Le champ géopolitique global se polarise à l'époque contemporaine en groupe d'États antagonistes dont les oppositions structurent l'ensemble des relations internationales.
Aymeric CHAUPRADE et François THUAL cite en exemple de cette polarisation celle de la formation au début du siècle du bloc austro-germano-turc face au bloc franco-anglo-russe et durant l'entre-deux-guerres (mondiales), celle de l'émergence de trois blocs franco-anglais, germano-italien et soviétique, puis encore après 1945, la formation de deux blocs "socialiste" et "occidental".
Leurs analyses après l'effondrement du bloc "socialiste" les amènent à se demander si un nouveau bloc ne se constitue pas autour des États-Unis et de l'Allemagne, du Japon, de la Turquie, du Pakistan, de l'Arabie Saoudite et d'Israël pour contenir la puissance russe, de ses alliés balkaniques, de la Chine, de l'Iran et de certains pays arabes (Syrie-Irak). Mais ces conjectures sont peut-être aussi hasardeuses que la formation souhaitée d'un bloc arabe contre Israël, ou d'une alliance autour de la Chine pour contrer son influence. En tout cas, le concept de polarisation permet de comprendre comment une série d'antagonismes principaux et secondaires s'articulent, avec une certaine permanence dans le temps, en dépit de changements idéologiques internes. "En général, précisent les auteurs du Dictionnaire de géopolitique, les termes de la polarisation de chacun des blocs ne couvrent pas l'ensemble des pays. Il existe toujours des zones neutres, mais celles-ci font aussi partie du champ des forces et participent aux phénomènes d'équilibre de celles-ci."
Ce concept permet de dégager des hiérarchies dans les contradictions et dans les convergences dans un classement opératoire des puissances sur la scène mondiale. En géopolitique, il permet une clarification par rapport à des événements, qui, s'ils font la une de l'actualité, ne sont pas forcément d'une grande importance dans les rapports de force.
D'un usage relativement récent, le concept de mondialisation recouvre des réalités qui, dans le passé de l'histoire de cette planète, revêtent une importance de premier plan. Ainsi, au cours des siècles, des cités, des États et des Empires ont homogénéisé les relations politiques et économiques. Aujourd'hui, c'est avant tout un phénomène économique, qui encore une fois encore a eu des correspondances autrefois. Que l'on songe par exemple au vaste ensemble du Moyen-Age occidental qui permettait une grande liberté de circulation de l'Irlande aux bords de l'Asie, pour ne pas dire plus loin encore, avant la formation des sentiments nationaux, et ce malgré les grands troubles et les guerres incessantes.
"La mondialisation dont on parle aujourd'hui n'est pas différente dans son essence de celle d'hier ; elle admet cependant des caractéristiques économiques propres et des conséquences nouvelles d'un point de vue géopolitique" (Aymeric CHAUPRADE et François THUAL). Le constat de la montée en force des investissements étrangers croisés entre pays industriels, grâce à la déréglementation tout azimut, de l'essor quantitatif des échanges internationaux proportionnellement à l'accroissement de la production mondiale, de la participation active des pays en voie de développement et des nouveaux pays industriels aux côtés de la triade économique États-Unis/Japon/Europe et de la globalisation financière, où se déconnecte une sphère spéculative et une sphère productive, conduit certains analystes à prévoir la fin du système des États-nations.
La suprématie des réseaux sur les territoires (comme l'analyse Olivier DOLFUSS - L'espace géographique, 1970) remet en question la validité même de la géopolitique. Les deux auteurs du Dictionnaire de géopolitique estime pourtant que c'est loin d'être le cas. "Il est certain que la mondialisation est à la source de changements géo-économiques importants (...). Mais la mondialisation a t-elle consacré définitivement la prééminence du facteur transnational?" Historiquement, les instruments économiques de la mondialisation (GATT, FMI, Banque mondiale...) furent surtout mis en place par les États-Unis qui avait déjà acquis un grand avantage au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. L'uniformisation des modes de vie et des cultures se fait essentiellement sur le modèle américain. Les firmes multinationales elles-mêmes sont rarement soustraites aux logiques nationales. Par ailleurs, nous pouvons ajouter que la mondialisation est conduite à partir des appareils d'État, suivant une volonté délibérée. Selon eux, "la géopolitique doit étudier les phénomènes de mondialisation en cherchant les influences étatiques souterraines plutôt que comme un phénomènes disqualifiant pour l'État. Elle montrera que la mondialisation est une représentation opératoire plus politique que géopolitique."
Le débat est loin d'être clos entre tenants de l'école réaliste (Hans MORGENTHAU) ou néo-réaliste (Kenneth WALTZ) et tenants de l'école mondialiste (John BURTON, Norbert ELIAS - La société des individus, 1991) ou de l'école du changement systémique (James ROSENEAU - Distant Proximities : Beyon Globalization, 2003 ; Bernard BADIE - Un monde sans souveraineté, 1999)....
Concept encore plus récent, la mondialité est utilisée selon au moins deux acceptions très différentes : la mondialité au sens de ce qui caractérise une puissance mondiale, et la mondialité au sens de ce qui caractérise une situation géopolitique mondiale. On pourrait ajouter, si l'on en juge de l'usage qui est fait un peu partout, que n'importe quel acteur, citoyen, ville, État... fait acte de mondialité par sa perception globale au niveau planétaire de la réalité, ou par son action au niveau mondial.
Selon Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, "un État ayant accès à la mondialité est une puissance mondiale qui se caractérise par sa capacité à être présente dans toutes les régions de la planète et en particulier dans tous les emplacements stratégiques." Aujourd'hui, selon cette définition restreinte, seuls les États-Unis peuvent être considérés comme l'unique puissance dotée du statut de mondialité, comme l'était la France de 1920 à 1950 ou l'Union Soviétique de 1970 à 1990. Statut réversible, la mondialité se distingue de la puissance mondiale. Des lieux stratégiques comme Suez, Panama ou Singapour, ou encore Hong Kong, peuvent être caractérisés par cette mondialité, dans la mesure où ce qui s'y passe a une répercussion planétaire. "Une puissance étatique ayant accès à la mondialité est précisément une puissance capable de contrôler la plupart des lieux de mondialité, des situations mondiales." On pourrait même considérer que certaines villes, on plus que des États, accès à cette mondialité. New-York, ville plus "européo-américaine" qu'"états-unienne" en exemplaire à cet égard.
La géopolitique commencera sans doute à devenir invalide comme instrument de compréhension des relations internationales au moment où les puissances économiques comme certaines firmes multinationales posséderont un véritable pouvoir de polarisation. Or, pour l'instant, la logique de concurrence, et même une logique de guerre économique, domine l'activité des différentes puissances économiques et ce qui caractérise le mieux le système économique planétaire est bien une succession accélérée de crises de tout ordre qui détruisent des géants économiques les uns après les autres, dans une instabilité de plus en plus générale. Alors que les États sont parvenus à une relative stabilité en tant qu'entités juridiques possédant encore la légitimité de la violence en dernier recours.
La carte des États connaît encore des phases d'équilibre et de déséquilibre, mais finalement même les acteurs économiques dits transnationaux se tournent vers eux dans les moments de périls. En fait, comme l'écrit Raymond BOUDON avec lequel nous sommes très souvent en désaccord, la difficulté croissante des gouvernants à déterminer le bien public de façon claire et cohérente constitue la principale source d'anomie. Formule pour ne pas évoquer franchement la question des luttes sociales à l'intérieur des frontières et dépassant ces frontières. La question réside dans la conception de la souveraineté que les élites au pouvoir mettent en oeuvre et le poids relatif des citoyens sur leurs activités. Enfin en guise de dernière remarque, il existe un ensemble d'acteurs de la mondialisation qui entendent de plus en plus à peser sur les évolutions.
Ces acteurs agissent souvent au sein d'organisations internationales à vocation universelle comme l'ONU ou au sein d'organisations non gouvernementales, dont certaines sont fortement financées par des fondations. Ils entendent sortir d'un antagonisme entre logique étatique et logique libérale pour une autre gestion politique de la planète. Qu'ils adoptent le conception d'altermondialisme ou non est d'une importance relative dans la mesure où ces acteurs veulent acquérir une mondialité réelle (dans sa conception élargie).
Aymeric CHAUPRADE, Géopolitique, Constantes et Changements dans l'histoire, Ellipses, 2003. Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique, États, Concepts, Auteurs, Ellipses, 1999.
STRATEGUS
Relu le 20 février 2020