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19 novembre 2013 2 19 /11 /novembre /2013 08:56

   Si nous prenons le terme publicité, au lieu de communication économique ou politique, c'est qu'ici nous voulons examiner surtout la communication commerciale, avec le sens de publicité pris par les acteurs de cette forme de communication bien particulière. La publicité, qui n'a jamais, au dire même des publicitaires eux-mêmes (voir Luc CHOMARAT, La publicité, PUF, collection Que sais-je? 2013), été considérée comme une activité moralement neutre, à l'inverse du commerce par exemple, constitue une sorte de noeud dans le fonctionnement de l'économie capitaliste moderne.

Il s'agit, pour comprendre son influence sur les diverses coopérations et conflits, d'analyser celle-ci comme un phénomène social bien particulier - elle n'apparait véritablement qu'avec l'économie industrielle. Il s'agit d'analyser la logique discursive de la publicité - et non son fonctionnement du point de vue des publicitaires, dont certains acteurs se targuent de faire oeuvre de sociologie (c'est comme si l'on confiait à des militaires (en guerre) la sociologie des armées, ou aux leaders de la mafia la sociologie de la délinquance...), et d'éclairer les liens existant entre celle-ci et les individus, la consommation d'objet et la société moderne. 

 

Communication de masse et société

    Dans cette logique, Valérie SACRISTE, du Laboratoire Communication et Politique (CNRS), fait le point sur les recherches portant sur cette communication de masse et sur son insertion dans le corps social. La publicité suscite des interrogations qui débordent la seule sociologie, vers la politique et la philosophie politique. 

"Ignorée par les penseurs sociaux (bien qu'émergeant au XVIIe et s'imposant au XIXe siècle), la publicité ne devient véritablement objet d'interrogation qu'entre 1930 et 1940. L'intérêt est contextualisé, lié à l'extension de la réclame, des médias et au développement, en Europe, des propagandes totalitaires. Dans ce climat, la recherche se centralise naturellement sur les effets de la publicité sur le public. L'évidence étant, pour tous, que les techniques de la communication publicitaire ont forcément des effets et qu'elles peuvent manipuler à loisir la masse."

     Le premier ouvrage à marquer cette période est Le viol des foules, du socialiste allemand Serge Tchakhotine (1883-1973). Étudiant le rôle de la propagande hitlérienne à la radio, il en tire la conclusion que celle-ci a permis le contrôle des esprits en diffusant des slogans usant des techniques publicitaires. La thèse s'inspire de la psychologie sommaire du réflexe conditionné. Elle part du postulat que "par certaines pratiques, on peut affaiblir la faculté de résistance des mécanismes nerveux supérieurs" et d'autant "chez la masse dont le niveau intellectuel, c'est-à-dire la faculté critique est bien basse" (Le viol des foules, Gallimard, 1952, ouvrage traduit de l'original paru en 1939). Le public est ainsi considéré comme une totalité passive et ignorante, les techniques de persuasion douées d'un pouvoir omnipotent. Le contexte sociopolitique de l'Allemagne n'est absolument pas pris en compte. Ce faisant, Tchakhotine voit, logiquement, dans les pratiques publicitaires des instruments capables de manipuler les foules : "Par la répétition incessante et massive des slogans", leurs "sonorités rythmées obsédantes", "elles créent un état de fatigue mentale, qui est propice à l'assujettissement à la volonté de celui qui exerce cette publicité tapageuse".

La thèse est radicale. Elle ravira les publicitaires.

     Contrepoint de cette omnipotence supposée de la publicité se développe un peu plus tard la sociocologie d'enquête. Les premières études dans les années 1940 sont menées par Paul Lazarsfeld (1901-1978) et ses collèges du Bureau of Appleid Social Research. Robert Merton (1910-2003) en résume la filiation : "La compétition sévère dans la publicité a provoqué une demande pour connaître la dimension, la composition et les réactions du public (...). Et, pour la propagande comme pour la publicité, les responsables veulent savoir si leur investissement est rentable..." (Éléments de théories et de méthode sociologique, Plon, 1965). Seulement, les résultats des enquêtes démontrent que le consommateur n'est pas un halluciné. Il est actif, son comportement dépendant des processus eux-mêmes déterminés plutôt par l'inscription de l'individu dans ses divers groupes d'appartenance (famille, amis, quartier, religion...) que par les injonctions des fabricants d'images et de slogans. Autrement dit, le grand vainqueur n'est ni la publicité, ni les médias, mais les groupes primaires et les leaders d'opinion, les techniques de persuasion n'ayant que des effets limités.

    Or, ces résultats auraient pu décevoir les professionnels puisqu'ils se retrouvaient devant la conclusion que les campagnes publicitaires étaient incapables (sinon dans les marges) d'induire des comportements massifs d'opinions, d'attitudes et d'actions. Nonobstant, il serait dirimant de croire que leur conclusion changea les opinions. Comme l'a souligné Dominique Wolton (né en 1947), on demande au chercheur d'être libre, d'explorer et de vérifier des hypothèses mais "en même temps, s'il dit quelque chose de différent du discours des acteurs, des hommes politiques ou des journalistes, il perçoit immédiatement une forte résistance... C'est un peu le double lien, "Aidez-nous à mieux comprendre ce qui se passe, mais surtout ne dites pas autre chose que ce que nous voulons entendre" (Penser la communication, Flammarion, 1997)".

Ainsi, l'omnipotente publicitaire est un mythe, mais l'opinion y croit, et les publicitaires l'entretiennent pour légitimer et développer leur profession.

 

   Ces enquêtes positives ont le mérite, quoi qu'il en soit, par leur recueil des faits validés, de s'imposer comme principe de réalité, contre-pied de l'ivresse spéculative. Et, derechef, on ne peut les ignorer. Seulement on ne saurait en rester à la mesure des effets de la publicité, elle-même réduite à la transmission linéaire d'un message, compris comme porteur de seules informations économique. Ainsi on occulte la dimension macrosociologique et l'aspect symbolique de la communication publicitaire.

 

Symbolique de la communication publicitaire et formation de la société de consommation

    Prenant en compte cet aspect, la sociologie critique (de l'École de Francfort) appréhende la communication en insistant sur le fait qu'elle ne se déroule pas dans un espace social aseptisé mais dans un espace social précis qui la transcende : espace social lui-même composé d'individus socialement situés et socialement contraints dont les rapports sont de domination et de subordination. Elle démontre ainsi que la publicité est fille de la société capitaliste et qu'elle est moins un discours informatif qu'un discours idéologique, agent du contrôle social qui contribue à acculturer les masses en homogénéisant les comportements. Ainsi Herbert Marcuse (1898-1979), dans L'homme unidimensionnel, écrit-il : "Les produits endoctrinent et conditionnent ; ils façonnent une fause conscience insensible à ce ce qu'elle a de faux. Et quand ces produits avantageux deviennent accessibles à un plus grand nombre d'individus dans des classes sociales plus nombreuses, les valeurs de la publicité créent un manière de vivre" (L'homme unidimensionnel, Minuit, 1968, première édition en 1964). Car "son langage va dans le sens de l'identification et l'unification". En somme, c'est une des techniques de l'avilissement de l'homme et de son aliénation.

     Dans cette voie, il y a bien des successeurs. Stuart Ewen (Consciences sous influence, Aubier, 1983, traduction de l'ouvrage paru en 1977), en particulier, qui se livrant, quelques années plus tard, à l'étude sociohistorique du développement de la publicité moderne aux États-Unis, souligne sa connivence avec l'idéologie "consommatrice" des entrepreneurs. Selon lui, la consommation de masse se serait développée parce qu'elle se présentait comme un système qui permet à la fois de fournir de nouveaux débouchés à l'industrie, d'instaurer une culture nationale cimentée par l'usage généralisé de certains produits et de détourner les ouvriers de la lutte des classes. La publicité aurait ainsi fonctionné comme agent du contrôle social, incitant les individus à acheter, en développant une idéologie où la consommation était présenté comme un progrès social, une totalité intégrée et universalisante.

      Dans le même sens, Jurgen Habermas (né en 1929), alors à ses débuts et s'inscrivant dans le courant critique, développe le thème de l'Espace public (L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, 1978, traduction de l'ouvrage paru en 1962). Il montre comment les médias ont d'abord actualisé le principe de la "publicité" (au sens étymologique et premier de rendre public) des débats en promulguant l'usage public du raisonnement. Créée par la bourgeoisie au XVIIe siècle pour ériger la société civile contre l'État et sa pratique du secret, ce principe de publicité est lié à l'avènement de la démocratie et à la constitution d'un nouveau vecteur sociologique : l'opinion publique. Seulement, l'espace public bourgeois, avec sa logique du capitalisme (ses lois du marché, sa recherche du profit, avec son intrusion dans l'espace de la production culturelle), devait mettre fin au principe de la publicité des débats en transformant la fonction critique de celle-ci en une fonction d'intégration par la publicité commerciale. Confinée à l'espace des produits, la publicité commerciale a pour Habermas contaminé la sphère publique, la faisant passer du raisonnement critique et du monde des idées à celui des affects et à des adhésions irrationnelles. Ainsi, l'espace public, né contre le pouvoir politique, pour le juger et le contrôler, serait devenu un espace de séduction publicitaire.

     Évoquons enfin le courant des technicistes, à travers Marshall McLuhan (1911-1980) qui, loin de se réduire à cette tradition, est néanmoins l'un des premier à tenir compte, dans l'action sociale des médias, de la nature médiatique des techniques. "Dans la formation des sociétés, les moyens de communication, les médias ont toujours été plus importants que le contenu de ces communications - le moyen est en lui-même un message - le message est un massage." (Pour comprendre les médias, Point-Le Seuil, 1977, traduction du livre paru en 1964). Et c'est dans cette perspective qu'il verra dans la publicité un médium de l'information collective. Il écrit : "On a longtemps considéré la publicité en tant qu'information, d'abord comme moyen de promouvoir des produits. On n'a pas suffisamment remarqué que la publicité est en elle-même un bien d'information beaucoup plus important que tout ce qu'elle promeut. C'est pourquoi il n'est plus possible de la classer comme un simple moyen de vendre des biens et services." (Culture is our Busibness, New York, Ballandine Books, 1972). De là sa conclusion devenue citation célèbre : "Les historiens et les archéologues découvriront un jour que les annonces de notre époque constituent le reflet quotidien le plus riche et le plus fidèle qu'une société n'ait jamais donné de toutes les gammes de ses activités. Les hiéroglyphes égyptiens viennent loin derrière à cet égard." (Pour comprendre les médias). Seulement, si pour McLuhan, la publicité est un traducteur de la réalité sociale, c'est parce qu'en tant que médium, elle a modifié les comportements des individus dans la société. C'est une technique, et comme toutes les techniques, elle a, pour le chercheur canadien, le pouvoir de transformer le monde. 

Après quoi, on n'est guère étonner de voir McLuhan érigé en gourou chez les publicitaires, publicitaires, qui, par ailleurs, depuis les années 1970-1980, ont profité du désinvestissement intellectuel à l'égard de la publicité, pour promouvoir leurs études sur le besoin et l'art de communiquer dans la société.

 

     Au terme de ce parcours, force est de constater que les analyses sociologiques de la publicité sont parties de la question de ses effets, et donc de son pouvoir, implicite dans la société, insistant sur le message mais sans jamais envisager le rapport d'interaction entre le manifeste publicitaire et la réception, entre le manifeste publicitaire sur les produits et la relation qu'on peut avoir aux objets et aux images dans un certain type de société. Seules les analyses critiques et technicistes ont tenu compte de ce paradigme. Seulement, l'approche critique a considéré que la "course à l'avoir" était le résultat de la logique capitaliste et que cette même course avait été rendue possible par la capacité manipulatoire de la publicité. L'axe techniciste diffère dans sa position mais n'en demeure pas moins proche dans sa conception, car si ce n'est pas la logique économique qui assujettit les médias, ce sont les techniques qui ont le pouvoir de transformer les modèles d'installation. ce qui, dans les deux cas suppose :

a) l'omnipotence des médias ;

b) la capacité passive du public et son abêtissement.

Ce que la sociologie positive, nous l'avons vu, est loin d'entériner. 

      A partir de quoi, la question n'est pas de se demander quel est le pouvoir de la publicité, mais bien plutôt quel sens a-t-elle dans notre société? Pourquoi si les individus sont critiques et actifs continuent-ils d'acheter des objets dont ils n'ont pas besoin? Pourquoi, conscients que la publicité cherche à les persuader, ne fuient-ils pas le langage et les images de se rhétorique? "

  Valérie SACRISTE estime que la publicité agit comme "prothésiste identitaire" dans une société où les inégalités et les injustices demeurent importantes et où l'individu pourrait se sentir écraser dans la masse. Notamment, "cette société de l'individualisme est traversée par le paradoxe qu'autrui est à la fois mon semblable, mon frère et par ailleurs mon rival, celui par qui ma liberté rencontre sa limite. Concurrent dont le désir me menace et à cause de qui mon espace de puissance est menacé, il est, dans le même mouvement celui qui suscite le mimétisme spéculaire et donc source de modèles et de rejet."

La publicité, dans cette situation, peut sembler contourner cela par une "dialectique du particulier et de l'universel. Le sujet se conçoit dans un clivage entre un Moi différent des autres, jaloux de sa spécificité et un Je universel, le Je citoyen source de la loi commune ; autrement dit, un espace privé et un espace public, l'espace des égotismes et des égoïsmes, et l'espace civique."  Le malaise identitaire n'est en fait que très partiellement levé, car la société postindustrielle dévalorise peu à peu la chose publique, rend flous les statuts, l'ordre social. Dans ce cadre, les individus cherchent à quérir des signes et des valeurs distinctives dans des discours, des pratiques, des objets, des techniques, qu'ils imposent comme de nouvelles déités.

Et c'est en vertu de ce principe sociopolitique qu'elle justifie son hypothèse "selon laquelle la publicité fonctionne (et de façon importante) comme l'imaginaire d'une société qui n'en finit pas de se donner des signes perpétuellement annulés et perpétuellement recommencés, faute de ne plus s'électriser dans l'espace public."

 

Publicité et évolution de la société

       Edgar MORIN, héritier de toute cette littérature sociologique se livre à une analyse de la publicité, dans le cadre de sa réflexion d'ensemble sur l'évolution contemporaine. "Aux grandes peurs packardistes (il fait référence à la réflexion de Vance PACKARD, dans La Persuasion clandestine, Calmann-Lévy), aux grands mépris de l'intelligentsia, les plaidoyers pro domo des publicitaires et manager s'enchaînent dans la même ronde vertueuse ; tous parlent au nom de l'homme, menacé par le conditionnement sournois, la persuasion clandestine, l'abrutissement médiocre, ou, au contraire, accédant à la démocratie de la consommation, à l'intelligence économique."

Le sociologue français constate d'abord que la publicité relève de la science (comme système d'action, avec les techniques matérielles mises en oeuvre et comme système de connaissances, notamment psychologiques). Il estime ensuite que le chercheur qui tente de développer à la fois les études de la publicité et l'étude sur la publicité se heurte à une double occultation : "d'une part (...) la publicité vise à connaitre son marché et sa marche, non pas à se connaitre ; d'autre part, elle maintient le secret sur ses propres enquêtes, qui échappent par là même au jeu normal de la circulation scientifique."

"La publicité, explique t-il, n'est qu'un élément dans les systèmes de production-distribution-consommation, et elle ne peut se définir que par rapport à ces systèmes, où elle joue un rôle essentiellement médiateur. Dans un autre sens, nous voyons qu'elle peut constituer un système propre : les agences de publicité peuvent être douées d'autonomie économique et sociologique, étendre leurs pseudopodes conquérants, voire vassaliser des médias. Ainsi, par une dialectique du serviteur-maitre dont est coutumière la vie sociale, on a pu voir que la publicité est devenue le support de certains de ses "supports" (...). Plus largement, la publicité, médiatrice universelle de la consommation, étend son champ à tous les horizons et baigne littéralement toute la vie sociale. (...) Ainsi donc, le champ publicitaire  tantôt s'étend sur la société à l'infini, tantôt se réduit jusqu'à se fondre dans les rouages commerciaux des entreprises, tantôt apparait comme médiateur universel de la consommation, tantôt encore comme système autonome. C'est dans toutes ces directions qu'il faudrait prospecter avant de définir trop strictement la publicité. Il faut comprendre celle-ci à la fois en tant que système d'action propre et phénomène carrefour, lieu stratégique pour l'étude clinique du monde contemporain." 

    Son analyse prend en compte de nombreux aspects, socio-psychologique, économique, artistique. Elle fait appel à des études entreprises dès les années 1950, de Charles TAYLOR (né en 1937) sur le plan des gestes du travail industriel, d'Elton MAYO (1880-1940) sur le plan de la vie du travailleur et de Ernest DITCHER (1907-1991) sur le plan de l'incitation publicitaire à la consommation. Ces auteurs étudient donc trois étapes décisives dans l'évolution du capitalisme industriel moderne. Edgar MORIN indique que la publicité "inocule à des produits, dont la fonction est autre, une fonction mythologique de caractère individuels et/ou libidinal."

Il conclue en faisant appel aux multiples réflexions de Karl MARX :

"Marx fut le premier, de façon à la fois géniale et utile, à redécouvrir la magie au coeur de la vie économique (la notion de fétiche) et, du même coup, à découvrir que l'apparente rationalisation de l'économique politique classique était une mythologie. Freud fut le second, à sa manière également géniale, à découvrir l'érotique asservi sous l'économique. De fait, l'intelligence qui nous procure l'étude de la publicité contribue à nous faire concevoir notre société non pas comme guidée par une rationalité économique, mais comme poussée somnanbuliquement par une dialectique des besoins errants et des forces aveugles. La technique, qui semblait matérialiser le monde, qui semblait devoir tout réduire à l'efficacité pratique, le capitalisme qui semblait devoir tout réduire au taux d'intérêt, brouillent et mêlent le réel et l'imaginaire dans l'acte le plus terre à terre qui soit : l'achat. L'homo magicus émerge sous l'homo economicus, son masque moderne.

Dans ce jeu où s'est développé l'univers consommationnaire, avec ses délires, ses délices et ses vices, l'individu est à la fois sujet et objet : la marchandise humanisée, imbibée de ses rêves et de son affectivité, est l'esclave de l'homme-roi, mais lui-même est l'étrange marchandise, produite en série, et devient dépendant d'objets à peine doués de réalité objective. Ici encore, dénonçons la vision unilatérale, aussi bien celle qui élit l'image de l'homme-roi triomphant que celle qui élit l'image de l'homme-marchandise. Dénonçons l'idée qui prétend que la société moderne a quitté le stade de la magie et dénonçons l'idée qui prétend qu'elle y est retombée. Dénonçons l'idée qui prétend que l'homme a enfin son destin en main et l'idée qui prétend que celui-ci a été arraché. A vrai dire, nous sommes entrés dans un nouvel épisode de la marche à demi somnambulique de l'homme, être à demi imaginaire. Il est possible que la libération de nouvelles forces libidinales, que la névrose de l'individu consommationnaire provoquent un cataclysme destructeur? purificateur? salvateur? De toute façon, il nous semble que la publicité, comme la société consommationnaire, met en oeuvre des forces d'intégration et des forces de désintégration. C'est évidemment cette dialectique d'intégration-désintégration qu'il faudra suivre et étudier.

Finalement, les grandes peurs suscitées par la publicité nous semblent à la fois futiles et profondes. Il est utile en effet d'attribuer à la publicité une sorte d'existence démiurgique et une responsabilité quasi-pénale. Il est futile d'imaginer que la publicité puisse conditionner une civilisation alors qu'il est beaucoup plus probable que la publicité soit conditionnée par une civilisation. Toutefois, il est profond de sentir, tapis, cachés sous la publicité, quelques redoutables problèmes de civilisation."

 

Contestation sociale et critique de la publicité

    Un cran plus loin dans l'analyse de la publicité est réalisé par les jeunes sociologues, économistes, philosophes, historiens, psychologues et médecins, du groupe MARCUSE (Mouvement Autonome de Réflexion Critique à l'Usage des Survivants de l'Économie). Il ne s'agit plus pour les auteurs de nombreux Manifestes contre la publicité de dénoncer seulement les excès (violence et sexe) de la publicité, ni même de se limiter à une analyse psycho-sociale des agressions publicitaires. En effet, se livrant à une recherche historique, prenant des éléments de réflexions souvent dans les propos (non rendus publics...) des publicitaires eux-mêmes, dont nombre d'acteurs, anciens publicitaires, écoeurés par les pratiques du milieu de cette communication, font ressortir le caractère souvent insultant, condescendant vis-à-vis des publics (et même des clients!), intégrant leur analyse dans une approche très critique de l'économie actuelle, ils expliquent le fonctionnement intime de la machine publicitaire, ses objectifs, ses motivations, ses résultats, ses conséquences sur la société toute entière. 

"La publicité, écrivent-ils, est une arme de marketing, l'art de vendre n'importe quoi à n'importe qui par n'importe quel moyen. Précisément, c'est le marketing dans sa dimension communicationnelle. Passant notamment par le biais des médias, elle constitue l'archétype de la "com'". La critique de la publicité doit donc se prolonger dans la critique du marketing et de la com' - ces trois fléaux composent ensemble le système publicitaire. Mais ce système a été engendré par le capitalisme industriel, et il finance les médias de masse dont il oriente le contenu. Le problème ne se réduit donc pas à l'abrutissement publicitaire, il inclut aussi la désinformation médiatique et la dévastation industrielle. Il ne faut pas se leurrer : la publicité n'est que la partie émergée de cet iceberg qu'est le système publicitaire et, plus largement, de l'océan glacé dans lequel il évolue : la société marchande et sa croissance dévastatrice. Et si nous critiquons ce système et cette société, c'est parce que le monde se meurt de notre monde de vie. 

La publicité a essentiellement pour effet de propager le consumérisme. Axé sur l'hyper-consommation, ce mode de vie repose sur le productivisme, et implique donc l'exploitation croissante des hommes et des ressources naturelles. Tout ce que nous consommons, c'est autant de ressources en moins et autant de déchets, de nuisances et de travail appauvrissant en plus. Le consumérisme aboutit ainsi à la dévastation du monde, sa transformation en désert matériel et spirituel - en un milieu où il sera de plus en plus difficile de vivre humainement, et même de survivre. Dans ce désert prospère la misère humaine, à la fois physique et psychique, sociale et morale. Les imaginaires tendent à s'atrophier, les relations à se déshumaniser, les solidarités à se décomposer, les compétences personnelles à décliner, l'autonomie à disparaitre, les esprits et les corps à se standardiser. ." Ces auteurs conçoivent donc le système publicitaire comme à la fois un symptôme de la dévastation du monde et un de ses moteurs.

 

Une sociologie de la publicité qui doit intégrer tant de facteurs...

      Même en n'adoptant pas les prémisses de leur étude, les explications qu'ils donnent sur les processus mises en oeuvre - parfois manuels de la profession en main -, les informations sur l'histoire des développements de la publicité depuis les débuts de l'ère industrielle, les données économiques sur les grandes concentrations financières dans le secteur de la publicité, les analyses contextualisées sur les dynamismes psychologiques et sociopsychologiques qui permettent son fonctionnement, les données encore sur les différents gaspillages induit par la publicité (gaspillage des prospectus en papier glacé dont la quasi totalité part directement de la boite aux lettres à la poubelle, débauche d'énergie pour les messages audio-visuels, surproduction des objets eux-mêmes à cause des promesses, souvent non tenues, de ventes probables revendiquées par les publicitaires...), toute cette masse d'informations sans laquelle une sociologie réelle de la publicité n'est guère possible, ne peut au minimum qu'interroger le lecteur. 

 En tout cas, leurs études montrent qu'une sociologie de la publicité ne peut guère partir du point de vue des publicitaires eux-mêmes. Si les responsables des sociétés et leur staff d'ingénierie de communication connaissent bien les ressorts de leur métier - nous ne parlons pas des employés qui pourraient indifféremment passer d'un secteur de la communication à un autre, suivant des plans de carrière souvent peu évolutifs - il semble bien que la désinformation ne se limite pas au public, mais à toutes les autres parties prenantes du système. Si la prise de conscience - même en mettant de côté le manque de courage évident de bien des acteurs - de ce fonctionnement n'entraine pas plus de publicitaires dans l'envie de sortir de ce système, c'est que beaucoup ne considèrent en définitive que leur intérêt personnel, dans le fil droit de l'idéologie consumériste qu'il déploie. Dans les conversations que l'on peut avoir avec des professionnels de la publicité, on se rend bien compte qu'ils sont les premières victimes de cette idéologie. Cela va très loin : en persévérant dans le métier, certains disent garantir l'exercice par les citoyens de la démocratie.  

 Refusée massivement par les citoyens des pays à vieille tradition industrielle (qui utilisent de multiples tactiques d'évitement de la publicité, avec d'ailleurs de plus en plus d'efficacité), la publicité conserve un fort attrait - à la manière de la propagande nazie dans l'Allemagne des années 1930 - dans les pays dit en développement, parmi des populations dont la société de consommation est seulement encore un horizon ou constitue un ensemble de nouvelles habitudes d'actions et de pensées. Le paradis promis par la publicité, devenu cauchemar pour beaucoup, n'est souvent vu que d'un véritable purgatoire par maintes populations. Autant dire que le système publicitaire a encore de beau jour devant lui. Même s'il est reconnu inefficace (ce qui l'entretient encore plus, plus de moyens étant engagés pour maintenir un semblant d'efficacité...) par les professionnels et les "usagers" dans les pays occidentaux, il possède, alors qu'il n'a pas déployé encore tous ses moyens, un attrait certain dans les pays dits émergents, comme la Chine et l'Inde, pour ne nommer que ceux-là.

    C'est dire aussi que la sociologie de la publicité a encore des choses à nous dire sur les sociétés humaines....

 

Groupe Marcuse, De la misère humaine en milieu publicitaire, La Découverte/poche, 2010. Edgard MORIN, Sociologie, Fayard, 1984. Valérie SACRISTE, Sociologie de la communication publicitaire, L'année sociologique, 487-198, www.cairn.info.

 

SOCIUS

 

Corrigé le 16 décembre 2014. Relu le 16 juillet 2021

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7 novembre 2013 4 07 /11 /novembre /2013 16:05

   Cette revue trimestrielle sur les technologies de l'information et de la communication, fondée en 1980, se présente comme une revue de réflexion critique sur les mutations de la société à partir de la question des nouvelles technologies de l'information. Autour d'informaticiens, de sociologues, de syndicalistes et de praticiens, la revue, dirigée par Jacques VÉTOIS, s'attache à une réflexion pluridisciplinaire et transversale sur les enjeux culturels et sociaux de l'information.

Depuis sa création, la revue est préoccupée par plusieurs questions, comme l'indique l'article Forum, du 2 décembre 2005, faisant le tour de 25 ans d'informatisation (n° d'Hiver 2005-2006) :

- L'informatique est passée d'un modèle centralisé à l'informatique en réseau (big brother à little sister) ;

- Nombre de rapports ou de grands projets sont issus de désirs de remodelage de la société par la technique. Entre technique vecteur de changement et peur de la technique, la notion de progrès technique a-t-elle changé?

- Comment comprendre l'informatisation du travail alors que d'une emprise physique du travail, il semble que l'on soit passé à une emprise sur la subjectivité du travailleur, sur l'intellect, sur le mental?

- Enfin, où sont les informatiques alternatives? Qu'a t-on fait des alternatives il y a vingt ans et que sont-elles maintenant?

      Les participants de ce Forum revienne sur le contexte politique de la création de c3I et de Terminal (Emmanuel VIDECOQ). "On était à la fin du septennat de Giscard d'Estaing et le pouvoir avait impulsé un débat sur l'informatisation de la société. Ce fut le rapport Nora-Minc avec un grand colloque au Palais des Congrès. Parallèlement, certaines critiques de l'informatisation s'étaient développés dans des milieux comme à la CFDT par exemple, avec la publication du livre Les Dégâts du Progrès (Le Seuil, 1977), ainsi que divers travaux de sociologues, dont Philippe Lemoine.

Le CIII s'est constitué suite au colloque L'informatisation contre la société, qui était une forme de réponse politique au rapport Nora-Minc et au colloque sur L'informatisation de la société. Ce fut une rencontre (...) organisée par un collectif de revues féministes, gauchistes et de diverses émanations marxistes. A la suite de ce colloque, la décision a été prise de créer un centre d'Information et d'Initiative sur l'Informatisation (...). Le premier numéro de Terminal (...) est une espèce de bulletin ronéoté qui faisait écho aux débats (...). Ensuite, le sommaire des numéros 2 et 3 qui avaient comme thématique le contrôle social et la carte d'identité informatisée était à mettre en relation avec les "autonomes" qui écrivaient dans un mensuel qui s'appelait Gueule qui faisait suite à La Gueule Ouverte.(...)." Si les luttes économiques tiennent une grande place, Jacques VÉTOIS rappelle que "nous étions obnubilé par le problème de l'État" et actuellement, la revue, alors que les problèmes d'informatique et liberté reprennent le devant de la scène, poursuit son activité critique.

 

     D'abord bimensuelle à ses origines, elle est trimestrielle à partir de 1993 et est alors dorénavant co-éditée par les Éditions L'Harmattan et actuellement par l'Association CREIS-Terminal créée en 2010, par fusion des associations Creis (créée en 1984) et CIII-Terminal (créée en 1979).

Cette association a pour objectifs principaux de :

- réaliser et diffuser des recherches concernant les multiples interactions entre les Technologies de l'information et de la Communication (TIC) et la Société ;

- confronter les expériences pédagogiques et faciliter les échanges autour du thème "Informatique et Société" ;

- organiser des actions de sensibilisation aux conséquences sociales, économiques, politiques, juridiques, culturelles de l'informatisation de la société, auprès des publics variés (colloques, journées d'étude, rencontres-débats) ;

- agir auprès des organismes publics ou privés ;

- faire savoir à travers ses publications, et notamment son bulletin trimestriel, ses journées d'études, ses colloques, son site Internet (www.lecreis.org) et sa revue Terminal.

Enseignants à l'Université, dans les IUT ou les lycées, les membres de CREIS-Terminal ont pour objectif de former les futurs informaticiens, les usagers de l'informatique et les formateurs eux-mêmes, aux enjeux liés à l'informatisation de la société. L'association travaille avec de nombreuses associations, au niveau national et international.

 

    Depuis le numéro 87 (printemps/été 2002), chaque numéro de la revue comporte un dossier thématique. Les dossiers sont ouverts à la collaboration avec des associations, des laboratoires universitaires et des chercheurs indépendants. La revue a déjà abordé de nombreux thèmes comme La communication entre libéralisme et démocratie (novembre 2001), les biotechnologies (mars 2004), la fracture numérique (avril 2006) et l'administration électronique (juillet 2007). Son numéro de Juin 2013 aborde le transmedia storytelling (n°112, hiver 2013).

 

   Chaque numéro de la revue, en outre, aborde de manière permanente, dans la rubrique Réseaux, le problème de la gestion politique de l'extension et de la mondialisation des flux d'informations véhiculées par ceux-ci et de leur intégration à la sphère des rapports marchands et dans la rubrique Technologie-travail, les grands débats sur la place de informatique dans l'entreprise... Des rubriques Multimédias, Technosciences, Identités Pouvoirs sont également régulièrement alimentées. La revue émet également des avis sur quelques événements-clés dans l'informatisation de la société, le dernier en date portant sur le déploiement de technologies de surveillance à l'occasion de la crise sanitaire (25 avril 2020).

Les numéros portent, entre autres, sur le Communs numériques, nouvelle forme d'action collective? (n°130, 2021), La société numérique (n°128, 2020), Panorama des innovations sociales numériques (n°123, 2018), Us et abus de l'Internet (n°120, 2017),  Pratique des outils numériques et relations sociales (n°116, 2015), Technologies et usages de l'anonymat sur Internet (n° 106-107, 2010)....

 

     Son Comité de rédaction, où l'on retrouve, entre autres,  les noms de Dominique DESBOIS, Mélanie Dulong de ROSNAY, Nicolas JULLIEN, Daniel NAULLEAU et Jean-Benoit ZIMMERMANN, est épaulé par un Comité scientifique, pour avoir un regard extérieur et un retour sur l'évolution de celle-ci comme pour permettre  de mieux appréhender la réalité sociale des nouvelles technologies à travers le prisme de la réflexion scientifique ou de la pratique sociale. 

   La revue Terminal, tout en gardant son inspiration militante des années 1970, s'est enrichie scientifiquement, au rythme même des innovations technologiques. Transdisciplinaire et critique, elle entend lier la recherche universitaire, la stratégie des acteurs économiques et la prise en compte de points de vue associatifs et syndicaux.

 

Terminal, 24 rue de la Chine, 75020 PARIS. Site www.revue-terminal.org

 

Complété le 9 novembre 2013 (en fait la première diffusion était incomplète, par rapport à ce qui avait été préparé!). Relu et complété le 4 août 2021.

 

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28 octobre 2013 1 28 /10 /octobre /2013 10:05

     Chercheur en sciences de la communication, spécialiste des médias, de l'espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société, l'intellectuel français, fondateur et directeur de la revue Hermès, chercher à valoriser une conception de la communication qui privilégie l'homme et la démocratie plutôt que la technique et l'économie. Il entend participer au renouvellement des sciences de l'information, trop centrées encore sur les techniques. Ses recherches vont en fait dans beaucoup de direction, même s'il privilégie dernièrement les problématiques de la communication.

 

     En effet, de la sexualité (Le nouvel ordre sexuel, Le Seuil, 1974), du sens du progrès (Les dégâts du progrès, en collaboration avec la CFDT, Le Seuil, 1977), de l'évolution du monde (L'autre mondialisation, Flammarion, 2003), à l'évolution des langues (Demain la francophonie, Flammarion, 2006), il caractérise ses réflexions, non dans une discipline précise, mais comme une Indiscipline (Indiscipliné, 35 ans de recherches, Odile Jacob, 2012) face à certains évolutions sociales. Il a exploré dix grands thèmes : l'individu et le couple, le travail, les médias, l'espace public et la communication politique, l'information et le journalisme, Internet, l'Europe, la diversité culturelle et la mondialisation, les rapports sciences-techniques-sociétés, la connaissance et la communication.

La majeure partie de son oeuvre concerne tout de même les médias : Les réseaux pensants. Télécommunications et société (avec Alain GIRAUD et Jean-Louis MISSIKA) (Masson, 1978), L'information demain. De la presse écrite aux nouveaux médias (avec Jean-Louis LEPIGEON) (La Documentation française, 1979), Terrorisme à la une. Média, terrorisme et démocratie (avec Michel WIEVORKA) (Gallimard, 1987), War game. L'information à la guerre (Flammarion, 1991), Penser la communication (Flammarion, 1997), Internet, et après? Une théorie critique des nouveaux médias (Flammarion, 1999), La télévision au pouvoir. Omniprésente, irritante, irremplaçable (Universalis, 2004), Il faut sauver la communication (Flammarion, 2005), McLuhan ne répond plus. Communiquer c'est cohabiter (Entretien avec Stéphane PAOLI et Jean VIARD) (Editions de l'Aube, 2009), Informer n'est pas communiquer (CNRS Editions, 2009)...

 

   Dans un numéro de la revue Hermès (n°38, 2004), il énonce les dix chantiers de la communication qui devrait permettre de valoriser le rôle de la connaissance :

- Ne jamais rester au niveau des pratiques et des discours mais essayer d'avoir une approche théorique pour hiérarchiser, mettre en perspective. Bien distinguer par exemple les deux philosophies de la communication : celle qui insiste sur la technique et le "progrès" économique et celle à perspective anthropologique. Distinguer une approche humaniste et technique de la communication, c'est retrouver l'opposition qu'il effectue entre deux philosophies de la communication dans Penser la communication : la philosophie normative et la philosophie fonctionnelle de la communication.

- Associer les thèmes liés aux techniques et usages aux questions plus théoriques des rapports entre connaissance et représentation, information et opinion, stéréotypes et idéologies.

- Valoriser la problématique du récepteur.

- L'individualisation et l'interactivité devraient permettre l'émergence d'une société plus personnalisée : on retrouve au contraire, les problèmes collectifs. le surgissement de la culture au sens large comme enjeu des conflits depuis une génération illustre les limites du processus de modernisation et de rationalisation qui devait se produire avec l'émergence du "village global", thème développé entre autres dans McLuhan ne répond plus.

- Réfléchir au statut de l'Autre rendu plus visible par la généralisation des échanges, ce qui entre dans son combat, mené par exemple avec Jean-Marue LUSTIGER pour le dialogue entre les cultures et pour le pluralisme culturel.

- Puisque dans la communication l'essentiel n'est pas du côté des techniques et de l'économie, mais du côté des modèles culturels, il est essentiel d'introduire une perspective historique et comparative, notamment au niveau mondial.

- Au niveau des principes, la distinction entre les dimensions normatives et fonctionnelles de la communication, perspectives humaniste et technique sont d'autant plus nécessaire à maintenir que dans la réalité, tout est beaucoup plus mêlé.

- Aujourd'hui, culture et communication sont inséparables.

- pour affronter toutes les ambivalences de la communication, dualités, séductions, le rôle des connaissances gratuites, de la recherche et de la formation est indispensable.

 

   Il vaut mieux ignorer, pour aborder les divers aspects de l'oeuvre de cet auteur, les différentes joutes contre d'autres auteurs qui, comme lui, s'efforcent de penser la communication (contre Pierre BOURDIEU par exemple), et qui font partie de la lutte... communicationnelle entre les acteurs médiatiques, qu'elles que soient leur profession, qui interviennent régulièrement dans les... médias, pour discuter de la communication. 

  Nous retiendrons particulièrement par exemple, ses différents appels à éviter de croire dans les fausses promesses des nouveaux médias et qui invitent à "sortir de la communication médiatisée" Dans Le Monde diplomatique de Juin 1999, nous pouvons lire notamment : "La communication, longtemps facteur d'ouverture et de rapprochement entre les idées et les peuples, peut aujourd'hui devenir une cause d'antagonisme,voire de haine car, dans un monde où tout circule, elle met encore plus en évidence les différences. Et supporter autrui est beaucoup plus difficile quand il est proche et visible que lorsqu'il est lointain et peu visible. Pour préserver la communication comme valeur d'émancipation, il faut donc réfléchir aux bonnes distances à conserver. Ce qui obligera l'Occident à respecter davantage d'autres identités et d'autres hiérarchies de valeurs, sous peine d'être rejeté en même temps que ses systèmes d'information, identifiés à un impérialisme culturel. Il faut donc protéger la communication et ne pas s'abandonner au stéréotype actuel : "C'est vrai parce que c'est sur le Net". Comme si le système technique rendait, par nature, vraies les informations qui y circulent (l'auteur fait référence alors à Ignacio RAMONET, pour son livre La Tyrannie de la communication, Galilée, 1999). Comme si les fournisseurs, autant que les utilisateur, devenaient d'un seul coup honnêtes, soucieux de la vérité, du bien d'autrui, ennemis du mensonge et des ragots de toute sorte. On nage ici en pleine idéologie technique : le support créerait la vertu. Il suffit pourtant de regarder l'Internet rose, le rôle du réseau dans la spéculation financière internationale ou dans la criminalité pour se persuader du contraire. L'enjeu est moins la liberté individuelle, certes toujours fragile mais admise au panthéon des valeurs démocratiques, que la préservation des conditions de l'identité collective, rôle éminent de l'État-nation. Or on dénigre volontiers cet État-nation, pour célébrer l'"ouverture", sans se soucier du délitement des liens sociaux qu'elle provoque. Car la globalisation encourage la fragmentation en autant de communautés que de repères identitaires et de marchés potentiels. Demain, le problème principale ne sera plus l'expression, mais bien la capacité à sortir de la communication médiatisée pour éprouver une communication directe, humaine, sociale."

 

Dominique WOLTON, Les fausses promesses de "société Internet", Sortir de la communication médiatisée, dans Le Monde diplomatique, Juin 1999 ; Les dix chantiers de la communication, dans La communication, Les Essentiels d'Hermès, CNRS Éditions, 2011.

 

Relu le 28 juin 2021

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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 09:30

    La communication, dans ses nombreuses composantes, expressive, déclarative, cognitive, informative, argumentative, participe au développement du conflit comme elle est un moyen de délimiter ou d'étendre celui-ci, de le décrire et de le révéler, de l'aggraver ou de le résoudre.

    Pour qu'un conflit existe, dans un autre ordre d'idées,  il faut un minimum de coopération entre acteurs, ne serait-ce que pour que les parties identifient le conflit (selon une vue subjective ou objectivée...), se combattent ou procèdent à sa résolution. La communication constitue une sorte de noeud entre le conflit et la coopération. Si les modalités d'expression d'un conflit diffèrent d'une culture à une autre, d'un contexte à un autre, le conflit existe en tant que tel, à partir du moment où il y a relation, (conflit de situation ou conflit de personnes), et la communication est le moyen pour les protagonistes de conférer à leurs relations une certaine stabilité, dans le partage de la connaissance du conflit, même s'il s'agit pour eux de se détruire.

     A l'inverse, il ne peut y avoir conflit entre acteurs qui s'ignorent, refusent de communiquer, s'excluent les uns les autres, jusqu'à s'éloigner définitivement... ce qui d'une certaine manière éteint leur conflit. Pas de communication, pas de relation, pas de conflit. Bémol à cela, il se peut très bien qu'il existe des conflits (ne serait-ce que dans l'appropriation de ressources, soit directement, soit indirectement, même dans des distances ou des décalages de temps considérables), sans que les acteurs en aient la moindre conscience...

    L'incommunication (qui n'est pas a-communication) entre acteurs, notion récente, n'exclue pas qu'ils communiquent en réalité, même s'il s'agit d'une communication faussée qui mène à l'impasse  (volontairement ou involontairement, par insuffisante de référents culturels communs par exemple).

    C'est valable autant pour les personnes (exil forcé, expulsion du territoire, éloignement) que pour les groupes (séparation après scission, avec implantation dans des territoires non reliés...  A travers les époques, la communication constitue le moyen pour les acteurs d'évoluer, et l'usage de la parole et de l'écrit participe de l'évolution des civilisations. La nouveauté actuelle réside dans le sur-développement d'outils de communication, véritables médiateurs entre acteurs, qui tendent à se substituer à la communication directe, selon des modalités qui orientent dans des directions bien précises, et tout à fait différentes, la circulation des informations.

 

Plusieurs aspects existant indépendamment ou liés

      On peut donc distinguer plusieurs aspects sur cette liaison entre communication et conflit :

- la communication minimum est nécessaire à l'existence du conflit ;

- la communication peut atténuer ou aggraver le conflit ;

- la communication permet l'expression et la résolution du conflit.

  Tout réside dans ce qui est communiqué et dans une sorte de "jeu" de la vérité et du mensonge (ou du non-dit), où les stratégies des acteurs orientent à la fois les contenus et les modalités. 

 

L'ambivalence de la communication

   Eric DACHEUX indique bien cette profonde ambivalence de la communication : "En effet, on peut soutenir avec raison qu'elle est partout (dans nos foyers, sur nos lieux de travail, dans nos association, etc.), qu'elle touche tout le monde (bébés, vieillards, riches, pauvres, occidentaux, orientaux, etc.), qu'elle est un fait social total (elle concerne ausi bien, la culture que la politique ou l'économie.). Mais, à l'inverse, on peut tout aussi bien arguer que la communication n'est nulle part : les familles se disloquent, les entreprises deviennent des marchés internes, deux milliards d'individus n'ont pas accès à l'électricité et se trouvent exclus des réseaux mondiaux de la communication, tandis que les autres échanges de pseudo ) pseudo à des kilomètres de distance mais méconnaissent leurs voisins, etc." Sur les enjeux de la communication, il ajoute : "Alors, société de communication ou sociétés d'incommunication? Difficile de trancher, en tout cas, si l'on veut restituer à la communication toutes ses caractéristiques contradictoires. Par contre, ce dont nous sommes certains, c'est qu'il n'y a pas de sociétés, moderne ou traditionnelle, sans communication. La communication a toujours existé, simplement elle n'a pas toujours été interrogée. Si elle est tant présente aujourd'hui, c'est principalement pour deux raisons. La première est une visibilité sans précédent. Les médias jouent un rôle central dans la vie politique ; les nouvelles technologies de communication, via les sciences et les loisirs, marquent profondément nos cultures ; les industries de la communication (informatique, télécommunications, divertissement culturel, publicité) et la communication marketing sont des enjeux centraux de la vie économique à l'heure de la globalisation et de la montée d'une capitalisme immatériel (GORZ, 2003). La seconde est une difficulté croissante à communiquer avec l'Autre. Dans une société où l'épanouissement personnel est une valeur centrale et où les réseaux planétaire de communications nous confrontent à l'Autre sans que nous partagions ses codes culturels, sa rencontre devient paradoxalement plus difficile, voire dangereuse.

C'est pourquoi, en dehors de la compétition économique, le premier enjeu de la communication, autour duquel est organisé cet Essentiel, est celui de la construction ou de la destruction du lien social, c'est-à-dire, in fine, de la guerre et de la paix. En effet, la plupart des outils de communication, qu'ils soient anciens ou modernes, du télégraphe optique à Internet en passant par le satellite, censés rapprocher les peuples ont, en réalité, été conçus à des fins militaires. .

Plus généralement, si on replace la question des outils dans une vision plus anthropologique, on s'aperçoit que la communication peut tout à la fois participer à une certaine pacification des moeurs (résoudre le conflit pas la négociation plutôt que par la force), mais aussi jouer un rôle actif dans le développement des conflits (manipulation en Irak, appel à la Haine au Rwanda, etc.)"

 

Plusieurs formes de communication

    Philippe BRETON et Serge PROULX distinguent plusieurs formes de communication, selon leurs modalités de fonctionnement et selon leurs contenus. Différents moyens de communication sont utilisés, comme le geste, la parole, l'image, l'écriture, la musique, et ces moyens se déploient à leur tour grâce à de multiples supports de communication comme le livre, le téléphone ou le courrier électronique. "Supports et moyens de communication permettent à la parole humaine d'être transportée vers l'autre, vers l'auditoire, vers des auditoires. Dans ce sens, la communication est bien, comme le disait Robert Escarpit (Hachette-Université, 1976) dans sa théorie générale de l'information et de la communication, "un cas particulier de transport). 

Mais, avant même d'être transportée, la parole est mise en forme, dans des genres distincts, adaptés aux circonstances et à ce que l'on a à dire." Les genre argumentatif, expressif, informatif constituent des genres bien distincts de la communication, genres qui ne s'autonomisent que tardivement dans l'histoire, jusqu'à se spécialiser entièrement, jusqu'à faire l'objet chacun d'arts et de sciences. La rhétorique antique par exemple s'éloigne de sa fonction argumentative, du fait des événements politiques et de l'institution de l'Empire romain notamment, et se dégage progressivement un genre expressif, qui se spécialise ensuite dans le théâtre, le roman et la littérature. "L'approche historique permet de se rendre compte que l'être humain n'a pas toujours communiqué de la même façon et qu'il y a, sinon des progrès, du moins des évolutions importantes de ce point de vue. Savoir informer avec précision, en se dégageant de tout subjectivité ou de tout désir de défendre un point de vue, s'est imposé progressivement comme une possibilité de communication qui était probablement étrangère aux êtres humains d'une autre période historique. Parler de soi aux autres, ce que nous faisons couramment, en parlant de soi comme d'un être unique, est une pratique de communication d'apparition historique elle aussi récente. Argumenter pour convaincre, se mettre ensemble pour prendre une décision collective dont les attendus seront entièrement contenus dans les points de vue individuels qui s'affrontent pacifiquement dans le débat, apparait comme une incroyable nouveauté aux yeux de ceux qui la pratiquent pour la première fois, comme les habitants d'Athènes par exemple, au Ce siècle avant JC". Prendre la parole, parler à un public constitue un pouvoir, jusque là réserver à des autorité politiques et religieuses, lesquelles transmises héréditairement la plupart du temps....

"L'une des ruptures anthropologiques qui va transformer en profondeur nos pratiques de communication ne dépend pas directement de la communication elle-même. Si nous communiquons comme nous le faisons aujourd'hui, c'est parce que s'est imposée progressivement l'idée que le centre de la société, sa valeur essentielle, son axe principal, était l'individu." Cette évolution concerne surtout les sociétés occidentales et de nombreux problèmes culturels découlent de degrés très différents d'individualisation dans les sociétés, lors de "rencontres" entre sociétés occidentales et les autres. Nombre de difficultés de communication proviennent en profondeur de conceptions très différentes de l'individu d'une civilisation à l'autre. Non que l'évidence biologique diffère d'une société à l'autre, mais le lien social ne se fait pas toujours d'individu à individu, mais de groupe à groupe, ce groupe pouvant aller de la famille (tout de même vaste) à la communauté (encore plus importante).

"Les sociétés modernes (les auteurs parlent des sociétés occidentales ou occidentalisées) sont des sociétés individualistes, au sens fort du terme des "sociétés globales composées de gens qui se considèrent comme des individus", comme le dit Louis Dumont (Essai sur 'individualisme, une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne, Seuil, 1991).  (...) La communication, sous les formes modernes que nous lui connaissons, est l'activité de cet individu-là, sujet autonome. L'activité de communication finit par devenir l'essentiel du lien volontaire qui unit les hommes entre eux, dans une société de moins en moins "holiste" (Louis Dumont). Cette évolution s'accompagne d'une intention de communiquer et surtout de communiquer de telle ou telle façon. Nous passons en effet, les uns avec les autres, des contrats de communication implicites. Lorsque nous parlons aux autres et que la communication "fonctionne" bien, nous leur indiquons en permanence le genre de communication que nous empruntons : cela est une description informative, ce que je vais dire est un point de vue, cela c'est ma façon personnelle de voir les choses."

Le docteur d'état en science de l'information et de la communication, professeur à l'université de Strasbourg au Centre universitaire d'enseignement du journalisme et le docteur en sociologie, professeur à l'École des médias de l'université du Québec à Montréal, directeur du Groupe de recherche et observation des usages et cultures médiatiques (GRM) expliquent ensuite que "les problèmes commencent le plus souvent lorsqu'il y a rupture volontaire ou non de ce contrat implicite. "Lorsque par exemple on fait une description présentée comme objective et neutre, alors qu'elle cache des éléments essentiels. Systématisée et volontaire, cette pratique s'appelle de la désinformation. ou encore lorsque prétendant présenter des arguments pour convaincre, on n'utilise que les ressorts d'une séduction qui s'adresse aux sentiments et se situe ainsi, comme le disait Aristote, "en dehors de la cause". Dans ce cas, il s'agit de manipulation. ou encore lorsque, utilisant tous les ressorts de la communication expressive, alternant séduction perverse et harcèlement moral, on tente de détruire l'autre dans son identité.

 

La confusion des genres

      La spécialisation des genres de communication a fait naitre un nouveau problème dans le champ de nos pratiques de communication, que ne connaissaient sans doute pas les anciens, la confusion des genres. L'individualisme implique la liberté, et la liberté la responsabilité. L'éthique en communication, n'est pas une donnée abstraite, un supplément moral. Elle est au coeur même des pratiques de communication. Elle est une question que tout publicitaire, tout journaliste, tout "dircom" se pose à chaque instant (ou plutôt, comme nous le pensons, devrait se poser...)."

 

        Chaque genre de communication connait ses dérives propres, souvent liées à  la confusion des genres, cette confusion étant souvent, dans la communication commerciale, la communication économique et la communication politique utilisée stratégiquement. A partir du moment où, très souvent à notre époque, la communication entre dans le cadre d'une stratégie politique ou économique, l'objectif n'est pas l'expression des idées, la présentation des informations, mais l'argumentation, avec l'utilisation des fonctions expressive informative, elle n'est plus cet échange qui, dans la distinction des genres, fait avancer la situation de tous les acteurs, fait progresser leurs points de vue vers des relations de coopération. Elle perd à la fois la vertu informative et la vertu expressive. Cette perte ne peut qu'entrainer, dans une dialectique sans fin du mensonge, une aggravation des conflits, même si, dans un temps court, certains acteurs peuvent y trouver leur compte. A moyen et long terme, la communication avec l'objectif de vendre ou de contraindre à accepter des injustices, finit par devenir l'objet de toutes les suspicions, entrainant dans le sillage de ses développements, notamment de masse, la création de nouveaux conflits.

 

Eric DACHEUX, la profonde ambivalence de la communication, dans Les Éssentisl d'Hermès, La communication, CNRS Éditions, 2011. Philippe BRETON et Serge PROULX, L'explosion de la communication, Introduction aux théories et aux pratiques de la communication, La Découverte, Collection Grands Repères, 2012.

 

SOCIUS

 

Relu le 1 juillet 2021

 

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19 octobre 2013 6 19 /10 /octobre /2013 12:57

     Pléthore de communication sur la communication, pourrait-on dire, devant la multiplication de revues sur la communication. D'orientations diverses, appartenant parfois à des écoles de pensée sur la communication, parfois d'une orientation très précise, nous présentons ici quelques revues que nous avons eu l'occasion de consulter pour ce blog, ceci dans le plus grand désordre.

 

Communication

  Communication, revue exclusivement électronique depuis 2011, publiée depuis 1975 par le Département d'information et de communication de l'Université Laval au Quebec (www.com.ulaval.ca), "se veut un carrefour de diffusion des études multidisciplinaires menées dans les sciences de l'information et de la communication et autres sciences humaines sur les rapports décloisonnés entre production, représentation et appropriation dans les médias." 

Dans un numéro en ligne (Volume 31/2/2013), les auteurs des articles de cette revue exposent leur vision des relations entre Climat et Communication, sous la direction de Bernard LAMIZET. Avec son Comité éditorial où l'on retrouve Roger de la GARDE (directeur), Marianne KUGLER, Gilles GAUTHIEER, Henri ASSOGBA et Guillaume LATZKO-TOTH, la revue a auparavant abordé La pensée critique, Communication, média et santé, Centenaire de (la revue) Le Devoir, Mises en scène du discours médiatique, L'information people, Relations publiques... avec d'autres numéros aux contenus plus variés et non centré sur un thème.

 

Communications

   Communications, revue thématique semestrielle, créée en 1961 par Georges FRIEDMANN, Roland BARTHES et Edgar MORIN, est devenu rapidement une revue de référence sur l'étude des communications de masse et les analyses sémiologiques en France, avec un rayonnement international. Depuis les années 1980, elle a élargi ses thèmes aux questions anthropo-sociales. Elle publie des articles inédits de scientifiques renommés comme de jeunes chercheurs (comme d'ailleurs beaucoup d'autres revues, et pas seulement dans le domaine de la communication...), en ouvrant des pistes de recherche nouvelles et en privilégiant une transdisciplinarité qui se veut exigeante. Ses six derniers numéros sont disponibles sur le portail www.cairn.info. Elle se targue à raison de plus de 1400 contributions, directement accessibles. Les signatures de Theodor ADORNO, Roland BARTHES, Umberto ECO, Moses FINLEY, Philippe ARIÈS, Tvestan TODOROV, Félix GUATTARI, Serge MOSCOVICI, Mary DOUGLAS, Clifford GEERTZ et Jacques Le GOFF, entre autres, reviennent souvent.

Communications est publiée par le Centre Edgar Morin, équipe de recherche de l'Institut Interdisciplinaire d'Anthropologie du Contemporain (IIAC, 22 rue d'Athènes, 75009 PARIS) et de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), sous la direction de Nicole LAPIERRE et de Edgar MORIN.

Tous les numéros de la revue Communications publiés de 1961 à 2010 (1 à 86) sont disponibles sur le portail Persée.fr. Le numéro 91 (2012), intitulé Passage en revue. Nouveaux regards sur 50 d'articles fait l'historique de la revue. Notons parmi les numéros publiés ceux qui portent sur Langages des sens (86-2010), Des faits et des gestes (79-2006), le spectacle du sport (67-1998), Rumeurs et légendes contemporaines (52-1990)...

 

Études de communication

    Études de communication, revue scientifique internationale francophone en sciences de l'information et de la communication, diffusée en versions papier et électronique, accueille des travaux sur différents domaines : l'analyse des médias, la médiation culturelle, la médiation et la médiatisation des savoirs, les industries culturelles, les industries de la formation et de l'information, la communication audiovisuelle, la communication organisationnelle, les processus d'innovation, l'information scientifique et technique, l'organisation des connaissances, l'analyse des dispositifs techniques dans l'accès à l'information, les métamorphoses du document, l'analyse des usages et des pratiques informationnelles. Un des derniers numéros en ligne (n°39/2012) porte sur l'Organisation des connaissances : épistémologie, approches théoriques et méthodologiques, sous la direction de Michèle HUDON et Widad Mustafa El HADI.

Sous la direction de Bernard JACQUEMIN (GERiiCO, Université de Lille 3), le comité de rédaction où l'on retrouve les noms de Patrice de la BROISE, Thomas HELLER ou de Florence RIO (tous d'ailleurs de la même Université), est devenue biannuelle à partir de 2009 et ses numéros sont accessibles sur la plateforme Cain depuis janvier 2010. 

 

Hermès

    Hermès est l'un des premières revues spécialisées en science de l'information et de la communication, avec une périodicité de 3 numéros par an. Tous ses numéros, depuis sa fondation en 1988, sont thématiques. Sa direction est assurée par Dominique WOLTON avec un conseil de rédaction de plus de 50 personnes (dont le tiers étranger) et une rédaction de 20 personnes. Publiée par CNRS Éditions, ses fondateurs considèrent que "la communication est une valeur, une aspiration, mais elle est aussi une industrie, un marché florissant, voire une idéologie. Autrement dit, un phénomène complexe et polysémique qui requiert un travail d'analyse critique et de compréhension." Dans une perspective interdisciplinaire, elle se veut à destination d'un large public, intéressé à l'émergence des problèmes théoriques liés à la communication. La revue aborde des domaines aussi différents que l'espace public, la communication politique, la fracture numérique, les sciences cognitives, le cinéma et la télévision, l'information scientifique, la cohabitation multiculturelle, la traduction ou encore les rituels. La revue a pour ambition de "développer une communauté scientifique" projet commencé par la formation de l'ISCC (institut des Sciences de la Communication du CNRS) en 2007. 

Lue surtout par le milieu académique, la revue vise aussi le public étudiant le plus large, tout en continuant à aborder des thèmes exigeant comme Murs et frontières (n°63-septembre 2012), Les jeux video (n°62, avril 2012) ou Les musées au prisme de la communication (n°61, novembre 2011) ou encore Les guerres de mémoire dans le monde (n°52) et par une nouvelle collection, Les essentiels d'Hermès, plus accessible. 

Dans cette dernière collection, nous pouvons lire dans le numéro consacré à La communication (2011), sous la plume de Eric DACHEUX, ce que sont les apports de la revue à la compréhension de la communication :

- Un travail de légitimation de la communication comme objet de recherche et enjeu social majeur, faisant référence aux travaux de chercheurs iconoclastes comme MORIN, ESCARPIT ou SCHAFFER. 

- L'élargissement de la communauté de chercheurs s'intéressant à la communication, en invitant de nombreux auteurs n'appartenant pas aux sciences de l'information et de la communication, comme TOURAINE, BOUDON, ABÈLES...

- La création d'un carrefour théorique, contrairement à l'époque de la fin des années 1980 encore assez largement marquée par une approche critique d'inspiration marxiste. La revue entend s'ouvrir à d'autres approches, empirique, fonctionnaliste, etc. Il ne s'agit pas de privilégier une théorie sur l'autre mais d'organiser leur confrontation au sein de la revue.

- Une ouverture sur la recherche internationale, du fait même de la composition du comité de rédaction, contribuant à la traduction d'oeuvres non encore disponibles en français (de HALL, HABERMAS, BARBELO...).

- La critique inlassable du déterminisme technologique : penser les techniques de communication en dehors des travers euphoristes ou catastrophiques.

 

MEI, Médiation et information

   MEI, Médiation et Information, est l'une des revues, relativement jeune puisque créée en 1993, de référence spécialisée en Sciences de l'information et de la communication. Avec des numéros thématiques (Objets et communication, Communication, organisation, symboles, Habiter communiquer) à raison de deux numéros par an, elle se présente comme une publication internationale destinée à promouvoir et diffuser la recherche en médiation, communication et sciences de l'information. Onze universités françaises, belges, suisses ou canadiennes sont représentées dans le Comité de rédaction et le Comité scientifique. Autour d'un thème ou d'une problématique, chaque numéro de la revue est composée de trois parties, un entretien avec les acteurs du domaine abordé, une dizaine d'articles de recherche et une synthèse des travaux de jeunes chercheurs. Dirigée (et fondée) par Bernard DARRAS, avec comme rédacteur en chef Marie THONON, la revue, diffusée par les Éditions L'Harmattan, est animée entre autres par Dominique CHATEAU, Pascal FROISSARD et Jean MOTTET.

 

Complété le 24 octobre 2013. Relu le 2 juillet 2021

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 12:40

          Jean-Pierre DURAND et Victor SCARDIGLI présente l'évolution des approches sociologiques de la communication suivant trois orientations : information, communication et médias, dans lesquelles, pour asseoir les fondements de la sociologie de l'information et des mass media, de nombreux auteurs ont recours à la théorie de l'information, elle-même issue de la physique du XIXe siècle et développée par Claude Elwood SHANNON (1916-2001). Dans cette théorie, rappellent-ils, la communication peut se résumer à un schéma E-R, Emetteur (sujet) Récepteur. Si on travaille généralement sur un schéma un peu plus complexe, la circulation d'information s'effectuant dans les deux sens et un support technique se mettant en place dans la communication à distance, l'accent est souvent mis sur les problématiques du point de vue des récepteurs. Plus la chaîne de communication devient complexe, plus nombreux sont les "bruits" qui risquent de brouiller les messages : depuis les simples parasites électromagnétiques dans la communication téléphonique jusqu'aux erreurs humaines dues à des "codes" différents ou interprétés différemment au départ et à l'arrivée.

 

Une sociologie centrée sur les mass media

     La théorie de l'information prépare l'avènement de la sociologie des technologies dites nouvelles, puisque "les technologies de l'information et de la communication consistent précisément à transformer tout le réel en informations codées selon une convention universelle, pour pouvoir ensuite faire subir à ces données des opérations de tous ordres ; opérations logico-mathématiques (traitements des données...) aussi bien qu'opérations de déplacement dans le temps et dans l'espace (télécommunications, stockage de données...). Empruntée à la thermodynamique, cette théorie de l'information fournissait le moyen de mesurer le flux informationnel, ce qui a séduit et continue de séduire de nombreux sociologues, soucieux de pouvoir enfin quantifier ce qui se passe dans le champ des mass media, comme dans la communication interpersonnelle, et ce qui commence à se produire autour ds nouveaux outils et services audiovisuels."

Cette sociologie, centrée sur les mass médias et directement reliée au marché des biens de grande consommation, se fait connaitre par les thèses de Vance PACKARD (1914-1996) (La persuasion clandestine, Calmann-Lévy, 1958) pour la sociologie de la communication commerciale et celles de Paul LAZARSFELD (1901-1976) (The People's choice,New York, Columbia University Press, 1944) pour la sociologie de la communication politique. 

Les sociologues qui se situent dans cette lignée, après avoir affirmé (notamment pour la télévision) que les médias disent ce que le consommateur ou le citoyen doivent penser, insistent surtout aujourd'hui sur un "effet agenda". Où ils suggèrent plutôt ce à quoi ils doivent penser, dans un sorte de multiples focalisations d'attention qui sont souvent autant de détournements d'attention. Dominique PASQUIER, par exemple, analyse ces recherches faites dans ce sens dans son étude sur Vingt de recherches sur la télévision (Sociologie du travail, 1994). Si les Américains (entendre les États-Uniens comme souvent...) ont beaucoup étudié la culture de masse induite par les mass media, la sociologie française se montre plus critique à l'égard de ce concept (comme Edgar MORIN dans L'esprit du temps, en deux volumes publié en 1978 aux Éditions Grasset). Cette dernière s'attache à dégager les significations implicites des images et symboles (analyse sémiologique de Roland BARTHES), suivant en cela les approches de Marcel MAUSS (Sociologie et Anthropologie, PUF, 1950). 

 

Une sociologie plus globale

    Georges FRIEDMANN (1902-1977), à l'origine auparavant des recherches françaises sur les communications de masse avait une idée plus globale, au-delà d'orientations culturelles ou politiques (notamment coloniales...) derrière les messages, tente, à travers la sociologie des communications de retrouver "les valeurs et les exigences de la culture et de l'esprit (Introductions aux aspects sociologiques de la radio-télévision, CERT, 1955).

Si de nos jours, la grande masse des recherches est reliée directement ou indirectement à la gestion des médias, elle-même reliée à la gestion de la publicité et de ses aspects économiques et financiers, il y a toutefois un renouvellement de la sociologie des communications de masse par des recherches qualitatives sur la réception subjective de la télévision. De nombreuses études prennent par exemple les séries télévisées comme objet, et décortiquent les pourquoi et comment de leur réception et de la popularité... 

- Nouvelles technologie et société de l'information, dans laquelle la prise en compte de la multiplication des micro-ordinateurs et magnétoscopes, logiciels, téléphones mobiles et visiophones, numérisation des images et développements d'internet engendre une véritable nouvelle sociologie.

Les approches peuvent se voir suivant trois lignes de force. Les chercheurs ont surtout étudié l'invention des usages quotidiens ; ils commencent à s'intéresser à la conception même des nouvelles technologies et enfin, leurs éventuelles conséquences sur la société... 

La première série d'approches les font ressembler aux recherches socio-anthropologiques sur la réception des médias. Elles associent l'étude des représentations et des pratiques quotidiennes, éclairées par l'histoire de la technologie étudiée, pour construire une sociologie de l'invention des usages. C'est la problématique de l'appropriation par les usagers de l'innovation qu'étudient par exemple Philippe MALLEIN et Yves TOUSSAINT (dans la revue Technologie de l'information et société...). Jacques PERRIAULT (La logique de l'usage, essai sur les machines à communiquer, Flammarion, 1989) étudie comment se fait la construction sociale au quotidien, quelle "logique de l'usage" conduit le public.

La deuxième série d'approches part d'une distinction d'ordre épistémologique entre la découverte scientifique, présentée comme une sorte de révélation d'une vérité extérieure à l'humanité, et ses applications techniques, dont la sociologie est invitée à étudier l'insertion sociale.  Mais comme le rappelle les deux auteurs, l'école anglo-saxonne d'histoire des sciences montre qu'en réalité chaque grande découverte résulte d'une transformation de l'imaginaire scientifique, et plus largement de la vision du monde propre à la société de l'époque (Thomas KHUN, La structures des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983, première édition anglaise de 1962). La sociologie est d'emblée concernée par la conception même d'un objet nouveau. Plusieurs courants de la sociologie vont dans le même sens : le constructivisme social, la sociologie de l'innovation en biologie ou en recherche-développement...

La société de l'information constitue l'objet de la deuxième série d'approches. Daniel BELL (1919-2011), notamment dans son Vers la société post-industrielle (Robert Laffont, 1976), discute déjà de cette société de l'information comme pouvoir et comme fondement des métiers de demain. Dans un sens voisin, Pierre-Alain MERCIER, François PLASSARD et Victor SCARDIGLI (La société digitale, le Seuil, 1984) évoquent les conséquences possibles des nouvelles technologies basées sur le traitement numérique de la réalité physique et sociale. mais encore aujourd'hui, il est difficile de cerner quelles seront ces conséquences. Des études multiples ont lieu sur deux domaines  : celui des grands réseaux et de la diversité des cultures - quelle rationalité (ou pas) va s'imposer sur le plan planétaire? - et celui de la vie humaine dans un environnement de machines "intelligentes".  

- L'Informatisation de la production et des services, car cette société informationnelle plonge ses racines dans l'entreprise informationnelle. Les sociétés occidentales se sont lancées les premières dans l'informatisation des entreprises, suite logique d'un processus d'automatisation de la production commencé bien avant, qui bouleverse pratiquement tous les métiers, malgré des résistances analysées parfois comme relevant de micro-féodalités (soit patronales, soit syndicale). Les décennies 1960 et 1970 ont été celles des débats sur le "progrès technique". Le concept de révolution scientifique et technique (RST) popularisé par l'ouvrage publié sous la direction de Rodovan RICHTA (1924-1983) (La civilisation au carrefour, 1967) érige la science en force productive et cette RST devait favoriser de nouveaux progrès considérables dans les pays socialistes et exacerber les contradictions du capitalisme. On dénonce ailleurs le progrès technique accéléré par le capitalisme comme conduisant à de vastes gaspillages humains et matériels (notamment mais pas seulement dans le monde syndical).

Depuis, le progrès technique et plus particulièrement la technologie sont pensés comme un produit social, cristallisation d'un rapport social, et entre dans une dynamique de coopération/conflit qui implique bien des acteurs. Pour les uns prolongement (François EYRAUD) d'une dynamique aux origines lointaines, pour les autres rupture dans l'organisation du travail (au moins des PME) (William CAVESTRO), tout un débat sur l'intellectualisation du travail ouvrier a pour toile de fond la nature de la "révolution informationnelle" par rapport à la révolution industrielle. Que ce soit d'une manière optimiste (certains auteurs discutent d'un nouveau management des entreprises) ou d'une manière pessimiste (certains autres auteurs prennent même leurs distances par rapport à des concepts comme celui d'entreprise informationnelle), il s'agit bien d'un débat sur l'émergence d'un nouveau modèle productif qui traverse de très nombreuses entreprises (et influe les relations entre elles comme il change les rapports entre les différentes parties des entreprises, allant jusqu'à une restructuration de tout l'appareil de production). L'informatisation apparait parfois, pour de nombreuses parties des dirigeants de grandes entreprises (Toyota par exemple), comme la possibilité de gérer au plus près les flux de production. On trouve même des élaborations de concepts comme évolution parallèle d'un flux informationnel et flux matière. 

 

Médias de masse

  Eric MAIGRET, dans un regard sur un siècle de sociologie de la communication, constate que l'accent a été mis sur les médias de masse, comme si la majeure partie de la communication passant par l'intermédiaire de ces médias. Les données d'une anthropologie de la communication, qui inclue toutes les formes de communication, qui permettent de cerner les dynamiques conflictuelles et coopératives dans la communication, en conséquence sont peu exploitées par la communauté des sciences humaines. Le professeur de sociologie estime qu'à part leur irruption... en masse dans la vie quotidienne, il existe une autre raison à ce "succès" : "les médias de masse constituent le fait communicationnel le plus original et le plus déterminant dans les sociétés qui se définissent désormais majoritairement par la démocratie. Ils impliquent d'un coup les trois questionnements sur nos univers d'appartenance en rendant possible une mise en relation rapide et permanente des peuples et des cultures par le biais d'images, de textes et de sons - en rupture avec les moyens de communication et les régimes politiques antérieurs." Dans le grand changement de ce siècle, il propose de distinguer cinq grandes étapes, dressant en quelque sorte une périodisation :

- La fin du XIXe siècle et l'essor manqué d'une science sociale de la communication ;

- L'obsession des objets : le temps des angoisses et des "effets" ;

- Le passage à une science sociale des médias et de leurs publics : le jeu production-réception, situé en Europe au cours des années 1960-1980, hors du paradigme des effets ;

- L'apparition du concept d'espace public : penser la communication par la démocratie ;

- Le retour aux objets ou l'impossible régression, à la fin du XXe et au début du XXIe siècle.

      A la fin du XIXe siècle, on peut dégager des oeuvres de Karl MARX, Alexis TOCQUEVILLE, Émile DURKHEIM, Max WEBER et des autres "pères fondateurs" européens de la sociologie, la plupart des éléments nécessaire à une analyse complexe des médias qui réfuterait les thèses naïves (mais populaires) de l'influence délétère sur des sociétés soumises à la médiatisation. Eric MAIGRET dégage "les pièces à deux faces du puzzle théorique qui ont pour nom domination idéologique/culture, conflit/démocratie". Cette pensée est tributaire selon lui d'un pessimisme à l'égard de la modernité "qui a handicapé le développement d'une forte tradition de recherche en Europe." En contraste, les auteurs américains, de PIERCE à DEWEY en passant par PARK et MEAD, "proposent des visions moins anxieuses du nouveau phénomène communicationnel et mettent au point des modèles plus complets de la relation d'échange ainsi que des protocoles empiriques pour l'étudier, créant une atmosphère intellectuelle plus propice à l'implantation d'écoles de recherche dans ce pays" (les États-Unis). 

    Les réflexions les plus entendues au début du XXe siècle, écrit le même auteur, "sont en fait marquées par une obsession des objets et de leur fonctionnement supposé, les dimensions culturelles et politiques, bien présentes, étant en quelque sorte aplaties sur elles, réglées sur un discours apocalyptique ou pathologique." La notion de propagande l'emporte souvent et de nombreux auteurs expriment des "paniques morales", dont l'exemple médias/violence est assez emblématique. On peut trouver dans des ouvrages, surtout de vulgarisation sociologique, de véritables théories pavloviennes sur la question. En fait comme le résume bien Eric MAIGRET, "le paradigme des effets forts est un paradigme faible (pas pour tout le monde, dirions-nous...) parce qu'il apporte une information très limitée sur la réalité de l'interaction sociale."  

Face à ces courants "naïfs", la Théorie Critique développée par Theodor ADORNO et Mark HORKHEIMER, représente une première forme de réflexion complexe, mais la véritable rupture intervient avec LAZARSFELD, qui oppose une démarche empirique aux recherches antérieures. "Dans le contexte accueillant de l'université américaine, déjà préparée à ce tournant par le pragmatisme et l'interactionnisme, (cet auteur) balaie les angoisses sur les effets directs en déployant toute la richesse d'une sociologie qui mènera par la suite, sous l'impulsion de Eliuh Katz (né en 1926), à une analyse des "usages et gratifications", en établissant également le lien entre communication interpersonnelle et communication médiatique (il y a supériorité de la première sur la seconde)." Mais la volonté, bien dans le contexte global de la société américaine, d'évacuer la question du pouvoir, enferme finalement sa théorie dans une rhétorique des effets, même s'ils sont limités. Son succès institutionnel pendant plusieurs décennies dans les universités américaines ne peut camoufler sa limite. Du coup, la première période des recherches en communication s'achève presque logiquement avec l'épanouissement de nouvelles théories marquées par l'obsession des objets, éloignant les sociologues d'une recherche sur les conflits autour de ce thème. "Ces dernières se teintent de couleurs vives, optimistes, suivant un mouvement de balancier qui fait régulièrement alterner au cours de l'histoire dénonciation et apologie dans la description des médias. Leur originalité est de pousser à bout une logique de réduction de la communication humaine aux phénomènes biologiques et physiques en même temps que d'idéalisation des supports techniques de l'échange (...) logique encore latente dans les projets ultérieurs." Seuls des groupes d'abord restreints, comme les membres de l'école de Palo Alto effectuent des efforts pour penser l'essence de l'idéologie techniciste et la dépasser. 

     Le développement d'une véritable science sociale de la communication s'opère en Europe au cours des années 1960-1980. Elle repose sur une relativisation des objets au profit des logiques d'action. Les médias ne constituent que des éléments d'un vaste ensemble social. Les sémiologues Roland BARTHES et Umberto ECO initient le changement en dévoilant les moyens cognitifs par lesquels les médias de masse enregistrent les rapports de force entre les milieux sociaux. Malgré cette avancée, "l'analyse sémiotique sera le plus souvent critique et ancrée dans une position adornienne (d'Adorno), en dernier ressort anti-démocratique : l'intellectuel est seul capable de comprendre le monde et de déconstruire la domination bourgeoise des industries culturelles." Ce présupposé disparait avec les travaux suivants sur les processus de production et de réception des messages qui abandonnent l'idée d'une extériorité sociale des médias et d'une correspondance simple entre les deux pôles d'émission et de réception. La sociologie et l'histoire françaises des pratiques culturelles, influencées par l'empirisme américain, l'esthétique de la réception et la Culture du pauvre de Richard HOGGARD (né en 1918), réhabilitent les "récepteurs", désormais perçus avec Michel de CERTEAU (1925-1986) comme des acteurs dotés de compétences d'interprétation et de résistance. La "culture de masse" est un objet d'études totalement original car largement partagé, pouvant participer en parallèle du développement d'authentiques cultures populaires, moyennes et minoritaires (Pierre BOURDIEU, Stuart HALL et David MORLEY, selon des angles différents). "La communication de masse est un dialogue hiérarchisé mais elle est aussi un dialogue, y compris dans la domination et la souffrance. Elle forme un jeu où se négocient les multiples rapports de classes, de groupes et d'âges, et non seulement la domination d'un centre à l'égard d'une périphérie. Il faut relier l'idéologie et l'histoire, l'hégémonie et le conflit, le pouvoir et la culture, pour décrire un univers des médias en équilibre instable, traversé de tensions internes et d'appropriations contradictoires (voir par exemple Sous la direction de David MORLEY, KUAN-HSING Che, Stuart Hall. Critical Dialogues in Cultural Studies, Routledge, 1996). Du côté de la production, le chemin vers la reconnaissance de la complexité et de la contradiction est d'abord passé par une sociologie du journalisme qui, malgré tous les liens structurels unissant cette profession aux milieux dominants, démontre l'autonomie de pratiques traversées par des enjeux cognitifs, économiques et politiques non congruents, pratique également dépendantes de la relation imaginée aux publics."

     Eric MAIGRET apparait tout de même optimiste dans la description de l'étape suivante : "Cette absence d'autarcie (des créateurs et animateurs culturels), souvent considérée comme le défaut des médias de masse et la preuve de leur vacuité, constituent en fait leur force, celle d'une processus démocratique certes imparfait mais bien réel. En transposant les débats sur la culture de masse au niveau de la querelle politique, les recherches de la fin du XXe siècle ont permis de dépasser la réflexion sur les formes de cultures, aboutissant à la salutaire mais insuffisante dichotomie production-réception, pour analyser la dynamique entre les deux éléments, perpétuellement sous pression l'un et l'autre (...)". Les recherches sur les notions d'opinion publique, de représentation officielle ou non comme celle d'HABERMAS qui tente de décrire les éléments d'un espace public, vont dans ce sens.

Des chercheurs, dans la lignée des Cultural Studies, tentent également d'analyser la nature de la médiation entreprise par les différents outils techniques, la réflexivité et l'expérience acquise par différents groupes sociaux, dans une ambiance souvent... conflictuelle (avec des remises en cause en ricochets des manières de voir la communication) et dans un contexte mouvant du point du vue technologique.

     De la fin du XXe siècle à maintenant, il semble s'opérer un retour aux questionnements sur les objets - sans doute parce que ceux-ci changent et changent la nature des relations entre médias et "usagers". Le développement très rapide d'Internet et de nouveaux réseaux techniques et économiques ne permet pas de garder sans doute certains acquis de la recherche sociologique en communication. On retourne à "la cascade d'utopies et de contre-utopies technicistes ainsi que de théories marquées par le déterminisme technologique. Ces mouvements idéologiques masquent pourtant des changements de taille dans le champ des théories de la communication. Pour beaucoup (notamment Ulrich Bech et Bruno Latour), la technique, vue comme un construit intégrant les processus sociaux qui rendent possible son existence et son efficacité, a longtemps été oubliée en science sociale sous le prétexte qu'elle ne pouvait être intégrée aux mondes humains."

Ce retour aux objets ne peut se faire toutefois qu'à partir d'une vision démocratique de leurs interactions (et non influences) avec les hommes et non à partir de la simple interrogation d'une nature brute et cachée, semble espérer Eric MAIGRET. L'ambiance idéologique générale, entre l'enthousiasme provoqué par les nouveaux prodiges technologiques et une dévalorisation de l'action politique à bien des niveaux, semble pour l'instant à la recherche de solutions techniques à des problèmes humains, qui tente de faire l'économie d'une résolution de certains conflits lancinants autour de la répartition des richesses et des ressources... On tente, souvent par des tours de passe-passes... communicationnels de dresser des plans du futur en mettant surtout en avant les nouvelles potentialités techniques, en faisant semblant d'oublier les conflits politiques, économiques et sociaux...

 

Eric MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, Armand Colin, 2013. Jean-Pierre DURAND et Victor SCARDIGLI, Sociologie de la communication et des technologies de l'information, dans Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

 

SOCIUS

 

Relu le 3 juillet 2021

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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 08:51

   Tout discours sur la communication devrait commencer à dire de quoi il est question, information, communication, communication de quelque chose à quelqu'un, communication entre personnes... Car si dans la presse, nous avons l'occasion de lire souvent que (en Occident)  que nous sommes dans une société de communication, nous pouvons constater - individualisme oblige sans doute - que jamais la solitude n'a jamais été aussi importante. Or, le flux constant d'informations de toutes sortes et de toutes natures, omniprésentes dans les lieux publics, où la publicité prend une grand place (qu'elle soit ouverte ou clandestine), est bien unidirectionnel. Sauf sur des canaux comme Internet (et encore les flux de retours - réponses diverses, réactions... - sont-ils souvent surévalués...), il s'agit très souvent d'une communication à sens unique, que les analystes étudient souvent d'ailleurs dans ce seul sens, sans se préoccuper de la réception de ces multiples messages (cependant l'étude des phénomènes de rejet connait une certaine croissance à l'heure actuelle...), mettant en scène le jeu concurrentiel des messages dans un point de vue "artistique" ou économique.

La communication la plus pertinente est selon nous d'abord un échange, sinon il s'agit simple information. La société est formée d'un ensemble d'individus qui communiquent entre eux en échangeant de l'information, or les sociologies qui traitent de l'information sont aujourd'hui principalement des sociologies de mass-media. Auparavant, toutefois, la sociologie de l'information et de la communication s'était constituée pour étudier ces échanges : décrivant leur contenu, elle montrait aussi les rapports de pouvoir qui se développent autour de l'information et s'efforçait de mesurer l'influence que peuvent avoir les supports techniques (radio, cinéma, télévision, nouveaux médias) sur les comportements des citoyens ou des consommateurs.

L'évolution du grand ensemble que constitue la sociologie de communication est influencée par l'aspect "utilitaire" pour les entreprises ou les pouvoirs politiques qui domine de plus en plus les études : il s'agit d'abord de connaitre l'impact des campagnes publicitaires et des manoeuvres politico-médiatiques, à court terme, souvent à échéance de flux précis de marchandises et de services dans le premier cas, à échéance électorale immédiate dans le second cas. A un point où souvent, la sociologie de la communication politique ou économique se réduit à une sociologie de la publicité politique ou économique...

 

L'apparition de nouvelles sous-disciplines

    Le développement des nouvelles technologies a suscité l'apparition d'une nouvelle sous-discipline qui va de l'étude de l'innovation à la socio-anthropologie des pratiques techniques et aux réflexions sur la société de l'information. Les technologies de l'information entrant en force dans l'espace de production de biens et des services, la sociologie de l'information a rencontré d'autres principes mieux établis autour de la sociologie des organisations, de la sociologie du travail ou de la sociologie de l'entreprise. Ces trois sous-champs - médias, nouvelles technologies, production des services - partagent un même héritage positiviste, mêmes s'ils s'efforcent de s'en dégager.

Au XXe siècle, le progrès des connaissances et des techniques était considéré comme un facteur de progrès social. SI les mass media ont vite constitué l'un des objets d'étude majeurs de la sociologie américaine, c'est que les technologies apparues ou développées dans la première moitié du XXe siècle étaient présentées comme apportant à l'humanité la diffusion universelle du savoir et la participation de tous aux décisions qui les concernent. Ce n'est que dans l'entreprise que le discours a été de tout temps plus mesuré, la mécanisation puis l'automatisation s'accompagnant de la crainte du chômage. Aujourd'hui, le discours sur l'inéluctabilité de l'automatisation l'emporte, au nom de l'a compétitivité et de la survie de la firme. Ainsi, le discours dominant la fin du XXe siècle affirme que les nouvelles techniques industrielles ou urbaines ont le pouvoir de déterminer les structures de la vie sociale et de construire une société de l'information. (Jean-Pierre DURAND et Victor SCARDIGLI).

    La difficulté d'une réflexion sur la communication, pour Eric MAIGRET, "tient à des circonstances historiques exceptionnelles. Les guerres mondiales ont par exemple renforcé le sentiment que les médias étaient des instances de contrôle et de la manipulation. Mais elle vient surtout du fait que l'objet communication lui-même semble hors d'atteinte d'une définition scientifique précise. Au fur et à mesure que les chercheurs de toutes disciplines ("exactes" ou "humaines"), que les politiques, les industriels, les informaticiens, les journalistes, le grand public, s'en sont emparé, il est devenu si large qu'il ne semble plus recouvrir aujourd'hui quelque chose de cohérent : transmettre, exprimer, se divertir, aider à vendre, éclairer, représenter, délibérer... Des jeux de passe-passe s'effectuent entre des mondes concurrents, chacun cherchant à imposer sa définition et les intérêts qui l'accompagnent, du moins à élargir les limites de son territoire. Les thuriféraires de la communication machine ou les tenants de la communication commerciale l'emportent alors plus qu'à leur tour, portés qu'ils sont par le développement démesuré de leurs mondes depuis plus d'un siècle."

Pour remédier à cette situation "de flou conceptuel autant qu'au déséquilibre entre les définitions", le professeur de sociologie des médias à l'université Paris III, Sorbonne-Nouvelle constate que "une attitude courante consiste à appréhender la communication par une tension, celle entre raison et technique." "La question de la communication, poursuit-il, serait pour nous, contemporains, la reformulation de la vieille bataille entre idéalistes et sophistes. D'un côté, nous aurions des outils de transmission de l'information, avec toutes les réussites liées à la performance, à l'efficacité. De l'autre, des enjeux normatifs à partager dans toute communauté qui vise l'idéal d'une raison partagée, d'une plénitude liée à l'échange. Cette définition a la vertu pédagogique de toute dichotomie et, plus encore, celle de ne pas remonter au siècle dernier puisqu'elle nous a été léguée par la philosophie antique. Elle demeure cependant entachée du défaut reproché à toute la tradition métaphysique par un Kant ou un Nietzsche, qui en participent encore : elle croit à l'existence d'un monde absolu qui s'opposerait à un monde de phénomènes illusoires. Tout l'intérêt de la révolution apportée par les sciences sociales à la fin du XIXe siècle est qu'elle a substitué, à une description aussi conflictuelle que vaine, celle d'un monde plus complet, plus continu, dans lequel les hommes agissent par référence à des objectifs variés - instrumentaux, normatifs, expressifs - sans qu'un hiatus fondamental ne s'exprime entre ces ordres."

Si l'on souhaite être plus précis dans la définition du mot communication, selon Eric MAIGRET, "il est nécessaire de partir d'un point de vue autre que celui de la philosophie idéaliste ou sophistique et de considérer qu'il balise un espace à trois dimensions que nous habitons en permanence, comme nous y incitent, chacun à leur tour, les fondateurs des sciences sociales et leurs héritiers." Il cite WEBER (existence de trois niveaux de légitimité), PIERCE (articulation triadique des signes), MEAD et VLUMER (tripartition des objets), HABERMAS et JOAS (distinction entre trois types d'agir). iI indique bien que "il n'existe pas de consensus sur le contenu et la forme exacts de ces trois dimensions". Il défend l'idée "que la communication est un phénomène "naturel", "culturel" et "créatif", par ordre croissant d'importance. Il reprend là la définition de la tripartition de PIERCE. "Communiquer consiste à convoquer des objets, des relations sociales et des ordres politiques. Toute théorie de la communication propose un composé d'éléments momentanément indivisibles :  un modèle de l'échange fonctionnel entre les hommes, un point de vue sur les relations de pouvoir et de culture, une vision de l'ordre politique qui les unit. Les auteurs qui ont négligé d'interroger l'une de ces dimensions se sont en fait exposés à défendre des points de vue implicites sur cette dernière. Si toute théorie apporte en effet des éclaircissements spécifiques sur le monde, des éléments simples permettant d'en réduire la complexité, c'est-à-dire des modèles, elle est aussi un composé de présupposés scientifiques et de points de vue idéologiques, éthiques et politiques. oublier son inscription dans l'une ou l'autre de ces trois dimensions, c'est s'exposer à un retour du refoulé. L'histoire des courants de recherche illustre ce point de vue à satiété."

 

Une société de communication?

   Vivons-nous réellement dans une société de communication? Nous ne sommes pas très loin de partager à ce sujet l'opinion de Erik NEVEU, professeur de sociologie politique à l'Institut d'études politiques de Rennes. qu'il exprime après un tour d'horizon de différentes théories sur la communication :

"La "société de communication" est à la fois un "mot-pavillon" fédérant des sens et des expériences variées, et un mot-écran qui sous l'apparence d'une explication de la modernité tend à occulter d'autres perceptions des relations sociales. Lorsque nombre des malheurs du monde occidental sont réduits au statut d'une mauvaise communication, ce sont les mots d'injustice, d'inégalité, de domination, de misère, d'imposture qui se vident de sens et de force expressive. Lorsque l'idée de l'évolution ou du changement social est réduite à l'essor de réseaux et de procédures assurant une meilleure communication, c'est l'expertise des ingénieurs ou des spécialistes ès communication qui est exaltée. Ce sont trop souvent dans le même mouvement les capacités créatrices des agents sociaux - de tous jusqu'aux moins doctes - qui sont oubliées : capacité expressive pour traduire son vécu et rendre intelligible jusqu'à l'indicible, capacité critique de désignation de ce qui fait problème ou souffrance dans les rapports sociaux, capacité de mobilisation pour changer le monde.
Le discours de la société de communication s'inscrit fondamentalement dans le registre de discours de dépolitisation en ce qu'il délégitime la conflictualité, survalorise les déterminismes technologiques, renvoie les malaises sociaux à l'inadaptation des dominés ou aux maladresses des titulaires de pouvoirs. Il oscille entre une adhésion à une humeur conservatrice en vogue (quand il ramène les protestations à une mauvaise perception des discours des autorités) et une prophétie mystificatrice (lorsqu'il fait de technologies de communication le garant d'une société plus égalitaire et plus participative)."  

 

Erik NEVEU, une société de communication?, Montchrestien extensio éditions, 2011. Eric MAIGRET, Sociologie de la communication et des médias, Armand Colin, 2013. Jean-Pierre DURAND et Victor SCARDIGLI, Sociologie de la communication et des technologies et de l'information, dans Sociologie contemporaine, Sous la direction de Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL, Vigot, 2002.

 

SOCIUS

 

Relu le 4 juillet 2021

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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 12:42

      Une sociologie du renseignement est-elle possible? Bien entendu, on ne trouvera pas un tel intitulé dans les disiciplines universitaires et nous ne l'avons pas trouvé dans la littérature... tout juste avons-nous repéré des essais de sociologie du roman d'espionnage...

  S'agissant de renseignement, les apports pourraient alors venir de diverses sociologies, au confluent de celles-ci : sociologie de l'information, sociologie des organisations, sociologie politique (pour les aspects politiques liés à l'organisation du renseignement...), sociologie des techniques (à savoir les liens entre nature de l'information recherchée et nature des technologies employées et leurs influences sur la société même qui les utilisent, dans le sens d'activité d'espionnage), sociologie sans doute de l'Internet en particulier, sûrement également sociologie du combattant (de la sociologie militaire à la sociologie du militant...), sans doute des apports de la sociologie du conflit lui-même... On pourrait également évoquer les apports d'une sociologie du journalisme (entreprise par exemple par Erik NEVEU...) ou une sociologie de la production d'information (à la manière de Dominique MARCHETTI)...

 

Les objectifs d'une sociologie du renseignement...

   Resterait à cerner les objectifs d'une sociologie : au service des... services de renseignement eux-même, au service des acteurs politiques, au service des "clients"?  Si la question des acteurs est bien entendu primordiale, reste que nous serions toujours à la frontière de la communication et du secret, dans une sorte de dialectique compliquée et complexe, entre la recherche de la vérité de l'ennemi (pour l'ennemi) et la recherche du meilleur mensonge (pour tromper l'ennemi), et si réellement le renseignement est au service de la démocratie, entre la protection du renseignement pour des raisons d'efficacité et l'information sur les activités d'espionnage...

    Si cela ne suffisait pas de rester dans un cadre assez bien délimité, militaire ou de défense... Les activités de renseignement débordent, notamment en temps de relative paix, sur l'économique, le social, le politique au sens du jeu politicien.... Les espionnés, pour des raisons commerciales, seraient alors tout le monde, ces consommateurs potentiels que l'on croit pouvoir capter avec une publicité omniprésente, ces électeurs dont on cherche à connaitre l'état d'esprit pour mieux les influencer, pour ne prendre que ces deux cas de figure, étant donné que, du côté de la concurrence et du côté des sondés, tout est parfois bon pour brouiller les pistes (les électeurs aussi ont appris quelque chose des sondages en période pré-électorale et mentent aux sondeurs, cherchant à leur tour à instrumentaliser les sondages, même si les résultats de ce véritable contre-espionnage ne sont pas évidents... ).

 

Les acteurs du renseignement

  La base des activités de renseignement, qu'elle que soit la nature de l'information recherchée - est cette dialectique de découverte de plans et d'intentions, de délivrance des renseignements, de déception et de désinformation...

Parmi les acteurs figurent en première place les agents. Un agent, défini par Jacques BAUD, selon deux acceptions différentes :

- Individu qui agit sous la direction d'un service de renseignements ou d'un service de sécurité afin d'obtenir ou d'aider à obtenir des informations pour le renseignement ou le contre-renseignement (organismes) ;

- Individu autorisé ou instruit à obtenir des informations pour les besoins du renseignement ou du contre-renseignement...

Existent alors des agents... d'influence, dormant, double, illégaux, légaux, de pénétration, provocateur, spécial..., avec des corrélats : attachés militaires, honorables correspondants, officier traitant...suivant des terminologies que l'on retrouve dans les services même du renseignement, dans... la littérature ou dans... la presse... 

 Mais ces acteurs centraux agissent pour le compte d'acteurs aux responsabilités dans les organismes politiques et militaires, dont on retrouve les équivalents "en face" chez les alliés et les ennemis potentiels ou... actifs!  

   A sérier les différents acteurs qui gravitent autour du véritable secteur économico-politique que constitue le renseignement, ou qui y participent directement, on se rend compte que nous avons affaire à des individus qui naviguent dans des mondes tout-à-fait différents : rien de commun entre l'agent de base qui vit dans la hantise d'être découvert et dont le travail s'apparente souvent à celui du policier et l'agent traitant les informations, tranquillement dans son bureau, attaché à analyser une quantité parfois industrielle d'informations... Sans doute, au lieu de sociologie du renseignement, faut-il plus rechercher les éléments d'une sociologie ou une psycho-sociologie de l'espion ou du bureaucrate manipulant des secrets. Même s'ils participent finalement  tous à une dialectique de la vérité et du mensonge, de l'analyse et de la dissimulation (camouflage).

 

L'agent illégal...

    Dans un article sur l'agent illégal, mais on pourrait y retrouver des éléments concernant l'agent de pénétration, l'agent double ou l'agent d'influence sur le terrain, tous travaillant en milieu hostile, Jacques BAUD décrit ses caractéristiques : "Agent implanté dans un pays, non-membre d'une mission diplomatique, et travaillant clandestinement pour une puissance étrangère. Le recrutement d'un agent illégal peut durer plusieurs années. Le recrutement des agents illégaux s'effectue selon le principe désigné en anglais par "MICE" (Money, Ideology, Constraint, Ego).

L'appât du gain est certainement l'un des motifs les plus courants ces dernières années, bien que l'expérience montre que ces gains sont en général relativement modestes (...). Les cibles privilégiées de ce mode de recrutement sont les personnes endettées et/ou dont les besoins financiers sont manifestement exagérés (jeu).

L'idéologie  est un facteur de motivation moins courant, en raison des filtres "sociaux" ou autres qui - souvent - interdisent l'accès à des informations sensibles à des individus connus pour leurs opinions extrémistes. (...). L'idéologie a été à l'origine de nombreuses affaires d'espionnage en France dans l'immédiat après-guerre ainsi qu'en RFA. (...).

La contrainte et le chantage sont également des moyens fréquemment utilisés. Il s'agit, par exemple de l'exploitation d'une déviation sexuelle ou sociale. Un procédé courant consiste à attirer une cible dans une relation homosexuelle, ou avec un enfant mineur, ou, dans le cas d'une personne mariée, avec une personne de l'autre sexe. (...) Un autre procédé consiste à demander des informations d'importance mineure au début, afin de créer un moyen de pression, puis d'accroitre progressivement les exigences.

Les sentiments personnels (amour, frustration, etc) constituent l'un des motifs majeurs de participation à des activités d'espionnage. (...).

Durant les années 30-50, la presque totalité des cas d'espionnage aux USA avaient pour origine l'idéologie ou le chantage. Aujourd'hui le gain financier est le principal moteur. Depuis 1975, dans 90% des cas d'espionnage aux USA, c'est l'espion qui a contacté la puissance étrangère pour vendre des informations."  On peut se demander d'ailleurs, s'il n'existe pas de la sorte plusieurs "marchés" aux espions, et si dans l'évolution récente, où le renseignement économique et technique prédomine, un véritable marché aux informateurs et aux informations, illégal bien entendu, ne se forme pas...

     Pour ce qui concerne les agents traitants l'information, leur psycho-sociologie relèverait peut-être plus de la sociologie des organisations...

 

Renseignement militaire, renseignement civil

   Bien que la logique voudrait que l'on distingue le renseignement "militaire" d'un renseignement "civil" à l'extension indéfinie, il faut bien reconnaitre que le sur-développement des activités de renseignements, activités qui exigent de la discrétion pour l'obtention de base de raisonnement pour l'action dans un milieu hostile, en économie, en politique..., brouille d'une certaine manière, les frontières, d'autant que leurs acteurs peuvent très bien passer d'un domaine à l'autre, parfois avec une facilité déconcertante... Le partage entre activités légales et activités illégales ne nous aide pas beaucoup non plus, dans la mesure même où de nombreuses collectes d'information se font tout azimut, aux destinataires qui peuvent varier du tout au tout. L'intérêt d'une sociologie du renseignement tient à sa liaison directe avec une sociologie du conflit : le maniement de la vérité et du mensonge est propre au développement d'une dialectique de l'affrontement, qui plus est, est parfois un affrontement non avoué et... non assumé (proche du déni). Développer la confiance ou la méfiance constitue un jeu d'options qui a de lourdes conséquences sur la nature des coopérations et des conflits.

   Et ceci jusqu'à des domaines que l'on pourrait considérer comme neutre sur cette question - en fait où la neutralité réelle n'existe pas : dans les sciences sociales. C'est ce que montrent la série de contributions publiées par la revue Cultures et Conflits, en ce qui concerne "Les risques du métier" (n°47, automne 2002) Sans endosser la totalité des problèmes techniques, éthiques et politiques qui se posent aux chercheurs, les auteurs se centrent sur deux aspects : "une gamme de situations limites avec lesquelles le chercheur doit composer : la mise en danger de soi, en tant qu'organe de l'enquête, les interférences, fécondes ou dommageables, entre recherche et parcours biographique et les difficultés singulières qui surgissent dans les conflits violents ; quelques dimensions du rapport entre la production des savoirs en histoire ou en sciences sociales et la gestion de leur restitution, de leur réception et de leur application dans l'espace de l'action et de la décision politique. Les pratiques d'expertises requièrent elles aussi des engagements problématiques et impliquent des positionnements délicats". Cela concerne les enquêtes en milieu de conflits armés, dans les espaces urbains "à problèmes" dans les milieux de la drogue ou de la délinquance, le traitement des questions des pratiques "limites" des forces armées. Cela peut concerner aussi tout simplement les diverses enquêtes d'ordre sociologique ou anthropologique entreprises pour le compte d'instituts qui doivent y mener des politiques...

   Une telle sociologie du renseignement est évidemment de l'utilité "la plus évidente" (sans être sans doute la seule "pertinente"), en ce qui concerne les problématiques du renseignement d'État, menée envers les puissances de son niveau, malgré le fait qu'il est difficile, surtout dans les périodes de méfiance envers des "populations" susceptibles d'accueillir des "ennemis intérieurs", de distinguer les activités internes et les activités externes (voir les exemples éclatants des activités de la CIA et du FBI aux États-Unis). Elle peut être notamment alimentée, surtout dans une période où le mot d'ordre est à l'interdisciplinarité, par des anthropologies précises. Ainsi l'étude d'Alain DEWERPE (Espion : une anthropologie historique du secret d'État contemporain, Gallimard, 1994) comble un vide important dans l'historiographie. Il s'agit pour lui de définir, à travers la notion du secret, un espace propre aux sociétés politiques des XIXe et XXe siècles, espace jusqu'alors inexistant sous cette forme. il délimite un champ d'études nouveau, celui de la sensibilité au secret, à la duplicité et à la clandestinité, en liant, en un réseau serré, des phénomènes divers, bureaucratisation de l'appareil d'État, développement des activités de renseignement, évolution des savoirs militaires et engouement, depuis le début du XXe siècle, pour l'espionnage, à travers des productions culturelles variées. Ce goût, mêlé de crainte, pour la dissimulation, lié à l'extension considérable des zones d'ombre dans l'exercice du pouvoir par l'État, serait, selon l'auteur, un trait de mentalités collectives, caractéristique de nos sociétés libérales. D'ailleurs, la proliférations des rumeurs complotistes de toutes sortes fait partie de ce phénomène. Son approche est d'autant plus intéressante qu'il ne cherche pas à analyser la réalité des opérations secrètes ou de la guerre de l'ombre, bien que la mise à jour de certains modes de fonctionnement soit nécessaire. Faire apparaitre les évolutions de pratiques associées au pouvoir, les transformations des savoirs mis en oeuvre par l'État et les changements des représentations sociales est son objectif. Depuis la fin du XVIIIe siècle, une tendance de longue durée serait perceptible, allant dans le sens d'un affaiblissement des contraintes de clarté et de publicité et, corrolaire obligé, d'une tolérance croissante de fait, masquée par un respect affiché pour les principes de transparence démocratique. La figure de l'espion, bâtie à partir d'éléments réels et fictifs, devient emblématique de la condition de l'homme politique contemporain. 

 

Loyauté et enjeu dans le renseignement

    Plus globalement, les études de la Loyauté dans les relations internationale, rassemblées sous la direction de Josepha LAROCHE (L'Harmattan, 2001), entreprises dans un colloque organisé par la Section d'Études Internationales de l'Association Française de Science Politique, nous font pénétrer directement dans les enjeux des pratiques du renseignement, même si elles ne se centrent pas sur celles-ci. Il s'agit pour les auteurs de traiter quatre thèmes principaux :

- la loyauté dans la théorie des relations internationales ;

- la politique étrangère et la loyauté ;

- la loyauté dans l'économie internationale ;

- la loyauté comme principe d'ordre. 

Comme l'écrit très justement Wolf-Diester EBERWIEN (dans le même n'°47 de Cultures et Conflits), "introduire le concept de loyauté en relations internationales représente certainement un acte téméraire pour plusieurs raisons. La première : ce concept n'est pas commun. La seconde : il s'agit d'un concept psychologique au niveau micro-analytique. Il s'agit d'une disposition à l'action d'individus, qui n'est pas observable en tant que telle, et non d'un comportement propre, de ce fait perceptible. La troisième : pourquoi aurait-on besoin d'un concept additionnel pour analyser aujourd'hui les relations internationales aussi complexes soient-elles?"  Les débats de ce colloque indiquent bien que la question de la loyauté éclaire des aspects centraux concernant la fondation normative du système international. ils démontrent la nécessité d'analyser de façon approfondie le rôle des normes des acteurs et de dégager plus en détail les conditions et les facteurs qui facilitent ou empêchent un comportement conforme, au-delà de l'explication par la puissance et les intérêts. Pour Josepha LAROCHE, ils témoignent de la nécessité de la judiciarisation des relations internationales. Ces débats sont à reliés à la discussion des normes en relations internationales actuellement en cours dans le monde anglo-saxon (FINNEMORE et SIKKINK, pour lesquels qu'une fois le processus de socialisation achevé, le comportement  conforme à certaines normes devraient devenir automatique...°

    Dans le cadre d'une sociologie du renseignement, serait-il pertinent, comme le propose un lecteur, d'inclure la question du mode de recrutement des agents. Ainsi de récentes (en 2021) initiatives (plus courantes dans le monde anglo-saxon, quoique plus discrètes, d'offres d'emploi par Internet de la DGSI française pose question. S'agit-il de réelles offres d'emploi? Dénotent-elles une incapacité des services de renseignement à se renouveler au niveau du personnel, alors que souvent auparavant l'espionnage, comme la diplomatie est affaire de famille? Cet appel dans l'océan est-il le reflet d'une incapacité à recruter dans des milieux "compétents", dans les universités par exemple?

Jacques BAUD, Encyclopédie du renseignement et des services secrets, Lavauzelle, 1998 (A noter qu'il existe une version plus récente, de 2002). 

Cultures et Conclits n°47, Automne 2002.

 

SOCIUS

 

Relu et complété le 7 juillet 2021

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19 septembre 2013 4 19 /09 /septembre /2013 11:44

        Lors de grandes catastrophes naturelles (éruption volcanique, inondations, sécheresses) ou même de catastrophes limitées (épidémie circonscrite à une zone géographique, incendies d'une partie de ville...), il (est encore) était courant, dans les époques antérieures ou dans les régions en dehors du monde occidental moderne ou contemporain, de faire appel à la responsabilité d'une intervention divine (colères de ou des dieux, voire intervention démonique...) ou de reporter la responsabilité sur des groupes boucs émissaires (les Juifs dans le Moyen Âge européen, les Chrétiens dans l'Antiquité Romaine). Dans le monde moderne d'aujourd'hui, les catastrophes les plus importantes et en tout cas les plus fréquentes ne sont plus le fait des éléments naturels, mais résultent d'erreurs humaines ou "techniques".

    Dans notre époque de changement climatique, la combinaison de catastrophes naturelles et de catastrophes "techniques" se fait de plus en plus fréquente et il est "naturel" que les autorités (plus ou moins "responsables", État, sociétés, collectivités publiques ou privées...) tentent de faire recouvrir les conséquences d'une catastrophe "technique" d'une cause principalement naturelle. On en voit l'illustration dernièrement dans l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima.

Avec la société industrielle, avec la liaison forte entre des endroits très éloignés les uns des autres, où le local et le global se lient de manière complexe, l'étude des causes d'une catastrophe est utilisée pour prévenir des risques sans pour autant que soient parfois bien définis les enchaînement des événements.

    Depuis quelques décennies, des chercheurs élaborent une sociologie du risque, des administrations mettent en place des politiques de prévention dans de nombreux domaines de la vie publique, des sociétés s'assurent, dans leurs activités à risques, de limiter leurs responsabilités et de couvrir des dommages majeurs en souscrivant des asurrances financières de plus en plus grande. A un tel point que parmi les sociétés financières dominantes, les sociétés d'assurance occupent souvent les tout premiers rangs...

 

   C'est tout cet ensemble, dans un contexte de complexité sociale et d'enchevêtrements des pôles politiques de décision, que des sociologues, mais aussi de nombreux autres agents sociaux, tentent de dresser des plans selon une conception des risques et des précautions à prendre qui est loin de relever du consensus. 

 

Sociologie du risque

    David Le BRETON tente une définition du risque qui dépasse l'étymologie (de l'italien risco, ou du latin resecare : "enlever en coupant", du latin population resecum, "ce qui coupe", de l'espagnol riesgo : "rocher découpé", "écueil" autour de dangers marins...) pour tenir compte des préoccupations actuelles. Notons que Le Robert signale aussi le roman tixicare, élargissant le latin classique : rixare, "se quereller".

Le risque "moderne, écrit le membre de l'Institut Universitaire de France et professeur à l'Université de Strasbourg, " est "à la croisé des chemins, du franchissement d'un cap où un péril se ressent." 

"Risque et incertitude, poursuit-il, ont un domaine sémantique qui se recouvre, et ils sont souvent utilisés comme des synonymes. Une approche plus méticuleuse en matière de gestion des risques les distingue cependant (F. KNIGHT, Risk, Uncertainty and Profit, New York, Kelley, 1964). Le risque est une incertitude quantifiée, il témoigne d'un danger potentiel susceptible de naître d'un événement ou d'un concours de circonstances, mais il n'est qu'une éventualité, il peut ne pas se produire dans une situation envisagée. Des statistiques mettent en évidence ses probabilités d'occurrence. Il est une mesure de l'incertitude. L'incertitude diffère de cette acception puisqu'elle traduit justement un absence radicale de connaissance à son propos. Certes, il y a peut-être un danger, mais il n'est pas identifié, et il n'y en a peut-être aucun. L'ignorance domine encore. On sait seulement que pour l'instant on ne sait pas. Ce n'est que dans le développement des choses que le danger ou l'innocuité se révélera.

De même, le péril est une autre modalité de l'expérience puisqu'il est sans prise pour l'homme et s'impose à lui à son corps défendant, là où le risque laisse encore une initiative, une responsabilité. Risque est un mot-valise, porteur de significations et de valeurs bien différentes, selon les contextes. Il est le pire ou la meilleure des choses, ou encore le pire pour les uns et le meilleur pour les autres."

Dans leur essai Risk and Culture. An Essay on the Selection of Technological and Environnemental Dangers (Berkeley, University of California, 1983), comme dans d'autres publications, M. DOUGLAS et A. WIDAVSKY rappellent que "ni la notion que les périls de la technologie sont évidents, ni celle qu'ils sont purement subjectifs" ne sont suffisantes. Seule une approche en termes d'évaluation précise d'une situation prenant en compte les significations et les valeurs des acteurs en présence possède une légitimité.

     Notion hautement polémique, le risque est désormais une question sociale, politique, économique, juridique, éthique... et la lucidité croissante dans de nombreux milieux sur les dommages portés sur l'environnement par les technologies et les modes de vis dans les sociétés occidentales, copiés dans d'autres régions du monde, amène les gouvernements à la création de ministères chargés de cet aspect. Des partis écologiques ou même des associations de consommateurs ou d'usagers se multiplient pour peser sur les politiques nationales en faveur de l'environnement... se heurtant d'abord localement et de plus en plus souvent globalement à des intérêts économiques et financiers.

Une conférence mondiale de l'ONU à Stockholm en 1972 (première du genre), des conventions ou des conférences internationales s'efforcent d'établir des compromis entre les pays pour limiter la dégradation de l'environnement. A travers leurs actions, les significations du risque (que beaucoup d'intérêts industriels aimeraient bien qu'elles ne soient pas pris en compte ou marginalisées) sont aujourd'hui innombrables, d'autant que nos sociétés se font désormais une sorte de repoussoir dans des circonstances qui se multiplient à l'infini à tort ou à raison. Se multiplient les conflits et leur expression se fait souvent violente, dans toutes les activités sociales touchées par une perte relative de confiance : les technologies, la recherche, l'alimentation, la santé, la sexualité, les loisirs, les transports, l'énergie... Pour les sociétés contemporaines, le risque est une menace insidieuse propre à ébranler toutes les certitudes sur lesquelles la vie quotidienne semblait s'établir.

      Ces constats, ces conflits ont donné naissance, dans les années 1980 selon David Le BRETON - mais toute une littérature antérieure s'en fait écho de manière il est vrai plus partielle et dispersée (notamment à propos des risques nucléaires) - à une sociologie du risque portant des regards novateurs sur des zones de fractures de confiance et de fragilité.

Il cite les ouvrages de M. DOUGLAS (Risk Acceptability according to Social Science, New York, Basics Book, 1986), de WILDASWSKY (1983), l'allocution inaugurale du président de l'association américaine de sociologie J. SHORT (The Social Fabric at Risk : toward the Social Transformation of Risk Analysis, dans American Sociology Review, volume 49, 1984), les travaux de F. EWALD sur la "société assurantielle" (1988), ceux de P. LAGADEC (La civilisation du risque, Seuil, 1981) et de M. POLLAK (Les Homosexuels et le Sida. Sociologie d'une épidémie, Métailié, 1988) ou de D DUCLOS (L'Homme face au risque technique, L'Harmattan, 1996). Un certain nombre de ces contributions sont répertoriées dans le Dictionnaire des risques (Sous la direction d'Y. DUPONT, Armand Colin, 2003). 

L'ouvrage classique d'Ulrich BECH, La société du risque (1986 - traduction françaisie : Aubier, 2001) ouvre le chemin à cette sociologie du risque.

 

Fragilité de la condition humaine

      Plus en amont dans le temps, le sentiment de la fragilité de la condition humaine est apparu avec les explosions nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki. Il remonte donc assez loin, bien avant la prise de conscience de l'entrée depuis un certain temps de la société occidentale - et de celles qui suivent son exemple, dans une zone de risques croissants issus de l'utilisation immédiate, avec des vues à court termes - soit militaires, soit économiques, des découvertes scientifiques. S'ils se développent une méfiance à propos de la science en général, c'est en fait bien plus à l'égard des autorités qui l'utilisent, qu'à l'égard des principes scientifiques eux-mêmes. Même si des tentatives de forces religieuses et politiques d'exploiter maintes catastrophes, l'ensemble de la société est prise dans un processus qui l'amène de révolutions à révolutions technologiques.

   Si les sciences sociales ont investi, et cela s'accélère, la question du risque par de nombreux angles, il n'est pas sûr que les entreprises partie prenantes de l'évolution technologique veulent ou "peuvent" les prendre en compte...

 

Un colloque important

      Un colloque en 2011 (Cerisy, Retour sur la société du risque) qui fait le point sur la sociologie du risque ou les travaux sur les risques et les catastrophes, en fait la constatation, entre autres points examinés. Les participants constatent en effet, avec Dominique BOURG, Pierre-Benoît JOLY et Alain KAUFMANN que "si les années 1970-1980 sont celles d'une prise de conscience des dégâts du progrès, comme oublier que ce sont aussi celles du tournant néo-libéral et de la financiarisation des économies dont les effets dévastateurs se déroulent sous nos yeux?" C'est que la société ne pense pas elle-même, ne prend pas conscience elle-même ; ses différentes composantes n'évoluent sur la question du risque ni sur le même rythme ni selon les mêmes priorités.

Ils reprennent les éléments clés de la réflexion d'Ulrich BECH, qui propose en fin de compte "un nouveau récit" de l'évolution de nos sociétés. "La société du risque, écrivent-ils, est une société où les grands conflits ne tiennent plus à des oppositions de classe, à des luttes pour l'appropriation des richesses ; la société du risque se fabrique dans ses rapports aux dangers, dont Beck nous dit qu'ils sont manufacturés. Cette thèse générale s'appuie sur un réseau de propositions, dont l'exposé est servi par un sens aigu de la formule : nous sommes au "bord du gouffre", sur le "volcan de la civilisation", dans une société où l'individualisation a érodé les formes d'autorité traditionnelles ("nous sommes les auteurs de notre biographie"), une société de "l'irresponsabilité organisée". cet ouvrage est aussi marqué par une touche optimiste. Avec la société du risque, adviendrait l'âge d'une modernité réflexive, un âge d'un nouveau rapport à la science - une science ouverte sur la société et attentive à ses effets -, un âge d'un autre rapport à la politique - une construction du vivre ensemble et du bien commun hors des arènes politiques traditionnelles, à l'hôpital, dans le laboratoire de recherche, dans l'entreprise, etc."

Ils considèrent qu'il faut prendre cet ouvrage comme un symptôme. Les années 1980 sont marquées par une prolifération d'ouvrages en sciences humaines et sociales sur les risques, à la fois dans le monde francophone et dans le monde anglophone. Mais "alors que le monde anglo-saxon est celui de l'analyse des risques, caractérisé par des approches positivistes et quantitatives (modèles probabilistes, mesures de perception des risques, analyses coût-bénéfice, etc), les recherches initiées par le programme (français, animé par Claude GILBERT à partir des années 1990) mettent l'accent sur le caractère politique de la définition et de l'appropriation des risques, sur les jeux de pouvoir, sur les stratégies des acteurs, etc. Mais bien évidemment la tension est forte entre ce programme et les approches de l'analyse des risques qui se veulent plus normatives et qui répondent à une demande publique de réduction de l'incertitude en risque calculable et gérable. (...)". Claude GILBERT lui-même explique que si en France, le processus d'appropriation de la notion de risque s'est construit en réponse à une demande publique, les sciences sociales se sont dans l'ensemble, affranchies de cette demande. Les thématiques qui se sont imposées comme centrales sont celles pour lesquelles les rendements académiques et symboliques étaient a priori élevés, comme par exemple l'étude des risques comme problèmes publics ou l'étude de la gouvernance des risques, de la production de l'expertise à l'organisation du débat public. Par comparaison, les approches qui nécessitent des terrains plus difficiles - parce que les acteurs sont peu bavards ou parce que le secret est de mise : les arcanes de la prise de décision, les entreprises productrices de risque, la sécurité dans les installations industrielles... - ont été beaucoup moins développés. Du coup, les sciences sociales sont passées à côté de dimensions essentielles de la société du risque, l'analyse de l'expérience des risques, à différents niveaux, de l'individu aux lieux de pouvoir.

Beaucoup d'aspect discutés lors de ce colloque par les participants approchent les questions directement politiques. Pierre-Benoît JOLY et Alain KAUFMANN reviennent sur les travaux concernant la démocratie technique, notamment - mais pas seulement - dans le champ des études des sciences et des techniques (STS). Ils reprennent et discutent l'idée de "subpolitique" propre à Ulrich BECK : le politique (au sens de la fabrication d'un monde et d'un destin communs) se fabrique dans les lieux qui ne sont pas traditionnellement considérés comme politiques, notamment les lieux de production des technosciences. Ce déplacement des lieux de production du politique n'est pas sans rappeler les études concernant la gouvernementalité.

 Les coordinateurs du colloque semblent en fin de compte bien moins optimiste que Ulrich BECK :

"Nous ne vivons plus dans la société du risque telle que l'observait et la concevait Beck et n'y avons à certains égards jamais vécu. Ni le passé ni le présent ne permettent en effet de soutenir l'idée d'une modernité devenue réflexive dans la seconde moitié du XXe siècle, consciente des risques qu'elle produit, affrontant désormais les dangers en toute lucidité." ils indiquent que nombre des participants à celui-ci suggèrent même de remplacer le "risque" par la "menace". Entre la finitude des ressources indispensables aux activités économiques telles que le connait l'Occident et ses imitateurs et l'épuisement de capacités de régulation du système biosphère, c'est plutôt un certain ton "catastrophique" qui domine. Même certains scientifiques (parmi ceux qui travaillent au GIEC par exemple, même si les rapports n'en transpirent pas) développent un discours "catastrophiste" qui par ailleurs semble laisser indifférents une bonne de l'opinion publique encore climatosceptique, la majeure partie des industriels et des financiers. "Le divorce entre la raison et le calcul semble totalement consommé, écrivent-ils encore, abandonnant le calcul à des instrumentalisations tous azimuts. Jamais sociétés n'ont en effet accumulé autant de dispositifs rationnels, autant de moyens de calcul, de sciences et de techniques, tout en paraissant aussi déraisonnables, tout en accumulant autant de menaces et de dénis. Tout se passe comme si nous nous employions à fuir ou à bannir le peu de réflexivité dont nous sommes capables."

Heureusement, pensons-nous, il existe encore des conflits à l'issue non obligatoirement déterminée entre ceux qui alertent et ceux qui étouffent, entre tenants d'un autre fonctionnement socio-politque et économique et tenants d'un fonctionnement inégalitaire, surproductif et gaspilleur. Si le pessimisme semble gagner une partie de la communauté scientifique, les luttes sociales, politiques et économiques qu'évoquaient comme faisant partie du passé Ulrich BECK, peuvent encore produire d'autres évolutions...

 

Sous la direction de Dominique BOURG, Pierre-Benoît JOLY et Alain KAUFMANN, Colloque de Cerisy, Du risque à la menace. Penser la catastrophe, PUF, collection Écologie en questions, 2013. David Le BRETON, Sociologie du risque, PUF, collection Que sais-je?, 2012

 

SOCIUS

 

Relu le 13 juin 2021

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18 septembre 2013 3 18 /09 /septembre /2013 11:55

         A l'occasion d'un colloque international de sociologie de l'art (le 12ème, organisé par le Groupe De Recherche International "oeuvres, publics et société OPuS-CNRS en partenariat avec les universités Pierre Mendès france-Grenoble II, la Sorbonne Nouvelle-Paris 3, Paris-Sorbonne et Paris Descartes, entre autres), de nombreux chercheurs font le point en 2008 sur "25 ans de sociologie de la musique en France). L'observateur extérieur ne peut manqué d'être frappé par le fait que non seulement l'art est traité sous l'angle sociologique de manière éclatée, mais qu'également les approches sur la musique (à l'intérieur d'une "discipline" de l'art donc) les approches restent très diverses, sans pour l'instant qu'une vue d'ensemble se dégage, qui pourrait faire comprendre le phénomène musical dans sa place dans la société.

Les auteurs parlent d'ailleurs volontiers, non de la musique, mais des musiques, chacun ayant, une origine, une orientation, une vocation, un impact très différent sur les acteurs sociaux, que ce soit les créateurs eux-mêmes, les diffuseurs ou les auditeurs (les "récepteurs"). Ils revendiquent presque cette attitude tout en appelant des approches globales... Toujours est-il que par rapport à avant 1980, et sous l'impulsion par exemple des études d'Antoine HENNION (Les professionnels du disque. Une sociologie des variétés, Paris, Métailié, 1981) et de Pierre-Michel MENGER (Le paradoxe du musicien. Le compositeur, le mélomane et l'État dans la société contemporaine, Paris, Flammarion, 1983), les recherches explosent... dans tous les sens.

     Ainsi, l'on peut lire dans les Actes de ce colloque des contributions dont l'objet semble isolé de celui des autres, comme Trajectoires d'apprentissage et de professionnalisation des guitaristes de flamenco. Pour une sociologie compréhensive des Mondes musicaux, de Ève BRENEL, Investissements, profits et trajectoires professionnelles des musiciens de musiques amplifiées, de Gildas DE SÉCHELLES, Le disque comme document historique. Une analyse quantitative de l'usage du refrain dans les albums de rap en français (1990-2004), de Karim HAMMOU ou encore comme 1910-2010 : Faut-il fêter le centenaire de la Sociologie de la musique de Max Weber?, de Emmanuel PEDLER et Sociologie du goût et vecteurs de la popularité. L'impact de la réception des femmes sur la chanson québécoise des années 1940, de Chantal SAVOIE... Loin de dénigrer une volonté des organisateurs (Emmanuel BRANDI, Cécile PRÉVOST-THOMAS et Hyacinthe RAVET) qui tentent là véritablement de faire le point sur l'évolution de cette sociologie, il faut constater que nous somme loin de visions globales promues par les auteurs de références (cités dans les deux premiers volets de ces Approches de la sociologie de la musique). 

 

     Il faut retenir toutefois les contributions de Danièle PISTONE (Musicologie et sociologie en France, étapes et implantations), (particulièrement) de Charlène FEIGE (Musiques au travail, Ambiguïté entre écoutes choisies et écoutes subies) qui fait référence à une situation sociale peu analysée sur la diffusion de la musique dans les lieux publics et de Jean-Marie JACONO (Pour une sociologie des oeuvres musicales).

 

    Danièle PISTONE, musicologue, relate l'implantation progressive des études universitaires en sociologie de la musique, qui enracinent, depuis les années 1980, solidement celles-ci dans les théories et pratiques sociologiques et dépassent le stade de l'histoire sociale de la musique. "Que nous apportait alors ce nouveau paysage socio-musical? Sans aucun doute d'autres méthodes d'enquête, mais aussi une nouvelle façon d'aborder les protagonistes du monde sonore : pensons notamment aux métamorphoses de l'art de la biographie. Plus que tout, pour les musicologues qui (...) ont vécu ces décennies de l'intérieur de l'institution universitaires. Il s'agissait d'une véritable mutation des corpus et des attitudes de recherche. Loin du culte fétichiste de l'objet artistique qui marquait l'âge structuraliste, lequel permit toutefois l'approfondissement des mécanismes de l'art sonore, ce fut l'élargissement des thèmes et des lieux ; ce fut une mise en harmonie avec un temps, le nôtre, où s'affirmait l'exigence de contextualisation.(...) En marge des Cultural Studies et des gender Studies anglo-saxonnes, et grâce aussi à divers apports étrangers, s'est ainsi édifiée une sociologie de la musique de langue française dirigée tout à la fois vers les formes savantes et les genres populaires, interrogeant aussi bien le marché de la musique, les professions que le travail musical, la construction du goût ou des médiations propres à la musique, la diversité et le sens des pratiques, disant autrement la spécificité de cet objet artistique, des activités liées à la gestion à l'étude des réactions des consommateurs, comme à la psychologie sociale." Elle indique que "le développement de recherches (sur les techniques, langages et musiques en leurs temps) n'a pas toujours été facile. Il est vrai, par exemple, que l'importance du sensible n'a pas toujours rendu bien clairs les rapports entre esthétique et sociologie ou sémiologie et sociologie, alors que le développement des études relatives aux émotions voire à la neuropsychologie, comme au corps du créateur ou de l'interprète, a contribué à implanter toujours mieux le fait artistique dans nos sociétés. Il est certain que l'importance prise par l'observation tire et tirera sans doute toujours davantage le sociologue de la musique vers l'anthropologie, ou du moins vers une socio-anthropologie ou une anthropo-sociologie (suivant la discipline majeure de rattachement) (...)".

 

    Charlène FEIGE, de l'Université Pierre Mndès-France Grenoble II, met l'accent sur "la caractéristique remarquable de la musique actuelle, (son) omniprésence. Elle sillonne le quotidien de chacun d'une manière ou d'une autre. Radio-réveils, parkings souterrains, publicités, voitures, salles d'attente en tous genres, magasins... Elle est partout."

"La seconde moitié du XXe siècle, poursuit-elle, a entériné l'expansion inédite et quasi illimitée de la diffusion musicale. Depuis les années 1960 et l'avènement du rock'n'roll, médias et musique vont de pair. Assemblage lucratif. Depuis, les techniques d'émissions et de productions n'ont cessé d'innover pour, semblait-il, la démocratiser. L'avènement de la numérisation a permis une duplication presque infinie en limitant de manière prodigieuse l'altération de la qualité sonore. Ces nouveaux supports assurent une fois encore une propagation sans borne. Musiques que la plupart du temps nous n'avons ni choisi d'entendre, ni choisi d'écouter, elles s'insinuent dans notre univers auditif et imprègnent notre système journalier. Nous traversons des zones sonores au fil de nos déambulations citadines. Des espaces sonorées s'enchaînent. Dès les années 1920, la technique rend possible la diffusion collective de la musique. Le système d'amplification créé à cette époque rend possible l'écoute musicale à un volume élevé et maîtrisable. En retraçant les débuts de cette diffusion de masse, nous constatons que les cafétiers furent les premiers à utiliser la radio pour animer leurs commerces au début des années 1920. A partir de 1927, le groupe Monoprix généralise la diffusion de musiques d'ambiance enregistrées à tous ses magasins." Les bases de sa recherche étant posées, elle s'attache à cerner les liens qui unissent le travail et la musique dans les usines et les magasins. Elle entend, par cette étude, approcher "quelques usages sociaux actuels de la musique dans une sociologie du quotidien : produit de l'industrie culturelle, thérapie, marketing, affichage identitaire narcissique ou pur plaisir vibratoire.".

 

     Jean-Marie JACONO, de l'Université de Provence, s'interroge sur la nécessité et la possibilité d'une sociologie des oeuvres d'art. "Depuis plus de vingt ans, malgré l'évolution de la recherche, cette question semble toujours d'actualité dans le domaine musical. La plupart des nouvelles analyses du sens des oeuvres se sont en effet placées sous l'égide d'autre disciplines, comme l'herméneutique ou la sémiotique. La sociologie a eu du mal à offrir une orientation théorique et une méthodologie claires de l'analyse des oeuvres musicales, ainsi que de leurs relations à des groupes sociaux. Cette situation s'explique par la pluralité des points de vue théoriques mais, également, par la remise en cause même d'une sociologie des oeuvres, au point que ce domaine reste aujourd'hui mineur dans le champs de la sociologie de la musique. (...) Le problème principal posé à la sociologie des oeuvres est la place accordée au déchiffrement social des phénomènes musicaux. Il n'est pas aisé, en effet, de dépasser des analyses formalistes très répandues en musicologie. Celles-ci ont engendré la séparation entre analyse "interne" centrée sur le matériau de l'oeuvre et sur sa signification et analyse "externe", attachée à la prise en compte des contextes dans lesquels l'oeuvre évolue. Cette distinction a été remise en cause depuis longtemps en sociologie de l'art par beaucoup de chercheurs, dont Jean-Claude Passeron (Le chassé-croisé des oeuvres et de la sociologie, dans Sociologie de l'art, sous la direction de R. MOULIN, 1986). Elle reste pourtant présente en sociologie de l'oeuvre (...). Or, c'est l'articulation entre les dimensions internes et externes (...) qui constitue le véritable intérêt de la sociologie des oeuvres musicales." L'auteur définit les critères, selon lui, qui doivent être pris en compte dans une telle sociologie :

- les réactions provoquées par l'oeuvre ;

- les conditions de diffusion ;

- l'attitude des interprètes ;

- le rôle des pouvoirs ;

- le sujet et le genre de l'oeuvre ;

- le contexte de création ;

- la structure et la problématique de l'oeuvre.

"Depuis trente ans, la sociologie de la musique s'est développée de façon conséquente en France. La majorité des recherche ont cependant tourné le dos à des études de l'oeuvre qualifiées d'approches historiques, esthétiques ou herméneutiques ou de sociologie de commentaires. Il s'agit donc, aujourd'hui,  en tenant compte de ce qui a été produit, de revenir à l'oeuvre en la replaçant dans ses contextes historiques, en partant du principe "qu'une oeuvre musicale est document de civilisation, fragment cristallisé d'une sensibilité généralement partagée et historiquement datée" (M FAURE, L'influence de la société sur la musique, L'Harmattan, 2008). La sociologie de l'oeuvre musicale ne peut être neutre, alors, dans cette perspective. EN interrogeant la valeur et le sens donné aux oeuvres dans des sociétés fondées sur des inégalités, des rapports de dominations et des conflits, elle joue un rôle critique au sein de la sociologie de la musique, comme au sein de la musicologie."

 

Sous la direction de Emmanuel BRANDT, Cécile PRÉVOST-THOMAS et de Hyacinthe RAVET, 25 ans de sociologie de la musique en France, tomes 1 et 2, L'Harmattan, collection Logiques sociales, Série sociologie des arts, 2012.

 

SOCIUS

 

Relu le 14 juin 2021

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