnes qui vivent dans les zones les plus exposées du globe. Sans compter les répercussions sanitaires directes dans les pays riches qui pensent être pour l'instant à l'abri. Une grande partie du problème israélo-palestinien, que l'auteur n'étudie pas, provient probablement de l'accès de plus en plus difficile à l'eau.
Les conséquences sociales du réchauffement suscitent des scénarios dont l'auteur cite quelques-uns des plus probables :
- le nombre des conflits violents, locaux et régionaux pour l'exploitation des sols et l'accès à l'eau potable augmentera ;
- les migrations transnationales se multiplieront, tout comme le nombre de réfugiés intérieurs, entrainant des violences au plan local comme au plan régional ;
- la réduction des lacs, le tarissement des cours d'eau, la disparition des forêts et des réserves naturelles causeront des conflits transfrontaliers pour l'appropriation des ressources ;
- les mesures d'adaptation aux changements climatiques (construction de barrages, prélèvements dans les fleuves et les nappes phréatiques) dans un pays créeront des problèmes dans un autre, suscitant à nouveau des conflits entre États.
          
  "La guerre classique entre États n'est pas très fréquente en ce moment, mais trois tendances se dégagent qui pourraient raviver des conflits de ce genre :
- Les marchés internationaux de matières premières et les infrastructures d'approvisionnement - surtout les gazoducs - constituent un terrain extrêmement sensible "d'insécurité globalisée". Les attentats visant oléoducs, raffineries, ponts, etc, font partie des tactiques aussi bien du terrorisme international que des groupes rebelles locaux ; le Nigeria et l'Irak en sont les exemples les plus frappants. Des scénarios d'attaques analogues ne sont pas invraisemblables en Europe de l'Est, où des gazoducs traversent une série d'États."  Les frictions en Ukraine et en Géorgie, impliquant la Russie, la Turquie et l'Union Européenne risquent de se multiplier.
- Les conflits violents pour des matières premières de base comme l'eau se multiplieront considérablement à l'avenir."  Deux à Sept milliards d'êtres humains, selon les estimations, souffriront vers 2050 de graves problèmes d'approvisionnement.
- La fonte des glaces arctiques et antarctiques fournit le scénario de violences à venir. Les gigantesques gisements de matières premières dont on soupçonne l'existence sous les glaces seront bientôt accessibles et le droit de les exploiter fait depuis longtemps l'objet de contestations." Sans compter les divers conflits nés de l'ouverture de nouvelles voies de navigation.
  
    Hararld WELZER se montre relativement pessimiste face à toutes ces possibilités de conflits, moins parce qu'il ne fait pas confiance à de nouvelles technologies pour résoudre certains problèmes cruciaux que parce que socialement, les peuples, les hommes politiques comme les citoyens ont tendance, par conservatisme psychologique et intellectuel, à projeter sur ces nouveaux problèmes des solutions fantasmatiques souvent très violentes, en suivant d'anciens cadres de pensée, qui, pourtant, ont déjà fait la preuve de leur inefficacité et de leur nocivité.


Aymeric CHAPRADE, Géopolitique, Constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, 2003. Peter SCHWARTZ et Doug RANDALL, Rapport secret du Pentagone sur le changement climatique, Editions Allia, 2006. Selon les éditions Allia, ce rapport confidentiel, commandé à des membres consultants de la CIA (Doug RANDALL a fondé Global Business Network, en Californie), fut rendu public en février 2004 dans un article du magazine Fortune par le commanditaire, Anbdrew MARSHALL, conseiller stratégique au Pentagone et directeur de Office of Net Assesment (think tank qui a inspiré à Donald RUMSFLED, alors secrétaire d'État à la défense, l'essentiel de  la modernisation des armées). Harald WELZER, Les guerres du climat, Pourquoi on tue au XXIe siècle, Gallimard, collection nrf essais, 2009

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Relu le 23 juillet 2019
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28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 09:20

 

          Suivant leur position géographique, deux grands Etats, la Grande Bretagne et la France ont élaboré deux géopolitiques différentes, à base maritime pour l'une, à base terrestre pour l'autre.
       De leur expérience ont été tirées des géopolitiques maritime et terrestre. Des géographes et des militaires ont fourni des justifications et des raisonnements propres à renouveler des déploiements impériaux sur de vastes territoires.

       Pour l'amiral américain Alfred MAHAN (1840-1914), l'exemple de la Grande Bretagne est à suivre, en considérant les Etats-Unis comme future puissance dominante. il définit une doctrine maritime qui recommande de:
  - s'associer avec la puissance navale britannique pour le contrôle des mers ;
  - contenir l'Allemagne dans son rôle continental et de s'opposer à ses ambitions sur mer ;
  - mettre en place une défense coordonnée des Européens et des Américains destinée à faire échec aux ambitions aisatiques.
  Alfred MAHAN prédit la domination mondiale des Etats-Unis grâce à la maitrise stratégique des océans.
       
       L'amiral Halford MACKINDER (1861-1947) considère l'Eurasie comme le centre du monde, son coeur (heartland) autour du quel s'articule toutes les dynamiques géopolitiques du monde. Ce pivot de la politique mondiale que la puissance maritime ne peut pas atteindre (ensemble trop vaste), a lui-même pour centre la Russie, de même que l'Allemagne occupe la position stratégique centrale en Europe.
Halford MACKINDER, notamment dans son livre "Le pivot géographique de l'histoire" de 1904, défend l'idée que l'ensemble des phénomènes géopolitiques peut s'expliquer par la lutte opposant un pivot central - heartland - aux croissants concentriques qui entourent celui-ci. "Qui tient l'Europe orientale tient la terre centrale, qui tient la terre centrale domine l'ïle mondiale, qui domine l'île mondiale domine le monde".
C'est la hantise non seulement de l'amiral, mais aussi de beaucoup de stratèges et de stratégistes américains depuis la fin du XIXème siècle. Que les territoires de l'Allemagne et de la Russie soient réunis dans un même ensemble impérial, et l'ensemble américain (suivant la doctrine du président américain Monroe, Amérique du Nord et Amérique du Sud réunis sous une même hégémonie) ne pourra s'opposer à la domination du monde par le pivot central eurasien.
      
     Alors que pour Halford MACKINDER, l'idéal est la profondeur continentale, pour Nicholas John SPYKMAN (1893-1943), au contraire, c'est le continent rivé à la mer, le Rimland, la partie occidentale de l'Europe qui est primordiale dans les projets de domination du monde. Les deux théoriciens s'attachent à définir la centralité qui la favorise, et tous leurs successeurs, quel que soit leur école, la recherchent.
      
     Kenneth WALTZ (né en 1924) conçoit les relations internationales comme un système de forces antagonistes et la paix comme le produit de l'équilibre diplomatico-militaire de ces forces (Aymeric CHAUPRADE). La bipolarité est préférable à la multipolarité, plus instable car propice aux renvesements d'alliances entre puissances secondaires. De manière générale d'ailleurs, il distingue deux tendances principales à l'oeuvre dans les systèmes d'alliance :
- une tendance centripète, celle du ralliement à la puissance dominante, locale ou mondiale ;
- une tendance centrifuge, qui consiste à contrebalancer la puissance dominante en s'alliant avec d'autres puissances plus faibles. Cette attirance permet aux puissances moyennes d'exister.
      Zbigniew BRZEZINSKI (né en 1928), dans la lignée de MACKINDER et de SPYKMAN, pour qui les Etats-Unis ne domineront le monde durablement qu'à condition d'isoler la Russie sur ses marches, l'Ukraine, la Géorgie en particulier, prône une maitrise des zones occidentales, méridionales et orientales de l'Eurasie, autour du heartland, avec comme outil l'Alliance Atlantique.

      Avant même que la géopolitique ne naisse, les différentes royautés françaises ont voulu construire une entité terrestre dotée de frontières "naturelles" défendables. C'est en tout cas la leçon qu'ont tirée des géographes tels de Vidal de la BLACHE (1845-1918). Dominée par les conflits entre l'Allemagne et la France, une géopolitique terrestre comme celle d'André CHERADAME (1971-1948) se construit contre le pangermanisme, défendant par exemple l'idée de détacher le plus possible l'Autriche-Hongrie de l'Allemagne.

     Ce qui frappe dans les grands ouvrages de géopolitique, c'est le primat acordé à la maritinité. Cela est dû tout simplement au fait que les deux tiers de la surface de notre planète est constitué d'eau. Et que le découpagne des deux ou trois grandes masses terrestres les font représenter comme de vastes îles bordées d'océans. Pour devenir une puissance martitime, et une puissance dominante tout court, un Etat continental doit disposer d'une ou de plusieurs façades maritimes. Il doit trouver un équilibre permanent entre sa politique continentale et sa politique maritime. Chaque fois que la France a été obligée de favoriser l'une au détriment de l'autre (faute de ressources suffisantes pour tenir les deux), elle s'est affaiblie. (Dictionnaire de géopolitique).
      Une constante domine dans l'histoire : le choc Terre-Mer.
Des guerres médiques à nos jours, les grands Etats s'efforcent de construire des empires, soit maritimes, soit terrestres, plus rarement les deux, come l'empire hasbourgeois du XVIème siècle (Autriche plus Espagne).

Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, 2003.  Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, Ellipses, 1999.

                                                                                                     STRATEGUS
 

 

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15 octobre 2008 3 15 /10 /octobre /2008 12:47
          Dans tous les ouvrages consacrés à la géopolitique de manière générale, on distingue en fait plusieurs géopolitiques, mais on peut définir cette discipline (Aymeric CHAUPRADE) comme un savoir qualitatif (qui n'a pas les moyens de quantifier les données qu'il manipule) sur les continuités des relations internationales et interlocales, en fonction des réalités géographiques prises dans un sens extensif (avec la géologie et d'autres éléments...).
  "La géopolitique peut être définie comme la discipline qui s'interroge sur les rapports entre espace et politique : en quoi, de quelle manière les réalités géographiques (situation, relief, climat... ) influent-elles sur les organisations sociales, les choix politiques? Et, inversement, comment les hommes utilisent-ils ou même modifient-ils ces réalités pour poursuivre leurs fins?" (Philippe MOREAU DEFARGES)

   Plusieurs auteurs ont successivement fondé la géopolitique et les premiers l'ont fait dans une optique nationaliste en mettant en avant ce qui reste toujours (encore?) l'unité principale agissante, l'Etat.
        L'amiral américain Alfred MAHAN (1840-1914) étudie d'abord la rivalité entre la France et la Grande Bretagne pour la domination des océans et les moyens pour les Etats-Unis de réussir comme son ancienne maîtresse coloniale : expansion outre-mer, contrôle des points de passage maritimes, maintien de l'équilibre européen.
          Le britannique Halford MACKINDER (1861-1947) reconnu comme l'un des fondateurs de la géopolitique, est préoccupé par l'avenir de l'empire de Sa Majesté et recherche les principes d'une domination pérenne. "Qui contrôle le coeur du monde (Heartland) contrôle l'ile mondiale (World Island), qui contrôle l'ile mondiale commande au monde" (1904).
          Le géographe allemand Friedrich RATZEL (1844-1904) établit une "biogéographie", concevant l'Etat "comme forme d'extension de la vie à la surface de la terre". Mêlant politique, géographie et biologisme darwinien (mal compris d'ailleurs), il revendique un "espace vital" pour l'Allemagne (1901).
          Le militaire de carrière allemand Karl HAUSHOFER (1869-1946) se définit lui-même comme géopoliticien. Soucieux de trouver les "bonnes" frontières pour son pays, il est de 1919 à 1939 l'autorité intellectuelle qui forme Rudolf HESS, compagnon d'Adolf HITLER, celui qui permet l'élaboration d'une "science nazie" de la domination. Peu suivi par ces derniers, aux ambitions toutes autres, le géopoliticien travaille notamment sur l'ensemble Europe Centrale-Eurasie-Japon, et par la suite rejette l'utilisation faite de ses écrits après 1933 "réalisés sous contrainte" selon lui.
"A l'origine le but de la géopolitique allemande était, comme celui de la légitime géopolitique américaine, d'exclure le plus possible à l'avenir des conflits comme ceux de 1914-1918 grâce à une compréhension mutuelle des peuples dans leurs possibilités de développement issues de leur sol culturel et de leur espace vital ; elle voulait obtenir pour les minorités un maximum de justice et d'autonomie politique et culturelle : ce qui semblait avoir été atteint temporairement en Estonie et en Transylvanie. "  (De la géopolitique). Le problème, on sans doute, ce qui au minimum biaise la géopolitique dans ses intentions, même si l'on en croit l'auteur, c'est qu'il faut d'abord réaliser la constitution de cet espace vital.
             Discréditée par l'usage hitlérien, la géopolitique disparaît de l'horizon intellectuel pendant une bonne quarantaine d'années (Ce qui n'empêche par les états-majors de faire de la géopolitique sans la nommer). Mais l'approche géopolitique, ce souci de ne pas séparer la politique de l'espace est trop nécessaire pour disparaitre.     
    Ainsi les écrits du professeur américain de sciences politiques Nicholkas SPYKMAN (1893-1943) trouvent toujours un écho certain. Pour lui, la zone pivot se trouve dans le Rimland (terres du bord), zone intermédiaire entre le Heartland et les mers riveraines, enjeu vital entre puissances de la mer et puissances de la terre. Le Rimland en question, ce sont  l'Europe côtière, les déserts d'Arabie et l'Asie des moussons. C'est là qu'a lieu l'affrontement entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union Soviétique. D'ailleurs, pour beaucoup, les réalités géographiques l'emportent sur les régimes politiques et la Russie reste la grande rivale des Etats-Unis.
    De même la persistance des réalités physiques, mais dans une optique opposée à celle d'un nationalisme ou d'un impérialisme, dans une optique citoyenne, le géographe français Yves LACOSTE réintroduit la discipline (revue HERODOTE fondée en 1976) en France, et plus tard en 1994, l'historien allemand Hans-Peter SCHWARTZ fait de même en Allemagne, mais dans une optique plus proche d'un réalisme d'Etat. Et en Russie, l'eurasisme resurgit.

          La relation directe entre géographie, guerre et conflit (qui constitue l'objet du numéro d'HERODOTE du 3ème trimestre 2008) demeure un élément constant, ce qui fait de la géopolitique une discipline importante pour qui s'intéresse au conflit dans toutes ses formes.
   C'est si vrai que certains chercheurs en sciences sociales ou économiques, partis d'une réflexion sur les relations entre Etats, maîtres du champ planétaire, s'orientent vers des approches géographiques de l'économie (géoéconomie), ou de la finance (géofinance) à l'heure de la mondialisation. Apparaissent également des notions comme macro-géopolitique (des ensembles gigantesques de plusieurs régions emboîtées suivant plusieurs possibilités) ou micro-géopolitique (espaces pertinents au niveau régional, local, de la ville ou même du quartier).
        Un des éléments centraux de la pensée géopolitique réside dans la notion de représentation de l'espace. Yves LACOSTE, à la différence des pensées libérales et marxistes, pense à la nécessité de prendre en compte le phénomène identitaire. La géopolitique n'est pas à proprement parler une "science des représentations", mais elle prend en compte les agencements géographiques qui se font différemment à partir de positions différents à la surface de la planète (en attendant peut-être une géopolitique à trois dimensions, incluant les fonds marins et pourquoi pas l'immensité de la croûte terrestre). Le seul fait de déplacer le point de vue, le regard, à partir d'une carte orientée différemment que dans une position longtemps européocentriste permet de mieux comprendre comment certains conflits naissent et perdurent.
   Y-a-t-il un déterminisme entre le lieu et les événements politiques? Aymeric CHAUPRADE penche pour l'idée de "déterminisme chaotique", "l'aspect déterministe inspirant l'étude des facteurs permanents, tandis que l'aspect chaotique inspire la prise en compte de la montée des facteurs de changement, la science qui bouleverse les données de la puissance, mais aussi l'ensemble du domaine transnational".
   Il faut garder en tout cas à l'esprit à la fois la position géographique d'un acteur du jeu des relations internationales (qui ne se réduisent pas à des relations inter-étatiques et qui feraient oublier d'autres relations importantes, comme celle des phénomènes religieux...) et sa nature idéologique, sa conception même des relations entre citoyens.
    De même qu'il faut toujours se poser la question : qui fait de la politique?, de manière active, réfléchie et continue, il faut se poser la question : qui fait de la géopolitique? Il n'existe pas une chose abstraite qui serait la géopolitique d'un continent, d'un pays... mais toujours des acteurs - souvent on n'en considère qu'un seul type, l'Etat, mais il y en a d'autres, qui peuvent être de nature culturelle ou religieuse ou encore criminelle, ou encore économique, qui utilisent une connaissance géographique (au sens plein) pour entreprendre des actions.

Philippe MOREAU DESFARGES, Article Géopolitique de l'Encyclopaedia Universalis, 2004. Sous la direction d'Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, 2003. Sous la direction d'Aymeric CHAPRADE et de François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, Etats, Concepts, Auteurs, Ellipses, 1999. Karl HAUSHOFER, De la géopolitique, Fayard, collection Géopolotiques et stratégies, 1986. HERODOTE, revue de géographie et de géopolitique Géographie, guerres et conflits, 3ème trimestre 2008, Editions La Découverte.

                                                                            STRATEGUS
 
Complété le 23 janvier 2013
Relu le 28 septembre 2018
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