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24 février 2016 3 24 /02 /février /2016 08:46

L'addiction n'est entré pleinement que relativement récemment dans la littérature psychanalytique.  Dans le monde anglo-saxon d'abord, puis francophone ensuite, les addictions sont l'objet d'études de plus en plus nombreuses.

Sigmund FREUD n'a consacré aucun texte à l'addiction. Il écrit dessus de manière éparse sans s'y étendre, même s'il le fait relativement tôt dans ses recherches. Il y fait allusion par exemple dans son étude sur l'hypnose (le besoin primitif. Il n'y a donc pas de modèle commun des addictions chez le fondateur de la psychanalyse. A de MOJILLA et S SHENTOUB recensent ses lignes éparses sur la question dans leur ouvrage Pour une psychanalyse de l'alcoolisme. Par contre, ses successeurs se sont, souvent de manière peu systématique, penché sur les addictions. On peut cité :

- Karl ABRAHAM (1908) fait une étude sur l'addiction à l'alcool.

- Sandor RADO (1933) met en relation les addictions avec une régression à l'enfance.

- Otto FENICHEL (1945) développe le concept d'addiction comme une régression à des stades infantiles, et les descriptions qu'il fait de l'alcool comme diluant du SurMoi sont particulièrement intéressantes.

- Herbert ROSENTHAL (1965) évoque les tableaux maniaco-dépressifs qui sous-tendent les addictions, et relie également cela au narcissisme pathologique du Self.

- Daniel WINNICOTT (1951) rattache les addictions à une pathologie de la transitionnalité. A l'occasion, l'objet transitionnel devient concret, est "fétichisé". 

David ROSENFELD écrit pour cerner l'addiction "non chimique" : "Un nouveau type d'adiction a pris une importance croissante dans le comportement des jeunes dépendants à l'égard des ordinateurs et des jeux video. Les personnages du jeu video, vus à l'écran, deviennent une projection des liens et fantames du monde intérieur du sujet. Ce processus peut se comparer à un gant retourné : au lieu d'être à l'intérieur du patient, l'esprit est évacué sur l'écran.

Il est des cas d'addiction aux jeux video qui se caractérisent par des niveaux très sévères de dépendance psychopathologique, au point de nécessiter parfois une hospitalisation en psychiatrie (2001). Dans des cas sévères, les patients sont incapables d'abandonner le jeu video et d'arrêter de jouer.

Voilà à quoi peut ressembler un modèle théorique visant à expliquer cette condition. Les personnages des jeux video sont vécus comme "concrétisations psychotiques", comme s'ils étaient de vraies personnes dans le monde intérieur ou la vie réelle du sujet. Dans ces jeux video où il est question de bagarres, d'attaques, d'exploisions, de haine, de batailles et de meurtre, il arrive souvent qu'un personnage cherche à se venger et que le patient ne puisse faire la part des choses entre l'imagination et la réalité. Cela le force à rester devant l'écran jusqu'à ce qu'il ait l'impression d'avoir neutralisé, vaincu ou tué les personnages vindicatifs ou persécuteurs du jeu.

Les adolescents qui ont ouvert le feu sur leurs camarades d'école ou des passants dans la rue (on va vu des meurtres de ce genre aux Etats-Unis, en Allemagne et en Argentine) étaient tous des jeunes qui parssaient parfois plus de dix heures par jour à regarder des jeux video extrêmement violents. Naturellement, entrent aussi en jeu des états psychopathologiques personnels très sévères et des pathologies familiales extrêmement graves."

 

     Mathilde SAÏET explique pourquoi Sigmund FREUD a peu écrit sur l'addiction. "Freud a souvent été considéré comme porteur "d'une tache aveugle" sur la question des addictions (J-P DESCOMBEY, notamment dans Freud et les toxiques. De la tache aveugle à la "théorie chimique", dans Topique, LVI, 1995). De par justement, sa propre addiction au tabac, mais surtout, en raison d'une culpabilité latente à propos de "l'épisode de la cocaïne" (E JONES). Freud, ayant entrepris une recherche de son action thérapeutique, l'avait en effet administrée à son ami/rival Ernst von FLEISHL afin de le désaccoutumer de son addiction à la morphine, ce qui entraina une intoxication chronique et hâta sa mort. C'est son collègue Karl KÖLLER qui poursuivit ses travaux et à qui l'on attribue la découverte des propriétés anesthésiques de la cocaïne. Cet "épisode" fut difficile à surmonter pour freud, à tel point que la cocaïne vint à hanter ses rêves : à plusieurs reprises, particulièrement dans le rêve de L'injection faite à Irma ou dans celui de la Monographie botanique, Freud est réticent à poursuivrre ses interprétations ou avertit le lecteur qu'il ne continuera pas dans cette direction. Le silence des psychanalystes jusqu'à un période récente vis-à-vis des addictions pourrait d'ailleurs s'expliquer (DESCOMBEY), par une forme de continuité de cette réticence freudienne première. les difficultés de classification nosographique, ainsi que celles rencontrés avec ce type de patients dans la cure (...) se sont chargées d'accentuer les réserves des psychanalystes quant à leur intérêt pour les addictions". Il faut dire aussi qu'à contrario l'étude plus ancienne des addictions par la psychiatrie américaine constitue un bon moyen pour elle d'éviter de discuter de sexualité comme paradigme de la vie personnelle, tout en abordant quantité de symptômes et de dysfonctionnements...

"Si la question des addictions n'a pas été directement abordée par Freud - le terme, d'ailleurs, n'a pas de traduction littérale en allemand -, on peut quand même identifier l'utilisation de certains termes qui s'y rapportent. Ainsi, dans "Le traitement psychique", Freud évoque les "habitudes morbides" qui regroupent l'alcoolimse, le morphinomanie et les aberrations sexuelles, selon une conception conforme à celle de son époque. Il emploiera par la suite plusieurs termes comprenant la racine wohnen, notifiant quelque chose de quotidien et de familier, devenu habituel, ordinaire. Le terme qui se rapprocherait le plus aujourd'hui de l'adjectif "addictif" serait issu de cette racine wohnon, souvent traduite par "accoutumance", au sens du terme anglais habituation (JACQUET et RIGAUD, Propos critiques sur les notions d'addiction et de conduites de dépendance - entre lieu commun et chimère, dans Dépendance et conduites de dépendance, sous la direction de Daniel BAILLY et Jean-Luc VENISSE, Masson, 1994). Freud utilisera également les termes Abhängigkeit, la "dépendance" à proprement parler, ainsi que Sucht (...), terme pouvant assez bien définir en allemand les procédés addictifs - d'ailleurs, parfois traduit par "addiction" - et qu'il est possible de transcrire en français par les termes "besoin", "appétit", "passion", "addiction", et enfin "dépendance", sans que cette dépendance renvoie à un besoin pshysiologique, mais qui correspondrait plus à une forme d'appétence, dont l'absence d'assouvissement expose au malaise. Il reste le terme le plus proche de celui d'adiction, en particulier pour définir les figures cliniques qui composent aujourd'hui le spectre addictif. Ainsi, Süchtigkeit révèle l'existence  d'un processus addictif pris dans un sens plus large que celui qu'on réserve habituellement aux toxiques. Les "habitudes morbides" désignent une première tentative de regroupement de différentes dépendances, alors que les termes Sucht et Anhängigkeit servent plutôt à définir la dépendance en tant que processus. On notera que le terme Anhängigkeit, littéralement, "prendre à" et renvoyant à l'expression populaire française "être accro", est surtout employé par freud dans le registre du lien maternel (...). 

On ne trouve pas de véritable modèle commun des addictions chez Freud, qui cherche davantage à en indiquer les différentes fonctions. Pourtant, certains questionnements seront précurseurs de ceux qui recouvrent la clinique contemporaine : s'agit-il d'une dépendance à des produits externes qui empoisonnent le corps ou d'une addiction à des états mentaux immatériels, à des activités? Dans La Malaise dans la culture, l'inteoxication par introduction d'une substance est ainsi définie comme un état de plaisir analogue à celui qu'on peut trouver dans l'état de manie. On voit que, même si la notion d'addiction est absente de l'oeuvre freudienne, les réflexions qui jalonnent ses textes peuvent servir de prémisses aux théorisations actuelles."

    Dans le courant psychanalytique très divers actuel,  Mathilde SAÏET indique plusieurs thèmes faisant l'objet d'études soutenues :

- La dépendance originelle (J-L PEDINIELLI, Corps et dépendance, dans Dépendances et conduites de dépendance, Masson, 1994 ; inspiré par WINICOTT, Joyce MCDOUGALL, Théâtre du Je, Gallimard, 1982 ; Philippe GUTON, Pratiques de l'incorporation, dans Adolescence II, 1984) ;

- Le besoin (P AULAGNIER, Les destins du plaisir, PUF, 1979 ; F GANTHERET, La haine en son principe, dans Revue française de psychanalyse, n°33, 1986...). Pour J LAPLANCHE, les processus vitaux sont d'emblée infestés par l'ordre sexuel. Le rbattement sur le besoin serait un tentative (désespérée) de "désexualisation du corps" (voir aussi PEDNIELLI, op cit) pour que, réduit à l'état de simple besoin, celui-ci ne puisse exister qu'en fonction de l'intensité d'une sensation.

- Une quête d'indépendance (Philippe JEAMMET, Psychopathologie des conduites de dépendance et d'addiction à l'adolescence, dans Cliniques méditerranéennes, n°47-48, 1995) ; Odile LESOURNE, Le grand fumeur et sa passion, PUF, 1984 ; Bertrand BRUSSET, Psychopathologie de l'anoxerie mentale, Dunod, 1998). La fuite de la confrontation avec l'autre dans une pratique, la fuite devant l'insupportable de la dépendance psychique extérieure dans un objet "auto-administré". La conduite addictive, en tant que quête d'affranchissement de la dépendance affective, induit une autre forme de dépendance qui en prend le relais et la renforce paradoxalement, dans un processus circulaire (BRUSSET). 

- Destructivité et fantames ordaliques (Markos ZAFIROPOULOS, L'inconscient toxique. Surmoi, dépendance et figures du cauchemar, dans l'Inconscient toxique, sous la direction de ZAFIROPOULOS, CONDAMIN et OLLIVIER, Anthropos, 2001 ; Aimé CHARLES-NICOLAS, Addiction : passion et ordalie, Le psychanalyste à l'écoute du toxicomane, sous la direction de Jean BERGERET, Dunod, 1981 ; Marc VALLEUR, Les chemins de l'arodalie, dans Topique, n°107, 2009).

- Un acte-symptôme. L'addiction comme solution psychosomatique plutôt que solution psychique à la souffrance. 

- L'adolescence. Les addictions s'inscrivent au coeur de l'adolescence. Représentant une rupture nécessaire envers la dépendance aux objets parentaux, dont la procimité est devenue dangereuse du fait de l'avènement de la puberté et d'une réactivation oedipienne, certains auteurs considèrent l'adolescence, dans son ensemble, comme un processus d'aménagement de la dépendance (voir ainsi P JEAMMET et P AULAGNIER, op cit).

 

Mathilde SAÏET, Les addictions, PUF, Que sais-je?, 2015. David ROSENFELD, addiction "non chimique", dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Grand Pluriel, Hachette Littératures, 2005.

 

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17 avril 2015 5 17 /04 /avril /2015 13:09

      Steve ABADIE-ROSIER donne une place à part à l'abréaction dans les mécanismes de défense. L'abréaction est la libération d'affects accompagnant la survenue ou l'évocation d'un événement traumatique. Spontanée ou provoquée par l'hypnose ou la suggestion, elle entraine une catharsis qui permet de lever le refoulement du souvenir traumatique ou qui s'oppose à sa constitution. Sigmund FREUD propose dès 1893 de traiter les hystériques traumatiques par la méthode cathartique, par la verbalisation de l'expérience traumatique dans sa globalité, sans imposer d'interdit ni de moratoire pour son versant émotionnel. 

"L'abréaction invite le patient à se remettre mentalement dans la situation du traumatisme et lui permet de re-évoquer l'expérience vécue, en toute spontanéité, sans aucune censure afin d'établir des associations mentales. Cette libération d'affects, attenants au trauma, lors de la résurgence du moment traumatique, facilite les associations symboliques et significatives chez le patient afin qu'il puisse enfin les assimiler." FREUD faisait déjà remarquer que l'évocation d'un instant traumatique passé, à la différence de récits préparés et construits "à froid", s'accompagne de toute la charge d'affects, dûment corrélés au traumatisme, en rappelant que les affects étaient resté jusqu'ici coincés (c'est-à-dire non abréagis).

"A l'instant précis où survenait le traumatisme, le sujet, pris au dépourvu, n'avait-il en effet pas déchargé ses affects dans l'action ni par la représentation mentale. A l'inverse, d'autres sujets, qui ont pu réagir immédiatement par le geste, des pleurs ou la représentation mentale à un même traumatisme, ont pu se préserver de l'effraction traumatique. Cette libération d'affects, différée et brutale, provoque une "abréaction émotionnelle" (ou une reviviscence de l'événement assortie de toute la charge affective inaugurale), qui procure du soulagement. Cependant, l'expérience montre que ce soulagement n'est que provisoire si les questions du sens et de l'assimilation du trauma n'ont pas été résolues. Le patient est alors sujet à des abréactions répétées, sans amélioration de son être, selon l'accumulation des tensions créées par la persistance des affects pathogènes.

Pour être efficace, l'abréaction doit non seulement porter tout le quantum d'affects attenant à l'événement traumatisant, mais également permettre des associations signifiantes véhiculées par le langage et "l'inscription du trauma dans le grand complexe des associations" afin qu'il soit assimilé par le patient. Autrement dit, la remémoration élaborée et non sa réminiscence brute, ainsi que son intégration dans le continuum de l'histoire de vie, doivent favoriser une assimilation du trauma et des affects attenants par le patient. C'est à cette seule condition que le patient ressentira non seulement le répit éphémère de post-décharge émotionnelle, mais également l'authentique catharsis, ou soulagement éclairé, apaisement de l'âme." Le clinicien, qui tire de son expérience l'inscription de l'abréaction dans les mécanismes de défense, rappelle également que FREUD est très explicite quant à l'autonomie du patient lors de cette réappropriation de l'expérience traumatique. Sinon, cette expérience traumatique, non abréagie et non dissociée, demeure comme un corps étranger dans le psychisme.

    Steve ABADIE-ROSIER classe l'abréaction comme mécanisme de défense dans une perspective dynamique pour utiliser, pendant la cure, les potentialités du psychisme. Ce mécanisme de défense est donc, à l'inverse de beaucoup qui mènent à des affections psychiques parfois graves, positif. Sa mise en oeuvre aide le psychanalyste dans son travail avec le patient. Toutefois, dans le corpus psychanalytique, l'abréaction est mis en valeur que dans une période précise de l'histoire.

C'est surtout dans Études sur l'hystérie que Sigmund FREUD détaille son mode opératoire. LAPLANCHE et PONTALIS écrivent également que "cependant la notion reste présente dans la théorie de la cure psychanalytique, pour des raisons de fait (présence, dans toute cure, à des degrés divers selon les types de malades, de manifestations de décharge émotionnelle) et pour des raisons de fond dans la mesure où toute théorie de la cure prend en considération non seulement la remémoration mais la répétition. Des notions comme celle de transfert, de perlaboration, de mise en acte, impliquent toutes une référence à la théorie de l'abréaction en même temps qu'elles conduisent à des conceptions de la cure plus complexes que celles de la pure et simple liquidation de l'affect traumatisant.

     Alain de MIJOLLA discute de la méthode cathartique. Mise au point par Joseph BRAUER avec sa malade Anna O en 1881-1882, cette méthode est théorisée ensuite par BRAUER et FREUD qui complètent la notion de catharsis par celle de l'abréaction : une quantité d'affects liés au souvenir de l'événement pathogène traumatisant n'a pu être évacuée par les voies normales physiques ou organiques, comme l'exige le principe de constance, et s'est trouvée coincée et détournée dans le somatique, situation à l'origine du symptôme pathologique. La thèse de FREUD selon laquelle le traumatisme à l'origine du déplacement de l'énergie vers le soma est toujours de nature sexuelle cause sa rupture avec BRAUER. De même d'ailleurs que les notions de résistance et de transfert développées ensuite par le fondateur de la psychanalyse. "Purgation cathartique et abréaction, si leurs effets sont toujours observables au cours d'une cure psychanalytique, ne constituent plus un but du traitement comme en 1895. Elles demeurent en revanche au premier plan de plusieurs techniques psychothérapeutiques, comme par exemple le "cri primal" ou certaines pratiques de psychodrame."

 

Alain de MIJOLLA, Dictionnaire international de psychanalyse, Hachette Littératures, 2005. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Steve ABADIE-ROSIER, Les processus psychiques, Les Neurones Moteurs, 2009. 

 

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Relu le 5 janvier 2021

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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 16:37

    Steve ABADIE-ROSIER, psychanalyste clinicien et psychothérapeute, regroupe dans les mécanismes d'orientation du moi, compris comme mécanismes de défense (mais ils ne sont bien entendus pas seulement cela...), la projection, l'identification, la dissociation, la régression et la conversion.

     La projection, "qui attribue à autrui des pulsions inacceptables pour soi, intervient dès lors que l'individu impute un de ses propres traits de caractère, qu'il n'accepte pas, à autrui. (...) La projection est une forme de rationalisation, très répandues dans notre société actuelle, pouvant conduire à des comportements racistes, en raison de la projection de sa haine sur autrui. Ce phénomène empoisonne l'humanité et est à l'origine des conflits, des agressions et des guerres. D'un point de vue psychopathologique, la projection constitue le mode de défense caractéristique de la paranoïa."

     L'identification, processus totalement opposé à la projection, est un mécanisme d'extension du moi, nécessaire à la construction de la personnalité. Le sujet assimile l'aspect ou un trait de caractère d'un autre sujet, qu'il a lui-même désigné comme son modèle, et s'efforce de l'imiter. Normalement, l'enfant, pendant son développement, doit s'identifier au parent du même sexe. C'est ainsi que la résolution du complexe d'Oedipe dépendra de la réussite de cette identification. Un garçon qui reste attaché à sa mère trop longtemps risque de développer une homosexualité ; il en est bien entendu de même entre une fille et son père. De nos jours, l'identification est devenu un mécanisme bancal, plus difficile à mettre en oeuvre par l'enfant car les deux parents (la mère notamment) endossent plus fréquemment les deux rôles (maternel pour consoler et paternel pour gronder) au sein de la famille. L'enfant, en grandissant, éprouvera ainsi davantage de difficultés à différencier - et par conséquent à intégrer - le rôle respectif de chacun des parents : l'un paternel et l'autre maternel, qui devraient interagir de façon complémentaire dans son éducation."

Deux simples remarques : Ici, l'auteur résume l'identification qui fait l'objet de grands développements dans la recherche psychanalytique et socio-psychanalytique. Il ne fait qu'effleurer la problématique dans la société moderne de l'identification (c'est vrai aussi pour la projection). On se reportera de manière étendue aux recherches de la socio-psychanalyse (de Gérard MENDEL, entre autres), qui font intervenir non seulement les deux parents, mais également un ensemble prégnant d'acteurs massivement écoutés.

Une forme plus directement liée aux mécanismes de défense est représentée par l'identification à l'agresseur.

      La dissociation est un "processus mental complexe qui permet à l'individu de faire face à des situations douloureuses et/ou traumatisantes. Elle survient dans des cas extrêmes de désintégration de l'ego, c'est-à-dire de perte de la capacité d'incorporer les événements externes ou les expériences sociales à la perception, et d'agir en conséquence. La personnalité semble alors littéralement cassée en morceaux : face à un événement traumatisant, une partie du sujet dissociatif essaie de se détacher de la situation qu'elle ne peut pas gérer,tandis qu'une autre partie reste connectée à la réalité. D'où l'impression de "double personnalité" ou de "personnalité multiple". La dissociation est une composante importante des différentes formes de schizophrénie, comme la psychose hallucinatoire chronique."

     La régression "aide le sujet à faire face à une relation conflictuelle ou à un conflit, en le ramenant de façon illusoire à un stade plus précoce de son développement. Sa libido retourne ainsi  à un état où elle était synonyme de gratification, qu'elle soit bonne ou mauvaise. En d'autres termes, la régression permet un retour vers le plaisir infantile. Quand la régression engendrée par une névrose devient trop forte, il est commun d'observer une évolution vers une psychose. Ainsi, le sado-masochisme est une régression au stade anal."

      La conversion "permet de dévier une pulsion par le corps, qui exprime ainsi physiquement un conflit interne. La conversion constitue donc une forme particulière de somatisation, dans la mesure où la somatisation ne véhicule aucun message quant à la partie du corps qui soufre. La conversion ne fait que mimer un trouble organique tandis que la somatisation est un réel trouble organique."

 

    L'identification revêt plusieurs formes, l'identification à l'agresseur, très spécifiquement liée à la défense  du Moi et dans la formation du SurMoi (Anna FREUD), l'identification primaire, et l'identification projective (Mélanie KLEIN).

Pour Sigmund FREUD, l'identification primaire est le mode primitif de constitution du sujet sur le modèle de l'autre, qui n'est pas secondaire à une relation préalablement établie où l'objet serait d'abord posé comme indépendant. L'identification primaire est alors étroitement corrélative de la relation dite d'incorporation orale (LAPLANCHE et PONTALIS). 

Mélanie KLEIN va plus loin : elle désigne par identification projective, le mécanisme qui se traduit par des fantasmes où le sujet introduit sa propre personne en totalité ou en partie à l'intérieur de l'objet pour lui nuire, le posséder et le contrôler.  Modalité de la projection, cette identification fait problème chez les psychanalystes sur son existence comme sur ses fonctionnements, dans la mesure où son apparition pour cet auteur intervient très tôt chez l'enfant.

   En fait, l'identification revêt sans doute des formes multiples. A l'identification adhésive (Donald MELTZER), on peut aussi ajouter l'identification héroïque (Didier ANZIEU), l'identification imaginaire/symbolique (Jacques LACAN)... Alain de MIJOLLA propose d'ailleurs de regrouper tous les processus d'identification déjà évoqués, sous le terme de fantasmes d'identification, ensemble de scénarios inconscients, constructions imaginaires... par lesquels un sujet substitue à une partie de son Moi ou de son SurMoi un personnage primordial de son histoire familiale, père, mère, grands-parents surtout (mais c'est loin d'être restreints...) afin de lui faire vivre à sa place un fragment plus ou moins important de sa propre existence. Sans doute, l'ensemble de la construction de la personnalité a-t-elle besoin de ces identifications diverses, plus ou moins pathologiques, plus ou moins banals... dont certains sont plus que d'autres, clairement, des mécanismes de défense. 

 

    La conversion, pour Sigmund FREUD, est le mécanisme de formation de symptômes qui est à l'oeuvre dans l'hystérie et plus spécifiquement dans l'hystérie de conversion. Il consiste en une transposition d'un conflit psychique et une tentative de résolution de celui-ci dans des symptômes somatiques, moteurs (paralysies par exemple) ou sensitifs (anesthésies ou douleurs localisées par exemple). Le terme de conversion est corrélatif pour le fondateur de la psychanalyse d'une conception économique : la libido détachée de la représentation refoulée est transformée en énergie d'innervation. Mais ce qui spécifie les symptôme de conversion, c'est leur signification symbolique : ils expriment, par le corps, des représentations refoulées. (LAPLANCHE et PONTALIS). 

 

Alain de MIJOLLA, Dictionnaire international de psychanalyse, Hachette Littératures, 2002. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Steve ABADIE-ROSIER, Les processus psychiques, Les Neurones Moteurs, 2009.

 

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Relu le 8 janvier 2022

   

 

    

 

    

 

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13 avril 2015 1 13 /04 /avril /2015 16:46

On peut regrouper comme le fait Steve ABADIE-ROSIER le travestissement, la dénégation, le déni et l'annulation comme mécanismes de défense de travestissement de la réalité.

     Le fantasme, soit le scénario imaginaire, est la représentation des faits ou des situations déformés par une interprétation affective. "Le fantasme, écrit le psychanalyste clinique, qui consomme une part importante de la libido puisqu'il est totalement improductif, n'a qu'un but en soi : permettre à l'individu de s'adapter au système sociétal en arrangeant la réalité pour que ses actes et ses pensée deviennent envisageables et surtout possibles. Les pulsions du sujet sont ainsi voilées pour être d'autant plus transformées, contournées, travesties grâce à son imagination. Ainsi, le fantasme, alimenté par le pulsionnel, sera interdit ou désigné comme "interdit" par le sujet lui-même dans le seul but d'être accepté - cette autocensure étant une nécessité pour permettre à l'individu d'être en adéquation avec les normes édictées par la société. 

   La dénégation "est un mécanisme de défense où la production d'une pensée, d'un sentiment, trouvant son origine dans l'inconscient, devient verbalisée, signifiée dans la réalité sans pour autant que le sujet n'en accepte la reconnaissance comme sienne et individuelle. Seule la symbolique de cette pensée apparait à la conscience de l'individu."

    Le déni est "le refus pur et simple d'accepter et de reconnaitre la réalité, lorsqu'elle est considérée comme gênante par le sujet. Ce mécanisme s'exprime ainsi essentiellement à travers des psychoses et du fétichisme."

      L'annulation est "la neutralisation, grâce à un comportement prédéterminé, d'un acte, d'une parole ou d'une pensée, considérés comme répréhensibles, donc à l'origine d'un conflit psychique. Cet épisode comportemental puissant répare comme par magie l'événement neutralisé et peut même aller jusqu'à effacer l'objet même du litige. Il faut souligner que ce mécanisme intervient particulièrement lors des névroses obsessionnelles, mais également dans les actes rituels ou expiatoires, où la force et la sévérité du châtiment servent à effacer et à supprimer, de façon proportionnelle, l'attitude jugée répréhensible."

 

  La dénégation, le déni, l'annulation sont évoqués par de nombreux auteurs comme des mécanismes de défense. Le fantasme joue un rôle bien plus étendu qu'un mécanisme de défense, même s'il peut être utilisé comme tel dans de nombreux cas.

Il est bien décrit comme un scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l'accomplissement d'un désir et, en dernier ressort, d'un désir inconscient. Le fantasme se présente sous des modalités différentes : fantasmes conscients ou rêves diurnes, fantasmes inconscients tels que l'analyse les découvre comme structures sous-jacentes à un contenu manifeste, fantasmes originaires... (LAPLANCHE et PONTALIS). On appelle "fantasme" de manière générale une production psychique imaginaire présentant la structure d'un scénario, au sens du théâtre ou du cinéma, au service de la réalisation du désir (Roger PERRON).

    Le fantasme s'insère de manière courante dans la chaîne des représentations du réel et autant que les analyses conscientes des situations, singulièrement dans les conflits interpersonnels. Il est courant dans une situation conflictuelle qu'un tiers puisse découvrir des ressorts fantasmatiques dans les motivations des actions des uns contre les autres. Il semble bien qu'en l'absence de données tangibles, l'esprit aie tendance à "combler les blancs" par des fantasmes, plus ou moins reliés à une expérience consciente ou inconsciente, pour agir. Moins la situation est représentée avec des faits réels, plus l'imaginaire fantasmatique, souvent pessimiste d'ailleurs, guide les actions, singulièrement dans les conflits.

 

Roger PERRON, fantasme, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2005. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, dans Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Steve ABADIE-ROSIER, Les processus psychiques, Les Neurones Moteurs, 2009.

 

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Relu le 11 janvier 2022

 

 

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8 avril 2015 3 08 /04 /avril /2015 13:34

     Le déplacement en psychanalyse constitue le fait que l'accent, l'intérêt, l'intensité d'une représentation est susceptible de se détacher d'elle pour passer à d'autres représentations originellement peu intenses, reliées à la première par une chaîne associative. Un tel phénomène particulièrement repérable dans l'analyse du rêve se retrouve dans la formation des symptômes psychonévrotiques et, d'une façon générale, dans toute formation de l'inconscient.

La théorie du déplacement fait appel à l'hypothèse économique d'une énergie d'investissement susceptible de se détacher des représentations et de glisser le long de voies associatives. Le "libre" détachement de cette énergie est un des caractères majeurs du processus primaire tel qu'il régit le fonctionnement du système inconscient. (LAPLANCHE et PONTALIS)

      Le placement est défini par Elsa SCHMID-KITSIKIS comme un processus primaire : il indique que l'accent psychique ou les intensités psychiques du sujet se sont déplacés sur le trajet de l'association, signifiant par là que des représentations fortement investies l'ont été vers d'autres qui l'étaient moins. Ce processus est particulièrement présent dans la formation de symptômes hystériques ou obsessionnels dans le travail du rêve, dans les productions des mots d'esprits et dans le transfert.

 

       Ce terme désigne le détournement le détournement d'une pulsion de son objet initial vers un second but, considéré comme plus acceptable par le sujet, c'est-à-dire comme n'engendrant pas de conflit interne et apportant même un certain apaisement. Le déplacement peut se dissimuler dans de nombreuses situations de la vie courante, par exemple :

- la colère d'un enfant qui ne peut être directement dirigée vers la source de sa frustration, c'est-à-dire ses parents, va s'orienter vers quelqu'un de moins menaçant  tel qu'un frère, une soeur, un ami ou même un jouet ;

- les pulsions érotiques qui ne peuvent être exprimées directement vers le sujet peuvent trouver une expression, un échappatoire, à l'aide d'activités créatrices comme la littérature, la poésie, la musique...

- les pulsions hostiles peuvent être aisément canalisées par le sport, qui permet de détourner l'agressivité engendrée par ces pulsions grâce aux contacts physiques et à des expressions socialement acceptables. (Steve ABADIE-ROSIER)

 

      La substitution peut être considérée comme une forme de déplacement. l'individu, ne pouvant atteindre un objet précis, le substitue par un autre objet et est ainsi capable de décharger la tension qu'il avait accumulée lors de cette frustration. Le processus de substitution permet ainsi d'alléger l'état de tension ressenti par l'individu, mais n'élimine en rien la pulsion frustrée. (Steve ABADIE-ROSIER)

      Pour Mathieu ZANNOTTI, le terme "substitut" ou "formation substitutive" désigne le remplaçant, selon des lignes associatives inconscientes, d'un fait ou objet psychique. La substitution qui l'engendre est une défense de la psyché par l'échange de la représentation, de la pensée ou de l'objet impliqués, perçus comme inconciliables pour le Moi et refoulés. De nombreux symptômes sont reconnus dans les textes freudiens : ersatz, formation substitutive, équivalent, succédané, remplaçant.

     

    Quant au clivage, toujours pour le psychanalyste clinique, c'est un mécanisme au cours duquel les objets sont simultanément colorés par les affects d'amour et de haine, faisant naître l'illusion qu'il existe deux objets distincts, l'un bon, l'autre mauvais. Ce mécanisme, normal lors de la construction du moi, devra par la suite être dépassé. A l'âge adulte, le clivage peut devenir un phénomène dangereux, source de profonde angoisse, susceptible de mener à un racisme racial, sexuel ou social.

Inutile d'ajouter que cette forme de mécanisme est porteur de conflits multiples entre les individus et que nombre d'adultes, si l'on suit cette problématique, en sont restés à l'état d'enfant... 

Sophie de MIJOLLA-MELLOR indique que, pour la théorie psychanalytique, le clivage est une dissociation résultant d'un conflit, pouvant affecter le Moi (clivage du Moi) ou ses objets (clivage de l'objet). C'est un processus intrapsychique très général dans la mesure où il fonde aussi la capacité de l'appareil psychique de se séparer en systèmes (première topique : Inconscient, Conscient, Préconscient, Conscient) et en instances (deuxième topique : ça, moi, surmoi).

 

Sophie de MIJOLLA-MELLOR, Mathieu ZANOTTI, Elsa SMID-KITSIKIS, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2005. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976. Steve ABADIE-ROSIER, Les processus psychiques, Les Neurones Moteurs, 2009.

 

Relu le 14 janvier 2022

 

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21 novembre 2014 5 21 /11 /novembre /2014 12:26

     Les mécanismes de défense font partie du paysage théorique et clinique de la psychologie à la psychanalyse, en passant par la psychiatrie. En milieu de recherche en soins infirmiers, volet psychopathologie comme en cabinet de psychanalyse, leur compréhension évolue avec le temps et depuis que Sigmund et Anna FREUD les ont définies, la pratique permet de mieux sérier les problèmes. Même si les recherches en psychanalyse et celles en psychopathologie sont loin de se rejoindre, les... conflits s'étant plutôt creusés avec les D.S.M., les praticiens manient sur le terrain ces perceptions de la réalité psychique avec souplesse et pragmatisme. Il y a un certain éloignement parfois par rapport à la théorie, quelque soit la discipline, et encore plus par rapport à certains manuels perçus décidément comme assez prétentieux. Henri CHABROL, professeur de psychopathologie à l'Université du Mirail à Toulouse d'une part, Steve ABADIE-ROSIER psychanalyste clinicien et psychothérapeute d'autre part, témoignent de cette attitude jusqu'à leurs formalisations théoriques des mécanismes de défense. La plupart des auteurs discutent soit du coping (en gros mécanismes conscients), soit de mécanismes de défense (en gros processus inconscients)...

 

    Pour Henri CHABROL, la résilience de chacun des humains, sa capacité à faire face à des tensions ou des conflits psychologiques, aux dangers perçus à l'intérieur de soi ou dans le monde extérieur, "mobilise deux types d'opérations mentales, les mécanismes de défense et les processus de coping."  "Les mécanismes de défense, poursuit-il, sont des processus mentaux automatiques, qui s'activent en dehors du contrôle de la volonté et dont l'action demeure inconsciente, le sujet pouvant au mieux percevoir le résultat de leurs interventions et s'en étonner éventuellement. Au contraire, les processus de coping, mot traduit en français par stratégies d'adaptation ou processus de coping, sont des opérations mentales volontaires par lesquelles le sujet choisi délibérément une réponse à un problème interne et/ou externe. Les mécanismes de défense ont été découverts par la psychanalyse et occupent une place importante dans les théories et les thérapies psychanalytiques. Les processus de coping ont été étudiés par les méthodes de la psychologie scientifique et font actuellement l'objet principalement de l'intérêt des psychologues de la santé et des thérapeutes cognitivo-comportementalistes qui leur accordent une place importante dans leurs théories et leurs thérapies. Le peu de communication ou les conflits entre les approches psychanalytique et cognitivo-omportementale ont conduit à des réflexions et à des études parallèles de la défense et du coping. Très peu de publications abordent l'étude des relations entre défenses et coping. 

Tout pousse au contraire à reconnaitre l'intérêt et la nécessité de ces études conjointes (l'auteur renvoie à l'ouvrage de 2004 écrit par lui même et son collègue S CALLAHANS, Mécanismes de défense et coping, paru aux éditions Dunod).  D'abord, l'opposition entre les mécanismes de défense, automatiques et inconscients, et les processus de coping mis en jeu volontairement et consciemment, dichotomise assez artificiellement les opérations mentales et ne rend pas compte de leur complexité qui laisse la place à des processus mentaux intermédiaires, dont les degrés de conscience et d'intentionnalité sont variables. Ensuite, défense et coping coexistent en chacun de nous. L'opposition entre les défenses qui seraient pathologiques et le coping qui serait adaptatif est maintenant dépassée. Défense et coping  peuvent être des processus adaptatifs ou mal adaptés. Ce caractère fonctionnel ou dysfonctionnel dépend à la fois du type de défense ou de coping, de l'intensité et de la durée de sa mise en jeu, mais aussi du contexte interne et externe de leur mobilisation et des interactions éventuelles entre défense et coping. Enfin, défense et coping s'activent habituellement conjointement ou successivement et contribuent ensemble à notre adaptation aux difficultés de la vie quotidienne, comme aux situations difficiles de la vie ou aux traumatismes majeurs.

Défense et coping constituent donc deux dimensions entremêlées de nos moyens de faire face aux problèmes intérieurs et extérieurs qu'il est important de prendre en compte simultanément pour la compréhension du sujet en souffrance comme pour la compréhension des facteurs contribuant à la santé. Il parait également évident que les interventions thérapeutiques pour les sujets en souffrance peuvent bénéficier d'une approche intégratives visant à l'amélioration conjointe du système de défense et de coping du sujet." 

  Le professeur CHABROL s'attaque ensuite au problème de la classification des mécanismes de défense, remettant sur le chantier à son tour, mais de manière pragmatique, cette question débattue depuis que les FREUD en ont fait une pierre de touche de leur système d'explication des comportements. 

"Deux principales classifications ont été proposées. la première classe les mécanismes de défense en fonction de leurs effets plus ou moins adaptatifs. La seconde les classe en fonction de leur cible principale, les émotions ou les pensées."

  Pour ce qui concerne la classification en fonction du caractère adaptatif, "la classification la plus habituelle distingue les défenses matures, les défenses névrotiques et les défenses immatures en fonction de leur niveau adaptatif. Les défenses matures contribuent à la santé psychique et physique. Les défenses névrotiques d'abord liées aux névroses où elles sont prédominantes sont maintenant plutôt appelées défenses intermédiaires cas elles sont utilisées par chacun d'entre nous. Les défenses immatures, quand elles prédominent, sont liées aux troubles de la personnalité, aux troubles psychiatriques, comme les dépressions graves ou les psychoses. Le DSM-IV propose (en 1994) une clasification en 7 niveaux avec un niveau mature et intermédiaire et une subdivision des défenses immatures en 5 niveaux. 

Ces classifications en niveaux ont été critiquées. D'abord, certaines études ont suggéré que les défenses pouvaient se classer sur une seule dimension, allant du plus dysfonctionnel au plus fonctionnel, selon une continuité, sans distinction claire de niveaux. Ensuite, certains auteurs ont insisté sur le fait que tous les mécanismes de défense pouvaient servir l'adaptation et aider à surmonter l'adversité. L'efficacité adaptative d'un mécanisme de défense dépend de sa nature, mais aussi de l'intensité et de la souplesse de sa mise en jeu, et des circonstances. Pour chaque mécanisme de défense, les modes d'activation légère tendent à être fonctionnelles, et les variantes plus intenses tendent à être dysfonctionnelles. Le niveau de stress subi intervient aussi dans l'adaptation. Dans le stress majeurs, les mécanismes de défense réputés les plus immatures, dysfonctionnels ou pathologiques peuvent avoir une fonction protectrice. Les stress légers peuvent ne nécessiter que les mécanismes intermédiaires névrotiques pour la plupart des sujets et les stress intenses réclament au moins l'activation brève des défenses immatures. Dans les situations extrêmes, même les mécanismes habituellement considérés comme les plus pathologiques peuvent servir à surmonter l'adversité."

   Pour ce qui concerne la classification en fonction de la cible, "certaines auteurs ont distingué les défenses dirigées contre les pensées ou cognitions et celles dirigées directement contre l'émotion. L'humour est un exemple des mécanismes modifiant les cognitions. La somatisation, définie comme le déplacement d'un affect douloureux sur une partie du corps, est un exemple d'une défense centrée sur l'émotion.

Cette classification est largement artificielle : les défense centrées sur les cognitions agissent indirectement sur les émotions puisque les cognitions déterminent ou tout au moins influencent fortement les émotions. D'autre part, les défenses centrées sur l'émotion peuvent recourir à des processus cognitifs. La cible ultime des mécanismes est les émotions (Anna FREUD). (...)."

     Ces deux classifications ne doivent donc pas faire sous-estimer la relative unité des mécanismes de défense.

   Abordant la question du nombre des mécanismes de défense, Henri CHABROL constate qu'il n'existe pas de consensus sur celui-ci. Il reprend l'affirmation de R SCHAFER, de 1954, dans son Psychanalytic interpretation in Rorschach testing (New York, Grune & Straton) : "il ne peut y avoir de listes "exactes" ou "complètes" de mécanismes de défense, mais seulement des listes variant dans leur exhaustivité, dans leur consistance théorique interne, et dans leur utilité pour ordonner l'observation clinique et les données de la recherche.".

Il reprend la classification du DSM IV en 7 niveaux défensifs :

- le niveau adaptatif élevé (défenses matures), qui assure une adaptation optimale aux facteurs de stress. Les défenses habituellement impliquées autorisent la perception consciente des sentiments, des idées et de leurs conséquence. T sont décrits l'anticipation, l'affiliation, l'affirmation de soi, l'altruisme, l'auto-observation, l'humour, la sublimation, la répression. Ce niveau inclut des mécanismes qui se rapprochent des processus de coping les plus fonctionnels.

- le niveau des inhibitions mentales ou de la formation de compromis, constitué de défenses maintenant hors de la conscience idées, sentiments, souvenirs, désirs ou craintes potentiellement menaçants (déplacement, dissociation, intellectualisation, isolation de l'affect, formation réactionnelles, refoulement, annulation).

- le niveau de distorsion mineure de l'image de soi, du corps ou des autres, représenté par des mécanismes utilisés pour réguler l'estime de sou. Défenses narcissiques : dépréciation, idéalisation, omnipotence...

- le niveau du désaveu, constitué de défense maintenant hors de la conscience des facteurs de stress, des impulsions, idées, affects ou des sentiments de responsabilité en les attribuant ou non à une cause extérieure (déni, projection, rationalisation...).

- le niveau de distorsion majeure de l'image de soi et des autres regroupe des défenses produisant une distorsion majeure ou une confusion de l'image de soi et des autres (clivage, identification projective, rêverie autistique...).

- le niveau de l'agir constitué de défense par l'agir ou le retrait (passage à l'acte, retrait apathique, plainte associant demande d'aide et son rejet, agression passive...).

- le niveau de la dysrégulation défensive, constitué de défense caractérisées par l'échec de la régulation défensive provoquant une rupture marquée avec la réalité objective (projection délirante, déni psychotique, distorsion psychotique...).

 

    Steve ABADIE-ROSIER propose une classification des mécanismes de défense qui ne prétend pas à l'exhaustivité non plus. Schématique, "elle ne cherche qu'à faciliter la compréhension en retenant 5 familles de mécanismes :

- les mécanismes pulsionnels, dans lesquels se retrouvent le refoulement, la sublimation, la compensation, les formations réactionnelles ;

- les mécanismes d'orientation de l'objet : déplacement, substitution, clivage...

- les mécanismes de dénégation de la réalité : fantasme, dénégation, déni, annulation...

- les mécanismes d'orientation du moi : projection, identification, dissociation, régression, conversion...

- l'abréaction, qui occupe une place à part, libération d'affects acompagnant la survenue de l'évocation d'un événement traumatique. 

N'ont de signification théorique et thérapeutique ces mécanismes de défenses que prit dans l'ensemble de la cure psychanalytique. En effet, c'est dans cette cure que les résistances se trouvent en analyse, la résistance étant la clef de toute psychanalyse. C'est dans les manifestations de résistances que se trouvent décelées les aspects de la personnalité du "patient", lesquelles mettent elles-mêmes en relief les résistances habituellement développées dans sa vie courante ou lors d'événements dramatiques. Analysé et analyste ne peuvent rester dans le déroulement de la cure dans une attitude d'écoute de la part de l'analyste, il y a un dynamisme indispensable de la cure, dynamisme qui ne peut - l'auteur insiste beaucoup là-dessus - exister que par une participation active de celui-ci par rapport au patient. Pas question d'écoute "neutre" pour lui, indice d'une certaine incompétence professionnelle qu'il stigmatise d'ailleurs chez beaucoup de ses confrères... Les réactions mêmes de l'analyste face aux résistances constituent des moteurs à ce dynamisme. Il s'agit de questionner la nature des résistances, de démontrer leur existence, d'éclaircir avec lui les motifs de ces résistances, de les mettre à jour, de les interpréter et d'aider au changement indispensable par rapport à une situation qui constitue la cause même de la démarche de l'analysé vers l'analyse. Se manifestent alors des résistances au changement, attitudes de passivité, attitudes de peur et d'angoisse, de rivalité et/ou de supériorité, indécises et/ou erronées, sur lesquelles l'analyste doit intervenir activement.

 

Steve ABADIE-ROSIER, Les processus psychiques, Éditions Les neurones moteurs, 2009. Henri CHABROL, Les mécanismes de défense, dans Recherches en soins infirmiers, La résilience, n°82, 3/2005.

 

PSYCHUS

 

Relu le 2 décembre 2021

 

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7 octobre 2014 2 07 /10 /octobre /2014 16:48

    La résistance possède des sens multiples mais en psychanalyse elle a une signification bien particulière, et très importante. Résistance du patient à l'analyse, résistance à la psychanalyse et ses concepts...

 

La résistance en psychanalyse dans l'Histoire

      Sur le plan de l'histoire de la psychanalyse, Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS rappelle que le concept de résistance a été introduit tôt par Sigmund FREUD et "on peut dire qu'il a exercé un rôle décisif dans l'avènement de la psychanalyse."

"En effet, écrivent-ils, Freud a renoncé à l'hypnose et à la suggestion essentiellement parce que la résistance massive qu'y opposaient certains patients lui paraissait d'une part être légitime, d'autre part ne pouvoir être ni surmontée ni interprétée, ce que la méthode psychanalytique rend au contraire possible dans la mesure où elle permet la mise à jour progressive des résistances qui se traduiront notamment par les différentes manières dont le patient enfreint la règle fondamentale." C'est dans les Études sur l'hystérie (1895) que l'on trouve une première énumération de divers phénomènes cliniques, évidents ou discrets, de résistance.

C'est comme obstacle à l'élucidation des symptômes et à la progression de la cure que la résistance est découverte. "La résistance, écrit FREUD, constitue, en fin de compte, ce qui entrave le travail (thérapeutique)". Cet obstacle, FREUD cherche d'abord à le vaincre par l'insistance - force de sens contraire à la résistance - et à la persuasion, avant d'y reconnaitre un moyen d'accès au refoulé et au secret de la névrose ; en effet ce sont les mêmes forces qu'on voit à l'oeuvre dans la résistance et le refoulement. 

"En ce sens, comme Freud y insiste dans ses écrits techniques, tout le progrès de la technique analytique a consisté en une plus juste appréciation de la résistance, à savoir de cette donnée clinique qu'il ne suffisait pas de communiquer aux patients le sens de leurs symptômes pour que le refoulement soit levé. On sait que Freud n'a cessé de considéré l'interprétation de la résistance, avec celle du transfert, comme les caractères spécifiques de sa technique. Bien plus, le transfert doit être tenu partiellement pour une résistance, dans la mesure où ils substitue la répétition agie à la remémorisation parlée ; encore faut-il ajouter que la résistance l'utiliser mais ne le constitue pas." 

   Sigmund FREUD tente d'apporter, dans Études sur l'hystérie et dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926), une classification, notamment à travers sa provenance, de l'inconscient ou de la conscience, du Çà, du SurMoi ou du Moi, sans qu'il en soit satisfait. Dans L'interprétation du rêve (1900), il définit la résistance comme "Tout ce qui perturbe la continuation du travail"...

     Ses continuateurs après lui s'y essaient, mais de manière peu insistante sauf notamment Anna FREUD, Mélanie KLEIN ou Jacques LACAN..

    "Freud, écrivent encore nos auteurs, a du moins le mérite de souligner (dans sa tentative de classification métapsychologique) qu'il s'est toujours refusé à assimiler le phénomène inter- et intra-personnel de la résistance aux mécanismes de défense inhérents à la structure du moi. La question : qui résiste? reste pour lui ouverte et problématique. Au delà du moi "... qui se cramponne à ses contre-investissements", il fait reconnaitre comme obstacle dernier au travail analytique une résistance radicale, sur la nature de laquelle les hypothèses freudiennes ont varié, mais de façon de toute façon irréductible aux opérations défensives". 

      Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS conseillent de se reporter à l'ouvrage de E. GLOVER, Technique de la psychanalyse (The technique of Psycho-Analysis, 1955, traduit en français en 1958 et disponible aux PUF).

 

Quelles résistances?

Après avoir fait un relevé méthodique des résistances en tant que manifestations, évoquées par l'analyse, des défenses permanentes de l'appareil mental, il reconnait l'existence d'un résidu: "Ayant épuisé la liste possible des résistances qui pourraient provenir du moi ou du surmoi, nous restons avec ce fait nu qu'on se livre devant nous à une répétition ininterrompue du même ensemble de représentations (...). Nous espérions qu'en écartant les résistances du moi et du surmoi nous amènerions quelque chose comme une libération automatique de pression et qu'une autre manifestation de défense s'empresserait de lier cette énergie libérée, comme il arrive dans les symptômes transitoires. Au lieu de cela, il semble que nous ayons donné un coup de fouet à la compulsion de répétition et que le ça ait profité de l'affaiblissement des défense du moi pour exercer une attraction grandissante sur les représentations préconscientes."

   Même présentation de la part de Michèle POLLAK CORNILLOT : "Si Freud est resté hésitant sur la nature propre des résistances et a souligné au contraire leur variabilité, leur richesse et leur solidité, il a toujours considéré que le travail du patient sur ses propres résistances était essentiel pour le succès de la cure, considérant même dans ses derniers textes que seuls ce travail porte en lui la possibilité d'un véritable et durable changement du Moi.

Les psychanalystes après Freud ont relativement peu élaboré les manifestations de la résistance dans la cure. Cependant, Mélanie Klein, en considérant la résistance essentiellement comme une manifestation de transfert négatif, a ouvert la voie à un certain nombre d'autres travaux, notamment ceux de Bion qui a décrit la résistance psychotique comme "attaque des liens"."

 

Karl JUNG et la résistance enpsychanalyse

   La résistance entre de manière relativement importante (mais sans en faire un objet principal d'investigation) dans les élaborations théoriques de Karl JUNG. En tant que concept propre à la psychologie analytique (jungienne), la résistance désigne le fait de ne pas être ouvert à soi, à sa réalité et à la réalité extérieure. Et finalement de rester en lutte d'abord contre soi-même mais aussi finalement contre le reste du monde. Il s'agit, pour le sujet, de rester dans une forme d'aliénation, même légère, à l'exemple de la névrose. Ancré dans la pensée freudienne, il illustre ce concept notamment dans L'homme et ses symboles (1964). Dans sa perspective, la résistance renvoie à un conflit intérieur qui n'a pu être assumé et dépassé par de la construction mais qui donne plus qu'à voir dans cette perspective qu'en enchevêtrement de positions ou de postures intellectuelles renvoyant à un conflit. Il nomme cette résistance à toute innovation qui menace cet encryptement, misonéisme (ou néophobie). Il donne un double exemple dans son ouvrage : une résistance à la théorie jungienne elle-même et une résistance au concept d'évolution. Ses réflexions ouvrent des perspectives qui dépassent le cadre de la relation entre l'analyste et l'analysé pour entrer dans le domaine des relations sociales au sens large. Il donne une explication psychanalytique au conservatisme, entendu comme le conservatisme en soi, sans connotation politique précise.

 

   Les résistance en psychanalyse concernent surtout le manque à l'être et l'impossibilité de voir dans la vie un sens positif qui se démarque de la souffrance, de la dépendance, de la fusion et de l'attente de s'identifier à une image préfabriquée, "idéalisée", qui nie la vie réelle. C'est en tout cas la présentation de Maryse TOUBOUL : "Nous sommes tous inscrits dans un langage destructeur, de non-vie qui résiste à l'Espace-Temps Réel de Vie et donne priorité à l'Espace-Temps Symbolique de l'esprit. Du "Tu" au Langage Parental, qui "tue" "Je" ; au Langage Vivant, qui Fait un sujet "Je" : C'est le passage d'un envers qui nous exprime à un endroit qui s'exprime, ce qui est l'objectif de la technique, que j'ai appelé Psy life : Apprendre à se faire un langage nouveau et à passer des Lois de l'Autre aux Lois de Vie, pour que se constitue un sujet vrai, qui apprenne à donner un sens à sa vie. le Désir Conscient désire la paix et l'amour ; la violence et la haine sont des effets du Langage Symbolique d'un Inconscient qui fait de chacun un assujetti."

 

La résistance au changement

    Les résistances au changement, que ce soit au but thérapeutique ou au but analytique, sont l'objet de réflexions de Pascal NEVEU, du Conseil supérieur de la psychanalyse active.

Il écrit que "le but d'une analyse est sans contestation possible tant la levée du symptôme exprimé par le patient en devenir de sujet/analysant, que le changement structurel de sa personnalité.

Dans un premier temps, après avoir pris rendez-vous, et surtout lorsque enfin il sonne à la porte de notre cabinet, le futur analysant exprime déjà un désir de changement, et manifeste un premier passage à l'action. Passage à l'action qui était déjà fortement marqué par de nombreuses résistances inconscientes (prise de rendez-vous, choix de l'analyste, du lieu d'analyse, de l'heure du rendez-vous...). Autant de manifestations de résistances qui se traduiront sous d'autres formes durant toute la cure analytique.

Mais avant de développer ce qui concourt à atteindre ce but de l'analyse, il me semble crucial d'insister sur le fait que le "succès" d'une analyse repose sur le travail des résistances au changement.

Lorsque Freud énonce son "Wo Es war, soll ich werden" (Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, 1932), il sous-tend que le psychisme est animé par des aspects et courants économique, topique et dynamique. C'est la métapsychologie.

L'individu est donc un sujet en devenir. Son Moi advient au fil du temps, et comme l'appuiera plus tard Lacan, il prend conscience de son Moi dans la relation avec l'Autre, le premier Autre étant la mère.

Certainement aussi parce que notre corps lui-même évolue, change, se transforme, notre psychisme vit des transformations permanentes, en passant des caps symboliques importants.

Tout comme nos cellules, avant de mourir, étaient à la base totipotentes avant de se spécialiser, le nourrisson devient enfant, puis adolescent (phase de la vie extrêmement changée en changements), puis adulte, parent, grand-parent...

Toutes ces étapes de transformation, plus ou moins réussies s'accomplissent en parallèle de l'évolution d'une identité en partie statique, tout en étant dans la nécessité d'une incarnation certes vivante mais muable.

Corps et psychisme ne sont pas dissociables. Toute souffrance psychique s'exprime par une douleur manifeste ou sous-jacente, diffuse, dans le corps, ne serait-ce que l'angoisse.

Toute fixation à un stade antérieur de celui qui nous aurions du atteindre demande à être interrogée durant la cure analytique.

Mais toute résistance manifeste en séance, qui est issue de cette fixation, du schème névrotique ou traumatique, peut s'exprimer à travers la relation analyste-analysant.

Aussi travailler les résistances au changement, c'est travailler les résistances au but thérapeutique d'une part, au but analytique d'autre part."

 

Les résistance culturelles à la psychanalyse

   De leur côté, Bernard CHERVET (président de la SPP) et Adanan HOUBBALLAH analysent les résistances culturelles à la psychanalyse.

Bernard CHERVET, notamment en plein dans le conflit d'idées entre psychanalyse et (certaines) neurosciences, estime que "espérer être psychanalyste et faire évoluer cette discipline aujourd'hui semble être un défi digne de la plus grande des naïvetés te témoigner d'un grave trouble du jugement portant sur l'évaluation des raisons qui s'y opposent." Dans sa réflexion sur la résistance contre les résistances, il pense que "ce serait oublier que les hommes rêvent et qu'il n'y a pas un seul être humain qui ne soit le sujet d'une vie psychique, même gravement distordue ou réduite à quelques linéaments rudimentaires. Les attaques dont est l'objet actuellement l'objet la psychanalyse à propos de tableaux cliniques atteignant des enfants en très grande souffrance, trouvent une de leurs sources dans ce rappel. La psychanalyse est messagère, par son essence même, de l'existence de la vie psychique. Les buts de celle-ci ne peuvent être réduits à l'acquisition de bonnes manières et de comportements jugés corrects par le groupe social ambiant, ni le développement psychique à une affaire d'éducation, d'apprentissage et d'opérations intellectuelles.

La psychanalyse est habituée aux attaques et aux résistances. Celles-ci sont à son principe même et font partie de son histoire. la psychanalyse se doit d'en tirer enseignement sur le fonctionnement psychique. régulièrement confronté à des tendances désorganisatrices, d'origine tant interne qu'externes, le fonctionnement mental ne peut certes se passer d'une capacité d'endurance, cette résistance propre aux matériaux qui leur confère souplesse et consistance ; le chêne et le roseau.

Depuis longtemps, la sexualité infantile a entouré la psychanalyse d'une odeur de soufre et de réactions scandalisées. Toute la catégorie de l'infantile fut jugée choquante.

La révélation d'investissements incestieux au coeur des humains légitime en partie ces réactions, sans expliquer toutefois l'intensité du refus de reconnaitre une présence pulsionnelle active dès l'origine de la vie, et vouée à nourrir l'inconscient et sa formation la plus précieuse pour la vie elle-même, le rêve.

la résistance contre cette reconnaissance peut prendre des allures plus secondarisées de remise en cause de l'existence même de l'inconscient, dans la mesure où celui-ci échappe à toute démonstration immédiatement tangible par le biais d'une répétition à l'identique de son expérience. L'inconscient est en fait à déduire, et relève de l'inférence. Une pensée strictement rationnelle peut le considérer comme une simple hypothèse, et par le jeu de cette intellectualisation, lui enlever toute valeur de réalité, alors que celle-ci est perceptible à travers ses effets symptomatiques. De nombreux faits sont alors dévalués. Tout d'abord, la dimension heuristique que la notion d'inconscient permet envers toutes les formations et productions psychiques ; mais aussi l'effet thérapeutique produit par son interprétation au sein du protocole analytique. Cet effet ne cesse de surprendre les détracteurs de la psychanalyse, mais aussi les analystes eux-mêmes. Une telle résistance à la reconnaissance de cet effet favorise la régression vers la simple catharsis connue depuis longtemps. (...).

Mais le refus de prendre en considération la place et la valeur de la vie psychique fait aussi appel à d'autres méthodes centrées sur la répression et la contention des forces psychiques. La force prime alors le sens. Qui veut peut. Au nom de buts secondaires, ces méthodes participent à l'appauvrissement du psychisme. (...)".

Adanan HOUBDALLAH, dans la revue Topique, discute de cette résistance  culturelle : "Lorsque l'on parle de résistance, on évoque souvent le côté individuel où les bénéfices narcissiques secondaires de la névrose finissent par renforcer les résistances à la transmission de la psychanalyse.

Parallèlement à cette résistance individuelle, il y a aussi la résistance naturelle due à l'attraction toujours à l'oeuvre du noyau "du refoulement originaire". Freud parle aussi dans son livre, Psychopathologie de la vie quotidienne, d'une résistance d'ordre social. Rien n'a été préparé à l'origine pour accueillir le discours psychanalytique ; celui-ci a surpris la société culturelle, d'autant plus qu'il a remis en question les fondements de certaines valeurs et transgressé certains tabous qui, jusqu'à présent, sont demeurés interdits à toute forme de pensée. Le scandale au début de l'entrée de la psychanalyse, a été provoqué par ce côté "flagrant délit", de ce que la psychanalyse a surpris la société par la révélation de l'inconscient comme pensée qui sous-tend tout discours culturel, manifeste ou conscient. Autrement dit, s'il y a un scandale public depuis l'entrée en jeu de la psychanalyse dans la culture, c'est la révélation par Freud de la division du sujet parlant, chaque discours est régi par une division entre sujet de l'énoncé et sujet de l'énonciation tout en étant solidaire." L'auteur évoque ce renouveau religieux, notamment dans les ex-pays de l'Est, qui s'oppose aux éléments de la psychanalyse, les promesses religieuses se trouvant très souvent en porte-à- faux par rapport aux découvertes de la psychanalyse, qui, elle-même, se permet de discuter des religions et de leurs ressorts. Il n'est pas anodin que dans la résonance médiatique (et souvent purement médiatique) d'intégrismes religieux, agissent de grandes résistances à la psychanalyse, la vérité ne pouvant se trouver en dehors des Livres sacrés. "Dans l'état actuel où le discours religieux, écrit-il, est dominant, la confrontation est perdue d'avance, car rien dans la psychanalyse ne peut se substituer aux promesses religieuses."

 

Jacques DERRIDA et la résistance de la psychanalyse

   Jacques DERRIDA consacre tout un livre aux Résistance de la psychanalyse : "Trois essais sur la psychanalyse, certes, mais d'abord trois essais sur la logique d'un singulier accouplement : deux résistances s'épousent en effet, telle est au moins l'hypothèse, elles s'appuient peut-être de nos jours, elles se relaient ou s'allient, elles passent entre elles un obscur contrat.

C'est d'une part le retour, une fois encore, d'une résistance à la psychanalyse. Résistance croissante et souvent nouvelle dans ses formes sociales ou institutionnelles. On a mille signes. Tout se passe comme si, une fois assimilée ou domestiquée, la psychanalyse pouvait être oubliée. Elle deviendrait une sorte de médicament périmé au fond d'une pharmacie. Ca peut toujours servir en cas d'urgence et de manque, mais on a fait mieux depuis! Qui ne voit se déployer aujourd'hui une résistance parfois subtile et raffinée, une dénégation inventive ou arrogante, souvent directe et massive, à la mesure de toute une culture européenne, la seule au fond qu'ait jamais marquée la psychanalyse et qui semble la rejeter, redouter, méconnaitre encore aujourd'hui, passé un temps de mode en somme assez bref? On pourrait sans doute étudier le retour de cette résistance-à-l'analyse". Ce n'est pas la voie privilégiée par ces trois essais. 

Car une autre résistance, d'autre part, s'est peut-être installée dès l'origine,  comme un processus auto-immunitaire, au coeur de la psychanalyse, et déjà dans le concept freudien de la "résistance-à-l'analyse" : une résistance de la psychanalyse, telle que nous la connaissons, une résistance à elle-même, en somme, tout aussi inventive que l'autre. En lui portant secours malgré elle, elle constitue peut-être une donne de notre temps."

 

Jacques DERRIDA, Résistances de la psychanalyse, Galilée, 1996. Adanan HOUBDALLAH, Résistance culturelle à la psychanalyse, Topique n°1, 2007. Bernard CHERVET, La résistance contre les résistances, site de la Société Psychanalytique de Paris, 2013. Pascal NEVEU, Les résistance au changement, site du CSDPA, 2011. Maryse TOUBOUL, Résistance et négativité en psychanalyse. Un lieu de pensée unique qui a pour non : L'inconscient, États généraux de la psychanalyse. Seconde rencontre mondiale, Rio de Janeiro, 2003. Michèle POLLAK CORNILLOT, article Résistance, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2005. Jean LAPLANCHE et Jean-Bertrand PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, 1976.

 

PSYCHUS

 

Relu le 1 décembre 2021

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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 10:04

  Publié en mai 2013, sans avoir pour l'instant le même succès éditorial que ses prédécesseurs, à cause de critiques croissantes de toute sortes, la cinquième version du DSM se situe dans une évolution générale de la psychiatrie américaine, et par extension, de la psychiatrie mondiale. Après que la troisième version ait consacré le recul de la psychanalyse, la cinquième renforce une vision biologisante de la "maladie mentale" sans parvenir à en faire d'ailleurs une définition (ce qui n'est même pas tenté dans le Manuel). Il s'agit d'ailleurs non de combattre des "maladies" mais des "désordres" mentaux dont le vision se fait finalement de plus en plus proche, ouvertement, d'un contrôle social, à commencer par celui des enfants.

La multiplication des qualifications désordres poursuit son inflation et le dernier Manuel semble bien touffu, presque obscur, aux non spécialistes, comme il est de moins en moins apprécié au sein même des professions, même aux Etats-Unis, ayant affaire aux affections mentales. Il faut dire que la psychiatrie américaine, ses théories foisonnantes, ses pratiques louées ou décriées, et ses classifications anciennes et nouvelles, ont suscité aux Etats-Unis, depuis bien longtemps, une profusion d'écrits à nulle autre pareille (Michel MINARD).

Sans doute précisément dans une société où le contrôle social contrebalance une liberté politique (au moins apparente), il s'agit de surveiller les comportements individuels qui doivent rester dans le "raisonnable", l'"acceptable", le "correct" afin que la société fonctionne relativement sans heurts brutaux. Bien plus qu'en Europe, la psychiatrie occupe une place importante dans le monde médical. Sans faire ici l'énumération ou la critique des concepts de la psychiatrie - souvent en antagonisme plus ou moins direct avec la psychanalyse - que nous entamons par ailleurs, il s'agit simplement de faire le point sur le DSM.

 

           Dans la liste des changements par rapport au DSM IV TR, nous pouvons sérier :

- L'abolition du système des "axes". Les 20 chapitres du manuel sont restructurés en fonction des relations apparentes entre les troubles (symptômes, vulnérabilités) ;

- Deux nouveaux diagnostics voient le jour : l'hyperphagie boulimique (Binge eating disorder) et le trouble d'accumulation compulsive "hoarding" ;

- Les troubles d'abus de substances et de dépendance à une substance sont rassemblés en un seul trouble. En outre l'APA (Association de la Psychiatrie Américaine), précise que dans le DSM-IV les troubles d'abus de substance nécessitaient la présence d'un seul symptôme ;

- Les critères du stress post-traumatique sont modifiés pour s'intéresser davantage aux symptômes comportementaux, aux enfants ert aux adolescents. Un quatrième groupe de symptômes s'ajoute aux trois existants ;

- La dermatillomanie (trouble d'auto-mutilation compulsive à travers des grattages de la peau, grattages de boutons, de cicatrices, de petites aspérités) est incluse dans le chapitre sur les troubles obsessifs compulsifs ;

- Le terme "pédophilie" est remplacé par le terme "trouble pédophiliques" ;

- Les critères des troubles d'apprentissage sont élargis ;

- Les 10 troubles de personnalité sont maintenus.

   Parmi, pour prendre la terminologie scientifique, les modifications majeures, on peut citer :

- Pour la schizophrénie, des troubles ont été retirés de la cinquième édition : au moins six catégories concernant le type paranoïde, le type désorganisé, le type catatonique, le type indifférencié, le type résiduel et le trouble psychotique partagé ;

- Le syndrome d'Asperger n'est plus classé en tant que trouble à part et est classé dans la section du trouble autistique (TSA). 

- Le trouble bipolaire est modifié ;

- Une re-conceptualisation majeure est proposée concernant les troubles de la personnalité. On a maintenant affaire à des troubles de personnalité schizotypique, bordeline (limite), antisociale, narcissique, obsessionnelle-compulsive et autre... ;

- Sur les trouble du déficit de l'attention, il est suggéré que, dans les problèmes de concentration et d'hyperactivité/impulsivité, un minimum de quatre symptômes devaient être identifié chez les individus âgés de 17 ans ou plus ;

- Le trouble d'hypersexualité est proposé en tant que nouvelle catégorie. Cette suggestion présente un diagnostic officiel qui serait également spécifié et désignerait les comportements problématiques liés aux cas suivants : masturbation, pornographie, cybersexe...

 

 

  Même en restant dans l'affirmation des responsables de cette édition qui disent que le Manuel comprend approximativement le même nombre de diagnostics que le DSM-IV, il faut constater que la suppression du système multi-axial et le bouleversement de l'ordre des vingt chapitres contribue à rendre la classification encore plus touffue.

 

Des critiques de plus en plus vives

       Des critiques vives émanant d'anciens responsable des éditions précédentes, qui reviennent souvent eux-même sur leur opinion au moment de leurs publications, comme celle d'Allen FRANCES (patron et rédacteur en chef du DSM-IV) mettent l'accent sur une nocivité de certains changements. Il recommande, en signalant que le DSM n'est qu'un guide et pas une Bible, d'ignorer "ses dix plus mauvais changements". Après avoir écrit que l'annonce de l'APA (de publication du DSM-V) est le plus mauvais moment de ses 48 ans de vie professionnelle en psychiatrie, ce dernier annonce que le DSM-5, profondément défectueux (il est vrai qu'il semble plus mal rédigé que les précédents...), contient de nombreux changements clairement dangereux et scientifiquement contestables. "Mon meilleur conseil aux cliniciens, à la presse et au public, c'est d'être sceptique et de ne pas suivre aveuglément la route du DSM-5 qui a toute chance de conduire à des surdiagnostics massifs et à des sur-médications périlleuses. Il convient tout simplement d'éviter dix changements qui sont des non-sens". Il rappelle que le nouveau manuel a pris un mauvais départ et n'a jamais été capable de mettre en place des fondements solides. "Ses leaders avaient dès le début une ambition prématurée et irréalisable : donner naissance à un changement de paradigme en psychiatrie. Une ambition excessive combinée à une exécution désordonnée a conduit inévitablement à de nombreuses propositions mal conçues et risquées." Le célèbre psychiatre rappelle que l'histoire de la psychiatrie est jalonnée de lubies diagnostiques qui rétrospectivement paraissent plutôt mauvaises que bonnes. Il se refuse à penser que c'est pour des conflits d'intérêts financiers avec Big Pharma (contrairement à certains de ses collègues et de nombreux journalistes et écrivains...) que les experts du DSM-5 ont eux-mêmes proposé leurs lubies diagnostiques, mais plutôt ce qu'il appelle des conflits d'intérêts intellectuels, les experts en question ayant toujours tendance à surestimer leurs idées favorites et les marottes diagnostiques. Il évoque aussi l'évident conflit d'intérêts entre le DSM-5 digne de la confiance du public et le DSM-5 best-seller éditorial. 

Il énumère ensuite les diagnostics à éviter : le dérèglement perturbateur de l'humeur, la dépression majeure (médicalisation du chagrin ordinaire), le trouble neurocognitif mineur, le déficit de l'attention chez l'adulte susceptible d'élargir la prescription de psychostimulants, le trouble excès alimentaire (mais ALLAN a évidemment un conflit d'intérêts alimentaires avec ce trouble!) et l'abus de substance mis dans le même sac que l'addiction pure et dure. De plus, le DSM-5 s'est aussi engagé sur une pente dangereuse en introduisant le concept d'addictions comportementales susceptibles de devenir des troubles mentaux et d'entrainer des surdiagnostics inconsidérés, d'addiction à Internet ou au sexe par exemple, et des traitements aussi lucratifs qu'inutiles. Et le DSM-5 a ouvert encore plus grand aux erreurs de diagnostic de stress post-traumatique dans le cadre médico-légal. Par contre il trouve bien la diminution de la prévalence de l'autisme espérée par le groupe de travail (de 10 à 50% selon les experts), diminution liées à des critères plus soigneux et plus spécifiques ; en revanche, il critique l'annonce trompeuse selon laquelle ces modifications de critères n'auront pas d'influence sur les taux de troubles et sur la délivrance de prises en charge. Al FRANCES termina sa péroraison de décembre 2012 dans Psychology Today en affirmant que "le dsm-5 viole le plus sacré (et le plus fréquemment ignoré) des principes de la médecine : d'abord ne pas nuire. C'est pour cela que c'est un si triste moment." (Michel MINARD)

  Il est vrai que, malgré les nombreuses critiques adressées lors de la publication de drafts à l'intention de très nombreux acteurs médicaux ou sociaux, les deux principaux défauts du DSM nouvel opus résident dans l'abaissement des seuls diagnostics pour certains troubles et l'addition de nouveaux troubles sans preuves scientifiques suffisantes pour les qualifier de troubles spécifiques (troubles de dérégulation dit d'humeur explosive. Sans compter de nombreuses autres critiques, de la part notamment de spécialistes de santé mentale, visant la tendance à soigner les multiples défaillances des services sociaux (éducation, santé) privés de moyens financiers par des prescriptions médicamenteuses individuelles. 

 

Un flou conceptuel

       En tout cas, le flou conceptuel de nombreux troubles présentés dans le DSM 5, outre une perception parfois uniquement biologisante de ces troubles, l'absence de définition de la maladie mentale et l'absence également d'étiologie qui permettrait de distinguer les affections originelles des multiples mécanismes psychiques de défense, interdisent de prendre en compte dans la présentation des multiples affections ses indications. Les prendre en compte, c'est sans doute d'une part accroitre les dangers de mettre en erreur sur le plan scientifique, et prendre un Manuel de diagnostic surtout utile aux compagnies d'assurance et aux producteurs pharmaceutiques pour une oeuvre marquante sur le plan des concepts.

 

   Au bout d'un long exposé critique sur la psychiatrie américaine, Michel MINARD, psychiatre honoraire des hôpitaux, écrit que "Ceci étant dit, il parait difficile aujourd'hui de ne porter un jugement sur les classifications psychiatriques américaines qu'en fonction des critères le plus souvent mis en avant par ceux qui les ont fabriqués ou qui les ont critiqués : leur fiabilité, leur validité et leur scientificité. L'histoire même des DSM nous a montré combien ces trois indicateurs étaient sujets à caution. La validité - de la "rêverie" de Rush à l'"homosexualité" en passant par la "drapétomanie" de Cartwright - a montré qu'elle était plus du ressort des décisions d'une société données que des certitudes d'un corps médical unanime. Certes, la fiabilité a effectivement augmenté avec l'utilisation de critères plus clairs et plus précis. La scientificité, dont on se rappelle qu'elle a été promue par Spitzer avec l'utilisation du fameux indication k et de sa variante pondérée afin justement de mesurer la fiabilité, a été mise en doute par d'autres chercheurs d'autres disciplines, aussi "scientifiques" que Spitzer, comme Kirk et Kutchins. (...) Pas plus aujourd'hui qu'hier, la psychiatrie ne peut prétendre être une science : c'est, comme les autres spécialités médicales, une pratique sociale qui ne doit pas manquer d'utiliser des outils et des concepts scientifiques divers (mathématiques, physiques, chimiques, biologiques, génétiques, etc.) à chaque fois que celui peut lui permettre d'accomplir des progrès dans son artisanat thérapeutique quotidien.(...)."

 

Un certain engouement (en décroissance) pour le DSM en France

    Pour comprendre l'engouement pour le DSM en France, même si celui-ci semble faiblir chez les praticiens en ce qui concerne la cinquième version, Bernard GOISE, pédo-psychiatre-psychanalyste, avance plusieurs hypothèses :

1 - Une hypothèse sociologique : "Elle concerne les modifications de la demande de la collectivité envers les psychiatres et les pédopsychiatres. Il est clair en effet qu'en France, la demande sociale dans les années 1960-1970, à l'égard de la (pédo-psychiatrie, était centrée principalement sur la question du sujet, de sa souffrance et de ses conditions de soin. C'est dans cette perspective que s'est joué, me semble t-il, tout le mouvement de sectorisation (en psychiatrie de l'adulte comme en psychiatrie de l'enfant) dont on sait par ailleurs qu'il renvoyait également à des objectifs égalitaires, et qu'il cherchait à tenir compte, pour lutter contre l'enfermement, de la terrible et douloureuse expérience concentrationnaire à laquelle la Seconde Guerre mondiale, avait, hélas, donné lieu.

La politique de sectorisation est (...) loin d'avoir été menée à son terme mais, à l'heure actuelle, il ne semble plus que les même objectifs ou que les mêmes idéaux soient en jeu et, de ce fait, probablement, la demande sociale a désormais changé.

On parle moins du sujet, on parle moins de souffrance, on parle moins d'enfermement, et l'on parle davantage de symptômes à réduire ou à raboter pour favoriser l'adaptation socio-scolaire de l'enfant.

C'est ainsi que les projecteurs médiatiques ont pu se focaliser successivement sur la violence des adolescents, sur la maltraitance et les abus sexuels, sur les troubles obsessivo-compulsifs (TOC), sur la maladie de Gille de la Tourette (maladie des tics), sur les troubles oppositionnels avec provocation (TOP) ou sur les troubles de l'acquisition des coordinations (TAC) enfin, plus récemment...

La tentation est grande, dès lors, de rechercher la réponse médicamenteuse qui permettrait rapidement de supprimer le symptôme, sans avoir besoin de se livrer à une analyse psychopathologique complète de la situation, analyse forcément lente et pluri-factorielle.

C'est ce que l'on a vu pour les TOC, les tics, les comportements psychotiques sans structure psychotique avérée, et c'est selon moi, dans cette dynamique des idées et des attentes que l'hyperactivité de l'enfant a acquis, peu à peu, un statut clinique particulier, et grandement emblématique."

 

2 - Une hypothèse économique : "La pression des laboratoires pharmaceutiques est énorme dans le champ de la psychiatrie adulte, privant d'ailleurs les enseignants d'une possibilité de transmission véritablement libre des connaissances, et la situation (...) risque de devenir identique dans le champ de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent.

Fort heureusement, les parents nous posent encore de bonnes questions et ne veulent pas s'en tenir à un traitement symptomatique médicamenteux, mais la dérive est déjà en route.

Même si nous n'en sommes pas à la situation scandaleuse des États-Unis, et malgré toutes les précautions prises en matière de première prescription, la consommation des produits maphétamine-like a triplé, en France, au cours des quatre dernières années dans son indication concernant l'hyperactivité...

Quelques collègues et moi-même avions cru bon, ainsi, d'attirer l'attention sur les risques et les problèmes éthiques qui peuvent s'attacher au fait de "bourrer nos enfants de psychotropes" et ce d'autant qu'en ce qui concerne l'hyperactivité, l'analyse psychopathologique des troubles peut, en fait, donner lieu à des choix thérapeutiques multidimensionnels fort intéressants. (...).

Quant au dernier (...) (rapport) INSERM (...) il ouvre délibérément la porte à une prescription dite "préventive" et ceci, avant l'âge de 3 ans (alors que jusqu'à maintenant, les autorisations de mise sur le marché sont encore très resserrées en psychiatrie infanto-juvénile, ne serait-ce qu'en raison d'un principe élémentaire de précaution)."

 

3 - Une hypothèse psychologique et anthropologique : "il existe depuis longtemps une sorte de consensus tacite entre les médias et le grand public pour toujours évacuer la complexité qui nous confronte immanquablement à la question de la sexualité, de la souffrance psychique et de la mort.

D'où la fascination actuelle d'un grand nombre d'équipes psychiatriques pour une clinique de l'instant et les mirages de l'évaluation, au détriment d'une clinique de l'histoire, alors même que les deux axes se devraient de demeurer étroitement liés.

Or, la vie psychique n'est pas simple, et les troubles de la vie psychique non plus. Vouloir le faire croire est une escroquerie, mais une escroquerie qui se fonde sur ce paradoxe que l'humain s'attaque toujours à ce qu'il a de plus précieux, à sa voir sa capacité de penser. De ce fait, tout se passe comme si la pensée avait horreur d'elle-même, comme s'iol existait, partout et toujours, une sorte de haine de la pensée envers elle-même.

Pouvons-nous vraiment croire, comme on nous l'annonce régulièrement, qu'il existe un gène du bonheur, un gène de l'héroïsme, un gène de la violence, un gène de l'homosexualité, et même... un gène de l'autisme?

Les choses sont bien plus complexes que cela, et quand bien même il y aurait une particularité génétique à ces différentes problématiques (ce qui est d'ailleurs hautement probable), les généticiens authentiques et dignes de se nom savent désormais qu'il s'agit d'une génétique infiniment subtile et sophistiquée, d'une génétique dite des "traits complexes", soit une génétique de vulnérabilité qui laisse une place à l'impact de l'environnement, et non pas une génétique causale qui rendrait l'homme, telle l'amibe, littéralement prisonnier de son génome (...). (...)."

   Dans cette dernière considération réside un fait marquant généralement passé sous silence : l'impasse des neurosciences comme science du mental. C'est précisément sur la complexité des processus mentaux, même vu sous l'angle des fonctionnements des différentes parties du cerveau, que butent les spécialistes qui auraient voulu traduire dans les DSM les succès des neurosciences. Soit par carence d'approche (vouloir établir la causalité de comportements à partir de certains processus neuronaux), soit par difficulté d'analyses (découverte de la complexité de plus en plus grande de ces mêmes processus au fur et à mesure que l'on avance dans la recherche), l'approche purement biologique de la maladie mentale se heurte un très gros écueil. Et cela même au moment où le système socio-économique (offre des laboratoires pharmaceutiques, financiarisation de la santé) comme de nombreux acteurs sociaux (parents angoissés par les conditions de réussite scolaire de leurs enfants entre autres) poussent à trouver des solutions immédiates à l'é-explosion de symptômes qui ne sont pas seulement individuels.

 

Initiative pour une Clinique du Sujet, Pour en finir avec le carcan du DSM, Editions érès, 2011. Michel MINARD, Le DSM-roi, La psychiatrie américaine et la fabrique des diagnostics, Editions érès, Collection "Des travaux et des Jours, 2013.

 

PSYCHUS

 

Relu le 23 septembre 2021

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22 septembre 2013 7 22 /09 /septembre /2013 07:49

      La manière dont longtemps les médias, les institutions gouvernementales, les autorités scientifiques, avant de faire un certain revirement progressif à ce sujet, ont décrit l'attitude des populations en général face au développement des armements nucléaires et des centrales civiles nucléaires, relève bien d'une bataille d'opinion, d'un conflit de perspectives quant au futur.

Stigmatisées comme peureuses, angoissées, traitées entre les lignes comme des enfants, les populations notamment des pays qui développaient cette énergie nucléaire, surtout celles situées dans l'environnement immédiat d'arsenaux ou d'installations électriques, faisaient l'objet d'analyses psychologiques, voire psychanalytiques, où étaient utilisées, selon une méthodologie peu regardante, les concepts de ces disciplines. Le foisonnement d'articles, de rapports - notamment issus de services gouvernementaux ou d'entreprise du secteur, voire des services des armées, aux États-Unis ou en France, mettaient souvent en avant la peur du progrès (mettant parfois en parallèle la peur du nucléaire et la peur des véhicules à grande vitesse au début du XXe siècle), la méconnaissance de la nature réelle de la structure de la matière, l'ignorance des effets réels des radiations atomiques, la méfiance mal placée envers les autorités en charge de la défense. Combien d'écrits n'ont-ils pas comparé les premiers écologistes anti-nucléaires à des illuminés et pourquoi, tant qu'à faire mis dans le même sac que les observateurs de soucoupes volantes ou les adeptes des sciences occultes?

 

Sociologie et psychologie au service d'une idéologie du "progrès" ou réelle analyse...

     Toute cette littérature, qui pourrait être déterrée, si l'on voulait se moquer vraiment de ces autorités de l'époque, n'a guère d'intérêt autre que sociologique. Car elle met réellement aux prises une justification de "progrès" face à une défense d'autres modes de vie, qu'ils soient anciens, avec beaucoup de nostalgie (souvent indue), ou qu'ils soient possibles (une autre industrie, une autre agriculture, une autre vie quotidienne...). Car elle met aux prises, dans l'ensemble des sociétés industrielle, des intérêts industriels (dans le secteur de l'énergie notamment), qui se qualifient bien vite d'intérêt général et d'autres intérêts éparses, eux-mêmes contradictoires.

      Ce qui nous intéresse ici, ce sont plutôt des analyses sérieuses sur la psychologie ou la psychanalyse de la situation atomique, tels par exemple, qu'ils ont été effectuées par des auteurs spécialistes dans ces domaines, et qui avaient, par ailleurs, une vision beaucoup plus modérée (que l'emballement publicitaire des industriels) de la réalité. Ainsi Psychanalyse de la situation atomique, de Franco FORNARI (1964 pour la première édition italienne) et L'angoisse atomique et les centrales nucléaires de Colette GUEDENEY et de Gérard MENDEL (1973), nous donnent-ils un aperçu sur la question. La littérature scientifique des années postérieures aux années 1970 est plutôt faible ensuite, notamment parce que, précisément, se font jour des "problèmes" plus généraux liés à la situation atomique...

 

Psychanalyse de la situation atomique

    Franco FORNARI (1921-1985), neuropsychiatre et psychanalyste italien, influencé par Mélanie KLEIN et Wilfred BION, soutient dans Psychanalyse de la situation atomique, "qu'il est nécessaire pour tout homme, en tant qu'homme normal, de se sentir en quelque manière coupable et responsable de la destruction possible de toute l'humanité", le contraire relevant pour lui de la pathologie. Faisant référence aux grandes peurs antérieures (celle de l'an mil, par exemple), il souligne l'originalité de la peur "atomique" en ce qu'elle s'ancre de manière longue dans la psychologie humaine. "L'aspect le plus tragique du péril qui nous menace est au fond celui de l'attraction qu'il exerce sur nous, car celui qui, suspendu au-dessus d'un abîme, n'a plus d'espoir de se sauver, désire se laisser tomber plutôt que de reconnaitre son impuissance". Dans une référence constante à FREUD, il fait le lien dans le monde de la modernité avec les structures psychiques les plus archaïques, avec une tendance bien catholique (au sens des dogmes catholiques) de penser le péché originel. "S'il est vrai que le péché originel, la hybris primitive, s'exprime dans le désir de goûter aux fruits de l'arbre de la vie dans l'illusion d'acquérir l'immortalité des dieux (...), il est encore exact que le mal naît dans la mesure où les hommes sont attirés par l'illusion d'éluder la mort. Si le sens profond du péché originel est dans l'image de l'homme qui veut devenir Dieu, la rédemption, exprimée par le symbole du Dieu fait homme qui meurt pour avoir assumé tout le mal de l'humanité, est la célébration du mystère le plus profond de notre existence, celui par lequel les hommes ayant accepté avec loyauté leur propre mort peuvent survivre ou bien, sur le plan du mythe, ressusciter."

Dans toute la première partie de son ouvrage, il développe "ce besoin de culpabilité en tant que continuelle et dramatique nécessité de mutation" et les rapports "entre l'univers de la culpabilité et la nécessité d'amour-rédenption", avec toujours en arrière fond la question de la guerre, et singulièrement de la guerre atomique" En fait de compte, il y a bien chez l'homme un mélange de responsabilité biologique, de responsabilité éthique, de responsabilité de réparation, la nécessité de l'amour restant le fondement de la culture. 

Après avoir exposé en quoi consiste selon lui les anxiétés psychotique et la vie des groupe et la nécessité du retour du sujet pour surmonter les modalités psychotiques dans la vie des groupes, il en vient pour une seconde partie (dès le chapitre XVI)  à la culpabilité et à la responsabilité de chaque individu à l'égard de sa propre aliénation dans l'État. Car, pour cet opposant à l'armement atomique, c'est bien que se situe le lieu charnière et le pivot d'action possible. Il s'efforce de montrer la révélation par la psychanalyse de la morale intégrale existant dans l'inconscient comme fondement de la responsabilité de chaque individu devant le problème de la paix et de la guerre. Pour lui, la question essentielle est la responsabilité du sujet devant sa propre vérité comme principe épistémologique de l'ère cataclysmique dont l'un des éléments constitue l'attitude face au nazisme.. Il y a comme une continuité psychanalytique entre la responsabilité envers le nazisme et la responsabilité envers la perspective d'un apocalypse nucléaire. Et le noeud de ces responsabilités est l'attitude de l'individu face à l'Etat. "La réduction des préoccupations pacifistes et bellicistes à l'histoire personnelle du sujet, telle que l'a fait la psychanalyse, peut (...) être utilisée, non pas pour dégager l'individu de sa propre responsabilité devant la guerre considérée comme "la sale affaire des grands", mais pour dévoiler les sources des processus de responsabilisation, afin d'établir les prémisses d'une argumentation qui confère radicalement à l'individu le maximum de responsabilité." 

Il constate que le concept de démocratie "en est arrivé à sa crise actuelle parce que la vie des groupes, quelle que fût leur forme politique, avait pu éluder jusqu'à présent la nécessité de passer de l'objet partiel à l'objet total (suite à un développement sur l'évolution de la psyché de l'enfant). Un tel passage, à la différence de ce qui advient dans les collectivités, est pour la structuration du sujet une nécessité originelle."

"Traduit en termes politiques, le retour au sujet pour que la démocratie puisse retrouver une nouvelle possibilité de s'établir présuppose justement la réinstauration du sujet comme fondement de la souveraineté." "La psychanalyse peut démontrer que l'aliénation se trouve moins chez le malade que dans la modalité aliénante par laquelle le médecin établit ses rapports avec le malade ; de même la dimension aliénée de la vie des collectivités est moins liée à la nature immuable de leur vie qu'aux modalités historiques concrètes selon lesquelles les individus établissent leurs rapports avec l'autorité, le pouvoir et l'État. Le retour au sujet, comme retour à la responsabilité de sa propre aliénation dans l'État souverain, semble donc être la condition nécessaire et suffisante pour ramener la civilisation humaine à cette fonction originelle de conservation des objets d'amour, qui donne son sens à la civilisation même, et que la perspective pantoclastique nous propose de recouvrer au point exact qui marque le paroxysme catastrophique de la crise de l'homme et de sa civilisation."

"Il s'agit donc, écrit-il dans le dernier chapitre, plus d'investir dans l'État nos ongles et nos cheveux comme symboles de notre besoin de violence, ni de laisser l'Etat la monopoliser et la capitaliser, mais de placer en lui d'un seul coup et solidairement  le cycle complet de nos besoins de violence, de culpabilité et d'amour réparateur. C'est en cela que consiste l'opération holomonique nécessaire pour empêcher l'État, en tant qu'État souverain fondé sur l'anonie, de devenir le processus de l'industrialisation de la violence privée."

     En fin de compte, il ne voit pas de solution dans les formules économiques et politiques, mais seulement dans la démarche psychanalytique. Il pose, par rapport à toutes les études de comportements des population face au péril atomique, que ces craintes sont absolument fondées et que tout le problème est, pour éviter que ces craintes ne deviennent réalité, est que chaque individu reprenne les responsabilités qu'il a trop confiées à l'État, pour gérer ses propres problèmes existentiels, autour de sa culpabilité quant à la violence.

 

L'angoisse atomique et les centrales nucléaires

   Loin de l'approche politique de Franco FORNARI, Colette GUEDENEY, médecin et psychanalyste qui venait de travailler pendant six ans dans le service de Radio-protection d'un pays de la Communauté Européenne et Gérard MENDEL, socio-psychanalyste, dans un livre à deux voix (assez différentes) se livrent à une analyse de l'appréhension des populations à propos des utilisations civiles de l'énergie nucléaire. 

Dans le sillage de son travail sur la Révolte contre le Père au niveau des groupes, Gérard MENDEL se propose d'examiner l'entremêlement des fantasmes inconscients concernant les centrales nucléaires et la bombe atomique. Dans son étude, il constate que "tout ce qui touchait à la Bombe paraissait minimisé, écarté, refusé - disons-le : réprimé et refoulé. Et ceci aussi bien dans le discours manifeste qu'au niveau de l'activité politique. Les individus et les masses vivaient en permanence avec, braqués sur eux, des fusées porteuses de bombes nucléaires, et ils paraissaient s'en soucier comme d'une guigne". Pour tout un ensemble de raisons, développées dans l'ouvrage, "on était amené à formuler l'hypothèse que la "Bombe" était refoulée car vécue sur un mode semblable aux imagos maternelles archaïques dangereuses : identité de vécu, identité de destin. Le Moi se comportait de la même manière envers les deux, mettait en oeuvre les mêmes moyens de défense afin d'éviter le même type d'angoisse. Il s'agit là d'un phénomène entrant dans le cadre de ce qui nous avons écrit ailleurs à propos de la "sociogenèse partielle de l'Inconscient". Gérard MENDEL entend ne pas se limiter au thème "représentation-fantasme collectifs" et aborde également le fait qu'il existerait sans doute des raisons d'être inquiet à propos des centrales, malgré la confusion des craintes. Il aborde alors les dangers réels liés à la production d'électricité par des centrales nucléaires, sur lesquels il existe une véritable bataille d'experts à l'époque, notamment sous deux aspects : celui de l'accident, avec des produits radioactifs se répandant alentour et celui de l'augmentation globale de la radio-activité, artificielle, entrainée par la création même de l'énergie à fission nucléaire, auxquels il ajoute d'ailleurs le risque de détournement de produits radio-actifs servant à des attentats. Il en tire la leçon qu'il existe à la fois des "mauvaises raisons" (par confusion des phénomènes et par méconnaissance - entretenue - de la technologie utilisée) et des "bonnes raisons" (risques objectifs) d'avoir peur. "La différence fondamentale, sur le plan du "phénomène-peur", est que les "mauvaises" raisons sont liées à des représentations floues, illimitées, pantoclastiques, devant lesquelles le sujet se sent impuissant, et que les "bonnes" raisons dérivent de représentations précises, délimitées, à partir desquelles une intervention efficace socio-politique peut intervenir tant au niveau local qu'aux niveaux national ou international". Il répète d'ailleurs que si "nous n'avions pas opéré (et d'ailleurs beaucoup ne le font pas, notons-le! en tout cas moins hier qu'aujourd'hui...) ce détour par la réalité externe, implicitement ou explicitement, nous nous serions borné à cette interprétation : "Vous croyez avoir peur des centrales nucléaires, mais il s'agit là d'une erreur : ce ne sont pas elles que vous craignez réellement". Conclusion que l'EDF aurait sûrement reproduite avec une satisfaction non déguisée dans ses bulletins, dépliants et communiqués!". 

Colette GUEDENEY a une toute autre approche différente. Dans ses conclusions, elle s'inscrit "à l'opposé des thèses culturalistes qui estiment que la culture crée les fantasmes." Son étude "confirme la nécessité des fantasmes, la pérennité des désirs inconscients à travers les époque et leur indépendance par rapport au progrès technique, et combien il serait imprudent de sous-estimer l'action même des fantasmes sous prétexte qu'ils ne correspondent à rien de réel. Elle a mis l'accent sur l'intrication de la réalité matérielle et de la réalité psychique et montré que l'une ne peut se réduire à l'autre. Le monde fantasmatique sous-tend toute culture, mais la réalité sociale et technologique jouent dans la vie des hommes un rôle important. Cette réalité concrète peut provoquer à partir de l'Oedipe des régressions plus ou moins importantes et plus ou moins passagères, qui ont pour résultat de substituer à une forme plus élaborée du comportement, une forme plus fruste, plus primitive. Cette réalité extérieure agit comme cause déclenchante. Nous avons suffisamment vu le rôle que joue la nature propre du phénomène nucléaire, pour ne pas y revenir. La réalité peut être frustrante, une centrale nucléaire crée dans un petit pays une situation nouvelle où certains individus peuvent penser n'y avoir aucune part. L'indifférence supposée ou réelle des "gens bien placés" les blesse. Les sciences modernes apportent, à un rythme accéléré, nombre de connaissances nouvelles, souvent abstraites, qui peuvent entrainer des difficultés en raison de l'impossibilité ou l'incapacité de progresser. Mais ces événements extérieurs ne sont pathogènes que sur les personnes prédisposées. Une installation nucléaire ne fait que réveiller électivement, plus ou moins brutalement, les fantasmes enfouis dans l'inconscient.
La prédominance des processus secondaires propres au fonctionnement rationnel de la pensée sur les processus primaires qui caractérisent l'inconscient, joue à mon avis un rôle déterminant dans les attitudes vis-à-vis du risque nucléaire. Ce qui me conduit à penser que les sujets ont tendance à se comporter envers l'énergie nucléaire comme ils se comportent dans leur existence, c'est-à-dire en fonction de leurs problèmes sous-jacents.

On pourrait trouver peut-être une confirmation indirecte de mon hypothèse, dans le fait que les statistiques de l'Euratom portant sur "l'étude des attitudes des travailleurs nucléaires vis-à-vis du risque radio-actif" peut s'appliquer à l'état mental de la population en général : 15% de personnes présentent des troubles psycho-pathologiques et sont très angoissées, 80% de personnes sont dites "normales", c'est-à-dire ont une névrose courante, et utilisent le refoulement, et 5% semblent engagées sur la voie de la sublimation grâce à la désexualisation et à l'identification au père."

Elle termine cette étude "en disant qu'il semble exister dans notre société un décalage entre l'avance intellectuelle et scientifiques et la maturation affective. Le problème essentiel me parait être celui de la non-intégration de l'agressivité, dans un monde qui dispose de puissants moyens d'action, et où règne l'interdit moral de l'agressivité. L'intégration et la maîtrise de l'agressivité constituent un des buts des cures analytiques dans le cadre privilégié du transfert. Elles apparaissent comme essentielles pour la vie des sociétés. Elles ne semblent pas acquises sur le plan des relations entre États et entre les gouvernés et les gouvernants, qui fonctionnent parfois à un niveau assez régressif et projectif.

La maturité individuelle est une entreprise difficile à réaliser : peut-être en est-il ainsi des sociétés? Actuellement les guerres sévissent à l'état endémique. ON peut toujours souhaiter une maturation des sociétés qui mette fin à cette forme de barbarie. La boite de Pandore a au moins laissé l'espoir aux hommes.  Dans une société industrielle qui est à la recherche d'idéaux séculiers, les changements et le rythme accéléré des modes de vie sont susceptibles d'induire des régressions. L'énergie nucléaire, de par ses circonstances d'apparition et ses caractéristiques propres, apparait comme un support privilégié pour l'arsenal des fantasmes en réserve dans l'inconscient de chacun. 
L'angoisse atomique semble essentiellement liée à une menace pulsionnelle. La technologie met à la disposition des hommes des moyens d'action accrus, ce qui peut renforcer l'angoisse lié aux désirs et à leur réalisation."

 

Franco FORNARI, Psychanalyse de la situation atomique, Gallimard, nrf, 1969. Colette GUEDENEY et Gérard MENDEL, L'angoisse atomique et les centrales nucléaires, Payot, 1973.

 

PSYCHUS

 

Relu le 12 juin 2021

 

 

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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 13:19

        Pour Mélanie KLEIN, l'analyse de l'Oedipe constitue une véritable révolution, dont les conséquences ne sont pas encore toutes explorées, même par le père de la psychanalyse. Elle se démarque de FREUD en avançant l'âge de l'Oedipe et en affinant la distinction entre l'Oedipe de la fille et l'Oedipe du garçon. D'autre part, elle dégage des avancées audacieuses, pas toutes admises par la communauté psychanalytique, sur la sexualité féminine.

 

Des stades de développement précoces

         Le complexe d'Oedipe est sous-tendu par des processus relationnels précoces. Ces stades initiaux précèdent donc le complexe d'Oedipe décrit classiquement par FREUD survenant à l'âge de trois ans et dont le développement du Surmoi signe le déclin.

         Mélanie KLEIN élabore une technique rigoureuse d'analyse d'enfants (au cours des années 1920) mettant en évidence le fait que les fantasmes oedipiens imprègnent tout le champ d'activité de ces derniers, et découvre les phases du développement trop archaïques pour que l'analyse d'adultes puisse les mettre à jour. Certains manifestations du complexe d'Oedipe apparaissent chez l'enfant bien avant l'âge de trois ans.

Deux sortes de preuves en attestent :

- l'analyse de symptômes qui apparaissent au cours de la première années, révélant l'existence concomitante de fantasmes, d'angoisses et de mécanismes de défense ;

- une grande partie de ces fantasmes est sous-tendue par des tendances prégénitales qui signent la présence d'une configuration triangulaire, caractérisée par l'exclusion, la rivalité et le désir de meurtre, qui remonte au stade oral. (Les stades précoces du conflit oedipien, 1927)

  Mélanie KLEIN parvient également à la conclusion que la violence du complexe d'Oedipe entraine un sentiment de culpabilité et que, par conséquent, la formation du Surmoi date des stades les plus précoces du complexe d'Oedipe. Cette découverte permet d'élargir la théorie freudienne du développement du Surmoi et de ses origines (1928).

Les imagos terrifiantes des stades initiaux du complexe d'Oedipe qui imprègnent la scène primitive sont à l'origine d'inhibitions graves du développement intellectuel (inhibition à l'égard du jeu, inhibitions épistémophiliques, 1930). Ces fantasmes primitifs sont très différents de ceux qui caractérisent les stades ultérieurs du complexe d'Oedipe. Dans ces phases initiales, les objets oedipiens, "bons" ou "mauvais", sont empreints d'archaïsme tout comme l'immense variété des relations qu'ils entretiennent les uns avec les autres. Cette conception du couple oedipien est si particulière que Mélanie KLEIN invente le terme de "figure des parents combinés" pour la désigner.

  En 1935, elle décrit la "position dépressive" qui émane d'une phase décisive dans le développement où, pour la première fois, les mauvais et les bons aspects de l'objet sont reconnus en tant qu'ils appartiennent dans la réalité à une seule et même figure. Les distorsions subies par le couple oedipien à ce stade initial sont liées pour la plupart aux images combinées primitives des bons et des mauvais aspects de l'objet. La capacité d'accéder à la position dépressive marque le passage des stades précoces du complexe d'Oedipe à un stade ultérieur marqué par une reconnaissance accrue de la réalité des objets extérieurs. La position dépressive et le désir de protéger et de réparer l'objet qui, à ce stade, joue pleinement, apparaissent comme les caractéristiques déterminantes du complexe d'Oedipe arrivé à maturité (Le complexe d'Oedipe éclairé par les angoisses précoces,1945).

  Lorsqu'elle décrit la position schizo-paranoïde (1946), son intérêt pour le complexe d'Oedipe diminue ; et, à partir de là, sa recherche s'oriente entièrement vers l'étude des mécanismes de défense primitifs. Ce n'est que dans les années 1980 que l'on assiste à un retour de la parts des analystes kleiniens à une étude sérieuse du complexe d'Oedipe (R BRITTON et ses collaborateurs, 1989).

         La tendance actuelle est déconsidérer le complexe d'Oedipe non pas tant en termes d'amour et de haine, mais plutôt en tant que scène primitive d'où le désir d'apprendre et de créer prendrait son origine. L'enfant a la possibilité d'occuper la position de tiers en tant qu'observateur (et investigateur) du coït parental. Du point de vue émotionnel, l'accès à cette position est le fondement de la pensée, du savoir et de la vie intellectuelle.

          La notion de "précurseurs du complexe d'Oedipe" postulée par Otto FÉNICHEL (1931) est une idée apparentée. De nombreux analystes considèrent l'apparition de ces fantasmes primitifs davantage comme l'ébauche de tentatives visant à créer des représentations psychiques de la réalité extérieure que comme des facteurs jouant un rôle essentiel dans le développement. Ces expériences précoces sont également tenues pour être de simples précurseurs du complexe d'Oedipe dont les composantes, pour être encore essentiellement inactifs, n'en sont pas moins présents. (Robert D HINHELWOOD)

 

Une conception contestée

      La vision kleinienne de l'Oedipe de la petite fille est tantôt ignorée, tantôt contestée, mais est décisive pour des psychanalystes femmes et féministes comme Kanre HORNEY, Helene DEUTSCH, Joan RIVIÈRE... qui lui donnent des développements devenus incontournables. D'emblée, dans le texte de 1928, Mélanie KLEIN affirme, en contradiction avec FREUD, que "dès l'apparition des tendances odipiennes, une connaissance inconsciente du vagin s'éveille, mais aussi des sensations dans cet organe et dans le reste de l'appareil génital". Elle reprend cette idée en 1945 : elle réaffirme "l'hypothèse selon laquelle les deux sexes ont une connaissance innée inconsciente de l'existence du pénis comme de l'existence du vagin". Mais si la petite fille a une connaissance inconsciente que son corps contient des bébés virtuels, cela ne l'empêche pas de douter profondément de sa capacité future à porter des enfants. Alors que le garçons possède le pénis, organe génital visible, la féminité, logée dans des organes internes invisibles, laisse la fille avec un désir insatisfait et incertain de maternité, obligée d'attendre et d'anticiper. L'invisibilité et l'incertitude concernant ses organes internes est la source que ce que Mélanie KLEIN appelle "la situation d'angoisse fondamentale de la fille", due à la crainte que la mauvaise mère vengeresse attaque ses bons objets intérieurs, le pénis parternel et les bébés. Cette angoisse de la fille est analogue à l'angoisse de castration du garçon. 

Le Surmoi de la fille, Pour Mélanie KLEIN, à la différence de ce qu'affirme FREUD, n'est pas moindre que celui du garçon, car du fait du caractère réceptif de son organe génital les processus d'introjection sont renforcés. Son identification au père s'effectue donc en réalité au pénis paternel intériorisé ; par conséquent, elle se fonde aussi bien sur la position féminine que sur la position masculine. (Simone KORFF-SAUSSE)

 

Une révision profonde

     C'est à partir de la refonte par Karl ABRAHAM en 1924 de la théorie des stades, que Melanie KLEIN révise entièrement la doctrine oedipienne de l'école viennoise pour s'intéresser aux relations dites pré-oedipiennes, c'est-à-dire d'avant l'entrée dans le complexe. Dans la perspective kleinienne, il n'existe pas  de libido unique, mais un dualisme sexuel et la fameuse relations triangulaire, qui caractérise l'Oedipe est délaissée au profit d'une structure antérieure et beaucoup plus déterminante : celle du lien qui unit la mère et l'enfant. En d'autres termes, KLEIN conteste chez FREUD l'idée d'une coupure entre un avant non oedipien (la mère) et un après oedipien (le père). A l'organisation structurale elle substitue une continuité toujours opérante : le monde angoissant de la symbiose, des images introjectées et des relations d'objet. En bref, un monde archaïque et sans limites où la loi (paternelle) n'intervient pas. (ROUDINESCO et PLON)

C'est sans doute cet aspect de continuité qui attire de nombreux auteurs, pour qui l'expérience biologique reste déterminante malgré l'introduction dans l'imaginaire de l'enfant de cette troisième personne, le père.

 

Mélanie KLEIN, Le complexe d'Oedipe, Petite Bibliothèque Payot, 2006. Ce livre contient, après une préface de de Simone KORFF-SAUSSE, les textes de 1928 (les stades précoces du conflit oedipien) et de 1945 (Le complexe d'Oedipe éclairé par les angoisses précoces).

Robert D. HINSHELWOOD, Complexe d'Oedipe précoce, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, 2005. Elisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, complexe d'Oedipe, dans Dictionnaire de la psychanalyse, Le libre de poche, 2011.

 

PSYCHUS

 

Relu le 13 février 2021. Complété le 26 février 2021.

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