On peut s'interroger sur la pertinence des concepts de défense non-violente, de défense civile non-violente, de défense populaire non-violente, ou de dissuasion civile. En effet, ces concepts sont directement issus de la volonté de trouver des alternatives non-violentes à la défense militaire, dans un contexte d'enrôlement des populations et de service militaire plus ou moins généralisé, et sont devenus attractifs notamment en raison d'une certaine militarisation de la société, et plus prosaïquement du contact direct de la jeunesse à la chose militaire. Les contestations multiples du service militaire, le développement (quoique très limité) de l'objection de conscience, mais surtout un sentiment diffus dans toute la population de réticence réelle envers l'institution militaire, d'autant que celle-ci a été jugée très défaillante lors de la seconde guerre mondiale, à plus d'un titre... sont pour quelque chose dans le développement, au-delà d'actions non-violentes à objectifs limités, d'une réflexion sur une défense qui ne serait pas militaire, mais, pour beaucoup, non-violente.
Cette objection de conscience, développée surtout dans les pays à service militaire généralisé ou en état de guerre (contesté) avec un autre pays alimente d'ailleurs une réflexion plus ou moins poussée en matière de défense. L'opposition à la défense armée s'alimente de prétentions de l'armée à régir certains territoires (extension du camp militaire du Larzac par exemple) ou à faire peser sur la société toute entière la menace nucléaire. C'est d'ailleurs pour partie cette menace qui force la réflexion sur une alternative à la défense nucléaire. On remarque d'ailleurs une évolution de ces concepts en fonction d'une actualité parfois brûlante (crise des euromissiles par exemple), et dans des territoires directement concernés par cette menace (France, Allemagne, Angleterre). Cette réflexion fait partie d'un ensemble de débats plus vastes d'ailleurs sur les alternatives à la défense nucléaire, parfois moins sur les alternatives à la défense armée, où partisans de plusieurs perspectives ne manquent parfois pas de s'affronter de manière toute pacifique.
La pertinence de ces débats, et de ces concepts non-violents est d'autant accrue qu'elle n'évite aucun des questionnements majeur sur toute défense : qu'entend-t-on défendre? qui se défend?, par quels moyens? en explicitant souvent de manière précise les réponses à ces questions... Parce que la majeure partie des politiques de défense se font et se pensent encore dans des cadres nationaux, malgré les multiples empiètements ou délégations de souveraineté, maints auteurs estiment que l'on ne peut faire l'impasse d'une réflexion sur les alternatives de défense nationale.
Défense civile non-violente
Dans un Dictionnaire de la non-violence, on peut lire l'argumentation suivante :
Toute société doit être prête à se défendre contre les menaces d'agression qui pourraient porter atteinte à la dignité et à la liberté de ses membres. Jusqu'à présent, c'est par la préparation de la guerre que les sociétés ont chercher à assurer la paix. Dans quelle mesure est-il possible d'envisager une défense des sociétés qui repose sur les principes et les méthodes de la stratégie de l'action non-violente?
Dans le cadre de la stratégie de la défense civile non-violente, le théâtre des opérations est constitué par la société avec ses institutions démocratiques et sa population. En réalité, l'invasion et l'occupation d'un territoire ne constituent pas les buts d'une agression ; elles ne sont que des moyens pour établir le contrôle et la domination de la société. Les objectifs les lus probables qu'un adversaire cherche à atteindre en occupant un territoire sont l'influence idéologique, la domination politique et l'exploitation économique.
Pour atteindre ces objectifs, un agresseur doit donc "occuper" la société, plus précisément il lui fait "occuper" les institutions démocratiques de la société. Dès lors, les frontières qu'un peuple doit défendre avant tout pour sauvegarder sa liberté, ce ne sont pas celles du territoire, mais celles de la démocratie. En d'autres termes, le territoire dont l'intégrité garantit la souveraineté d'une nation, ce n'est pas celui de la géographie mais celui de la démocratie. Il en résulte que, dans une société démocratique, la politique de défense doit avoir pour fondement la défense de l'État de droit. La menace qui pèse sur la démocratie est d'abord engendrée par les idéologies fondées sur l'exclusion de l'autre homme - qu'il s'agisse du nationalisme, du racisme, de la xénophobie, de l'intégrisme religieux ou de toute doctrine économique fondée sur la recherche exclusive du profit.
Il faut donc recentrer le débat sur la défense autour des concepts de démocratie et de citoyenneté. Si l'objet de la défense est la démocratie, l'acteur de la défense est le citoyen parce qu'il est l'acteur de la démocratie. Jusqu'à présent, au-delà des affirmations rhétoriques selon lesquelles la défense doit être "l'affaire de tous", nos sociétés n'ont pas su permettre aux citoyens d'assumer une responsabilité effective dans l'organisation de la défense de la démocratie contre les agressions dont elle peut être l'objet, qu'elles viennent de l'intérieur ou de l'extérieur. Tout particulièrement, l'idéologie sécuritaire de la dissuasion militaire a eu pour effet de déresponsabiliser l'ensemble des citoyens par rapport à leurs obligations de défense. Dès lors que la technologie précède, supplante et finit par évacuer la réflexion politique et l'investigation stratégique, ce n'est plus le citoyen qui est l'acteur de la défense, mais l'instrument technique, la machine militaire, le systèmes d'armes.
Il importe donc que les citoyens se réapproprient le rôle qui doit être le leur dans la défense de la démocratie. Pour faire participer les citoyens à la défense de la société, il ne suffit pas de vouloir insuffler un "esprit de défense" à la population civile. Il s'agit de préparer une véritable "stratégie de défense" qui puisse mobiliser l'ensemble des citoyens dans une "défense civile" de la démocratie. Jusqu'à présent, la sensibilisation des citoyens aux impératifs de défense, y compris celle des enfants, s'est située dans le cadre étroit de l'organisation de la défense militaire. Cette restriction ne peut qu'entraver le développement d'une réelle volonté de défendre les institutions qui garantissent le fonctionnement de la démocratie. Pour que l'esprit de défense se répande réellement dans la société, il faut civiliser la défense et non pas militariser les civils. La mobilisation des citoyens pourra être d'autant plus effective et opérationnelle que les tâches proposées le seront dans le cadre des institutions politiques, administratives, sociales et économiques dans lesquelles ils travaillent quotidiennement. La préparation de la défense civile s'inscrit en totale continuité et en parfaite homogénéité avec la vie des citoyens dans les institutions où ils exercent leurs responsabilités civiques. L'esprit de défense s'enracine directement dans l'esprit politique qui anime leurs activités quotidiennes.
Face à toute tentative de déstabilisation, de contrôle, de domination, d'agression ou d'occupation de la société entreprise par un pouvoir illégitime, il est donc essentiel que la résistance civile des citoyens s'organise sur le front des institutions démocratiques, celles-là mêmes qui permettent le libre exercice des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire en garantissant les libertés et les droits de tous et de chacun. Il est de la responsabilité des citoyens qui exercent des fonctions dans ces institutions de veiller à ce que celles-ci continuent de fonctionner selon les règles de la démocratie. Il leur appartient donc de refuser toute allégeance à tout pouvoir illégitime qui, s'inspirant d'une idéologie antidémocratique, tenterait de détourner ces institutions à ses propres fins.
L'objectif ultime de tout pouvoir illégitime qui veut prendre le contrôle d'une société est d'obtenir, par la conjugaison de moyens de persuasion, de pression, de contrainte et de répression, la collaboration et la complicité objectives des citoyens, du moins du plus grand nombre d'entre eux. L'axe central d'une stratégie de défense civile est donc l'organisation du refus généralisé, mais sélectif et ciblé, de cette collaboration. On peut ainsi définir la défense civile comme une politique de défense de la société démocratique contre toute tentative de contrôle politique ou d'occupation militaire, mobilisant l'ensemble des citoyens dans une résistance qui conjugue, de manière préparée et organisée, des actions non-violentes de non-coopération et de confrontation avec tout pouvoir illégitime, en sorte que celui-ci soit mis dans l'incapacité d'atteindre les objectifs idéologiques, politiques et économiques par lesquels il prétend justifier son agression.
L'organisation de cette défense ne peut être laissée à l'initiative des individus. Il appartient aux pouvoirs publics de la préparer dans tous les espaces institutionnels de la société politique. Il importe donc que le gouvernement élabore des instructions officielles sur les obligations des fonctionnaires lorsqu'ils se trouvent confrontés à une situation de crise majeure où ils doivent faire face aux ordres d'un pouvoir illégitime. Ces instructions doivent souligner que les administrations publiques ont un rôle stratégique décisif dans la défense de la démocratie, ce rôle étant de priver tout pouvoir usurpateur des moyens d'exécution dont il a besoin pour mettre en oeuvre sa politique.
Préparée au sein de la société politique, la défense civile doit l'être également au sein de la société civile dans le cadre des différentes organisations et associations créées par les citoyens pour se rassembler selon leurs affinités politiques, sociales, culturelles ou religieuses. Les réseaux formés par ces associations de citoyens qui occupent tout l'espace social du pays - et qui comportent principalement les mouvements politiques, les syndicats, les mouvements associatifs et les communautés religieuses - doivent pouvoir devenir, dans une situation de crise mettant la démocratie en danger, autant de réseaux de résistance.
La mise en oeuvre institutionnelle de la défense civile non-violente par les pouvoirs publics se heurtera encore longtemps à de nombreuses pesanteurs sociologiques. L'2tat a d'abord besoin de l'armée pour lui-même, afin d'assurer sa propre autorité, de la maintenir et, au besoin, de la rétablir. Si la mystique militaire confesse une religion de la liberté, la politique militaire pratique avant tout une religion de l'ordre. Par ailleurs, l'État a trop le culte de l'obéissance pour ne pas éprouver une forte répugnance à ce qu'on enseigne aux citoyens à refuser d'obéir aux ordres illégitimes.
Ainsi, aujourd'hui comme hier, la mise en oeuvre de la défense civile non-violente reste un véritable défi. Il ne serait pas raisonnable d'attendre des pouvoirs publics qu'ils l'organisent de la même manière qu'ils organisent la défense militaire, par un processus qui serait imposé du haut de l'État au bas de la société. Il appartient d'abord aux citoyens d'être eux-mêmes convaincus que cela est nécessaire pour la défense de la démocratie, c'est-à-dire en définitive pour la défense de leurs propres droits et de leur propre liberté. (Jean-Marie MULLER)
Défense Populaire non-violente
Il ne s'agit pourtant pas seulement de remplacer une technique de défense par une autre. Il ne s'agit pas de penser qu'en l'état, en tout cas pour de nombreux auteurs qui traitent de la non-violence, la société est démocratique. Précisément, le type même de défense, la défense civile non-violente, suppose un autre type d'organisation sociale que celle qui existe actuellement dans les sociétés dites "démocratiques". De plus, le lien étroit entre militarisation et capitalisme fait que la défense civile non-violente, alors nécessairement une défense populaire non-violente, c'est-à-dire existante par et pour le peuple, ne peut être adoptée dans son ensemble par une société qui reste dominée par les forces capitalistes, car elle implique nécessairement une remise en cause complète et du capitalisme et de la militarisation. La Défense populaire non-violente n'est compatible qu'avec une organisation socialiste de la société. C'est pourquoi, par exemple, le Mouvement pour une Alternative non-violente, proposait, jusque dans les années 1980 en France (depuis la décennie précédente), que c'est à travers le travail des organisations politiques, facteur de changement politique et de transition vers le socialisme, que peut voir le jour cette défense populaire non-violente. C'est avec les forces politiques de gauche que le MAN, lorsque la conjoncture politique était justement en faveur du changement économique, social et politique, se proposait de travailler à un changement de l'appareil de défense, vers une défense populaire non-violente. On voit bien que la réflexion sur le système de défense obéit forcément à la conjoncture politique : dès que le changement politique n'est plus en vue, l'avenir vers une Défense Populaire Non-violente est fortement compromis, l'ensemble des forces progressistes entrant alors plutôt dans une phase de résistance plutôt que d'accession au pouvoir...
Pour autant, logiquement, la même argumentation peut se soutenir aujourd'hui. La défense civile non-violente ne peut être qu'une défense populaire ou, tout simplement, n'est pas.
D'ailleurs, tout un ensemble d'actions non-violentes peuvent être utilisées pour cette résistance, éléments eux-mêmes de cette défense populaire dont l'horizon s'éloigne très vite : désobéissance civile massive de fonctionnaires ou professionnelles, grèves de toute sorte, mise en place d'administration ou de vie socio-politique parallèle à l'État, système d'information clandestin ou échappant au contrôle... Mais ces actions sont déconnectées de tout processus de changement global - non par volonté d'abandon d'objectif globaux, mais nécessairement dans les faits - et déconnectée encore plus de changement et de perspective de changement de la défense.
Transarmement
La défense civile non-violente ou la défense populaire non-violente (prise comme on l'a dit dans un ensemble amenant à une véritable démocratie) peut être considérée comme une alternative aux défenses militaires. Mais cela présuppose qu'un pays décide de renoncer à toute forme de défense armée pour ne faire reposer sa sécurité, son indépendance et sa liberté que sur la préparation, et, le cas échéant, sur la mise en oeuvre de la stratégie de l'action non-violente. Compte-tenu de l'ampleur des changements culturels et politiques que ce choix implique nécessairement, une telle hypothèse ne peut être envisagée ni à court terme ni à moyen terme, même dans le cas de réelles perspectives de changements socio-politiques. En outre, il est assez vain de se demander si elle peut être envisagée à long terme, puisque les conditions concrètes dans lesquelles elle pourrait prévaloir échappent aujourd'hui à notre appréhension. C'est dire l'ampleur des recherches à entreprise dans bien des domaines pour y parvenir...
La valeur d'une alternative se juge aussi à sa capacité à rendre possible un processus cohérent de transition et une dynamique de changement. Le concept de "transarmement" - dont la fortune fut assez courte il faut le dire - semble (malgré tout) le mieux approprié pour désigner ce processus. Il exprime l'idée d'une transition au cours de laquelle doivent être préparés les moyens d'une défense civile non-violente qui apportent des garanties analogues aux moyens militaires sans comporter les mêmes risques. La notion de transarmement exprime également l'idée d'une transformation des moyens de défense. Alors que le mot "désarmement" n'exprime qu'un rejet, celui de "transarmement" veut traduire un projet. Alors que le désarmement évoque une perspective négative, le transarmement suggère une démarche constructive. A ce propos, bien entendu, l'état de surarmement actuel rend nécessaire un désarmement, mais on ne saurait se limiter à cela. Les sociétés étant dynamiques, au sujet notamment de leur défense et de leur conservation, elles ne peuvent se passer de système de défense, et celui évolue à l'image d'elle-même. De toute façon, avant de pouvoir désarmer, il faut fourbir d'autres armes que celles de la violence.
Avant que la défense civile ou populaire non-violence puisse être considérée par la majorité de la population et par les pouvoirs publics comme une alternative fonctionnelle à la défense armée, la première tâche est d'établir sa faisabilité et de lui faire acquérir une réelle crédibilité. Dans ce processus de transarmement, il s'agit de préparer et d'organiser la défense civile alors que, dans le même temps, une défense militaire sera maintenue. Les différentes formes de défense militaire et la défense civile devront donc coexister, même si cette coexistence peut apparaitre conflictuelle. La mise en oeuvre d'une défense civile constituerait une valeur ajoutée à la défense globale du pays. Tout ce qui renforce l'affirmation de la volonté de défense des citoyens et tout ce qui augmente leur capacité de résister contre une éventuelle agression prolonge et amplifie l'effet dissuasif de la défense du pays.
Si l'on envisage des scénarios concrets de défense contre une agression effective, après le contournement de la dissuasion globale d'un pays, trois hypothèses sont théoriquement possibles : la défense civile non-violente peut être considérée, par rapport aux différentes formes de défense militaire, comme un complément, un recours ou une option.
- Comme complément : la défense civile serait mise en oeuvre en même temps que la défense militaire. Mais cette complémentarité ne peut être envisagée de manière synmétrique. Dans une résistance globalement non-violente, des actions armées ponctuelles seraient peu opportunes et même contre-productives. Elles viendraient contrarier l'efficacité de la résistance non-violente. Celle-ci a sa dynamique propre qui ne peut être pleinement efficiente que si elle est seule à s'exercer. En revanche, si la résistance est essentiellement militaire, l'adjonction de formes de résistance non-violente - tout particulièrement d'actions de non-coopération avec l'agresseur - ne pourrait que renforcer l'efficacité globale de la résistance.
- Comme recours : la défense civile serait alors mise en oeuvre après l'échec ou du moins l'arrêt de la défense militaire. Ce scénario est évidemment très défavorable. Cependant, la résistance civile serait alors la seule possibilité de faire émerger au sein de la population une nouvelle volonté de lutte avec l'espoir que "tout n'est pas perdu".
- Comme option : la mise en place de la défense civile est alors choisie à la place de la défense militaire. Après l'échec de la dissuasion globale, il apparaîtrait aux décideurs politiques que tout emploi des armes serait vain, voire suicidaire. La stratégie de l'action militaire s'avèrerait donc non-opérationnelle et donc non souhaitable, la sagesse politique commanderait d'y renoncer afin de donner les plus grandes chances de succès à la défense non-violente. Compte tenu de la puissance destructrice des armements modernes, cette option serait probablement la plus raisonnable pour permettre à une société de se défendre sans se détruire. (Jean-Marie MULLER)
Dissuasion civile
Comme presque toute politique de défense (presque parce que certains pays ont une "défense" nettement offensive...), l'organisation de la défense civile non-violente doit avoir pour finalité première de dissuader un agresseur potentiel d'engager les hostilités. En fait, ici, le "modèle" de défense visé est la dissuasion nucléaire française, qui affiche nettement cet objectif.
La crédibilité de la dissuasion civile est effective lorsque l'adversaire a dû se convaincre qu'il exposerait son propre pouvoir à de réels dangers s'il décidait d'intervenir au-delà de ses frontières. Ses agents pourraient certes pénétrer sur le territoire convoité sans subir de pertes et sans que sa population se trouve exposée à des représailles, mais ses soldats, ses fonctionnaires et tous ses chargés de mission se heurteraient à l'hostilité organisée des pouvoirs publics, des institutions et des citoyens qui leur refuseraient toute collaboration. Ils courraient alors le risque de se trouver empêtrés dans les réseaux d'un "maquis politique", en subissant l'inconvénient majeur de ne pas avoir l'avantage du terrain. Ils auraient alors les plus grandes difficultés à contrôler ce maquis et ne pourraient guère espérer le réduire dans un délai raisonnable. La dissuasion est effective dès lors que les risques encourus apparaissent disproportionnés par rapport à l'enjeu de la crise, et les coûts prévisibles plus importants que les profits espérés.
Pour renforcer la crédibilité de la dissuasion civile, il faut tout à la fois augmenter les coûts et réduire les profits d'une éventuelle agression. Il importe que le décideur adverse perçoive l'importance des coûts idéologiques, politiques, sociaux, économiques et diplomatiques dont l'addition risquerait de déstabiliser son propre pouvoir et son propre régime. Par ailleurs, dans la mesure où il ne peut espérer aucune complicité significative au sein de la population adverse, il risquerait d'être frustré des profits qu'il voudrait retirer de son agression. Le rapport entre ces coûts et ces profits est de nature à l'amener à renoncer à toute intervention sur le territoire d'une société ayant mis en place les moyens d'une défense civile.
Dans l'hypothèse, au demeurant la plus vraisemblable, où un pays ne ferait pas reposer sa sécurité que sur la défense civile non-violente, mais préparerait conjointement une défense militaire, les éléments constitutifs d'une dissuasion civile apporteraient une "valeur ajoutée" à la crédibilité de la dissuasion globale qui résulterait des différents formes de défense. (Jean-Marie MULLER)
Ce dernier concept est le dernier apparu au milieu des années 1980, étudié notamment au colloque international de Strasbourg en septembre 1986, après avoir fait l'objet d'une étude demandée par le ministère de la défense en 1984. La dissuasion civile est étudiée, plutôt que la défense civile, indiquant un changement de perspective par rapport aux travaux antérieurs.
Même si les événements de 1989, qui amènent la chute d'un des grands blocs, ont frappé d'obsolescence les principales hypothèses abordées alors, le concept de dissuasion civile conserve toute sa valeur théorique. Même si d'ailleurs, d'une part les recherches de fond sur la défense sont devenues plus rares depuis lors et d'autre part on devrait tenir compte des changements de contexte, notamment une mondialisation qui a tendance à faire rebattre toutes les cartes géopolitiques et stratégiques, sans compter le rôle des changements climatiques (dont l'actuelle épidémie de coronavirus est l'une des conséquences)...
Jean-Marie MULLER, Le dictionnaire de la non-violence, Les Éditions du Relié, Poche, 2014. Pour le socialisme autogestionnaire, une non-violence politique, Mouvement pour une Alternative Non-violente, 1981. Christian MELLON et Jacques SÉMELIN, La non-violence, PUF, collection Que sais-je?, 1994. Se défendre sans se détruire, Pour une défense populaire non-violente, MAN, 1982. Institut de Recherche sur la Résolution non-violente des conflits, Les stratégies civiles de défense, Actes du colloque de Strasbourg, Alternatives non-violentes, Saint Étienne, 1987. Christian MELLON, Jean-Marie MULLER, Jacques SÉMELIN, La dissuasion civile, Fondation pour les études de défense nationale (FEDN), 1985.