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16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 07:38

           Le terrorisme anarchiste, l'expression même est la dénomination péjorative donnée par les adversaires de l'anarchisme, qu'ils soient socialistes ou étatiques. La dénomination terrorisme est d'ailleurs, lorsqu'elle est utilisée par les "forces de l'ordre" ou des pouvoirs publics de manière plus générale, pour qualifier des actes, la plupart du temps violents - mais pas toujours, illégaux et difficiles à réprimer. Un terroriste pour les uns peut être considéré comme un résistant pour les autres. C'est par essence un terme péjoratif et très connoté, prêtant à toutes les interprétations, mêmes les plus inattendues. Par ailleurs, qui dit terrorisme dit terrorisé, et si la cible du terrorisme est souvent bien identifiée, il n'est pas sûr que l'objectif soit véritablement atteint : la terreur devrait paralyser les adversaires, or les phénomènes constatés vont de l'indifférence tranquille (souvent les médias sont plus terrorisés que le grand public!) à la riposte la plus sévère (qui finalement dessert la cause censée être défendue). Cela est particulièrement vrai pour le terrorisme anarchiste, historiquement très daté et et très restreint.

Par ailleurs, le terrorisme est plus souvent le fait de puissances étatiques ou de groupes dominants, que de groupuscules assez impuissants finalement qui finissent par être isolé (les dommages collatéraux étant parfois plus importants que les effets sur l'objectif...) et s'isolent eux-mêmes (l'action est d'autant plus clandestine qu'elle est passible de répression féroce) de la population et même des alliés potentiels.

Le terrorisme anarchiste, en tout cas par la désignation, est le premier terrorisme des temps modernes, et c'est pourquoi il constitue souvent un prototype de l'action terroriste, alors même que les objectifs des "terroristes" varient du tout au tout.

 

    Il est toutefois précédé dans l'histoire de nombreuses actions "terroristes" : sous la Révolution française (Terreur blanche et Terreur révolutionnaire), sous l'Empire Romain (la terreur des menées républicaines ou impériales dans la capitale, la terreur pratiquée par les armées contre les ennemis, la terreur des esclaves révoltés...) ou sous l'Empire Ottoman (brûler des villages pour s'assurer du paiement de l'impôt et de la docilité de populations jugées turbulentes...)... Le terrorisme d'État, en la matière, précède souvent le terrorisme individuel...

  Mais l'histoire retient aussi, heureusement, que de nombreux actes de résistance, ne sont pas assimilables à de "simples" crimes, malgré toute l'entreprise judiciaire et policière de criminalisation de nombreux actes plus ou moins violents (le vol peut-être considéré comme violent et puni à cette hauteur), particulièrement des actes politiques de résistance contre l'oppression. 

  C'est par la désignation nettement moins péjorative de "Propagande par le fait" que ces formes d'actions violentes sont menées vers la fin du XIXe siècle. 

 

Du terrorisme anarchiste

        Les analogies historiques, estime Henri ARVON qui fait référence à un autre ordre d'idées, entre les différentes formes de crimes, politique et anarchiste, reposent "sur un sophisme".

Il cite l'attentat contre l'empereur Guillaume Ier par BROUSSE, l'un des chefs anarchistes qui se retranche derrière les crimes politiques du passé, l'assassinat de CÉSAR par BRUTUS que PLUTARQUE considère comme le type même du Romain dont le seul mobile d'action est la "vertu", le meurtre de GESSLER par Guillaume TELL, devenu héros national, l'assassinat de MARAT par Charlotte CORDAY, entrée dans la légende...

"il y a, en effet, une différence fondamentale entre le crime politique et le crime anarchiste proprement dit. Le crime politique qui répond à la tyrannie, est, au moins dans l'esprit de celui qui l'exécute, un acte juste dont l'illégalité apparente est excusable, sinon justifiable du fait que la tyrannie rend impossible tout recours à une justice régulière. Au mépris de sa propre vie et sans vouloir retirer de son acte le moindre avantage personnel, le justicier, héroïque et désintéressé, s'érige en vengeur de tous les opprimés en supprimant le tyran dont la cruauté et l'injustice s'opposent au bonheur et à la liberté générale. Il en tout autrement du crime anarchiste. Peu importe que la victime soit coupable, fût-ce aux yeux de son meurtrier seul. On dirait même que le crime anarchiste est d'autant plus parfait que la victime est innocente. Ce qui compte, en effet, c'est de frapper par la terreur l'imagination de la foule. Plus la position sociale de la victime est élevée, plus ce but est atteint. D'autres, raisonnent les terroristes anarchistes, pour faire brèche dans l'édifice social, il faut frapper à la tête. Ne mettant pas leurs espoirs dans les actions de masse, mais estimant que c'est l'individu qui pousse la roue de l'histoire, ils espèrent grâce à des gestes de révoltes spectaculaires tirer les masses de leur apathie et de leur engourdissement, bien plus, ils comptent déchaîner par le caractère odieux même de leurs actes les mauvaises passions, la barbarie latente de la foule afin de faire naître un climat révolutionnaire qui soit propice à leurs desseins. (...). Instruments aveugles de la Révolution, les terroristes choisissent leurs victimes exclusivement en fonction de l'utilité que leur meurtre présente pour la propagande. Toute préoccupation morale ou simplement humaine est absente de cette "propagande par le fait" assurée par des gestes que leurs auteurs qualifient eux-mêmes d'insensés. Il ne semble pas qu'on ait jamais poussé plus loin le mépris de la vie humaine (en cela, pensons-nous, l'auteur se trompe...) ni le cynisme inhérent à l'axiome selon lequel la fin justifie les moyens."

   La propagande par le fait provient du nihilisme russe (d'une partie de ce nihilisme...). L'étudiant à l'Université d'État de Moscou KARAKAZOV (1840-1866) ouvre la série des attentats retentissants, en faisant feu contre Alexandre II en 1865. Mais c'est Serge NIETCHAÏEV (1847-1882) qui théorise cette forme d'action : "La parole n'a de prix pour le révolutionnaire que si le fait la suit de près. Il nous faut faire irruption dans la vie du peuple par une série d'attentats désespérés, insensés, afin de lui donner foi en sa puissance, de l'éveiller, de l'unir et de le conduire au triomphe". (Catéchisme révolutionnaire). En France, les attentats anarchistes les plus célèbres se sont déroulés pendant les années 1892-1894 : Affaire Ravachol, Affaire Vaillant, Assassinat du Président de la République Sadi CARNOT...

 

De l'anarchisme terroriste

      L'anarchisme terroriste est historiquement très circonscrit, comme l'explique Daniel GUÉRIN. Il se situe dans la longue lutte interne dans les organisations ouvrières.

 "Demeurés une faible minorité, les anarchistes renoncèrent à l'idée de militer au sein de larges mouvements populaires. Sous couleur de pureté doctrinale - d'une doctrine où l'utopie, combinaison d'anticipations prématurées et d'évocations nostalgiques de l'âge d'or, se donnait maintenant libre cours - Kropotkine, Malatesta et leurs amis tournèrent le dos à la voie ouverte par Bakounine. Ils reprochèrent à la littérature anarchiste, et à Bakounine lui-même, d'avoir été trop "imprégnés de marxisme". ils se recroquevillèrent sur eux-mêmes. Ils s'organisèrent en petits groupes clandestins d'action directe, où la police eut beau jeu d'infiltrer ses mouchards.

Ce fut à partir de 1876, après la retraite, bientôt suivie de la mort de Bakounine, que le virus chimérique et aventuriste s'introduisit dans l'anarchisme. Le Congrès de Berne lança le slogan de la "propagande par le fait". Une première leçon de choses en fut administrée par Cafiero et Malatesta. Le 5 avril 1877, sous leur direction, une trentaine de militants armés surgirent dans les montagnes de la province italienne de Bénévent, brûlèrent les archives communales d'un petit village, distribuèrent aux miséreux le contenu de la caisse du percepteur, tentèrent d'appliquer un "communisme libertaire" en miniature, rural et infantile, et, finalement, traqués, transis de froid, se laissèrent capturer sans résistance.  Trois ans plus tard, le 25 décembre 1880, Kropotkine clama dans son journal, Le Révolté : "La révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite (...), tout est bon pour nous qui n'est pas de la légalité." De la "propagande par le fait" aux attentats individuels, il n'y eut plus qu'un pas. Il fut vite franchi.

Si la défection des masses ouvrières avait été une des causes du recours au terrorisme, en contrepartie, la "propagande par le fait" contribua, dans une certaine mesure, à réveiller les travailleurs assoupis. Comme le soutint Robert Louzon dans un article de la Révolution Prolétarienne (novembre 1937), elle a été "comme le coup de gong, qui releva le prolétariat français de l'état de prostration où l'avaient plongé les massacres de la Commune (...), le prélude à la fondation de la CGT et du mouvement syndical de masses des années 1900-1910". Affirmation quelque peu optimiste, que rectifie, ou complète, le témoignage de Fernand Pelloutier, jeune anarchiste passé au syndicalisme révolutionnaire : pour lui, l'emploi de la dynamite a détourné les travailleurs, pourtant combien désabusés du socialisme parlementaire, de faire profession de socialisme libertaire ; aucun d'eux n'osa se dire anarchiste, de crainte de paraître opter pour la révolte isolée au préjudice de l'action collective. 
La combinaison de la bombe et des utopies kropotkiniennes fournirent aux social-démocrates des armes dont ils ne manquèrent pas d'user contre les anarchistes."

 

    Comme aujourd'hui avec le terrorisme "islamique", la simultanéité des attentats dans plusieurs pays "donna l'impression qu'une puissance "Internationale noire" était à l'oeuvre", rappelle Rice COOLSAET.  "En Russie, un important foyer d'agitation, l'attentat de 1881 contre le tsar Alexandre II et d'autres actions de la Narodnaya Volya (Volonté du peuple) servirent de source d'inspiration aux anarchistes de l'Europe entière. La violence terroriste n'épargna pas non plus les États-Unis : dans une atmosphère sociale tendue, le président William McKinley fut assassiné par l'anarchiste Léon Czolgosz en septembre 1901. Pour les autorités comme pour l'opinion publique, il était évident que l'Amérique était à son tour confrontée à une nouvelle menace internationale." Contre cette menace, il y a même formation d'un début de mouvement de défense des États concernés... "C'est ainsi que s'ouvrit à Rome, le 24 novembre 1898, la conférence internationale pour la défense sociale contre les anarchistes. (...) Les 21 pays participants décidèrent unanimement que l'anarchisme ne devait pas être considéré comme une doctrine politique et que les attentats perpétrés par ceux qui s'en réclamaient constituaient des actes criminels permettant l'extradition. Toutefois, cette vibrante unité internationale n'eut guère de suites concrètes. On intensifia la coopération des polices, mais dans la pratique, les gouvernements conservèrent toute liberté d'extrader ou non les anarchistes étrangers." Parce que tout simplement, le terrorisme anarchiste décline déjà à l'orée du XXe siècle. "Aux yeux de ses contemporains, l'Internationale noire représentait une organisation insaisissable, entourée d'une aura de puissante force révolutionnaire. En réalité, elle n'existait que dans l'imagination de la police et de la presse."

 

Le professeur à l'Université de Gand (Belgique), auteur de Le Mythe Al-Qaida. Le terrorisme, symptôme d'une société malade (Editions Molas, 2004), explique que :

- "...vers 1909, la violence anarchiste s'éteignit presque totalement. D'une part, des dirigeants comme Pierre Kropotkine se rendirent compte que les actes de terreur ne débouchaient pas sur des changements, et même que la stratégie choisie devenait autodestructrice. Chaque attentant éloignait en effet davantage les anarchistes de la classe laborieuse, au nom de laquelle ils prétendaient agir. Non seulement le terrorisme n'affaiblissait pas l'État, mais il renforçait le pouvoir de la police, de l'armée et du gouvernement. ;

- "...une autre voie se dessina, qui permit à la classe ouvrière de s'exprimer. Entre 1895 et 1914, le mouvement ouvrier organisé et les syndicats exercèrent une énorme attraction sur les anarchistes. Le socialisme offrait aux travailleurs une dignité personnelle, une identité propre, et par conséquent une place à part entière dans la société. (...) La voie légale et constitutionnelle se révéla plus efficace pour arracher un certain nombre de droits politiques et sociaux, ainsi que des améliorations économiques". Ceci de manière variable suivant les pays, l'agitation anarchiste terroriste persistant dans ceux où le monde ouvrier resta opprimé et dépourvu de représentations politiques (Russie, Balkans, Espagne...).

 

Rice COOLSAET, Au temps du terrorisme anarchiste, Le Monde diplomatique, Septembre 2004. Daniel GUÉRIN, L'anarchisme, Gallimard, 1965. Henri ARVON, L'anarchisme, PUF, Que sais-je?, 1971.

 

PHILIUS

 

Relu le 14 mai 2021

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31 mai 2013 5 31 /05 /mai /2013 12:19

            Laurent GERBIER, Maître de conférences en histoire de la philosophie à l'Université François-Rabelais de Tours, dans la présentation d'actes d'une journée d'étude, examine l'idée d'empire à l'épreuve de la territorialité. Les travaux du Centre d'études supérieures de la Renaissance de Tours de mai 2010 permettent d'éclairer un aspect important sur l'existence et la sauvegarde d'un Empire.

Sous l'angle de la domination territoriale, les participants, spécialistes venus de disciplines diverses (histoire, philosophie, géographie, études italiennes...), réfléchissent sur la difficulté de la domination au XVIe siècle dans le cas de l'Empire de Charles Quint, "confronté à la multiplicité éclatée de ses possessions continentales et, dans le même temps, à l'exigence inédite d'avoir à intégrer dans cette mosaïque la domination des territoires conquis dans le Nouveau Monde." Bien entendu, le dimension territoriale de la domination qu'implique l'idée d'empire n'attend pas le XVIe siècle pour manifester son caractère problématique. Au contraire, estime Laurent GERBIER, "on peut soutenir que l'idée d'empire comporte dès l'époque romaine un rapport complexe à la territorialité en général. 

   Cela pourrait être une problématique un peu dépassée au début du XXIe siècle, mais précisément, la possibilité pour un empire d'avoir des territoires éclatés sur la planète pose encore question, à l'heure où les moyens de communication n'apparaissent pas toujours suffisants pour maintenir un pouvoir impérial, même économique, sur de vastes étendues dispersées. L'exemple de l'empire américain apparaît bien, avec ses difficultés de plus en plus grande de se maintenir en tant que puissance réelle dans tous les domaines, même si sa nature diffère des empires qui l'ont précédé. L'exemple de morceaux d'empire comme ceux des empires français et britannique est là aussi pour montrer la difficulté qu'il y a de sauvegarder des liens politiques, économiques, voire sociaux par delà de vastes étendues...

Laurent GERBIER explique en plusieurs points cette problématique :

- "Dans un premier temps, il faut rappeler que l'empire dans sa conception romaine est pris dans le cadre d'une distribution des pouvoirs (imperium, dominium, maiestas) qui correspond à une double distinction : distinction des formes de pouvoir, mais également distinction des instances qui les détiennent. Cependant l'imperium proprement dit connait lui-même deux formes, que distingue précisément leur dimension territoriale : l'imperium domi (exercé par le Sénat) s'oppose à l'imperium militae (sxercé par le chef de guerre), et tous deux sont mutuellement exclusifs - d'où par exemple, le caractère si fort du symbole du franchissement du Rubicon par César. Le sens ultime de cette distinction est la protection des iura, qui ne doivent pas pouvoir être soumis au pouvoir de l'imperator en campagne, parce que ce dernier les transgresse nécessairement (on n'est pas étonné de voir une telle conception particulièrement bien mise en évidence par Tacite (Annales, III, 69 : "La justice perd tout ce que gagne le pouvoir, et il ne faut pas recourir à l'imperium là où les lois peuvent agir"). 

- A partir du Ier siècle, c'est le repliement de la maeistas sur l'imperium qui forme le socle du concept médiéval d'Empire : la maiestas, dont la République considérait qu'elle était détenue par le peuple tout entier, se trouve désormais transférée au souverain, au point de permettre à l'empereur de s'appliquer une formule, "imperator maiestas" qui eût été contradictoire dans ces termes sous la République. Cependant, il faut noter que l'empire comporte toujours une dimension territoriale sous deux rapports :

a) d'un côté, l'imperium remplit une fonction de gestion de la politique extérieure, comme le montre Paul Veyne, qui souligne que l'empire exprime la volonté d'occuper tout l'horizon politique, de sorte que Rome ne connaisse ni rivaux ni menaces (L'empire romain, dans Le concept d'Empire, sous la direction de M. Duverger, PUF, 1980) ;

b) d'un autre côté, l'imperium permet techniquement de définir la supervision d'une multiplicité d'États.

C'est le sens hégémonique de l'idée d'empire, que l'on retrouve chez Isidore de Séville (Etymologies, IX, 3.2 : "l'empire est ce qui se rapporte à divers autres royaumes et à divers autres rois comme à des dépendances", Les Belles Lettres, 1984).

- Cependant, l'affirmation de cette signification hégémonique (et territoriale), que Pierre Grimal fait remonter au Ier siècle (L'empire romain, Livre de poche, 1993), correspond aussi à une forme de centrage territorial (...) qui finit par aboutir à une disparition de la territorialité réelle : il s'agit toujours de viser une monarchia mundi qui se veut sans dehors, de sorte qu'après la conquête l'empire devient, comme le dit Pierre Veyne, une machine destinée à "liquider une bonne fois le problème de la politique étrangère".

- Cette disparition de la territorialité réelle que l'on peut diagnostiquer comme telos de la notion romaine d'imperium se retrouve, différemment articulée, dans les formes médiévales de l'Empire. En effet, l'usage de l'idée d'empire dans les théories politiques qui accompagnent le grand conflit du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel au Moyen Age a tendance à déterritorialiser l'empire pour deux raisons :

a) parce qu'il est saisi dans sa nature de pouvoir temporel (vis spirituel) et non spatial : c'est, au début du XIVe siècle, le sens de l'empire dans le De Monarchia de Dante, dans lequel l'empire est avant tout pensé comme une époque de l'histoire universelle (La Monarchie, Belin, 1993) ;

b) parce que sa multiplicité est fonctionnelle et plus spatiale : c'est, à la même époque, le sens de l'empire chez Marsile de Padoue (Le Défenseur de la paix, Vrin, 1968), qui s'intéresse à une forme de gouvernement de la multitude dans lequel cette dernière n'est pas assignée spatialement mais fonctionnellement, à partir des besoins, des habitus et des offices qui structurent le regnum (l'empire se définit comme rapport des volontés et de leurs expressions instituées)

- La reprise du thème impérial sous le point de vue de la "monarchie universelle", qui traverse du XIIIe au XVe siècle un vaste courant millénariste et prophétique auquel Dante lui-même n'est pas étranger, peut alors approfondir le mouvement dont Paul Veyne voit le point de départ dans le glacis des peuples fédérés par Rome entre le IIe et le IVe siècle, mouvement qui consiste au fond à annuler la territorialité de l'empire par le concept même de son universalité : l'empire est, politiquement comme spirituellement, une domination sans dehors.

- Dans un troisième temps, vient la renovatio imperii (qui est aussi une renovatio théorique) sous le règne de Charles Quint. Les empereurs que Dante ou Marsile de Padoue défendaient au début du XIVe siècle avaient toujours échoué à faire de la reconquête territoriale de leurs multiples possessions un fait politique (depuis le diplôme de Constance, arraché par les cités italiennes en 1183, les tentatives de mainmise impériale sur le regnum italiae ont toutes été sans lendemain).

- On peut alors considérer qu'avec Charles Quint, c'est d'une certaine façon la composante territoriale de la domination impériale qui revient au premier plan. Peut-être un des enjeux de la querelle historiographique qui a opposé, dans la première moitié du XXe siècle, les tenants d'un empire "médiéval-germanique" (Karl Brandi, Peter Rassow), et ceux d'un empire "espagnol-catholique" (au premier rang desquels Ramon Menendez Pidal) tient justement à l'appréciation de cette "re-territoirisation" de la domination impériale qu'illustre le règne de Charles Quint et, à travers lui, la pensée de l'imperium au XVIe siècle.

- Ainsi, parce que Charles règne sur 17 États et territoires différents, parce que la douloureuse rivalité avec François Ier et l'omniprésence de la question du contrôle de l'Italie contribue à accoucher de la "balance territoriale de l'Europe" comme problème central de la pensée politique du XVIe siècle, parce qu'enfin la découverte du Nouveau Monde destitue instantanément l'universalité spatiale de l'empire tout en lui imposant un nouveau problème territorial, la question de la domination territoriale constitue un enjeu crucial, en tant que cette conception et cette représentation sont dotées d'une efficacité politique."

 

Laurent GERBIER, L'idée d'empire à l'épreuve de la territorialité, Dossier sur Empire et domination territoriale, Astérion, 10/2012, en ligne http://asterion.revues.org.

 

STRATEGUS

 

Relu le 18 avril 2021

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16 mai 2013 4 16 /05 /mai /2013 13:06

     Pour expliquer les très grandes différences, de plus en plus sensibles dans le temps, entre les évolutions chinoises et européennes en matière de pensée et de pratique stratégiques, Alain JOXE nous donne matière à réflexion dans son Voyage aux sources de la guerre. Il faut remonter assez loin dans le temps, bien plus en arrière que la dernière dynastie impériale, pour pointer des caractéristiques millénaires. 

"On n'a pas le même stock, écrit-il, d'informations historiques et archéologiques sur l'aube de la civilisation chinoise que sur la genèse de Sumer". Ce qui oblige, malgré toutes les récentes découvertes archéologiques dans cette partie de l'Asie, à effectuer une reconstitution théorique dont il faut ensuite, à la lumière de l'histoire de la Chine, tester la validité. Il s'agit de s'appuyer sur des récits à moitié mythiques, mais significatifs, pour découvrir l'importance de la maîtrise des eaux et de la sécheresse dans l'émergence de l'État, de la discipline sociale et de la guerre. Les codes de formation et d'expansion d'ensembles politiques s'articulent sur les contraintes spatio-temporelles proposées par les formes fluviales, comme 'on le voit dans les cas de Sumer et de l'Égypte. A partir du constat du relief de la Chine et de ces contraintes physiques qui demeurent au long des siècles, Alain JOXE reprend de grandes conclusions des études de Marcel GRANET (La civilisation chinoise, Albin Michel, 1948) : "Affronté aux "soulèvement des grandes eaux", c'est-à-dire au déluge, (YU LE GRAND, fondateur légendaire de la première dynastie chinoise des Hia, du début du IIe Millénaire à 1520 av J-C.) ce héros civilisateur apparaît (...) comme préoccupé par (...) un débat d'un intérêt tout administratif" : faut-il préférer la méthode des digues à celle des canaux? (...). Mais le débat est si abstrait que, dans un sens, il n'a pas d'époque ; il n'est donc pas administratif, mais proprement stratégique :

- les digues "guident les fleuves vers la mer", luttent contre l'inondation, et concernent l'aval ;

- les canaux visent la régularisation des eaux de l'amont, et luttent contre la sécheresse ;

- les canaux, sans doute, peuvent aussi, à certains niveaux, drainer l'excès des eaux, assécher les marais. Mais ce sont là des canaux tactiques. Un marais asséché, étant terre basse, doit être toujours protéger contre les crues par une digue stratégique.

On voit apparaître ainsi deux premières orientations stratégiques essentielles, correspondant respectivement à l'Est (amont) sec, exigeant l'effort et à l'Ouest (aval) humide, l'axe de la bienveillante passivité (...)".

  L'hydraulique spectaculaire parait l'essentiel de la fonction économique royale, mais n'est pas la seule activité structurante de la civilisation chinoise, "ou, plutôt, elle est la métaphore civile de l'activité conquérante : la colonisation et l'organisation du travail sur le plateau est une autre direction de l'administration des hommes et des biens et elle est en relation avec l'organisation pionnière militaire, puisque les plateaux, autant que les plaines marécageuses de l'aval, sont les lieux de la barbarie tribale." Faisant appel de nouveau au récit mythique, Alain JOXE, et ceci est assez cohérent avec ce que nous montre l'archéologie de nos jours, relate qu'il existe une organisation de l'espace cultivé sur un mode communautaire et stéréotypé, en parcelles carrées, que l'on retrouve dans l'organisation symbolique de l'espace à l'intérieur et autour du palais royal.

     "Le principe unitaire du culte des ancêtre lie alors toute la société en un système de pouvoir assez élémentaire fondé sur les rapports de parenté au souverain et l'allégeance religieuse au représentant de cette unité gentilice chargée d'intercéder entre le Ciel et la Terre. ce modèle était "non conquérant" stratégiquement, dans le sens qu'on pratiquait l'immolation des prisonniers de guerre barbares (au lieu de les réduire en esclavage) et qu'on se coupait ainsi la possibilité d'une extension par agrégation des vaincus. Quoique foyer de rayonnement pour le développement de l'agriculture, il touche alors à des limites et on a pu dire que son expansion avait provoqué sa chute." "La forme des extensions le long des fleuves, dans un pays très montagneux, laisse donc subsister des barbares en taches, et la barbarie en taches est aussi l'une des conditions objectives pour la multiplication des souverainetés étatiques en taches."

"les Chinois ont conservé la même dynastie impériale (l'auteur veut dire la même forme de dynastie impériale) comme symbole d'unité religieuse tout au long d'une "période intermédiaire" correspondant à une grande dispersion de la souveraineté et à une expansion a-centrée de l'espace de civilisation, puis à une re-concentration en États presque nationaux". Alain JOXE  discute alors de la troisième dynastie chinoise, celle des Zhou (1027-256), mais il semble bien que nous retrouvons, jusque dans la dernière dynastie mandchoue ces mêmes caractéristiques. C'est à l'époque des Zhou, semble t-il, que se forme des critères essentiels dans la civilisation chinoise. Dans l'économie générale de la souveraineté, la dynastie Zhou "gère l'extension d'un modèle de semi-privatisation des exploitations" (ceci à partir du modèle communautaire précédent).  Politiquement, "il y a une semi-privatisation de la souveraineté : le partage de ses conquêtes en apanages et en fiefs."

  "Le critère du religieux devient bien politique, mais, en outre, se sépare définitivement du critère militaire et se l'asservit consciemment. Le critère militaire de la domination par la force est cantonné dans l'instrumentalisation frontalière, hors souveraineté. Ces différences paradigmatiques sont fondatrices d'un autre rapport de l'État à la conquête. Le royaume grandit comme extension d'un modèle culturel plus que comme effet de la domination militaire." Dans la période des Printemps et des Automnes, "il y a disparition de l'échelle militaire de la souveraineté impériale, sans disparition de son échelle religieuse." Au fur et à mesure que l'on passe d'une dynastie à une autre, ces critères se confirment. Au triomphe de Qin, qui voit l'agrégation à la Chine des bases de départ de l'État périphérique qui envahit l'ensemble à l'issue d'une période de désordres marquant la fin d'une dynastie, ce processus est aussi à l'oeuvre.

"La Chine s'augmente, à plusieurs reprises, des bases de départ d'envahisseurs frontaliers successifs, et elle pratique également l'expansion par colonisation pionnière. Moyennant quoi, elle finit par occuper l'espace qui est le sien aujourd'hui, sans avoir fondamentalement modifié une représentation globale du monde extérieur construite au néolithique. C'est le modèle même de la prise de contrôle de Qin. Cet État constituait un monde marginal, pionnier, conservant à l'abri de ses montagnes des traits de civilisation archaïque, une certaine vertu antique, profondément marquée par l'idéologie rigide et totalitaire de l'école des "légistes" pour qui tout pouvoir découlait de l'application stricte et sans compromis des récompenses et des châtiments fixés par la loi, méthode de dressage déterminant dans le peuple des réflexes d'obéissance infaillible." La fondation l'Empire par les Qin s'appuie sur un pouvoir militaire et une discipline interne totalitaire propres à l'État de Qin. Mais elle a été précédée, dans toute la période des "Royaumes Combattants", d'une réflexion sur la souveraineté universelle, la paix et la guerre, le rapport entre la société et la violence, bref par une agitation intellectuelle frénétique née de la compétition entre doctrines au service de la compétition entre États. On a, dans cette Chine plurielle et pourtant unifiée, l'équivalent de ce que fut le miracle de l'apparition de la philosophie dans le monde agité des citées grecques (...)."

  "L'Empire Qin fonde ainsi son pouvoir, non pas sur le seul triomphe instrumental de l'école des légistes, mais sur un terreau idéologique aussi riche et contrasté que celui qui surgit avant l'avènement des royautés héllénistiques et leur unification sous l'égide de Rome, en Occident. Dans cette pensée philosophique chinoise qu'on peut définir, à partir d'un pôle taoïste commun, comme un débat entre le confucianisme et l'école des légistes, la pensée de la guerre joue un rôle essentiel et se développe d'une manière très spécifique comme pensée stratégique totale." 

   Les éléments décrits par Alain JOXE, qui poursuit par ailleurs sa réflexion plus avant sur la forme de la pensée chinoise de la guerre, se retrouvent assez bien, des siècles plus tard, sous les Qing, et constituent de véritables constantes stratégiques. Bien entendu, de telles constantes stratégiques subissent au XIXe et singulièrement au XXe siècle, de grandes distorsions, et sans doute va t-on assister au XXIe siècle à de grandes transformations. L'ouverture de la Chine aux idées extérieures provoque une certaine corrosion de ses principes les mieux ancrés, mais il n'est pas certain, au vu des contraintes géographiques qui demeurent (mais les changements climatiques vont bientôt probablement changer beaucoup de donnes stratégiques), il n'est pas certain que de nouvelles conceptions soient plus probantes (efficaces pour les acteurs) que les anciennes...

 

Alain JOXE, Voyage aux sources de la guerre, PUF, 1991.

 

STRATEGUS

 

Relu le 29 avril 2021

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14 mai 2013 2 14 /05 /mai /2013 08:20

      Le général de la dynastie des Ming écrit, directement inspiré par ses campagnes militaires, notamment contre les pirates japonais ou chinois, des ouvrages sur l'art militaire qui font références longtemps après lui.

Ses ouvrages sont considérés comme la quintessence de la défense des frontières, maritimes ou terrestres. Réédités à plusieurs reprises sous la dynastie des Qing, après les guerres de l'opium, alors que l'Empire devait faire face aux incursions redoutables des "barbares occidentaux", puis dans les années 1930 alors que la Chine du Kuomintang se trouve menacée par l'invasion japonaise de la Mandchourie. Ces rééditions multiples en temps de crise mettent d'ailleurs en évidence la difficulté des stratèges chinois à effectuer un véritable saut conceptuel face à des défis dont la radicale nouveauté n'est pas perçue. Des extraits des ouvrages de QI JIGUANG sont publiés plus tard encore en 1942 dans le Jun sheng zazhi par les communistes réfugiés à Yan'an. QI JIGUANG est également édité au Japon en 1798 et en 1856 ainsi qu'en Corée (Valérie NIQUET)

 

   Brillant général, il a rédigé principalement deux ouvrages sur la stratégie militaire : le Ji Xiao Xin Shu et enregistrement de l'instruction militaire, outre un grand nombre de poèmes et de proses, compilées dans la collection de Zhizhi Hall (d'après le nom de sa salle de lecture pendant son séjour à Jizhou). 

 

Ji Xiao Xin Shu

   Le Ji Xiao Xin Shu, pouvant être traduit par  Enregistrement des techniques efficaces, est un livre de stratégie, mais en fait surtout de tactique et d'entraînement militaire, outre de nombreux autres aspects. Il y fixe également certaines normes pour la forge d'armes, constatant de nombreuses falsifications (courantes à l'époque) sur les armes qui circulent en Chine. Il présente dans cet ouvrage la formation de canard mandarin, formation de combat composée d'une unité de onze soldats et d'une personne pour la logistique. 

Il existe deux éditions du Ji Xiao Xin Shu : une première édition, écrite vers 1560-1561, de 18 chapitres et une seconde, de 14 chapitres, mais avec un contenu renouvelé. Il est publié en 1584 au moment de la retraite du général QI JIGUANG. 

 

Une carrière militaire au sommet contre les pirates

   Dès sa nomination en 1546 dans la garnison de Deng Zhou (ville de Penglai dans la province de Shandong), garnison côtière située au bord de la mer de Chine, il réforme son organisation. Comme à l'habitude, la majeure partie des troupes (70%) se voient chargés de la culture de la terre pour subvenir aux besoins de toute la garnison. La double fonction de cultivateurs et de soldats en fait, comme d'ailleurs le constatent de nombreux autres auteurs, de mauvais cultivateurs et de mauvais soldats. De plus, les soldats ont tendance à tisser des relations économiques avec l'entourage et avec parfois... les pirates qu'ils sont chargés de réprimer... Le général constate que de mauvaises habitudes se sont installées dans la troupe : la corruption, la paresse et la passivité. Il décide de lutter contre ces habitudes en instaurant une discipline (qui semble féroce de nos jours...) et une ambiance combative et de confiance envers la hiérarchie. Il a compris depuis toujours que le moyen le plus efficace pour se faire respecter des hommes est de se donner en exemple. Ainsi il refuse de se prêter au jeu des promotions contre de l'argent. Dans ses affectations suivantes, il continue de faire régner l'ordre et la discipline, de manière impitoyable, met en place des reconnaissances régulières dans la région et se fait aider localement pour les techniques de défense propre au terrain. Ainsi quand il est affecté à Jizhou en 1548, il s'informe sur la conduite des opérations militaires en plaine. 

  Ses premières réflexions militaires prennent forme lorsqu'il analyse les raisons de l'efficacité militaire des pirates : comme d'autres écrivains chinois, il est impressionné par la discipline stricte que les envahisseurs pouvaient imposer à leurs combattants dans l'action comme au campement. Les pirates plus que les mercenaires recrutés à titre temporaire se distinguaient par l'uniformité de leur habileté militaire. A l'inverse de ce qui se passait lors des soulèvements de paysans chinois, ils infligeaient de fréquentes défaites aux forces gouvernementales dont la supériorité en nombre était écrasante. Cette invincibilité des japonais reposaient sur leur habileté dans le maniement d'armes de combat rapproché et un travail d'équipe dans de petites unités n'excédant pas une section ou une escouade. Les responsables militaires chinois, après avoir recruté des hommes habiles capables de performances acrobatiques, s'aperçurent que le problème était plus fondamental.

Les armées chinoises n'avaient aucun sens de certaines tactiques de base : "Les nombreuses batailles que j'ai livré ces dernières années me donnent l'impression que les pirates s'arrangent toujours pour s'installer sur des hauteurs pour nous attendre. Ils tiennent généralement jusqu'au soir au moment où nos soldats se fatiguent, et alors ils s'élancent. Ou bien, quand nous nous retirons, ils nous surprennent, quand le pas est rompu, et lancent leur contre-attaque. il semble qu'ils parviennent toujours à utiliser leurs unités quand elles sont fraîches et fougueuses pour faire peur à nos soldats. Beaucoup portent des miroirs. Leurs lances et les épées étincellent au soleil tant elles sont polies. Nos soldats vivent donc dans la terreur pendant les heures qui précèdent le contact."

Ce qui amène le général à perfectionner sa technique du commandement, à tourner le dos aux familles héréditaires et aux colonies militaires, à recruter des volontaires dans d'autres districts, à former ces nouvelles recrues dans la discipline de combat. Il a beaucoup à faire avec ses hommes sur le terrain d'entrainement. Comme les japonais, il concentre son attention sur les armes de combat rapproché et sur le travail en équipe. Chaque escouade doit coordonner l'utilisation des armes courtes et longues, offensives et défensives. Une escouade, composée symétriquement, appelée formation de canards mandarins, permet de faire réellement face aux pirates. Des deux soldats porteurs de boucliers armés d'épée, celui de droite portait le long bouclier, chargé de maintenir la position avancée. L'homme de gauche au bouclier rond devait lancer des javelines, ramper sur le sol jusqu'à ce qu'il atteignit l'ennemi qu'il devait amener par ruse à découvert. Cela fait, les porteurs de bambous maintenaient les adversaires à une distance qui permettait aux lanciers d'agir plus facilement. Les deux derniers soldats gardaient les flancs et l'arrière et, quand c'était nécessaire, ils fournissaient une seconde ligne de frappe. Leurs armes en forme de fourches ne pouvaient pas toutefois être manoeuvrées de façon à tromper l'ennemi. Les armes à feu, dans la réflexion du général, ne prennent pas une grande importance, sauf dans le cadre de l'installation de canons à bord de bateaux en nombre suffisant pour intercepter les vaisseaux des pirates avant qu'ils n'abordent le rivage. 

 Plus tard, dans les combats en plaine, il n'entre jamais une grande part d'organisation stratégique dans ses opérations. Son corps de volontaires demeure essentiellement tactique. Avec des armes à feu qui ne jouent pas un rôle important au combat, et des charges de cavalerie que les rizières du sud rendent impossible, il n'y a aucune chance de donner libre cours à l'utilisation combinée des diverses armes dans le combat. 

    Après les victoires obtenues le long du littoral au sud-est de la Chine, les Wokou, ayant de plus en plus de mal à piller ces régions côtières, se sont dispersés pour ne plus représenter qu'un épiphénomène. Depuis 1566, il y a de moins en moins d'alerte : les crises des Wokou se sont apaisées.

A cette époque, le général QI ne s'occupe plus uniquement des provinces du Zhejhang et du Fujian mais aussi des provinces du Guangdong et du Jiangxi. De ce fait, il est orienté vers la lutte contre les bandits de montagne. Mais pour l'empereur de Chine, les bandits de montagne, bien que nombreux, ne causent pas de menaces sérieuses pour le trône. En revanche, les tartares, les mongols situés le long de la frontière Nord de la Chine qui manifestent de plus en plus d'agressivité envers l'Empire, deviennent le souci principal.

 

Des recommandations peu suivies par le pouvoir impérial

     Dès son arrivée à cette frontière, QI JIGUANG communique son analyse à la Cour de l'Empereur : pour lui, la lutte contre les tartares est très différent de celle menée contre les Wokou :

- les tartares sont souvent beaucoup plus nombreux et attaquent la plupart du temps à plusieurs centaines de milliers (sic) ;

- les tartares ne sont pas des fantassins, mais des cavaliers très agressifs et rapides ;

- les tartares ne sont pas limités dans leurs actions par la succession des saisons comme l'étaient les Wokou ;

- l'existence d'une frontière très étendue entre le territoire mongol et la Chine implique pour les Chinois le maintien d'une ligne de défense cohérente très difficile. Lorsque les tartares se rassemblent pour attaquer en un point choisi, les soldats de l'empire Ming, faute de pouvoir se regrouper et converger dans de très courts délais, sont souvent en nombre insuffisant pour empêcher le franchissement de cette frontière ;

- malgré le fait que les troupes de Ming possèdent des armes à feu, ils se trouvent souvent contre le vent, ce qui rend l'utilisation de ces armes moins efficace.

   Le général souhaite former une nouvelle armée de 100 000 hommes dont la grande moitié sera composée de cavaliers afin de pouvoir lutter contre les envahisseurs d'une façon efficace. Ainsi, même s'il n'arrive pas à tuer tous les tartares, au moins il arriverait à défendre les frontières. S'il ne peut même pas avoir 50 000 hommes, alors 30 000 c'est le minimum, sans pouvoir garantir qu'il réussira à chasser les tartares, ce format au moins lui permettra de renforcer les postes de garde et de remplacer les soldats âgés. Il explique ses choix sur le recrutement des soldats et sur la procédure du recrutement, la réquisition des troupes, la fabrication des armes et des chariots, l'entraînement des troupes avec la règle des récompenses et des punitions bien définie. 

Mais ses avis ne sont pas pris en considération et au lieu d'être chargé de l'entraînement des troupes, il est nommé à un poste de vice-conseiller dans un état-major de la capitale. Ce n'est en 1568 qu'il obtient une telle charge (aux environs de Pékin), mais avec seulement 30 000 hommes. Deux raisons essentielles conduisent à cela :

- l'empereur ne peut pas se permettre d'autoriser à qui que ce soit de posséder une grande armée dans des régions si proches de la capitale ;

- la trésorerie de la Cour n'est pas bien approvisionnée et toutes les demandes d'augmentation de budget ne peuvent être satisfaites. 

Il écrit "que la solution ne se trouve pas dans les frontières lointaines mais à l'intérieur de la Cour et que le problème essentiel ne provient pas des fonctionnaires civils ou militaires, mais des discussions incessantes et les entraves qu'elles provoquent."

Malgré tous ces obstacles, JI JUGUANG commence son entraînement et crée par la suite tout un système de défense contre les tartares :

- la création d'un régiment de chariots et de cavalier ;

- la restauration des tours de guets, des murailles et des postes de contrôles ;

- l'amélioration des équipement et des armes ;

- la conception d'un système de défense complexe et complémentaire. 

Durant les 15 ans passés à Jizhou (1568-1583), il remplit sa mission : défendre la population, chasser les envahisseurs. Avec quelques affrontements avec les tartares, mais ces derniers n'ont jamais réussi à franchir la ligne de défense et à piller les terres comme ils le faisaient auparavant. Moins de victoires, mais une certaine paix. Il accomplit ce qui est le but suprême de tout stratège chinois : vaincre sans combattre. (Jean-Marie GONTIER)

 

Jean-Marie GONTIER, Qi Jiguang, un stratège de la dynastie Ming (1528-1587), Institut de Stratégie et des Conflits (ISC-CFHM) (www.institut-strategie.fr), septembre 2012. Valérie NIQUET, Théoriciens chinois, dans Dictionnaire de stratégie, PUF, 2000.

 

Relu le 1 mai 2021

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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 11:51

       La réussite de la dynastie Qing est à mettre en regard des difficultés rencontrées par les dynasties précédentes, alors qu'elle est confrontée, d'une certaine manière aux mêmes situations globales : immensité du territoire, faibles assises idéologiques, divisions persistantes entre ambitions à l'intérieur, menaces extérieures également persistantes, révoltes paysannes fréquents du fait des disettes ou des niveaux trop élevés d'impôts, critiques des lettrés qui "monnayent" fortement leurs soutiens...

 

Chine du Nord, Chine du Sud...

       La conquête mandchoue de 1644 démontre encore une fois qu'il est plus facile de s'emparer de la Chine que de la contrôler de manière durable. "La raison, écrivent John FAIRBANK et Merle GOLDMAN, en était que l'alliance essentielle du pouvoir militaire et du pouvoir civil, du tou et du wen, réussissait mieux au-delà qu'en deçà de la Grande Muraille. La géographie en était la clé. La Mandchourie n'avait adopté qu'au XVIe siècle le type d'agriculture intensive pratiqué en Chine, et seulement dans ses territoires les plus méridionaux, c'est-à-dire au sud de Moudken (le nom mandchou de Shenyang). Les Ming avaient reconnu le caractère frontalier de cette région en l'organisant en districts militaires plutôt qu'administratifs. En instaurant dans tous les lieux stratégiques des unités militaires héréditaires et dûment recensées, séparées de l'administration civile qui régissait les territoires agricoles, les Ming cherchaient à établir des zones tampons, à la fois pour contrer les incursions nomades et pour contrôler les tendances séparatistes des fonctionnaires chinois locaux ; la richesse de la Mandchourie du Sud dépendait de la Chine du Nord, et elle pouvait par conséquent en être coupée au niveau de la passe de Shanhaiguan, là où les escarpements de la Grande Muraille rejoignent la mer. 

Lors de leur accession au pouvoir, les Mandchous avaient pleinement tiré avantage de la position stratégique qu'ils occupaient à la frontière. Ils avaient pu y apprendre les coutumes des Chinois sans pour autant être soumis à leur joug. Nurhaci (1559-1626), le fondateur de leur État, était alors un petit chef de tribu de la frontière orientale du bassin agricole de la Mandchourie du Sud. La population sur laquelle il régnait était de sang mêlé, bien qu'elle descendît principalement des tribus Jürchen semi-nomades qui avaient établi au XIIe siècle la dynastie Jin en Chine du Nord. Tout comme Gengis Khan l'avait fait chez les Mongols, Nurhaci étendit progressivement son règne à d'autres tribus que la sienne, de sorte que dans les premières années du XVIIe siècle il fut en mesure d'instaurer la dynastie des Jin postérieurs, dont il établit la capitale à Moudken. Son fils et successeur, le très capable Hong Taiji (Abahai en mandchou), soumis la Corée à l'Est et noua des alliances avec les Mongols à l'Ouest, en Mongolie intérieure.

En 1636, il donna le nom de Mandchou à son peuple et celui des Qing à sa dynastie. Entretemps, l'écriture mandchoue s'était développée et un certain nombre des classiques chinois avaient été traduits. En 1644, les Mandchous avaient déjà effectué plusieurs incursions en Chine du Nord, mais ils n'étaient pas encore parvenus à vaincre les Ming. Le régime chinois, en déclin, était de plus en plus faible. L'état de rébellion était devenu endémique. Un rebelle chinois, Li Zicheng, s'était aventuré à coup de grands raids, jusqu'au nord-ouest de la Chine, et même jusqu'au Sichuan et à la vallée du Yangsi. Il avait fini par s'adjoindre les conseils et les services de lettrés et avait commencé à mettre en place une structure de gouvernement dynastique. En 1644, il parvint à s'emparer de Pékin. La succession dynastique était à sa portée. Mais il s'avéra incapable de consolider institutionnellement la position qu'il avait conquise par la force.

Entretemps, en Chine du Nord et du Nord-Ouest, l'armée des Ming nourrissait des sentiments séditieux à l'égard des fonctionnaires lettrés qui se querellaient dans la capitale. Or, ces derniers étaient principalement originaires de la région du Bas-Yangzi. Mais si les familles qui possédaient de la terre dans cette région du Centre-Est étaient fortement représentées au sein du gouvernement de Pékin, elles ne faisaient pas preuve de grandes capacités militaires. Les généraux Ming étaient, eux, parfaitement au fait de la puissance militaire mandchoue, mais les forces chinoises déployées en Chine du Nord demeurant supérieures en nombre, certains espéraient pouvoir se servir des Mandchous pour influencer la politique intérieure. C'est ce qui poussa le général Ming, Wu Sangui, et plusieurs de ses compagnons à convier en Chine du Nord les Mandchous, qu'ils avaient pourtant combattus, pour les aider à soumettre les rebelles de la capitale. Mais une fois la Grande Muraille passée, les Mandchous commencèrent à prendre le contrôle du pays.

 

Les Mandchous profitent des divisions intérieurs de la Chine pour s'imposer...

Les études portant sur cette période troublée, menées notamment par Frederic Wakeman Jr et Lynn Struve, ont mis en évidence les intérêts contradictoires qui opposaient les grandes familles du Bas-Yangzi aux généraux Ming de la Chine du Nord. Les Mandchous n'avaient plus qu'à s'engouffrer dans la brèche. Par des campagnes militaires vigoureuses, ils anéantirent la rébellion dans le Nord avant de s'avancer jusqu'au coeur du territoire de la Chine et s'emparer du Bas-Yangzi. Ils s'emparèrent aussi de la tradition et des rituels confucéens et se montrèrent capables d'une grande cruauté dans l'exercice du pouvoir impérial. (...) (Certains fonctionnaires Ming) se hissèrent au sommet de l'État pour le compte des Mandchous et aidèrent à adoucir leur prise de pouvoir. Ces derniers s'emparèrent de Pékin en 1644, mais il leur fallut une génération entière avant d'achever leur conquête de la Chine. Trois collaborateurs chinois au nouveau pouvoir, dont le général Wu Sangui; établirent de grandes satrapies en Chine du Sud et du Sud-Ouest et s'y retranchèrent. En 1673, ces Trois Feudataires (...) se rebellèrent et s'emparèrent de la plupart des provinces méridionales de l'empire. Le jeune empereur Kangxi, dont le règne venait de débuter, mit huit années à rétablir l'autorité des Qing. La richesse du Bas-Yangzi, base territoriale de l'empire, l'y aida, ainsi que le sentiment de loyauté qu'inspirait la dynastie. (...).

Le gouvernement sino-barbare fit rapidement la preuve de son efficacité. A la fin de la période Ming, les désordres dans l'empire étaient principalement causés par des rébellions chinoises, en particulier celle menée par Zang Xiangzhong, laquelle entraîna une diminution importante de la population de la province du Sichuan. Zhang et son concurrent, Li, dans le Nord-Ouest, s'efforcèrent d'obtenir l'aide des lettrés et d'établir un régime de type dynastique. Tous deux échouèrent. Le succès des Mandchous là, où les rebelles chinois avaient échoué, provenait essentiellement de leur capacité à créer des institutions politiques." (Histoire de la Chine).

 

    Si nous reproduisons ici ce que nous savons de l'histoire de l'établissement de la dynastie Qing, c'est surtout pour indiquer le grand poids des lettrés dans toute stabilisation politique. Vu la grande diversité des forces militaires en présence, s'appuyant l'une l'autre d'une brève façon, qu'elles soient intérieures ou frontalières, et l'équivalence de leur qualité militaire (seul les Mandchous toutefois réussirent à intégrer leurs connaissances en artillerie, provenant des Portugais, à l'ensemble de leur armée, mais leur exemple pu être suivi par la suite...), seul l'appui de fonctionnaires à la loyauté achetable (la plupart des fins de dynastie sont parsemées de corruptions d'ampleur) peut permettre, par une "juste" répartition de la fiscalité et le contrôle des processus policiers et judiciaires d'amener la population à vénérer l'empereur, avec l'apport parfois non négligeable, mais non décisif en Chine, d'autorités religieuses. La connaissance de l'administration des choses (techniques agricoles notamment, mais aussi techniques de construction) et des peuples (connaissance de leurs coutumes, de leurs habitudes, de leurs faiblesses et de leurs forces) est essentielle, notamment dans un si vaste espace, traversé d'obstacles géographiques (montagnes, fleuve au crue difficilement maîtrisable). 

 

Des connaissances stratégiques homogènes

    Les connaissances en matière de stratégie sont remarquablement homogènes sous les dynastie des Ming et des Qing, qui elles-mêmes se situent dans la continuité des périodes antérieures. C'est sans doute une des explications d'une certaine symétrie entre les armées qui se combattent, et d'une certaine impossibilité, sauf amélioration technique forte (sous les Quing, artillerie et Bannière), d'emporter des décisions définitives sur le plan strictement militaire. 

C'est cette continuité que met en évidence Valérie NIQUET : "Sous les dynasties des Ming et des Qing, si les écrits militaires se fondent toujours sur l'enseignement des sept classiques et tout particulièrement sur le Sun Zi bing fa, deux thèmes dominent cependant, qui sont d'une part un intérêt particulier porté aux armes à feu de type occidental et par ailleurs le développement d'une stratégie navale en relation avec la multiplication des opérations menées le long des côtes par des "pirates" japonais ou chinois. L'intérêt porté aux armes à feu ne fait qu'enregistrer leur diffusion progressive, et de longs chapitres leur sont consacrés dans la majorité des ouvrages. C'est cependant l'aspect technique de ces nouvelles armes qui domine - il est à noter d'ailleurs qu'elles se surajoutent, sans s'y substituer, à une panoplie existante de lances et d'arbalètes - et leur introduction n'a pas entrainé de véritables révolutions dans la manière de penser la guerre.

De l'ensemble des écrits publiés sous la dynastie des Ming et des Qing, deux dominent : Les 36 stratagèmes, diffusés à cette époque, et les ouvrages de Qi Juguang. L'auteur, ou les auteurs, des 36 stratagèmes sont inconnus et les premières mentions du texte datent de la dynastie des Ming. L'ouvrage se présente sous la forme de maximes très brèves qui, à partir des figures du Livre des Mutations, à la fois cosmogonie et ouvrage de divination, dont l'origine remonte à la dynastie des Zhou, une série de stratagèmes applicables à l'art militaire. L'influence de la théorie du yin et du yang, qui imprègne l'ensemble de la pensée scientifique - et stratégique - en Chine, se traduit par un mode de raisonnement binaire, qui privilégie la relation dialectique unissant deux pôle d'un  binôme conceptuel, le premier de ces binômes étant l'ombre et la lumière. Dans l'art militaire, ce mode de raisonnement transparaît dans l'importance accordée à la relation dynamique qui est établie entre, par exemple, la force et la souplesse, le courbe et le droit, l'attaque et la défense, les forces ordinaires et les forces extraordinaires, soit et l'autre, le vide et le plein. (...)."

D'autres ouvrages publiés sous la dynastie des Ming traitent de la défense côtière (Zhou hai tu bian, de Jiao RUOCENG, dans la première moitié du XVIe siècle). Le Bing ji yao jue, de Ju BINGSHANG (1562-1633) est un autre manuel destiné à former des troupes d'élite et il développe tout particulièrement des chapitres consacrés aux armes à feu. Le Deng tan bi jiu, de 1599, écrit à la fin de l'ère Wan Li, se présente comme la quintessence de qu'il faut savoir sur le plan militaire, mais ce n'est pas le seul à le faire et sans doute, d'autres documents détruits à ce jour se montraient-ils aussi "importants"... L'ouvrage est réédité plusieurs fois sous la dynastie de Qing, sur des préoccupations qui ne changent pas : les combats maritimes et fluviaux, la défense des frontières et la répression des rébellions. 

"Sous la dynastie des Qing, outre de nouvelles éditions des sept classiques et du premier d'entre eux, le Sun zi bing fa, ou des ouvrages plus spécifiquement consacrés à des points particuliers comme la défense des villes et tout ce qui concerne les fortifications et la poliorcétique, comme le Cheng shi zhou lüe, les ouvrages de stratégie sont toujours essentiellement consacrés à la diffusion des classiques de l'art militaire, sous forme parfois de "recueils de concepts" comme le Bing jing bai yan (Cent expressions tirées des Classiques de l'art militaire) qui, de "force" à "victoire", en passant par "général" ou "terrain", font chacun l'objet d'un bref commentaire explicatif."

     Sans faire l'objet sans doute d'une description ou d'une conceptualisation détaillées sur le moment, une grande partie de la stratégie de la dynastie Qing repose au début sur une organisation féodale et guerrière, ensemble de domaines gouvernés par les chefs de l'aristocratie jürchen et des unités militaires formées sur le modèle des garnisons chinoises. Ces unités, les Bannières (qi), se distinguent par la couleur de leurs drapeaux. Inaugurées en 1601, elles se multiplient au cours des conquêtes mandchoues, grâce au ralliement d'unités mongoles et à l'incorporation de contingents chinois, se dédoublant en Bannières intérieures, formées par les Mandchous et leurs dépendants, et en Bannières extérieures, réservées aux troupes auxiliaires. Elles sont, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'une des organisations militaires les plus efficaces qu'ait connue l'Asie orientale. (Jacques GERNET). Au cours des manoeuvres, il est toujours important pour les commandants d'avoir une idée précise de l'emplacement et de l'importance (numérique et équipement) des différentes composantes de leurs armées. Le système des couleurs et des dimensions des bannières constitue un outil indispensable à la longue pour manier des armées de plus en plus importantes. Moyen de communication et d'indentification, ces bannières accroissent la place accordée aux approvisionnements et à la logistique des armées dans l'économie du pays...

 

Jacques GERNET, Le monde chinois, 2.L'époque moderne, Armand Colin, Pocket, 2006. Valérie NIQUET, Théoriciens chinois, dans Dictionnaire de la stratégie, PUF, 2000. John K. FAIRBANK et Merle GOLDMAN, Histoire de la Chine, Des origines à nos jours, Tallandier, 2010.

 

STRATEGUS

 

Relu et complété le 2 mai 2021

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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 09:33

    Voici un livre, rédigé à la première personne et loin des manuels parfois un peu indigestes (et pas très bien écrits en plus...), sur la géopolitique de la Chine. Car il s'agit bien, malgré que l'auteur, docteur en médecine et sinologue, ne mette pas en avant des titres ronflants, de géopolitique et même de géo-sociologie dans ces pages érudites. Dans cette histoire et étude de l'évolution d'un symbole, l'auteur bouscule un certain nombre d'idées reçues sur la grande muraille, et partant sur la Chine et les Chinois. Son intention, partant des réalités géographiques et climatiques incontournables, est de découvrir comment la mentalité chinoise perçoit cette grande muraille et comment elle influence la perception des Chinois d'eux-mêmes et de leur pays. 

    "La Grande Muraille est universellement connue comme étant un ouvrage monumental de plusieurs milliers de kilomètres (visible de l'espace... ce qui est faux, comme l'établit l'auteur en cours de route), d'un seul tenant, en briques et pierres, construit il y a des millénaires, pour arrêter les invasions barbares, et dont les Chinois sont très fiers. Cependant les recherches actuelles en brossent un tableau très différent : un ouvrage discontinu, fait de terre battue, et détesté des Chinois, entre autres faits plutôt surprenants. Ces simples assertions opposées aux idées reçues justifieraient à elles seules une étude approfondie de la Grande Muraille. Mais il y a plus : la Grande Muraille n'est pas là par hasard, elle correspond à une disposition profonde de la pensée chinoise, qui se traduit par d'autres comportements encore visibles de nos jours.

Cet ouvrage va donc s'attacher à :

- Étudier de façon détaillée l'histoire de la Grande Muraille, pour bien mettre en évidence ses racines réelles.

- Étudier l'image de la Grande Muraille : les origines et les évolutions de ce symbole, de cette représentation, en Chine et en Occident.

- Étendre le concept "Grande Muraille" pour le voir comme un des éléments de base de la mentalité chinoise, ou plutôt des mentalités chinoises. 

L'hypothèse étant que c'est cette représentation, si profondément ancrée dans la pensée chinoise, qui a induit des comportements du même genre, donc certains sont encore observables de nos jours."

 

     Prenant soin de revisiter des notions répandues (l'existence d'un peuple chinois, d'une culture chinoise...), l'auteur commence donc par détailler l'histoire des Longues Fortifications, comme il préfère appeler la Grande Muraille, l'histoire de sa construction, éparse sur une grande étendue du territoire chinois, qui s'étale sur deux millénaires. De -684 à 1644, ces murs s'édifient, souvent à des fins de circulation dans des zones montagneuses (édification dans les Longues Fortifications de routes pour les troupes, notamment les cavaliers), pour des objectifs défensifs ou offensifs. Ancrée dans la perception des peuples périphériques (nomades parfois pas très nomades), cette construction  s'effectue selon des visées différentes selon les dynasties, confrontées à des problèmes différents mais toujours focalisés sur une problématique de défense extérieure/défense intérieure, qui mêlent considérations de défense contre des envahisseurs, et contrôle des populations. Le tout sous l'influence des caprices d'un Fleuve Jaune qui oblige à élaborer, pour vivre ou pour survivre, des techniques particulières (irrigation ou contenance des flots).

Très loin des impressions de gigantisme (propres à favoriser le tourisme), l'auteur parvient à nous faire toucher du doigt l'étroitesse des conditions d'existence (le berceau de la civilisation chinoise est en fait une zone très petite), l'instabilité des éléments du relief, qui joue un rôle direct dans la mentalité chinoise. Il reprend là les études de Marcel GRANET : "le conflit a été constant dans l'histoire de Chine entre les partisans de la digue et les partisans des canaux. Il affecte la forme d'un conflit entre deux morales : endiguer et réprimer ou laisser la Nature suivre son génie" (La religion des Chinois, Albin Michel, 1999). "Ce qui est ici capital pour mon propos, c'est l'opposition entre deux méthodes (...), celle du blocage qui s'arc-boute sur des murs pour s'opposer à la poussée des eaux (ou des humains), violant ainsi les lois de la nature, et celle de la canalisation des eaux, qui les laisse suivre leur pente naturelle, et se contente de les diriger vers l'endroit adapté. Il est passionnant de voir comment les Chinois, dans les mythes qu'ils se sont choisis, ont mis en scène très tôt cette dialectique entre la digue et le canal, entre le mur et la porte, entre les Longues Fortifications et le contrôle par d'autres moyens. (...) Au total, on voit que la civilisation chinoise, très tôt, a disposé des moyens techniques (terre battue) et humains (population nombreuse), de l'expérience nécessaire (travaux hydrauliques) et des dispositions psychosociales afférentes (la problématique entre soit arrêter un flot physique ou humain, soit "surfer" sur la vague), pour construire, quand le moment viendra, de Longues Fortifications."

   Les Chinois se servaient de ces murs à des fins multiples et différentes : murs d'attaque, soutenant des offensives, murs de défense, pour empêcher les raids et les razzias, souvent à titre d'alibi, murs pour raisons économiques, pour maintenir des privilèges, murs pour éviter le mélange des populations (pour séparer les "civilisés" des "non-civilisés"), murs "pour les murs, par tradition, murs pour servir de bagne, permettant d'éloigner, d'occuper les indésirables et souvent de les éliminer (famines et labeurs intensifs), murs pour empêcher les populations de sortir, de s'enfuir, selon la notion bien mise en évidence par la suite, de "forteresse assiégée", un lieu où ceux qui sont à l'extérieur rêvent de pénétrer, tandis que ceux de l'intérieur rêvent d'en sortir... Une fonction en fin de compte plus sociale qui stratégique, ou mieux socialement stratégique... 

 

  Le livre regorge de renseignements sur la Grande Muraille de Chine, tant dans ses aspects techniques, politiques que sociaux. Il bénéficie des toutes récentes études archéologiques et historiques. C'est aussi un bon ouvrage de vraie géopolitique, qui tranche avec la mode géopolitique, qui montre bien les influences réciproques entre peuples d'une part, et entre peuple et nature d'autre part, et les différents conflits qui traversent presque toute l'histoire de cette vaste partie du monde. L'auteur, en plus, n'économise pas la réflexion sur la notion de mur dans d'autres parties du monde et chez d'autres peuples, indiquant par là ce qui est spécifique de la Chine et ce qui ne l'est pas.

 

Guy BOIRON, La Grande Muraille de la Chine, Histoire et évolution d'un symbole, L'Harmattan, Collection Recherches asiatique, 2011, 242 pages.

 

Relu le 3 mai 2021

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6 mai 2013 1 06 /05 /mai /2013 08:49

  Auteur très étudié en Occident, le lettré chinois hostile aux Mandchous et partisan de l'empereur YONGLI qui tente de sauver ce qui reste de la dynastie MIng, est surtout redécouvert au XIXe siècle (de manière partielle d'ailleurs) et fait partie de toute cette intelligentsia déroutée par la chute de cette dynastie. D'abord philosophe politique, créateur d'un "Société pour la réforme" (Kuangshe) inspirée de la Société du Renouveau, il se réfugie, encore une fois comme beaucoup d'autres auteurs de sa génération, dans une philosophie morale et une philosophie tout court. 

    Juste avant ce tournant, il compose un Commentaire sur les Annales des Printemps et des Automnes, pour justifier la distinction entre les conflits condamnables qui divisent des pays appartenant au monde civilisé, et la "guerre juste" que les Chinois se doivent de mener contre les barbares.

On lui attribue plus d'une centaine de livres, ce qui est sans doute une certaine norme pour les lettrés à l'époque, mais beaucoup ont été perdu (détruits la plupart sur ordre). Ce qu'il en reste est réuni sous le titre de Chuanshan yishu quanji (Recueil complet des oeuvres encore existantes de Wang Fuzhi, en 22 volumes, Taipei, Zhongguo Chuanshan xuehui et Ziyou chubanshe, 1972, édition établie à partir de la Taipingyang shudian de Shangaï, établie en 1933 par Zhang Biglin)

         Disciple de CONFUCIUS, il considère que la philosophie néo-confucéenne qui domine la Chine à son époque est un détournement de la pensée du Maître. C'est la raison de ses nombreux Commentaires...

Il développe tout au long de la deuxième partie de sa vie un système philosophique propre où se mêlent métaphysique, épistémologie, morale, poésie... et encore tout de même, politique. S'il est considéré comme un penseur majeur du début de Qing, il n'est pas sûr qu'il soit représentatif de l'ensemble de la production littéraire de cette période. Comme souvent, il se produit une déformation dans la transcription en Europe et en Occident de manière générale, de son héritage intellectuel. Si son oeuvre n'avait pas connu dans son pays, bien longtemps après sa mort, une redécouverte, elle ne serait sans doute pas aussi étudiée. Dans un débat dans la revue Etudes chinoises, en 1990, Jean-François BILLETER et François JULIEN exposent à ce propos des points de vue très différents.

 

      Dans son Commentaire sur les Annales des Printemps et Automnes, nous pouvons lire :

"Un conflit entre le Pays du Milieu (...) et les barbares ne saurait s'appeler une guerre. (...) Les anéantir n'est pas à considérer comme inhumain. Les tromper comme déloyal, occuper leurs territoires et confisquer leurs biens comme injuste. (...) Les anéantir afin de préserver l'intégrité de notre peuple, n'est qu'humanité ; les tromper pour leur infliger ce qu'ils détestent à coup sûr n'est que loyauté ; occuper leurs territoires pour amender leurs moeurs par notre culture et nos valeurs, confisquer leur biens pour augmenter les ressources de notre peuple n'est que justice."

 

Sa philosophie tourne autour de l'Unité de homme et du monde dans l'énergie vitale.

     Au subjectivisme des Ming, directement inspiré de la thèse bouddhique du caractère illusoire du monde sensible, WANG FUZHI reproche d'avoir découragé toute volonté d'action et conduit à la ruine de l'homme, de la société et de l'État. En réaction contre l'influence du bouddhisme, il s'agit de réaffirmer la vie et l'existence objective du monde, "lieu de constantes et de récurrences qui permettent la réflexion et l'action humaines. (...). Nous devons donc assumer notre condition d'homme au lieu de chercher à nous en évader. Une complémentarité essentielle unit l'homme, sujet sensible et actif, et le monde, objet de ses perceptions et de son action. C'est folie que de vouloir trancher les liens qui nous unissent au monde, car il nous appartient et nous lui appartenons à tout instant. Qui s'y emploie lui inflige et s'inflige à lui-même une profonde blessure. (...) Qui ne retient qu'un aspect des choses , qui imagine un absolu, perd le véritable sens du monde". (Jacques GERNET, cité par Anne CHANG).

A bien des égard, les écrits de WANG FHZHI gardent vivante la flamme de l'esprit du Donglin, revendiquant l'héritage du confucianisme engagé et militant de GU XIANGCHEN ou de GAO PANLONG. Son Commentaire de L'initiation correcte de ZHANG ZAI témoigne de l'intérêt qu'il porte durant toute sa vie au Livre des Mutations autant que de sa fidélité à la pensée de ZHANG ZAI. Tout en le suivant, il associe la notion de principe à celle de tendance dominante, qui conduit à concevoir le principe, non pas comme une entité au dessus ou à l'origine de l'univers, mais comme son dynamisme même. Ici comme dans de nombreux écrits, WUANG FUZHI vise l'hypostase d'une principe absolu inspiré du bouddhisme, mais aussi sans doute le Dieu unique des missionnaires chrétiens qui font oeuvre de prosélytisme dans son pays depuis la fin du XVIe siècle. 

Il existe une unité du principe céleste et des désirs humains qu'il explicite non dans un dualisme, mais dans un monisme  : 

"En réalité, le principe réside dans l'énergie et l'énergie n'est rien d'autre que le principe ; l'énergie réside dans le vide et le vide n'est rien d'autre qu'énergie : tout n'est qu'un, il n'y a pas de dualité."

En affirmant l'unité du principe et de l'énergie, WANG FUZHI prévient le risque de poser deux natures, l'une physique, l'autre céleste. Il renvoie dos à dos les deux tendance issues de l'intuitionnisme de WANG YANGMING : le radicalisme de l'école de Taizhou qui tire la nature vers les désirs et l'idéalisme moral (de LIU ZINGZHOU par exemple) qui tend vers une nature bonne dans l'absolu. Non seulement il ne saurait y avoir deux natures, mais même principe céleste et désirs humains, placés aux extrêmes dans l'école Cheng-Zhu, sont indissociables, voire interdépendantes cas issus d'une même origine. Mais qu'il n'y ait pas deux natures à distinguer en l'homme ne signifie pas qu'ordre naturel et ordre humain se confondent ; laisser libre cours à ses désirs ne vaut pas mieux que de les éliminer, car "s'abandonner au Ciel - à la nature - c'est agir en animal. C'est à travers les nécessités auxquelles doit se soumettre l'action humaine, à travers les adaptations nécessaires de cette action, que doit se manifester chez l'homme le mode d'action de la nature. Le problème est donc celui de l'intégration des désirs dans l'ordre humain. Les rites, fondés  sur l'ordre des naissances et la différence des talents et capacités, expression d'un ordre naturel, sont le moyen par lequel le principe d'ordre céleste peut se traduire au niveau humain. Concernant ces rites, il s'agit seulement d'une traduction, "expression ornée et réglée du principe céleste".

Ce monisme ne va pas sans le sens du Milieu : il y a là deux thèmes centraux de l'antiquité chinoise, que WANG FUZHI réunit dans une pensée puissante qui parvient à intégrer dans l'unité cosmologique du qi tout ce que la tradition oppose. Intégration qui se fait sans exclusion ni renoncement, sur le modèle de la complémentarité du Yin et du Yang qui, bien qu'antagonistes dans leurs réalisations individuelles comme toute paire d'opposés, finissent par s'accomplir en s'associant. L'équilibre parfait du Faîte suprême se réalise lorsque les pressions opposées exercées par les deux antagonistes se transforment en synergie, en coopération dans l'harmonie, au lieu d'aboutir à l'annulation de l'un par l'autre. Il aime à dire que "toutes les choses de ce monde se prêtent un mutuel appui" : au-delà de la traditionnelle complémentarité des contraires, est évoquée ici la tension dynamisante entre deux forces opposées. Selon les Mutations, le secret de la sagesse est précisément de trouver constamment l'équilibre parfait en toute situation, à la fois dans l'espace et dans le temps. Mais il s'agit d'un équilibre vivant qui ne saurait être que dynamique, de même que le funanbule ne se maintient sur le fil que dans le mouvement. En parvenant à tenir constamment "les deux bouts" - monde et homme, énergie et principe, action et pensée - WANG FUZHI crée cette puissante tension créatrice que d'aucuns appellent le Milieu. C'est ce qui lui permet d'aller plus loin et d'opérer une synthèse plus convaincante que ses prédécesseurs à qui l'on pouvait toujours reprocher de pencher d'un côté ou de l'autre. Or, tout excès entraîne l'excès inverse. Il expose une conception fort intéressante du Dao confucéen replacé dans le mouvement historique. Tout l'effort du philosophe chinois est de repenser le monde et la moralité - ce que les Chinois appellent Dao - en termes de processus purement naturels qui opèrent uniquement par régulation ou rupture d'équilibre. 

Tout cela fait de WANG FUZHI non un simple héritier des confucéens des Song, mais un penseur de sa génération traumatisée par la débâcle des Ming. Il est urgent de reconsidérer la perspective historique qui occupe toute la fin de sa vie et une part importante de son oeuvre. Sa réflexion sur les rapports de force débouche en effet directement sur sa conception de l'histoire, terrain privilégié où se déploient et s'affrontent des forces complexes : forces centrifuges et centripètes, force de l'habitude, force d'inertie... Univers physique et monde social relèvent de la même analyse : le principe politique de la source unique de pouvoir et de sa transmission héréditaire s'explique autant par une tendance naturelle que par la puissance de la tradition. (Anne CHENG)

 

Une "sociologie" évolutionniste

   Jacques GERNET présente la pensée de WANG FUZHI comme une sociologie évolutionniste, prenant là une catégorie occidentale qu'il faut parfois manier avec précaution lorsqu'on traite de philosophie orientale. Il semble bien, même muni de précautions, que bien des points de sa pensée permettent de dire que c'est toute une philosophie naturaliste et "matérialiste" qu'il exprime et étaye. La transformation des sociétés humaines est pour lui le produit de forces naturelles. "C'est ainsi, explique Jacques GERNET, que le passage du fief à la circonscription administrative qui caractérise la grande révolution de la fin de l'Antiquité fut un phénomène inéluctable. C'est ce qui fait aussi que la représentation traditionnelle des époques les plus anciennes comme un âge d'or est contraire aux déductions rationnelles que l'on peut faire sur le passé : l'histoire de l'homme a été marquée par une évolution ininterrompue et un progrès constant des sociétés. Les souverains de l'Antiquité le font songer à ces chefs Miao ou Yao du Hunan chez lesquels il lui est arrivé de résider. Rapprochement sacrilège qui n'est pas inspiré par l'amour du scandale, mais par celui de la vérité! Il y a plus : on trouve chez Wang Fuzhi ce que nous appellerions aujourd'hui une conception "structuraliste" de l'histoire, qui est sans doute moins inattendue dans un monde où la notion de totalité fut toujours fondamentale qu'elle ne pourrait l'être en Occident. Selon Wang Fuzhi, les institutions d'une époque donnée forment un ensemble cohérent dont on ne peut isoler telle ou telle pratique : il y a non seulement nécessité dans l'évolution mais congruence entre société et institutions à chaque stade de cette évolution. Ainsi, l'ancien système de sélection locale et de recommandation des fonctionnaires qui était en usage à l'époque des Han ne peut plus être remis en vigueur, car toutes les conditions qui le rendaient viable ont disparu. De même, il est chimérique de vouloir revenir aux répartitions de terres en lots égaux depuis que s'est développée la notion de propriété. Les nostalgiques du passé cherchent des remèdes aux maux du présent dans le retour à d'antiques institutions fondent leurs espoirs sur une erreur fondamentale de perspective historique. 

A ce sens aigu de l'évolution des sociétés humaines dans le temps, Wang Fuzhi joint une pénétrante intuition sociologique qui le rend sensible aux multiples différences qui opposent entre elles les diverses cultures. Or, il n'est guère de sociétés humaines qui soient plus dissemblables dans leur genre de vie et leurs traditions que celles de Han et des hommes de la steppe. Voilà qui condamne, aux yeux de Wang Fuzhi, l'invasion mandchoue et justifie la résistance au nouveau pouvoir. Wang Fuzhi, dont les écrits seront lus avec passion par les hommes de la fin des Qing et le début de la "république" (...) apparaît comme le premier théoricien d'un "nationalisme" chinois fondé sur la communauté de culture et de genre de vie. Sa réflexion s'est étendue jusqu'aux sociétés animales et la démarche est assez remarquable pour être notée : ces sociétés, celles des fourmis par exemple, sont organisées en fonction de deux objectifs primordiaux : la préservation de l'espèce (baolei) et la sécurité du groupe (weiqum). Il devrait en être de même dans les sociétés humaines : l'État n'a point de fonction plus importante que celle de préserver un type de civilisation et de défendre ses sujets contre les attaques du dehors."

 

Une "linguistique"

   QI CHONG effectue une présentation analogue de la pensée du philosophe chinois, surtout par un autre angle, la linguistique. Il cite plusieurs extraits du Commentaire de WANG FUZHI :

A propos de ZHANG ZAI : "La grande originalité de Zhang Zai au sein de pensée néoconfucéenne tient à ce qu'il identifie l'énergie universelle (le qi) avec la limite suprême à l'origine du grand procès du monde (au lieu de le déduire de celui-ci) : cette énergie universelle ne fait qu'un avec le grand Vide de la non-actualisation qui n'est autre lui-même que la grande Harmonie ou la Voie : tout le cours du monde s'explique dès lors de façon logique par alternance de contraction et d'expansion. Wang Fuzhi a suivi Zhang Zai dans cette interprétation "matérialiste" et a tenté d'exploiter au mieux les conséquences théoriques d'une telle position. Zhang Zai est donc le véritable maitre à penser de Wang Fuzhi qui lui a consacré un très important commentaire, le Zhangzi zengmeng."

Paralléllsme et grand procès des choses : "Mis en mouvement dans la phrase, ces couples oppositionnels engendrent d'eux-mêmes le système du texte, génèrent l'intelligence du procès."

Actualisations (des choses)/intentions (des hommes) : "Dans la constitution de la phrase, le parallélisme ne met pas seulement en valeur l'effet d'interaction et de réciprocité, mais aussi le rapport d'analogie qui unit les différents aspects de la réalité et leur permet de coopérer."

"jeux d'interaction, parallélisme, corrélations : on a le sentiment que, en exposant sa conception du procès, Wang Fuzhi n'a fait que déployer le mouvement naturel de la phrase chinoise : expliciter le fonctionnement logique de cette langue, interpréter sa façon particulière d'articuler la réalité. La preuve inverse nous en serait donnée par l'évidente difficulté qu'on a souvent constatée à faire "passer" en chinois une articulation aussi radicalement différente que celle du cogito. Mais ce qu'on a tant dit de la sereine confiance de Descartes en l'universalité de sa pensée, fondée sur celle du bon sens et de la raison, et indépendamment de son expression, vaudrait tout autant pour Wang Fuzhi, c'est-à-dire pour tout lettré chinois, tant celui-ci vit sa langue comme une évidence, celle qu'ont confirmée tant de siècles de civilisation (n'ayant même pas eu l'expérience d'une diversité de langues culturelles comme celle qu'a connue l'Occident classique, partagé entre langues anciennes et modernes), et ne soupçonne donc point, associant aussi intimement la centralité et la pérennité de sa langue avec celles de sa civilisation, qu'une relativisation soit possible, même une comparaison : le contact du sanskrit n'a même pas joué ce rôle, sauf sur quelques points particuliers (tels certains aspects de la prosodie), tant le monde des idéogrammes et de la calligraphie constitue une totalité close et suffisante, tant le type même du lettré, jusque dans son statut social et politique, se confond avec cet unique outil, tant sa conscience coïncide avec l'univers de sa langue et adhère à lui.

On sait que l'inquiétude moderne nous a rendus, au contraire, plus attentifs à l'enracinement de la pensée dans l'idiome : à ce que la pensée est d'abord un commentaire de la langue, à ce que le travail de la réflexion tient avant tout à l'exploitation de ses ressources. (...)".

 

Sa pensée pour le monde actuel

     Revenant sur l'actualité de la pensée de WANG FUZHI, Jacques GERNET insiste sur la critique du philosophe chinois du taoïsme et du bouddhisme : il juge responsables de la corruption, du laisser-aller et du fatalisme "qui s'étaient emparés d'une grande partie des élites les courants de pensée qui étaient en vogue au XVIe siècle et dans sa jeunesse, et qui vantaient le rejet de toute entrave et le détachement de ce monde : bouddhisme extrémiste du Chan, taoÏsme prétendument libérateur, confusion entre les "trois enseignements" et jusqu'à la tradition lettrée dominante depuis le XIIe siècle qui affirmait l'existence d'un principe d'ordre indépendant de toute réalité sensible. Rationaliste convaincu, il s'attaque sans relâche à ces courants de pensée et rejette toute conception mystique détachée de l'univers dont nous sommes inséparables."

"On dira sans doute, écrit encore Jacques GERNET, que ce philosophe n'en est pas un, car sa démarche et ses conceptions n'entrent pas dans le cadre de ce que nous appelons philosophie. Il pousse, en effet, jusqu'à ses ultimes conséquences une tendance, souvent implicite dans l'histoire de la pensée chinoise, à tenir le langage pour artificiel. Création humaine, il est pour lui non seulement impuissant à rendre compte de la réalité du monde, mais y introduit des distinctions (des oppositions, explique-t-il plus loin) qui lui sont étrangères. Pis encore, à ses yeux, le langage incite à hypostasier des notions ultimes qui ne sont en fin de compte que des mots : Dao des auteurs taoïstes de la fin de l'Antiquité (Zhuangzi et Laozi), absolu indéterminé du bouddhisme, principe d'ordre (li) extérieur au monde sensible de la tradition lettrée dominante." Si les Grecs ont fait de la discussion argumentée et de l'absence de toute contradiction le moyen de toute recherche des choses vraies, une partie de la philosophie chinoise estime que le langage est un artifice, un pis aller dont il faut se méfier, un brouillard de la réalité, à partir duquel il ne faut pas s'attendre à découvrir la vérité.

WANG FUZHI rejette toute opposition catégorique qui ne relèverait que du langage et refuse toute valeur à des raisonnements fondés sur l'opposition du oui et du non. Si sa pensée politique a peu de poids à son époque, par contre sa philosophie reflète bien un état constant de la pensée chinoise, le refus de considérer le conflit comme élément de toute relation. Il n'y a pas plus de conflit indépassable entre personnes qu'il n'y a d'opposition entre une matière et une esprit. De toute manière, les corps et les esprits sensibles des êtres et des choses ne sont pas séparables les uns des autres. 

Considéré par la vulgate "marxiste-léniniste", selon Jacques GERNET, comme un matérialiste, à partir des catégories occidentales, il ne distingue jamais en fait l'esprit de la matière, et n'est pas plus sensualiste que matérialiste. C'est un débat qui ne tient que par le langage et précisément ; le langage tend à induire en erreur, à fausser la perception de la réalité. Le philosophe chinois vise à découvrir dans la nature des modes de fonctionnement qui aient une application générale, notamment en s'appuyant sur le livre des Mutations, pour éviter de recourir au discours; Rappelons que le livre des Mutations est d'abord une manière mathématique de comprendre le monde. Dans le livre des Mutations, qui a servi par ailleurs à des opérations de divination dans la tradition chinoise, opère une rationalité, celle des grands nombres dont traite la statistique, domaine où l'on retrouve la coexistence du constant et de l'aléatoire. Ce livre peut servir à comprendre des institutions de tout genre, les moeurs, les habitudes collectives, les idées dominantes (comme il peut servir à comprendre les constituants de la nature) qui forment un ensemble qui est le résultat de l'adaptation qui s'est produite de ces éléments entre eux au cours d'une lente évolution. 

"Une longue tradition nous a convaincu qu'il ne pouvait y avoir de philosophie qu'à travers du langage : elle est pour nous discours raisonné, ou réflexion sur la langage. L'analyse d'un penseur qui appartient à un univers qui fut longtemps sans contacts avec le nôtre montre qu'une réflexion qui, chez Wang, n'a pour objet que la nature et qui l'oppose à toutes les formes de l'artifice humain peut orienter la pensée sur d'autres voies inattendues. (...) Il (s'agit) ici de modes de pensée, de cadres mentaux, et non de science. Et pourtant, il y a, dans la façon dont Wang Fuzhi aborde des problèmes qui relèvent de la philosophie, des analogies avec la problématique qu'on trouve dans les sciences contemporaines. Peut-être est-ce parce que ces sciences se sont libérées d'une longue tradition substantialiste et mécaniste qui, ignorant les système de symboles, ne faisait appel qu'au langage. Comme Wang, elles jugent naturelle la coexistence de l'ordre et du hasard, admettent que des phénomènes de natures très différentes puissent se fonder sur des mécanismes identiques, que le comportement des énergies au niveau infinitésimal soit aberrant par rapport à celui de nos perceptions ; elles identifient matière et énergie, se fondent, comme c'est le cas en biologie, sur des combinaisons dans lesquelles place et moment sont décisifs. Cependant, on ne saurait oublier que Wang ne peut être isolé ni d'un ensemble de traditions qui différent des nôtres, ni de son époque et des circonstances de la sa vie, ni de sa place dans la longue et diverse histoire de la pensée chinoise. Avec sa vigueur et sa puissance intellectuelles, il reste une personnalité d'exception."

 

QI CHONG, De la langue à la pensée ou comment on conçoit l'harmonie, dans Philosophies d'ailleurs, Les pensées indiennes, chinoises et tibétaines, Sous la direction de Roger-Pol DROIT, Hermann Editeurs, 2009. Jacques GERNET, Le monde chinois, 2.L'époque moderne, Armand Colin, 2005 ; l'intelligence de la Chine, Editions Gallimard, 1994. Anne CHENG, Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 2002. Jacques GERNET, Modernité de Wang Fuzhi, dans La pensée en Chine aujourd'hui, Sous la direction d'Anne Chang, Gallimard, 2007.

 

Complété le 23 mai 2014. Relu le 6 mai 2021

 

 

 

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 13:14

       L'expression guerre totale, selon Philippe MASSON, peut s'identifier à la mobilisation de toutes les forces vives d'un Etat, à la mise sur pied d'une grande armée, d'une économie de guerre, du contrôle de toutes les activités intellectuelles et spirituelles d'un pays.

     Cette conception est influencée fortement par l'exemple de celle menée par le IIIe Reich allemand pendant la seconde guerre mondiale, laquelle s'inspire des objectifs définis par Erich LUDENDORFF (1865-1937) dans La guerre totale, paru en France en 1936. "Objectif préparé dès le temps de paix par la militarisation des forces morales, par "l'unité psychique du peuple", par la mise en place d'une économie de type autarcique. La guerre totale suppose encore le préambule de la subordination du pouvoir civil au pouvoir militaire." LUDENDORFF procède à une inversion des facteurs entre objectif stratégique et objectif politique. La doctrine de LUDENDORFF, compagnon d'HITLER au parti nazi, n'a pas été prise en compte dès le départ de sa prise au pouvoir. HITLER souhaite d'abord une guerre "courte et vive" par le biais du Blitzkrieg, sa préoccupation essentielle consiste à rechercher la décomposition de l'adversaire de l'intérieur par une intense préparation psychologique. La guerre totale n'intervient qu'en 1943, au lendemain des premières grandes défaites. Le régime hitlérien impose alors une mobilisation économique complète et place, avec des pouvoirs discrétionnaires, à la tête des industries d'armement, Albert SPEER, ministre de l'Armement et des Munitions depuis 1942. La vision de HITLER est assez différente de celle de LUDENDORFF, pour lequel l'anéantissement de l'ennemi ne peut être obtenu que par la "bataille décisive", suivant un principe hérité de CLAUSEWITZ, mais qui découle en fait d'un modèle occidental de la guerre déjà présent dans l'Antiquité grecque. LUDENDIRFF estime que cette bataille met en oeuvre toutes les armes, infanterie, artillerie, blindés et aviation, bombardement stratégique et guerre sous-marne associée à l'aviation. Pour HITLER, cette stratégie se double d'une préoccupation primordiale idéologique et raciale.

   La guerre totale n'est pas une création du XXe siècle. De nombreux exemples de guerre totale émaillent l'Histoire. Philippe MASSON rappelle les guerres puniques, qui se solde par la destruction de Carthage et la guerre de Sécession américaine où les États du Sud sont ravagées par les armées du Nord. Elle n'obéit pas à la préméditation et est mise en oeuvre souvent dans la dynamique de certaines guerres. C'est pendant la seconde guerre mondiale, sur de nombreux fronts, en Europe de l'Est et en Asie notamment, que tous les moyens sont délibérément utilisés pour écraser l'adversaire et ruiner son territoire. 

 

Guerre illimitée, guerre limitée...

       La pensée stratégique ne s'est pas penchée très tôt sur la distinction entre guerre illimitée et guerre limitée, si nous suivons Hervé COUTEAU-BÉGARIE.

Hans DELBRUCK (1848-1929), à partir d'un texte inédit de CLAUSEWITZ qu'il publie en 1878 et d'une réévaluation de la stratégie de FRÉDÉRIC II, réfute l'idée, alors commune, du grand roi précurseur de NAPOLÉON et de MOLTKE, sur le chemin de la guerre totale : les conditions politiques et sociales du temps, ainsi que le rapport de forces avec l'Autriche, l'incitent à ne pas rechercher la bataille décisive. En développant cette analyse, cet auteur dépasse le problème des fins de la guerre pour s'attacher à celui de sa conduite. Cela le conduit à poser la distinction entre stratégie d'anéantissement et stratégie d'usure. La première est celle de NAPOLÉON, la deuxième celle de FRÉDÉRIC II, incapable de frapper un coup décisif du fait de la faiblesse de ses moyens et donc condamné à fatiguer l'adversaire par une série de coups de détail. "Contrairement à ce que suggéreront plus tard, poursuit le stratégiste, ses critiques, la stratégie d'usure n'exclut pas nécessairement la bataille. Delbruck précise que "la Niederwerfungstrategie (la stratégie d'anéantissement) n'a qu'un pôle, la bataille, tandis que l'Emattungstrategie (la stratégie d'usure) en a deux, la bataille et la manoeuvre, entre lesquels évoluent les décisions du général".

Toute une littérature traite de la question des contradictions ou des complémentarités entre stratégie d'usure et stratégie d'anéantissement. Au delà de tous ces débats, "il semble possible, nous suivons toujours Hervé COUTEAU-BÉGARIE, de dire que la distinction anéantissement-usure est plus pertinente aujourd'hui, avec l'incarnation de l'anéantissement dans la Bombe, que lorsqu'elle a été esquissée par Clausewitz et développés, dans des sens différents par Delbruck et Corbett. L'US Navy a récemment tenté de la dépasser en lui substituant une distinction attrition-manoeuvre. Mais les deux termes ne se situent pas sur le même plan : la manoeuvre n'est qu'un moyen en vue d'une fin militaire qui peut être l'attrition ou l'anéantissement. La manoeuvre n'est pas l'antithèse de l'attrition, elle en est souvent la condition. L'élimination de l'anéantissement, favorisée par le moralisme sous-jacent à la pensée américaine, pose des problèmes insolubles : comment soutenir qu'un échange nucléaire relève de l'attrition ou de la manoeuvre, alors que sa logique est clairement celle de l'anéantissement? Surtout, elle résulte d'un contresens sur la nature même de la stratégie d'anéantissement, que l'on assimile vite à l'extermination, alors que Clausewitz souligne bien que l'objectif d'une telle stratégie est de détruire soit les forces de l'ennemi, soit sa volonté de résistance, ce qui ouvre un large champ d'option." 

 

Le contexte des idées de LUDENDORFF

    Pour comprendre les idées de Eric LUDENDORFF, explique Hans SPEIER, "il ne faut pas perdre de vue la nature du militarisme allemand avant la première Guerre mondiale. Il s'agissait d'un militarisme de classe largement accepté, fondé sur des principes à demi-féodaux, à l'intérieur même d'une société aux structures, par ailleurs, capitalistes. Le conflit entre les traditions militaires de la monarchie et les aspirations de la bourgeoisie industrielle n'était pas résolu mais institutionnalisé. Le pouvoir militaire et le prestige social étaient répartis de manière à favoriser l'aristocratie et les grands et moyens propriétaires fonciers, tandis que la puissance économique était concentrée dans les mains de capitaines d'industrie, de commerce et de finance sans expérience politique." La structure de décision sur les affaires militaires montre la prédominance des autorités militaires sur les autorités civiles. Le cabinet de Guillaume II traite les affaires militaires avec la hiérarchie militaire, passant outre les ministres chargés de la défense, et encore plus outre le Parlement. A cela, on peut ajouter que la plus jeune branche des forces armées, sous l'influence de Von TIPITZ, avait un sens aigu de la publicité patriotique, et était socialement plus agressive encore que l'armée conservatrice. La Ligue navale, par exemple, fondée en 1898, constituait la première organisation sociale en Allemagne, patronnée par l'industrie lourde. L'élite militaire elle-même n'était pas impérialiste et tout en défendant ses privilèges, elle reste toujours en retrait sur le plan des ambitions territoriales par rapport à la contre-élite économique et aux intellectuels issus de la bourgeoisie qui dirigent et patronnent les organisations sociales patriotiques. La structure de classe particulière du militarisme allemand à l'époque impériale empêchait une bonne préparation de la guerre ou même le minimum d'efficacité que permettaient les progrès de la technologie. Cela affectait la vie militaire essentiellement sur quatre points, relatifs à la composition de l'armée, à l'économie de guerre, au comportement des militaires face à la technologie, et au manque d'intérêt accordé à la propagande en cas de conflit armé, quatre points auxquels s'attaquent tous les écrits de LUDENDORFF. Pour l'ensemble de l'élite militaire, il importait de faire une guerre courte, car la préparation d'une guerre longue entraînerait une diminution du monopole des militaires sur la direction de la guerre, et augmenterait en tout cas l'importance des facteurs économiques et sociaux. 

        Eric LUDENDORFF qui n'appartient pas à cette élite militaire, énonce une conception de la guerre totale, que l'on peut formuler en cinq propositions fondamentales :

- la guerre est totale parce que le théâtre des opérations s'étend à l'ensemble du territoire des nations belligérantes ;

- l'entière population participe à l'effort de guerre. Il faut adapter donc le système économique à ses objectifs ;

- il devient impératif, par suite de la participation de larges masses à la guerre, de consacrer des efforts particuliers à affermir le moral sur le front intérieur et à affaiblir la cohésion politique de la nation ennemie au moyen de la propagande ;

- il faut commencer la préparation de la guerre totale avant l'ouverture des combats. La guerre militaire, économique et psychologique influence les activités de temps de paix des sociétés modernes ;

- il faut soumettre la conduite de la guerre totale à une autorité suprême, celle du commandant en chef. 

Sa contribution la plus originale à la théorie de la guerre totale ne concerne pas la conduite des opérations militaires, même si dans les faits il occupe une position de premier plan pendant la première guerre mondiale, mais la guerre psychologique. Il recherche la cohésion la plus forte à l'intérieur de la nation, prenant comme modèle le shintoïsme japonais. loin de penser que la source d'une concorde réside dans l'efficacité des services de police, il la voit dans les traditions profondément enracinées dans le peuple. Il ne soutient pas l'usage de la violence à l'intérieur de la nation et lorsqu'il faut le faire, c'est à regret, afin de protéger l'effort de guerre. Produit de l'évolution technologique et démographique, la guerre totale absorbe la politique. S'il plaide vigoureusement pour la préparation de cette forme de guerre, il ne suggère jamais qu'il la préfère à la guerre limitée pour des raisons métaphysiques ou morales. Jamais, il ne justifie explicitement la guerre totale par une doctrine impérialiste ou un système de valeurs dans lequel la pugnacité, l'héroïsme et l'amour du sacrifice seraient tellement essentiels qu'il leur fait la guerre pour être pratiqués et glorifiés, contrairement à ce que font HITLER et ses partisans. Il va jusqu'à soutenir que la guerre totale est fondamentalement défensive. Ainsi le peuple ne coopère à la guerre que s'il sait qu'elle vise à préserver son existence.

 

Les conceptions nazies

    Les nationaux-socialistes ont à la fois organisé la société allemande en vue de la guerre totale et ont consacré à celle-ci une abondante littérature. Leur contribution, nous dit toujours Hans SPEIER, au développement de la théorie de la guerre totale part de l'affirmation fondamentale de CLAUSEWITZ et de LUDENDORFF, selon laquelle, dans la guerre moderne, il faut mobiliser toutes les ressources matérielles et morales de la nation.

"La principale différence entre les écrits de Ludendorff et la littérature national-socialiste sur cette forme de guerre réside dans le fait que le national-socialisme a essayé de lui donner des justifications idéologiques. La supériorité de la race et les lois de la nature, entendues dans le sens darwinien et géopolitique, sont censées fournir une caution morale à la guerre allemande et au nouveau militarisme. De plus, certains écrivains nationaux-socialistes (voir Guido FISCHER, Rupert Von SCHUMACHER et Hans HUMMEL...) ont poussé la théorie de Ludendorff jusqu'à ses limites extrêmes en niant purement et simplement l'existence de la paix. Ils ne considèrent plus la guerre comme une phase des rapports entre les États, précédée et suivie de phases de paix, mais comme "l'expression d'une nouvelle évolution politique et sociale de la vie des peuples". De même, les géopoliticiens ont écrit des livres sur les formes qu'assume la guerre aux époques qualifiées par l'usage d'époques de paix. Au lieu de parler de paix entre deux guerres, ils ont trouvé la formule de "guerre entre les guerres"."  Ajoutons à cela, la disparition totale de toute résistance aux progrès technologiques de la part des officiers de la nouvelle génération, et le rétablissement du service militaire obligatoire, sans exemptions sociales. De plus, "les idées de LUDENDORFF sur la suprématie du général en chef dans la guerre totale disparurent avec lui. Les généraux allemands sont sous la domination du parti national-socialiste, mené par Hitler, caporal charismatique."

 

Les conceptions d'Hans DELBRÜCK

     Hans DELBRÜCK, historien militaire, dont la vie active correspond presque exactement avec celle du second Empire allemand, est aussi l'interprète des affaires militaires auprès du peuple allemand et critique civil du grand état-major.

Son Histoire de l'art de la guerre, écrit Gordon A CRAIG, n'est pas "seulement un monument à la gloire de l'érudition allemande mais aussi une mine de renseignements précieux pour les théoriciens militaires de son époque. Ses commentaires des affaires militaires, publiés dans les pages du Preussische Jahrbücher, contribuèrent à l'éducation du peuple allemand, et, pendant la première guerre mondiale notamment, aidèrent celui-ci à comprendre les problèmes stratégiques fondamentaux auxquels devait faire face le grand état-major. Ses critique du haut commandement, écrites pendant et après la guerre, encouragèrent dans une large mesure à revoir le type de pensée stratégique qui avait prévalu dans l'armée allemande depuis l'époque de Moltke." 

Il revient à la doctrine de CLAUSEWITZ en soutenant que les objectifs politiques doivent conditionner la conduite de la guerre et le choix d'une stratégie et que, lorsque la pensée stratégique devient inflexible et autonome, même les plus brillants succès tactiques peuvent conduire à une catastrophe politique. Il est, en ce sens, le critique le plus convaincant de la stratégie de LUDENDORFF. 

   Les quatre volumes de son Histoire de la guerre renferme à la fois une analyse de la conduite de la guerre depuis l'Antiquité, au niveau tactique notamment, et une théorie des rapports entre évolution politique et évolution militaire. Même s'il n'entreprend pas une analyse générale de la relation entre la politique et la guerre, il montre, en passant d'une époque historique à l'autre, le rapport étroit entre les institutions politiques et militaires. Il explique par exemple, comme se forment la puissance militaire des tribus germaniques, des Suisses au XVe siècle ou de la France révolutionnaire.

Révisant souvent les relations des guerres de l'Antiquité par les auteurs grecs (HÉRODOTE par exemple) ou romains, notamment sur le plan des effectifs engagés (souvent fortement exagérés), des rapports de force numérique et des tactiques employées, en se fondant sur l'étude concrète des terrains de bataille, ses études de l'évolution de la phalange grecque ou des rôles de l'infanterie et de la cavalerie font autorité, même si ces révisions fortes lui attirent à son époque les foudres de la majorité des historiens. 

De toutes ses théories militaires, "la plus remarquable, écrit encore Gordon A CRAIG, était celle qui affirmait qu'on peut diviser l'ensemble de la stratégie militaire en deux formes fondamentales. (...) Sous l'influence du De la guerre de Clausewitz, la grande majorité des penseurs militaires à l'époque de Delbrück croyaient que le but de la guerre était la destruction complète des forces de l'ennemi, et qu'en conséquence la bataille, qui la permettait, faisait l'objet de toute la stratégie." Se référant à une note rédigée par CLAUSEWITZ lui-même, mais qui n'a pas fait l'objet de développements de sa part, il accepte la distinction entre deux méthodes de conduire la guerre :

- l'une vise seulement l'anéantissement de l'ennemi ;

- l'autre, guerre limitée, car cet anéantissement est impossible, pour des motifs politique (jeux des alliances, tensions politique internes ou externes) ou militaire (manque de moyens).

La stratégie de l'anéantissement (Niederwerfungstrategie) s'oppose plus ou moins alors à la stratégie de l'usure (Ermatungsstrategie). Pour Gordon A CRAIG, ses contemporains responsables militaires ne comprirent pas le "sens profond de la théorie stratégique de Delbrück.". Pour lui, ce n'est pas le sens tactique qui fait gagner la guerre, mais les manoeuvres politiques qui l'accompagnent et la soutiennent. Sa description de la première guerre mondiale, vue du côté allemand, l'amène à cette conclusion. Convaincu que c'était la Russie qui avait causé la guerre, il pensait qu'une entente était possible avec la France et la Grande Bretagne, et qu'il fallait sauvegarder tout au long de la guerre, surtout lorsqu'elle s'enlise dans les tranchées, toute possibilité de s'entendre avec ces deux puissances. Conscient dès le début d'une faiblesse stratégique de l'Allemagne (considérée comme l'agresseur-oppresseur), il fallait donner des gages d'absence d'ambition territoriale, faute de quoi l'entrée en guerre des États-Unis submergerait son pays. Ne doutant pas de la supériorité de l'armée allemande en soin, il voyait que cela ne suffisait pas. Soutenant la résolution du Parlement en Juillet 1917 en faveur de la paix, il décèle à l'intérieur du gouvernement un manque de direction politique et une tendance croissante de la part des militaires à dicter la politique à suivre. Les militaires, prenant totalement la direction des opérations se lancent alors  dans une offensive en 1918, qui échoue, par manque de préparation réelle des troupes au combat et par infériorité technique des matériels de guerre employés, et aussi par un système d'approvisionnement (en carburants entre autres) défectueux. L'objectif stratégique de la campagne était l'anéantissement de l'ennemi, mais sur le terrain, pour avoir suivi la ligne tactique de la moindre résistance, LUDENDORFF entama une politique d'improvisation désastreuse, violant le premier principe de la stratégie d'anéantissement qu'il prétendait suivre.

"L'erreur capitale de l'offensive fut l'incapacité du haut commandement, résume Gordon A CRAIG, de voir clairement ce que l'armée allemande pouvait accomplir en 1918, et d'adapter sa stratégie à ses possibilités. Sur cette question, Delbrück reprit le thème majeur de toute son oeuvre d'historien et de publiciste. La force relative des troupes adverses était telle que le haut commandement aurait dû prendre conscience de l'impossibilité d'anéantir l'ennemi. Au l'offensive de 1918 aurait-elle dû viser à épuiser l'ennemi pour l'amener à accepter une paix négociée. Cela n'aurait été possible que si le gouvernement allemand lui-même s'était montré disposé à l'accepter. Une fois cette déclaration faite, l'armée allemande, en ouvrant l'offensive, se serait gagné un grand avantage stratégique. Elle aurait pu adapter celle-ci à la force dont elle disposait. Elle aurait pu, en toute sécurité, attaquer aux points tactiquement avantageux, c'est-à-dire là où le succès était le plus facile, puisque même des victoires mineures auraient alors eu un effet moral accru dans les capitales des pays ennemis." 

Cette vision de la guerre mondiale, passé la génération d'Hans DELBRÜCK, ne lui survit pas et l'ensemble des forces politico-sociales préfèrent alors répandre la légende du soldat allemand poignardé dans le dos, légende propre à entretenir le désir de revanche.

 

Les conceptions d'Edward Mead EARLE

    Issues du bouillonnement intellectuel consécutif à la première guerre mondiale, parfois théorisée, le plus souvent pas, les pratiques de guerre totale de l'Allemagne nazie, sont l'objet de la réflexion en forme d'épilogue d'Edward Mead EARLE, à ses deux ouvrages sur les "Maitres de la stratégie".

Pour le stratégiste, "les succès allemands en Pologne, en Norvège, aux Pays-Bas et en France résultèrent largement de la combinaison extraordinairement efficace d'une stratégie militaire et d'une stratégie politique également imaginatives et audacieuses. En d'autres termes, les nouvelles techniques militaires s'unirent à l'audace révolutionnaire pour produire une force dévastatrice qui écrasa les défenses de l'Europe occidentale presque aussi facilement que Josué avait fait s'écrouler les murailles de Jéricho". Il indique la difficulté pour HITLER de parvenir à un modus operandi entre le conservatisme fondamental du corps des officiers et le radicalisme des extrémistes et "parvenus" nazis. Cette coordination entre l'armée et le parti se fit en fait au moyen d'une purge sanglante en 1934, et d'une acrobatie politique interne. "Hitler réussit à imposer une discipline militaire de fer, sans éteindre dans la jeunesse nazie ce fanatisme qui eut une influence considérable sur le moral de l'armée allemande. L'esprit de croisade du nazisme, associé à la compétence technique de la Wehrmacht, anéantit tout (à l'exception de la Royal Air Force) jusqu'au moment où il dut affronter l'Armée rouge que le communisme avait conditionnée de façon similaire."  L'unité d'intention depuis ses années d'opposition à la République de Weimar, exprimée dès son Mein Kampf (1925) (l'acquisition pour la race germanique débarrassée du poison juif d'une espace vital à l'Est, conquis avec l'aide plus ou moins volontaire des anglo-saxons), ne se retrouve que chez STALINE, selon notre auteur. Balayer la France, (prendre la revanche sur le Traité de Versailles), seul ennemi à l'Ouest, et ensuite allié à l'Angleterre et à l'Italie pour écraser le bolchévisme à l'Est, était cette intention stratégique. Après les succès stratégiques obtenus par la terreur (notamment de revoir les destructions de la première guerre mondiale) "la bataille devint largement l'affaire des militaires, et il n'y a guère de preuves que la stratégie militaire du Führer puisse égaler ses triomphes dans le domaine de la guerre psychologique et politique." 

 

La mise en oeuvre de la guerre totale

Si, dans les faits, la guerre totale est mise en oeuvre sur beaucoup de fronts pendant la seconde guerre mondiale (que l'on songe aux fronts chinois, sino-japonais, américano-japonais, russo-allemand...), elle n'est justifiée voire théorisée pleinement que du côté nazi.

"La stratégie nazie, en effet, n'avait tracé aucune ligne de démarcation clairement définie entre la guerre et la paix et considérait la guerre, et non la paix, comme l'état normal d'une société. Pour les nazis, la guerre ne consistait pas seulement ou même principalement en opérations militaires, la politique de l'État en temps de soit-disant paix était donc une "stratégie élargie", utilisant des armes économiques, psychologiques et d'autres instruments non-militaires. L'Allemagne recourut constamment à la guerre politique, écrit un ancien membre de l'entourage de Hitler, "non seulement pour rendre la situation tactique favorable à une série de victoires pacifiques, mais aussi pour déterminer ces problèmes spécifiques que la situation politique générale a suffisamment fait mûrir pour que la solution à y apporter s'accorde avec les buts du national-socialisme. Ces activités politiques trouvent leur explication dans le caractère nouveau des importantes opérations futures - un état de tension associé à des menaces soudaines, tantôt ici, tantôt là, dans une action ininterrompue qui fatigue l'adversaire, permettant d'isoler certaines questions particulières, de créer des divisions dans le camp ennemi et de simplifier les problèmes jusqu'à ce qu'on puisse les résoudre sans complication (c'est-à-dire sans guerre)" (Hermann RAUSCHNING, The voice of destruction, New York, 1940). Les préparatifs militaires de Allemagne nazie ne furent qu'un aspect de ses activités révolutionnaires qui visaient à rendre l'agression armée inutile ou si elle était nécessaire, à en garantir le succès."

 

    Les réflexions sur la guerre totale ne s'arrête pas à la fin de la Seconde guerre mondiale et même s'intensifient sous la réalité de l'émergence des armements nucléaires, mais sous une autre forme. 

 

 

Gordon A. CRAIG, Delbrück : l'historien militaire, dans Les Maitres de la stratégie, tome 1, Sous la direction de Edward Mead EARLE, Bibliothèque Berger-Levrault, 1980. Hans SPEIER, Ludendorff : la conception de la guerre totale, dans Les Maitres de la stratégie, tome 2, 1982. Edward mead EARLE, Hitler : la guerre selon les nazis, dans Les maitres de la stratégie, 1982. Philippe MASSON, Guerre totale, dans Dictionnaire de la stratégie, PUD, 2000. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.

 

STRATEGUS

 

Relu le 7 mai 2021

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30 avril 2013 2 30 /04 /avril /2013 13:09

     Adam TOOZE (né en 1967), enseignant britannique de l'histoire de l'Allemagne à l'Université de Yale, déjà auteur d'ouvrages en histoire économique, veut renouveler nos connaissances dans la formation et dans la ruine de l'économie nazie. Il veut "remettre l'économie au centre de notre intelligence du régime hitlérien en offrant un récit économique qui aide à étayer les histoires politiques produites au cours de la génération passée et à en dégager le sens. Non moins pressante est cependant la nécessité d'accorder notre intelligence de l'histoire économique du IIIe Reich avec la subtile réécriture de l'histoire de l'économie européenne engagée depuis la fin des années 1980, mais largement passée inaperçue dans l'historiographie dominante de l'Allemagne."

Ses recherches l'amènent à mettre en cause la thèse de la dominance économique allemande en Europe, dans les années 1930 et ensuite. il met en évidence les effets déjà tangibles en Europe du retournement économique suite à la première guerre mondiale en faveur des États-Unis d'Amérique. "D'un côté, nous avons une perception plus aiguë de la position réellement exceptionnelle des États-Unis au sein de l'économie mondiale moderne. De l'autre, l'expérience européenne commune de "convergence" nous offre une perspective singulièrement désenchantée sur l'histoire économique de l'Allemagne. La thèse fondamentale de ce livre, la plus radicale peut-être, est que ces mouvements liés l'un à l'autre de notre perception historique requièrent une refonte de l'histoire du IIIe Reich, laquelle a pour effet dérangeant de rendre l'histoire du nazisme plus intelligible, en vérité mystérieusement contemporaine, et en même temps de mettre davantage encore en relief son irrationalité idéologique fondamentale. L'histoire économique éclaire d'un jour nouveau à la fois les motifs de l'agression hitlérienne et les raisons de son échec - de son échec inéluctable."

 

        A la lumière de cette nouvelle analyse économique, il est possible de rationaliser l'agression du régime hitlérien en y reconnaissant une réponse intelligible aux tensions nées du développement inégal du capitalisme mondial (...). Dans le même temps, cependant, l'intelligence des fondamentaux économiques nous aide aussi à mieux apprécier l'irrationalité profonde du projet de Hitler. Ainsi qu'on le verra dans ce livre, le régime engagea après 1933 une campagne de mobilisation économique réellement remarquable. Le programme d'armements du IIIe Reich fut le plus grand transfert de ressources jamais engagé par un État capitaliste en temps de paix. Hitler n'en fut pas moins incapable de modifier le rapport de force économique et militaire sous-jacent. L'économie allemande n'était tout simplement pas assez vigoureuse pour créer la force militaire qui lui permettrait de terrasser l'Union Soviétique, sans parler des États-Unis. Bien que Hitler ait remporté de brillants succès à court terme en 1936 et en 1938, la diplomatie du IIIe Reich fut incapable de créer l'alliance antisoviétique proposé dans Mein Kampf. Confronté à une guerre contre la Grande-Bretagne et la France, Hitler se vit contraint, au dernier moment, de passer un accord opportuniste avec Staline. L'efficacité dévastatrice des forces de panzers, le deus ex machina des premières années de la guerre, ne formait pas la base de la stratégie avant l'été 1940, puisque ce fut une surprise, même pour les dirigeants allemands. Et si les victoires de l'armée allemande en 1940 et 1941 furent bel et bien spectaculaires, elles furent peu concluantes. Ainsi en arrivons-nous à la conclusion réellement vertigineuse que Hitler lança la guerre en septembre 1939 sans plan cohérent pour vaincre son principal antagoniste : l'Empire britannique. 

Pourquoi Hitler prit-il ce risque épique? Telle est assurément la question fondamentale. Même si l'on peut rationaliser la conquête de l'espace vital en y voyant un acte d'impérialisme, même si l'on peut créditer le IIIe Reich d'un remarquable effort de mobilisation de ses ressources pour combattre, même si les soldats allemands se battirent vaillamment, la conduite de la guerre par Hitler impliquait des risques si grands qu'ils défient toute rationalisation en termes d'intérêt pragmatique. Et c'est par cette question que nous rejoignons l'historiographie dominante avec son insistance sur l'importance de l'idéologie. C'est l'idéologie qui donna à Hitler le prisme à travers lequel il comprit le rapport de force international et le déploiement de la lutte de plus en plus mondialisée qui débuta en Europe avec la guerre civile espagnole, dans l'été 1936. Dans l'esprit de Hitler, la menace que représentaient les États-Unis pour le IIIe Reich ne relevait pas seulement de la rivalité conventionnelle des superpuissances. C'était une menace existentielle, liée à la peur que Hitler eut toujours d'une conspiration juive mondiale se manifestant sous la forme de la "juiverie de Wall Street" et des "médias juifs" des États-Unis. C'est une interprétation fantastique du véritable rapport de force qui explique le caractère volatile, très risqué, des décisions de Hitler. Pas questions pour l'Allemagne de se ranger pour devenir un satellite prospère des États-Unis, comme telle avait paru être la destinée de la république de Weimar dans les années 1920, parce que cela se serait soldé par un asservissement à la conspiration juive mondiale et, en définitive, par une mort raciale. Compte tenu de l'influence envahissante des Juifs, révélée par la montée des tensions internationales à la fin des années 1930, un avenir prospère fondé sur l'association capitaliste avec les puissances occidentales était tout bonnement impossible. La guerre était inévitable. La question était de savoir quand."

 

      Cette introduction de l'auteur marque bien ses ambitions. il suit l'ordre chronologique pour montrer comment l'économie allemande devint une puissance réelle, accordant une place très importante aux politiques menées avant la guerre. Cela scande son gros livre en trois parties : Redressement, La guerre en Europe, Guerre mondiale. Avec plus de cent pages de notes, placées en fin d'ouvrage, ce livre nous montre avec pédagogie, malgré la masse importante des faits brassés, comment l'économie allemande fut mis au service d'un projet insensé, et comment, par certaines des mesures mêmes prises par ses responsables (esclavage des travailleurs, déplacements des populations, destructions économiques et physiques de l'adversaire..) elle échoua. Nous pouvons comprendre également comment une stratégie de guerre totale peut - ou ne peut pas fonctionner - dans la confrontation de puissances industrielles.

 

Adam TOOZE, Le salaire de la destruction, Formation et ruine de l'économie nazie, Les belles lettres, collection Histoire, 2012, 800 pages.

 

Relu le 5 avril 2021

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29 avril 2013 1 29 /04 /avril /2013 08:52

      L'histoire des entreprises indique que la guerre économique est plus appliquée que raisonnée, tant dans ses présupposés que dans ses conséquences. Elle est parfois génératrice de guerre tout court, parfois en constitue un substitut sans doute moins violent mais aux conséquences à moyen et long terme néfastes (sur le plan du bien être des populations). Si à un moment ou à un autre, par suite de collusion/fusion momentanée d'objectifs d'entreprise et d'État, la guerre économique est entreprise.

Il faut néanmoins avoir à l'esprit deux éléments très importants :

- du fait d'une certaine instabilité dans les instances dirigeantes ou dans les systèmes d'alliance entre entreprises, celle-ci peut être appliquée de manière décousue et contradictoire, dont les résultats bénéfiques ne sont pas évidents mais dont les répercussions sur les populations sont généralement dramatiques (au mieux chômage massif, au pire famine) ;

- du fait de la nature compétitive des relations entre entreprises ou groupes d'entreprises, la marge entre pratiques commerciales couramment déloyales et entre pratiques volontairement destinées à nuire est plus ou moins importantes.

Avec la dominance actuelle des marchés financiers sur l'économie toutefois, les activités des traders et autres acteurs financiers sont relativement destructrices d'éléments de l'économie réelle, tant et si bien que dans certaines circonstances, la prospérité de la sphère financière dépend de destructions dans la sphère matérielle productive (envolée boursière se confond parfois avec suppression d'emplois..). La pratique dans les salles de marché les fait ressembler à des champs de bataille, à coup de fausses rumeurs et de vraies OPA agressives, tout cela étant tendu vers l'accroissement de valeurs nominales de titres financiers, sans "préjudice", comme on dit dans le droit des affaires, des conséquences sur la production, l'emploi et les services publics. 

    De nombreux stratégistes en herbe ou confirmés proposent couramment leurs services aux entreprises, pour mener des batailles économiques, comme l'indique l'ouvrage de Dominique FONVIELLE. Un ensemble de réflexions sur la finance internationale, par ailleurs, tend à faire voir l'activité des milieux financiers comme une guerre économique contre les peuples.

 

Batailles économiques

    Dominique FONVIELLE, dirigeant d'un cabinet de conseil et d'information stratégiques, ancien officier de renseignement, propose aux entreprises, comme tant d'autres l'ont fait avant lui et après aux États-Unis, en Europe ou en Asie, d'appliquer une méthode de raisonnement tactique de l'École supérieure de guerre au processus de décision de l'entreprise. 

"Au-delà de la stratégie "normale" de l'entreprise, les actes hostiles, l'exaspération de la concurrence, les pratiques concurrentielles déloyales, l'espionnage industriel, la désinformation mettent les dirigeants dans une situation de conflit permanent. Le plus grand danger serait de ne pas en tenir compte. Il s'agit donc de "mettre l'entreprise en dispositions de combat" et de tenir compte de l'environnement et des conditions de sa survie. (...) Nous sommes en guerre économique, et de nombreuses affirmations tendent à le prouver. Les meilleurs auteurs désignent l'Amérique hégémonique comme l'adversaire (l'ennemi) de la France et de l'Europe. (Nous remarquerons simplement ici que la Chine a déployé tout un arsenal économique bien plus agressif que celui des États-Unis...). La mondialisation est à l'origine de tous les maux de la planète et doit être combattue. Par leurs rejets (dans le processus de production des marchandises), les entreprises des pays industrialisés accentuent l'effet de serre et favorisent le réchauffement de la planète. Une firme comme Monsanto aurait voulu gérer l'ensemble des ressources mondiales à partir de manipulations génétiques. A qui profitent ces accusations, ces actions sont-elles réellement menaçantes pour l'ensemble de la communauté mondiale ou ne servent-elles que des intérêts particuliers, politiques ou partisans? 

Pour y voir clair, il faut une méthode d'analyse. Pour apprécier le danger, et donc mettre en place les moyens de défense, il faut comprendre buts et moyens d'action adverses. Puisque nous sommes en guerre économique, appliquons à l'économie les principes de la guerre et de la tactique. Analysons la situation à la lumière de la "Méthode de raisonnement tactique" de l'École supérieure de guerre, et nous pourrons apprécier les tenants et aboutissants des actions qui nous menacent, et donc évaluer les moyens et les méthodes à mettre en oeuvre pour survivre dans ce monde peuplé d'ennemis."

L'auteur s'appuie donc sur cette fameuse "Méthode" (TTA 152) éditée en 1977. Ce document représente un corpus doctrinal intéressant dans la mesure où il vise à remettre en ordre les principes tactiques de l'engagement conventionnel des forces après les expériences de l'Indochine et de l'Algérie et fait appel à la réflexion sur les risques nouveaux que l'arme nucléaire a introduits dans l'art militaire. Il suit  la même démarche que de nombreux analystes employés par le Pentagone des États-Unis d'Amérique durant la guerre du Vietnam, déploient dans l'administration fédérale ou dans les nombreuses entreprises (souvent elles-mêmes stratégiques) où ils ont essaimés ensuite. Comme la méthode TTA 152 française, les multiples projets de recherche américains développent une méthode de raisonnement tactique intégrée dans la stratégie de nombreuses grandes entreprises.                

        Comme tout document concernant la défense, il procède d'abord à une catégorisation des ennemis de l'entreprise. Suivant cette catégorie, une analyse du milieu et des circonstance de leur rencontre et des possibilités d'action sont définies.

Ainsi, en ce qui concerne les multinationales et la concurrence, pour la conquête des marchés émergents et la constitution du développement économique, sont mises en action des investissements étrangers en France. Comme actions légales, nous comptons la concurrence dans le cadre des lois existantes, l'action sur les marchés par OPA ou partenariats. Comme actions illégales peut être conduit un espionnage industriel avec ou sans appui de l'État. En ce qui concerne les stratégies économiques nationales et dans le cadre d'un perte de pouvoir des États, avec la mondialisation des échanges économiques et les luttes pour l'hégémonie mondiale, sont mises en oeuvre des réglementations restrictives, des embargos par l'État, gestionnaire de l'économie nationale (cas-type des clauses secrètes ou non de nations favorisées des États-Unis), des politiques d'influence sur les Organisations internationales, dont l'OMC ou la Banque mondiale ; un appui également aux entreprises nationales. Face aux nouvelles menaces économiques, provenant directement de la globalisation des échanges (finances, information, revendications, éco-terrorisme...), sont mises en oeuvre des techniques de blanchiment d'argent par le crime organisé, de communications, d'attaque des systèmes informatiques, jusqu'aux atteintes aux biens et aux personnes (enlèvements, sabotage...)  Une grande place est accordée ici également à la guerre de l'information et à l'espionnage électronique.

    Le document permet l'examen également des divers cas de figures conflictuelles, où se jouent la mobilité des personnels, la fragilité du système d'information et l'Image :

- État contre firme.

Personnels : Expulsions de personnels, droit au travail restrictif pour les expatriés, obligation d'embauche des personnels locaux ; Manipulation des recrutements pour prendre des parts de marchés.

Fragilité du système : Écoutes (Système Echelon), communication défavorable à l'entreprise, mise en place de réglementations défavorables en réaction, pour provoquer l'éviction des marchés au profit des entreprises nationales concurrentes.

Image : Accusation d'exploiter des ressources locales sans contrepartie, d'ingérence politique pour des raisons économiques ou mercantilistes pour créer les conditions juridiques et économiques défavorables et la provoquer la perte de confiance des actionnaires, des salariés, des consommateurs...

- Firme contre firme.

Personnels : Débauchage de cadres, diminution du patrimoine de compétences, retard technologique, perte de marchés, tout cela provoquant l'aggravation du risque de fusion et d'acquisition.

Fragilité : Pénétration, désinformation, pillage technologique et commercial, détournement de clientèle, provoquant la diminution du chiffre d'affaires, la perte de parts de marchés, la fragilisation globale de l'entreprise.

Image : Désinformation et atteinte à l'image pour provoquer le départ des cadres et des salariés, la diminution des performances, l'arbitrage négatif des marchés financiers...

- Criminalité, sectes et mafias.

Personnels : Corruption, menaces, manipulation de cadres et de salariés, restrictions à la mobilité et l'indépendance des personnes, pour provoquer la perte d'autonomie de l'entreprise progressivement vidée de sa substance et l'amenant à disparaître.

Fragilité : Utilisation de l'entreprise comme vecteur de blanchiment ou de prosélytisme, accroissant les risques juridiques et financiers.

Image : création d'une image d'entreprise sectaire, corrompue, ou vecteur d'actes de blanchiment, pour parvenir à terme à la disparition de l'entreprise.

- Guérillas et preneurs d'otages.

Personnels : Enlèvements, demandes de rançon, attentats, pour provoquer l'abandon du territoire, la perte de marchés, un traumatisme pour les salariés.

Fragilité : Identification des cadres-clés, des implantations géographiques de l'entreprise et de ses vulnérabilités, pour provoquer l'impossibilité de travailler avec des expatriés, et l'obligation de se fier uniquement à des cadres locaux.

Image : création d'une entreprise incapable de se défendre ou d'entreprise victime, pour provoquer les arbitrages négatifs des clients, des investisseurs, des actionnaires...

- ONG, syndicats et associations diverses.

Personnels : Manipulation tendant à entraîner la perte de confiance des personnels dans leur firme.

Fragilité : Communication défavorable, orientée vers le boycott.

Image : Accusation d'atteinte aux droits de l'homme, à l'environnement, vers également l'appel au boycott...

Tout le monde remarque que pour le regard distancié de l'analyste, les entreprises légales et illégales, les États effectifs ou non effectifs, les entreprises humanitaires ou criminelles peuvent être entraînés dans la guerre économique, de son propre fait ou du fait de l'environnement global...

  Les différents choix qui s'offrent à ces acteurs dépendent des critères d'évaluation interne et des "images de soi". Le document TT 152 toujours, permet de dégager 4 critères de choix :

- Surprise stratégique : En principe, c'est un critère prépondérant, surtout si des créations concurrentielles ou financières sont à attendre. A l'inverse, l'éducation du marché peut imposer de distiller progressivement les informations concernant la mise en place prochaine d'un produit, avec ses caractéristiques. la condition sine qua none de réussite est évidemment l'absence certaine de produits concurrents susceptible de faire échouer l'opération.

- Création de valeur : C'est un point important, dans la mesure où l'annonce de nouvelles acquisitions dans le cadre d'une opération de croissance externe a généralement tendance à faire peur aux marchés qui n'aiment pas le changement; La démonstration d'un bénéfice rapide est alors indispensable. A l'inverse, certains investissements peuvent avoir tendance à détruire de la valeur et à faire baisser le niveau des dividendes distribués. Une bonne communication doit permettre alors de justifier cette mesure et de rassurer les investisseurs.

- Respect du code d'éthique : Il est très délicat de passer outre les valeurs que l'entreprise s'est elle-même données. La tentation de sous-traiter des "affaires sales" est évidemment forte, mais il faut se souvenir qu'un jour ou l'autre ce type d'expédient sera connu et sera désastreux, car il sera évidemment exploité au mieux des intérêts concurrentiels.

- Conformité aux orientations politiques nationales : C'est une question de positionnement de l'entreprise et d'arbitrage entre diverses obligations en situation de force, il est toujours possible de passer outre. L'action de lobbying qui doit soutenir cette action doit prendre en compte le fait que les hommes sont plus sensibles aux politiques que les États, et que les carrières sont mobiles. Les mêmes hommes ne prennent pas toujours les mêmes décisions.

 Tout réside alors dans l'évaluation interne des avantages et des inconvénients d'appliquer ces critères... Mais souvent la décision est faite dans le but de gagner à court terme une bataille économique. 

 

Mondialisation, financiarisation...

   En termes très globaux, qui mettent face à face cette fois les peuples et les firmes, les États étant considérés comme inféodés à ces firmes - même si les personnels publics et privés n'ayant pas tous les mêmes préoccupations, de nombreux auteurs, qui sympathisent ou qui se veulent partie prenante d'un altermondialisme, partisans d'un autre mondialisation à laquelle nous assistons depuis près d'un quart de siècle - de nombreux auteurs théorisent la résultante du fonctionnement des systèmes économiques dominants actuels. S'appuyant souvent sur des cas précis de fonctionnement d'une entreprise multinationale ou de l'économie de toute une région, ces économistes discutent d'une véritable guerre économique menée par tout un système financier - qu'il est difficile de percevoir entièrement comme la somme de l'agissement de milliers d'individus placés aux sommets des hiérarchies économiques ou à l'envers comme le fonctionnement d'une méga-machine supportée par tout un appareil idéologique et comptable - contre les peuples en général.

Citons simplement ici une dizaine de leurs thèses :

- Depuis les années 1980, on assiste au niveau planétaire à un appauvrissement massif comme résultat de politiques délibérées qui ont pour nom "néolibéralisme" ;

- La mondialisation ou globalisation est inséparable de la dérégulation des marchés des capitaux dédiés par les gouvernements des principales puissances économiques et par les institutions financières multilatérales ;

- La mondialisation/globalisation implique une financiarisation croissance de l'économie de tous les pays de la planète au point que certains auteurs parlent d'une "tyrannie" des marchés financiers qui réduit fortement la marge de manoeuvre des politiques gouvernementales, sans pour autant que le point de non retour ait été atteint. Il y a encore et sans doute plus actuellement une lutte à l'intérieur même des institutions financières nationales et internationales dans laquelle des responsables estiment que les marchés financiers doivent être à nouveau régulés ;

- La mondialisation/globalisation n'est pas un processus purement économique. Les politiques menées par un nombre croissant de gouvernants qui ont suivi la voie ouverte par l'administration américaine Reagan et le gouvernement britannique Thatcher, au début des années 1980, l'ont puissamment accélérée. Les gouvernants ont délibérément réduit les possibilités des pouvoirs publics.

- Il est nécessaire de prendre un nouveau tournant qui mette la satisfaction des besoins humains au centre des politiques mises en oeuvre. Et sans doute dirions-nous de mettre enfin le, les peuples, au centre de la vie politico-économique. Pour atteindre cet objectif, il faut prendre des mesures contraignantes à l'égard des détenteurs de capitaux. Les opprimé(e)s peuvent devenir les acteurs d'un changement révolutionnaire. La mondialisation néo-libérale n'est pas incontournable (et est d'ailleurs de plus en plus contournées actuellement, tant par des acteurs économiques nationaux, que par des populations entières).

- Après plus de vingt ans de politiques néo-libérales, la croissance économique n'a pas retrouvé le niveau des trois décades qui ont suivis la seconde guerre mondiale. Le développement est non seulement ralenti, mais il implique dans le cadre néo-libéral, une augmentation des inégalités à la fois à l'intérieur des pays et entre les pays du Centre et de la Périphérie.

- La mondialisation/globalisation en cours implique un recentrage des investissements, de la production et des échanges sur les trois pôles principaux aux plans industriels financier, commercial et militaire : la Triade Amérique du Nord-Europe-Japon.

- La mondialisation/globalisation implique dans la phase actuelle à la fois une ouverture des frontières aux mouvements des capitaux et une fermeture des frontières des pays industrialisés aux populations du Tiers-Monde et de l'ex-bloc dit "socialiste".

- La richesse est produite par le travail humain et la nature. Une partie croissante du surproduit du travail humain est déviée vers la sphère financière par les détenteurs de capitaux. Ils investissent une fraction décroissante de ce surproduit dans la sphère productive. Ce processus n'est pas sans fin mais, si un virage n'est pas pris grâce à l'action de ceux et de celles d'en bas, il risque de durer et d'aboutir à des crises financières de plus en plus fréquentes et d'une ampleur croissante. 

Même si depuis 2004, date à laquelle ont été émises ces thèses, la situation a évolué (les régions changent de dimension économique, les notions de Centre et de Périphérie ont perdu de leur pertinence au profit d'un monde plus multi-polaire, sans que celui-ci gagne en stabilité d'ailleurs), et parfois a empiré (changements climatiques accrus, multiplication exponentielle des fraudes fiscales...), il reste une analyse Peuples/Fiance mondiale qui reste selon leurs auteurs plus que jamais d'actualité. La lecture attentive de la presse financière elle-même donne des signes d'accélération d'une certaine décroissance dans certaines parties du monde. Une inquiétude se manifeste de plus en plus des milieux financiers eux-mêmes quant à l'évolution d'un système qui semble échapper à leurs analyses les plus fines.

 

Eric TOUSSAINT, La finance contre les peuples, La Bourse ou la vie, Éditions Syllepse/CETIM/CADTM, 2004. Dominique FONVIELLE, De la guerre... économique, PUF, collection Défense et défis nouveaux, 2002.

 

STRATEGUS

 

Relu le 5 avril 2021

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