Bien que ce livre récent ne soit pas le premier à dénoncer la propagande par le cinéma aux États-Unis, quoique sont nettement plus nombreux ceux qui s'en prennent à l'usage du cinéma par les pays et les régimes totalitaires - Allemagne nazie et Union soviétique en autres - il permet de faire le point sur l'actuel cinéma en matière idéologique dans le monde dans le soutien de l'hégémonie planétaire de la puissance mondiale. D'autres ouvrages, moins centrés sur les aspects militaires et guerriers pourraient être sans doute écrits et diffusés, comme sur les aspects culturels entretenus par ce qui reste l'autre grand pôle cinématographique du monde, Bollywood (pour les pays indiens)...
L'auteur, britannique, se centre ici sur l'effet dans les années 2010 d'une majeure partie de la cinématographie américaine. Cette décennie, à l'inverse d'autres, est de plus en plus dominée, dans ce secteur, par les grands financiers bien plus soucieux de royalties que d'art, sur la production d'Hollywood de films de guerre, de comédies, de films d'action et d'aventure, de science-fiction, des films politiques aussi, sans oublier de faire une place à la production (souvent indépendante) des films à petit budget.
Quand on regarde les films cités et commentés, on voit bien que la période de son analyse est plus étendue, puisqu'il part des années 1990. Il entend non seulement démontrer le soutien actif à l'establishment américain - notamment au complexe militaro-industriel - de la majeure partie de la production, mettant l'accent pour certains films sur l'implication directe des forces armées, mais aussi sur le soutien aux solutions violentes des conflits en général. Si le western, genre largement minoritaire maintenant, n'est pas abordé, on pourrait considérer, à la lecture de ce livre, que les autres genres contribuent largement à diffuser et à entretenir les mythes de la supériorité américaine et de la violence salvatrice et obligatoire...
Sans doute son analyse est-elle incomplète, car elle n'inclut pas de films catastrophes et n'aborde pas les séries télévisées, qui sont l'occasion pour les réalisateurs de se montrer plus critique envers la société américaine et son modèle de civilisation et, sans doute, ne prend pas suffisamment en compte le fait que ces films sont produits d'abord pour le public américain, et que toute tentative d'inclure dans les scénarios des perspectives critiques (même par rapport aux forces armées) exige de partir de très loin...
Les commentateurs, comme l'écrit dans un avant-propos Michael PARENTI et éditorialistes conservateurs ne cessent de donner d'Hollywood l'image d'un repaire de gauchistes. "Divers propagandistes de droite nous disent que "les élites culturelles" d'Hollywood (et dans d'autres endroits tels que New York, San Francisco et Washington) véhiculent des valeurs qui visent à saper le patriotisme et d'autres "vertus américaines" du même ordre. L'impressionnante critique que propose Matthew ALFORD (...) terrasse ces incantations à propos d'un dessein gauchiste de nature élitiste. Implicitement, la dissection des films de guerre hollywoodiens proposées par l'auteur lève le voile sur les représentations déformées de la politique impérialiste américaine elle-même et les mythes politiques dominants qui la soutiennent."
En tout cas, l'auteur analyse bien les tendances lourdes de l'industrie cinématographique (et télévisuelle) américaine, à savoir une concentration de plus en plus grande de la propriété (et de la gestion) des studios, l'emprise de la commercialisation sur la création même des films, où impératifs financiers l'emportent pratiquement toujours sur les ambitions artistiques, quitte à exploiter jusqu'à l'os des franchises (Star Trek, Expendables, Transformers...), le soutien de plus en plus ouvert apporté par l'État depuis le scénario jusqu'au tournage et au montage et une véritable infiltration de certaines administrations dans les plus grands studios, le châtiment réservé aux films qui "dérangent", les privant d'un réel circuit de distribution, et entravant même la carrière de réalisateurs et d'acteurs "perturbateurs"... Une des informations factuelles, et le livre n'en manquent pas, est l'implication de plus en plus forte des institutions et des firmes du complexe militaro-industriel (armée, entreprises, services de renseignement comme la CIA) sur les films grands publics. Nombreux sont les films et pas seulement de guerre où les studios, friands des moyens techniques apportés par les forces armées (il en est de même pour certains films de science-fiction et de "héros"), sollicitent eux-mêmes l'avis des autorités. Par l'examen des conditions de réalisation de plusieurs films, pour chaque genre abordé, l'auteur indique comment et pourquoi tous ces acteurs extérieurs au monde artistique effectuent leur intrusion, certains en véritables gardiens idéologiques.
Il est très convainquant en ce qui concerne la sauvegarde des "valeurs" qui soutiennent la politique extérieure des États-Unis ou la politique de défense, en ce qui concerne également la défense de l'intérêt de nombreuses firmes d'armement. Même des films tirés d'oeuvres écrites (nouvelles, romans) sont édulcorés (et ce malgré l'avis des écrivains..) pour leur permettre d'exister sous la pression de ces institutions-là. Même pour des oeuvres qui, au départ, se montraient critiques sur tel ou tel aspect de la politique extérieure, ou envers telle ou telle manière d'agir des forces armées, les metteurs en scènes comme les scénaristes doivent mettre sous le boisseau (notamment en jouant sur les dialogues et le montage final) bien des arguments pour avoir l'assurance d'être bien distribué... L'auteur prend des exemples dans les comédies musicales ou des films d'action, là parfois, où l'on n'attendrait pas cette censure... Tout un chapitre est consacré au "champ de bataille du film à petit budget" qui n'est pas exempt de toute pression, là non plus...
Dans sa conclusion, Mathew ALFORD, après avoir pointé l'extrême "sensibilité" d'une partie de l'intelligentsia américaine à ce qui pourrait contester la nécessaire intervention des forces armées (même illégale) dans le monde, dresse en un paragraphe un palmarès des films les plus régressifs, de Stargate - La porte des étoiles, à Le pacificateur en passant par La Chute du Faucon Noir, Rambo et True Lies, pour pointer ce qui en fait leur caractéristique majeure : l'approbation des moyens les plus violents pour régler "des situations". il n'est pas naïf non plus : le public ne va pas rejoindre les forces armées ou agresser des étrangers à peine sortis des salles de cinéma (comme pendant la Seconde Guerre Mondiale...). Mais les effets cumulatifs des films eux-mêmes et des moyens de propagande pour les promouvoir, induisent un conformisme dans la population, pas forcément dans le sens d'une confiance aveugle envers les institutions américaines, mais plutôt dans l'acceptation et l'approbation de la violence la plus extrême, surtout depuis les attentats de 2001. Il faut parfois même oublier certaines valeurs américaines pour mettre fin aux agissements des terroristes... Pour autant, il n'oublie pas une poignée de films exceptionnellement critiques, non seulement parmi les grands films à l'affiche, tels que Avatar, Raisons d'État, Lord of War, Total Recall, Starship Troopers, Nixon et Syriana, malgré les ennuis que cela a valu par la suite à leur producteur et réalisateur, ni non plus beaucoup de films à petit budget dont même en Europe nous n'avons le moindre écho... Il constate que comparativement aux années 1960 et 1970, les années 1990-2010 ne sont guère favorables à l'épanouissement de comédies, de films de genre ou de films d'aventure qui abordent des sujets polémiques, et que domine, écrasante, la tendance aux gros films à très gros budget où s'activent tout un tas d'administrations.
Mais notons pour notre part, plus optimiste que notre auteur, que même pour des franchises telles que Star Wars ou basées sur des héros des studios Marvel et DC Comics, le filon "violent" a tendance à s'épuiser et sans doute, l'effet conjugué d'un crescendo dans la brutalité et d'une tendance à placer la finance loin avant l'art va jusqu'à signer peut-être le début d'un désastre. Solo et même Les derniers Jedi n'ont pas été à la hauteur des espoirs des investisseurs sur la franchise Star Wars, objet de la récupération par l'empire Disney...
Tout en appuyant la conclusion de l'auteur en ce qui concerne la violence, il faut aussi souligner que la vraie cible des attaques portées par une partie de la droite et l'extrême droite américaine n'est pas tant l'atteinte prétendue des valeurs par Hollywood, versant maintien ou défense de la puissance hégémonique des États-Unis, mais plutôt versant moeurs et relations entre les personnes. Ce qui choque surtout chez ces personnes sensibles, c'est plus de voir une relation homosexuelle au centre d'un long métrage à succès que de voir les effets répétés de bombardements par l'armée américaine sur des populations bien plus pauvres qu'elles... Et à ce propos, une analyse des séries américaines montreraient sans doute des aspects bien plus propices à des changements de fond dans la société américaine, y compris sur l'usage de la violence.
Matthews ALFORD, Hollywood Propaganda, Cinéma hollywoodien et hégémonie américaine, Éditions critiques, 2018, 300 pages.