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21 avril 2017 5 21 /04 /avril /2017 06:30

  Alors que la plupart des ouvrages sur l'histoire met en avant avant tout les rivalités des Etats , leurs jeux géopolitiques, dans le cours de événements, l'ouvrage du chercheur à l'institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) revient une nouvelle fois sur les guerres économiques. La guerre économique est une très vieille histoire et sans doute dans l'entrechevêtrements des conflits, les motifs économiques des guerres jouent un rôle central dans les diverses déflagrations meurtrières. Alors qu'on met surtout en évidence tous les motifs  religieux, stratégiques, politiques des guerres, il semble bien, malgré toute la difficulté d'enquêter finement sur ce phénomène (l'identification des acteurs prenant du temps et de l'énergie bien plus que pour le décorticage des organigrammes officiels des Etats), que les motifs économiques occupent une place majeure toujours minorée. Que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix, les conflits tout au long de l'histoire trouvent très souvent leurs origines dans des différends économiques, qu'ils soient triviaux comme la recherche de nourriture ou de femmes, ou plus sophistiqués comme le contrôle des ressources minières et énergétiques. Derrière les chefs d'Etat, les rois, la soldatesque diverse et variée, les marchands, les financiers de toute sorte jouent souvent un rôle moteur pour précipiter les conflits ou à l'inverse, mais ce n'est pas l'objet de ce livre, pour les atténuer. Notre époque historique est propice, alors que s'affaiblissent les Etats et leurs motivations, à la révision de certains postulats concernant les causes des guerre, à savoir les intérêts territoriaux d'entités géographiques. Si les Etats prennent les rênes dès que l'ampleur des entreprises dépasse les capacités de cités ou de puissances marchandes, il n'est pas sûr que le fond des motivations change énormément. Lors des grandes découvertes, Portugais, Espagnols, Hollandais, Anglais et Français se livrent de terribles batailles pour s'emparer des épices des nouveaux mondes. Mais quels acteurs sont principalement à l'affût de ces richesses? Les compagnies maritimes jouent sans doute un rôle clef dans l'expansion de l'Occident et c'est ce rôle que ce livre éclaircit de manière bienvenue. 

Comme l'écrit l'auteur, "tout change et rien ne change". "Des guerres préhistoriques à la surveillance économique de masse de la NSA, écrit-il, dans le fond, peu de choses ont changé. Seule la forme évolue, à travers les méthodes et les armes utilisées dans ces éternelles guerres économiques. L'homme protège ses moyens de subsistance et cherche à s'emparer de ceux de ses congénères. Au Néolithique, les échanges n'existent pas, seule la violence permet aux uns de voler les surplus des autres et/ou de la chasser des territoires les plus fertiles. Durant l'Antiquité, les hommes règlent leurs querelles commerciales à coup de ruses, de secrets et de mensonges. Au Moyen-Age, les marchands prennent le pouvoir. Nul besoin d'un Etat pour se regrouper, il suffit de quelques grandes villes pour former une ligue commerciale capable d'imposer ses privilèges, d'organiser un blocus économique et même de faire la guerre à tous ceux qui se mettent en travers de son chemin. Avec les grandes découvertes, les cités ne font plus le poids ; elles ne sont pas taillées pour les marchés lointains des nouveaux mondes. Seuls des Etats, dans une compétition économique qui se mondialise, sont en mesure de relever ces nouveaux défis. Comment? En pratiquant le commerce au bout du canon. (...).  La guerre est totale, certes, mais son acmé n'est pas pour ce siècle. Il faut attendre le Blocus continental de Napoléon au début du XIXème siècle et, surtout, les fronts économiques ouverts pendant les deux guerres mondiales du XXème pour qu'elle atteigne son paroxysme. Et encore, l'intensité se mesure ici au nombre de morts et de blessés, à l'extrême souffrance des populations civiles privées des ressources les plus élémentaires à leur survie. Mais que dire de la sophistication des armes et les méthodes de guerre économique qu'engendre notre XXIème siècle? Manipulation à grande échelle, autointoxication, cyberespionnage, contrefaçon de masse, cambriolage, OPA hostile... Certes, en Occident le sang coule moins, mais les dégâts infligés aux populations du Nord comme du Sud brisent des milliards de vies, ce qui sera considéré au mieux comme un dommage collatéral, au pis comme l'élimination des déchets d'une compétition économique unique. (...)".

Ali LAÏDA s'interroge dans sa conclusion sur le peu d'études réalisées sur le concept de guerre économique. il y voit trois raisons, le soupçon de sympathiser avec des thèmes marxistes considérés comme relevant du passé et de l'échec, la fable du coup commerce et ma prétention que les échanges sont régis par les lois du marché, qui plus encore sont supportés dans des systèmes juridiques qui se veulent rigoureux et contraignants. C'est d'ailleurs au nom d'un "régulation" interne du jeu économique que l'on refuse encore le rôle d'arbitre aux Etats et aux organisations internationales non commerciales...

 

Ali LAÏDA, Histoire mondiale de la guerre économique, Perrin, 2016, 575 pages.

 

Cette première synthèse sur la guerre économique démontre l'enracinement des conflits économiques dans l'histoire. A l'évidence, l'auteur ne souscrit guère à la théorie du "doux commerce" et indique que les meneurs de ce commerce n'hésite pas à employer les moyens les plus guerriers pour parvenir à leur fin. Et jusque-là, ce n'est pas le principe de "libre concurrence" inscrit dans le gène de l'Europe libérale qui va nous convaincre du contraire...

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16 février 2017 4 16 /02 /février /2017 17:00

   Il s'agit là d'une anthologie des textes du philosophe américain présentée par Gilles MARTIN, et préfacée par son traducteur, Léon BAZALGETTE (1873-1928). Au lieu de lire le récit de ses ballades ou ses réflexions sur la nature et la beauté, les responsables des éditions Aden ont choisi de faire lire les conférences contre les lois stigmatisant les esclaves évadés et capturés de l'opposant à l'esclavagisme. 

Sont ainsi proposés, La vie sans principe (1854), Désobéir aux lois (1849), L'esclavage chez nous (1854), Pour John Brown (1859), Ses derniers moments (1860), Marcher (1851) et L'hôte (1843). Plusieurs textes précèdent les traductions françaises de ces oeuvres de Heny David THOREAU (1817-1862) : d'abord une présentation de Léon BAZALGETTE, peu connu de nos jours, mais qui eut une activité littéraire importante, fondateur du Magazine international, "revue mensuelle de littérature et de vie moderne" où se bousculent des écrivains qu'il contribue à faire connaitre en France (WHITMAN, THOREAU, Camille LEMONNIER, Georges EEKHOUD, Hnut HAMSUN, TOLSTOÏ, TCHÉKOV...) et du mouvement Clarté en faveur de la révolution bolchévique ; puis un hommage (assez court) posthume de Stefan ZWEIG écrit en 1929 au même Léon BALZAGETTE et enfin un avant-propos (plus long) de ce dernier.

Dans cet avant-propos, Léon BALAYETTE écrit que "c'est de nos jours seulement que l'on commence à reconnaître la vraie place de cet écrivain puissant, original et savoureux. Un peu perdu jusque-là dans le rayonnement d'Emerson et du groupe de Concord - le village d'Angleterre-Neuve où s'écoula toute sa vie -, on s'aperçoit de plus en plus que, dans cette constellation d'esprits brillants et charmants, il est unique et, par une certaine qualité qui nous est autrement précieuse aujourd'hui que le plus lumineux sourire, les dépasse tous, qu'il "transcende" aisément ces transcendantalistes. Remise au point qui ne fait d'ailleurs que confirmer le verdict d'Emerson lui-même, assez subtil pour sentir cette supériorité chez son intime ami, et assez sincère pour se l'avouer à lui-même. (...) C'est ainsi que, pendant longtemps, amis des fleurs et des oiseaux, naturalistes, amoureux du plein air ont seuls lu cet écrivain. Ils avaient raison certes, mais à présent nous avons aussi raison de ne pas leur abandonner Henry Thoreau. Car il a bien d'autres choses à nous confier que des choses charmantes ou précises sur la mésange à tête noire ou les brochets de son étang". L'introducteur du philosophe américain fait ici allusion au fait que THOREAU est connu (et parfois dans certains milieux c'est le cas encore) surtout pour l'écologie et le naturalisme,... alors que son esprit contestataire est bien plus important pour notre propos. 

"C'est aujourd'hui, écrit-il encore, aussi que se prouve la hardiesse de sa pensée. Non seulement elle n'a point vieilli, mais peut-être a-t-elle pris pour nous un accent plus riche, un sens plus plein que celui qu'elle pouvait avoir pour les moins timides parmi ses contemporains. Le temps, les expériences l'ont comme mûrie, ont développé les sens latents qu'il y a déposés. S'imaginer, parce qu'il n'y a plus d'esclaves noirs dans les plantations du Midi ou parce que la guerre du Mexique est de l'histoire très ancienne, que sa dénonciation de l'esclavage et des appétits de conquête n'a plus aucun sens pour le lecteur au XXème siècle : erreur. Lorsqu'un tel homme prononce certains mots, "les esclaves", "la guerre", ces mots ont une ampleur qui les fait coïncider avec tous les âges." On écrirait ces lignes aujourd'hui, elles ne seraient malheureusement pas obsolètes...

Ces textes sont, encore une fois, l'occasion d'apprécier à la fois la forme littéraire et le fond décapent de son oeuvre.

Henry David THOREAU, Désobéir, Anthologie politique et réfractaire, traduit de l'anglais par Léon Bazalgette, Les Editions Aden, juin 2013.

 

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18 janvier 2017 3 18 /01 /janvier /2017 10:14

   Publié à l'initiative de l'Ecole de la Paix de Grenoble, ce texte du docteur en philosophie d'Oxford et enseignant aux Etats-Unisdans plusieurs Universités constitue un essai sur les stratégies de résistance civile parmi les trois écrits dans les années 1990 (les deux autres étant La force sans la violence et L'anti-coup d'Etat. Pour Federico MAYOR, président de la Fondation Culture de Paix et ancien Directeur Général de l'UNESCO, "ces publications peuvent contribuer au développement de l'intelligence collective. La culture de paix est loin d'être suffisante lorsqu'on voit, encore aujourd'hui, déclencher des guerres et invasions sans l'accord de l'ONU pour régler des conflits alors que d'autres voies sont possibles et ont fait leur preuve. Beaucoup de choses ont été écrites sur la "prévention" de la violence mais beaucoup moins sur la manière de résoudre les conflits imminents. Lorsque les négociations ne sont plus possibles, nos gouvernants ne peuvent qu'aux voies militaires. Pourtant si l'on y réfléchit, par ces voies il y a toujours autant de perdants que de gagnants, un sur deux et souvent même les deux, ce qui n'est guère encourageant, d'autant plus que le gagnant n'est pas souvent celui qui a la cause la plus juste. Dans ces nouvelles formes de lutte non-violentes, au contraire, la participation massive des peuples apporte sa part de légitimité. Ajoutons aussi qu'il ne s'agit pas de prendre parti contre telle ou telle forme de régime ; Gene Sharp ne milite pas ici pour un gouvernement ou pour un autre, il nous propose un outil qui permet aux peuples de faire valoir leurs droits à la paix et à la justice sous des formes hautement démocratiques. Il faut d'urgence investir la société civile du pouvoir de la conscience collective, de la capacité, pour la première fois, de s'exprimer sans entraves. La solution aux crises de l'économie, de la démocratie, de l'environnement, de l'éthique... est, je dois le répéter, la transition de la force à la parole. Les gouvernements doivent savoir que désormais les citoyens (...) ne seront pas seulement récepteurs impavides de leurs décisions mais acteurs de leur avenir. D'ores et déjà ils ne sont plus endormis. Les livrets de Gene Sharp contribuent à les réveiller."

Pour Gene SHARP, il s'agit de faire face avec réalisme aux dictatures, dont on a vu dans l'époque contemporaine combien elles sont finalement fragiles. Non seulement, des moyens, à l'extérieur comme à l'intérieur sont proposés pour les détruire, mais il faut également mettre en place un certain nombre de processus pour faire face aux nombreux problèmes de toute sorte qui perdurent après elles. Détruire les dictatures ne suffit pas si ne sont pas mises en oeuvre  des solutions aux nombreux problèmes récurrents dans les pays où elles s'étaient installées, parfois longtemps : institutions défaillantes, inégalités économiques, injustices ethniques... De plus les moyens violents utilisés sont peu regardés en fonction des dommages "collatéraux"...

De plus, s'en remettre à des moyens violents, c'est choisir le type même de lutte dans lequel les oppresseurs ont presque toujours la supériorité. S'en remettre aux moyens militaires d'une autre puissance, c'est de plus ne pas s'attaquer aux problèmes structurels : les intérêts de ces puissances "amies" ne coïncident que rarement avec ceux des populations "libérées". Les véritables fondements d'une liberté politique retrouvée se situent dans le peuple lui-même. Aussi, pour renverser une dictature efficacement et au monde coût, il est impératif de travailler à 4 tâches :

- Renforcer la déterminer de la population opprimée et sa confiance en elle-même, et améliorer ses compétences pour résister ;

- Fortifier les groupes sociaux indépendants et les institutions qui structurent la population opprimée ;

- Créer une puissante force de résistance interne ;

- Développer un plan stratégique global de libération judicieux et le mettre en oeuvre avec compétence.

  Alors que chez les militaires, on apprend à élaborer et exécuter une stratégie, du côté civil on se persuade qu'il suffit de descendre dans la rue par millions pour réussir. Résister et reconquérir le pouvoir demande beaucoup d'énergie et du temps, et les dangers pour les combattants sont équivalents bien souvent à ceux qui choisissent des moyens armés. Il s'agit de préparer dans les moyens de lutter et de gagner les structures institutionnelles, économiques et sociales qui garantiront la permanence de la libération. 

Traduit dans de nombreuses langues, cet ouvrage connait un incontestable succès international, il a été essentiel à bon nombre de populations en souffrance qui ont lutté pour défendre des valeurs démocratiques et se libérer de l'oppresseur. 

Gene SHARP, De la dictature à la démocratie, Un cadre conceptuel pour la libération, traduction de From Dictatorship in Démocracy, 2003, Préface de Federico MAYOR,  L'Harmattan, collection La librairie des Humanités, 2009, 115 pages. 

 

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10 décembre 2016 6 10 /12 /décembre /2016 10:58

    François EUVÉ (né en 1954, théologien jésuite français et professeur au Centre Sèvres, rédacteur en chef de la revue Etudes (depuis 2013), est l'auteur d'une Histoire du péché, qui ne se limite pas au péché originel (même s'il est l'objet du plus long chapitre de son livre), qui s'inscrit dans une perspective large, faisant le lien entre les réflexions originelles des Pères de l'Eglise et la théologie contemporaine. Il s'étend longuement sur les pratiques chrétiennes avant de faire une place aux théories théologiques. Influencé notamment par la pensée de Paul RICOEUR, il évite de prendre globalement parti dans les débats actuels pour tenter de faire comprendre concrètement les ressorts de la pensée sur le péché.

  A la lecture de son livre, on garde l'impression d'une tentative de réhabilitation de la notion de péché, sans toutefois sans être la reprise pure et simple des considérations théologiques antérieures. Le renouvellement de la réflexion sur le péché se fait à l'aide d'une approche anthropologique et historique qui montre à la fois ses variations et ses contradictions dans l'Histoire. Le retour sur les pratiques anciennes permet à la fois de comprendre et de concevoir un autre sens du péché. Dans ses trois parties (plus une introduction et une conclusion, l'auteur  décrit une Histoire à la fois du péché et de la confession. Si le péché est devenu une notion problématique face aux conceptions modernes sur la nature et le souci de soi, c'est parce que le christianisme lui-même a évolué et singulièrement sur la question du péché originel. Précisément, pour lui, le traitement de la question du péché originel est la voie royale vers une anthropologie de la liberté qu'il vise. Elle est un moyen de sortir d'une vision trop étroitement individuelle du péché, afin de remettre au premier plan le "péché du monde" ou encore le "péché social". L'accent mis exclusivement, y compris d'ailleurs dans une certaine pastorale, sur la responsabilité individuelle finit par faire oublier que l'a personne s'inscrit dans une société et une histoire. Non seulement elle nait dans un monde donné et subit, vit dans un environnement social qui s'impose à lui, mais elle vit et subit également tout ce qui a été fait auparavant sa naissance. Il résulte de plus de l'expérience de la guerre (médiatisé ou subie directement) et des camps de la mort, et de tout le déchainement de violence au XXème, comme de leur prise de conscience, une approche plus sociale (au sens de présence dans la société) de la question du mal. Ce que la tradition théologique voyait surtout dans une perspective diachronique, sous la forme de l'héritabilité du péché d'Adam, peut prendre une perspective synchronique. La personne est prise, qu'elle le veuille ou non, dans une dynamique sociohistorique, et on ne peut, en parlant du péché, se réduire à une perspective d'hérédité ni à une perspective sociale d'ici et maintenant. 

La question de la violence et du mal, dont le traitement ici doit beaucoup aux oeuvres de l'historien Jean DELUMEAU sur le péché et la peur en Occident, se trouve renouvelée. Egalement en s'appuyant sur le renouveau opéré par Vatican II concernant le sacrement de la réconciliation. La pastorale de la peur, qui garde au sein de l'Eglise de nombreux partisans, doit faire face à une autre pastorale, orientée bien plus sur la réalisation pratique, profonde et réelle de la réconciliation, avec cette nouvelle conception de la pénitence et du péché. 

Comme l'écrit Jacques SYLVESTRE (dans sa chronique dans www.spiritualité2000.com), on peut se demander la raison du titre "Crainte et tremblement". Seul un passage de l'introduction semble justifier ce titre qui est aussi celui (en traduction française) d'un ouvrage du philosophe danois KIEKEGAARD : "Il faut d'abord évacuer les fausses représentations qui encombrent l'esprit et empêchent d'accéder à ce que (la) tradition (chrétienne) porte de plus essentiel. La vie chrétienne n'est pas toute de crainte et de tremblement devant une divinité inquiétante et lointaine."...

Christophe THEOBALD, du Centre Sévres, Facultés Jésuites de Paris, écrit (www.cairn.info), que "certes une visée apologétique, au sens noble du terme, n'est pas absente de ce parcours à dominance historique. François Euvé prend en effet au sérieux les objections qui, tout au long des derniers siècles, se sont accumulées contre le discours ecclésial du péché. Mais son intérêt pour l'anthropologie ouvre ce livre sur un horizon bien plus large, lui permettant de rejoindre effectivement le lecteur, croyant ou non, se reconnaissant ou non dans le discours de l'Eglise, dans son simple intérêt fondamental à moins comprendre sa propre destinée et celle de l'histoire du monde. Il aurait été souhaitable, me semble-t-il, qu'un léger métadiscours méthodologique ou épistémologique explicite les options de l'auteur, exposées par ailleurs dans un style agréable, très accessible et sans cesse propulsé par des référence à la littérature et à la culture." Il signale très justement l'ample bibliographie de la fin du livre. On ne peut que signaler aussi, avec lui, l'ouvrage collectif, publié par Joseph FAMERÉE et Paul SCOLAS, L'invention chrétienne du péché (Le Cerf/Université catholique du Louvain, 2008).

François EUVÉ, Crainte et tremblement. Une histoire du péché, Seuil, 2010, 400 pages.

 

 

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2 décembre 2016 5 02 /12 /décembre /2016 10:10

    Le psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique Fethi BENSLAMA, déjà auteur entre autre de La psychanalyse à l'épreuve de l'islam, poursuit son étude de l'exploration de l'islam à la lumière de la psychanalyse, dans la lignée de maintes études de ce genre sur le christianisme et sur d'autres religions, cette fois en tentant de comprendre comment et pourquoi les musulmans sont en état de belligérance entre eux et à l'égard d'eux-mêmes, au nom d'idéaux divergents. Cet ouvrage se présente comme un ensemble de textes déjà parus dans des revues qui s'organisent autour de ce qu'il appelle "la guerre des subjectivité" dans le monde musulman. En s'efforçant d'approcher la question du sujet en islam, question peu étudiée, alors que foisonnent les approches sociales, politiques et économiques. 

Pour lui, cette "guerre des subjectivités" n'est pas "un thème prémédité, mais un diagnostic qui s'est imposé" depuis environ une vingtaine d'années. Il s'est "rendu à l'évidence que ces travaux étaient massivement en prise avec des conflits dont l'enjeu récurrent était les modes d'être sujet dans la civilisation actuelle de l'islam et que, par leur ampleur et par leur violence, ces conflits correspondaient à un situation que l'on peut qualifier d'état de guerre."

Cet état de guerre et cette "guerre des subjectivité" ne sont pas reconnus en tant que tels. Même si le mot guerre est employé lors des hostilités entre Etats, parfois dans le contexte du terrorisme, il ne l'est jamais "comme la condition générale de la vie psychique des musulmans". 

Sans chercher à amoindrir les fruits des approches géopolitiques ou économiques, l'auteur estime qu'il s'agit de restituer un maillon manquant des analyses sans lequel on ne peut comprendre véritablement ce qui se passe en terre d'islam. Il formule une hypothèse générale qui relie tous ces articles, celle d'un cassure historique axiale qui "réside dans l'éclatement de la structure du sujet traditionnel de l'islam et la production, à partir de sa décomposition, de subjectivité agnosiques et antagoniques." 

L'auteur explique dans une longue préface qui éclaire l'ensemble de ses textes ce qu'il entend par là, parcourant l'Histoire, avec cette cassure des Lumières concomitante hélas avec le colonialisme violent. Ainsi évoquant le premier texte, "L'agonie pour la justice", Fethi BENSLAMA entre dans des considérations éclairantes. Cette agonie "dont l'objet est la multiplication des attentats suicide dans le monde musulman, qui concerne "tant de jeunes musulmans, "les rendant aptes à tuer et à se faire tuer, ne peut être compris sans l'état de belligérance généralisée entre des détachements subjectifs dont ils sont à la fois les supports et les serviteurs ; détachements d'une supposition commune qui résultent d'un processus de divergence autour de rapports aussi fondamentaux que ceux du temps, du savoir, à la vérité, à la souveraineté, à la jouissance."

"Tous les textes, poursuit-il, qui composent cet ouvrage ont pour arrière-plan ce processus de divergence, dont la présente introduction est l'explicitation après coup, au sens où le rassemblement de ces textes a produit le temps de comprendre la dimension dont ils sont l'expression : l'existence d'une lutte inexorable mettant en jeu des suppositions éthiques incompatibles, à l'intérieur de l'espace de civilisation contemporain de l'islam. Aussi, peut-on parler de discordance suppositionnelle pour qualifier une situation où des individus, vivant ensemble, ne partagent plus la même conception de ce à quoi ils doivent obéissance, des représentations qu'ils se font de soi et de ses dépendances aux autres et à l'Autre. La discordance se présente sous deux formes : l'une relève du désaccord susceptible d'ouvrir un débat en vue d'un compromis possible ; quant à la seconde forme, elle consiste à exclure des parts de la substance commune, ou pensée comme telle, de part et d'autre, de sorte que se produit un élargissement de l'infondé de la communauté. Cette seconde forme recèle les conséquences les plus graves, dans la mesure où la supposition - au sens classique du suppositum, de ce qui est "posé sous", du substrat, du support, du fondement, auquel appartient le concept de sujet - référée à un nom, à un mythe, à une théorie théologique ou/et politique, se dissocie en éléments disparates, détachés subjectivement. Leurs inimités sont d'autant plus intenses qu'ils appartiennent à la même entité et se disputent le pouvoir en son nom, tel que dans le "Au nom de l'islam" si souvent invoqué, afin de désapproprier d'autres détachements subjectifs de leur légitimité d'être. Les protagonistes se revendiquent du même nom, mais sont simultanément les instigateurs d'une désidentification interne violence. La civilité, au sens où Etienne Balibar la décrit comme un "mouvement d'identification et de désidentification" (voir Violence et civilité, Galilée, 2010) est dès lors en proie à la destructivité. Aussi, à la question : qu'est-ce qui se passe aujourd'hui dans le monde musulman?, un constat s'impose : il y a une guerre civile dans l'islam dont l'objet est le musulman lui-même, ou plus exactement la supposition d'un sujet musulman, appelé à des objectivations de sa subjectivité, de bords différents". L'auteur fait directement référence là aux travaux de Michel FOUCAULT. 

Historiquement située, la cassure axiale dans le monde musulman provient de l'irruption des Lumières qui vient en même temps que le choc colonial, avec la difficulté concrète que si les Lumières n'ont éclairé qu'une mince strate des sociétés islamiques, le colonialisme lui a frappé l'ensemble des populations. Les fractures entre mouvements des réformateurs et mouvements conservateurs, des Lumières et des anti-Lumières, et des contre-Lumières, évoquée ailleurs dans ce blog, ont en islam des implications longues et douloureuses, suivant un jeu croisé entre financements des monarchies pétrolières et aspirations contradictoires à la Réforme.

  On ne peut que recommander la lecture de cet ouvrage, tant il fait sens pour la compréhension des événements qui en Occident et au Moyen-Orient entrent en résonances constantes et pour le public occidental souvent de manière embrouillée non exempte d'a priori réducteurs. Dans cet écheveau, l'auteur ne s'estime pas être seulement observateur, mais chercheur pris dans cette guerre des subjectivité, qu'il le veuille ou non.

Féthi BENSLAMA, la guerre des subjectivité en islam, Lignes, 2014, 380 pages environ.

 

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28 octobre 2016 5 28 /10 /octobre /2016 12:36

     Avec cet ouvrage, sous-titré Pour un existentialisme musulman, Abdennour BIDAR (né en 1971), philosophe, essayiste et haut fonctionnaire français, théoricien de la modernité en islam, s'attaque à l'empire de la soumission qu'est l'islam pour des centaines de millions de fidèles. En fait, les nouvelles générations de musulmans de par le monde, en France comme ailleurs, qui vivent dans un monde ouvert, aspirent à vivre leur religion selon une profonde envie de liberté. Comme l'écrit l'auteur, "ils veulent se sentir libres de vivre leur islam. Ils vendent un islam de liberté et une liberté dans l'islam... Le plus souvent pour le meilleur - l'émancipation vis-à-vis des esclavages de la tradition (souvent dirions-nous, la révolte couve sous le voile...), et parfois pour le pire (facette bien plus spectaculaire même si elle est minoritaire, dirions-nous encore) - la revendication de n'importe quelle forme radicale d'expression religieuse."

    Dans ce livre écrit entre 2006 et 2008, édition en 2008 et réédité depuis, il s'agit de bien montrer que si des siècles de traditions théologiques ont enfermé l'Islam, l'assimilant à la seule soumission à un Dieu dont les hommes ne seraient que les serviteurs - on trouverait un mouvement de pensée semblable pour la Chrétienté conçue comme soumission à Dieu, également - être musulman ne signifie pas se soumettre éternellement, mais au contraire se conduire en "immortel" et assumer en soi cette part de transcendance. C'est un nouvel existentialisme qu'il tente ici d'édifier avec audace. Non plus en athée ou en chrétien, mais pleinement musulman, et pour se faire il opère un retour sur l'esprit et la lettre des textes fondateurs de l'islam. Il met en évidence la liberté de l'homme et de la femme - une revendication majeure qui s'est révélé lors des différé"dents "printemps arabes", une revendication portée réellement également durant des siècles par des tradition non soumises à des lectures très orientées du Coran. 

Prolongeant ici sa réflexion sur l'islam tel qu'il est déjà vécu aujourd'hui en Europe par la plupart des femmes et des hommes de culture musulmane, il explicite davantage sa conception d'un self-islam. Il s'agit d'un islam vécu par les musulmans libres qui prend sa distance par rapport à une tradition religieuse et une coutume sociale. "Le self-islam se définit donc, écrit-il, donc par l'adhésion de l'individu au principe fondamental de la liberté personnelle de pensée et de conscience, pour soi et pour autrui. Il caractérise des musulmans respectueux de toutes les options existentielles (diversité des croyances, athéisme). Et, sur la base de ce droit à tous pour la liberté, des musulmans spontanément d'accord avec les principes éthiques majeurs de nos sociétés : égalité entre les hommes et les femmes du droit de choisir sa vie, légitimité du souhait de changer de religion, ou de n'en pratiquer aucune, séparation entre les Églises et un État qui n'impose aucune "religion officielle". Le fait que cet "islam du choix personnel" existe bel et bien, malgré l'incrédulité ou l'ignorance persistante dont il est trop souvent entouré, et qu'il constitue même le mode d'être d'un majorité de musulmans européens est attesté par toutes les études sociologiques qui analysent les modes et les évolutions de la présence musulmane en Europe." Il cite les travaux entre autres de Jocelyne CÉSARI et d'Olivier ROY.

Ce self-islman, qui n'est pas un "islam à la carte" avec un choix libre des textes du Coran, ni un "islam individualiste", où la religion deviendrait histoire personnelle, est dans cet ouvrage approfondi de plusieurs manières, notamment à travers une réflexion existentialiste (les références étant Soren KIERKEGAARD, Gabriel MARCEL, Présence et immortalité, Flammarion, 1959). 

Refusant les interprétations usuelles des oulémas qui veulent accaparer l'interprétation du Coran qui ont immobilisé l'islam vers le IVe siècle de l'Hégire (900 après JC), BIDAR reprend à grand frais l'exégèse, entre les réflexions contradictoires de Jacques BERQUE et de Rémi BRAQUE. "La question est donc de savoir s l'on peut aujourd'hui oser une lecture existentialiste du Coran sans que cela exprime une révolte métaphysique contre la volonté et la prédestination de Dieu. Peut-on donner à l'islam les ressources théologiques nécessaires pour remplacer la soumission, non par une insoumission dont la religion fait souvent la marque d'une suggestion du diable, mais par une liberté humaine qui s'exprimerait avec le consentement même de Dieu?

Que s'est-il donc passé, poursuit-il, dans la genèse primitive de notre tradition pour qu'elle devienne cette religion de la soumission? Le mot même d'islâm vient en arabe d'une racine qui recèle les idées de paix (salâm), de droiture, pureté et perfection, de préservé ou protégé dans son intégrité. Et la relation à Dieu impliquée par cette racine implique davantage la confiance que la servitude - l'islam désignant ainsi la situation spirituelle de l'homme qui se fie à Dieu et s'appuie sur lui (et non pas qui se soumet à lui) pour qu'il le conduise ou le porte jusqu'à ce qu'il atteigne la perfection dont son être est capable. Dieu est là pour nous aider à libérer cet être profond, à devenir nous-mêmes.

Quelle fut donc la responsabilité exacte de toutes les premières interprétations qui, entre le VIIIe et le XIIe siècle de l'ère chrétienne, ont imposé la compréhension déformée d'un islam synonyme de soumission?". Il commence par les conditions de construction de cette représentation, une véritable mytho-histoire, pour reprendre les termes de Mohammed ARKOUN (Joseph MAÏLA, De Manhattan à Bagdad, au-delà du Bien et du Mal, Desclée de Brouwer, 2003). L'homme est conçu comme "la meilleure des créatures" de Dieu, sa favorite - mais son esclave tout de même; N'y-t-il pas une autre anthropologie possible à partir du Coran? Il s'agit dans cet ouvrage d'élaborer cette nouvelle anthropologie islamique, dans une enquête à deux temps.

D'abord en instruisant une critique philosophique, linguistique et historique de la validité des définitions de la nature humaine qui ont déjà été données par différentes lectures du texte toujours centrées sur la représentation de l'homme esclave de Dieu. Ensuite en construisant une autre anthropologie possible à partir du Coran, notamment à partir des passages, des indices qui font dans le texte l'homme l'héritier de Dieu.

 

Abdennour BIDAR, L'islam sans soumission, Pour un existentialisme musulman, Albin Michel, collection Espaces libres, 2012, 280 pages.

 

Relu le 12 juillet 2022

 

 

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7 août 2016 7 07 /08 /août /2016 12:37

    Assemblage de textes choisis du théoricien marxiste italien et présentés par Razmig KEUCHEYAN, maitre de conférences en sociologie à l'université de Paris-Sorbonne (Paris IV), autour des plusieurs thèmes, qui se caractérisent par un forte tonalité idéologique, écrits en prison, cet ouvrage permet de se faire une opinion précise de son oeuvre. Sa réflexion stratégique, dans la compréhension des crises du capitalisme, dans l'adaptation du marxisme à la crise du mouvement ouvrier et aux luttes anticoloniales, antiracistes, féministes et même écologiques, alors que sa pensée reste très "productiviste", nous est encore utile aujourd'hui.      

    Trier parmi les Cahiers de prison rédigés depuis février 1929, parmi les 32 cahiers de 2 848 pages n'est pas oeuvre facile, même si Antonio GRAMSCI y revient souvent sur les mêmes thèmes, donnant à ceux-ci une circularité et une unité certaines, mais le présentateur de ces textes s'en sort plutôt bien pour nous proposer une vision du parcours politique et intellectuel de l'intellectuel marxiste. Ces Cahiers de prison nous donne en effet une version bien plus abouties de ses réflexions que n'en donnent ses articles de presse, même dans l'Ordine Nuovo, journal de gauche où il s'exprime souvent mais où s'y mêlent pensées stratégiques et intentions tactiques de la cuisine politique interne du PCI et de l'Internationale. 

    Après une introduction éclairante des "vies" de GRAMSCI, sont présentés des extraits des Cahiers sur États, société civile, stratégie ; Le moment de l'hégémonie ; L'unité de la théorie et de la pratique ; Les intellectuels ; Machiavel, la politique, le prince moderne et les classes subalternes ; Production et sexualité ; Culture et politique...

A chaque fois, il s'agit de repérer dans les Cahiers les textes épars et de les regrouper suivant ces thèmes, afin d'en livrer le sens, compte tenu du contexte et de leur liaison avec d'autres thèmes. De nombreuses notes complètent cette tentative fructueuse de livrer un état  non pas définitif, car la réflexion de GRAMSCI a été interrompue assez tôt, mais relativement synthétique de sa pensée. L'auteur est aidé dans sa (re)construction car l'écrivain italien revient très souvent sur les mêmes thèmes selon des facettes différentes tout au long de ces deux milliers de page.

Les textes sont choisis également suivant leur pertinence pour notre époque contemporaine, notre propre actualité. Nous continuons de penser souvent suivant ses catégories sans en approfondir le sens et nous interroger sur la cohérence de notre vision de la société. Ce livre est bienvenu pour nous obliger à penser plus avant, sans pour autant nous imposer une orthodoxie qui ne serait absolument pas dans le style de GRAMSCI.

     Posant la question Pourquoi lire Gramsci Aujourd'hui?, l'auteur de ce recueil répond longuement dans son chapitre sur Vies de Gramsci (vies littéraires et politiques s'entend) : "Il arrive que les éléments saillants d'un conjoncture politique soient plus faciles à appréhender par l'entremise de penseurs disparus. Leurs analyses regagnent soudain en actualité, parfois après avoir subi une longue éclipse, car elles mettent en lumière certains déterminants essentiels à la nouvelle période. (...) Gramsci lui-même n'a cessé de prendre appui sur des auteurs passés pour rendre son époque intelligible. En témoigne son rapport à Machiavel, dont il a mis à contribution la figure du "prince" ou la dialectique de la "force" et du "consentement" pour comprendre la nature de l'État au XXe siècle. Notre relation à Gramsci ne saurait bien entendu être du même ordre que celle de Gramsci à Machiavel (...). La raison en est que nous vivons dans le même monde que Gramsci, le monde de l'accumulation du capital, alors que Machiavel appartient à un univers historique révolu. Les concepts gramsciens n'en entrent que plus facilement en résonance avec le contexte actuel.

      Le marxisme de Gramsci est un marxisme politique, qui place la question stratégique au coeur de ses préoccupations. Tous les problèmes soulevés dans les Cahiers de prison sont au service de la pensée stratégique. Ainsi, on ne comprend rien à la distinction entre l'État et la société civile si l'on ne voit pas qu'elle doit permettre en dernière instance de déterminer la stratégie adaptée à une situation donnée. Compte tenu du rapport qu'entretiennent l'État et la société civile dans un pays, tel mélange de "guerre de mouvement" et de "guerre de position" doit s'imposer. Dans le cas de la révolution russe, la première a pris le dessus sur la seconde, car comme dit Gramsci, la société civile russe était "primitive" et "gélatineuse". En Europe de l'Ouest, elle est dense et robuste, ce qui implique de subordonner la guerre de mouvement à la guerre de position. Gramsci interroge dès la fin des années 1920 l'universalité du modèle russe de la "prise du palais d'Hiver". La centralité de la question stratégique dans sa pensée vient de loin. L'expression de "révolution contre le Capital" qu'il emploie fin 1917 pour qualifier la révolution bolchévique signifie que rien n'est entièrement déterminé dans l'histoire, que la révolution peut surgir là même où ne l'attendent pas ses plus fervents apôtres, à savoir les lecteurs du grand oeuvre de Marx.

    Une caractéristique des pensées critiques actuelles est la grande faiblesse, pour ne pas dire l'absence totale, de réflexion stratégique en leur sein. Les modèles stratégiques du passé ont disparu, et ceux qui les remplaceront n'ont pas encore eu le temps d'éclore. Or, Gramsci est un excellent point de départ pour renouer le fil de la pensée stratégique. Les Cahiers de prison ne fournissent certes pas des solutions toutes faites pour le siècle qui s'ouvre, et il ne saurait être question de rejouer telle quelle la distinction entre la guerre de mouvement et la guerre de position. A certains égards, la seconde moitié du XXe siècle a donné tort à Gramsci sur ce point, puisque la prolifération des guerres "asymétriques" - de type guerrilla - illustre la recrudescence des guerres de mouvement. Dès la Seconde Guerre mondiale, l'arrivée sur le devant de la scène de nouveaux armements - le char d'assaut et l'avion de combat notamment - allait modifier le rapport entre guerre de mouvement et guerre de position tel que l'avait connu et théorisé Gramsci à la suite de la Première Guerre." (Pour nous faire le raccourci entre conflits interétatiques et conflits sociaux dépassant les frontières est une entreprise risquée, mais bon...).

"Ce que fournit Gramsci, c'est un cadre d'analyse qui permet de placer le réel contemporain sous condition de la stratégie. Entre autres problèmes, celui de l'État n'a pas reçu l'attention qu'il mérite dans les pensées critiques actuelles. Sans doute l'attention s'est-elle par trop portée, au cours des dernières décennies, sur les formes non étatiques du pouvoir, la "microphysique du pouvoir" de Michel Foucault étant exemplaire à cet égard. Or, quelle est la nature de l'État néolibéral, par rapport aux formes d'État qui se sont succédées depuis les origines de l'époque moderne? Quel est son degré d'interpénétration avec la société civile, avec les organisations économiques, les médias ou encore les partis politiques? Comment les nouveaux liens entre l'État et la société civile affectent-ils les conditions de la transformation de l'un et de l'autre, et l'émergence de ce que Gramsci appelle la "société régulée", c'est-à-dire le communisme? (...)."

 

Antonio GRAMSCI, Guerre de mouvement et guerre de position, Textes choisis et présentés par Razmig KEUCHEYAN, La fabrique éditions, 2011, 340 pages.

 

Relu le 1 juillet 2022

 

 

    

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1 avril 2016 5 01 /04 /avril /2016 11:11

  Lorsqu'une armée est en campagne ou en cantonnement, les soldats ou les guerriers qui la composent restent des hommes (en majeure partie), avec leurs besoins physiologique et physique habituels. La sexualité faisant partie de ses besoins, il n'existe pas beaucoup de moyen de la satisfaire :

- Soit (et ce fut le cas dans la plus grande partie de l'Histoire) les hommes et les femmes voyagent ensemble, ne se séparant que lors des cambats. Les mutliples armées de peuples nomades ont dû connaitre cette manière de faire, facilitée en ce sens que lorsqu'une armée se déplaçait, c'est toute une ville qui le faisait, avec toute la populaition, les animaux, les tentes ou bois, le ravitaillement pour hommes et animaux, tous les services matériels et spirituel. A notez que dans le plan des camps romains, existent à la fois une organisation d'un système de santé et d'un système de prostitution. Dans la Grèce ancienne, on note également souvent un phénomène d'homosexualité rampante, cantonnée au temps à l'espace militaires, ce qui constitue aussi une solution qui présente certains avantages... l'interdiction par une morale - religieuse notamment ) de tels actes entre personnes du même sexe supprime évidemment cette solution-là...

- Soit les soldats ou guerriers assouvissent leur soif sexuelle chez les habitants des contrées qu'ils traversent, de préference chez les ennemis et encore plus chez les vaincus, mais ce n'est pas une obligation. Le récit des périples de conquête s'accompagnent presque toujours de scènes de viols isolés ou collectifs ;

- Soit les soldats, dans le cas d'armée régulière d'Etats sédentaires constitués, organisent, sous la vigilance des autorités supérieures leurs activités sexuelles. La prise de conscience des pertes et des inconvénients tactiques des maladies vénériennes amène plusieurs Etats à organiser autour des cantonnements ce que l'on a appelé pour le cas de la France, notamment dans les colonies, les bordels militaires de campagne (BMC), surveillés socialement et médicalement, le destin des prostituées de passage ou professionnelles n'étant pas bien entendu la préoccupation principale du commandement. A cet égard, on peut constater que suivant les dispositions morales des classes dominantes, des effets différents sont constatés suivant qu'elles adoptent une position de réglementation ou une position de prohibition. Une morale rigoriste prônant l'abstinence des soldats conduit tout droit à la propagation incontrôlée de maladies vénériennes par refus d'opérer les ajustements d'hygiène et de santé nécessaires. En niant les besoins sexuels, cette morale favorise le développement d'une prostitution clandestine incontrôlable. 

 

   Dans le domaine de la prostitution en milieu militaire, peu d'ouvrages ont été écrit et celui de Christian BENOIT comble en partie ce relatif vide. L'auteur se centre sur les deux derniers siècles et à la France, mais cela constitue déjà une somme considérable d'informations et de rééflexions.  Comme il l'écrit, "la place prise par l'armée dans l'épisode du réglementarisme ne constitue qu'un chapitre de la longue histoire de la prostitution. Si même la prostitution n'est pas le plus vieux métier du monde, la première prostituée a sans doute connu le premier soldat. Depuis, ces deux êtres ne se sont jamais quittés et forment un couple solide. Le recours des militaires à la prostitution est une constante. L'ignorer conduit à des catastrophes sanitaires. Le développement de la prostitution non contrôlée a pour conséquence inéluctable l'irruption massive des maladies vénériennes, qui prive l'armée d'une partie de ses effectifs et amoindrit sa capacité opérationnelle. Les solutions préconiées par les bonnes âmes, comme l'éducation des jeunes garçons, pour détourner les soldats de tout commerce avec les prostituées, pour aventageuses qu'elles soient, sont inopérantes, car leur efficacité, perceptible à très long terme, reste à démontrer.

Au regard du passé, la solution réglementariste a les faveurs de l'armée, qui fait toujours le choix de contrôler la prostitution à destination de ses hommes plutôt que d'ignorer la question, en particulier en campagne. Son souci constant est de maîtriser la situation, celle-là comme toutes les autres, l'action militaire étant globale et l'autorité du chef indivise. Son attachement à la prostitution contrôlée se double d'une lutte contre la prolifération de la prostitution clandestine, qui lui apparait toujours comme la source intarissable de la maladie. Cette attitude s'observe aussi dans les armées étrangères, comme celles qui ont combattu ou séjourné sur le sol français." A noter que si l'autorité militaire accédite en quelque sorte certaines maisons de protitution, elle ferme très souvent les yeux sur le destin et le recrutement des prostituées, sauf si cela crée des troubles sans ses propres plans de campagne. 

"Les hommes jeunes et en bonne santé qui forment les armées et qui côtoient la mort parfois de façon quotidienne assouvissent leurs désirs sexuels avec les prostituées, souvent les seules femmes qu'ils ont l'occasion de rencontrer. Leur situation particulière dans la nation est régie par une multitude de règles strictes, et nombreuses sont les autorités qui veillent à leur application. Ainsi s'explique la somme de documents de toute nature qui permet de tracer la silhouette d'un client des prostituées, de connaître ses habitudes, d'approcher ses goûts, d'appréhender ses rapports avec les filles, de suivre sa contamination. Rare occasion de savoir qui et comment se comporte cet homme souvent inexistant dans l'histoire de la prostitution, faute de moyen de le connaitre.

Aborder la question du seul point de vue des hommes serait n'en voir qu'une face. A une histoire de la prostitution dont profitent les soldats répond une recherche sur les femmes qui sont mises à leur disposition. Dans le Nord occupé pendant la Première Guerre mondiale ou dans toute la France pendant la Seconde, les Allemands ont recours aux prostituées françaises, avec un système très réglementé, tant ils craignent la maladie. La Wehrmacht met en place un réseau de maisons closes à l'intention de ses troupes dès le début de l'Occupation et établit une réglementation de plus en plus répressive pour retirer de la société les femmes déclarées sources de contagion. L'armée américaine au cours des deux guerres mondiales, fait de même appel aux Françaises pour la satisfaction de ses hommes, des clandestines pour la plupart, l'accès aux maisons de tolérance contrôlée leur étant interdit." 

L'auteur s'attache aux parcours des soldats et des prostituées aux XIXe et XXe siècle en France, après avoir très brièvement évoqué les situations antérieures (sous l'Ancien Régime notamment). Ce qui l'intéresse surtout, ce sont les diverses modalités de cette prostitution réglementée, de même que les vécus des uns et des autres. Toutes les réglementations n'empêchent pas l'existence d'une prostitution clandestine, mais elles la limitent dans le temps et dans l'espace. D'établissements en quartiers réservés, les zones de prostitution sont souvent strictement délimitées. Des temps (permissions notamment) sont aménagés pour permettre les relations sexuelles des soldats. L'auteur indique bien également que malgré tout, même dans les établissements réglementés, peuvenet survenir de maultiples "accidents" contagieux. S'il décrit minutieusement, suivant les situations (armées en campagne en France ou dans les colonies, dans les pays occupés...), il fait la part des failles du système, et pour le moins, il serait difficile de ne pas le faire dans des théâtres d'opérations sujets à de nombreuses destructions et de nombreuses désorganisations... 

Puisant dans les archives de préfectures de police, des brigades mondaines, des services de santé des armées, s'inspirant de nombreux ouvrages écrits sur la prostitution (civile surtout) dont on peut trouver une large liste en fin d'ouvrage, Christian BENOIT fait là oeuvre de pionnier. Fruit de dix ans de recherche, ce livre fait revivre ce couple inséparable, la putain et le soldat.

 

Christian BENOIT, Histoire d'un couple inséparable, Le soldat et la putain, Editions Pierre de Taillac, 2013, 670 pages.

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4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 12:51

      L'ingénieur au ministère de la défense et dans l'industrie spatiale Jacques VILLAIN  dresse ici un tableau de l'héritage nucléaire. Spécialiste également de l'histoire de la guerre froide et de l'aventure du nucléaire en France, il fait le point sur les conséquences de près de 70 ans de nucléaire militaire dans le monde, à la suite des événements de Tchernobyl et de Fukushima, faisant bien le lien souvent dénié du nucléaire civil et du nucléaire militaire. 

  Alors que l'histoire officielle est "extraordinaire lisse", "stratégiquement correcte", il entend discuter (et souvent mettre à la connaissance du plus grand public possible) "des drames, des erreurs et des horreurs qui ont accompagné tout au long de ces années le développement des armes nucléaires aux États-Unis et en Union Soviétique. Il est temps aujourd'hui de faire la lumière sur cette part d'ombre, non seulement pour la connaitre mais, plus encore, pour en tirer les enseignements et éviter des catastrophes dans l'avenir." D'autant qu'aujourd'hui dans le monde existent encore plus de 10 000 engins opérationnels et que la prolifération nucléaire, si elle est freinée après exemple en Iran, continue en Asie. Au moins 5 sous-marins soviétiques dotés de missiles nucléaires et deux sous-marins américains gisent dans l'océan, des centaines de tonnes de matériaux fissiles actifs y sont également, déversés par diverses industries, menaçant pour quelques milliers d'années la vie sur cette planète.

   Le nombre de victimes des divers accidents nucléaires restent à chiffrer, tant les effets perdurent sur des décennies. Nuages radioactifs, eaux radioactives, terres irradiées ne sont pas de la science fiction ; ils font partie de la triste réalité d'aujourd'hui. C'est ce que montre l'autre Jacques VILLAIN à travers ses chapitres sur la guerre froide (1945-1991), la course à la bombe, l'âge d'or du nucléaire, le goulag nucléaire, la fuite en avant dans la dissuasion. Également sur le drame des essais (2 400 essais nucléaires...), dont une partie fait l'objet aujourd'hui d'un combat, partagé par l'auteur, pour la prise en compte (et l'indemnisation...) des irradiés français de l'ile de Mururoa, des populations autochtones contaminées, et de la pollution permanente autour des lieux d'essais.

S'étendant sur les bombes perdues et les sous-marins coulés, avec de longs passages saluant les héros ignorés officiellement (même s'ils ont inspiré des films) à bord de ces engins qui ont sans doute évité des drames pires encore, l'auteur rappelle aussi les fausses alertes, les projets démesurés des uns et des autres... Il dénonce une prolifération nucléaire (avec à certains endroits une participation active de la France), propice à la dissémination de matières radioactives plus ou moins utilisables pour la fabrication de bombes "artisanales" partout dans le monde. Un terrorisme nucléaire non étatique n'a pas encore vu le jour (difficultés techniques, secrets de fabrication...) mais les conditions se réunissent de plus en plus vite, notamment depuis la chute de l'URSS qui a laissé dans la nature (lieux inconnus) des engins tout-à-fait utilisables.

Dans son dernier chapitre, il aborde la question de la pollution nucléaire en Russie, le désastreux bilan écologique d'une manière de faire laissant peu de place à la prudence et à la sécurité, notamment dans la mer de Kara et la péninsule de Kola et l'Oural, sans compter la pollution chimique concomitante... De nombreuses annexes (quatorze) précisent par exemple les sites d'essais nucléaires dans le monde ou les lieux d'accidents et catastrophes dans les sous-marins russes depuis 1991.

    Si la guerre froide est bien morte, de nouveaux risques apparaissent. "Dans les années à venir,  écrit l'auteur, la menace nucléaire sera donc très différente de ce qu'elle fut dans le passé. Comment y faire face sur le plan militaire? L'objectif est toujours le même : éviter absolument une frappe. Le seul moyen? Dissuader ou intercepter. Soit obtenir que l'ennemi ne lance pas ses missiles, soit les intercepter avant qu'ils n'atteignent leur cible. La dissuasion a fonctionné dans le cadre très particulier de la guerre froide, mais on sait qu'elle implique un comportement rationnel de l'adversaire. Jusqu'où pourra-t-on dissuader les nouvelles puissances nucléaires? C'est toute la question. Pour la France, il n'est pas d'autre parade. Américains et soviétiques, en revanche, caressent depuis des décennies le rêve d'une défense antimissile qui permettrait de sanctuariser leurs territoires ou, à tout le moins, leurs principales cités. ". Il met en relief le fait qu'il y a à la fois une réduction et une modernisation des armes nucléaires. Ne croyant pas en la possibilité d'un monde sans armes nucléaires, il se montre, malgré l'étalage de tant de désastres, partisan d'"une bombe nucléaire française sanctuarisée". Les Français (à qui ont n'a pas pourtant demandé beaucoup leur avis sur la question, affirme-t-il), ont compris que la bombe est un élément d'une puissance souveraine, et "en ont fait un objet de fierté nationale, un élément inaliénable de leur patrimoine et de leur sécurité".

L'auteur donne la preuve, à son insu en partie, qu'il ne suffit pas de connaitre l'ampleur de l'héritage nucléaire pour tourner la page vers un monde dénucléarisé. Il faut encore fournir des alternatives crédibles et faire évoluer le monde autrement...

 

Jacques VILLAIN, Le livre noir du nucléaire militaire, Fayard, 2014, 395 pages.

 

Relu le 2 avril 2022

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29 janvier 2016 5 29 /01 /janvier /2016 08:26

      Très loin des analyses un peu simplistes sur la Chine, comme terre à la fois de l'économie capitalisme et de la dictature communiste, l'ouvrage du citoyen de la République populaire de Chine, résidant à Hong Kong, procure une vision assez complexe de sa situation.

Il montre entre autres qu'il n'y a pas vraiment lutte entre une bourgeoisie d'affaires et un régime oppressif au plan politique et vigilant sur le plan économique. Pour le dire crûment, AU LOONG YU considère que le Parti Communiste Chinois (PCC), du moins ses instances dirigeantes du niveau national au  niveau local EST la bourgeoisie. C'est à travers une analyse marxiste de la bureaucratie, provenant en grande partie en ligne directe des réflexions de Léon TROTSKY, que cet auteur, Membre du comité de rédaction de la China Labor Net, militant de la "justice globale", nous expose la situation actuelle. 

    AU LOONG YU reprend l'histoire de l'émergence de la Chine, sur les transformations politiques et économiques des dernières années et attire notre attention, comme le note dans une préface Patrick LE TRÉHONDAT, sur les modifications de la force de travail chinoise qui pourrait constituer à terme de redoutables problèmes pour ses exploiteurs chinois ou étrangers. Urbanisation massive, baisse du pourcentage de la population active, modification de la composition de cette force du travail (part massive des migrants devant celle des campagnes), Changements idéologiques majeurs, Multiplication des luttes - parfois sanglantes - qui mêlent revendications salariales et d'organisation du travail et préoccupations grandissantes face à une dantesque dégradation de l'environnement, tout cela est pris en compte par cet auteur, qui, données butes et faits à l'appui, dessine les contours d'une Chine largement inconnue du public.

   Contre certaines analyses très biaisées courantes dans le monde anglo-saxon et malheureusement reprises en compte par des médias français mal informés ou tendancieux, l'auteur aborde successivement la montée de la Chine et de ses contradictions, les relations entre travailleurs et entreprises d'État dans ce pays, l'histoire de la résistance ouvrière de 1989 à 2009 et les nouveaux signes d'espoir selon lui, d'autant de résistances.

Rare parmi les intellectuels chinois, il aborde également la question du Tibet, sans tomber dans l'écueil anti-religieux ou pro-religieux que l'activité du Delaï Lama suscite souvent ni dans la tendance en Chine à considérer qu'il s'agit d'une province comme une autre. Pour l'émancipation du peuple tibétain, il estime que les problèmes - y compris le problème de la place du religieux et des hiérarchies ancestrales est d'abord le problème des tibétains, et que la manière dont il peut se résoudre, même si elle ne plait pas - et également aux intellectuels chinois eux-mêmes, reste d'abord leur affaire.

   L'apport de l'auteur à la connaissance de la Chine est doublement intéressant, même triplement : d'abord parce qu'il replace l'histoire politique et économique dans un contexte peu connu des Occidentaux de manière générale, ensuite parce qu'il approfondit l'analyse de système politique chinois comme bureaucratie bourgeoise dotée de nombreuses contradictions au sommet de l'État ; et aussi parce qu'il met à notre disposition des faits - notamment ceux ayant traits aux luttes ouvrières - occultés par les autorités chinoises. A ce dernier propos, il estime que "les expériences évoquées ici montrent qu'en Chine, la résistance peut aboutir à des changements limités. Les victoires immédiates, qui permettent d'empêcher une privatisation, d'obtenir de meilleures conditions de travail ou encore de limiter la destruction de l'environnement, sont importantes. Ce qui est également important, c'est que de telles victoires puissent inspirer d'autres mouvements et qu'elles aient une influence pour que ceux-ci trouvent eux aussi une issue victorieuse comme l'illustre l'influence qu'ont eu les sidérurgistes de Tonghua, les ouvriers de Honda et les habitants de Wukan sur d'autres combats.

Les formes prises par cette résistance montrent également que la nouvelle génération est de plus en plus audacieuse. Malgré son échelle modeste, la tentative des travailleurs de Pepsi Cola de coordonner leur action est un élément notable. Même si de telles coordinations avaient été envisagées dans le passé, la crainte des conséquences avait été dissuasive.

Enfin, que les jeunes travailleurs de Honda aient proclamé qu'ils agissaient au nom des intérêts de toute la classe travailleuse chinoise indique que cette nouvelle génération, libérée de la terrible défaite de 1989, a la capacité de voir au-delà de ses intérêts immédiats pour s'identifier à des préoccupations plus larges. Même si ces signes sont encore aujourd'hui limités, ils nous donnent une raison de ne pas abandonner tout espoir."

 

AU LOONG YU, La Chine, Un capitalisme bureaucratique, Forces et faiblesses, Avant-propos de Patrick Le TRÉHONDAT, Editions Syllepse, 2013.

 

Relu le 26 février 2022

 

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