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2 janvier 2019 3 02 /01 /janvier /2019 08:12

   La "paix belliqueuse", formule due à Raymond ARON,  du titre fait reférence à une période (bien délimitée pour Yves SANTAMARIA, pour ce qui est de l'Europe, car aux États-Unis par exemple, on a affaire à une toute autre périodisation) entre 1947 et 1962, entre une guerre "chaude", la seconde guerre mondiale et une guerre "froide" entre les deux blocs, les pays d'Europe s'ancrant chacun progressivement alors dans un camp ou dans un autre, celui des États-Unis ou celui de l'Union Soviétique. Bien entendu, tous les auteurs ne partagent pas cette périodisation (et encore moins cette caractérisation de la période...), la guerre froide commençant pour les uns dès la fin des hostilités avec l'Allemagne nazie, ou n'ayant jamais cessé depuis la révolution d'Octobre 1917 pour les autres, ou encore, pour d'autres encore, lorsqu'ils considèrent plus les faits que les mouvements d'opinion ou les propagandes idéologiques, pour qui l'évolution historique est constituée de phases d'aggravation et de répit... En tout cas, pour les opinions publiques et de certaines parties des états-majors militaires, la guerre ne semble marquer qu'une petite période de répit pour devoir reprendre - comme l'espéraient d'ailleurs une partie du Reich - entre les États-Unis et l'Union Soviétique... Il semble pourtant que la période qui commence vers 1962, à l'inverse de la période précédente, soit marquée par l'instauration solide des deux blocs, au point que cela fasse partie d'une configuration qui perdurera dans le temps, coupant le monde entier entre Est et Ouest, avec l'acquiescement tacite des deux Grands pour laisser le champ libre au concurrent-partenaire-adversaire, pour ce qui est des moyens de garantir leur respectif ordre intérieur (non intervention dans les affaires de pays tentant de se dégager de l'emprise d'un des Grands...). Belliqueuse, cette paix l'est, sans doute dans la rhétorique que dans les périodes qui suivent, chaque camp stigmatisant et menaçant l'autre, soit directement comme les États-Unis brandissant leur supériorité atomique éphémère, soit indirectement comme l'Union Soviétique, par l'intermédiaire des multiples syndicats et associations communistes, clamant la nécessaire fin du système capitaliste...

    Le Paysage Pacifiste Européen est alors, au sortir du seconde conflit armé mondial, tout autre que celui de l'avant-guerre, bien que bien des traits le rattachent aux périodes précédentes (caractère social ou non du pacifisme, antagonisme entre sensibilités religieuses et sensibilités laïques...). Ce qui domine alors de manière incontestable dans ce nouveau PPE, et singulièrement en France, c'est l'hégémonie du mouvement communiste en général sur l'imagerie de la paix. Alors que le Mouvement de la paix, créé et dominé par les courants socialistes ou communistes, mais aux orientations encore débattues face aux diktats de l'URSS (à travers le Kominform créé en 1947), dicte l'agenda des initiatives et des campagnes pacifistes (Indochine, Algérie, Bombe atomique...), des mouvances très diverses contestent cette hégémonie (sans réellement l'entamer), autonomes le plus souvent des institutions, des syndicats et des partis, chaque mouvance "représentant" une famille intellectuelle, plus souvent à gauche qu'à droite. Marqués par les divisions entre résistances et collaborations, ces différents courants du PPF, suivent, dans leur démarche intellectuelle comme dans leurs initiatives pratiques, les évolutions des opinions publiques, de manière assez différentes d'ailleurs d'un pays à l'autre dans les "priorités de combat".

Ces opinions publiques "prennent alors conscience de la difficulté d'échapper à la division du monde en deux camps. Une petite majorité admet également que le risque majeur d'agression vient d'Union Soviétique (la fraternisation des vainqueurs n'a pas duré longtemps). Leur armée (pour ce qui concerne surtout la France, mais c'est en partie vrai aussi pour la Grande Bretagne en difficulté dans son Empire), elle, est déjà en guerre sur des théâtres coloniaux dont certains se transforment en terrains d'affrontement Est-Ouest. Instruits dans le souvenir des conflits précédents, les combattants évolueront sous le regard  d'une opinion mobilisée par des préoccupations différentes de celle des années 1930 et 1940 ; à la crise et à la pénurie succède une aisance relative qui est en passe de modifier le rapport à l'impôt du sang. Cette évolution est d'autant plus perceptible que les secteurs de la planète dans lesquels la troupe est engagée sont excentrés et que l'absence d'agresseur potentiel aux frontières crée une situation sans précédent. Quant à la menace atomique, le développement des arsenaux - et plus particulièrement du parc nucléaire soviétique - ne parvient pas (en France) avant les années 1960, à susciter les émotions populaires que connait, par exemple, la Grande Bretagne, il est vrai plus précocement dotée. (...)."

 

L'hégémonie du Parti Communiste

   Profitant du tour de force idéologique de faire oublier ses hésitations pendant la guerre au profit de l'image des fusillés, surfant sur le prestige que lui procure une participation très forte, à l'égale de la tendance gaulliste, à la Résistance, le Parti Communiste, comme son émanation plus ou moins directe, le Mouvement de la Paix, traversés tous deux de manière égale par des luttes entre fidélité au grande "Parti frère" de l'URSS et combats centrés sur les objectifs bien concrets de défense de la classe ouvrière française, choses parfois dures à concilier, vus les différents contextes dans lesquels évoluent alors la politique intérieure et extérieure de la France... C'est que, en outre, l'ambiance de l'opinion en général et de la classe politique dans sa majeure partie ne lui ait pas forcément favorable. Passée la période triomphante des mois qui suivent la Libération, viennent les temps de conflits - cela dans un contexte matériel qui exige une vigoureuse Reconstruction après les destructions de la guerre, suivies des problèmes d'approvisionnement au milieu de populations migrantes de retour chez elles - le parti Communiste est confronté à des rumeurs de guerre contre l'URSS, tandis que le Général de GAULLE leur apparait comme le fourrier des États-Unis.  Précisément, Charles TILLON est chargé par le Parti de mobiliser, au nom des idéaux de la Résistance, contre la menace américaine (les troupes de G.I. sont parsemées dans toute l'Europe, bien visibles malgré leur cantonnement dans leurs bases). Alors qu'à Prague et en Yougoslave, sans compter la guerre civile grecque, s'agitent partisans et adversaires de ce qui ne sont pas encore les blocs, tout en affichant leur condamnation du "pacifisme béant" dont se réclame il faut bien le constater une certaine mouvance pacifiste (par exemple Lucie AUBRAC), les Combattants infléchissent progressivement leur rhétorique dans le sens d'une mise en garde contre les conséquences d'un conflit. Le contrôle du mouvement échappe alors progressivement à TILLON, au profit de Laurent CASANOVA qui a la confiance de l'Union Soviétique. Laquelle sait gré au PCF d'impluser des campagnes annonçant que "le Peuple de France ne fera pas la guerre à l'URSS".

Cela parait loin et un peu étrange pour nous, rétrospectivement, mais il ne faut pas oublier que des opinions publiques dans les territoires occupés à des franges (dans l'armée notamment), ne s'est jamais éteint l'espoir d'un retournement, comme il y en avait eu un avec le Pacte germano-soviétique, mais en sens inverse, les Occidentaux défendant les pays libérés contre la main-mise soviétique et même, alors que bien des faits plaidaient en sens contraire - y compris dans les relations entre les USA et l'URSS pendant la guerre - entrant en guerre contre les Soviétiques dans la conquête de l'Allemagne... L'anticommunisme d'une grande partie de l'intelligentsia française, qui remonte loin, à 1917, rendait alors crédible toutes sortes de scénarios pourtant non corroborés par les plans des états-majors de puissance engagées dans la construction de l'ONU.

L'orchestration, pensée comme nécessaire, d'un "patriotisme soviétique extraterritorialisé", dans des campagnes plus ou bien bien relayées par la presse non communiste, si elle agite bon nombre d'intellectuels, le père Riquet, Pierre DAIX, David ROUSSET - et qui perturbe d'ailleurs la prise de conscience de la politique d'extermination des opposants et des Juifs (pour ne parler que d'eux, car d'autres groupes en furent victimes), l'enjeu "camp de concentration" étant prise de guerre idéologique contre ou pour la préparation de la guerre - laisse assez indifférente l'opinion en général, bien plus préoccupées par sa vie quotidienne encore difficile. C'est surtout dans les grandes conférences internationales que communistes français et soviétiques collaborent le mieux, avec la mobilisation de bon nombre de compagnons de route du PCF. 

Dès 1948, lorsque s'éloignent ces rumeurs de guerre et de prolongation de guerre (avec changement de camps...), et que la crise de Berlin s'est dénouée, le PCF, comme, d'ailleurs surtout par la suite, le Mouvement de la Paix, lancent diverses campagnes aux thèmes plus mobilisateurs sans doute, pour "l'interdiction absolue de la guerre nucléaire" (Appel de Stockholm), puis pour la "paix en Indochine" (Comité d'études et d'action pour le règlement pacifique de la guerre au VietNam, né à la fin de 1952), contre la guerre de Corée (Appel contre la guerre bactériologique en avril 1952). L'ensemble des intellectuels qui débattent au sein ou à la marge des organisations pilotées par le PCF, de manière d'ailleurs de plus en plus sûre, se retrouvent dans les débats lors de la guerre d'Algérie, pendant ou après d'ailleurs l'affaire de la Communauté Européenne de Défense (qui devait, c'est selon, faire pièce ou être complémentaire en Europe à l'OTAN). Et au fur et à mesure de ces débats dans le temps, où les thèmes peuvent varier mais où des engagements personnels perdurent campagne après campagne, de manière d'ailleurs concomitante avec des débats internes au PCF, à l'issue desquels se font des sorties plus ou moins retentissantes de dissidents. Malgré ces débats internes qui suintent de plus en plus souvent à l'extérieur du Parti, la mouvance communiste reste hégémonique dans le Paysage Pacifiste Français.

Ce n'est que progressivement, avec notamment sur le plan international le rattrapage nucléaire et la percée spatiale de l'URSS, mettant peu à peu en équivalence Etats-Unis et URSS comme... fauteurs de guerre, que s'effrite cette hégémonie, à la fin des années 1950 et qu'oeuvrent alors jusqu'au milieu des années 1960, des mouvances non-communistes, parfois très critiques par rapport au PCF. Mouvements ou groupes anti-nucléaires, groupes de soutien au FLN et porteurs de valise, groupes contestataires divers et variés partagent alors avec le PCF la scène du pacifisme. Dans des débats d'ailleurs - il faut attendre la période suivante pour que l'opinion publique et les forces politiques en fasse des points d'ordre du jour majeurs - qui font la une de la presse à cause de l'implication de personnalités en dehors de la sphère communiste (Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER avec L'Express, le général de Bollardière, les groupes d'actions civiques non-violentes). C'est à la suite de ces débats que prennent fin cette hégémonie persistante, mais seulement dans les années 1962-1974, et que beaucoup trouvent l'inféodation à la politique extérieure de l'Union Soviétique (avec la victoire notamment de la thèse du socialisme dans un seul pays), bien pesante, voire contre-productive...

   On n'insistera jamais assez sur l'inadéquation entre les réelles évolutions des armements et même des guerres coloniales et les réactions des organisations pacifistes. C'est que l'agenda de ces organisations, qui se calque sur celui, dans cette période, du Parti Communiste et du Mouvement de la Paix, correspond plus à celui des gesticulations diplomatiques de la part des deux Grands. Alors même que c'est certainement la menace des armements nucléaires la plus importante pour l'humanité, pour les peuples européens en particuliers, l'attention se focalise en France - moins en Grande Bretagne qui suit une évolution sensiblement différente - sur les guerres coloniales, à des moments où elles sont déjà fortement entamées, et que les réactions aux essais nucléaires par exemple, ne se sont pas réellement en fonction de la véritable évolution de ces armements. Il faut attendre les années 1980, sous la conjonction de plusieurs facteurs, pour que cette adéquation se réalise, partiellement.

    Même si l'agenda des activités du Mouvement de la paix et, finalement, de ses détracteurs, qui existe, même s'ils ont de la peine à se faire entendre des grands médias, est fixé souvent au Komintern, les débats internes sont marqués par des questionnements qui n'ont font pas pour autant une marionnette docile. Ce n'est d'ailleurs que fin 1948 que la direction du Mouvement de la paix est complètement soumise aux orientations tactiques du Parti Communiste. C'est à partir du moment où les éléments non-communistes de la Résistance à l'origine de la fondation du Mouvement de la paix sont évincés, que ceux-ci s'organisent réellement. Mais même au plus fort des campagnes orchestrées par Moscou, avec leur apparence trompeuse de neutralisme, les débats auront lieu de manière interne, même s'ils ne transpirent guère à l'extérieur dans les médias. Il faut tous les efforts de la direction pour rendre étanche le Mouvement de la paix, chose faite dans les années 1960.

Créée début 1948, à la suite d'un Appel fin 1947 à la fondation d'une organisation destinée à "soutenir le régime républicain et interdire le retour du fascisme et de la dictature",  le Mouvement de la paix rassemble une soixantaine de personnalités (compagnons de route du PCF, chrétiens de gauche...) issues de la Résistance (d'abord sous la forme des "Combattants de la liberté", sous la direction d'Yves FARGE). Lors des Assises des 27 et 28 novembre 1948, les thèmes du réarmement allemand, de l'usage de l'arme atomique et du désarmement général reflètent l'adéquation avec les positions communistes. Les membres communistes du Mouvement évincent alors à la direction, ceux issus de la Résistance ne faisant pas partie du PCF. L'activité du Mouvement de la paix est alors directement reliée à celle du Congrès des peuples pour la paix (août 1948) et en 1951, les "Combattants de la paix et de la liberté" deviennent "le conseil national français du Mouvement de la paix".

C'est dans les années de guerre froide, surtout avant la déstalinisation de 1956, que le Mouvement est le plus riches en actions et influent de par ses effectifs. Appel de Stokholm, manifestations contre la guerre de Corée (1950), campagne contre le réarmement de l'Allemagne au sein du CED (Communauté Européenne de Défense) (qui échoue d'ailleurs à se réaliser) à partir de 1952. le Mouvement se radicalise de plus en plus, développe un argumentaire de plus en plus politisé (au sens de la politique politicienne d'alors), situé dans la mouvance du PCF et le Mouvement perd de sa vitalité durant la compagne contre la guerre d'Algérie, et ne cesse alors, trop marqué PCF, de perdre des militants et de l'influence, même si sa flamme se ravive au moment de la guerre du Viet-Nam dans les années 1960, et plus loin, lors de la crise des euromissiles des années 1980. Il reste encore la plus importante Organisation Non Gouvernementale pacifiste, après près de 150 comités locaux, même après la fin de l'URSS, même si finances et militance ne sont plus ce qu'ils étaient. Il a encore une activité importante dans la jeunesse, même s'il ne bénéficie plus d'une caisse de résonnance tonitruante, vu la perte d'influence de la presse communiste et l'affaiblissement politique du PCF.

 

Une mouvance hors de la sphère communiste toujours active

   Dans la mouvance d'intellectuels se réclamant d'un neutralisme bien plus assumé, autour de la revue Esprit et du journal Le Monde et qui rompent avec le Mouvement de la paix au début de 1950, se forment plusieurs groupes pacifistes, qui peinent d'ailleurs d'abord à se faire entendre. Ils débordent peu les mouvements de de la presse ou du milieu universitaire contre les guerres ou à la fois anti-américains et non communistes. C'est surtout sur la thématique anticolonialiste en général, pendant la guerre d'Algérie, à partir de la fin des années 1950, d'abord très minoritaires puis se montrant capables de provoquer un débat dans une opinion publique plutôt apathique jusqu'à la montée en puissance des activités du contigent militaire, et de la transformation de révoltes ou d'insurrections en véritable guerre civile dans des départements alors français. Des partisans français de l'indépendance algérienne (dont beaucoup refusent d'entrer dans les conflits entre FLN et MNA), se font réellement entendre lorsqu'ils adoptent la posture, largement inspirée des écrits de Jean-Paul SARTRE et Franz FANON, selon laquelle la violence du colonisé porte en elle-même une promesse d'émancipation universelle. Parfois dans des acrobaties intellectuelles, notamment dans les milieux musulmans, qui sont reliées parfois de manière très lâches avec les clivages sur le terrains, des intellectuels, des universitaires et des militants pacifistes, dans un moment d'hésitation de presque tous les partis, même s'ils sont parfois très éloignés idéologiquement, parviennent à mobiliser l'opinion publique autour d'éléments-clés : la question de la torture, la revendication d'un statut d'objecteur de conscience, l'abolition des camps d'internement... Entre le général De Gaulle à la politique peu visible à ses débuts de reconquête du pouvoir et un PCF toujours sur ses positions tranchées, mais avec la présence virulente du Mouvement de la paix bien qu'en perte de vitesse, les forces et courants pacifistes dont l'influence croit avec l'allongement de la guerre, peinent d'abord à s'organiser et gardent pâle figure encore jusqu'au bout... C'est que l'esprit munichois est confondu encore avec le pacifisme et que nombreux sont les groupes ou personnalités qui n'ont pas réussi le tour de force de la mouvance communiste de faire oublier ses réelles positions du début des années 1940.

C'est surtout dans les milieux enseignants ou les mouvements d'éducation populaire que se manifestent à plusieurs reprises des convictions pacifistes, déjà à propos de la tentative de CED, et alors sur la guerre d'Algérie. Il faut dire qu'avec l'attitude d'autonomie relative  officielle, les campagnes pacifiste hors PCF ne "mordent" que difficilement. Il faut que la jeunesse soit intéressée au premier chef (avec l'engagement d'appelés en Algérie) pour que se développe un mouvement d'opposition, qui fait parfois la une de la presse, par des actions spectaculaires. Il faut également que la "couleur" socialiste des gouvernements de la IVe République soit bien entamée pour qu'une partie du personnel politique s'interroge sur le bien-fondé (d'autant que le cartierisme, de Raymond CARTIER sur ses inconvénients, gagne du terrain) de garder des colonies. Parfois d'ailleurs sans une once de pacifisme dans leur argumentation...

Les milieux catholiques, dans un contexte de perte radicale d'influence du catholicisme politique après le régime de Vichy que nombre d'autorités ecclésiatiques avaient un peu trop soutenus..., alors que la Papauté ne se sent plus liée par aucune rhétorique d'État sur la guerre et l'armement, sollicités souvent par le Mouvement de la paix... se révèlent, malgré la méfiance exprimée par exemple dans le journal La Croix par rapport à l'Appel de Stokholm, réceptifs par rapport aux campagnes pacifistes alors menées, même s'ils le sont moins que la mouvance protestante, notamment à travers le journal Témoignage Chrétien. C'est que les divers courants protestants sont moins encadrés que les catholiques ne le sont à travers des structures dédiées aux questions de la guerre et de la paix. Dans le cadre de l'écclésiologie traditionnelle, la hierarchie encadre les couches mes plus sensibles à la question de la violence guerrière, avec Pax Christi, fondée suite à une initiative française juste après le seconde guerre mondiale (initiative privée reprise en main par Mgr FELTIN, par ailleurs aumônnier général des armées...). S'encrant dans les milieux d'éducation (enseignement, scoutisme...), les autorités religieuses catholiques prônent, souvent sans se référer à l'actualité immédiate et se gardant de le faire, les progrès vers la paix universelle, restant strictement sur le plan moral, souvent sans incidences politiques ou institutionnelles directes. Les militants communistes du Mouvement de la paix cherchent d'ailleurs à puiser soutiens multiformes dans cette mouvance chrétienne peuplée à leurs yeux "d'idiots utiles"...

Les campagnes sur l'objection de conscience et l'opposition à la guerre d'Algérie semblent toutefois plus efficaces à mobiliser les énergies dans ces milieux, en tout cas bien plus que les divers groupes d'extrême-gauche qui se réclament de l'héritage trotskyste. Ceux-ci, en effet, refusent de mettre sur le même plan les impérialismes américain et soviétique, et leur anti-impérialisme se tournent bien plus contre les États-Unis et leurs alliés, que contre les activités de l'Union Soviétique et encore plus de la Chine. Le thème de l'émancipation contre les puissances colonialistes, dans un tiers-mondisme (bien orienté) leur importe bien plus. Si, notamment les groupes libertaires, certains critiquent la position "opportuniste" du PCF et du Mouvement de la paix, ils peinent à faire entendre des opinions qui restent dans le milieu militant, et qui sont imprégnées des conflits entre groupuscules se voulant parfois plus (ou vraiment) révolutionnaires que les autres...

 

Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005 ; le parti de l'ennemi? ; Le Parti Communiste Français dans la lutte pour la paix (1947-1958), Armand Colin, 2006. Sabine ROUSSEAU, La colombe et le napalm. Des chrétiens français contre les guerres d'Indochine et du VietNam, 1945-1975, CNRS, 2002. Pierre MILZA, les mouvements pacifistes et les guerres froides depuis 1947, dans Les internationales et le problème de la guerre au XXe siècle, École française de Rome/Universita di Milano, De Boccard, 1987, Disponible sur internet à www.persee.fr

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13 novembre 2018 2 13 /11 /novembre /2018 16:03

   Yves SANTAMARIA décrit cette sorte de pacifisme en France de 1939 à 1947, sous le nom de pacifisme de drôle de guerre prolongée. D'abord sous l'espoir des accords en 1938 des accords de Munich, éloignant le spectre de la guerre, nombreux sont ceux qui, en pensée et/ou en action, tentent de mettre le pays à l'écart des destructions de la guerre, même si cela se fait au prix d'une soumission à l'Allemagne et au régime nazi (parfois pensés séparément...). Bien entendu, son étude se restreint à la France, on conçoit que la situation soit totalement différente en Allemagne et aux États-Unis, les configurations sont encore différentes.

   L'analyse, pas facile à faire, de la situation du pacifisme en France durant cette période doit distinguer au moins trois période, au climat intellectuel et à l'état de l'opinion publique différents, celle de la "drôle de guerre" proprement dite qui s'arrête à l'invasion de 1940, d'un pacifisme qui suit de près l'évolution des périodes précédentes, celle de l'occupation, où la polarisation entre les différentes collaborations et les différentes résistances se fait de plus en plus forte et celle de l'immédiat après-guerre, faite d'une redistribution forte des cartes politiques et idéologiques.

 

Pendant la "drôle de guerre" proprement dite (1939-1940)

   Il faut se resituer dans les perceptions des rapports de force entre France et Allemagne, les armées françaises figurant - en hommes et en matériels - en force en Europe, même du point de vue allemand. Un climat d'optimisme règne sur la capacité française de se défendre, étant donné que même l'état-major se refuse à une posture offensive. Comme l'écrit SANTAMARIA, "ce climat d'optimisme ne va pas faciliter la tâche des pacifistes, dont on a bu qu'ils étaient sur la défensive depuis qu'Hitler ne se donnait plus la peine de camoufler son expansionnisme sous les oripeaux du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (et à choisir la Grande Allemagne). Mais s'il laisse ainsi les coudées franches aux responsables de la conduite de la guerre, le relatif sentiment de puissance n'est pas sans effets émollients. Il alimente en particulier l'espoir d'une incapacité de l'Allemagne à conclure à l'Ouest avant d'être asphyxiée par la supériorité économique des alliés. Paradoxalement, cette croyance dans la possibilité de laisser de facto le pays en dehors du conflit survivra à la défaite, y compris lorsque la guerre embrasera les cinq continents. Il est difficile de les dénombrer, mais ils devaient se compter par millions ceux  qui "ont vécu une drôle de guerre prolongée de 1939 à 1944, en espérant que leur pays soit le plus possible épargné" (selon la formule de Pierre LABORIE dans L'opinion française sous vichy, Seuil, 1990). Le sentiment de la faiblesse nationale est venu, après juin 1940, justifier leur attitude aux yeux de ceux qui se contentaient d'attendre la paix. Derrière les postures et les silences, ce sentiment est déjà présent, à la fin de l'été 1939, chez ceux qui entrent à reculons dans la guerre."

   Dans l'effort de maintenir une relative quiétude, de nombreuses associations, officielles ou non, comme le Comité de liaison contre la guerre rassemblant des parlementaires toutes tendances confondues, sauf du radicalisme et du communisme. Marginalisés institutionnellement, ces parlementaires tiennent compte du climat général et les soldats mobilisés participent de cette ambiance, où même l'état-major effectue une sorte de service minimum, réduisant les exercices et les occasions d'alerte. Côté gouvernemental s'affrontent des partisans d'un néo-pacifisme (PÉTAIN, WEYGAND, BAUDOIN) et des partisans, en minorité et vite neutralisés, d'une préparation ferme à la défense  (REYNAUD, de GAULLE, alors très instrumentalisé comme alibi). Perce au parti communiste, une ligne ni Berlin ni Londres, en attendant que la Grande Bretagne contre toute attente résiste et résiste fortement. Isolationnisme, antiaméricanisme et pacifiste constituent, comme l'écrit SANTAMARIA, "le lot commun des opposants du retour de la France dans la guerre, du bout à l'autre de l'échiquier politique", et se prolongent tout au long de la guerre.

 

Pendant l'occupation, un certain pacifisme révèle son vrai visage...

   Travaillée par la propagande allemande, brouillée par la censure militaire qui interdit de se faire une idée de la réalité des rapports de force en Europe, s'accrochant à l'illusion d'une certaine forme de paix, une grande partie du pacifisme est emmené par des leaders qui n'en savent pas plus que la plupart de leurs compatriotes, mais qui moitié par opportunisme, moitié par illusion d'une grande Europe germano-française, situé dans à droite (Marcel DÉAT, du Rassemblement National Populaire) ou même à gauche (Part Populaire Français de DORIOT), ou à l'extrême droite (Marcel BOCARD, du Parti franciste). Cette frange du pacifisme, qui verse dans la collaboration, est également influencée par tout un courant littéraire dominant, où officie par exemple des intellectuels comme CÉLINE. Comme l'écrit encore SANTAMARIA, "le pacifisme peut ainsi être une vois d'accès au fascisme, dans la mesure où il se traduit par l'abandon de la référence française au profit d'une identité européenne englobante, portée par l'Allemagne, ce qui pourrait, dès lors, mériter qu'on lui concède l'impôt du sang. La guerre contre l'URSS éveille d'ailleurs des prurits inattendus chez le pacifiste Céline, qui suit avec intérêt les succès de l'opération Barbarossa, au point de songer - un temps - à s'engager dans le corps sanitaire de la LVF, qui rassemblent de l'initiative de Français, les nationaux qui veulent combattre le bolchévisme sous l'uniforme (ils seront forcés de la faire sous l'uniforme... allemand). Jusqu'à la défaite des troupes soviétiques à Stalingrad, la résistance sera perçue, même de ses chefs comme Jean MOULIN, comme une histoire violente et de mort. La répartition des Français et notamment des pacifistes entre Collaboration et Résistance se fait selon des paramètres nombreux, ce qui réduit parfois les deux à une multitude de parcours individuels, où comptent beaucoup l'aisance matérielle de départ, la simple possibilité d'agir, sans avoir toujours à se préoccuper, comme l'immense majorité de leurs compatriotes, à se soucier exclusivement du ravitaillement. La haine des Allemands, ou des Anglais, ou des Communistes, l'évolution de la situation militaire, surtout au fil des années où l'information circule de plus en plus parmi la population, la volonté d'engagement, la perception du devoir moral, notamment face aux répressions et aux déportations,

Moitié parce qu'elle est favorisée parfois par l'occupant, moitié parce de nombreux réseaux solidaires perdurent, gardant intacte l'audience et la portée des idées diffusées dans l'entre-deux-guerres, une activité pacifiste se déploie, jusqu'à influencer de façon notable le RNP et le PPF, du moins au niveau des adhérents (pas du sommet, très surveillé). On trouve d'ailleurs autour de ces deux gros partis (mais surtout du RNP) des personnalités qui s'agitent et qui évoluent parfois fortement, suivant la situation militaire et les informations sur les exactions nazies : Georges DUMOULIN, Pierre VIGNE (qui fondent en décembre 1940 l'hebdomadaire L'Atelier), André DELMAS, Paul FAURE, René CHATEAU, Marcel GITTON, Marcel CACHIN).... Il faut dire que nombre de personnalités plus ou moins pacifistes, en plus des informations sur les échecs allemands et l'horreur nazie, ont d'abord été auparavant rebuté par l'attitude des Allemands qui réfutent toute cette illusion d'une Europe germano-française et qui se méfient même des initiatives de participation directe à la lutte contre le bolchévisme (les nazis ont commencé à les accepter lorsque... ils commençaient à accumuler les échecs...). SANTAMARIA met en garde de généraliser à propos des itinéraires des acteurs cités plus hait, car leurs groupes mêmes ne les suivaient pas toujours dans les méandres de leurs initivatives... Et de plus, celles-ci ont énormément fluctué de 1940 à 1945. Le collabo-pacifisme manifeste d'ailleurs une cécité persistante et parfaite par rapport à la nature réelle du régime nazi. Si le régime de Vichy puise parfois dans le vivier pacifiste (Robert JOSPIN, Marcelle CAPY, Louise SAUMONEAU, pris dans la propagande (du bouclier contre des excès de l'occupant comme de la Restauration Nationale...) pour soutenir administrativement ou idéologiquement sa politique de collaboration, le mirage d'un néo-socialisme étant persistant (comme il l'avait fait en Allemagne même par le parti de HITLER), il peine à les retenir d'une attitude de plus en plus réservée, voire sympathisante dans les derniers mois envers la Résistance même. On ne dira jamais assez que jusqu'au bout de l'existence de l'État français, cette fiction d'un socialisme dans le nationalisme, est opérationnelle jusque dans les sphères du pouvoir.

    Tout change (comme par miracle les millions de collaborationnistes deviennent résistants de la dernière heure à la Libération) lors des soulèvements insurrectionnels et de l'arrivée des Anglo-Saxons. Il faudra toute l'habileté de de GAULLE et de ses collaborateurs pour place l'État Français entre parenthèses dans l'histoire de France.

 

A la Libération et dans l'immédiat après-guerre, la ferveur nationaliste ressort bien plus que la tendance pacifiste...

  Des personnalités comme Albert CAMUS, qui s'étaient couchées devant le fascisme pendant près de 5 ans, se retrouvent dans le camp des vainqueurs, et d'ailleurs même des collaborationnistes (eux pas pacifistes pour un sou...) de premier plan (Paul TOUVIER et René PAPON par exemple) se retrouvent dans les cadres de la France issue de la Libération... Dans le mouvement de l'épuration, le pacifisme, objet difficilement cernable par l'institution militaire comme par une partie de la population désireuse de régler quelques comptes, ne relève donc pas ni de la répression légale ni d'un procès populaire... A part ceux qui, dans les 3 partis collaborationnistes surtout, avaient exercé au grand jour des responsabilités dans la lutte contre la Résistance. Pourtant, à contrario des responsables de la grande collaboration économique ou administrative, la collaboration pacifiste est sévèrement sanctionnée. "Bien représenté chez les intellectuels et les journalistes, écrit SANTAMARIA, les pacifistes étaient d'autant plus exposés que les engagements de ces derniers occupaient dans l'imaginaire national une place surdimensionnée (...). Le cas de Robert BRASILLAH défraie la chronique, mais à l'inverse, la justice est plutôt clémente envers Félicien CHALLAYE et Michel ALEXANDRE, des figures du pacifisme de l'entre-deux-guerre qui se sont fourvoyés dans un soutien idéologique à l'Allemagne nazie. Mais dans les mouvance à gauche, à la SFIO, et singulièrement au Parti communiste français, la pression est plus grande contre l'esprit munichois, d'autant qu'une polémique éclate (et perdure ensuite d'ailleurs) sur son attitude entre 1939-1940. Alors que des intellectuels comme Daniel MAYER et Auguste LAURENT ont freiné jusqu'au bout l'ardeur de la Résistance, la SFIO, comme le PCF, épure dans leurs propres rangs, bien plus que dans le territoire, on épure dans les administrations et à la tête des entreprises. Nombreux sont marginalisés, même lorsqu'ils étaient parlementaires, et ils se retrouvent dans l'opposition au "système", ce qui les conduit à côtoyer d'autres vaincus de 1945 situés plus à droite et à délaisser la thématique pacifiste face à la "menace soviétique". Ce qui tend ensuite à brouiller les cartes de l'échiquier politique français et ce qui permet également à de nombreux collaborateurs bien placés dans l'administration française d'échapper à des poursuites tant judiciaires que politiques.

   Ceci d'autant plus que les explosions atomiques au Japon rebattent les perceptions des menaces contre la paix. L'existence de la Bombe, comme on l'appelle alors, ne pas vécue consciemment en 1945, tant l'opinion est préoccupée de survie et de reconstruction dans les ruines. Mais tout de même, ici et là, Le journal la Croix et Albert CAMUS par exemple, on souligne le saut quantitatif dans les potentiels de destruction. Mettre la Bombe hors-la-loi, et ce dans un contexte où l'opinion reste favorable à sa construction pour la France, semble être, assez tardivement d'ailleurs, plutôt vers 1947, un point de ralliement pour une partie des pacifistes, qui mettent en avant également, suite logique de la défense de la SDN d'avant-guerre, la possibilité (la chance disent certains) d'élaborer, via l'ONU, "une véritable société internationale". Mais ce point de ralliement rassemble surtout le voisinage de la SFIO, par rapport aux PCF, qui n'entre pour l'heure, pas du tout dans cette problématique. Très vite, le pacifisme entre dans une nouvelle période, au diapason de la nouvelle frontière Est-Ouest.

    Dans une grande mesure, ce pacifisme dans la guerre, de la deuxième guerre mondiale, qui ne ressemble pas du coup à celui de la première, trouve vite, dès 1939, des lignes de fracture nouvelle : entre les pacifistes qui ne pensent "qu'à la paix et la tranquillité", ceux qui se soucient de la nature du régime nazi, ceux qui malgré leur conviction s'engagent malgré tout dans la Résistance contre ceux qui s'efforcent jusqu'au bout de croire à l'alliance du nationalisme et du socialisme, entre in fine ceux qui possèdent une conception morale, sociale ou politique de la société et ceux qui placent encore malgré tout, et souvent en dépit d'une analyse sérieuse des actes et des pensées des pouvoirs en place, la paix en priorité absolue, qui constitue pour eux la condition sinon qua non de la vie, voire de la survie de l'espèce humaine.

Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005.

 

PAXUS

 

  

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25 octobre 2018 4 25 /10 /octobre /2018 09:29

   Les années 1930 font contraste par rapport à la décennie précédente. Nadine-Josette CHALINE constate que les années 1920 ont semblé connaître, même si cela n'est pas unanime chez tous les courants de pensée, surtout à partir de 1925, une certaine euphorie pacifique malgré l'irruption de nouveaux problèmes comme la "grande lueur à l'Est", qui enthousiasme nombre de pacifistes, avant la découverte de la réalité du bolchevisme ; mais à partir de 1933, la confrontation au nazisme impose de nouvelles interrogations. "Peut-on continuer à prôner le désarmement face à Hitler? Peut-on être pacifiste et antifasciste?" L'attitude fluctuante du Parti communiste, travaillé par des courants dont certains sont très partagés par rapport au directives du PCUS, perturbe également les esprits. Ces années sont donc difficiles pour ceux qui souhaitent maintenir la paix, certains sont prêt à accepter tous les compromis, tandis que d'autres perçoivent de nouveaux dangers. Même constat pour Yves SANTAMARIA, une période de paix inquiète (1918-1933) fait place à une période de dépression et de rémission.

   Durant cette période, le fossé se creuse d'ailleurs entre ceux qui se disent d'abord pacifistes et ceux qui se proclament antimilitaristes. Devant tous les bouleversements de la scène internationale, les dissensions déjà si nombreuses dans les années 1920, ne s'effacent pas face aux dangers des régimes fascistes. Outre le fait qu'une partie importante de la classe politique préfère encore le régime fasciste italien ou le régime nazi allemand au régime soviétique, la recrudescence de crises internationales à partir de 1935-1936 suscite un changement brutal de position de Moscou et de la IIIe Internationale, ainsi que des divisions, voire des scissions au sein de certains partis politiques. Tandis que quelques groupes continuent de militer pour un "pacifisme intégral" même face à Hitler. Le soulagement provoqué dans l'opinion publique après les accords de Munich de 1938, précède de peu une nouvelle guerre survenant alors que les esprits sont très divisés.

    Si l'Eglise catholique, mais plus encore le Vatican (car le "peuple catholique" est loin d'être entièrement convaincu), mutiplient les mises en garde, le "pacifisme intégral" se développe, même dans la montée des périls. Les difficultés à analyser la nature réelle du nazisme (que l'on confond parfois avec le fascisme mussolinien), les divisions entre anarchistes, socialiste et communistes qui se ravivent sur la question même de sa nature, font que beancoup se rassemble, parfois "faute de mieux", sur le slogan "le fascisme c'est la guerre". Les débats sur la responsabilité des dirigeants ayant concocté le Traité de Versailles reviennent sur le devant de la scène, et sans doute la propagande nazie en Europe n'y est pas pour rien. Singulièrement les ouvrages de Victor MARGUERITE et de Félicien CHALAYE entretiennent ces débats au début des années 1930.

Il faut que les pacifistes allemands soient menacés dans leur pays après l'arrivée d'Hitler au pouvoir pour que les esprits évoluent, et encore beaucoup ne croient pas à la volonté allemande (ils n'ont pas lu ou tiennent le livre Mein Kampf pour seulement un instrument pour arriver au pouvoir), malgré un réarmement de plus en plus visible, de mener une guerre offensive de conquête. Surtout les pacifistes inconditionnels tiennent pour vrai les propos diplomatiques ou de presse des dirigeants du nazisme, qui jurent ne faire que "réunifier l'Allemagne". D'ailleurs un des effets du réarmement allemand et de l'installation d'une dictature dans le pays voisin, provoque une séparation de plus en plus nette entre ces pacifistes et les antifascistes, la guerre civile d'Espagne de 1936 étant un des éléments majeurs (et pour longtemps) qui marquent les distances.

 

 A chaque nouvelle crise, de plus grandes divisions

Dès le début des années 1930, alors même qu'au sein de la mouvance pacifiste et dans l'opinion publique en général, se développe ce sentiment qu'il faut préserver la paix à tout pris, plusieurs questions focalisent les divisions qui vont la caractériser de plus en plus :  - l'objection de conscience, notamment dans les milieux protestants, avec les interventions du pasteur Henri ROSER, - les relations avec les pacifistes allemands, partenaires indispensables de plus en plus menacés, - le réarmement de l'Allemagne, sujet qui divise le plus entre tous, - l'attaque de l'Éthiopie par l'Italie, - le pacte franco-soviétique de 1935... Tout cela agite les pacifistes, tant à droite qu'à gauche de l'échiquier politique français. Les différents congrès des pacifistes rencontrent un certain écho dans les milieux intellectuels, qui relient très souvent leurs actions-réactions par rapport à l'activité défaillante de la SDN.

Ainsi, les congrès d'Amsterdam, en 1932, puis de la salle Pleyel à Paris l'année suivante, mobilisant contre la guerre et le fascisme, avec une forte participation communiste, connaissent un certain écho avec la fondation du Comité de lutte contre la guerre impérialiste. Lorsque, au lendemain du 6 février 1934, se crée le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (CVIA), ce dernier se veut également sous la houlette des universitaires ALAIN, LANGEVIN et RIVET, pacifiste et antifasciste. Mais le changement de cap du Parti communiste en 1935 laisse le CVIA entre les mains des pacifistes intégraux, avant son échec final.

De nouveaux affrontement surviennent à propos de la guerre d'Éthiopie et de la guerre d'Espagne. Si les camps semblent nettement tranchés, les situations sont souvent plus complexes. On s'invective par manifeste interposé, notamment à propos des sanctions contre l'Italie. Le 4 octobre 1935 parait dans le journal Le Temps un Manifeste des intellectuels français. Pour la défense de l'Occident et de la paix en Europe, contre les sanctions décidées à l'encontre de l'Italie. Ce texte rédigé par Henri MASSIS recueille en une semaine plusieurs centaines de signatures par peur de voir ces sanctions jeter l'Italie dans les bras de l'Allemagne nazie. Ces adhésions reposent aussi largement sur le souvenir de la Grande Guerre et de la cause commune que l'on fit alors avec l'Italie et, surtout, sur la peur du communisme susceptible de se développeer en Europe occidentale, si un nouveau conflit éclatait.

Chez les intellectuels de droite comme Mgr BAUDRILLART, Charles MAURRAS, Robert BRASILLACH, Pierre GAXOTTE, cette peur du communisme - le temps des interventions armées des puissances occidentales contre la Russie rouge n'est pas encore très loin - constitue une sorte de fil rouge dans leurs réactions face aux événements. A l'inverse, chez les intellectuels de gauche, où compagnonage avec le Parti Communiste voisine souvent avec un oeil sympathisant, même s'il se révèle de plus en plus critique par rapport à "l'expérience communiste" à l'Est, ils se regroupent le 5 octobre de la même année autour d'un autre texte paru dans L'Oeuvre, rédigé par Jules ROMAINS et signé par André GIDE, Louis ARAGON, André MALRAUX, Romain ROLLAND, Louis TERRENOIRE, ALAIN... Et les "8 500 membres du CVIA"... Puis, le 19 octobre paraît dans La Vie catholique un Manifeste pour la Justice et la Paix, regroupant les démocrate-chrétiens avec Étienne BORNE, Jean LACROIX, Jacques MARITAIN, Henri MARROU et d'autres comme Emmanuel MOUNIER ou Jacques MADAULE, qui avaient déjà signé le manifeste de gauche.

 

Dernières tentatives pour un pacifisme partagé par tous...

Au-delà de leurs profondes divergences, tous soulignent, sans toutefois briller par une grande lucidité, combien une nouvelle guerre serait une catastrophe. Alors que s'ébauche le Front Populaire, se forme un "Front unique pacifiste" pour soutenir la SDN, dont l'image est bien ternie après plusieurs échecs : le Rassemblement universel pour la paix (RUP), né en réaction à l'agression italienne contre l'Éthiopie autour du Britannique Lord Robert CECIL et du français François COT. Un grand rassemblement à Bruxelles en septembre 1936 consacre sa naissance officielle. Très rapidement le RUP annonce des chiffres d'hédésions extraordinairement élevés (400 millions dans le monde!) car il se veut, à l'unisson des opinions publiques européennes "organisation de masse", acceptant des "adhésions collectives" (Associations pour la SDN, syndicats, associations d'Anciens combattants, mouvements de jeunesse...). Quelques uns de ses membres les plus influents, tels Louis DOLIVET (En fait Ludwig BRECHER) sont directement en relation avec les autorités sociétiques (Komintern). Beaucoup finissent d'ailleurs par s'interroger sur la place des communistes dans le RUP.

Lorsqu'une guerre civile éclate en Europe, deux positions s'affrontent : ceux qui soutiennent les républicains (socialistes, communistes) et ceux qui, sans pour autant approuver les entreprises de FRANCO, ne supportent pas le sort réservé à l'Église avec les exécutions de prêtres. Le débat est très vif, par exemple à la SFIO et beaucoup choisissent alors la lutte prioritaire, antifasciste, par rapport au pacifisme à tout prix. Alors que pour les pacifistes intégraux, le maintien de la paix passe avant l'antifascisme, comme pour ceux qui militent dans la Ligue des objecteurs de consciences qui fait campagne pour le renvoi des fascicules de mobilisation, Félicien CHALLAYE prônant même dans des opuscules (1932 et 1934) la non-résistance, rejoint par d'autres personnalités comme Jean GIONO, beaucoup rejoignent les Brigades internationales, malgré leur désir de paix. Mais même parmi les pacifistes "intégraux", d'autres comme Romain ROLLAND se désolidarisent de ces positions, comme celles qui militent à la Ligue Internationale des femmes pour la paix et la liberté, présidée alors par Gabrielle DUCHÈNE. La coupure est alors nette, et passe également au sein de la SFIO, et s'affirme lors des accords de Munich.

Lorsque survient la guerre en 1939, le décalage entre les rêves pacifistes et la réalité dramatique se révèle très profond. Et le monde intellectuel est déchiré entre les pacifistes extrêmes, qui réclament encore le 10 septembre la "Paix immédiate", les communistes décontenancés par le pacte germano-soviétique, et une frange gagnée au fascisme, au sein même de la mouvance pacifiste... Car souvent pacifisme et anticommunisme se rejoignent pour protéger la paix, en dépit de toute analyse sérieuse, et l'on assiste à des revirements assez spectaculaires de certaines personnalités pourtant apparemment bien ancrée à gauche dans l'échiquier politique. Les clivages politiques eux-mêmes, bien au-delà de la mouvance pacifiste, sont bouleversés et déjà se dessinent les affrontements entre collaborateurs et résistants.

 

Le pacifisme redéfinit

Le grand retournement s'opère d'ailleurs dès 1938, avec la reculade de Munich, et est déjà amorcé par la perspective du gouvernement de "Front populaire". On ne perçoit plus guère l'atmosphère de l'époque où la droite refuse catégoriquement les avancées sociales qu'il promeut à son arrivée au pouvoir, refus qui va de pair avec celui de voir accroitre les crédits militaires, et qui fait penser que en définitive, la droite c'est la paix. La propagande allemande se déchaîne d'ailleurs, relayée par une partie de l'intelligentsia, elle-même marquée, il faut le dire par un antisémitisme violent. Cette atmosphère se prolonge même pendant la "drôle de guerre" jusqu'à l'invasion de la France en 1940, où Résistance et Collaboration, une fois l'armée française vaincue, rebattent les cartes politiques, y compris dans ce qui était alors la mouvance politiques, selon des modalités parfois très complexes, où se redéfinit la notion même de patriotisme... Comme lors d'invasions et d'occupations dans de nombreux pays, pendant la seconde guerre mondiale, mais également avant et après, pacifiste et antimilitarisme sont redéfinis et ne signifient plus la même chose qu'auparavant. Singulièrement, le "pacifisme intégral" fait place, dans la mouvance pacifiste comme dans l'opinion publique, à des nuances bien tranchées en fonction des parcours sociaux et politiques. Plus jamais d'ailleurs, après cette guerre, en France comme dans la plupart des pays d'Europe, le pacifisme n'a d'image générale positive, le refus de la guerre à tout prix ayant conduit à des situations bien pires encore. L'esprit munichois est associé, même encore aujourd'hui, à un pacifisme "aveugle".

  Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, Le pacifisme du début du XIXe siècle à la veille de la Seconde Guerre mondiale, encrage, 2015.

 

PAXUS

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13 septembre 2018 4 13 /09 /septembre /2018 12:13

    Au sortir de la première guerre mondiale, la distance entre différents pacifismes, encore jusque là aux frontières poreuses, tant au niveau idéologique qu'au niveau des pratiques de leurs acteurs et militants (voir leurs rencontres au fil des événements), s'accroit et devient suffisamment forte pour que l'on puisse parler de conflictualités ouvertes. Ainsi entre les différents acteurs de la paix par le droit, mis à l'écart aux débuts des années 1910, et les tenants de la révolution sociale, surtout après la révolution bolchévique de 1917, qu'ils soient anarchistes et/ou marxistes, se creusent des écarts tant au niveau de la parole que des actes. 

    Une fois la guerre gagnée, ce qui domine, sous la pression d'ailleurs des initiatives du président américain WILSON, et parce que la France sort très affaiblie, sur les plans démographiques et financiers, ce sont les initiatives pacifistes émanant des gouvernements qui se multiplient durant les années 1920. Ce climat, si différent de celui des années 1930 suivantes, et avant la grande crise du capitalisme de 1929, aboutit à une série d'accords et à la formation de la SDN, consacrant ainsi les arguments des partisans de la paix par le droit. Dans ces pays occidentaux, des mouvements souvent marginaux mais remuants, ébauchent d'autres projets pacifistes à l'antimilitarisme exacerbé.

Sur le plan des idées et des états des opinions publiques, la première guerre mondiale marque sans doute une étape fondamentale dans l'évolution des sociétés occidentales quand à leur perception de la guerre. Les thèmes guerriers sont dévalorisés, de même que la fonction militaire d'ailleurs, et il n'est plus question de lier l'esprit guerrier au progrès politique, moral et social, et même les propagandes colonialistes (l'Empire français est tout de même au sortir de la Grande Guerre des plus grands...) préfèrent mettent l'accent sur la "pacification" que sur la conquête et la gloire nationale. 

Yves SANTAMARIA et Nadine-Josette CHALINE mettent bien en exergue cette différence de climat entre les années 1920 et les années 1930. Ils soulignent tous deux la coupure entre ces deux périodes ; entre 1929 et 1933 se met en place d'autres préoccupations, liées à la montée du fascisme et du nazisme ainsi qu'aux impasses de la SDN. Ces années 1920 et 1930 peuvent constituer des périodes où pourtant jamais le thème du pacifisme n'a le plus traversé tous les courants politiques et sociaux.

Tant en ce qui concerne les partisans de la paix juridiquement fondée et les partisans antimilitaristes de la révolution socialiste ou anarchiste, ces périodes sont bien celles d'une diffusion de tous les thèmes chers au pacifisme en général. les plaies béantes de la première guerre mondiale agissent comme des révélateurs d'une nécessaire organisation du monde, autour de la paix et de la prospérité, même si les uns et les autres ne mettent derrière ces mots des conceptions très différentes.

On pourrait même écrire bien plus qu'au sortir de la deuxième guerre mondiale, frappé lui par la naissance de la guerre froide. L'émergence d'un régime socialiste qui se dit communiste en Russie, en pleine guerre civile dans les années 1920, ne suscite l'espoir que d'une fraction minoritaire des courants pacifistes lesquelles ne se divisent pas transversalement sur la question sociale, tant encore une fois les horreurs de la première guerre mondiale dominent l'esprit des opinions publiques. 

 

La paix par le droit

      Les efforts de construction d'un système juridique de paix, bien qu'ils soient d'avance obérés par les conditions économiques imposées aux vaincus chez qui on fait reposer l'entière responsabilité du conflit, entrepris par de nombreuses forces laïques et religieuses, aboutissent dans les premiers temps dans un certain enthousiasme. Mais très vite, tant chez les catholiques français (et le Vatican) que chez de nombreux auteurs et organisations qui se définissent comme laïcs et en tout cas hors des religions, se manifestent des inquiétudes, surtout après l'établissement de la République de Weimar en Allemagne, sur ces conditions. Dès le départ, avec les dispositions du Traité de Versailles, les pacifistes, partout en Europe se divisent et le pessimisme ne cessera depuis de s'accroitre. 

Autour de Marc SANGNIER, se retrouvent ceux qui souhaitent la paix par la réconciliation et l'effacement des haines. "Certains, écrit Nadine-Josette CHALINE, en effet, veulent faire confiance à la "Nouvelle Allemagne" qui nait à Weimar et ne pas gêner les débuts de la République déjà si semés d'embûche, car, pour eux, la paix signifie aussi la victoire de la démocratie. Défense de la démocratie et défense de la paix sont inséparables. Catholiques soucieux d'appliquer les recommandations du pape, protestants, agnostiques ou athées venant surtout de la Ligue des Droits de l'Homme, humanistes, se retrouvent pour appeler à une réconciliation franco-allemande sans laquelle la consolidation de la paix et de la démocratie leur semble impossible. Dès la signature de l'armistice la Jeune République, regroupée autour de Marc SANGLIER, et la Ligue des Droits de l'Homme souhaitent renouer avec l'ennemi vaincu, et plus particulièrement avec ceux qui, avant 1914 ou même pendant le conflit, avaient maintenu une volonté de protéger la paix par une entente sur de grands principes." Des congrès sont organisés en Europe, rassemblant de nombreux pacifistes de nombreux pays, des organisations de jeunesse naissent et prospèrent.

Parmi les intellectuels, c'est surtout ceux appartenant à la gauche, souvent anti-cléricaux, libre penseurs, membres de la Ligue des Droits de l'Homme qui discutent des questions liées à la paix. Quelques noms émergent parmi la cohorte d'écrivains et de journalistes, notamment ceux qui s'étaient retrouvés dès 1916 dans la "Société d'études documentaires et critiques sur la guerre." : l'économiste Charles GIDE, les professeurs RICHET, ALEXANDRE et SEIGNOBOS, Le député SIXTE-QUENIN, le général PERCIN, auxquelles se joignent par exemple ALAIN, qui affiche alors un pacifisme radical (Mars ou la guerre jugée, 1921)... Les appels et pétitions se multiplient dans les années 1920. ROLLAND, EINSTEIN, GANDHI, HUXLEY, Bertrand RUSSEL fondent en 1921 l'Internationale des Résistants à la Guerre (IRG)... 

 

Une fascination de la "grande lueur à l'Est", un antimilitarisme de classe

Nadine-Josette CHALINE décrit ainsi la croissance de l'antimilitarisme en France : "L'annonce de la révolution bolchévique suscita (...) bien des espoirs. Le pacifisme était depuis le XIXe siècle un élément majeur de la réflexion socialiste, même si le mouvement avait été incapable de définir une ligne de conduite en cas de guerre et si (...) les sentiments nationaux l'avaient emporté en 1914. Le triomphe de Lénine en octobre 1917 et son mot d'ordre de paix attirent les sympathies des plus ébranlés par la durée du conflit, surtout lorsque les espoirs suscités par Wilson se sont transformés en cruelle déception." C'est comme l'écrit dans un article de 1918 d'Henri BARBUSSE pour la revue Clarté, la "lueur dans l'Abîme". "Bien des pacifistes adhéreront au Parti communiste (constitué en France au congrès de Tours en décembre 1920), ou seront "compagnons de route", parce qu'ils voient en lui le meilleur moyen d'instaurer puis de garantir la paix". C'est le cas des hommes installés à Genève autour de Romain ROLLAND, comme Henri GUIDEAUX ou Jean-Richard BLOCH. 

Nicolas FAUCIER décrit le climat de mécontentement, tant en France qu'en Allemagne ou en Italie et en Russie qui s'amplifie en 1918, de la révolte des marins russes de la mer Noire, de la révolution spartiate allemande, aux occupations d'usines en Italie et qui crée en Europe une situation pré-révolutionnaire. Si la révolution ne se trouve pas au bout du processus, cet état de l'opinion et des forces socialistes débouche sur une recomposition du paysage politique. Dans ce nouveau paysage politique se situe une coupure entre deux internationales, l'Internationale socialiste et l'Internationale communiste, et elle se traduit surtout par une polarisation de plus en plus nette entre partisans et adversaires du communisme tel qu'il s'inspire de l'URSS, sur le plan politique et le plan syndical. Autour de crises politiques causées par l'occupation de la Ruhr en 1923, la guerre au Maroc en 1924, renait un antimilitarisme vigoureux, celui d'une génération de jeunes, plus dynamique et plus réceptive aux idées révolutionnaires. Lequel suscite des campagnes contre la remilitarisation de la Rhur ou encore pour l'objection de conscience. Dans ces campagnes se mêlent souvent anarchistes et socialistes m^me si par ailleurs, ceux-ci développent de plus en plus des thématiques antagonistes. 

 

Commémorations, lamentations, abattements...

   Toute cette agitation ne doit pas faire oublier que la célébration des victimes, des soldats de la première guerre mondiale - on allait instituer le 11 novembre comme date récurrente dans la vie du pays - va de pair avec un concert de lamentations, lui-même s'inscrivant dans un certain abattement moral de l'ensemble de la population. C'est ce que rappelle Yves SANTAMARIA : "Hormis la période de l'Occupation (...) la France allait pleurer ses victimes plus qu'elle ne chanterait ses héros. Dès 1919, les manifestations commémoratives souligneraient davantage la paix retrouvée que la défaite infligée : l'accent était davantage porté sur le coût humain que sur le résultat obtenu. (...)". "(L'amputation) nourrit, dès que les armes se sont tues, une peur du lendemain dont témoignent les professions de foi des élections de 1919. Davantage sans doute que dans "l'homme aux couteaux entre les dents", le bolchévik, la menace alors communément ressentie demeure incarnée par le vaincu au sol inviolé jusqu'à l'armistice." C'est pourquoi, hormis une minorité non négligeable, l'ensemble de la classe politique accueille  bien le Traité de Versailles, sorte de garde-fou pour que le sceptre d'une grande Allemagne s'éloigne définitivement. Les associations d'Anciens Combattants, qui pèsent ensuite sur tous les choix politiques, sont traversées de courants, dont certains sont pacifistes et/ou antimilitaristes. Leurs campagnes sont empreintes de dénonciation contre les excès du nationalisme, mais même les dirigeants socialistes soutiennent l'existence d'une armée forte, farouches défenseurs de la "nation armée", notion jaurésienne. Même s'il existe réellement une désaffection pour les armes, dénoncée entre autres par DE GAULLE, même s'il existe une véritable réception pour l'objection de conscience, l'opinion publique et encore plus la classe politique en reste à ces lamentations inquiètes... L'idéologie de l'arbitrage qui traverse la SDN est soutenue par la majeure partie des hommes politiques et la plupart de ses actions et réactions influence ou est influencée par l'évolution de l'organisation internationale et ses capacités de garantir effectivement la paix, et ceci d'autant plus que les Français pèsent du poids le plus lourd dans les organisations pacifistes internationales. Mais l'absence des Etats-Unis dans la SDN, les difficultés de faire avancer effectivement l'idée d'Europe, les divisions - même au sein du courant pacifiste, causées par les différentes crises coloniales (sans compte la question coloniale elle-même), la grande coupure entre communistes et non (voire anti) communistes, attisent de plus en plus les craintes d'une possible autre guerre (voire les peurs sur la guerre chimique), lesquelles vont se muer en véritable objet principal des débats sous les coups conjoints de la crise économique et de la montée des fascismes. 

 

Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, Le pacifisme du début du XIXe siècle à la veille de la Seconde Guerre mondiale, encrage, 2015. Nicolas FAUCIER, Pacifisme et Antimilitarisme dans l'entre-deux-guerre, Spartacus, 1983.

 

PAXUS

         

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12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 07:44

     Le cas de la situation des différents pacifisme européens - mais également aux États-Unis - pendant la première guerre mondiale constitue un cas-type que l'on retrouve sous différentes formes chez les "pacifistes" lorsque pour une raison ou pour une autre leur pays s'installe dans une guerre. Même si après la guerre froide, les attitudes (et motivations) sont différentes lorsqu'il s'agit de faire face à des guerres internes à l'Europe ou extérieures au continent, on rencontre les mêmes justifications de "guerre nécessaire", de "guerre défensive" de droits ou de valeurs, qui teintent quelque peu un pacifisme qui se relativise selon les situations. Cette teinte est très nationaliste au moins jusqu'à la seconde guerre mondiale, puis devient bien plus variable et subtile par la suite. 

A un point tel, et cela se rencontre déjà pendant la guerre froide, notamment dans les années 1980, que les partisans de la paix répugnent à être qualifiés de "pacifistes" - l'expérience précédant la seconde guerre mondiale y étant pour beaucoup mais pas seulement - et désirent que l'on prenne en compte une dialectique bien plus complexe dans la recherche d'une paix qui devient inséparable dans leur esprit d'une justice nécessaire.

Pour ce cas précis qui nous intéresse ici, il s'agit d'un pacifisme dont la caractère nationaliste se justifie par la défense même de valeurs que beaucoup pensent menées par l'adversaire du moment. Profondément, dans beaucoup d'esprit en France d'alors, il s'agit de défendre une République encore pas suffisamment établie contre des autoritarismes sociaux et moraux, qui doivent encore beaucoup à l'Ancien Régime. Même si dans les faits, d'Allemagne en France, il y a beaucoup plus dans les pratiques gouvernementales, bien ancrées dans la défense du capitalisme, de nuances que de différences de principe... ceci bien que les rapports de forces politiques soient complètement différents... Il ne faut jamais oublier, qu'influençant à terme les rapports de forces militaires entre pays, l'existence d'une vie parlementaire tant en France qu'en Allemagne pèse toujours sur les rapports de force politique internes. On a tendance à oublier avec le temps, que les forces politiques socialistes dans ces deux pays déterminent alors en grande partie les orientations globales des gouvernements. Et qu'on est dans une période proche du pré-révolutionnaire dans maintes régions de l'Europe, travaillées par les approches anarchistes et marxistes de la société, elles-mêmes alimentées par des situations sociales dramatiques.

On peut observer en fin de compte cette situation bien mieux en regardant la presse et la production littéraire générale de l'époque qu'en se focalisant sur l'activisme des groupes pacifistes qui ne sont en définitive qu'une poignée (influente!)...

 

Durant la première guerre mondiale, des pacifistes éclatés mais au tropisme nationaliste semblable...

    Après le choc de l'entrée en guerre des deux principales puissances continentales, tant en France qu'en Allemagne, on pouvait se demander, écrit Yves SANTAMARIA, où se trouvaient les pacifistes... Le XXIème congrès universel de la  paix n'a pas lieu (il devait se tenir à Vienne au milieu de septembre), et le pacifisme "bourgeois" européen se partage alors entre "pacifistes belliqueux", qui espèrent que l'horreur même de la guerre qui commence permettra l'apparition d'une véritable paix (tels Théodore RUYSSEN) à l'image de nombreux italiens, ralliés à la guerre (justifiée, selon eux) et fort critiques envers ceux (notamment les neutres scandinaves) qui ne prennent pas partis (Romain ROLLAND, Paul-Hyacinthe LOYSON, ce dernier éditeur de la Paix par le Droit et résignés soucieux de partager les souffrances du peuple (Émile Chartier, dit ALAIN). La majorité des pacifistes proche de la minorité de la SFIO et encore plus les "internationalistes" souvent marxistes, estiment que cette guerre peut en fin de compte être favorable aux idéaux socialistes. La minorité de la SFIO montre d'ailleurs une hostilité de plus en plus marquée envers l'Union Sacrée, influencée en cela par un livre "best-seller" Le Feu, d'Henri BARBUSSE. Des écrivains comme Gabrielle DUCHÊNE, Madeleine ROLLAND et Jeanne HALBWACHS, Michel ALEXANDRE, restent actifs dans un "mouvement" anti-guerre, vite réprimé en 1915. Pas plus qu'avant-guerre, d'autres comme Louise SAUMONEAU, du mouvement féministe, estiment n'avoir pas le goût de côtoyer leurs ennemies de classe. 

     Pacifiques mais défensistes sont une grande partie de ceux qui proclamaient la nécessité d'établir la paix par le droit, dont nombre restent virulents après la déclaration de guerre, allant jusqu'à manifester pour saboter la mobilisation et qui une fois leur mouvement réprimé, vont rejoindre la rhétorique, avec de fortes nuances, de l'Union Sacrée. L'adhésion socialiste quant à elle est massive, jusqu'à accepter de faire partie du gouvernement (tel Marcel CACHIN). Encouragés au sein du mouvement ouvrier d'alors, dominé en Allemagne par les amis de MARX et d'ENGELS (notamment lors de la  forte avancée allemande en été 1914), dans leur démarche, avec souvent un schéma guesdiste dans la tête, ces socialistes plus ou moins sympathisants de la démarche marxiste de classe entendent "prendre la main" au sein du pouvoir d'État, pour le temps où ils pourront de retourner vers leur gouvernement et lui demander le prix de leur ralliement.

"Le défensisme se nourrit parfois donc d'un scénario recoupant de façon paradoxale, écrit notre auteur, le défaitisme léniniste : la guerre peut être à l'origine d'un changement de régime, mais pour la SFIO, l'ennemi n'est pas, pour l'heure, dans son propre pays." Et le ralliement national ne fait pas disparaitre, même parmi les plus virulents dans le combat contre l'Allemand, l'internationalisme. Il est simplement mis en arrière-plan. Cette attitude leur attire les sarcasmes de TROTSKY (sur ce socialisme "stratégique") et LÉNINE contrecarre Boris SOUVARINE lorsqu'il veut défendre cette position, ceci dans un contexte d'ignorance des milieux parisiens des thèses de LÉNINE. Les polémiques, alimentées par des conflits internes entre leaders du mouvement internationaliste provoquent souvent des prises de position tranchée, parfois au-delà de la pensée de leurs auteurs. "Si, à la veille de l'Année terrible, Souvarine campe encore sur une position "centriste", les salves scissionnistes de Lénine contribuent bientôt chez lui à l'enclenchement d'un processus tendant à identifier plus étroitement Union sacrée et collaboration de classe."

 

Le cas de la nébuleuse internationaliste

    Dans la nébuleuse internationaliste, on s'éloigne de plus en plus de ce "pacifisme bourgeois" prompt à toutes les compromissions de classe, et sans nul doute la guerre de 1914-1918 contribue à l'éloigner de plus en plus d'une approche parfois trop juridique. Progressivement s'y installe une rhétorique "anti-impérialiste", ceci encore une fois dans une certaine méconnaissance mutuelle des thèses des uns et des autres... La dynamique intellectuelle chez les uns et chez les autres ne tient guère compte dans chaque pays de ce qui se passe de l'autre côté des frontières, d'autant plus que les informations sur les événements sont censurées par les différentes institutions militaires. LÉNINE prône la formation d'une IIIème internationale à l'idéologie plus rigoureuse et aux positions de classe plus claires, tandis que ce qui reste de la plupart des groupes anti-guerre en Europe tente de rétablir une position et une action commune. La Conférence de Zimmerwald du 9-15 septembre 1915 constitue la plus importante de ces tentatives. La plate-forme adoptée, et relayée par le Bulletin des "zimmerwaldiens" par la suite, élaborée surtout par des syndicalistes allemands, les Français étant même dans les débuts absents et hostiles, sur le moment n'a guère d'écho. Elle va pourtant à l'encontre d'une condamnation des socialistes français réclamée par les marxistes de LÉNINE, et être à l'origine de la reformation, courant 1916, d'un réseau de relations - en France- , entre syndicalistes et membres de la minorité de la SFIO. La répression qui s'abat sur les internationalistes marxistes au long de cette année-là, favorise un activisme aux résultats non négligeables au coeur même du socialisme français, activisme qui portera ses fruits dans l'entre-deux-guerres. Il se développe, malgré les tentatives de zimmerwaldiens, des dynamiques très différentes chez les pacifistes de manière générale, en France, en Allemagne et encore plus, en Russie. Il faut dire qu'à cause de la censure militaire et de la répression de tout ce qui s'oppose à l'effort de guerre, les informations circulent de plus en plus mal en Europe, même en considérant les différents canaux (par la Suisse notamment) créés depuis le début des années 1900. 

 

Le cas des catholiques

    L'ultramontanisme ou plus précisément les positions des hiérarchies catholiques, suivent eux aussi des directions différentes, dans le sillage d'une réconciliation entre l'Eglise et l'État. L'Église de France, par ses instances officielles et même par les intellectuels catholiques, elle apporte un soutien moral important à l'effort de mobilisation et de guerre. Elle renoue ainsi avec un gallicanisme ancien, doublé d'un antagonisme avec des protestantismes dominants en Allemagne. Quant à l'ultramontanisme proprement dit, soit une position universaliste sur laquelle veille le Vatican, il se trouve parfois en porte-à-faux avec les "ralliés catholiques" français, lesquels, et avec eux les intellectuels non catholiques, considère la ligne d'équidistance entre les belligérants constitue en fait un soutien aux empires centraux... Dans ce contexte, les appels réitérés de Benoît XV à interrompre l'"horrible boucherie" ne sont guère entendus, d'autant que même les Jésuites, présents en force pourtant en Europe, ne voyaient pas comment traduire ces exhortations sur le plan politique et diplomatique. 

 

La formation de clivages qui perdureront...

    Malgré les censures, malgré les répressions, il est difficile de ne pas relever, écrit Yves SANTAMARIA, "la simultanéité des courbatus populaires au moment où, dans la plupart des pays en guerre, l'agitation ouvrière trouve un souffle nouveau au début de l'année 1917. Surtout Revendications salariales en France, agitations politiques en Allemagne, où les socialistes ont pris depuis des années des positions très importantes, lesquelles sont d'ailleurs traversées de mouvements de plus en plus violents, multiplication des mutineries en France, érosion, qui annonce son effondrement de l'armée en Russe, avec la perspective qui change tout de l'engagement des États-Unis dans la guerre... Ce n'est pas seulement le matériel de guerre et les soldats américains qui débarquent en Europe, mais c'est aussi l'idéologie wilsonienne qui va prendre une place de plus en plus grande - dans les pays alliés - dans la perception, que ce soit chez les pacifistes ou chez les bellicistes, de ce que doit être l'après-guerre. 

On peut noter aussi le décalage croissant entre la radicalisation russe, la situation allemande, et le redéploiement progressif du mouvement ouvrier français dans un "centrisme" affichant sa compatibilité avec l'effort de guerre national... Alors que l'issue de la guerre se précipite avec l'arrivée des États-Unis malgré la fin du front russe, maints observateurs notent à l'époque un "frémissement pacifiste" qui parcourt les masses européennes épuisées. En France, la SFIO renoue avec les "zimmerwaldiens" (malgré le soutien du gouvernement allemand à la tenue de la conférence socialiste internationale de septembre 1917) et sa majorité romp avec l'Union Sacrée en refusant les crédits de guerre. Mais il s'agit d'un "frémissement", surtout en France car le mouvement ouvrier est encore traversé par un authentique "pacifisme patriotique". Et la paix signée par les Bolcheviks en mars 1917 le renforce, les points de vue s'écartant de plus en plus au sein des opinions publiques et encore plus entre pacifistes européens. Le fait est que, libéré de l'obligation de combattre sur deux fronts, l'armée allemande reprend ses offensives à l'Ouest... Le thème du refus du coup de poignard dans le dos, alors que la menace redevient aïgue, l'emporte de loin chez les socialistes français sur les rapprochements minoritaires entre révolutionnaires français, allemands et russes, dans le cadre d'une stratégie - qui reste tout-à-fait de l'ordre rhétorique, même au vu des événements en Russie et de ce qui se prépare en Allemagne  - de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile européenne...

 

La mythique réunion internationale de Zimmerwald (5-8 septembre 1915)

  Beaucoup de rencontres entre pacifistes tentent de maintenir l'esprit d'un pacifisme universel, tout en faisant l'objet de tentatives instrumentalisation des gouvernements. En favorisant ou en atténuant tel ou tel aspect de la répression et de la censure, ils veulent influencer par là une partie - dans leur propre pays et dans les pays ennemis - qui reste importante de l'opinion publique. Ainsi le gouvernement allemand n'a de cesse de favoriser tout ce qui peut diviser les camps adverses, que ce soit contre les forces tsaristes en Russie ou contre l'union sacrée en France. Les réunions après Zimmerwald seront l'objet de toutes ses attentions... 

Mythique, cette rencontre l'est bien après la première guerre mondiale chez de nombreux pacifistes, car sur le moment, elle n'a que peu d'écho ou pas du tout. Elle l'est parce que, bien seule dans le grand conflit mondial, elle réunit 38 militants de onze nationalités différentes qui contestent la guerre et les positions prises par leurs dirigeants. Elle constitue une tentative, après la désagrégation de la Deuxième Internationale dès le début de la guerre, de reconstituer les liens entre socialistes de différents pays. En France, l'assassinat de Jean JAURÈS, un des seuls leaders socialistes à garder une position anti-guerre, et en Allemagne la mise à l'écart des rares opposants à la guerre au sein du SPD, lesquels se retrouvent en août 1914 au sein du Gruppe Internationale, duquel nait ensuite la Ligue spartakiste en 1915, sont les manifestations politiques d'un climat guerrier et chauvinisme qui emporte tout. 

Préparée en secret par le socialiste suisse Robert GRIMM et le russe MARTOV, elle n'est pas proposée aux instances officielles du SPD et de la SFIO, car ralliées à l'union sacrée de leurs pays. Parmi ces 38 militants, deux Français : Alphonse MERRHEIM (1871-1925), secrétaire de la Fédération des Métaux, un des artisans de la Charte d'Amiens en 1906, et Albert BOURDERON (1858-1930), secrétaire du syndicat du Tonneau, qui retrouvent LÉNINE et TROTSKY. Bien que peu nombreux, les participants peinent à se mettre d'accord : certains veulent lancer un appel à la révolution, d'autres souhaitent simplement appeler à une paix immédiate sans annexions, et au respect du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.  La seconde solution prévaut dans le communiqué final : "Dans cette situation intolérable, nous, représentants de partis socialistes, de syndicats et de minorités de ces organisations, Allemands, Français, Italiens, Russes, Polonais, Lettons, Roumains, Bulgares, Suédois, Norvégiens, Hollandais et Suisses, nous qui ne nous plaçons pas sur le terrain de la solidarité nationale avec nos exploiteurs, mais qui sommes restés fidèles à la solidarité internationale du prolétariat et à la lutte des classes, nous nous sommes réunis pour renouer les liens brisés des relations internationales, pour appeler la classe ouvrière à reprendre conscience d'elle-même et d'entrainer dans la lutte pour la paix..."

Même si le texte de l'appel et l'information même de la tenue de la réunion est inconnu des opinions publiques, en France se constitue un Comité pour la reprise des Relations internationales, autour de quelques syndicalistes et surtout d'instituteurs et d'institutrices. Une seconde réunion a lieu à nouveau en Suisse, à Kienthal, fin avril 1916. L'assistance y est toujours modeste, 44 participants, mais cette fois-ci 3 députés français sont présents : Pierre BRIZON, Alexandre BLANC et Jean-Pierre RAFFIN-DUGENS, vite surnommés "les pèlerins de Kienthal". le manifeste final, rédigé par BRIZON, est un appel à exercer le maximum de pressions sur les gouvernements... Les socialistes "zimmerwaldiens" se rencontrent encore en septembre 1917 à Stockholm. (voir notamment Zimmerwald : l'internationalisme contre la Première Guerre Mondiale, Éditions demopolis, 27 août 2015). 

Si ces conférences ont pu d'écho dans l'opinion publique, en revanche elles inquiètent les partis socialistes eux-mêmes. Les partis socialistes de l'Entente partisans de l'Union sacrée tiennent en effet une série de conférences interalliées, de février 1915 à septembre 1918, pour s'opposer au programme de Zimmerwald. 

    

      Comme l'écrit Nadine-Josette CHALINE, "la répétition des mêmes arguments, tous suivis d'un refus quel que soit l'auteur des propositions de paix, témoigne bien de la difficulté des différents pacifismes à se faire entendre. Devant le déferlement de la violence des combats, la seule trace des sentiments pacifistes manifestés avant la tourmente est peut-être à rechercher, non dans les efforts pour trouver une conciliation impossible avant la victoire des armes, mais dans le refus de la haine de l'ennemi pour favoriser, après sa défaite, une réconciliation, seule susceptible d'assurer enfin la paix et faire véritablement de cette guerre, comme le souhaitent les soldats, "la der des der". Tel est l'état d'esprit de l'abbé Julien, archi-prêtre du Havre, dont les sermons très patriotes prononcés durant le conflit sont publiés sous le titre Haut les coeurs! Toutefois, l'un d'entre eux est consacré à La Haine, qu'il faut chasser de son esprit. (...). Une fois la guerre terminée, reste à faire la paix. Certains, très tôt, s'en préoccupent, angoissés par les conséquences dramatiques de ce conflit (qui, on le rappelle est suivi immédiatement d'une épidémie catastrophique dans toute l'Europe). Dès novembre 1914, Lange écrit à d'Estournelles de Constant : "Nous avons été surpris par la guerre.. Il ne fait pas que nous soyons surpris par la paix, et qu'ainsi par imprévoyance, peut-être par méchanceté, en tout cas par ignorance, les diplomates nous fassent un traité de paix aussi mensonger, aussi dangereux pour nos enfants que le traité de Francfort, ou celui de Bucarest". Souci pleinement justifié!".

 

Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015. Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005.

 

PAXUS

    

 

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29 juin 2018 5 29 /06 /juin /2018 08:31

        Dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe, un pacifisme chrétien s'élabore dans l'entourage des papes chez quelques catholiques français. Les publications sur le sujet se multiplient, même si elles sont souvent confidentielles, au moins à leurs débuts. C'est aussi le début de l'élaboration d'une diplomatie vaticane, dans la conscience qu'on ne pourra pas revenir en arrière sur la réduction drastique des pouvoirs terrestres de la Papauté, géographiquement et culturellement. 

   A Rome dans l'entourage du Pape, on reprend, dans la ligne des théologiens du XVIe siècle, la réflexion sur ces questions de la guerre et de la paix. Les travaux des jésuites, et notamment du Père TAPARELLI font redécouvrir les idées de THOMAS D'AQUIN ainsi que celles du dominicain Francisco de VITORIA (1548-1619), théologien du droit de la guerre et des devoirs des belligérants, ou encore du jésuite espagnol SUAREZ (1548-1617). Le Père TAPARELLI édite en 1843 son Essai théorique  de droit naturel sur les faits, traduit en français en 1857.

Le Père TAPARELLI distingue la "guerre juste", qui a pour but le rétablissement de l'ordre, des conflits dictés par les rêves de conquêtes et le désir de domination. Selon lui, seule une autorité internationale, résultant d'un accord entre les nations, peut garantir véritablement la paix avec une sorte de tribunal fédéral universel. La réflexion sur ces questions se poursuit dans l'entourage de PIE IX, en dépit des temps troublés que traverse la péninsule italienne? La paix est une préoccupation sans cesse réaffirmée par les papes, notamment à la suite de PIE IX, LÉON XIII. 

Le pacifisme prôné par Rome, entendre l'Église catholique qui entend également par là garder une place majeure dans la conscience des Nations, à défaut des Couronnes (défaillantes), n'est ni antimilitariste, ni antipatriotique. Dans son sillage, inspiré directement par la Curie ou naissant indépendamment, parait dans le dernier tiers du siècle, un grand nombre d'opuscules évoquant le recours au Pape, regardé comme un arbitre naturel par suite de son indépendance (des différents pouvoirs temporels...). Le jésuite Eugenio CIMATTI fait paraitre à Rome en 1883, un volume de 250 pages, L'arbitrage du pape, dont les thèmes ici argumentés, sont repris à travers l'Europe. Le Concile de 1870 devait abordé la question, mais il est écourté, la guerre éclatant. A propos de ce conflit armé, PIE IX propose sans succès son arbitrage. 

Pourtant à la fin du XIXe siècle, le recours est de plus en plus fréquent aux arbitrages les plus divers, et l'activité diplomatique du Saint Siège, notamment de LÉON XIII, permet au Vatican de s'introduire dans le concert des nations. La Paix est une préoccupation sans cesse réaffirmée par le souverain pontife, même si aucune encyclique ne lui est consacrée. Il n'existe en effet par d'équivalent, dans le domaine de la guerre et de la paix, à Rerum novarum (1891) consacré aux questions sociales. Si la Papauté s'occupe d'arbitrer certains conflits en Europe, elle reste très prudente (au vu d'une possibilité de résultat) et se trouve en bute aux entreprises du gouvernement italien qui entend isolé le Vatican. 

      Sur certaines des propositions, notamment de L'arbitrage du pape de CIMATTI, un pacifisme catholique se développe en France, tout en restant très marginal. Ceux, laïcs ou ecclésiastiques qui s'en occupent n'en font pas d'ailleurs souvent leur activité principale. Ainsi l'abbé GRATRY est la cheville ouvrière d'un petit cercle débattant de ces problèmes dès le Second Empire.

Il s'interroge sur l'attitude des chrétiens devant la suite de guerres dans laquelle le Second Empire s'engage et est très inquiet de la situation internationale. En contact avec d'autres mouvances pacifistes - mais pas en s'en doute avec la frange antimilitariste et encore moins avec la tendance marxiste de celle-ci - il adhère par exemple lors de sa création par PASSY à la Ligue internationale et permanente de la paix. Cette adhésion est d'ailleurs mal vue par les milieux conservateurs et le Père PÉTÉTOT, supérieur de l'Oratoire qui a fait renaitre de ses cendres, le désavoue. Les idées de GRATRY sont reprises par l'abbé PICHOT, prêtre de la Creuse qui tente de les faire connaitre (Pages choisies, 1899). Ce dernier fonde avec Louis JORRAND, ingénieur à la manufacture d'Aubusson, la "Société Gratry pour la paix internationale" qui rencontre peu d'écho (elle n'en rencontrera d'ailleurs pas par la suite...). D'ailleurs l'Abbé PICHOT a des problèmes avec sa hiérarchie (faisant partie d'une longue série d'évêques et de prêtres dans ce cas) à la suite de la publication, avec JORRAND, d'une brochure de 68 pages, La conscience chrétienne et la question juive, et surtout d'un article adressé au journal La Croix, alors très antifreyfusard, condamnant l'antisémitisme comme étant une violation de l'Évangile. Il doit cesser son enseignement et s'installer à Monaco où le prince-souverain Albert est très favorable lui-même à la ligue de Frédéric PASSY. 

On peut considérer que peut-être avec le temps, les idées du pacifisme catholique aurait pu gagner quelques parties de l'opinion, mais comme pour toutes les autres tendances du pacifisme, elles sont laminées par le torrent de nationalisme, de patriotisme et de chauvinisme de la Première Guerre Mondiale. Et ce malgré les interventions répétées de la Papauté durant la guerre, pas plus entendu que quelques rares protestants réceptifs aux idées pacifistes. 

 

Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015.

 

PAXUS

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12 juin 2018 2 12 /06 /juin /2018 16:36

  La tradition du pacifisme juridique plonge dans des siècles antérieurs et les plans de paix publiés par maints auteurs laïcs ou ecclésiastiques en témoignent, mais dans sa forme moderne, l'idée prend forme, bien avant que des États la reprennent à leur compte sous forme d'organisations internationales (SND, ONU...), dans les milieux pacifistes (largement minoritaires à l'époque) de la fin du XIXe siècle. 

   Jean-Jules PRODHOMMEAUX (né en 1869) fonde à Nîmes en 1887, avec d'autres lycéens de sa classe de philosophie, appartenant tous à la bourgeoisie huguenote de la ville, l'Association des jeunes Amis de la Paix, qui se transforme, à l'instigation du pasteur Charles BABUT, en Association de la Paix par le Droit (1895), avec pour président l'économiste alors très connu Charles GIDE  (né en 1847). Ce dernier navigue dans un milieu protestant dans lequel il participe à la fondation de "l'école de Nîmes", mouvement coopératif français et également à "l'association protestante pour l'étude pratique des questions sociales". Même si l'Association de la Paix par le Droit se veut non-confessionnelle, elle est marquée par ses origines protestantes.

Cette idée de la Paix par le Droit rapproche également les membres de cette Association de Frédéric PASSY et du professeur Charles RICHET, et également la Ligue des Droits de l'Homme, fondée à l'occasion de l'affaire Dreyfus, la Ligue de l'enseignement et les loges maçonniques, par lesquelles en France, en Europe et aux Etats-Unis oeuvreront de manière importante à l'émergence des organisations interétatiques internationales pour la paix. De nombreux radicaux, officiellement ou non, oeuvrent alors pour cette idée, qui aboutit à l'organisation en 1904 du congrès national organisé par l'Association de la Paix par le Droit, véritable creuset d'un rayonnement dans la France entière.

Parmi les membres de cette mouvance figure au premier plan Théodore RUYSSEN, attiré par le protestantisme libéral, qui, de par ses activités en philosophie, comme beaucoup d'étudiants, fait des séjours, alors fréquents à l'époque, en Allemagne, où il se passionne pour le Projet de paix perpétuelle de KANT. Où il fait la connaissance de Ludwig QUIDDE, chef de file du mouvement pacifiste allemand. Cette rencontre sera suivie de beaucoup d'autres entre pacifistes français et allemands qui tissent alors des liens durables. 

En Allemagne même, à Berlin, coeur du nationalisme et du militarisme prussien, s'active notamment la baronne Bertha von SUTTNER.

Les préoccupations des pacifistes français et allemands rencontrent, malgré bien des difficultés, celles du gouvernement français lorsqu'il souhaite en 1889 célébrer de façon grandiose le centenaire de la Révolution. Des Congrès universels de la paix sont organisés à partir de cette année par les milieux pacifistes, profitant de l'attrait exercé par les festivités. C'est cette mouvance, et notamment Bertha von SUTTNER qui convainc Alfred NOBEL, grand fabriquant d'armement, d'inclure dans son testament (1896) la création d'une fondation destinée à financer chaque année l'attribution de prix à ceux et celles qui s'illustrent dans les Lettres, les Sciences et le combat pour la paix. Le premier prix Nobel est attribué en 1901 et est suivi de toute une série et ce jusqu'à nos jours, même si l'esprit de l'attribution change au fil du temps... 

     Le pacifisme juridique constitue la forme de pacifisme dominant en France jusqu'à l'entre-deux-guerre et il donne ses fruits surtout à la grande époque de la Société des Nations. On pourrait le qualifier de mondanité mondialisée, mais ce serait oublier qu'une forte proportion des enseignants et même de juristes est très influence par ses thèses.

Impuissant lors du déclenchement de la première guerre mondiale, parce que finalement ayant toujours été minoritaire dans l'opinion publique, bercé de naïves illusions (qualifiées de naïves car nous connaissons l'Histoire, mais bénéficiant de nombreux soutien dans les sphères gouvernementales européennes et américaines...), la cause du mouvement pacifiste français semble perdue d'avance. Mais la lucidité de sa pensée influence jusqu'à contribuer à la formation des Nations Unies. En définitive, la question se pose surtout de l'adéquation entre un juridisme  hérité du XIXe siècle et les tensions à l'oeuvre dans l'Europe des sociétés de masse. (Rémi FABRE). Le pacifisme juridique a bénéficié d'une grande audience dans la continuité, et aujourd'hui cependant encore on lui doit un certain nombre de concepts.

Ceci est d'autant plus frappant que la plupart de ses leaders ne sont pas partisans d'un pacifisme intégral et s'accordent pour penser que, toutes les procédures arbitrales ayant été épuisées, le recours à la guerre est parfois inéluctable. Mais certains comme Théodore RUYSSEN n'ont pas accepté la thèse que cela s'applique à la Grande Guerre. Et il se retrouve en première ligne après celle-ci pour mener la bataille de la fondation de la SDN et dans les années 1920, fait partie des meneurs d'un certain pacifisme qui se retrouve majorité dans les idées.

Tout en gardant une grande influence, c'est dans les années 1930 que cette mouvance du pacifisme juridique se divise entre partisan de la paix à tout prix, minoritaire d'ailleurs, et ceux qui estiment qu'il y a des limites dans l'acceptation des projets fasciste et nazi européens, au point que rétrospectivement on peut parler là de pacifisme patriotique (exprimé fortement par l'APD). le coup de grâce à cette forme qui apparait alors désuète de pacifisme intervient au déclenchement de la deuxième guerre mondiale. 

 

 

Rémi FABRE, Un exemple de pacifisme juridique : Theodore Ruyssen, et le mouvement "la paix par le droit" (1884-1950), dans Vingtième siècle, revue d'histoire, n°39, juillet-septembre 1993, www. persee.fr. Marie-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015. Ingram NORMAN, Pacifisme ancien style, ou le pacifisme de l'Association de la Paix par le Droit, dans Matériaux pour l'histoire de notre temps, n°30, 1993, www.perse.fr.

 

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8 juin 2018 5 08 /06 /juin /2018 11:38

      Le pacifisme se présente de manière différente des deux côtés de l'Atlantique, même si des deux côtés, les sociétés sont marquées chacune par une guerre aux moyens nouveaux : la guerre 1870-1871 en Europe, la guerre de Sécession aux États-Unis (...). 

       Alors qu'aux Etats-Unis, le mouvement socialiste est réprimé et ne laisse pas la place à un antimilitarisme, patriotique ou de classe, en Europe le pacifisme est vite partagé, écartelé même, entre plusieurs formes et surtout aux prises avec un antimilitarisme dont les contours se précisent au cours des ans. Alors qu'aux Etats-Unis, incontestablement, la religiosité fait partie du corpus pacifiste dans sa quasi-totalité, en Europe se livre une lutte qui aboutit à une large redistribution des cartes entre l'Eglise et l'Etat, surtout en France (conséquence de l'affaire Dreyfus entre autres). Dans les deux cas, le mouvement pacifiste, plus en Europe qu'aux États-Unis toutefois, est largement minoritaire dans l'opinion publique. 

   Yves SANTAMARIA, qui se centre sur la France, constate un regain des mouvements pacifistes vers la fin des années 1880. En 1889, a lieu dans le cadre de la commémoration du centenaire de la Révolution, la première Conférence interparlementaire et le Premier Congrès universel pour la paix. A lieu également l'Exposition Universelle qui célèbre les vertus de la civilisation blanche occidentale.

Le contexte s'est quelque peu clarifié après l'échec du boulangisme et dans le système de la Troisième République, la droite ancre le noyau dur du nationalisme tandis que la gauche développe une idéologie où le nationalisme fait figure d'hostilité à la République. Tout cela dans une "ambiance" dont les manifestations publiques mentionnées auparavant, donne un large écho dans le monde des entrepreneurs, des affairistes, et des politiciens : l'heure est au développement du commerce contre les perspectives de guerre. Même si ailleurs, en Afrique et en Asie notamment, les nations européennes se livrent à des guerres plus ou moins chaudes, on évite de parler de ces conflits dont l'Europe stricto sensu doit être sauvegardée... Dans cet univers mondain, qui nage souvent dans l'opulence, la Suisse faisant souvent office de cadre politico-hôtelier, s'élabore des projets plus ou moins construits d'Association européenne, encouragée par ailleurs par toute une frange des capitalistes industriels américains. Ce qui n'empêche pas l'existence dans ce pacifisme-là des frictions, bien visibles lorsqu'il s'agit de projets très concrets... 

Union parlementaire, Congrès international de la paix, Ligue des catholiques français pour la paix (fondée en 1909) constituent autant de structures où gravitent des personnalités pacifistes, qui cherchent constamment des relais dans la presse, et parfois (mais y échoue) tente de s'approprier un titre (rachat de L'indépendance belge par des pacifistes français en 1895). Entre une génération de "pacifistes professionnels" fortement influencée par les méthodes propagandistes anglo-saxonnes, de partisans de la Paix par le droit, nettement plus sobres, qui se retrouvent souvent dans des missions d' enquêtes internationales sur certains conflits (Balkans...), des anticléricaux (Gaston MOCH), de fervents catholiques (Marc SANGLIER), des féministes (suffragettes et autres) très actives (Jeanne SCHMAHL, Marguerite DURAND...), des intellectuels(iles) amorçant la constitution de projets d'organisations internationales interétatiques, des humanitaires avant la lettre partagés entre neutralisme et interventionnisme dans des conflits lointains (débats que l'on retrouve ensuite souvent...), c'est tout un monde qui s'agite et qui parfois produit des prises de conscience. C'est tout un monde qui, également ne rencontre que peu, et en tout cas bien moins qu'avant 1871, un autre monde, formé d'antimilitaristes de différentes sortes...

Toute une littérature "anti-caserne", apparue avec l'imposition du service armé à des catégories traditionnellement exemptées, qui stigmatise et la vie de caserne et l'institution militaire elle-même (Lucien DESCAVES, encouragé par Émile ZOLA et Maurice BARRÈS...), suivie par toute une flopée d'oeuvres relevant du comique troupier (dans les arts comme en littérature) nettement moins corrosif, assoit l'activisme de nombreux groupes "d'extrême gauche" (animée par des critiques sociales) ou "d'extrême droite" (animée par des critiques sur le régime républicain)... L'antimiltarisme d'extrême gauche se nourrit des interventions militaires contre ce qu'une certaine presse nomme "l'ennemi intérieur", soit, mis dans le même sac manifestations  et propositions marxistes, menées anarcho-syndicalistes... Le tout sur fond de multiples grèves ouvrières où des syndicats comme la CGT s'activent... Lequel syndicat est traversé lui aussi par des débats sur le patriotisme et la lutte des classes. Se recouvrent mais ne s'y amalgament pas conceptions différentes du syndicat (autonomie contre sujétion au Parti) et discours antagoniques patriotiques et antimilitaristes. Les différentes tendances, ce qui permet aussi d'éviter trop de débats diviseurs, s'accordent sur le recours à la grève générale pour empêcher les la guerre, même si par ailleurs les débats à propos de l'Allemagne (et notamment de l'Alsace-Lorraine) suscitent bien des intégrations persistantes. On peut considérer d'ailleurs, qu'à part de fortes contributions (d'auteurs qui opèrent parfois des revirements certains, voir le parcours d'un Jean JAURÈS ou d'un Jules GUESDE) en faveur d'un antimilitarisme de classe conséquent, qui imprime au socialisme  une totalité pacifiste réelle, à chaque crise se révèle la faiblesse d'un soubassement intellectuel et politique : l'affaire Dreyfus (où se mêle un débat contre ou pour les Juifs...) et surtouts crises européennes qui mène à la Première Guerre Mondiale montrent une très grande dispersion des opinions. Ce n'est qu'après la Grande Guerre que se solidifient les opinions pacifistes et bellicistes, avec d'ailleurs un revirement du climat général. Alors que de la guerre franco-prussienne à l'orée de cette pseudo dernière guerre; le climat est plutôt belliciste et agressif, après celle-ci, les mouvements pacifistes prolifèrent au sein d'une opinion publique qui rejette la guerre. 

 

     Nadine-Josette CHALINE, qui étend plus son propos à l'ensemble de l'Europe, dresse à peu près le même tableau. Pacifisme juridique, pacifisme chrétien (avec le rôle actif du Vatican) avec son développement particulier en France à travers un pacifisme catholique d'une part, socialisme, syndicalisme et pacifisme d'autre part alimentent certains débats sans que ceux-ci mordent réellement sur les évolutions. A part pour l'un diverses rencontres internationales, relayées par certains hommes d'État, premiers essais d'organisation internationale (conférences de La Haye DE 1889 ET 1907), et pour l'autre, même notre auteure ne le mentionne pas, une très forte polarisation politique en Allemagne et des effets importants en Russie, qui tout de même influent fortement sur l'évolution de la Grande Guerre et les événements immédiatement postérieurs... Pour ce qui est des espoirs d'organisation internationale, la Grande Guerre balaie réellement tout un monde pacifiste, et c'est seulement quand l'Europe en sort enfin que de nombreuses de ses idées sont reprises au niveau de États. Pour ce qui est de la place du socialisme dans les débats, les années 1920 et 1930 sont marquées dans de nombreux pays européens par la montée politique et armée des organisations qui, pour l'essentiel, ne font plus de la question de guerre et de la paix en général, un élément fondamental de leurs prises de position. La question sociale l'emporte, avec de fortes variantes; dans le mouvement marxiste. 

 

Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015. Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. 

 

PAXUS

 

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2 juin 2018 6 02 /06 /juin /2018 10:11

       Quand on discute de recueillement après une guerre, on pense surtout aux diverses manifestations, officielles ou non, qui ponctuent l'anniversaire de l'hécatombe de la Grande Guerre. On oublie alors le développement de ce qu'on peut appeler un pacifisme de recueillement, même en cas de guerre gagnée, mais décidément massif plutôt après une guerre perdue, pacifisme qui couvre dans un premier temps les discours de revanche, pour s'atténuer d'année en année, et laisser place le plus souvent à des ressentiments qui s'expriment de plus en plus sur le mode cocardier et menaçant... Que ce soit France pour "récupérer" l'Alsace et la Lorraine dans les premières années de 1900 ou en Allemagne pour se venger et faire justice du Traité de Versailles dans les années 1920 et 1930... Avant ces périodes, ce pacifisme du recueillement apparait devant le choc de tant de destructions et de pertes de vie humaine.

      Mais c'est pourtant auparavant, à la fin de cette guerre de 1870-1871, qu'apparait en France dans toute son ampleur ce sentiment pacifiste, nommé le pacifisme de recueillement - qui pourrait être aussi qualifié de pacifisme de lamentations - comme le raconte bien Yves SANTAMARIA.

Mais cette sorte de pacifisme intervient dans un contexte qui ne rappelle en rien celui de la paix imposée après la guerres napoléoniennes.

Du point de vue social et économiques, les nouvelles forces qui travaillent le paysage politique, rebattent les cartes au sein du mouvement ou de la sensibilité pacifiste. De nouveaux clivages apparaissent et leur donnent des tonalités nouvelles. Avant cette défaite française, les mouvements révolutionnaires ou réformistes de la société façonnent la nouvelle configuration d'une manière au demeurant assez difficile à comprendre, pour qui ne connait pas le contexte et les méconnaissances réciproques des rapports de forces, tant sociales que nationales. Depuis la révolution de 1848 sont à l'oeuvre un certain nombre d'organisations anarchistes et socialistes, qui, malgré leur archi-minorité, et parce que concentrés là où le capitalisme industriel commence à dominer le paysage économique, interviennent dans la formation de l'opinion publique quant aux enjeux et aux agissements des gouvernements successifs. Plus le temps avance, plus le fossé se creuse entre marxistes et "bourgeois", bien plus au niveau idéologique que pratique.

Si cette tendance marxiste est minoritaire au sein de la section française de l'AIT, ce n'est pas le cas ailleurs, notamment en Angleterre et surtout en Allemagne. Le fond de la pensée marxienne à ce moment-là en 1870 est bien connu, et se retrouve dans la correspondance entre MARX et ENGELS :

"les Français, écrit-il, ont besoin d'une raclée. Si les Prussiens l'emportent, alors la centralisation du state power favorisera la centralisation de la classe ouvrière allemande. La suprématie allemande déplacerait en outre le centre de gravité du mouvement ouvrier aout-européen en le transférant de France en Allemagne (et) la suprématie qu'elle (la classe ouvrière allemande) a sur la classe ouvrière française serait en même temps la suprématie de notre théorie sur celle de Proudhon" (Correspondance, tome XI, Editions sociales, 1975). 

Ce passage éclaire sur les antagonismes croisés qui naissent alors entre Français et Allemands, entre gauche républicaine et droite monarchiste, entre pacifistes proudhoniens et militants socialistes... La position face à la guerre est largement conditionnée par les paramètres régime politique menant la guerre, rapport de forces militaires et conséquences envisageables du conflit, systèmes d'aillantes. Le paysage mental des Français face à l'invasion est alors parfaitement chaotique et les historiens ont en fait toutes les peines du monde, hormis quelques grands éclairages, à délimiter la succession des épisodes, d'autant plus que leur attention va bien plus vers la Grande Guerre que vers le première guerre franco-allemande. Mouvements de volontaires que les préfets ont du mal à équiper et armer, dissidences communalises, divisions de l'extrême-gauche entre jacobins et fédéralistes, vagues d'antimilitarisme contre le défaitisme supposé des officiers de l'armée, défaillances des troupes aux conditions matérielles catastrophiques et face à un contexte de débâcle (La belgique accueille des milliers de déserteurs...), élections donnant le pouvoir aux Républicains dans toute la France, insurrections patriotiques et communistes à Paris et dans certains grandes villes... Tout cela produit pour nous d'étranges configurations idéologiques... Ainsi, parmi les défenseurs de Commune, se diffuse un antimilitarisme patriotique...

    Les pacifistes comprennent que, contrairement à ce qui se passera en 1918, que s'ensuit un recul de l'audience de leurs thèses. Jusque dans les rangs fédéralistes, surgissent des espoirs, complètement détachés de toute analyse des rapports de force militaires, de France victorieuse. Victor HUGO produit un texte "Pour la guerre dans le présent et pour la paix dans l'avenir", qui reflète bien l'état d'esprit dans les milieux de la Ligue de l'enseignement et de la franc-maçonnerie. Cet état d'esprit fait hésiter de nombreux militants et dirigeants dans la priorité politique : qui l'emporte de la question sociale et de la question nationale?

Si dans la littérature (voir les écrits de Gustave COURBET, de Victor HUGO et de Edgar QUINET...) et dans la presse, se diffusent des thèmes d'antimilitarisme de classe, où l'armée bourgeoise fait figure de capitularde face à l'Allemagne, promis à de grands avenirs, les nouvelles conditions du service militaire, surtout adapté en fonction des guerres coloniales, la peur de la guerre européenne, les entreprises comme celle du général BOULANGER (qui portent la confusion à son comble), forme la toile de fond d'un pacifisme de recueillement, entre l'effroi des destructions constatées et des conditions nouvelles de la guerre et la volonté de ne pas provoquer la grande Allemagne (surtout que la Russie et l'Angleterre ne bougent pas en faveur de la France)... D'une certaine manière l'échec du général BOULANGER (de restauration d'une monarchie pacifiste) en 1889, clarifie les enjeux et prépare un nouveau contexte. celui d'une montée des nationalismes français et allemand. Contexte dans lequel s'inscrit le renouveau d'un autre pacifisme. Les pacifistes d'avant 1870 peinent à exister ou... à le rester réellement. Que ce soit pour Frédéric PASSY ou pour Jules BARNI, les temps sont alors loin du pacifisme et du fédéralisme européens...

 

Yves SANTAMARIA, le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015.

 

PAXUS

 

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24 mai 2018 4 24 /05 /mai /2018 11:44

    Yves SANTAMARIA et Nadine-Josette CHALINE effectuent à peu près la même périodisation des pacifismes en montrant les premiers d'entre-eux, en tant que corps de pensée et mouvement d'opinion à la fois, naissant autour de 1815, soit après les guerres napoléoniennes qui ont marqué les esprits à la fois par l'importance des régions touchées et par le nombre d'hommes impliqués dans ces conflits armés. Que ce soit en France où la prise de conscience des désordres et destructions va de pair avec une grande désillusion concernant l'Empire, ou en Angleterre où par bien des aspects ces guerres ont entravé le commerce et le capitalisme industriel naissant, des mouvements d'opinions, relayés au niveau politique dans la Monarchie reconstituée (France) ou dans le Parlement (Angleterre) naissent et se confrontent aux bellicistes ou aux revanchards de tout bord (que ce soit en France pour les nostalgiques de l'Empire ou en Angleterre pour les partisans d'un retour en arrière monarchique pur et simple sur le continent). Les clivages sont complexes en France dans cette paix imposée, laquelle induit pratiquement un "pacifisme" imposé. C'est un type de pacifisme que l'on retrouve souvent au sortir d'une guerre, et qui se caractérise par une grande part d'opportunisme, quoique une minorité se situe sincèrement dans des lignées philosophiques pacifistes (kantiennes notamment)

Par ailleurs, aux Etats-Unis, naissent des mouvements pacifistes qui prennent de l'ampleur, jusqu'à la guerre de Sécession, à la fois sur le thème de diffusion de la paix dans la sphère chrétienne et, avec des contrastes, sur le thème de la lutte contre l'esclavage des Noirs.

     Ces deux auteurs, qui étudient surtout la situation en Europe, en France notamment, considèrent cette première "génération" des mouvements pacifistes nés autour de 1815, se terminant à la guerre 1870-1871 entre la Prusse et la France, ceux-ci se fracassant littéralement sur elle.

    Enfin, au sein de ce pacifisme européen, français encore une fois surtout, des clivages nets commencent vite à surgir entre les pacifistes romantiques surtout soucieux d'une paix favorable au commerce et à l'industrie et les pacifistes socialisants ou sympathisants socialistes. Tout un débat traverse d'ailleurs des organisations ouvrières elle-mêmes, dans une thématique entre antimilitarisme et pacifisme dont les termes sont eux aussi complexes. C'est surtout vers le milieu du siècle que ce débat commence à devenir important. 

    A noter, comme le rappelle Yves SANTAMARIA, que le mot pacifisme lui-même commence à être utilisé, d'abord de manière éparse, en 1845, puis de manière courante à partir de 1901. D'ailleurs son adoption par les partisans de la "Paix par le Droit", adeptes de l'arbitrage international vise alors à se démarquer de l'"extrême gauche" antimilitariste et à écarter le reproche d'antipatriotique, asséné par la presse nationaliste. C'est que, dès le départ, l'idéologie pacifique, apparue en Angleterre à l'issue des guerres napoléoniennes, est à cette date essentiellement véhiculée par des personnalités sociologiquement bourgeoises, sinon aristocratiques, et politiquement libérales. Lesquelles se trouvent confrontées directement, au tournant du siècle, aux idéologies naissantes des divers partis se réclamant de la classe ouvrière. Au tournant du siècle, au prisme pacifiste/nationaliste, dans un contexte de défaites militaires (France) se substitue le prisme bourgeois/capitaliste, avec une force qu'aujourd'hui on  a un peu oublié. Au tournant du siècle en France s'oublie peu à peu le contexte de paix imposée, et après la défaite de 1871, on ne retrouve pas de manière aussi dramatique ce sentiment. Une autre période s'ouvre, avec notamment les "péripéties" coloniales et les conflits sociaux. Si Yves SANTAMARIA s'intéresse presque exclusivement au cas français, Nadine-Josette CHALINE se situe plus au niveau européen, vers toutes ces mouvances qui veulent "empêcher la guerre".

 

Le cas français du "pacifisme imposé".

  Il est clair, et cela se vérifie en d'autres circonstances historiques, que ce pacifisme-là, tout d'opportunité parfois, se développe en période de post-défaite militaire, tant pour montrer aux adversaires passés une volonté de pacification afin de sauver ce qui peut l'être que pour construire une idéologie qui met l'accent sur les malheurs de la guerre en soi. Les leçons de l'histoire des disparitions et des destructions veulent alors être tirées par des fractions de l'opinion publique, celles qui souvent relèvent la tête après des années de censure militaire, voire d'oppression intérieure, qui de manière profonde, ont refusé les objectifs et/ou les moyens de la guerre. 

    Pendant que les premiers groupes pacifistes organisés voient le jour en Angleterre, prenant une partie de l'espace public permis par une Monarchie constitutionnelle qui admet même l'expression d'un discours anti-guerre, la France de la Restauration qui présente comme sa voisine une liberté d'expression à un niveau inégalé ailleurs, laisse éclore de semblables groupes, notamment dans un milieu mixte aristocratique-bourgeois. De nombreux sentiments s'expriment dans cet espace public, où se répartissent suivant les sensibilités soif de paix de monarchistes rentrés au pays et nécessité, même pour des sympathisants de la Révolution voire de l'Empire, de montrer à l'ensemble de l'Europe, de montrer que le bellicisme français de presque vingt ans auparavant n'est plus menaçant. Il se diffuse un "pacifisme d'État" qui rejoint d'ailleurs les réticences de la population vis-à-vis de la conscription, ce qui en 1818 aboutit à un service long restreint à une faible partie des mobilisables. Ce qui permet d'ailleurs de faire baisser les taux de désobéissance de 50% pendant l'Empire à 7% en 1830, taux qui ne cesse de baisser encore ensuite.  

Pour beaucoup de libéraux par ailleurs, et cela rejoint le sentiment des pacifistes anglais, le temps du commerce est venu, qui doit évincer les antiques valeurs guerrières. La force de cette paix dictée, en tout cas dans l'espace européen, dont les termes évoluent avec le temps (valsant de droite à gauche et de gauche à droite de l'échiquier politique parlementaire), perdure jusqu'au Second Empire et même jusqu'à la fin de ce régime. Dans cette perspective, l'arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte constitue une sorte de pivot au-delà duquel va décliner l'esprit pacifiste, tant dans l'opinion publique que dans les instances parlementaires et de l'exécutif. A l'intérieur comme à l'extérieur des différents groupes pacifistes français - lesquelles se trouvent parfois en correspondance avec leurs pendants anglais - cette évolution est visible incarnée par des figures que l'on retrouve, de régime en régime, jusqu'en 1871.

Les libéraux du commerce contre la guerre se retrouvent notamment dans la "Société de la morale chrétienne" fondée en 1821 par le duc de LA ROCHEFOUCAULT-LIANCOURT, avec la participation de  LAMARTINE, BROGLIE, GUIZOT et Benjamin CONSTANT. On retrouve leurs idées notamment dans les écrits de Jean-Baptiste SAY (Économie politique, 1826). Dans ce foisonnement intellectuel émerge surtout la figure du comte Claude Henri de Rouvroy de SAINT-SIMON, disparu en 1825 en laissant une oeuvre qui se diffuse énormément après sa mort. La pacification des rapports entre les Etats et les peuples européens, occidentaux car des ponts existent avec les intellectuels outre-Atlantique, même s'ils sont loin de partager cette perspective, justifie le maintien d'une armée technicienne et réduite afin de diffuser dans le monde le miracle blanc. L'expansion coloniale recycle d'une certaine manière le bellicisme tant dans les individus que dans maints destins individuels. Les grandes figures du romantisme littéraire alimentent ce pacifisme conservateur de la société : Alfred de VIGNY (1797-1863), Lamartine (1790-1869) et aussi Victor HUGO, même si celui-ci exprime un esprit plus social. Ils se retrouvent avec leurs "collègues européens" dans des Congrès de la Paix (le premier est de 1849) dont le programme d'études (et les proclamations) vont dans le sens de la propagation du progrès occidental, progrès dont les termes sont souvent noyés dans la rhétorique pacifiste, tellement les divergences idéologiques s'amplifient au tournant de 1870, et émergent, parfois très brutalement, depuis au moins la révolution de 1848... Même si les écrits d'Auguste COMTE (notamment le Système de politique positiviste, 1851-1854) sont considérés comme une référence, les opinions ne peuvent être que différentes entre un GARIBALDI héros de la construction nationale italienne, l'anarchiste BAKOUNINE et le Père GRATY, oratorien...Les rapprochements, concrétisés par leur participation à ces Congrès de la paix irritent au plus haut point d'autres, plus orientés vers la défense des classes miséreuses, tel Karl MARX...

Ce pacifisme officiel et contraint, imposé en quelque sorte par la situation internationale devient de plus en plus difficilement tenable, et même Louis-Napoléon BONAPARTE, et ses initiatives de répression de la liberté de pensée, ne peut, surtout après son coup d'état de décembre 1851, instaurant le Second Empire, marie difficilement une diplomatie pacifiste et des démonstrations de force militaires tant dans les colonies qu'en Europe même. Si les idées sont que l'Empire, c'est la paix et que les nationalités satisfaites cimentent la paix, il résiste mal (ce pacifisme-là) à la fois au positionnement dans des conflits (1866, guerre entre Prusse et Autriche). D'ailleurs l'engagement en 1866 dans un nouveau système de conscription (instauration d'un service obligatoire, qui suscite une remontée des désobéissances), et dans une politique d'opposition de plus en plus frontale avec la Prusse, précipite une évolution vers la fin d'un consensus pacifiste, déjà mis à mal au sein même des groupes pacifistes qui reçoivent de plein fouet l'antagonisme entre un pacifisme bourgeois et une pacifisme antimilitarisme ouvrier. La montée des luttes ouvrières est concomitante d'une faiblesse de l'opposition populaire au conflit franco-prussien. Si cette opposition existe, ce n'est pas elle qui tient le haut du pavé de la presse ou de l'érudition intellectuelle, c'est plutôt la confrontation entre les partisans de l'ordre bourgeois et les ceux d'un changement plus ou moins radical de société. La défaite française de 1870, et encore plus les événements de la Commune de 1871, comme toute défaite dans ces conditions, signe bien la fin de ce consensus de pacifisme imposé. Au sein du paysage pacifiste, c'est bel et bien d'autres façons de concevoir la paix qui l'emportent, dans un climat de guerre civile sociale, ressenti surtout dans les grandes métropoles (Paris, Marseille...). Les solidarités entre groupes nationaux pacifistes s'expriment  ensuite sur le fond et sur la forme d'une autre manière. 

 

Le cas européen d'un "pacifisme contraint"

      D'une certaine manière, les débats du siècle des Lumières (autour notamment du Projet de paix perpétuelle d'Emmanuel KANT) interrompus par la Révolution et l'Empire français, reprennent. Mais dans un contexte politique complètement nouveau, et non plus dans la perspective d'une Europe des progrès techniques, moraux, politiques... Mais dans une Europe sous la contrainte de Monarchies qui espèrent un retour à l'ordre ancien, et parfois au-delà même des relations sociales du XVIIIe siècle. 

Le pacifisme officiel imposé de l'extérieur comme de l'intérieur du territoire français favorise l'éclosion de groupes dont certains sont alimentés par des influences de pacifistes américains et anglais. De la Peace Society fondée en 1816 par le quaker William ALLEN en Grande-Bretagne, à la Société de la morale chrétienne fondée en 1821 par le duc de LA ROCHEFOUCAULT-LIANCOURT, en passant par des groupes en Europe du Nord et en Suisse, ce sont quelques cénacles qui débattent de la paix dans la première moitié du XIXe siècle, et souvent il s'agit d'un pacifisme fortement teinté de christianisme. Ces groupes sont en relation régulière entre eux, et évoluent dans un espace intellectuel très attentif aux questions de la guerre et de la paix, de manière théorique mais aussi de manière très concrète. Dans les années 1840, parallèlement à l'activité d'un pacifisme romantique (nombreuses oeuvres littéraires), paraît une série d'ouvrages, souvent marqué par le saint-simonisme. Souvent, une fédération des États européens apparait comme le meilleur moyen d'éviter la guerre entre les pays réunis dans une même organisation, idée qui se diffuse dès le Congrès de Vienne qui établit les conditions de la coexistence des États monarchiques en Europe. On peut citer parmi ces ouvrages, ceux de Gustave d'EICHTHAL (De l'unité européenne, 1840), de Gustave PECQUEUR (De la paix, de son principe et de sa réalisation, 1842), de Ph.-René MARCHAND (Nouveau projet de paix perpétuelle, 1842), du capitaine F. DURAND (des tendances pacifiques de la société européenne et du rôle des armées dans l'avenir, 1841)... Mais ces débats ne touchent que quelques cercles restreints d'intellectuels, et l'opinion publique comme la population ne réagit que lorsqu'il est question de modifié les conditions du recrutement des armées...

C'est pour donner une certaine ampleur à leurs réflexions qu'à l'initiative des Anglo-Saxons, plusieurs intellectuelles organisent des Congrès de la paix, qui s'échelonnent de 1843 à 1851. Dans l'une ou l'autre capitale, à commencer par Londres, ils donnent l'occasion d'élaborer des proclamations européennes. On y retrouve les noms déjà cités auparavant, plus et de manière de plus en plus diversifiée, des représentants de nombreuses nationalités, des Russes, des Italiens, des Français... Mais la presse en général n'y accorde qu'une attention polie et sceptique, même si la présence d'économistes réputés donnent une aura de crédibilité à leurs propositions. L'élan que ses initiateurs voulaient donner s'essouffle assez vite et des dissensions  lors des Congrès empêchent ces Congrès de produire autre chose que de grandes déclarations générales. Les différentes préoccupations des personnalités présentes, chacun très marquée par l'évolution propre à son pays, empêchent toute dynamique.

La vigueur de ces différents groupes et sociétés de paix renaît dans les années 1860, surtout à partir de 1866 et de la défaite de l'Autriche face à la Prusse, dont la puissance militaire et la volonté de jouer un rôle en Europe s'affichent désormais, et également lorsque NAPOLÉON III tente de rattacher le Luxembourg à la France (1867). Le regain de la répression sur les oppositions à l'Empire suscite, favorise en ricochet, tant les réseaux d'information et de diffusion de la pensée échappent aux dictats de régimes par essence conservateurs, la naissance d'un pacifisme "républicain" en France, mais aussi ailleurs en Europe. Ainsi Frédéric PASSY fonde en mai 1867 la ligue Internationale et permanente de la Paix (avec Michel CHEVALIER, le maire de Mulhouse DOLFUS, des pacifistes belges comme VISSCHERS, un oratorien, le Père Alphonse GRATRY, les Abbés PERRAUD), laquelle professe le respect des Églises.

Devant les menaces de guerre de plus en plus pressantes, d'autres pacifistes, très opposés à NAPOLÉON III et en désaccord avec l'orientation donnée par PASSY à son organisation, fondent à Genève, en 1867, la Ligue Internationale pour la Paix et la Liberté. Ceci dans la foulée de l'idée de réunir de nouveaux Congrès de la Paix. Dans la préparation et dans le déroulement de ce Congrès de 1867, se retrouvent des personnalités, nettement plus orientés vers les préoccupations sociales, voire ouvrières : l'ouvrier ALBERT, Edgard QUINET, Victor HUGO, Hyppolyte CARNOT, Jules FAVRE, Jules SIMON, Ferdinand BUISSON, Camille PELLETAN, Charles LEMONNIER, Louis BLANC, Jules VALLÈS, Elie et Elisée RECLUS...Sous la cheville ouvrière de ce Congrès qui a lieu à Genève, Jules BARNI se démène pour ouvrir ce Congrès à toutes les tendances de la gauche en Europe, et notamment à l'Association Internationale des Travailleurs née trois ans plus tôt à Londres, qui tient dans la même ville son propre Congrès; Sans doute parce que de parcours intellectuels et professionnels similaires, on peut retrouver dans des Congrès de la paix, tout ce que le monde politique d'alors compte de révolutionnaires, d'agitateurs et de militants socialistes. En en nombre conséquent, puisque près de 6 000 personnes sont inscrites à ce Congrès de la paix de 1967. Les débats ressemblent parfois à des tumultes et quelques grandes figures nationalistes comme GARIBALDI s'en font une véritable tribune, pas très soucieux de l'efficacité de la nouvelle organisation de paix qui émerge. D'ailleurs, très vite, le vie de la Ligue internationale de la Paix et de la Liberté se révèle difficile, ponctuée de crises, car les différents membres, s'ils sont favorables à la sauvegarde de lapais, sont le plus souvent en désaccords sur les moyens à mettre enoeuvre pour y parvenir. Mêlant perspectives pacifistes et projets politiques, libéraux, radicaux, anarchistes et socialistes s'opposent sur de nombreux points, ce qui conforte d'ailleurs l'attitude de leaders socialistes (notamment marxistes) de se mettre à l'écart de telles organisations qui n'ont que pour seul objectif d'éviter la guerre. D'autres Congrès suivent en 1869 et en 1870, mais devant les divergences, beaucoup, surtout de gauche, quittent la Ligue. On débat de la disparition des armées permanentes, de la séparation des Églises et de l'État, du principe fédératif... sans parvenir à conclure de manière satisfaisante. Tous ces débats se fracassent sur la guerre de 1870... Pourtant, parce qu'ils sont loin d'être seulement français ou anglais ou encore allemand (avant la lettre), ces débats reviendront ensuite sur le devant de la scène, dans un autre contexte encore, et cette fois plus du tout sous l'obligation (ou même parfois la terreur) de la paix imposée ou contrainte.

L'invasion de la France, la défaite de l'Empire, les conditions de cette défaite rebattent non seulement les cartes des débats mais aussi le spectre des convictions. Des hommes de la Ligue (re)deviennent nationalistes, anti-allemands. Le patriotisme rugissant des institutions et de la population contraint à un repli de tous ceux qui refusent de se laisser entrainer dans la haine. Frédéric PASSY tente dès 1872 de reprendre son combat pour l'établissement d'une paix stable, mais doit transformer sa ligue "internationale" en Société française des Amis de la Paix. L'idée de supprimer l'armée ne s'exprime plus, elle est suspecte. Et ce n'est qu'à la fin des années 1880 que se manifestent à nouveau les groupes pacifistes. 

La guerre de 1870-1871 voit s'établir un schéma qui se reproduit, dans quasiment tous les pays européens, en 1914-1918 et en 1939-1945 : le combat pour la liberté passe avant le combat pour la paix, mis entre parenthèses. Seulement, le climat de paix imposée ne vaut plus. Un nouveau paradigme, malgré et à l'intérieur des conflits armés, se met lui aussi en place : les luttes de classes vont interférer avec les luttes contre la guerre, leur donner un teint nouveau et mêmes des orientations nouvelles... Les événements de la Commune marquent ainsi de nouvelles fractures - et bien au-delà de la France - et ouvrent de nouveaux enjeux, que même sa défaite n'effaceront pas.

 

Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, Le pacifisme du début du XIXe siècle à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Encrage Éditions, 2015.

 

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