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5 novembre 2014 3 05 /11 /novembre /2014 08:04

        Nombre d'études sur le travail  font dériver la sociologie de la sociologie du travail vers une sociologie du travailleur.

 

     Des auteurs insistent sur la "définition de la situation" comme ceux dans l'environnement de l'École de Cambridge, elle-même inscrite dans la tradition de l'École de Chicago. En 1952, en plein essor du mouvement des relations humaines, Heverette Charington HUGUES (1897-1983), professeur à l'université de Chicago, et ses élèves publient un numéro spécial de l'American Sociological Review qui marque, quinze ans avant l'étude de GOLDTHORPE, une position alternative à celle de MAYO et de ses continuateurs. Cette nouvelle approche s'intéresse au mouvement des individus dans leur vie professionnelle, tente de mettre en scène des trajectoires empruntées par les individus au long de leur cycle de vie et s'oppose plus ou moins à une approche globale des fonctions remplies par une entreprise ou une administration. Pour ces sociologues, l'action collective est un processus qui peut être saisi empiriquement grâce à l'analyse biographique.

Il faut dire que la biographie est un genre très prisé aux États-Unis, où l'on a tendance à expliquer la vie des individus surtout à partir de leur personnalité, en plaçant seulement en arrière-plan, les conditions socio-économiques globales. C'est cette conception de la réalité qui est à la base de cette fameuse idéologie des gagnants et des perdants (les winers et les losers...).

C'est l'analyse des biographies de protagonistes des actions collectives qui peut donner au sociologue les dimensions des territoires, géographiques ou sociaux, sur lesquels ce processus se déroule. Ces territoires sont des limites "réelles", elles correspondent rarement à une définition administrative ou légale. Les professions en général sont des systèmes collectifs, et elles organisent des conjonctions de destins individuels. Tout se passe comme si, engagé dans un processus de d'interaction avec les générations qui l'ont précédé, l'individu se sent socialisé à une séquence arborescente des postes de travail, parmi lesquels il doit tracer son propre itinéraire. Il se sent ainsi absorbé dans une organisation collective de travail et, en fonction de son niveau scolaire, de son expérience et des systèmes d'opportunités qui s'ouvrent à sa génération, peut choisir entre plusieurs alternatives.

Howard S/ BECKER (né en 1928) et J W CARPER cette approche résument dans l'American Journal of Sociology n°61 de 1956 ("The dévelopment of identification with an occupation") : "Des mécanismes sont à l'oeuvre qui conduisent la participation dans des groupes organisés à affecter l'expérience et l'image de soi des individus. ¨Parmi ces mécanismes jouent l'intérêt pour de nouveaux problèmes, la fierté de mettre en oeuvre de nouvelles techniques, l'acquisition d'une idéologie professionnelle, l'investissement dans ce que l'on fait, l'intériorisation des motifs organisateurs de vocations spécifiques (qui en définissent les frontières), enfin la sujétion dans laquelle on se trouve vis-à-vis des systèmes formel et informel de pouvoir du secteur."  Cette approche relativise fortement l'effet de système que, depuis la recherche de Hawthorne, on accorde à toute organisation du travail. Le changement de perspective provoque dans la sociologie du travail à la fois une extension du champ d'application et une dissolution dans une sociologie de classes, des catégories sociales, de la mobilité sociale, dans une sociologie générale. (Pierre TRIPIER)

    Ceci d'autant plus que les sociologues américains, dans leurs approches, mélangent travaux intellectuels et manuels, positions salariées et indépendantes, professions nobles et humbles occupations, et comme il s'agit de parcours individuels, la sociologie du travail se trouve dissoute dans une sociologie générale, puisque sont mêlées des considérations qui rattachent cette sociologie du travail, à la sociologie familiale. Suivant la tendance idéologique du sociologue, on peut avoir affaire à un affinement de la situation individuelle, vers une typologie des individus qui se retrouve à tous les moments de la vie, qu'ils soient professionnels ou familiaux, ou au contraire à un élargissement sur une réflexion à propos du type de société. Ainsi, en France, des auteurs s'inspirant du marxisme ou de l'actionnalisme (comme GURVITCH ou TOURAINE), sociologues ou anthropologues, entrent dans un dialogue fructueux avec les sociologues du travail. 

  Dans sa réflexion sur l'évolution de la sociologie du travail, Pierre TRIPIER voit un partage entre une approche classique et l'irruption de propositions hétérodoxes tendant à désenclaver la sociologie du travail par abandon partiel de la tradition d'Hawthorne :

- Continuité observée dans les travaux rendus compte par la revue Sociologie du travail (notamment dans les thèmes Nouvelles technologie dans l'industrie ou Enjeu des qualifications) ;

- Rupture par l'émergence de quatre approches distinctes : refus de considérer la situation de travail comme universellement explicative ; examen des vertus discriminatoires du marche du travail (femmes, jeunes, ruraux...) ; utilisation des principes méthodologiques classiques de la sociologie du travail appliqués à des populations ayant des fonctions plus complexes que les salariés des grandes organisations ; comparaisons internationales démontrant que la division/affectation des tâches s'explique moins par la technologie que par des variables sociétales...

 

    La qualification constitue un débat fondamental, pas seulement pour la sociologie du travail, mais dans les relations mêmes entre acteurs sociaux du monde de l'entreprise. Les résistances aux politiques de qualification, la participation des instances étatiques à l'élaboration des grilles de salaires et des rémunérations, l'importance du travail syndical, parfois pas suffisamment clarifié, autour des échelles de rémunérations qui s'appuient sur les qualifications données aux différents postes de travail, constituent les éléments récurrents des conflits sociaux. 

 

   Marcelle STROOBANTS indique bien que "le sociologue ne peut se contenter d'interpréter les relations qui s'organisent autour du travail en fonction du témoignage des acteurs. Leurs conceptions et leurs pratiques sont marquées par des rapports de force et des intérêts qui dépassent le cadre d'une entreprise. Les épisodes au cours desquels une valeur est reconnue à un aspect du travail contribuent à modifier ou à reproduire l'ensemble des structures de qualification ; mais chacun de ces épisodes est également conditionné par ces structures, par la gamme des qualifications des autres travailleurs effectuant, au même moment, des travaux analogues ou différents. 

On comprendra que la qualification représente un des concepts les plus ambigus et les plus controversés en sociologie du travail".

L'auteure s'appuie en grande partie sur la grande étude du Commissariat du Plan sur La Qualification du travail : de quoi parle-t-on? (La Documentation française, 1978). 

"A l'origine, poursuit-elle, de ces débats, on verra resurgir régulièrement deux difficultés :

- la tentative de fonder scientifiquement la qualification sur la qualité du travail ;

- la tentative d'évaluer, dans le temps, les transformations de la qualification."

  Les pionniers français de la sociologie du travail, Georges FRIEDMANN et Pierre NAVILLE (Traité de la sociologie du travail, 1962) divergent sur cette question de la qualification, sur le fait de savoir ce qui est qualifiable, le travail (le poste de travail) ou le travailleur... Et la position du premier varie d'une période à l'autre, sans doute parce qu'à une phase d'optimisme (que n'a jamais partagé Pierre NAVILLE...) succède une phase de pessimisme sur les apports des "progrès technologiques" au travail. "L'évolution du travail, telle qu'elle est interprétée par les sociologues du travail, depuis les années 1950, semble suivre un mouvement alternatif, actionné par la technologie. Dans les années 1955 à 1965, une valeur globalement positive est accordée au "progrès technique" et à ses répercussions sociales. La décennie suivante enregistre au contraire de multiples "dégâts du progrès". Au début des années 1980, les "nouvelles technologies fondent des espoirs de sortie de crise et de revalorisation du travail."

Dans ces climats d'optimisme et de pessimisme qui traversent l'ensemble de la société, les sociologues s'efforcent de garder des caps logiques en fonction des réalités d'introduction des technologies dans l'entreprise.

    Entre NAVILLE, FRIEDMANN et TOURAINE, et leurs collaborateurs comme leurs continuateurs... c'est sans doute ces évolutions de la réalité qui donnent leurs tonalités à leurs analyses, évolutions qui se traduisent également par une évolution du salariat. Ces analyses sont inséparables en même temps de leur instrumentalisation en quelque sorte par les acteurs sociaux. A l'insu parfois des convictions profondes des sociologues, des argumentations sont énoncées par les syndicats et les patronats pour justifier ou appuyer des politiques industrielles. En tout cas, la perte d'importance des rémunérations par rapport aux investissements en machines pèse sur l'ensemble des pratiques du travail. Dans les négociations collectives, la perte de poids des syndicats (que ce soit de manière "mécanique" du fait de cette perte d'importance, soit de manière idéologique par défaut d'objectifs à long terme) participe à un double mouvement de qualification et de déqualification du travail, suivant les branches d'activités, les postes... L'automation est bien au coeur de la problématique de la qualification.

 

   A rester dans la logique de la continuité des thèmes, continuité appuyée par des pratiques de management qui s'alimentent de la sociologie du travail et qui l'alimentent à leur tour, dans un mouvement de... professionnalisation!, le travailleur en soi ne peut que se trouver dévalué, si l'on s'en tient à des considérations strictement liée aux postes de travail, qui restent eux l'objet de toutes les attentions.

C'est pourquoi, dans un contexte de chômage massif (qui va bien au-delà des statistiques officielles...), les sociologues qui optent pour un autre discours tenant compte de l'ensemble des évolutions sociales, sont mieux à même - du point du vue des acteurs qui ne dirigent pas (ou qui subissent...) la vie économique actuelle bien entendu - en replaçant l'homme-travailleur, qu'il soit ou non à un poste, au centre des analyses, de cerner les tenants et  aboutissants des évolutions du travail....

 

Marcelle STROOBANTS, Sociologie du travail, Nathan Université, 1997. Pierre TRIPIER, Sociologie du travail, dans Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

 

SOCIUS

 

Relu le 7 décembre 2021

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29 octobre 2014 3 29 /10 /octobre /2014 13:39

  Sociologie du travail, revue scientifique française fondée en 1959, constitue une référence internationale et s'adresse aussi bien aux chercheurs, enseignants-chercheurs et étudiants qu'à des praticiens, professionnels et responsables politiques. D'une lecture exigeante mais loin d'être hors de portée de la plupart des lecteurs en sciences humaines. Les animateurs de la revue, sous la coordination actuelle de Didier DEMAZIÈRE, du comité de rédaction comme du comité d'orientation, offrent en parution trimestrielle, des articles sur les conditions et les mutations du travail. 

   Avec ses numéros abordant à chaque fois des thèmes différents, la revue donne un bon aperçu de la recherche en la matière. Publiée par l'Association pour le développement de la sociologie du travail, avec le concours du CNRS, elle est éditée par Elversier-Masson. Animée depuis sa création par Michel CROZIER, Jean-Daniel REYNAUD, Alain TOURAINE, Jean-René TRÉANTON, sous le patronage de Georges FRIEDMANN et de Jean STOETZEL, cette revue poursuit une double orientation.

Revue spécialisée d'un domaine - celui du travail - elle tient aussi à rester une revue de sociologie générale, en prise sur les problèmes d'actualité, ouverte au dialogue sur les disciplines. Elle publie les résultats de recherche empirique, des travaux théoriques, des numéros thématiques pluridisciplinaires, des dossiers-débats et des symposiums susceptibles d'alimenter scientifiquement le débat sur les questions de société contemporaine.

Elle publie également depuis 1999 un supplément électronique en anglais diffusé sur ScienceDirect et organise chaque année un prix du jeune auteur. Des articles depuis 2004, sont disponibles également sur le site de l'éditeur (www.em-consulte.com/revue/soctra.

  On retrouve dans le comité de rédaction une quinzaine d'auteurs relativement connus, comme Didier DESMAREZ, Michel LALLEMENT, Christine MUSSELIN ou Eric VERDIER. Le comité d'orientation se compose d'auteurs français et d'autres nationalités.

 

  Lors de son trentième anniversaire, la revue a récapitulé la liste de ses articles, classés par rubriques. Les index utilisés, dans chacune des trois périodes 1959-1972, 1973-1979 et 1980-1989, montrent l'évolution des thèmes privilégiés. 

Dans la première période sont beaucoup traités le patronat et la classe ouvrière, ainsi que la bureaucratie, l'innovation, les problèmes de la jeunesse et des étudiants, ces thèmes étant moins traités par la suite.

Dans les deux premières périodes reviennent souvent les questions des Mouvements sociaux, des Professions, des Relations professionnelles, du syndicalisme, de l'action syndicale et de la revendication. Son abordées également les Théories de l'organisation, les questions autour de l'Entreprise et son organisation, de l'Industrialisation et société, de l'Industrie en soi et de la société, les Modes de rémunération, les Problèmes de formation, la Stratification sociale, les Systèmes de valeurs, la Ville et l'urbanisation...

Plusieurs changements très remarquables marquent la dernière période. Tout d'abord la classe ouvrière, qui connait une éclipse dans les années 1970, refait surface sous la forme d'un "groupe social" parmi d'autres. Simultanément, l'entreprise semble perdre la consistance d'une rubrique particulières : mais, un peu partout, elle reste une référence et fait même l'objet d'une livraison spéciale de la revue en 1986. En revanche, la qualification suit le trajet inverse. Elle apparait tardivement dans une rubrique autonome, aux côtés des savoirs et compétences. Auparavant, la qualification est pourtant bien représentée - abordée sous l'angle de la formation et de la rémunération - et un premier numéro spécial lui est consacré en 1973. Ce mouvement est à rapprocher des questions techniques, omniprésentes pendant les deux premières périodes, mais finalement traitées sous un intitulé spécifique et modernisé. Singulièrement, ce même traitement s'applique aux concepts les plus fondamentaux de la sociologie du travail. La dernière décennie accueille, en effet, dans une rubrique spécifique, la division du travail (aux côtés de l'organisation) et, plus étonnant encore, le travail lui-même. Détail important, le travail en question est analysé sous l'angle de son contenu et de ses représentations, ce qui traduit un rapprochement avec les préoccupations des ergonomes et des psychosociologues. la nette séparation du travail et de l'emploi suggère que la rupture entre les deux orientations de la sociologie du travail est consommée et cette rupture se situe aux frontières, mal définies, de l'entreprise.

   Cette dernière époque affiche un intérêt explicite pour les savoirs des travailleurs, la science dans l'industrie et celle des chercheurs. Les articles rangés dans la catégorie "Théorie, méthodologie, épistémologie", comme les numéros spéciaux, sont remplis de réflexions autocritiques, de doutes et de tentatives de nouvellement de perspectives. Comme dans d'autres spécialités sociologiques, la chasse aux paradigmes est ouverte. Avec la débâcle des "grandes théories" marxistes et structuralistes, les chercheurs s'en retournent aux sources, aux expériences concrètes, aux témoignages : mais les réalités du travail ne se laissent pas saisir directement.

La disparition des "système de valeurs" appartient au même revirement. Car les "représentations" des acteurs ont supplanté l'idéologie et ont apparemment gagné en efficacité. Capables d'orienter les pratiques, de refaire le monde, ces représentations contribuent aussi à reconstruire la société. Naguère, il s'agissait d'expliquer l'organisation de ces "constructions sociales", ou leur fonction par référence aux structures globales. Désormais, l'accent se porte plutôt sur leurs effets. A l'extrême limite, la sociologie cède la parole aux acteurs, ou à certains d'entre eux, quitte à retourner sa fonction critique contre elle-même.

Tous ces changements affectent aussi les thèmes apparemment stables. Malgré son déclin, le syndicalisme résiste au temps, au même titre que les "relations professionnelles" et les "mouvements sociaux". Toutefois, le nombre d'articles correspondant diminue très fortement.

Inversement, les professions rencontrent un succès croissant dans la dernière période. Le sujet n'est pas neuf. l'abondante littérature anglo-saxonne qui lui a été consacrée depuis le début du siècle a d'abord éveillé des critiques sévères, mais les mouvements de professionnalisation ne sont plus analysés comme une survivance corporatrice, mais comme une réaction face aux incertitudes de la relation salariale L'apparition du thème "Emploi, chômage, marché du travail" reflète l'émergence d'une sociologie de l'emploi.

Tandis que la sociologie du travail s'interroge sur les divisions entre travailleurs, sur la crise du travail et sur sa propre crise, elle ne cesse de s'étendre, de se fragmenter, de se recomposer, de nouer des relations avec d'autres matières. La revue, comme la discipline sociologie du travail, vit réellement en phase avec son objet, un objet sensible aux controverses. (Marcelle STROOBANTS, Sociologie du travail, Nathan Université, 1993)

 

    Bien entendu, l'évolution de la revue ne s'arrête pas là et on peut constater, avec l'approfondissement de la crise économique et la permanence d'un chômage massif, que les controverses marquent dans le ton et le contenu nombre d'articles, et reflètent bien une conflictualité croissante.

 

Sociologie du travail, Elsevier-Masson.

 

Relu le 26 novembre 2021

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28 octobre 2014 2 28 /10 /octobre /2014 13:24

      Les conclusions des recherches d'Elto MAYO, de ses collaborateurs ou de ses disciples se trouvent nettement changées, à partir des méthodes mêmes qu'il a énoncées pour une sociologie du travail. Successivement, des chercheurs comme Georges FRIEDMANN (1902-1977), Pierre NAVILLE, Alain TOURAINE, John GOLDTHORPE (né en 1935) et son école de Cambridge, Louis E. DAVIS et le Tavistok Institute, précisent un certain nombre d'éléments qui dessinent les contours entre des approches différents, voire conflictuelles de cette sociologie en devenir. 

 

     Georges FRIEDMANN estime les expériences de Hawthorne bien trop réductrices, réduisant l'univers humain à son univers de travail. Dans problèmes humains du machinisme industriel (1946, réédité chez Gallimard en 1965), il écrit que "En adossant ces recherches pratiques à la notion d'une "structure sociale" de "l'entreprise", considérée comme une unité séparée, en s'efforçant de préserver celle-ci contre les causes de désagrégation ou de division, l'équipe des chercheurs de Hawthorne rencontrait les préoccupations intimes des leaders de l'industrie. Ils servaient ainsi toutes les mesures par lesquelles un patronat novateur cherche, depuis des décennies, à combattre et neutraliser (...) les courants centrifuges (...) qui écartent de l'entreprise l'intérêt, la sympathie, l'intelligence de l'ouvrier et la polarisent sur d'autres centres, hors de l'atelier. (...) Mais la complexité de la sociologie de l'entreprise provient principalement du fait que chaque ouvrier, en même temps qu'il est membre des diverses collectivités intérieures à l'usine l'est aussi de collectivités extérieures, plus vastes, telles que syndicat, classe sociale, nation, où interviennent des différenciations individuelles selon la nature du syndicat, la qualification professionnelle, l'origine ethnique et le degré d'assimilation nationale (...) ; groupes qui exercent chacun leur action sur la conscience ouvrière et dont les influences se rencontrent et se composent avec celle de la compagnie qui, après tout, n'est qu'un groupe entre autres." (cité par Pierre TRIPIER).

     Cette critique est un appel pressant à utiliser les méthodes de Hawthborne en leur appliquant une explication moins unidimensionnelle. Mais aussi elle rappelle que les relations sociales entre syndicats et patronats, notamment aux États-Unis, sont parfois très conflictuelles, souvent violentes, et qu'une sociologie du travail ne saurait être mise sans discussions tout simplement au service du patronat. A cet égard, seule la lecture marxiste d'une sociologie générale permet une intégration des diverses problématiques, au prix sans doute d'une méconnaissance des différenciations nationales, encore que, en sortant des interprétations purement orthodoxes, on y parvient. 

    Cette étude intégrative de l'ouvrier dans ses différents milieux, dans le champ d'une sous-discipline en formation, deux courants le tentent : le premier représenté par Alain TOURAINE, le second par l'Ecole de Cambridge. 

Georges FRIEDMANN énonce une sorte de programme d'études indiquées par le titre même de ses ouvrages : La crise du progrès. Où va le travail humain? (1963) (à sa perte écrit-il dans la préface à la troisième édition), Le travail en miettes (1964), Le milieu technique : nouveaux modes de sentir et de penser, Le loisir et la civilisation technicienne. 

Cette orientation conduit aussi bien à étudier les pathologies liées à l'appauvrissement et à la répétitivité des tâches que les phénomènes d'utilisation du temps libéré pour les loisirs. Il s'agit de comprendre les conséquences du plus grand nombre d'ouvrier et de l'apparition de techniciens fortement instruits. Le sociologue s'interroge sur la place de l'ouvrier dans la société industrielle et sur son avenir. Il ne retient pas de Hawthorne sa méthodologie alors que ses disciples l'appliquent. Il réfléchit à partir des monographies des autres sans en produire lui-même, laissant le soin à ses élèves de lui apporter les éléments concrets d'une réflexion plus théorique.

 

     Alain TOURAINE reprend le programme de Georges FRIEDMANN, autour du concept de "situation de travail". Il définit cette notion avec Bernard MOTTEZ (dans une contribution au Traité de sociologie du travail de FREIDMANN et NAVILLE : "Classe ouvrière et société globale") : "Le travail mécanisé, le niveau et la forme des salaires, les méthodes d'organisation et de gestion des entreprises, définissent une situation de travail et permettent d'analyser les attitudes et l'action ouvrières. Mais celles-ci ne s'expliquent pas seulement par (la situation de travail), elles dépendent aussi des caractères de la société considérée dans son ensemble et de la place qu'y occupe la classe ouvrière". Il suppose, pour que les relations entre classe ouvrière et société soient intelligibles, que les individus urbanisés ont très peu de repères sociaux antérieurs. Les individus sont forgés par cette situation de travail. Pour comprendre comment cette situation agit, Alain TOURAINE distingue trois moments différents dans l'histoire de l'industrialisation, les phases A, B et C, qui correspondent à des qualités de travail différents, des relations différentes entretenues à la direction de l'entreprise et de différentes volontés de contrôler les fruits du travail. La situation du travail ferait naitre, sous certaines conditions, un type de conscience du travailleur. La conscience ouvrière est l'expression de la volonté pour chacun, de participer à cet acte créatif, le "système d'exigences défini par le travail lui-même, double valorisation de la créativité et du contrôle du travailleur sur ses oeuvres. (La conscience ouvrière, 1966, Le Seuil).

 

    L'École de Cambridge, Johan H GOLTHORPE (né en 1935) en tête, se questionne sur les changements de la classe ouvrière, et sur son possible embourgeoisement. Alors qu'Alain TOURAINE définit ses recherches autour de la notion de "situation de travail", l'équipe de Cambridge part su principe d'une "définition de la situation" par le travailleur : elle donne moins d'importance à l'expérience du travail qu'à l'attente qu'il suscite. Dans leur enquête à Luton auprès de plus de 200 ouvriers, leur définition de la situation correspond à une transaction muette passée avec eux-mêmes : accepter un travail peu impliquant contre un bon salaire. Leur comportement est en harmonie avec cette vision instrumentale du travail. Pour les chercheurs de Cambridge, ce n'est pas la situation de travail qui détermine le comportement, c'est l'itinéraire familial et professionnel vécu avant d'entrer dans l'usine. Du coup, c'est la vie privée des travailleurs, qui avait été exclue des précédentes recherches, qui est réintroduite dans une sociologie du travail assez différente.

 

  Se fait jour dans les années 1960, dans la continuité des préoccupations de FRIEDMANN et du Tavistock Institute, un mouvement d'opinion plaidant pour l'enrichissement des tâches. Aux campagnes menées par A H MASLOW (1908-1970) en 1954 et Frederic HERZBERG (1923-2000) en 1966, deux psychosociologues, se rattachent avec plus d'ampleur en milieu industriel celles de Louis E DAVIS et du Tavistock Institute. En décomposant très finement les postes de travail en "unités d'opération", ils ont pu les recomposer en leur attribuant une plus large marge d'incertitude qu'auparavant ; les opérateurs y ont une marge d'autonomie et des responsabilités dans l'organisation du travail plus grandes que dans l'ancien système. Les tâches sont donc "enrichies", les gains pour l'entreprise se situent moins dans la sphère de la productivité que dans celle de l'absentéisme, qui régresse radicalement. Ces expériences permettent en outre de distinguer à un niveau beaucoup plus fin qu'auparavant ce qui doit être attribué à la contrainte technologique, difficile à surmonter, et ce qui revient à l'organisation qui accompagne le procédé technique.

Ainsi, dans l'histoire de cette tendance dans l'industrie depuis les années 1930, il apparait que les sociologues ont inventé des outils de plus en plus perfectionnés pour saisir ce qui, dans le mélange de technologie et d'organisation, est effectivement imposé par la contrainte technique. La part de cette dernière est toujours moins importante que ce que les acteurs sociaux ne présupposent. . Ainsi, l'autonomie ouvrière se maintient dans le travail des ouvriers spécialisés, comme l'attestent les études de Donald ROY (1909-1980) (par exemple dans l'American Journal of Sociology n°60, 1954) Tom LUPTON (On the shopfloor, London, Pergamon Press, 1963) Philippe BERNOUX (avec ses collaborateurs : Trois ateliers d'OS, Éditions ouvrières, 1969), Robert LINHART (né en 1944) (L'Établi, Éditions de Minuit, 1978) et de Michael BURAWOY (Manufacturing consent, University of Chicago Press, 1979). Des enquêtes le vérifient, comme celle de Pierre DUBOIS (Les ouvriers divisés, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, 1981), Claude DURAND (Le travail enchaîné, Le Seuil, 1978), Daniel CHAVE (Dix années de sociologie du travail. Les titres du Bulletin signalétique recensé en 1972 et 1982, dans Le travail et sa sociologie) par exemple. 

Les OS se créeraient, écrit Pierre TRIPIER, "des espaces d'autonomie en réponse aux injonctions patronales. Ces espaces d'autonomie ne sont pas "irrationnels" par rapport aux buts de l'entreprise, bien au contraire. Ils visent à ce que ces buts soient atteints mais, pour y parvenir, ils doivent "tricher" avec la direction de l'entreprise. Donald ROY (1954) montre comment, quand le chronométreur vient mesurer les temps d'un ouvrier, celui-ci accomplira des gestes apparemment fonctionnels qu'il n'utilisera plus, le chronométreur parti ; le groupe ouvrier réussit à créer un réseau horizontal de complicités pour éviter d'avoir à appliquer les injonctions de la direction, cette pratique est mieux adaptée au type de production (séries courtes) que le système "rationnel" imposé par la direction. Mais, comme le souligne Jean Daniel REYNAUD (Les régulations dans les organisations, dans Revue française de sociologie, n°1, 1988) on ne saurait tirer la conclusion que le groupe ouvrier peut créer ses propres normes, dans un mouvement d'auto-organisation : ni, non plus, comme le croient les propagandistes des cercles de qualité, que la direction peut absorber la mine des gains de productivité que cette autonomie recèle."

 

    Dans la sociologie dominante, suivant le programme et les orientations de Georges FRIEDMANN,se développent plusieurs approches et en définitive plusieurs sociologies, allant dans le sens d'une parcellisation grandissante de la sociologie, éloignant les perspectives globales et centrées sur le monde du travail. Seules les approches marxistes, qui ne veulent pas justement tomber dans cette sorte de piège, même si par ailleurs de nombreux éléments d'analyses sont dégagés dans ce mouvement de parcellisation, gardent la perspective globale, en vue de la transformation de la société, considération qu'ont abandonnés les sociologues en général à l'heure actuelle...

   Ainsi, Georges FRIEDMANN contribue, dans son oeuvre foisonnante à une sociologie des techniques de production et du travail, à une psycho-sociologie de l'entreprise, à une sociologie du syndicalisme, de l'autogestion ouvrière et des conflits du travail, à l'étude de vie de travail et de la vie hors travail, faisant dériver de la sociologie du travail une sociologie des loisirs...

 

Georges FRIEDMANN et collaborateurs, Sociologie...., dans Traité de sociologie, sous la direction de Georges GURVITCH, PUF, 2007. Pierre TRIPIER, Sociologie du travail, dans Sociologie contemporaine, sous la direction de Jean-pierre DURAND et Robert WEIL, Vigot, 2002.

 

SOCIUS

 

Relu le 25 novembre 2021

 

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23 octobre 2014 4 23 /10 /octobre /2014 08:50

        La sociologie du travail, qui est loin d'épuiser toutes les formes de conflit sur ce sujet, parait au début du XXe siècle aux États-Unis sous la forme d'une discipline enseignée dans des écoles d'ingénieur. Elle se manifeste aussi dans la première grande recherche systématique sur le travail dans les grands magasins, les mines et les aciéries, le "Pittsburg Survey" (1907). Cette étude porte sur la sélection à l'entrée du marché du travail, le contenu des tâches, les conditions de travail, le niveau de revenu, le genre de vie des différentes catégories de salariés. Le rôle des syndicats et des contremaîtres dans la distribution des tâches et la régulation du marché du travail est également analysée. De plus, la recherche porte également sur la relation qu'entretiennent la localité, les familles et le travail, une problématique assez large. Mais cette perspective, réformatrice, est peu à peu abandonnée et se substitue à elle une sociologie du travail plus "professionnelle", entendre plus à l'écoute des propriétaires et des dirigeants d'entreprise, s'impliquant nettement moins dans un débat politique et davantage préoccupée des méthodes de recueil de données et de la validité de ses comparaisons et de ses descriptions. 

 

   La recherche menée à Hawthorne, dans une usine de la Western Electric Company entre 1924 et 1932 est présentée par beaucoup d'auteurs comme le moment fondateur de la sociologie du travail. Cette recherche fixe ses principaux éléments, l'objet préférentiel d'étude, les méthodes d'approche, les interrogations... Beaucoup de sociologues du travail continuent de suivre la tradition que cette recherche institue sur plusieurs plans :

- les méthodes quantitatives et qualitatives ;

- l'objet principal, collectif, groupe de travail ou entreprise dans lesquels le sociologue recherche la nature des relations : systèmes formels et informels, significations manifestes et latentes, organisation technique et organisation sociale, nombre d'éléments des coopération et conflit en entreprise ;

- la définition du "système social". Celle de CUVIER : "composition d'éléments interreliés de telle façon que, si l'on change un élément, c'est le système tout entier qui change" est prise comme référence forte. Pour Elton MAYO (1880-1949) et ses collaborateurs, chaque atelier, chaque usine, chaque entreprise est un système social, lequel est en relation avec un environnement, mais dans la dynamique d'ensemble se trouve déterminée par les interrelations internes. Le système social est adaptatif, transformable, et du point de vue des dirigeants d'entreprise, la sociologie "sert" à améliorer les rendements, les performances, de ce système. A l'intérieur de ce système existe une culture dont la nature est propre, suivant les cas, à freiner ou à accélérer ces rendements ou performances. Une véritable discipline est née à Hawthorne, avec ses ramifications : sociologie ou psycho-sociologie du travail, des organisations, activité d'expert dont le travail consiste à améliorer les systèmes sociaux, suivant d'ailleurs des finalités qui séparent plusieurs écoles de sociologues, suivant des frontières parfois difficiles à définir, mouvantes et souvent tributaires des évolutions globales de la société. 

 

    Pierre TRIPIER distingue quatre problèmes pour le "mouvement des relations humaines" né à partir des travaux de Elton MAYO et de ses disciples :

- le pouvoir de négociation des agents de maitrise, avec les travaux, à la suite directement de Elton MAYER, de Rensis LIKERT (1903-1981) et des chercheurs du "Survey Research Center" de l'Université du Michigan (1947-1956), puis de ceux de Donald C PELTZ et de Flory MANN dès 1952 ;

- la différence entre groupes cohésifs et groupes coopératifs, avec, s'inspirant de Max WEBER (1864-1920) (Études sur le freinage), les travaux de Stanley E SEASHORE, dont Ph SELZNICK (1919-2010) généralise les enseignements (Etude de la "Tennessee Valley Authority' de 1949) ;

- les contradictions entre système technique et système social, avecles recherches effectuées en Angleterre par le Tavistock Institute et par Joan WOODWARD (1916-1971) et son équipe, en France par Georges FRIEDMANN (1902-1977) et ses collègues de l'Institut des sciences sociales du travail, aux États-Unis par Leonard SAYLES d'une part, Charles R WALKER et Robert H GUEST (1956), de l'autre ;

- la dérive de la sociologie vers l'activité de consultant des dirigeants d'entreprise, mise en évidence par l'anthropologue Lloyd WARNER (1898-1970).

   Les études  menées à Hawthorne, leurs enseignements, se voient corrigées dans les recherches postérieures :

- C'est moins le style de commandement du contremaître que le genre d'organisation dans laquelle l'ensemble des salariés sont insérés qui est susceptible de créer les conditions d'une satisfaction élevée.

- L'évolution même des systèmes techniques enlève de plus en plus à l'ouvrier la possibilité de s'identifier à son travail, d'y trouver des satisfactions.

- Parce que les sociologues du travail sont aussi des consultants, ils enferment l'explication sociologique dans les murs de l'usine et les variables individuelles antérieures à l'embauche, les considérations privées, d'ordre familial, ainsi que les différenciations de sexe et de culture nationale ont tendance à être évacuées du système d'explication de la sociologie du travail.

 

L'effet Hawthorne

    Marcelle STROOBANTS s'étend longuement sur l'effet Hawthorne, à l'origine de la sociologie du travail "Comment interpréter ces augmentations de productivité (dans la première expérience de sociologie industrielle : The relay Assembly Test Room - Atelier expérimental d'assemblage de relais téléphoniques) (alors que varient des éléments du montage de relais, du nombre des pauses aux salaires)? Le salaire aux pièces à l'échelle d'un petit groupe est certainement un meilleur incitant au rendement que la prime collective à l'échelle de l'atelier. Mais les conditions expérimentales modifient complètement la situation des ouvrières, leurs attitudes et leurs relations interpersonnelles. Autrement dit, les conditions physiques et matérielles du travail n'agissent pas telles quelles sur l'individu, mais telles qu'il les ressent."
Ces chercheurs, ceux désignés par la suite comme le mouvement des "relations humaines" (Elton MAYO, F.J. ROETHLISBERGER, T.N. WHITEHEAD et W.J. DICKSON...), "ont mis en évidence un phénomène qui sera largement exploré par les psychologues du travail et exploité par les dirctions : l'observation et l'enquête contribuent à "valoriser" les sujets observés, à augmenter leur satisfaction au travail et leur rendement. Ainsi donc, les circonstances de l'étude suffisent à affecter ce qu'il s'agissait précisément d'étudier. Dès qu'on s'intéresse aux travailleurs, leur travail leur semble plus "intéressant". Dans une certaine mesure, les conditions objectives - négatives ou positives - de travail importent moins que cette valorisation. (...)." Le travail empirique du groupe, affiné plus tard, interrompu par les suites de la grande crise de 1929, s'inscrit dans une perspective psychosociologique, dans un contexte marqué par le développement du taylorisme, et c'est d'ailleurs à cause de ce contexte que l'on peut appeler ces chercheurs, un mouvement des "relations humaines", tant les modalités de ce travail en usine apparaissent, et il n'est pas besoin d'études très poussées pour le constater, assez déshumanisantes. Les actions informelles décelées mettent directement en cause les certitudes de la rationalisation taylorienne, et tout particulièrement l'idée que le salaire constitue l'incitant principal au rendement. La logique des travailleurs de base apparait bien différente de celles des ingénieurs qui mettent en place et qui entretiennent les chaînes de travail. De fait, d'ailleurs, les membres de l'équipe de Harvard ne se présentent pas comme des sociologues. Sans refuser l'expertise, ils se posent surtout en chercheurs qui élaborent des méthodes et un cadre d'analyse. Ils généralisent l'opposition entre organisation formelle et fonctionnement informel : le système social ainsi pensé se constitue en une double facette technique/humaine. 

Pendant leurs études, ils amassent une quantité impressionnante de données mais ne tirent que des conclusions assez limitées :

- le travail est une activité collective qui organise l'univers social ;

- l'identification au groupe est plus importante que les aspects matériels du travail ;

- les revendications ne sont que les indices de la situation d'un individu dans l'entreprise ;

- les attitudes et l'efficacité des travailleurs trouvent leur origine dans et hors de l'entreprise. Dans l'entreprise, chaque groupe informel s'exerce un fort contrôle social, mais la coopération entre les groupes n'est pas spontanée, il faut l'organiser. Au-delà de l'entreprise, le changement social déstabilise l'organisation de l'entreprise. 

  Malgré des critiques et des remises en cause, l'influence de ces travaux perdurent longtemps, notamment sous la forme de multiplication de groupes-experts au service du management. La gestion des ressources humaines constitue par la suite un enjeu important dans les relations entre personnels, notamment ceux qui sont organisés en syndicats, et directions. A partir de ces travaux, plusieurs lignées de la sociologie du travail se forment. 

La sociologie du travail trouve son origine dans deux courants qui peuvent coexister, se rencontrer ou se faire concurrence :

- l'un tente de replacer le travail et la condition des travailleurs dans une vue globale de la société ;

- l'autre se focalise sur l'acte du travail, dans l'atelier ou l'entreprise. 

Marcelle STROOBANTS estime qu'il faut se garder de transformer ces deux courants en sociologies opposées, l'une sensible à la cause des travailleurs, l'autre plutôt d'orientation managériale. Les enquêtes sur la condition prolétarienne au XIXe siècle peuvent répondre à des préoccupations conservatrices, à des fins de contrôle social. Celles effectuées en entreprise ne sont pas forcément assujetties aux finalités de la direction. Dans l'étude des faits sociologiques, les intentions se frottent à des réalités plutôt têtues, que leurs objectifs initiaux soient réformistes, révolutionnaire sou conservateurs... En tout cas, les réalités du travail à la chaîne, tel qu'il se généralise dans les manufactures, toute l'industrie de transformation et de l'équipement, la gestion scientifique mise surtout au point à partir des travaux de l'ingénieur Frédéric Winslow RAYLOR (1856-1915) dans les années 1880 à 1910, suscite des réactions dont l'une, finalement très forte, est la formation d'une sociologie qui ne peut pas examiner la condition des travailleurs, comme le rappelle Sabine ERBÈS-SEGUIN. Aux États-Unis et en France, la postérité des études de l'équipe d'Elton MAYO est portée jusque dans les conflits sociaux, à travers les préoccupations souvent antagonistes des syndicats et des patronats. D'une certaine manière, d'un côté comme de l'autre, elle alimente à la fois les développements du management industriel et les développements des luttes syndicales...

 

Sabine ERBÈS-SEGUIN, La sociologie du travail, La Découverte, collection Repères, 2010. Marcelle STROOBANTS, Sociologie du travail, Nathan Université, 1993. Pierre TRIPIER, Sociologie du travail, dans Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

 

SOCIUS

 

Relu le 26 novembre 2021

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17 octobre 2014 5 17 /10 /octobre /2014 12:52

   Très tôt les premiers sociologues ont identifié l'un des plus grands éléments de conflit entre les hommes et les communautés humaines : la division du travail détermine en grande partie comment les hommes se combattent et coopèrent. Qui travaille, comment le travail se réalise-t-il, dans quel cadre juridique ou sociétal a t-il lieu, qui tire profit de ce travail... Voilà un certain nombre de questions dont l'importance remonte à bien antérieurement l'existence d'une sociologie du travail en bonne et due forme. Elles gisent au coeur du fonctionnement de la société, que le statut du travailleur soit l'esclavage, le servage ou le salariat, que le produit du travail soit agricole, minier ou industriel, que la matière travaillée soit la terre, les métaux ou des produits déjà très élaborés. On remarque d'ailleurs qu'aucune branche d'activité humaine n'échappe a priori à cette problématique, même le guerrier ou le soldat peut être considérer comme un travailleur et il existe dans bien des sociétés des guerriers-esclaves. Pour autant, on trouve rarement dans les écrits de manière générale mention de la condition du travailleur tout simplement parce que, dans toute l'épaisseur des civilisations, le travail est considéré - souvent fort mal d'ailleurs - comme dû à des citoyens en tant que tels, dont une caractéristique parfois, est que précisément il ne travaille pas, ou en tout cas ne considère pas qu'il travaille, qu'il soit sénateur romain ou soldat grec. Il faut attendre les débuts de la révolution industrielle, voire les urbanisations importantes pour voir éclore en temps que tel des conflits liés au travail, souvent sous forme de grèves des travailleurs, dont l'efficacité indique tout-à-fait la centralité de leur position, même si leur statut social est déconsidéré, voire méprisé. Même les grèves d'esclaves dans l'Antiquité, dont on peut retrouver la trace, tellement elles ont perturbé le cours "normal" de certains empires, qui se transforment souvent en révoltés violentes ouvertes (ou pas...) indiquent cette position centrale dans la vie sociale. Sans travail, c'est très simple, la société n'existe pas. Si ce n'est qu'avec l'industrialisation, et tous les conflits qui l'accompagnent, qui provoque l'éclosion de très nombreuses études sur le travail, et que d'ailleurs nait une sociologie du travail, celui-ci a toujours été accompagné de toute une littérature, notamment utilitaire pour les bénéficiaires du travail, à savoir les maitres d'esclaves, les propriétaires de domaines agricoles, les gestionnaires des mines... La bonne utilisation du travailleur, de ses moyens de travail, de son cadre de travail... a toujours été au centre de la préoccupation de ceux qui ont eu la charge d'organiser, de protéger, de répartir les fruits du travail... au profit très souvent de membres de classes sociales "débarrassées" de l'obligation de travailler eux-mêmes. Il semble bien que le noeud des conflits liés au travail soit toujours là : il y a une distance entre le travailleur et le produit de son propre travail, plus ou moins considérable suivant les époques. Et nombre de doctrines sociales, réformistes ou révolutionnaires, se donne pour but de réduire ou d'abolir cette distance. Même dans les sociétés qui se disent "post-industrielles", la question demeure, même si l'ampleur des productions déplace quelque peu le problème : les richesses produites semblent si considérables que la question devient de plus en plus, non le partage du travail, mais le partage des richesses. Dans l'évolution technologique qui, de l'activité purement manuelle à la robotisation de vestes ensembles de production (et de distribution) des biens et des services, amène cette véritable prolifération de richesses, où il apparait évident que de moins en moins de personnes sont nécessaires à la production des biens élémentaires (et même superflus...), les conflits de réparation des richesses devient de plus en plus importants, même si les idées, les idéologies peinent à prendre la mesure de cette évolution globale.

D'ailleurs, au coeur des conflits liés au travail, la question du chômage de masse semble être une question sur laquelle buttent à la fois les responsables politiques et les responsables des organisations de travailleurs pour ne parler que d'eux. Peu de chercheurs ont pris la mesure du changement de paradigme de ces conflits vieux comme l'humanité.

 

La valorisation du travail

    La valorisation du travail - sans discuter de la qualité de valeur attachée au travail, notion très contestable - est très récente. Dans toute l'épaisseur de l'Antiquité, le travail est réservé aux serviteurs du prêtre, du prince ou du guerrier et dans la vision indo-européenne en particulier des trois classes, le servile arrive toujours en dernier... lorsqu'il est mentionné! En tout cas, le travailleur n'est pas un citoyen, et souvent le citoyen n'est pas considéré pour son travail, même s'il, à l'image des guerriers-agriculteurs grecs, contribue beaucoup par ce travail à la vie de sa communauté. La qualité de citoyen, contrairement aux époques moderne et contemporaine (en Occident), est rattachée beaucoup plus au statut de propriétaire, qui confère la liberté, qu'à la quantité ou la qualité de son travail, qu'il soit manuel ou intellectuel. On peut sans doute écrire, mais il faudrait des études sur la question, que la valorisation massive du travail - en dehors de la sphère des monastères qui très tôt érige effectivement le travail obligatoire en valeur - nait avec l'ère industrielle, et constitue sans doute une forme d'idéologie à sens unique en direction... des travailleurs. Dans le discours des "pères" de l'industrie, ce n'est pas le travail qui est valorisé mais la gestion habile et raisonnée de ses propriétés. On pourrait sans doute écrire aussi, mais là encore des études seraient utiles pour l'appuyer - que cette valorisation - qui fait oublier le caractère de contrainte du travail bien mis en avant dans la Bible dans la Genèse - est aussi l'oeuvre de tout un courant socialiste ou/et communiste tendant à mettre au premier rang des classes sociales, les classes de travailleur et notamment la classe ouvrière. Cette valorisation est d'ailleurs contradictoire avec tout l'ensemble des progrès techniques visant à remplacer le travail humain par un travail mécanique, afin de dégager précisément l'homme de plus en plus du travail le plus difficile et le plus dangereux, puis progressivement sans doute de tout travail...

 

La pensée sur le travail

    C'est véritablement à partir de l'ère industrielle que prend une place de plus en plus importante dans l'analyse de la société la question du travail. Karl MARX pense l'évolution du travail comme étant au centre du processus du capitalisme. Émile DURKHEIM lui donne une place prépondérante dans les mécanismes conduisant à remplacer la solidarité mécanique par la solidarité organique. Claude-Henri de SAINT-SIMON plaide avant eux pour un ordre juste, où les producteurs gouverneraient la société en "découvrant" que, quelle que soit la position occupée par les chefs d'entreprise, les ouvriers et les savants sur l'échelle du prestige, du pouvoir ou de revenus, leurs intérêts sont communs... L'acte productif, écrit Pierre TRIPIER, vient au centre de "l'explication de la société et conforte l'idée que le travailleur se fait de lui-même, et souligne la capacité politique et économique de tous ceux qui contribuent à la prospérité de la nation". C'est ce discours qui inaugure une tradition "industrialiste" qui se poursuit chez les disciples de Claude Henri de SAINT-SIMON : BAZARD (1791-1831), ENFANTIN (1796-1864), COMTE (1798-1857), et de développe avec des accents ouvriéristes chez PROUDHON (1809-1865) et FOURIER (1772-1837).

 Ces auteurs, remarque toujours Pierre TRIPIER, "mettent en scène le travail et le travailleur, mais ne l'étudient pas ; ils l'exaltent, lui attribuent des qualités, indiquent son rôle primordial dans l'évolution de l'humanité, mais n'en font pas un objet de recherche." A l'inverse, LE PLAY (1806-1882) et VILLERMÉ (1782-1863) observent les conditions de travail et d'existence des ouvriers, recueillent des indications sur leurs façons de vivre, les idées qu'ils se font d'eux-mêmes et de la société dans son ensemble. Ils proposent des remèdes pour tirer les ouvriers de leur situation, pauvre et marginale. Ils accumulent tout un ensemble de données et d'observations qui sont ensuite largement utilisées et approfondies par tout un ensemble d'auteurs à leur suite.

  "Cette tradition (consistant à articuler dans une même explication condition de travail, mode de vie et vision du monde) se poursuivra notamment chez Halbwachs (1877-1945), qui interprète les comportements ouvriers à partir de leur situation dans la société. Davantage confrontés à la matière que les autres membres de la société, les ouvriers s'en verraient exclus. Ceci expliquerait la force des liens qu'ils tissent entre eux, le caractère particulier de leur mode de vie, leur façon de vivre en marge de la société. Ainsi Halbwachs nous présente la vision d'une communauté fermée sur elle-même, une classe sociale.

une sociologie du travail aurait pu de développer dans cette direction, mais des énoncés ne deviennent une discipline ou une sous-discipline scientifique qu'à partir du moment où une communauté de savants les portent et les font avancer. Pour des raisons (diverses), mais qui tiennent probablement au développement des fondations scientifiques américaines et à l'explosion démographique des universitaires de ces pays au retour de la guerre, c'est aux Etats-Unis, et sur des vues plus circonscrites, que la sociologie du travail s'est développée."

 

   Après avoir évoqué très brièvement l'origine étymologique du mot travail, entre le latin (à la lointaine filiation d'un instrument de torture...) et la Bible (le fameux "tu gagneras ta vie à la sueur de ton front" suite à l'expulsion d'un paradis terrestre, où le travail a priori n'existe pas...), Marcelle STROOBANTS évoque les différentes étapes de la construction d'une sociologie du travail (dans une approche très centre sur la France).

Du premier Traité de sociologie du travail français (Georges FRIEDMANN et Pierre NAVILLE) aux diverses conceptions où système social et système technique s'interpénètrent, le travail ne cesse pas d'être un enjeu de connaissance et de... pouvoir. "Dès l'origine, entrent en scène les machines et un personnage central, l'ouvrier de l'industrie. Ainsi , la sociologie du travail se présente en même temps comme une sociologie industrielle et comme une sociologie des techniques. D'emblée, les pionniers se sont interrogés sur la finalité de leurs enquêtes. La science qui entre dans l'atelier n'est-elle pas réduite à l'expertise? Et où s'arrêtent les limites de cette entreprise? Un dédoublement des recherches s'annoncent déjà entre celles qui se concentrent sur l'acte de travail et celles qui s'étendent à la condition des travailleurs. 

Sur le terrain, le travail se divise, se recompose, et les savoirs et les pouvoirs se redistribuent. Malgré leur diversité, les techniques d'organisation du travail poursuivent une même finalité, l'économie des temps. La polyvalence, autre point commun, déconnecte la main-d'oeuvre d'une tâche particulière et tend donc à la rendre plus mobile.

De plus en plus d'actifs sont salariés, mais tous les travaux ne méritent pas le même salaire. Qu'est-ce qui fait la différence? A quel titre un travail serait-il trois fois plus qualifié qu'un autre et deux fois moins qu'auparavant? Les récentes tentatives d'évaluer la qualité des tâches perdent beaucoup de leur consistance face aux débats traditionnels.

De même, une bonne part des controverses sur les changements de la société industrielle tiennent à la manière de caractériser le travail et les travailleurs. la transformation de la matière fournit une définition à la fois trop large et trop restrictive. Trop large, parce qu'elle ne permet pas de distinguer le salarié de l'artisan ; trop restrictive parce qu'elle limite les fonctions ouvrières au seul travail manuel. Les formes et les contenus de l'activité professionnelle n'ont pas cessé de se modifier depuis l'industrialisation. Les relations industrielles et les mécanismes du marché du travail, caractéristiques de l'après-guerre, tendent à se désorganiser. En accusant les différences dans la population active, la crise révèle aussi, rétrospectivement, l'hétérogénéité de la classe des travailleurs. Tous ne sont pas salariés, mais tous sont touchés par les structures du salariat."

 

  Plus naturellement centré sur les États-Unis, Georges FRIEDMANN, J-D. REYNAUD et J-R. TRÉANTON, présentent la sociologie du travail sous les auspices de Georges GURVITCH. 

"La phase expérimentale de la sociologie industrielle est née modestement d'un incident scientifique à l'usine Hawthorne de la Western Electric. On y étudiait les effets de l'éclairage sur la productivité du travail. Ayant expliqué aux ouvriers le but de leur étude (...) des ingénieurs faisaient varier systématiquement l'éclairage des locaux et mesuraient la production." Comme, contrairement aux effets attendus, le rendement augmentait encore quand la lumière baissait, on est passé d'une explication technique à une explication sociologique. On dû se rendre à l'évidence que quelque chose dans les relations entre travailleurs détermine aussi la qualité et la quantité de la production. Le facteur social, sa "découverte", provoque la naissance d'une sociologie industrielle. Dès qu'on veut analyser le comportement humain dans une situation complexe comme la vie d'une entreprise, on est obligatoirement confronté aux conflits multiples. Et comme il est difficile de raisonner seulement à l'intérieur d'une entreprise, on en vient à réfléchir au fonctionnement et à l'évolution de toute une société industrielle. Un vaste programme qui tend à embrasser toutes les relations sociales ayant un sens pour le fonctionnement des entreprises est entrevu mais très partiellement réalisé, ne serait-ce que parce que précisément les conflits s'insinuent obligatoirement dans le contenu et le résultat des enquêtes. Entre les études de sociologues désireux de se situer dans le prolongement des réflexions des auteurs précédemment cités et les enquêtes gestionnaires au service direct des directions d'entreprise, il y a effectivement tout un ensemble de sociologies. "Comme toute science de l'homme, elle a elle-même (la sociologie du travail) une fonction sociale : posant avec rigueur les grands problèmes devant l'opinion, elle appartient au "contrôle social" et contribue, parce qu'elle est scientifique, à cette objectivation des rapports sociaux qui caractérise le monde contemporain. En un sens, elle renverse le rêve de Comte : elle n'est pas un élément d'un dictature scientifique appuyée sur une religion du progrès. Mais, en étendant la connaissance et en établissant un terrain d'objectivité pour l'accord des esprits, elle doit contribuer à éclairer les décisions et à étendre le champ de ceux qui y participent. Encore faut-il qu'elle pose ses problèmes dans leur véritable perspective, c'est-à-dire non comme des problèmes techniques, mais comme des problèmes sociologiques."

 

Rapports de force entre employeurs et employés

   Les situations dans l'entreprise ou dans le monde du travail en général peuvent être analysées comme autant de rapports de force entre employeurs et employés et entre employés. Si les plus fortes oppositions entre intérêts économiques et idéologiques ont lieu entre employeurs et employés, il ne faut pas oublier ceux, suscités ou réels, entre employés. Nicolas FRIZE aborde ces deux types d'oppositions en établissant bien les hiérarchies entre celles-ci. "Du fait que l'emploi est donné à l'un par l'autre, naît un rapport de force structurel, qu'alimente la pression sociale du chômage. L'un et l'autre sont en capacité de partager le plaisir du travail, l'émancipation, l'invention technologique ou humaine, les règles de l'art, l'amour du matériau ou de l'objet, les relations humaines... mais ce partage est aussi un lieu de division, car il fait conflit dans sa traduction économique. L'argent peut-il tout acheter ou taire? Peut-on tout acheter avec sa force de travail? Quelle place pour ma motivation, mes exigences et mes attentes professionnelles, dans ce "commerce de mon activité"?"

   "Le rapport de force, dans la masse de ses espaces et de ses temps d'expression, est susceptible d'échapper à l'ordre du droit, à l'ordre éthique, moral. Il est potentiellement violent, en de multiples occasions : le chantage à l'embauche, le bizutage, le déclassement, l'abus de la hiérarchie, le non-respect du droit du travail, le rendement inhumain, l'absence de tâche, la discrimination "raciale", religieuse, sexuelle, générationnelle, l'obligation de saborder, de stopper ou de refaire sans motif, le déni des règles de l'art (l'indifférence au travail mal fait), la surveillance abusive, le licenciement..."  Après avoir évoqué également les accidents de travail plus ou moins lié à des incompétences ou à des non respect de règles de sécurité, Nicolas FRIZE série les formes explicites de la violence en trois ordres :

- la contrainte par corps (la mainmise) : la maltraitance (insulte directe, mise au placard, harcèlement moral ou/et sexuel...)  et la dévalorisation des outils, des conditions de vie, des tâches, des environnements. Également les violences physiques qui l'ouvrier s'inflige à son insu ;

- la contrainte psychologique : l'évaluation permanente conduisant à l'individualisation obsessionnelle, la rigidité et le décorticage des procédures, la responsabilisation à outrance...

- la contrainte nerveuse ou pulmonaire (la force motrice prise), issue du rendement, de la cadence, du comptage, de la répétition virtuose et sidérante, de l'enchaînement, du rythme figé sans fin ni finalité.

  "Les auteurs de ces violences peuvent être les travailleurs eux-mêmes, transformés parfois en agents de la maltraitance, contre les collègues, contre les matériels et les installations. Dans sa quête de réponse, de défense, le travailleur, un jour, se retourne : on voit ainsi les suicides au travail proliférer, des êtres mourir d'eux-mêmes, mourir par asphyxie ou enfermement, et aussi d'amour : car le travail est aussi un lieu amoureux! (...)."

 

   D'autres auteurs discutent des violences structurelles (économiques et sociales) distinguées parfois, même si elles s'y enchevêtrent, des violences interpersonnelles dans le lieu de travail.

 

Nicolas FRIZE, article Travail, dans Dictionnaire de la violence, PUF, 2011. Pierre TRIPIER, Sociologie du travail, dans Sociologie contemporaine, Vigot, 2002. Marcelle STROOBANTS, Sociologie du travail, Nathan Université, 1997. Georges FRIEDMANN, J-D. REYNAUD et J-R. TRÉANTON, Problèmes de sociologie industrielle, dans Traité de sociologie, PUF, 2007.

 

SOCIUS

 

Relu le 29 novembre 2021

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28 septembre 2014 7 28 /09 /septembre /2014 16:41

    Les arts martiaux japonais sont d'abord et historiquement des arts guerriers, même si par la suite nombre des déclinaisons des techniques d'origine subissent, notamment en Occident, d'autres orientations avec d'autres philosophies morales.

     Connus depuis au moins la période de KAMUKURA, le butjutsu, le budô et le bugei pratiqués par les guerriers (buke, bushi, samuraï) sont classés à l'origine sous la dénomination générale de "Voie de l'arc et du cheval" (Kyûba no Michi). A l'époque d'Edo, ils sont englobés dans les arts guerriers appelés bushidô, et sous leur forme alors ils conquiert au XXe siècle une audience internationale et ont été imités ou ont inspirés le développement de nombreux autres arts du même type en Corée, Chine, Vietnam, Inde et Indonésie notamment, provoquant dans ces pays une résurgence d'arts, anciens non codifiés se rapportant aux technique de défense et d'attaque, avec ou sans arme.

Ces arts martiaux, destinés à l'origine à parfaire l'éducation militaire des guerriers, sont transformés au XIXe siècle au Japon en sports, et de bujutsu ou "techniques guerrières" deviennent budô ou "Voie (spirituelle) de combat". A l'époque du Meiji, les samouraï ayant perdu leur statut de guerriers professionnels, certains d'entre eux transforment leurs arts de la guerre appris au sein des diverses écoles, en techniques corporelles destinées à permettre aux jeunes gens de s'aguerrir et de pouvoir se défendre efficacement, tout en leur inculquant une éthique particulière directement issue de celle du bushidô. Les buggei ou "arts martiaux" connaissent alors une évolution rapide et comportent bientôt à la fois un entrainement physique (waza) et une discipline morale (dô, michi), qui, ensemble, constituent une sorte de recherche d'un esprit noble combinant les arts de défense contre un agresseur et les sentiments de non-peur, de maîtrise de soi, de fermeté de caractère et de bienveillance (kokoro, shin). 

De nombreux professionnels créent alors des arts martiaux particuliers pour, à partir des arts traditionnels guerriers, développer une éthique de comportement chez ceux qui les pratiquent. Enseignant l'art de se défendre, ils invoquent en même temps, la non-violence et la non-agressivité. Progressivement codifiés, les sports martiaux se répandent alors rapidement, réglementés de manière à les rendre inoffensifs pour les pratiquants : sports sans armes (budô) comme l'Aïkido, le Jûdo, le Karaté et arts de défense avec armes comme le Kyûdô (arc et flèches) ou l'entrainement au naginata... Le Karate est d'ailleurs un ensemble de techniques adapté des méthodes utilisées par les paysans d'Okinawa pour se protéger des bandits et des samuraï, fait également usage d'armes particulières comme les nunchaku, sai ou tonfa. Des écoles transforment de même l'ancienJûtjutsu en Jûdô qui devient une "voie de la souplesse" sous l'impulsion de Kanô Jigorô qui établit la première école d'enseignement de ce type de sport, le Kôdôtan, en 1882 à Tokyo.

Par la suite, d'innombrable autres écoles d'arts martiaux se créent, utilisant des noms différents pour se distinguer les unes des autres et enseignant des techniques diverses, toutes cependant fondées sur celles d'écoles anciennes.

     En Occident, et notamment aux Etats-Unis, certaines de ces écoles, se réclamant des arts martiaux japonais, se transforment, le long du XXe siècle, pour devenir , à l'encontre des véritables budô, des écoles de combat à but offensif et non plus seulement défensif, comme par exemple certaines formes de Karate et le "full-contact". D'autres écoles mettent au contraire plus l'accent sur la mystique et l'acquisition d'une certaine discipline corporelle que sur des techniques défensives, comme celles se réclamant (sans appelations contrôlées...) des pratiques du Shugendô. Il existe actuellement dans le monde des centaines de ces écoles dites d'arts martiaux, qui comptent plusieurs dizaines de millions de pratiquants, certaines prenant parfois des allures de sectes. (Louis FRÉDÉRIC, Dictionnaire des arts martiaux, Le félin, 1988, réédition en 1993).

 

    Le Kendô (Voie du sabre), art du maniement du sabre autrefois appelé Ken-Jutsu, se transforme en sport de combat lors de son interdiction en 1876. Cette transformation, menée par Sakakibara KENCHIKI (1830-1894) pour l'entrainement physique et mental des jeunes gens, fait de cet art martial le plus populaire des sports de combat au Japon. Codifié de façon stricte, comportant six grades d'élèves et dix rangs (dan) de maîtres, le Kendô rassemble des milliers d'adeptes de part le monde et une fédération internationale organise depuis 1970 des rencontres de haut niveau. Comme les autres arts martiaux transformés, le Kendô a un certain nombre de penseurs de référence, comme Jôchô YAMAMOTO du clan Nabeshima qui est à l'origine d'un ouvrage pratique et moral, le Hagakuré, longtemps gardé secret par le clan. Utilisé à des fins idéologiques et politiques, et surtout pour aider la détermination des pilotes-kamigkazes, cet ouvrage est interdit en 1945 par les Américains, de même d'ailleurs que sa pratique, jugée très dangereuses. Ce n'est que lorsque de grands maitres japonais communiquent entre eux les techniques de leur dojo, pour étendre leur enseignement au japon, en Europe et aux États-Unis que la pratique du Kendô est de nouveau admise, avec des aménagements qui lui enlèvent une grande partie de sa personnalité guerrière d'origine. Le Kendô fait partie de ces arts martiaux qui peuvent très bien, car les traditions sont conservées au sein des écoles, qui peuvent revenir à un usage militaire.

 

 Robert CALVET rapporte l'origine controversé des arts martiaux. D'après la tradition bouddhique, cette origine se trouve ni au Japon, ni en Chine, mais plutôt en Inde. Des sources prétendent que même la boxe chinoise est originaire de Turquie, avant de se diffuser lentement vers l'Inde et la Chine. "C'est pourtant un monastère chinoise, celui de Shaolin, qui leur a donné leurs lettres de noblesse. Des pratiques martiales étaient par ailleurs amplement développées en Chine avant la visite de Bodhidharma et les moines de Shaolin se sont également inspirés de ces techniques, comme l'art du poing (quanfa ou chuan fa), noté par Sunzi dans son Art de la guerre écrit au quatrième siècle avant notre ère. La boxe chinoise est censée exister depuis l'époque de la dynastie Kou, qui édifia une grande civilisation le long de la vallée du fleuve Jaune voilà quelques 5000 ans. Le taiji quan (tai chi chuan), le bagua zhang (pa kua tchang), le xingyi quan (hsing i chuan), issus du courant taoïste, sont des exemples de l'ancienneté de ces techniques en Chine, que l'on fait remonter à un ancêtre commun, le daoyin."  

Ce serait à part de cette forme antique d'art martial que se sont développé, sous de très multiples variantes, ces arts martiaux japonais, d'abord guerriers, puis "civilisés". 

 

Robert CALVET, Une histoire des samouraïs, Larousse, 2012. Louis FRÉDÉRIC, Le Japon, Dictionnaire et civilisation, Robert Laffont, 2002. 

 

SOCIUS

 

Relu le 18 novembre 2021

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17 septembre 2014 3 17 /09 /septembre /2014 12:55

   Très tard venues dans le monde de l'édition, ces deux revues, l'une (Ebisu) fondée par la Maison franco-japonaise de Tokyo en 1993 et l'autre (Cipango) par des enseignants de l'INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) en 1992, offrent une information de premier plan sur de nombreux domaines sur le Japon. 

 

Cipango

    Cipango se présente comme la seule actuelle revue scientifique consacrée au Japon qui soit publié en France et elle constitue de fait une référence dans le champ des études japonaises. Elle recueille les articles de chercheurs rattachés à des institutions françaises, ainsi que très régulièrement, des contributions émanant de spécialistes étrangers, principalement japonais, européens et américains. Revue pluridisciplinaire (mais aujourd'hui quelle revue portant sur une zone géographique ne l'est pas...) dans le champ des sciences humaines et sociales (histoire, ethnologie, géographie, économie, linguistique, littérature, arts, cinéma...), Cipango privilégie les études de fond utilisant principalement des sources originales en langue japonaise, mais propose également des traductions (textes scientifiques ou littéraires, documents historiques), ainsi que, dans une moindre mesure, des essais et des témoignages. La revue de l'INALCO accorde une place importante aux nouvelles de la recherche, recension d'ouvrages scientifiques mais aussi résumés des thèses et mémoires rédigés en français. C'est à ce titre une revue précieuse pour les jeunes chercheurs.

  Chaque numéro s'organise autour d'un dossier thématique ayant fait l'objet d'un appel à contribution. A la périodicité annuelle, Cipango a été lancée en janvier 1992 alors qu'il n'existait aucune revue en français spécialisés dans le domaine des études japonaises. Elle a été suivie de peu quelques mois plus tard par Ebisu. Avec ces deux revues, les chercheurs se voient offrir des perspectives de réflexion, et elles ne doivent leur parution qu'à la conjonction du hasard et de l'entêtement, nonobstant les découragements individuels, la malchance technique et des contextes politiques défavorables. Le destin d'une troisième revue française d'études japonaises, Daruma, 13 numéros entre 1997 et 2003 le montre bien. 

  D'abord imprimée, la revue est mise en ligne depuis 2012 (revues.org), parallèlement à la publication du premier numéro en langue anglaise.

  Avec pour directeur de publication Michael LUCKEN, un comité international fourni et à la tête du secrétariat de rédaction, Isabelle KONUMA, Cipango bénéficie des moyens du Centre d'Etudes Japonaises (créé en 1974 comme centre de recherche propre à l'INALCO). 

   Les derniers numéros de la revue ont traité du Genji Monogatari, vu sous l'angle littéraire, sous l'angle du contexte historique de la naissance du Roman du Genji, sous l'angle de la peinture, de la caligraphie et de la musique et sous l'angle de sa réception (Hors série 2008), de la guerre, colonialisme et commémoration (N°15, 2008), du Japon et la fait colonial (N°18, 2011 et N° 19, 2012).

 

Ebisu

   Ebisu, de la Maison franco-japonaise de Tokyo (Institut français de recherche sur le Japon, UMIFREE) publie des textes en langue française - articles, traductions, comptes rendus d'ouvrages - dans le domaine des études japonaises. Les articles concernent surtout des question de culture, de philosophie, d'anthropologie, de sociologie, d'économie, de géographie humaine et sociale, le plus souvent avec une dimension historique. Éditée sur papier et diffusée essentiellement sur abonnement jusqu'en 2013, Ebisu est devenue une revue numérique en accès libre et gratuit dès parution depuis 2014. Les anciens articles peuvent être consultés (du n°1 au n°46) sur le portail Persée, les autres l'étant sur Revues.org.

  Avec pour directeur de publication Christophe MARQUET et rédacteur en chef Arnaud NANTA (Olivier ANSART fait partie du comité éditorial) et un comité scientifique également bien fourni, Ebisu, revue semestrielle,  est l'écho de travaux réalisés notamment au sein ou en collaboration de la Maison franco-japonaise de Tokyo. 

  Les derniers numéros de la revue ont traité de la Création et valeurs dans la société japonaise (N°50, 2013), de la Naissance d'une revue féministe au Japon (N°18, 2012) et de la Catastrophe du 11 mars 2011, désastre de Fukushima : fractures et émergences (N°47, 2012).

 

Cipango, CEJ, INALCO, 2, rue de Lille, 75343 PARIS CEDEX 07.

Ebusi, Maison franco-japonaise, bureau français, 3-9-25, Shibuya, Tokyo, 150-013 JAPON.

 

Relu le 22 novembre 2021

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31 août 2014 7 31 /08 /août /2014 14:31

   Les positions sur les relations entre guerre et sport oscillent entre la condamnation forte du lieu entre les deux et la dénégation d'un lien obligatoire et historique, en passant par une singulière indifférence qui ressemble à un déni des ressemblances fortes entre les valeurs militaires et les valeurs sportives. D'autres analysent le sport comme vecteur de relations plus pacifiques entre les hommes et les nations, voire comme un dérivatif à l'agressivité "naturelle" des hommes les uns envers les autres. La démonstration de tels "bienfaits" reste à faire et l'existence des Jeux Olympiques, de manière évidente, n'influe pas trop en la faveur d'une telle thèse.

 

Le sport comme pacificateur des relations entre les hommes et les nations...

   Pourtant, des stratégistes comme Pascal BONIFACE, sans doute emporté  par leur enthousiasme personnel pour le football, donne un fort crédit à l'hypothèse pacificatrice du sport.

Dans un livre qui cède facilement à la mode (assez française ou européenne) de placer de la géopolitique partout, on peut lire :

"Ni les Jeux Olympiques, ni la Coupe du monde de football ou toute autre compétition ne sont la garantie de la paix mondiale. En revanche, ils peuvent contribuer utilement à développer les contacts internationaux et les relations pacifiques. Les affrontements sportifs sont pacifiques et symboliques. Le sport ne stimule pas l'agressivité. Il la canalise et la fait se dérouler selon des règles fixées à l'avance et jugées de façon indépendante. Le sport est un moyen parmi d'autres pour contribuer au rapprochement des communautés ou des pays.

Les compétitions sportives mondiales sont avant tout une formidable ouverture sur l'autre. Les sportifs de toute nationalité, de toute discipline, de toute religion, de tout niveau social cohabitent au sein du village olympique. Les moments de fraternisation entre compétiteurs sont bien plus nombreux que ceux d'hostilité manifeste. La même chose peut être écrite pour les spectateurs et téléspectateurs qui peuvent à la fous soutenir leurs champions nationaux et applaudir les exploits de ceux des autres nations, et qui ont l'occasion, tous les quatre ans, de découvrir des pays et des peuples dont bien souvent ils n'avaient jamais entendu parler."

 

Guerre et sport de masse...

   L'examen des relations entre le sport et la guerre peut être effectué pour trancher sur des affirmations souvent influencées par une sympathie souvent excessive ou une répulsion tout aussi excessive vis-à-vis des différents sports. Hormis une approche économique qui permet de comprendre comment le sport est devenu une industrie, une analyse sociologique et historique permet d'appréhender les relations entre guerre et sport de masse, notamment dans les rapports étroits entre l'État et les différents acteurs du monde sportif. Les États ont encouragés la pratique du sport de masse avec des préoccupations militaires ou d'hygiène publique ; leur approche étant nettement différentes de celle que peut avoir le monde médical ou les professionnels de santé en général sur le bien être physique. Par ailleurs, on ne peut pas comprendre comment le sport de masse est devenu si populaire sans une analyse à la fois d'une démocratisation de certaines pratiques sportives et du développement des mass-médias. 

   Diverses questions précises se posent lorsqu'on interroge les relations entre sport et guerre. Dans quelle mesure l'activité sportive et l'activité guerrière sont-elles comparables? Partagent-elles, même, une histoire commune? En quoi et pourquoi sport et guerre entretiennent-ils dans l'imaginaire collectif une forme de connivence et que reste-t-il de ces liens au-delà de ressemblances parfois trompeuses? Quels éléments et réseaux de diffusion (institutions, pionniers, doctrines, idéologies, médias, etc.), quelles expériences, faits, événements, sont au principe de cette superposition et/ou de cette porosité sport-guerre?  Ce sont les questions que se sont posés les participants d'un Colloque international de 2010,  Le sport et la guerre au XIXe et XXe siècles, "non sans ouvrir ces questions de recherche innovante aux projets d'histoire comparée portant sur une plus longue durée (Antiquité, Moyen Âge)."

 

Sport et violence

       Luc ROBÈNE écrit que "Sans doute (la) consubstantialité des pratiques, (la) projection qui mène du camp de bataille aux affrontements sportifs ou du sport à la guerre, trouve t-elle une part de sa raison d'être dans un passé au coeur duquel les enjeux du combat guerrier et ceux de la compétition physique ont pu se confondre ou tout au moins d'articuler de manière ambigüe : le sport apparaissant à la fois comme une préparation efficace pour la lutte armée, composante d'un projet d'anéantissement de l'ennemi ; mais également comme figure euphémisée de la guerre, matrice culturelle des affrontements joués dans lesquels la mort de l'adversaire n'est pas recherchée, la violence des rencontres étant une violence ritualisée. Cette dichotomie redouble cependant de complexité pour peu que l'on veuille bien considérer la dimension spectaculaire, cathartique, voire sacrificielle des jeux physiques anciens et modernes au cours desquels la mort fut longtemps inscrit dans l'ordinaire des joueurs (jeux de la Grèce antique) avant d'être progressivement encadré par des convenances (tournois aristocratiques, duels), puis banni par des règles strictes au fur et à mesure que la violence désertait l'aire des affrontements pour céder le pas au fair-play sportif moderne et au contrôle des pulsions, corollaire de la pacification des moeurs et du monopole légitime de la violence par l'État."

Le professeur des universités à l'université Rennes 2, et responsable du laboratoire Violences, Identités, Politiques et Sports continue  : "D'une certaine manière, le chemin qui va du sport à la guerre et de la guerre au sport suit, sur le temps long, cette courbe compensatoire dans laquelle la violence, sous des formes changeantes, constitue une variable d'ajustement et d'équilibre fondamentale. Nous ne comprendrions pas complètement la place et l'importance du sport moderne dans la seconde moitié du XXe siècle, ni les enjeux géopolitiques attachés aux grandes rencontres sportives internationales durant la guerre froide (...) si nous ne tenions pas compte des tensions extrêmes et des menaces d'holocauste nucléaire auquel dû faire face une humanité contrainte de composer, d'inventer et/ou d'ajuster les instruments de régulation et de gouvernance, destinés à préserver la paix mondiale. L'ONU, bien sûr, ainsi que les éléments classiques de la diplomatie et de la stratégie ont joué leur rôle. Mais l'espace des victoires symboliques, de la compétition, des records et le jeu des grandes institutions sportives, à commencer par le CIO et les grandes fédérations, agissant comme autant de structures non gouvernementales aux niveaux nationaux et supranational tout en jouissant d'une forme de légitimité politique que l'audience et les succès mêmes du sport commençaient à leur conférer au travers d'instruments de visibilité et de figures ou de symboles majeurs (le champion, le héros, l'équipe, les couleurs, l'hymne national, le podium, etc), ont pesé de leur poids dans cet équilibre précaire... Non pas que le sport se soit réellement substitué à la politique et/ou à la guerre, mais plutôt qu'il se soit imposé sur la scène internationale à la fois comme enjeu, nous pourrions dire comme prolongement politique (visibilité internationale, conquête symbolique du monde) et, simultanément, comme modèle de sociabilité et lieu d'affrontements normés, contrôlés, délestant les antagonismes meurtriers annoncés (rhétorique de la troisième guerre mondiale) d'une partie des tensions qui mènent classiquement à l'affrontement et à la mort."

Toujours dans le même registre, l'auteur de l'introduction générale à ce Colloque écrit que "Dans la seconde moitié du XXe siècle, l'activité sportive (victoires, défaites, boycotts, etc) est donc devenu de manière plus évidente l'espace global d'une violence ritualisée : un levier pour agir au niveau géopolitique, une "troisième voie" entre l'affrontement définitif et la paix totale, un moyen de faire triompher un modèle idéologique, de vaincre symboliquement un ennemi que l'on savait ne plus pouvoir contraindre totalement sans prendre le risque d'un anéantissement probablement définitif de l'espèce humaine. Symétriquement, le sport fut aussi l'instrument de rapprochements entre des ennemis farouches comme le montre la "diplomatie du tennis de table" qui permit un réchauffement des rapports entre la Chine et les États-Unis au début des années 1970 (...). Sans doute cet ensemble de remarques permet-il une première analyse en forme de synthèse. Le sport, la compétition sportive marque l'avènement d'une forme d'utopie : la perspective idéalisée d'une guerre jouée, d'une guerre pacifiée en quelque sorte, s'inscrivant dans une société apaisée, via un ensemble de dispositifs spécifiques (olympisme, grands jeux, grandes compétitions internationales, standardisation des formes de rencontre et des normes de l'affrontement) qui permettent de canaliser, de réguler jusqu'aux manifestations sociales les plus agressives. L'organisation et la mise en spectacle de ces rassemblements (...) renvoie également à un aspect fondamental déjà souligné par Mona Ozouf à propos des fêtes révolutionnaires et à leur rapport à la foule : l'idée que la fête est en soi une forme de mobilisation. La mise en scène du spectacle sportif relèverait ainsi d'un processus instaurant un lien entre le public, les masses conviées aux fêtes du stade, et le coeur de l'action politique : un lieu intime "qui n'est autre que celui établi entre la guerre et le peuple en démocratie : une mobilisation générale" (EHRENBERG, 1980). 

"Pour autant, (...), l'ancrage complexe de cette problématique sport-guerre tient à la double valence du sport, face à la guerre : à la fois expression physique réglée du combat, "jouant" sur la symbolique de l'élimination de l'adversaire, espace de libération contrôlée des pulsions, patrimoine culturel autour duquel il est possible de s'entendre, de reconnaitre l'autre en se reconnaissant soi-même dans un ensemble d'épreuves standardisées qui conduisent à comparer, hiérarchiser et classer pacifiquement individus et nations ; et tout autant moyen redoutable de dressage physique, de renforcement, de préparation à l'affrontement réel, au choc, au corps à corps sans merci, à la guerre et à la mort.

Cette double hélice culturelle a constitué l'armature anthropologique autour de laquelle se sont progressivement composées et re-composées, agrégées et délitées, des problématiques originales de l'affrontement. Les perspectives historique de la longue durée peuvent nous aider à approfondir cette question."

  L'auteur propose ainsi quelque repères :

- l'éducation des corps guerriers qui passe par l'entrainement sportif ;

- matrices de mobilisation : sport total, guerre total ;

- Sport au miroir de la guerre, guerre au miroir du sport. Le sport est-il la guerre poursuivie par d'autres moyens? Il s'agit d'étudier les processus en fondation desquels le sport s'est imposé au XXe siècle, comme mode de gouvernance internationale. Le sport constitue t-il l'indice d'une forme de pacification des moeurs (ELIAS, DUNNING) ou le sport est-il un élément qui participe à la dynamique des guerres, sur le plan de l'organisation sociale, des méthodes, des discours et des valeurs susceptibles d'être des outils ou des supports intégrés à la préparation ou au déroulement des affrontements ainsi qu'aux formes de propagandes attachées aux conflits?  l'auteur cite l'exemple des Jeux de Munich de 1972, et on pourrait citer les Jeux de Munich de 1936... 

  On pourrait ajouter la question de savoir si l'organisation des sports de masse et leurs contenus sont une manière de maintenir un niveau de combativité ou d'agressivité, lequel peut être ensuite orienté à bien d'autres fins que le rapprochement entre les peuples... La manière dont la nationalisme est entretenu dans l'opposition entre joueurs et la glorification du vainqueur doit faire réfléchir. En outre bien des commentaires sportifs pourraient faire l'objet d'une étude sur leur sémantique et leur contenu... Les commentaires des combats dans les guerres ne sont pas très éloignés dans leur forme que les commentaires des compétitions sportives... 

 

SOCIUS

 

Relu le 11 novembre 2021

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12 décembre 2013 4 12 /12 /décembre /2013 08:07

    Il n'existe pas de publication francophone à l'heure actuelle qui dépasse le public spécialisé, alors que foisonnent les sites sur Internet consacrés à la religion ou à la philosophie hindoue, souvent orientées vers la pensée de tel ou tel auteur, dans un but de propagande idéologique ou commerciale. La France est dotée en revanche d'un éventail assez large et assez nombreux d'étudiants, de doctorants, d'universitaires et de spécialistes dans les problématiques anciennes ou modernes concernant le sous-continent indien, mais la production de travaux originaux semble stagner en qualité et en quantité, même en tenant compte de la tendance généralisée à la publication en anglais, même de la part d'institutions financées sur des fonds publics français. L'intérêt du grand public est bien retombé en ce qui concerne les "sciences" ou la "sagesse" orientales, notamment indienne, mais restent tout de même actives diverses organisations en liaison avec des "gourous" ou des "maitres" en Inde.

Ici, nous nous concentrons sur les sources d'études universitaires de l'inde ancienne et moderne. Nous ne présentons que trois revues des plus importances en France après avoir rapporté la vue d'ensemble des études indiennes et d'Asie centrale en 2012 d'un indianiste réputé, Gérard FUSSMAN. Les études indiennes, d'une manière ou une autre touchent très souvent un aspect ou un autre de l'hindouisme, même lorsque, dans le corps des contributions, il n'en est pas fait mention.

 

      Gérard FUSSMAN (né en 1940), historien français et titulaire d'une chaire d'Histoire du monde indien au Collège de France, expose sa vision de l'état actuel des études en France sur l'Inde et l'Asie centrale.

"J'ai commencé à apprendre le sanskrit en 1958. Quatre ans plus tard,(...), j'étais nommé archéologue-adjoint à la Délégation Archéologique Française en Afghanistan. Je pense qu'aujourd'hui ce ne serait plus possible, pas seulement parce que depuis quelques années les postes se raréfient et que les chercheurs obtiennent plus facilement des crédits de recherche pour une courte période qu'un emploi permanent leur assurant la tranquillité d'esprit nécessaire pour mener des recherches de longue durée. Je pense surtout que les institutions sont devenues beaucoup plus frileuses. Elles recrutent sur diplômes (...) exclusivement, même quand cela n'a pas de sens, par exemple au CNRS, à l'EFEO et à l'APHE. On ne fait pas confiance aux jeunes gens alors que tout professeur sait très bien que, sauf exception, on peut très bien juger des capacités présentes et futures d'un étudiant de 20 ans. Il en résulte un accroissement de la précarité pour les jeunes chercheurs, un retard de carrière pour ceux plus âgés et une perte de capacités pour la recherche, par abandon des jeunes chercheurs sans fortune personnelle ou familiale, par vieillissement du corps des chercheurs également. Ce n'est pas le moindre effet négatif des réformes successives de la recherche et de l'université qui toutes ont, l'une après l'autre, accrues la lourdeur et la lenteur des recrutements sans avoir apporté la moindre garantie quant à leur qualité.

En 1958, le sanskrit était la discipline reine, en partie parce qu'une connaissance minimale de cette langue était nécessaire pour faire de la grammaire comparée des langues indo-européennes. Cette discipline jouissait d'un grand prestige, étant la seule linguistique enseignée et bénéficiant de l'aura des grands noms de l'Université, dont Émile Benveniste. La seule Inde qui valait était l'Inde ancienne, très ancienne même. L'Inde moderne n'était qu'une dégénérescence. Les indianistes de cette époque, remarquables savants s'il en fut, ont manqué deux tournants. Le renouvellement de la linguistique telle que symbolisée par les noms de Martinet et Chomsky, l'intérêt grandissant suscité d'abord par l'Inde contemporaine puis médiévale. La linguistique française moderne s'est constituée en dehors et, dans une certaine mesure, contre la grammaire comparée. Les études indiennes contemporaines se sont développées à l'INALCO et à l'EHESS. Ces deux coupures n'ont en rien bénéficié à l'indianisme. Mais il y a eu un énorme changement de perspective. En 1958 on pouvait se dire indianiste, et même anthropologue indianiste, sans connaitre aucune langue contemporaine de l'Inde. Les étudiants formés depuis 1980 sont tous censés parler une langue contemporaine de l'Inde et en tout cas ne croient plus qu'on puisse faire une enquête de terrain en anglais seulement. 

La hiérarchie des champs d'études a aussi beaucoup changé. En 1958 le sanskrit, assimilé à l'Inde, était la discipline reine, en France comme en Allemagne. C'était l'héritage de la découverte, au début du 19e siècle, de cette langue et de son apport à la grammaire comparée des langues européennes. Le tibétain et le japonais étaient des disciplines confidentielles enseignées à l'École des Langues Orientales seulement, de statut nettement inférieur à celui de l'Université, ne serait-ce que parce que très peu de ses enseignants étaient docteurs. Devenue l'INALCO, c'est maintenant, après maintes péripéties, une université de plein droit, avec de nouveaux locaux, la proximité d'une bibliothèque ultra-moderne (la BULAC) et la participation au PRES (Pôle de Recherche de l'Enseignement Supérieur) Paris-Cité. Dans le domaine des études orientales, désormais orientées vers le monde contemporain, c'est apparemment l'institution qui a le plus d'avenir.

La hiérarchie actuelle de la production scientifique me parait différente de celle implicitement admise en 1958. Le monde contemporain alors négligé par l'Université, est désormais privilégié par les étudiant et les "décideurs"". Du point de vue de la productivité de la recherche, la hiérarchie me semble plutôt être études iraniennes, études centra-asiatiques, études indiennes. Pour le nombre des étudiant, c'est probablement le chinois qui arrive en tête. Cela a des causes objectives. Pour l'Iran le renouveau des études avestiques, sous l'impulsion en France de mon collègue Jean Kellens, et le développement des études sur le chiisme dans la lignée d'Henri Corbin et maintenant de Mohammed Amir-Moezzi. Pour l'Asie centrale, c'est le développement des fouilles archéologiques en Afghanistan jusqu'en 1978 et ensuite en Ouzbékistan. La création de l'Institut Français de l'Asie Centrale (IFEAC) à Tashkent, malheureusement fermé en 2011 par la volonté des autorités ouzbèques, a permis le développement d'études sur l'Asie centrale contemporaine. La Chine a profité du prestige d'une nation en pleine renaissance, de plus en plus ouverte sur l'étranger, de l'enseignement du chinois dans les lycées français et d'un réservoir d'étudiants chinois et surtout chinoises issus de l'immigration ou venus en France grâce à des bourses. Ces bourses existent aussi pour les étudiants indiens, mais ceux-ci ne viennent pas en France étudier l'indianisme classique : ce sont les métiers de la finance et du management qui attirent les meilleurs d'entre eux, y compris et surtout en Inde contemporaine.

Cette situation n'est pas définitive. Le rapide développement économique de la République indienne va accroître l'attirance pour les études indiennes une fois que nous auront fait comprendre à tous qu'il ne suffit pas de savoir l'anglais pour comprendre les pays et ses habitants. Mais les indianistes, malgré une augmentation très sensible du nombre des postes, sont aujourd'hui très mal armés pour défendre ou restaurer le prestige de leur discipline.(...)."

Le chercheur mentionne que les conditions d'accès au terrain ont complètement changé depuis les années 1970. L'Afghanistan et la Pakistan (où se situent de nombreux sites exploitables pour l'étude de l'Hindouisme ou de l'Inde ancienne), alors relativement en danger, sont de fait fermés aux chercheurs étrangers. L'Inde, informe t-il encore, de plus en plus agitée de mouvements nationalistes hindous qui rendent le dialogue difficile, interdisent aux étrangers, de même qu'aux Indiens, de traiter de certains sujets n public, comme l'apport musulman, les Aryens, les causes de la scission de 1947.... Les coopérations ne peuvent se faire que sur des sujets qui ne fâchent pas, la grammaire de Pânini ou l'urbanisme antique...

 

Le Centre d'Études de l'Inde et de l'Asie du Sud

     Le Centre d'Études de l'Inde et de l'Asie du Sud (CEIS), le plus grand laboratoire français de recherche en sciences sociales sur le sous-continent indien, dirigé actuellement par Blandine RIPERT, est une unité mixte de recherche (UMR 8564) de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) (où il a son siège principal, 190-198 avenue de France, 75244 PARIS CEDEX 13) et du CNRS. Fondé au milieu des années 1950 sous l'impulsion de Louis DUMONT, ce Centre avait pour objectif de rénover l'étude de l'Inde par la conjonction des diverses disciplines des sciences sociales et humaines avec les acquis et les problèmes de l'indologie classique. Il regroupe dès l'origine les spécialités alors enseignées à Paris.

Le CEIAS est aussi un centre de documentation (Maison de l'Asie, 22 avenue du Président Wilson, 75116 PARIS) dont la bibliothèque possède le fonds le plus important d'ouvrages (30 000 environ) et de périodes (439 dont 60 vivants) sur l'Asie du Sud moderne et contemporaine. Son catalogue est en ligne dans la base de données de la Bibliothèque Universitaire des Langues et Civilisations (BULAC).

En 2011, le CEIAS a accordé un accueil institutionnel à la revue en ligne SAMAJ (South Asia Multidisciplinary Academic Journal), revue à comité de lecture consacrée à la recherche en sciences sociales sur l'Asie du Sud (http://samaj.revues.org).

Le CEIAS publie depuis 1975, sous le titre de Purusârtha, une collection dont les volumes (environ un par an) ouverts aux chercheurs extérieurs français et étrangers reflètent les orientations de recherche et les débats scientifiques qui se développent en son sein. Parmi les ouvrages publiés, notons L'Inde des Lumières, de Marie FOURCADE (2013), circulation et territoire dans le monde indien contemporain, de Véronique DUPONT (2010) ou encore Divins remèdes. Médecine et religion en Asie du Sud (2009). Beaucoup de thèmes sur l'hindouisme sont abordés dans cette collection, comme Rites hindous, de Gérard COLAS (2006) ou Tribus et basses castes, de Marine CARRIN (2002).

Depuis 1998, le CEAIS fonctionne comme laboratoire de rattachement administratif pour le Centre de Compétences Thématiques du CNRS en modélisation, analyse spatiale et systèmes d'information géographique (CTT MASSIG).

 

Le Bulletin d'Études indiennes

   Le Bulletin d'Études indiennes, publié dans le cadre de "Mondes iranien et indien" (27, rue Paul Bert, 94204 IVRY-SUR-SEINE), Unité Mixte de Recherche créée en 2005, est publié par l'Association Française pour les Études indiennes (52, rue du Cardinal Lemoine, 75231 PARIS CEDEX 05). Fondé en 1983 par Nalini BALBIR (actuel éditeur et responsable de publication) et Georges-Jean PINAULT, ce périodique scientifique est consacré à tous les aspects relatifs aux études indiennes. Chaque numéro (200 à 300 pages) (périodicité irrégulière)  contient des articles et au moins une vingtaine de comptes rendus, et en outre, des études monographiques et des nécrologies. Il est accompagné de suppléments. Le numéro 30 de 2012 est achevé d'imprimer en mars 2013.

Ainsi le Bulletin n°26-27 (2008-2009), après des rapports pour l'exercice 2009, contient les articles entre autres de Jean FEZAS (Traditions et sens commun, une présentation népalaise du rituel : La fête Tij vue par Bhîma Nidhi Tiwâri, de Mislav ZEVIC (Les études indiennes en Croatie : Histoire, présent, projets, résultats, publications), de Roman MOREAU (Bhima Vrkodara : homme ou animal?) ou de Jérôme PETIT (Baârasîdâs et Jean-Baptiste Tavernier : Feux croisés sur l'histoire économique de l'Inde au XVIIe siècle)...  Ce Bulletin s'adresse à un public très spécialisé.

 

L'Institut d'Études indiennes

    L'Institut d'Études Indiennes, du Collège de France produit une Lettre d'information, envoyée à une centaine d'instituts indologiques étrangers et publiée par les Publications de l'Institut de Civilisation Indienne, les Editions de Boccard (11, rue de Médicis, 75006 PARIS). Installé 52, rue du cardinal Lemoine (75231 paris cedex 05), l'Institut, présidé par Jean KELLENS, par sa publication, donne des informations sur ses activités d'enseignements et de recherche. Fondé en juin 1927 à l'initiative d'Emile SANART, appartenant à l'origine à l'Université de Paris, il a été rattaché au Collège de France en janvier 1973.

Le fonds important de la bibliothèque de l'Institut d'études indiennes (85 000 volumes et 450 titres de publication, dont 40 vivants) couvre toute l'Asie du Sud, soit l'Inde, le Pakistan, le Népal, le Sri Lanka, l'Asie centrale indianisée, Afghanistan et dans une moindre mesure l'Asie du Sud-Est, les périodes du monde indien ancien et principalement l'Inde préislamique. On peut y trouver des ouvrages sur la linguistique, l'archéologie, l'histoire des religions, le védisme, le brahamanisme, le bouddhisme et le jaïnisme. Le consultation est ouverte aux chercheurs, ainsi qu'aux doctorants et dans certains cas aux élèves de master sur lettre de recommandation. Comme pour beaucoup de bibliothèques spécialisées rattachées à un ensemble universitaire, l'autorisation de consultation se fait en général sur recommandation de professeurs, pour les étudiants de 3ème cycle, et à titre exceptionnel pour des lecteurs occasionnels. 

 

Relu le 30 août 2021

 

 

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10 décembre 2013 2 10 /12 /décembre /2013 10:37

    Comme tout système d'organisation sociale, le système des castes constitue un ensemble de coopérations et de conflits entre individus, familles et plus grands groupes. Très spécifique au sous-continent indien et très lié à l'hindouisme, il mêle de plus considérations spirituelles et matérielles pour insérer l'individu dans un réseau bien plus étroit d'obligations et de droits que partout ailleurs. organisation sociale plurimillénaire, elle a fait la preuve de son efficacité à maintenir des traditions dans la vie quotidienne comme pour les grands événements de la vie. Elle a résisté à de grands bouleversement tant naturels que politiques et les différentes transformations sociales de l'Inde d'aujourd'hui portent encore sa marque.

Il existe même, d'après plusieurs analystes politiques du sous-continent une vraie résistance à la constitution de classes sociales en tant que telles, et singulièrement d'une classe moyenne, notamment là où le système a le plus de force, dans les campagnes. Décrié par les élites occidentales, comme responsable d'un certain état de pauvreté et de misère, du maintien de structures patriarcales et de pérennisation d'injustices sociales, le système de castes est aussi, et c'est sans doute pour cela qu'il perdure malgré toutes les réformes, un réseau de solidarités cloisonnées et préférentielles, où s'activent des porosités qui le rend évolutif et adaptatif face notamment aux calamités naturelles. Le cloisonnement entre castes n'est pas partout le même et entre la théorie des trois fonctions indo-européennes et la réalité, il y a beaucoup d'écarts, qu'ils soient assumés ou non par les autorités, notamment religieuses.

 

Caste : représentations et réalités

     Olivier HERRENSCHMIDT, de l'Université Paris X-Nanterre, rappelle que le mot caste traduit deux termes sanskrits, varna et jâti, mais que c'est au second seul qu'il convient de réserver cette traduction. L'un et l'autre sont des éléments de deux systèmes sociaux différents mais inséparables.

"Le système des varna ("couleurs" en tant qu'attributs symboliques de "catégories socioprofessionnelles" ou "états") est bien connu : c'est l'organisation de la société qui correspond à l'idéologie indo-européenne de la tripartition fonctionnelle, dégagée par G Dumézil ; à chacun des trois premiers "états" hiérarchisés (brâhmanes, ksatriyas et vaisyas, principalement marchands, tous "deux fois nés") est attribuée une fonction ; les sûdras, dernier état, doivent servir les précédents. L'hymne X, 90 du Rg-Veda les fait sortir du corps sacrifié de l'homme originel (purusa) : hiérarchie et interdépendance fonctionnelle sont données en même temps. "Il n'y a pas de cinquième varna" disent les textes - les "hors-castes", les intouchables, doivent s'entendre comme "sans-varna", non sans jâti. Cette hiérarchie est non-linéaire (Dumézil, 1948), "principe de gradation des éléments d'un ensemble par référence à l'ensemble" (Dumont, 1966, Homo hierarchicus, Gallimard), et elle implique une séparation du statut et de la dominance (économico-politique) telle que le brâhmane (la prêtrise) a la prééminence sur le ksatriya (le pouvoir), dont il dépend matériellement. Cette prééminence se fonde sur le monopole de l'acte sacrificiel, nécessaire au maintien de l'ordre du monde, le dharma. Hiérarchisés et spécialisés, les varna - au contraire des jâti - ne sont cependant pas des groupes hermétiquement clos : pour ceux nés d'unions mixtes, il est possible de retrouver, sous certaines conditions, le statut de l'ancêtre (masculin) originel. Une distinction essentielle est à faire entre une hypergamie plus ou moins acceptable et une hypogamie toujours condamnable. Le terme désignant l'union mixte est samkara, dont la connotation est toujours péjorative : désordre conduisant à l'adharma, négation du dharma."

Le même spécialiste explique que "les unions mixtes ont permis au brâhmanes d'expliquer génétiquement l'existence de jâti multiples, à partir des quatre varna (Tambiah, 1973, à propos des Lois de Manou, Livre X). On peut penser aussi, avec R Lingat (Les sources du droit dans le système traditionnel de L'inde, Mouton, 1967) que "la projection des castes dans le cadre des varna" leur a permis de fournir à l'énorme diversité des sociétés du sous-continent indien un "code de l'indianité" puissamment unificateur et, par la place faite au respect nécessaire de la coutume, de trouver un "cadre pour définir le jâtidharma, les règles de conduite incombant à chacun selon sa caste". La varna est ainsi le "concept de la caste", la jâti étant la caste "réelle".

    Le système des jâti n'en a pas moins ses caractères propres.

D'abord parce qu'il ne se donne plus dans le langage du sacrifice, mais dans celui du pur et de l'impur. Le brâhmane y est à l'apex, sont opposé le plus marqué étant l'intouchable. Le pur et l'impur sont ici statutaires, non uniquement liés aux événements de la vie organique : chaque groupe (jâti) en est affecté à un degré spécifique. Le pur et l'impur sont toujours relatifs : le nombre des éléments (jâti) qu'ils permettent d'ordonner est illimité. Il peut y avoir une pureté maximale (celle du brâhmane), non une pureté absolue. La société hindoue se caractérise ainsi en ce qu'elle fait déboucher cette réflexion sur un système taxinomique, qui fonctionne, notamment, comme un code sociologique. La conservation de l'identité, la perpétuation de sa nature propre (sa pureté statutaire) implique la reproduction du groupe à l'identique, condition toujours exigée pour le maintien de l'ordre du monde (dharma). 

Cette conception rend compte des traits souvent énumérés pour caractérisé "la" caste : appartenance au groupe par la naissance (et non par le choix), spécialisation héréditaire (professionnelle), endogamie. Tous ces traits ne sont que les effets de représentations en vertu desquelles l'ordre du monde et celui de la société ne peuvent exister séparément, et de principes organisateurs. (...).

Ainsi compris, le système des castes apparait comme une forme d'organisation sociale cohérente et structurale, inséparable d'une vision du monde exprimée dans un langage qui lui est propre. Il parait alors vain de penser retrouver "la" caste ailleurs dans le monde, à propos de telle ou telle unité sociale, présentant, plus ou moins accentués, les traités énumérés ci-dessus, même si la "distance" sociale est aussi réglée par le concept de pollution (A W Southal, in Tuden et Plotnivov, Social stratification in Africa, The Free Press, 1970). On ne peut considérer la caste comme une simple forme de stratification sociale (Dumont, 1966), ni la réduire à la classe sociale - du fait de l'existence d'une conscience de caste, obstacle majeur à l'apparition d'une conscience de classe (Ambedkar, Annihilation of Caste,Punjad, Bheem Patrika Publication, 1936, réédition 1982). (Voir l'étude également de J PITT-RIVERS, On the world "caste", dans T O BELDELMAN, The translation of culture, Londres, Tavistock, 1971)."

 

   Précisons que selon Louis DUMONT le système hiérarchique ainsi décrit varie d'une région à l'autre : une caste (en tant que profession) peut être considérée comme pure dans une région et impure dans une autre, et ainsi occuper une place différente dans la hiérarchie. Mais ces variations s'inscrivent toujours dans le système de varna ; seulement existent une multitude de sous-castes (à l'intérieur d'un varna) avec des positions différentes selon les régions - et vraisemblablement selon les périodes (périodes étant vues sous l'angle séculaire bien entendu) - les unes par rapport aux autres. La hiérarchie n'est pas, en outre, totalement figée : les luttes de pouvoir entre différents groupes à travers l'histoire montre qu'il est possible pour une caste de se déplacer dans la hiérarchie. La richesse joue (donc l'économie) également un rôle. 

 

Les textes de référence...

    Ces castes sont définies dans les textes dits Dharmasâstra (Traités de la disposition naturelle des choses) qui décrivent l'ordre du monde et les lois de la société (appelés aussi Smrti, Tradition). Mais leur conception est déjà attestée dans le plus ancien des textes indiens, le Rgveda (X, 90,12), qui les fait correspondre aux diverses parties du corps de l'homme cosmique et s'exprime ainsi "le brahmane fut sa bouche ; le royal a été fait ses bras, ce qui est des cuisses, c'est le vaisya, de ses pieds le sûdra est né". Les Dharmasâstra enseignent la même origine mythique des castes et le principal d'entre eux, celui de Manu, définit ainsi leurs activités (karman), les distinguant exclusivement d'après leurs rôles généraux dans la société.

 

A chaque caste ses caractéristiques

Jean FILLIOZAT décrit les différentes caractéristiques de chacune des castes :

- La caste des brâhmanes remplit les fonctions d'enseignement, d'étude, d'accomplissement du sacrifice, la direction du sacrifice; la libéralité et l'acceptation de la libération qui rend fructueux en mérite le don du donateur... C'est le primat de la connaissance qui, à côté de son origine mythique, fonde la prééminence du brahmane. La fonction sacerdotale vient en second lieu et dérive se sa science. Le prêtre védique appelé brahmane n'officie pas, mais surveille les cérémonies comme expert et intervient en cas de fautes. L'appartenance des divers aitres prêtres à telle ou telle autre classe sociale n'est pas précisée dans les textes védiques, bien que probablement les principaux aient appartenu à la classe brahmanique. Le chapelain royal a été ordinairement un brahmane, mais il était possible qu'un membre de la caste guerrière prenne les fonctions de purohita. Réciproquement, l'Antiquité connut un pays dit Brâmanaka, qui appartenait à des brahmanes guerriers. D'après le Mahâbarata, l'art militaire a été enseigné par le brahmane Drona (cet art étant une connaissance...). A travers toute l'histoire, des brahmanes devinrent rois ou guerriers et à l'époque moderne, chez les Marathes notamment ; de même dans les armées indiennes d'aujourd'hui. Dans la pratique de la religion hindoue jusqu'à nos jours, non seulement tous les brahmanes ne sont pas prêtres, mais encore tous les prêtres ne sont pas brahmanes. Les usages varient. Ceux des brahmanes qui exercent la profession d'officiants de temple sont loin d'être considérés comme du rang le plus élevé dans leur caste. L'ascendance des familles brahamaniques, la lignée à laquelle elles se rattachent, les professions intellectuelles auxquelles elles se consacrent et leur rigueur dans l'observance des règles de l'orthodoxie des Dharmasâstra constituent leurs principaux éléments de prestige. La valeur morale, surtout dans la phase brahmanique, constitue le critère décisif.

- La caste des guerriers, des ksatriya remplit les fonctions de protection des créatures, la libéralité, l'oblation rituelle, l'étude et le désintéressement des objets des sens. Leur première fonction est d'autorité et de protection. Caste militaire dirigeante, elle fournit les rois. Quoique en fait, dans l'histoire, des rois historiques aient été des brahmanes, voire des sûdra. La libéralité, la seconde fonction vient avant les fonctions religieuses et l'étude pour lesquelles le ksatriya est moins qualifié que le brahmane. Cependant de nombreux textes des Brâhmana et des Upanisad évoquent des rois qui en remontrent à des brahmanes, indice d'une lutte toujours présente entre la caste des brahmanes et la caste des ksatriya pour l'exercice effectif de l'influence ou du pouvoir. Non seulement du pouvoir politique, mais également du pouvoir intellectuel, dans le domaine de la spéculation philosophique.

- La caste de vaisya remplit les fonctions de protection des bestiaux, la libéralité, l'oblation cultuelle, l'étude, le commerce, le prêt à intérêt et l'agriculture. Élevage, commerce et agriculture sont le fait de ses membres. Ils sont habilité, eux aussi, à accomplir les rites d'oblation. La protection des bestiaux est leur première fonction, et s'étend notamment sur les vaches, en tant qu'animal domestique. La classe des vaisya, comme celle des ksatriya, est aujourd'hui très réduite en dépit du développement du commerce et de la banque, parce que l'usage n'est plus de compter comme vaisya ceux qui exercent ces professions, beaucoup étant notoirement des brahmanes ou des sûdra. Certains groupes revendiquent toutefois l'appartenance à la classe des vaisya, que les autres les acceptent ou non comme tels. Une des causes d'une sorte de dépérissement de cette caste provient sans doute de l'urbanisation massive à l'époque moderne ou contemporaine, et de la multiplication des mariages mixtes entre les membres de ces trois castes...

- La caste de sûdra a pour fonction... l'obéissance à ces trois castes. Souvent dénommés serviteurs, très longtemps formant une très nombreuse population, les sûdra ne sont pas tous serves ou esclaves. Cette caste rassemble tous les métiers d'artisans et d'ouvriers qui sont exercés par des hommes libres. Le Dharmasâstra de Manu affirme qu'un brahmane peut faire faire par un sûdra une besogne d'esclave, le sûdra ayant été créé pour cela (VIII, 413), mais il énumère comme esclaves proprement dits le prisonnier de guerre, celui qui se fait esclave pour être nourri, celui qui est né d'esclaves dans la maison, celui qui est acheté ou donné ou reçu par héritage paternel, ou encore par punition. D'autres textes donnent des listes plus longues. La classe des sûdra, où entre la majorité de la population, comprend des groupes de niveaux sociaux fort divers selon leurs occupations et selon leurs usages plus ou moins conformes à ceux des castes supérieures, et surtout de la classe des brahmanes qu'on imite pour se hausser dans l'estime publique, cette estime qui, à défaut de hiérarchie fixée, assigne, de manière inconsistante d'ailleurs les rangs de chacun. Il existe une caste supérieure de sûdra, les sacchûdra, "bon sûdras", ceux dont les occupations servent les dvija et qui observent les mêmes coutumes et abstinences qu'eux, principalement celles d'alcool et de viande. 

- Ceux qu'on appelle Intouchables ou membres des depressed classes ou scheduled classes forment une sorte de cinquième caste, non mentionnées dans les sources anciennes. La désignation d'intouchable est mentionnée pour la première fois sans doute au XIIe siècle, au Kashmir (Râjataranginï, IV, 76), et montre qu'ils n'étaient pas toujours sans droit à la justice dans la société. Ils sont souvent appelés parias par les Occidentaux, et sont des groupes considérés comme inférieurs ou indignes, voire des tribus étrangères à la société indienne majoritaire et qui vivent sur le sol indien, ou des peuples étrangers pour autant que leurs modes de vie choquent l'idéal brahmanique. Ils sont désignés, d'après leur habitait en dehors des agglomérations, comme gens des limites ou du dehors, ou, par référence à leurs moeurs comme des "brutes" (cândâla).

 

Les éléments d'unité de la caste

   Jean FILLIOZAT indique que "l'élément d'unité de la caste est surtout l'endogamie. Le mariage n'est en principe possible qu'à l'intérieur de la caste, voire de la sous-caste, ou même parfois d'un groupe restreint de familles. A l'intérieur de la caste, le mariage ne peut se faire qu'entre des familles ayant des lignées ancestrales différentes. Il est même exigé dans les classes (l'auteur prend, au risque de confusion, souvent le mot classe pour caste) habilitées aux rites religieux que les mariés aient des prarava différents, c'est--dire que soient différents leurs ancêtres censés avoir les premiers prononcés les formules sacrificielles. Il s'agit moins d'un souci de différence de sang que de croisement de traditions d'éducation. En effet, la lignée du pravara n'est pas forcément naturelle : dans l'ignorance de son prarava, on adopte celui de son maitre. 

L'obligation du mariage à l'intérieur de la caste n'a pas toujours été, loin de là, rigoureusement observée, sauf dans les milieux attachés à une stricte observance. L'hypothèse de l'origine des castes par mélange des classes est l'aveu par les théoriciens rigoureux eux-mêmes que ce mélange se produisait en réalité. (...) 

Un autre trait caractéristique des usages de caste est l'abstention de repas pris en commun avec d'autres castes. Les brahmanes peuvent seuls distribuer de la nourriture ou de l'eau à quiconque (sans le toucher), mais ils ne peuvent en recevoir que d'autres brahmanes. (...). Enfin, la caste est ressentie le plus souvent comme correspondant à un rang social. Son individualité se manifeste non seulement par les interdits de mariage et de commensalité ou ses exclusivismes professionnels, mais encore par le sentiment de sa situation hiérarchique par rapport aux autres. Son unité est souvent psychologiquement renforcée par une rivalité avec les autres castes jugées supérieures ou inférieures. La hiérarchie, le rang par rapport aux autres, est un souci d'autant plus vif que cette hiérarchie n'est pas réglée comme les grades militaires et qu'elle est affaire d'opinion publique, variant considérablement d'une localité à une autre, souvent contestée, étant plus une prétention à soutenir qu'un état reconnu."

 

Les conséquence des divisions de caste

   Sur les conséquences des divisions de caste et la situation actuelle, Jean FILLIOZAT écrit :

" Les divisions de classes et de castes ont entrainé depuis l'Antiquité la formation de groupes plus ou moins étendus qui, étant endogames et en outre régis par des coutumes particulières de régime alimentaire et de comportement, ont formé des isolats biologiques. Il en est résulté souvent la fixation de caractères anthropologiques dominants et spécifiques dans les groupes qui ont été le plus longtemps et le plus complètement fermés.

Dans le domaine économique et social, les restrictions aux libres contacts et surtout à la libre concurrence, lorsque des castes avaient réussi à s'assurer le monopole de certains métiers, ont pu donner lieu à des situations analogues à celles des régimes à corporation ou à groupements professionnels ou politiques exclusifs. Les castes passent aujourd'hui pour entraver l'industrialisation. Les exemples sont à cet égard variables, selon les régions et les conditions locales. Mais d'une façon générale, si la Constitution de l'Inde, qui a supprimé la caste, n'en a pas aboli l'esprit (...), elle a du moins supprimé les tribunaux de caste et les sanctions qu'ils pouvaient prendre. Dans ces conditions, les exclus des castes cessent tout simplement d'être invités aux cérémonies de leur ancien groupe et d'avoir droit au soutien de celui-ci. Ces sanctions platoniques et le changement des moeurs diminuent beaucoup la puissance effective de la caste."

  Il mentionne l'importance des théories en Occident sur le système des castes, en philosophie et en politique, mais sans doute celle-ci est relativement complexe. L'inégalité des castes a pu joué le rôle de miroir en ce qui concerne l'inégalité des classes sociales en Europe. A contrario, cette même inégalité, d'après la théorie qui la fondait sur la naissance, a été utilisée au XIXe siècle par les philosophes racistes (ou souvent la lecture raciste de leurs oeuvres...) tels que GOBINEAU et a alimenté les spéculations sur la supériorité des Aryens. 

 

La perception des castes en Occident

     La sociologie du système des castes reste marquée par les ouvrages de Célestin BOUGLÉ (1870-1940), philosophe et sociologue français et de Max WEBER (1864-1920), sociologue et économiste allemand. Essai sur le régime des castes (1900-1908) du premier et Hindouisme et Bouddhisme (1906-1917) du second, présentent moins des hypothèses sur l'inde que sur le fonctionnement général des sociétés, avec des perspectives parfois semblables, parfois différentes. Les deux auteurs prennent appui sur des connaissances aujourd'hui "dépassées" (quoique...) pour en fait opérer une véritable opération intellectuelle stratégique à propos de la naissance et du devenir de la sociologie en général. Élaborées à partir de sources souvent identiques, leurs travaux respectifs partagent un grand nombre d'observations et de conclusions, sous divers angles : sur le rapport aux théories évolutionnistes, sur la question de la définition de la société comme un "système" et la relation au matérialisme historique, sur le rapport aux sciences philologiques... comme le montre l'étude de 2008 d'Isabelle KALINOWSKI.

   Les deux auteurs s'accordent sur la reconnaissance de la spécificité historique du régime des castes. Selon Célestin BOUGLÉ, "Sur trois points - spécialisation héréditaire, organisation hiérarchique, répulsion réciproque - le régime des castes se rencontre, autant qu'une forme sociale peut se réaliser dans sa pureté, réalisé en Inde. Du moins descend-t-il, dans la société indienne, à un degré de pénétration inconnu ailleurs. En ce sens, on peut soutenir que le régime des castes est un phénomène propre à l'Inde". La singularité du régime indien réside selon lui dans la présence de tendances "répulsives" entre différents groupes de population, que l'on retrouve ailleurs, mais dans les obstacles particulièrement massifs qui, dans ce pays, entravent toute velléité de mobilité individuelle : la haine des parvenus, des "évadés" et autres "métis" atteint là son point culminant, n'autorisant que des formes collectives de mobilité. Max WEBER indique que la caste ne se confond pas avec la guilde ou la corporation, dans la mesure où ces dernières "ne connaissaient pas de barrières rituelles entre les différentes guildes et les artisans, à l'exception de la petite couche de "gens privés d'honneur" comme les équarisseurs et les bourreaux qui étaient sociologiquement proches des castes impures de l'Inde". 

    Les deux auteurs s'emploient à prévenir toute confusion entre les fonctions de la caste et d'autres groupements sociaux exclusifs. Ils analysent la société indienne en grande partie comme celle d'une civilisation figée au "stade religieux". Pour Célestin BOUGLÉ, l'Inde ne confirme pas les hypothèses évolutionnistes des sociétés car elle constitue une exception. Pour Max WEBER, il s'agit de comprendre pourquoi l'Inde n'avait pas connu de développement du capitalisme, constaté dans beaucoup d'endroit ailleurs, avant la colonisation. La permanence des structures sociales instaurées par l'hindouisme avait entrainé une résistance à la "rationalisation" moderne : c'est la lecture faite aux États-Unis en tout cas où l'ouvrage de Max WEBER, traduit dans les années 1950, fut enrôlé dans le sillage des travaux de Talcott PARSONS, au service d'une réflexion sur les obstacles à franchir pour faire avancer l'Inde, avec le soutien de la puissance américaine, sur la voie de la modernité... Mais là où Célestin BOUGLÉ estime générale dans le monde cette rationalité capitaliste, Max WEBER dans son vaste chantier comparatif, aboutit à la conclusion inverse, au constat que ce rationalisme ne constitue par une règle, mais une exception, une sorte d'excroissance proliférante dont l'émergence ne peut être expliquée par aucune loi de "développement sociologique, mais par une somme de facteurs historiques singuliers. Ce postulat, exposé par Max WEBER dans un des Essais sur la théorie de la science, trouve son prolongement dans le refus du sociologue allemand de reprendre à son compte la notion de "progrès" et le couple conceptuel "primitif/civilisé". "Plus fondamentalement, écrit Isabelle KALINOWSKI, c'est l'appréhension du rapport entre sécularisation et rationalisation qui, chez Weber, est orientée dans un sens résolument distinct des tendances de Bouglé et de celles de l'école durkeimienne : l'horizon de la "laïcité", certes présent dans les perspectives d'analyse du sociologue allemand, est cependant très loin de constituer un enjeu comparable à celui qu'il représente pour l'école française. Tandis que la séparation de l'Église et de l'État, en France, donne corps à l'idée d'un déclin de la puissance sociale de la religion, le principe d'une sécularisation radicale ne trouve guère de promoteurs en Allemagne, y compris dans les universités, où les facultés de théologie occupent encore une place qui n'est en rien négligeable."  Cela mène tout droit à la place du religieux en Inde, et aux éléments d'explication du système des castes, et d'une certaine manière, c'est l'étude de ce système social qui aiguise la perception des rapports généraux entre religion et société...

      Louis DUMONT (1911-1998), anthropologue français, indique l'impact des traductions tardives de ces deux oeuvres en anglais sur les études, après la seconde guerre mondiale, sur l'Inde, alors dominée par les recherches empiriques sur le terrain. Leur apport majeur réside dans la reconnaissance du caractère de "système" inhérent au régime des castes. L'auteur de Homo hierarchicus établi une généalogie entre les recherches de BOUGLÉ et les siennes autour de l'idée d'un "système" structural définissant les positions respectives des castes dans une dynamique différentielle plutôt que dans les catégories d'une classification figée. Il existe une hésitation entre deux paradigmes, celui d'une stratification sociale et celui d'une polarité de forces, qui n'est pas tranchée dans l'oeuvre de Célestin BOUGLÉ, tandis que chez Max WEBER, le "système" se présente de manière semble-t-il plus cohérente. La préférence pour la notion de "position de rang" de façon différentielle (relative) plutôt que que comme le degré d'une échelle hiérarchique verticale, est sensible dans une section d'Hindouisme et Bouddhisme ("La position des brahmanes et la nature de la caste). Le sociologue allemand propose une définition sans équivoque du régime des castes autour du pôle brahmanique. Il y constate "la détermination tout à fait caractéristique du rang social des castes par la distance qui les sépare des autres castes hindoues et, en dernière instance, du brahmane. (...) Tel est en effet le point décisif dans les rapports entre les castes hindoues et les brahmanes : une caste hindoue peut rejeter autant qu'elle veut les brahmanes comme prêtres, comme autorité doctrinale et rituelle ou comme n'importe quoi d'autre - elle n'échappe pas à cette situation objective : en dernière instance, son rang est déterminé par le type de relation, positive ou négative, qu'elle entretient avec le brahmane". Isabelle KALINOWSKI, qui fait les citations précédentes, estime plus aboutie chez WEBER que chez BOUGLÉ, la substitution d'une pensée "structurale" à la vision traditionnelle des "hiérarchies sociales". Cette substitution est porteuse d'un enjeu qui dépasse largement le cadre de la sociologie de l'Inde : "ce que les deux sociologues entrevoient, explique t-elle, plus clairement qu'ailleurs à travers le fonctionnement du système des castes, c'est la possibilité de penser les rapports sociaux en général (...) comme un système de configurations évolutives ne se résumant pas à une série d'oppositions entre un "haut" et un "bas", mais régi par des analogies et des correspondances moins visibles, que la simple considération de la hiérarchie des "places" ne pouvait mettre au jour."

 

L'enjeu stratégique de la représentation des castes

     L'aspect stratégique dans les sciences sociales dont nous parlions plus haut provient du fait que l'analyse de la position des brahmanes dans le système des castes - sur laquelle insiste déjà Emile SÉNART - condense un faisceau d'enjeux spécifiquement vifs pour la sociologie.

"C'est d'abord la possibilité, toujours selon Isabelle KALINOWSKI, de définir celle-ci comme distincte d'autres disciplines de nature diverse, comme l'anthropologie raciale ou la théologie, qui doit être défendue ; en second lieu, c'est aussi le rapport de la sociologie avec le "matérialisme historique" qui est ici en cause.". Le rapport au marxisme tout simplement de la sociologie émergente...

    Les deux auteurs rejettent tous les deux les explications "biologique" et "ethnique" de la domination des brahmanes. Par contre BOUGLÉ pense que l'exemple indien autorise une réfutation du "matérialisme historique", entendue comme le primat de l'économique dans toute société, puisque la caste des prêtres domine la société sans considérations économiques, et même, pour reprendre des termes économistes, à contre-sens d'une certaine rentabilité. WEBER, au contraire, considère, l'enjeu du rapport de forces idéologiques avec le marxisme lui semblant moins important, qu'il n'y a pas réellement paradoxe entre accumulation de richesses et distance des brahmanes à l'égard des intérêts matériels. De la même façon que les premiers promoteurs puritains du capitalisme avaient, selon lui, trouvé le moteur de leur accumulation de capital dans l'ascèse, de même par la frugalité et l'épargne, les brahmanes bénéficient des profits associés à l'exhibition de leurs dispositions à sublimer les préoccupations matérielles. Dans Hindouisme et bouddhisme, il décrit un véritable processus de prébendalisation, où les dons et legs des fidèles amènent l'établissement de monastères richement dotés. En d'autres termes, la prédominance des intérêts spirituels sur les intérêts matériels des religions indiennes n'induise pas nécessairement une contradiction entre les premiers et les seconds.

 

Les raisons de la déférence à l'égard des brahmanes

Reste à comprendre les raisons de la déférence universellement manifestée dans la culture indienne, à l'égard des brahmanes. Les deux auteurs mettent l'accent sur un phénomène spécifique, la reconnaissance de l'autorité des brahmanes, qui ne dérivent pas d'un acte d'adhésion rationnelle à certains dogmes théologiques. Le contenu intellectuel des Véda matérialise la frontière sociale entre brahmanes et non-brahmanes, entre ceux qui ont accès aux textes sacrés et ceux à qui un tel accès est défendu, et la permanence d'une telle frontière constitue un enjeu plus fondamental que l'approbation d'un quelconque contenu dogmatique. Les brahmanes se distinguent par un usage proprement magique du savoir, (sans doute soutenu aux origines, pensons-nous, par la croyance en l'efficacité des rites), qui a pour but de tracer autour d'eux une barrière rituelle. WEBER se sépare de l'analyse de BOUGÉ lorsque ce dernier pense que le prestige des brahmanes a seulement été le produit de leurs prérogatives de "magiciens" et de "sacrificateurs". Il y a une propriété plus significative, celle de s'être imposés comme des "porteurs de savoir", par opposition à la corporation des magiciens dont ils sont originellement issus. Ce qui est vénéré dans le brahmane, c'est, avant toute la compétence rituelle, le savoir intellectuel en tant que tel, même si son usage peut être qualifié de magique. 

    Sur le plan des rapports aux sciences philologiques, Max WEBER est conduit à constater un phénomène d'efficacité symbolique de la possession du savoir indépendamment de sa transmission : le porteur de savoir n'a pas besoin de diffuser celui-ci pour se voir reconnaitre une autorité. En prenant appui sur le cas indien, il met au jour un phénomène sociologique selon lui universel, l'existence d'un prestige magique des intellectuels, prestige loin d'être "primitif", comme le pense BOUGLÉ, mais qui se perpétue même dans nos sociétés dites avancées.

Max WEBER, ceci posé, ne pense pas que tout cela relègue au second plan l'intérêt d'une étude du contenu des textes sacrés des religions indiennes. Il élabore ainsi, ou tente d'élaborer une configuration des rapports entre sociologie, théologie et philologie : alors que l'analyse de la religion comme phénomène social semble invalider tout apport réel de connaissance aux textes religieux (tendance que manifesterait BOUGLÉ et l'école durkheimienne), le sociologue allemand estime que l'examen des doctrines intellectuelles elles-mêmes des religions étudiées peut dégager une logique intellectuelle propre, mais partiellement indépendante des autres intérêts sociaux. Il n'est pas possible, et il partagent tous deux cette conviction de déduire de l'examen de doctrines théologiques une quelconque information sur les pratiques religieuses effectives des masses et sur la la place de la religion dans les pratiques sociales et économiques en général. Mais ces doctrines savantes, ces spéculations intellectuelles sont capables d'infléchir à la fois les pratiques et leur signification et de produire en plus des bouleversements dans l'ordre religieux. Il cherche à saisir la dynamique des religions sans renoncer en rien aux acquis de ces sciences jusque-là focalisées sur la dimension la plus savante du phénomène religieux (théologie et philologie allemandes). Isabelle KALINOWSKI ose une formule synthétique : parvenir à tenir la religion par les deux bouts, la magie et le savoir."

Il n'est pas certain que les études suivantes de ces deux grands auteurs parviennent à tenir ces deux bouts, à supposer que cela soit possible. En tout cas, il subsiste de cette tentative de nombreux travaux tentant des approches par l'un des deux bouts, précisément, par les effets de la pratique religieuse, par les effets de la diffusion même restreinte des textes religieux, par les effets de la conception du monde supposée à l'oeuvre... A côté, nombreux s'essaient sans doute à dissocier les effets pervers du système des castes d'une philosophie religieuse dont pourrait bénéficier des individus d'autres sphères culturelles. Il n'est pas sûr que la cohérence précisément de l'hindouisme puisse se maintenir. Sans doute, serait-ce alors là une autre hindouisme, qui n'en est pas à une évolution près... mais un hindouisme qui n'aurait plus rien à voir avec un système social fondé sur la séparation des castes et des idées d'exclusivisme religieux. Le bouddhisme est certainement, à cet égard, mieux outillé pour diffuser des sagesses venues d'Orient...

Une des grandes idées de Max WEBER est que les "grandes" religions ou les "religions mondiales", celles qui ont su trouver une large audience au-delà de leur périmètre initial doivent en partie cette puissance de diffusion à une qualité particulière de systématicité et de cohérence. Seule cette dernière permet d'articuler autour de quelques modèles spécifiques d'explication du monde des systèmes éthiques régissant les pratiques de groupes de fidèles incomparablement plus étendus que le cercle des érudits religieux susceptibles d'en énoncer les fondements théoriques. 

 

Des causes de la pauvreté en Inde...

    Sur la question clé de l'existence d'une misère et d'une pauvreté dans le sous-continent indien, d'un écart des richesses proprement colossal qui heurte bien des observateurs extérieurs, qui serait liée à ce système des castes, Marie-C. SAGLIO-YATZIMIRSKY, tente de répondre en étudiant la situation contemporaine. 

"La pauvreté en Inde a en effet cela de spécifique qu'elle n'est pas seulement une question de revenu, mais de statut. Dans la société hindoue organisé en castes, la naissance positionne l'individu sur une échelle de statut. De la position de caste découlait autrefois un niveau d'aisance relatif et des attributs de pouvoirs : en bas de l'échelle étaient les intouchables et les plus basses castes, stigmatisés par leur statut inférieur et relégués aux tâches impures et aux difficiles travaux agricoles. Depuis la fin du siècle dernier (l'article date de 1999), les évolutions économiques et politiques ont remis en causes cette congruence entre statut rituel inférieur et pauvreté. La Constitution de 1950 fixe un objectif de justice sociale et d'égalité des chances et établit des mesures spéciales - sièges réservés pour la représentation politique et quotas dans l'éducation et les emplois publics - pour les catégories "arriérées" (backward classes) qu'elle définit selon un critère de caste : ces groupes comprennent en particulier les Scheduled Castes, c'est-à-dire les Intouchables et les Scheduled Tribes ou tribus. Le paradoxe de la politique catégorielle de la pauvreté est qu'elle favorise la fragmentation des groupes bénéficiaires en castes d'intérêts rivaux dans l'attribution des avantages, en particulier des quotas en 1990 à d'autres classes défavorisées (backward)...) catégories hétérogènes qui correspond aux castes intermédiaires et qui comprend plus de la moitié de la population indienne. Cette fragmentation est avivée par le jeu des partis politiques qui se fidélisent des castes comme autant de groupes d'électeurs. Cela dit, les termes du rapport entre les politiques et les pauvres ont évolué. Les "backward" répertoriés sont devenus par leur nombre une force majeure avec laquelle il faut compter. La formation de partis de basses castes ou d'intouchables et leur poids politique actuel témoignent de l'émancipation progressive des pauvres. De sorte que la castérisation des pauvres, contradictoire avec les principes égalitaristes de la société démocratique, semble la condition nécessaire d'une politique en leur faveur. La pauvreté : une affaire de caste? La corrélation traditionnelle entre les appartenance de caste et de classe. Les "pauvres" dans la société rurale traditionnelle, structurée par la hiérarchie des statuts regroupaient principalement les basses castes de service et les intouchables. Ces derniers exerçaient les métiers impurs et dévalorisés d'équarisseurs, de tanneurs, de balayeurs, de vidangeurs (etc.) et constituaient également la grosse masse des travailleurs agricoles sans terre. Viennent dans l'échelle hiérarchique, les castes de service (shudra), puis les castes marchandes (vaishya), suivies des castes guerrières, enfin les castes de brahmanes. Le système jajmani assurait ainsi la subsistance et la relative sécurité des castes de service et des travailleurs agricoles. L'endettement chronique de la manin-d'oeuvre intouchable traduisait toutefois leur situation précaire. La pauvreté des plus basses castes était donc réelle, mais elle semblait alors partie intégrante d'un système hiérarchique où statut de caste et position de classe étaient corrélés, ce qui la rendait "acceptable" par la société.

Urbanisation et industrialisation ont amené la disparition progressive de cette organisation. Avec l'ouverture de l'économie villageoise et la monétarisation des échanges, la transmission des métiers de caste entre générations est moins systématique, tandis que les opportunités de mobilité spatiale et socio-économique se multiplient, souvent animées par des logiques d'élévation statutaire. L'émergence de grands centres urbains se fait sur la base du capital manufacturier et commerçant qui introduit une nouvelle division du travail, et ignore les spécialisations de caste. Sur le marché du travail urbain compétitif, les migrants répondent à la demande d'une main d'oeuvre non qualifiée dans le travail informel, qui favorise la disparition de leurs qualifications artisanales traditionnelles, et les appauvrit souvent. Un double phénomène accélère la croissance des bidonvilles : la pression hors des villages où le travail manque, et l'attirance pour la ville industrielle qui offre du travail. Aujourd'hui la moitié de la population des mégalopoles de Bombay, Calcutta et Delhi vit dans des quartiers auto-construit et précaires. Cette pauvreté urbaine est d'autant plus insoutenable qu'elle révèle les disparités de niveaux de vie entre les pauvres et la classe moyenne. Ces évolutions ont modifié certaines structures socio-économiques : la pauvreté a dépassé les limites de la caste et touche une population de plus en plus hétérogène. D'une part, les écarts de revenus apparaissent à l'intérieur des castes, d'autre part des populations spécifiquement vulnérables sont de plus en plus touchées par la pauvreté : il s'agit des chômeurs, des femmes et des enfants. L'adéquation entre positions de caste et de classe, qui explique que les groupes sociaux de plus bas statut hiérarchique aient été aussi les plus démunis, s'est donc relâchée. Les structures sociales  traditionnelles, comme la famille et la caste, sont bouleversées et leur fonction de réseau de solidarité s'en trouve affaiblie. Dans les villages où le sous-emploi chronique provoque des migrations et dans les villes qui subissent l'affluence continuelle de migrants de toutes origines, les réseaux d'entraide, construits par les liens de famille, de ville ou de jati, disparaissent progressivement. La pauvreté revêt donc le visage social de l'exclusion, comme en témoigne la multiplication des ghettos dans les centres urbains, mais aussi dans les bidonvilles eux-mêmes stratéfiés par les écarts de revenus. (...)".

 

Marie-C SAGLIO-YATZIMIRSKY, La pauvreté en Inde : une question de castes?, dans Cultures & Conflits, n°35, 1999. Isabelle KALINOWSKI, La sociologie des religions indiennes en France et en Allemagne au début du XXe siècle : Essai sur le régime des castes de Célestin Bouglé (1900-1908) et Hindouisme et Bouddhisme de Max Weber (1916-1917), dans Revue germanique internationale, n°7, 2008. Jean FILLIOZAT, Castes, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Olivier HERRENSCHMIDT, Caste, dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthopologie, PUF, collection Quadrige, 2002.

 

RELIGIUS

 

Relu le 31 août 2021

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